J’ai lu “Un Dieu et des Moeurs” du romancier sénégalais Elgas

Moins de 48h…

C’est ce qu’il m’a fallu pour lire, dévorer devrais-je dire, les 335 pages de “Un Dieu et des Moeurs” de mon ami et compatriote El Hadji Souleymane Gassama alias Elgas. 97 pages le premier jour, les 238 pages suivantes le lendemain. D’une traite. Cela faisait pourtant deux ans que je n’avais plus terminé un livre, même en étalant sa lecture sur plusieurs mois, même s’il ne faisait que 100 pages, même s’il s’agissait d’une relecture du grand Cheikh Anta Diop. Deux ans. Ainsi, quelques jours après en avoir achevé la lecture et après avoir vécu deux années où aucun livre ne m’avait assez “accroché”, il est évident pour moi, que nous tenons là un très grand écrivain, peut être l’un des plus grands que le Sénégal n’ait jamais enfanté. Oui, rien que ça.

Que dire de ce livre ? Je commencerai par un avertissement : “Un Dieu et des moeurs” est un livre obus qui vise à heurter les consciences sans concession et parfois avec une acidité voulue afin de poser le débat sur la place de la religion (L’Islam) et de la tradition (ancestrale négro-africaine) au Sénégal. Ces deux éléments qui forment ce que nous appelons être “notre culture”, sont pour Elgas la cause fondamentale de la plupart de nos tares : fatalisme face à la misère, déresponsabilisation individuelle, indifférence complice à l’égard de l’exploitation des talibés, persistance de Un Dieu et des moeurs, un roman de Elgasl’excision, des mariages forcés, de la croyance exacerbée dans l’irrationnel et du clanisme familial pour n’en citer que quelques-unes.

Un livre obus donc. Un livre cru où l’on sent Elgas tiraillé entre un pessimisme profond sur le devenir de la société sénégalaise et un amour irrationnel pour cette terre dans laquelle il ne se reconnait pourtant presque plus.

“Un Dieu et des moeurs” est aussi un livre construit de manière originale, à mi-chemin entre le carnet de voyages, le journal intime, le roman et l’essai. Un bric-à-brac littéraire diablement entraînant, divisé en deux grandes parties : tableaux d’un séjour et mauvaise foi. Dans Tableaux d’un séjour, Elgas brosse magistralement 15 portraits sociétaux et raconte ses 15 nuits au Sénégal, tableaux où il décrit de manière minutieuse, violente, touchante ou choquante des tranches de vies, comme celle de cette femme à peine trentenaire et déjà mère de 10 enfants, ou encore de ces talibés venus sonner à sa porte sous une pluie battante, tremblotant de froid et d’effroi à l’idée de rentrer tard chez leur “serigne” sans apporter la somme qu’il leur réclame quotidiennement. Une première partie d’une exceptionnelle qualité littéraire, parfois hilarante (L’Huile, le Sexe et les sénégalaises) et renfermant une grande sensibilité où Elgas retranscrit notamment cette lettre émouvante qu’il écrit à son Papa décédé quelques mois auparavant.

La seconde partie intitulée Mauvaise foi, moins volumineuse, et que j’aurai aimé voir développée, traite de la place de la religion dans la société sénégalaise et le dogmatisme progressif qui s’y est installé au détriment de la raison et d’une spiritualité saine ou ouverte comme l’Islam insouciant de son enfance. Elgas y explique en détail ce qu’il appelle le “fanatisme mou”, sorte de violence et d’intolérance silencieuse enfouie en chacun ou presque des musulmans modérés qui composent la majorité des sénégalais. Un avertissement franc, et salutaire du reste, y est également fait sur le morcellement confrérique du Sénégal, la fanatisation d’une partie de la jeunesse et la fragilisation d’un des piliers de la République à savoir la laïcité, rappelant que les germes de la violence religieuse qui a éclaté au sein de pays qui nous sont proches, sont également présents dans notre société et bien plus qu’on ne le pense. Elgas y exprime également un universalisme assumé du point de vue des choix politiques et culturels, point sur lequel lui et moi avons encore des divergences, divergences qui cependant s’effacent devant notre humanisme commun et l’urgence des défis sociétaux internes que les africains, représentés par les sénégalais dans ce livre, se doivent de relever avec courage et détermination.

On peut avoir l’impression, et je l’ai eue en lisant le livre, qu’Elgas se bat contre tout et contre tout le monde. Il y égratigne en effet les militants panafricanistes et leur “afrocentrisme”, la jeunesse bourgeoise dakaroise qui rejette en façade et uniquement à travers le discours l’Occident et ses valeurs mais qui vit selon ses codes au quotidien. Il attaque également le leg confrérique supposé être à la base de la concorde nationale, les hommes politiques – vus à travers son propre père – pour leur complicité intéressée dans le développement de l’obscurantisme ainsi que les intellectuels pour leurs analyses périphériques qui n’osent pas selon-lui faire une analyse complète et poser le débat, forcément douloureux, de la religion et de la tradition au Sénégal. En réalité, il me semble que ce procédé volontairement vindicatif et corrosif, parfois à la limite de la caricature, vise à susciter un débat autour de la religion et des réactions, qui quelles qu’elles soient, seront toujours plus bénéfiques que le silence assourdissant qui pèse sur la société toute entière. Silence qui, lentement mais surement, l’enfonce dans la misère, le fatalisme et l’obscurantisme. Comme l’a récemment écrit l’autre révélation littéraire de cette année 2015, Mbougar Sarr, “Un Dieu et des moeurs” d’Elgas est un livre salutaire. En effet, la Société sénégalaise, plus que jamais, a besoin de poser le débat de la religion et de la tradition en son sein. Ce livre en est une introduction, violente, mais ô combien brillante, que je vous recommande vivement. 

Parole d’un lecteur admiratif.

Fary

Football, Fifa et quotas: Le statu quo qui dérange

Je suis un grand fan de foot, je pense que cela n'aura échappé à personne, mais je suis également un observateur amusé des relations que tissent les pays, les institutions et les continents entre eux. On appelle cela pompeusement la "Géopolitique". Je souhaiterais aujourd'hui vous parler de Géofootball si vous me concédez le néologisme, inspiré que j'ai été par une jeune sœur togolaise nommée Farida Nabourema. Bonne lecture !

FIFA-logoRentrons dans le vif du sujet et partons des faits : L'Afrique et l'Asie s'imposent comme les locomotives démographiques et économiques de ce XXIème siècle à l'échelle mondiale; mais il me semble que le football ne suive pas cette tendance, ce qui est assez curieux car la prospérité démographique et économique s'accompagne très souvent d'un leadership dans des domaines culturels comme le sport de haut niveau, la gastronomie et la production artistique. Les USA ont leur Basketball et en sont les rois incontestés, les Européens ont leur Rugby et le Football qu'ils partagent avec les sud-américains mais l'Afrique et l'Asie, y compris la Chine qui brille dans les sports individuels, semblent être à la traine dans ces grands sports collectifs. S'il est évident qu'il y a un déficit d'infrastructures à combler et un retard culturel du haut niveau à corriger pour ces deux continents, il y a un autre paramètre qui ne peut plus être passé sous silence : le problème des quotas dans les grandes compétitions internationales, particulièrement pour la Coupe du Monde de football. Nous, fans de foot et amateurs observant de loin, noyons probablement le poisson du statut-quo dans les dribbles chaloupés de Messi et les coups de patte de Yaya Touré.

Faisons simple et parlons chiffres : L'Afrique (1,1 milliards d'habitants depuis 2011) et l'Asie (4,4 Milliards d'habitants) regroupent 75 % de la population mondiale. Sur 32 équipes qualifiées pour la Coupe du Monde, ces deux continents totalisent  9 équipes (5 pour l'Afrique, 4 pour l'Asie) soit à peine 28 % du total des équipes. Certes la démographie ne fait pas tout mais il y a là une curiosité qu'il est important de souligner. Pourquoi l'Europe, qui ne regroupe que 10 % de la population mondiale, a-t-elle droit à 40 % des places disponibles à la Coupe du Monde de football ? La réponse nous est donnée par la toute puissante Fifa. Selon l'instance suprême du football mondial dont le siège se trouve à Zurich en Suisse, si l'Afrique n'a pas davantage de places disponibles pour le Mondial, c'est parce qu'elle n'a pas eu de résultats satisfaisants lors des dernières éditions. Logique non ? Disons oui et non. Oui cela est logique car il s'agit là du mode de sélection de tous les sports de haut niveau, qui, rappelons-le, sont aussi des spectacles médiatiques pour le grand public. Les équipes, et ici les continents, se voient attribuer des coefficients liés à leurs performances les plus récentes dans la compétition. En procédant de la sorte, on est à peu près sûr de garantir le retour des meilleurs joueurs et des meilleures équipes afin d'assurer le spectacle. Il ne faut quand même pas déconner : une coupe du monde sans la crête et le sourire de Neymar ou les jolis abdos de Cristiano Ronaldo interesserait à peine 50 % de la population mondiale…N'est-ce pas Mesdames ?

Mais, puisqu'il en faut toujours un, ce système de désignation des quotas basé uniquement sur les performances passées présente des limites évidentes, surtout pour la Coupe du Monde de football. En effet, bien qu'étant avant tout une compétition sportive d'un niveau très élevé, la Coupe du Monde est également une fête mondiale, un spectacle auquel la quasi totalité des terriens ayant accès à une télé consacre un mois entier tous les 4 ans. On estime que 2,2 Milliards de téléspectateurs étaient devant Brésil-Croatie, le match d'ouverture de ce Mondial 2014 et que ce chiffre montera à 3 Milliards pour tout le mondial. Or le jeu de l'audience et de la publicité fait de cet événement une véritable poule aux oeufs d'or pour la Fifa, organisatrice de la compétition et qui vend les droits de diffusion aux TV, Radios et plateformes mobiles du monde entier. La preuve, toujours en chiffres : De 40 Milliards de FCFA (60 M€) en 1990, les droits TV ont progressivement grimpé à, tenez-vous bien, 2100 Milliards FCFA pour cette édition 2014 au Brésil ! En 2010 en Afrique du Sud, la FIFA a gagné 1200 Milliards de FCFA, ce qui représentait 87% de ses revenus entre 2007 et 2010.[1] La FIFA vit, et vit bien, grâce à la Coupe du Monde.

mondial-2014_bresilVous commencez maintenant à voir là où je veux en venir : Si la Coupe du Monde rapporte autant d'argent à la FIFA grâce aux gens qui regardent et que 75 % des habitants de la planète sont africains et asiatiques…pourquoi ces deux continents devraient-ils continuer à accepter d'être des minorités visibles dans cette grande messe du football mondial alors que c'est eux qui fournissent la grande majorité des téléspectateurs ? Moi qui croyais que le client était roi et que les actionnaires avaient toujours raison… Si l'on ajoute à cela le fait qu'il y a de plus en plus de stars africaines et asiatiques depuis le début des années 90 (Ayew, Weah, Etoo, Drogba, Essien, Diouf, Touré, Nakata, Ji Sung Park, Nakamura, Kagawa) ajouté aux belles performances des pays de ces continents (Corée 2002, Senegal 2002 et Ghana 2010 par exemple), il apparaît alors urgent de corriger l'équilibre actuel qui est largement en faveur des nations européennes, et ce, pour des raisons évidemment historiques. Le monde a beaucoup changé depuis quelques décennies et le football, qui fait partie du monde malgré les sensations irréelles qu'il procure, doit également changer. Je doute en outre que l'Egypte, championne d'Afrique en 2006, 2008 et 2010, éliminée en barrages de la zone Afrique par le Ghana, soit moins forte que la redoutable équipe de Grèce…Enfin, et de manière plus terre à terre, si vous n’êtes que 5 sur 32, vos chances de vous qualifier ne serait-ce que pour les quarts de finale, sont statistiquement faibles et c'est le cercle vicieux qui s’enclenche : vous performez moins car vos chances de le faire sont faibles, votre quota n’augmente pas et il vous sera difficile de performer à la prochaine édition. Xalass !

Quelles solutions : Il est évident que les pays africains doivent améliorer leurs résultats en Coupe du Monde comme les pays sud-américains qui ont de bons résultats malgré un quota similaire (5 places + 3 places en Amérique Centrale). Pour cela il faut améliorer sinon ancrer la culture du haut niveau, éviter des grèves pour des primes (n’est-ce pas Messieurs les lions indomptables…), investir dans la formation des jeunes, développer les championnats africains locaux, impliquer les investisseurs privés du continent, bâtir des infrastructures de haut standing . MAIS il faut également ne plus se laisser marcher dessus et faire une chose : taper du poing sur la table. Si l’Asie peut faire valoir son nombre énorme de téléspectateurs, l’Afrique, qui n’est pas aussi bien lotie en termes de pénétration TV, peut néanmoins s’appuyer sur ses nombreuses fédérations de football qui sont 55 et forment la plus grande colonie continentale sur les 209 fédérations qui composent la FIFA. L'élection du Président de la FIFA qui se tient tous les 4 ans avec un prochain scrutin en 2015 en constitue une opportunité pour se faire entendre…

Sepp Blatter, 78 ans, Président depuis 16 ans et candidat déclaré à sa propre réélection, aura forcément besoin des voix africaines pour gagner, surtout s’il fait face au français Michel Platini, ancienne gloire du football mondial et actuel Président de l’UEFA. Basée sur le principe « un pays – une voix » comme à l’ONU, l’élection du Président de la FIFA dépend en grande partie du choix des pays africains. En haussant le ton auprès de la FIFA et avertissant les candidats qu’ils ne voteraient qu’en faveur d’une hausse du nombre de places qui leur sont attribués, il y a fort à parier que les pays africains auront gain de cause. Un objectif raisonnable serait de réclamer 7 places dans un 1er temps et de monter à 10 candidats en 2023, en esperant qu'une ou plusieurs équipes africaines brillent en 2014 au Brésil, en 2018 en Russie ou en 2022 au Qatar. Mais enfin…pour arriver à faire pencher la balance, il faudra que les pays africains parlent d’une seule et même voix, divisés qu’ils sont par l’immortel geyser de lumière Issa Hayatou 1er, 67 ans et inamovible Président de la CAF depuis 27 ans. Il faut néanmoins reconnaitre que le camerounais, surfant sur la vague des réformes de la FIFA destinées à augmenter le nombre de pays participant à la Coupe du Monde, a su faire passer le quota de pays africains qualifiés de 2 à 5 pays. Mais cela ne nous suffit désormais plus car un continent si bouillant, si riche et si jeune doit s’imposer partout, en géopolitique comme en géofootball.

Il est grand temps que la Coupe du Monde soit aussi la coupe de tout le monde.

Fary Ndao

Elites africaines ?

Il est une chose de souhaiter l’épanouissement de notre Afrique, il en est une autre de proposer et de mettre en place des moyens concrets d’atteindre cet épanouissement. Cependant je pense qu’il faut souligner un profond problème qui aujourd’hui gangrène les quelques esquisses de stratégies que nous développons pour réaliser l’objectif cité plus haut. En quoi consiste ce problème? Il s’agit du problème des « élites » africaines. Il s’agit de l’occidentalisation perpétuelle des « élites » africaines et donc des répercussions de ce processus  sur l’efficience des stratégies que nous mettons en place pour notre terre.

Petite parenthèse avant de poursuivre : J’insiste sur les « élites » sans pour autant être un défenseur de cette vision sociétale qu’est l’élitisme. Cet élitisme a d’ailleurs perdu l’Afrique, depuis les prêtres de Tah Mehry (l’Egypte Antique) envahi par Cambyse jusqu’aux sorciers et aux dirigeants de nos royaumes renversés par les colons. Toutes ces élites ont indirectement, et souvent sans le vouloir, participé à l’asservissement de leurs peuples, pour la simple raison qu’ils ont emporté le savoir avec eux dans leurs tombes ou ne l’ont pas assez vulgarisé aux populations (cf. « Un vieillard qui meurt c’est comme une bibliothèque qui brûle »).Peut-être l’histoire aurait-elle été toute autre si ces populations avaient été massivement  initiées et éduquées au savoir et au savoir-faire immense qu’il y’a en Afrique. Il faut ainsi souligner  l’importance des élites dans l’accomplissement (ou la perte) de la destinée d’un peuple. En effet c’est elle qui mène les combats d’avant-garde mais si elle s’y enferme ou s’y prend mal, elle finit par détruire ce qu’elle voulait défendre. Voilà la raison pour laquelle j’insiste sur le rôle des  élites africaines en ce qui concerne la situation actuelle ainsi que le futur de l’Afrique.

Revenons ainsi à notre problème d’élites…

L’occidentalisation perpétuelle de nos élites est un réel drame pour nos populations. Cette occidentalisation que l’on croyait circonscrite aux époques post-indépendances, est en réalité en train de regagner du terrain, notamment grâce à l’ouverture du marché de l’éducation à l’échelle mondiale. Que signifie ce terme «  occidentalisation » : C’est l’emploi ou plutôt le réemploi perpétuel de concepts, de méthodes et de stratégies créés en Occident, par des occidentaux, pour l’occident et avec des réalités culturelles et historiques occidentales. C’est par exemple le cas de la démocratie « moderne » inspirée de la « démocratie » athénienne (Les guillemets ne sont pas fortuits). Le drame de l’occidentalisation de nos élites réside dans le fait que ces dernières  vont l’appliquer à un contexte et à des réalités sociales ou historiques typiquement africaines. L’exemple le plus patent de ce mimétisme ou plutôt de cette « péroquettisation » – excusez moi le néologisme – est l’emploi effréné de la terminologie occidentale pour désigner nos souhaits pour l’avenir de notre continent. Le porte étendard de cette terminologie qui nous assassine au quotidien est le fameux « développement ».Toute l’intelligentsia africaine emploi ce mot et ses déclinaisons (co-développement, sous-développement, etc.) à tord et à travers, sans réellement prendre le temps de réfléchir sur les concepts qui sous-tendent cette idéologie. Car oui, le développement, tel qu’il est conçu par le monde occidental, est réellement une idéologie. Il prétend offrir à tout le monde le confort matériel et technologique et s’appuie sur le capitalisme marchand, aveugle et sourd face aux demandes simples de l’humanité : se loger, se nourrir et boire de l’eau potable…2 Milliards et  800 millions de personnes vivent avec moins de deux dollars/jour. Ces chiffres ne s’inventent pas, ils sont bel et bien le fruit de ce « développement ». Ce développement s’appuyant sur le capitalisme prône une croissance infinie dans un monde fini, épuise nos ressources non-renouvelables (comme le pétrole) à une vitesse grand V et n’hésite pas dans ses formes les plus vicieuses à tuer des gens pour continuer à contrôler des marchés ou des ressources (cf. La Françafrique et Noir Silence de F.X.Verschave).

Ce développement capitaliste si destructeur pour notre environnement est, d’après nos élites, le but que nous devons atteindre, nous africains. Si d’aventure nous l’atteignions – ce qui est tout bonnement impossible car nous ne l’avons pas conceptualisé de manière endogène – vaudrions nous mieux que ceux que l’on critique aujourd’hui ? Je pense que non…

Les déclinaisons de cette terminologie, pour rester sur ce point du mimétisme, largement relayée par nos élites (et la presse) continuent à aliéner les populations africaines et encourage nos jeunes à prendre ces embarcations de la mort que sont les pirogues de l’atlantique ou de la mer rouge. Des termes comme le sous-développement enferment inévitablement n’importe quel africain qui les emploie dans sa condition forgée d’être inférieur technologiquement, économiquement voire même culturellement. L’Africain d’aujourd’hui croit que tout ce qui est bien est hors de chez lui, ce qui, en réalité, n’est pas le cas. Ainsi un africain qui accepte de se dire « sous-développé », admet par la même qu’il est en retard sur le plan de vue de la marche historique de l’humanité et que d’autres (l’Occident en l’occurrence) sont en « avance » sur lui et son continent. Si cet africain fait partie de l’élite africaine dirigeante et visible, je vous laisse imaginer le mal que cela peut faire au niveau de nos populations qui ont faim et n’ont pas le temps de penser à ces choses là.

Cependant l’emploi de cette terminologie n’est qu’un volet particulier mais ô combien important du process de mimétisme. Ainsi, depuis 50 ans, nous nous entêtons à mettre en place des stratégies économiques et à opérer des réformes de notre système éducatif selon des techniques apprises dans l’enseignement à paradigme occidental (et cet enseignement est le même en Afrique qu’en Occident) et selon des concepts engendrés par des penseurs occidentaux qui voulaient trouver des solutions à des problématiques occidentales. Abreuvées à travers ce robinet qui trouve sa source ailleurs, les élites africaines mettent en pratique des solutions inadéquates et inadaptées à un milieu géographique, social et culturel n’ayant absolument pas les mêmes caractéristiques que le milieu originel du concept qu’ils appliquent. A ce titre, et pour rester dans le ton « jeune » de cet article, le rappeur  Franco-Sénégalo-Tchadien Mc Solaar dans « La belle et le bad boy » dit ceci : « Le contexte est plus fort que le concept »… Cette phrase est sans doute à méditer, mais il faudrait également méditer sur la fragilité de nos institutions face aux multiples coups d’Etat en mettant en lien cette fragilité avec la non identification des populations à l’égard de nos systèmes politiques actuels. Pensez-vous réellement qu’un système politique dans lequel les populations se reconnaitraient pourrait être renversé tous les 3 ans comme en Mauritanie ? A méditer… Il serait également intéressant de réfléchir à délivrer les femmes du carcan de la sous-éducation et à les imposer aux plus hauts niveaux de responsabilité comme cela a toujours été le cas aux époques où l’Afrique brillait (Egypte Antique, Ghana, Royaume de Nder). L’Afrique a besoin de ses femmes sur la scène décisionnelle quitte à trouver un système de suffrage propre à nos pays, système où leur représentativité serait assurée. Il est temps que les futures élites africaines étudient, en parallèle de leur formation, le passé philosophique (pour ne pas dire cosmogonique) et les conceptions de la nature, de l’échange économique et du pouvoir dans les civilisations africaines anciennes afin de s’en servir, non pas pour retourner à des fantasmes passéistes et irréalisables aujourd’hui mais pour créer tout un corps de sciences humaines, économiques et politiques inspirées par des réalités et des concepts africains. Ces nouvelles visions sociologique, économique et politique seront ainsi adaptées à notre terre et seront surtout pérennes car elles auront été tirées d’un substrat endogène et s’appliqueront à ce substrat endogène renouvelé. Il ne faut pas avoir peur de cette révolution, d’autant plus que celle-ci est avant tout mentale et concerne prioritairement nos élites .Ainsi, si ces dernières décidaient de réformer le système agricole, elles devront se former techniquement mais devront surtout maitriser leur contexte social, économique et historique, ceci afin d’intervenir non pas de manière (con)descendante  avec des méthodes exogènes mais en intégrant le paysan africain, sa relation avec la nature  et son savoir-faire millénaire dans cette réforme : là est la clé du succès. Soyons d’abord africains, vivons africains et pensons africains. C’est le prix à payer si nous voulons voir l’Afrique s’épanouir, et non se développer comme je l’entends trop souvent. C’est le prix à payer si l’Afrique veut nourrir tous ses enfants et avoir des institutions fortes. C’est le prix à payer si l’Afrique se veut unie pour pleinement participer et selon ses spécificités à l’établissement d’un monde plus juste, plus humain et réellement multiculturel.

Fary Ndao

Sénégal : le défi de la représentativité

Assemblee-NA l’assemblée nationale, le parti au pouvoir (l'APR du Président Macky Sall) et l'opposition (le PDS de l'ex-président Wade) ne se font pas de cadeaux. Dernier épisode en date, la motion de censure portée par les députés libéraux à l'encontre de l'actuel Premier ministre Abdoul Mbaye, accusé d'avoir blanchi de l'argent sale provenant de l'ex-Président tchadien, Hissène Habré.

Cette motion qui n'avait aucune chance d'aboutir vu la majorité écrasante des députés de Benno Bokk Yaakar à l’assemblée nationale, n'est néanmoins pas surprenante dans un pays dont la tradition politique parlementaire nous a habitué à d’épiques moments d’échanges houleux. Les évènements de 1962, ayant opposé Senghor à Mamadou Dia ont connu leur temps forts dans une assemblée nationale dirigée par Lamine Gueye, un fidèle de Senghor.

Ce qui est en revanche surprenant – en tout cas pour une démocratie « mature» comme aiment à le rappeler les hommes politiques sénégalais – c'est que l'assemblée nationale sénégalaise ne soit qu'une chambre de résonance du pouvoir exécutif. C'est en tout cas le sentiment qui rejaillit lorsqu'on considère l'histoire récente des dernières législatures. En effet, c'est une chambre largement acquise à la cause du pouvoir socialiste de l'époque qui avait voté la modification de la constitution en 1999 permettant à Abdou Diouf de faire sauter le verrou de la limitation des mandats et de se présenter pour briguer une nouvelle fois le suffrage des Sénégalais en 2000. Avec le résultat que l’on connaît…
C'est également une assemblée nationale totalement aux ordres d'Abdoulaye Wade qui a failli voter le 23 Juin 2011, le très controversé projet de loi portant création de la Vice-présidence et abaissement de la majorité élective de 50 à 25 % des suffrages exprimés. Et c'est aujourd'hui une assemblée nationale aux couleurs de Benno Bokk Yakaar qui adule « son » premier ministre et hue l’infime minorité de députés de l'opposition qui ont déposé la motion de censure.

Cette dévotion systématique de l'assemblée nationale en faveur du pouvoir en place traduit, si besoin en était, le caractère ultra-présidentialiste du régime politique sénégalais et renvoie surtout à un mode de désignation peu représentatif des députés. En effet, le couplage à quelques mois d'intervalle des élections présidentielle et législative dans cet ordre, « force la main » au peuple : celui ci ne serait en effet pas logique avec lui-même en n'octroyant pas au président qu'il vient d'élire une majorité à l'assemblée nationale. Ceci afin que le nouveau locataire du palais de l’avenue Senghor puisse mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu.

Cependant, cette élection législative de confirmation ne fait pas que donner une majorité au pouvoir en place, elle lui assure systématiquement d’une majorité écrasante qui donne souvent au parlement sénégalais les allures d’une assemblée soviétique. Ainsi l'enchantement législatif a fait en sorte que le nombre de députés du parti socialiste, formation historique qui a gouverné le Sénégal pendant 40 ans (1960-2000) à seulement…10 en 2001 au lendemain de la défaite d'Abdou Diouf ! Idem pour le PDS qui a connu une chute vertigineuse après 12 ans d’exercice du pouvoir. De 131 en 2011, les libéraux ne se retrouvent qu'avec 12 malheureux députés en 2012, année de la défaite présidentielle d’Abdoulaye Wade. Or ce qui est curieux avec ces ascenseurs numériques, c'est que aucun des deux présidents sortants n'a été ridicule lors de la présidentielle : Diouf affichait 41 % au 1er tour en 2000 et Wade 35 % en 2012. Cet écart entre les scores présidentiels honorables des sortants et le nombre relativement faible de députés obtenus par leurs partis s'explique surtout par le mode de suffrage législatif qui obéit à un scrutin mixte, mêlant la proportionnelle au niveau national et le scrutin majoritaire au niveau départemental. Or, la part donnée aux listes nationales représente environ la moitié des sièges.

Ainsi, nul besoin d'obtenir un pourcentage de voix équivalent à celui de vos sièges, il suffit d'être le parti au pouvoir et votre triomphe est assuré. Lors des législatives de 2001, avec seulement 49% des voix, la coalition Sopi avait remporté 89 des 120 sièges en jeu, soit 74 % du total. Le PS, nouvel opposant, terminait deuxième avec 17,4 % des suffrages exprimés n'obtenait que 10 sièges, tous à partir de la liste nationale proportionnelle.
Ce mode de scrutin permet donc de récupérer quasiment tous les sièges, de caser sa clientèle politique et d'avoir une assemblée nationale qui se comportera comme une chambre d’enregistrement des volontés de l’exécutif au lieu de prendre en charge les préoccupations des populations qui elles n'habitent dans aucune liste mais bien dans des circonscriptions réelles. Ainsi, si la représentante nationale des vendeuses de poissons du Sénégal vous a soutenu lors de la Présidentielle mais qu'elle ne dispose pas d'une circonscription où elle est bien ancrée, alors placez la sur la liste nationale à une place relativement proche: elle a environ 99 % de chances d'être élue. Pour le coup, même sans circonscription, elle représente bien une partie du peuple, en l’occurrence les poissonnières, et sa voix stridente habituée à chanter les louanges de son mérou vous servira peut-être à défendre votre nouveau projet de loi sur les licences de pêche…

Derrière cette image cocasse, se cache le problème de la représentativité des populations dans nos institutions. En effet, les populations africaines souffrent beaucoup du problème de la représentativité : nos institutions fonctionnant à partir de modèles pensés il y'a plus de 50 ans, à environ 5000 kilomètres de notre actuelle assemblée nationale. Réintroduire davantage de proportionnelle en donnant de l'importance à la circonscription, permettrait non seulement d'éviter les « chutes législatives » vertigineuses que nous observons lorsqu'il se produit une alternance politique, mais cela aurait également pour avantage de « re-territorialiser » la politique en donnant au député une légitimité populaire. Ainsi, pour se maintenir au parlement, les députés n'auraient plus besoin de se muer en laudateurs du président ou de prouver leur fidélité au parti en votant des lois scélérates contraires à la volonté des mandats que sont les électeurs, mais trouveraient plutôt leur bonheur à recueillir, transférer et concrétiser les doléances des populations qui les ont élus. Il est urgent de changer la loi électorale ; ce qui du ressort des…députés. Alors, mesdames et messieurs les représentants du peuple, c'est pour quand le changement ?

Fary Ndao

Un article détaillé sur le mode de scrutin à lire ici : http://aceproject.org/ace-fr/topics/es/esy/esy_sn

 

Le combat de Malick Noel Seck pour une alternance générationnelle au parti socialiste sénégalais

Note aux lecteurs

Ce mois d'octobre, nous avons décidé, au sein de la rubrique Analyse politique de Terangaweb, de consacrer une série d'articles à des jeunes leaders politiques en Afrique. L'un des objectifs de notre think tank est, en effet, de défendre, promouvoir et accompagner le processus de renouvellement des élites politiques sur le continent. Dans le premier article de ce focus, Fary Ndao s'intéresse à Malick Noel Seck, récemment exclu du parti socialiste sénégalais pour avoir posé un débat de fond relatif à, selon lui, la nécessité de changer la direction actuelle de cette formation politique. Dans les prochaines semaines, suivrons d'autres articles sur Julius Malema, étoile montante de l'ANC et Wael Ghonim, influent blogueur égyptien et icône de cette jeunesse qui a eu raison du régime de Hosni Moubarack.

 Hamidou Anne

Responsable de la rubrique Analyse politique

 

 

Après plusieurs semaines d'observation de la vie politique sénégalaise, il était intéressant de se pencher sur le "cas" Malick Noël Seck, jeune leader du parti socialiste sénégalais qui vient d’être exclu pour avoir défié publiquement le secrétaire général de ladite formation politique. Si l'on positionne le débat d'un point de vue sociétal, voire générationnel, il est difficile de rester insensible au discours tenu par Malick Noël Seck. Le jeune responsable socialiste s’est fait exclure de son parti après avoir demandé au secrétaire général, Ousmane Tanor Dieng, de céder son fauteuil après sa défaite à l'élection présidentielle de mars dernier. L’on comprend certes que l'on puisse reprocher à Malick Noël Seck d'avoir initialement porté ce débat sur la toile, dans la presse et sur les ondes radio. Il aurait en effet pu défendre d’abord ses vues au sein des structures du parti. Cependant, en avait-il la latitude nécessaire dans ces instances dirigées par un homme promu à l'issue d'un congrès sans débat ? Il est possible d’en douter.

Pour en venir au débat de fond, Malick Noël Seck dit une chose simple : "Dans tout parti politique, il doit y avoir un renouvellement de leadership". Cette parole est d'une réelle évidence et n'est pas seulement valable en politique, mais dans beaucoup de domaines: de la gestion du domicile familial avec la responsabilisation des ainé(e)s, aux terrains de sport collectif où les leaders techniques sont renouvelés à chacune des fins de cycle de leur équipe. Dans une société sénégalaise de plus en plus démocratique, il est devenu difficile d’imposer une omerta dans les appareils politiques en dépit des opinions des uns et des autres. Dans un pays qui a connu Sembène Ousmane, Cheikh Anta Diop ou Mamadou Dia, aucune compétence n'est irremplaçable, aucun homme n'est éternel. L’ancien président de la République Abdoulaye Wade l'a appris à ses dépends au soir du 25 Mars 2012, comme Abdou Diouf avant lui à l'aube de ce siècle. Aucun homme n'est irremplaçable, encore moins en politique où les échéances électorales viennent régulièrement sanctionner la capacité des leaders de partis à porter les débats, fédérer les troupes et susciter l'engouement populaire. Sur ce dernier point, Ousmane Tanor Dieng a failli car il a été battu à aux deux élections présidentielles (2007 et 2012) auxquelles il fut le candidat de son camp.

De 41% en 2000, le score socialiste est passé à 14% en 2007 puis à 11% en 2012. Les faits sont là et ils sont têtus. Voilà les chiffres qui caractérisent le bilan de Tanor Dieng à la tête du PS sénégalais. Comment le parti le plus ancien du Sénégal et le mieux implanté sur le territoire national peut-il fermer les yeux sur ce passif ? Pourquoi ce parti, qui a dirigé le Sénégal pendant 40 ans, et qui dispose d’un nombre conséquent de cadres et d’intellectuels, fait-il la sourde oreille sur ce que prêche Malick Noël Seck ?

Ces questions méritent réflexion et engagent l'ensemble de la jeunesse sénégalaise. Le Sénégal et l'Afrique ne méritent pas moins que les Etats Unis ou le Royaume Uni. Barack Obama a été élu à la tête de la première puissance mondiale à 47 ans. David Cameron dirige la 7ème économie mondiale depuis ses 42 ans. Malick Noël Seck a, lui, 39 ans, et il s'estime encore immature pour briguer la tête du parti socialiste, il demande tout de même un renouvellement de son leadership. La jeunesse sénégalaise et africaine devrait lui prêter une oreille attentive, soutenir sa posture et l'encourager à poursuivre son combat pour le bénéfice de la démocratie et du renouvellement des élites dans les formations politiques en Afrique.
 

Fary Ndao 

Le défi de la souveraineté alimentaire

Bien plus que la souveraineté monétaire du Professeur Agbohou, l’un des principaux défis auxquels devra faire l’Afrique est celui de la souveraineté alimentaire. Avec une population qui va doubler dans les 30 prochaines années pour atteindre les 2 milliards d’habitants en 2040-2050, les pays africains qui se trouvent déjà dans une situation alimentaire précaire, doivent absolument revoir l’organisation actuelle de leurs politiques alimentaires sous peine de s’exposer à de graves crises et de s’enfoncer davantage dans la mendicité internationale.

De l'importance de protéger le monde rural

Malgré l’urbanisation très rapide du continent (20 % d’urbains en 1970, 30 % en 1990 et 40 % en 2010), des millions de personnes vivent encore dans les campagnes africaines. Ces paysans, qui sont souvent exclus de l’éducation ou de l’accès à l’énergie, polluent peu, subviennent à leurs propres besoins, luttent contre l’avancée du désert ou contre la déforestation et sont les derniers garants de la vivacité des cultures africaines. Pour toutes ces raisons, nous pensons que la protection du monde rural et sa pérennisation doivent être une priorité pour les équipes dirigeantes africaines dans les années à venir.

Comme le dit le journaliste d’investigation Michel Collon, l’agro-business est un fléau pour les campagnes et le monde rural. En effet, avec sa mécanisation extrême et la concentration économique qui lui est inhérente, l’agriculture intensive peut bénéficier d’économies d’échelle et produit à des prix toujours plus bas, tuant les exploitations familiales ou coopératives qui sont le squelette du monde rural. Ne pouvant pas lutter sur le plan de la compétitivité économique, les petites exploitations jettent au chômage un grand nombre de paysans : en effet seule une infime partie d’entre eux sera réemployée dans les nouvelles structures agro-industrielles et la majorité des autres paysans n’a pas les outils nécessaires pour se former à de nouveaux métiers. Nous pensons donc qu’il faudrait sauvegarder les petites exploitations et subventionner l’agriculture rurale en garantissant un prix d’achat au producteur.

Les subventions : une nécessité

Cette pratique fera hurler les adeptes du marché et de la sacro-sainte concurrence. Seulement ceux-ci ne semblent ou ne veulent pas comprendre que les plus grandes puissances agricoles du monde (USA et Union Européenne en tête) ont longtemps protégé et continuent encore à protéger leurs producteurs à l’aide de subventions déguisées et de quotas de production qui faussent totalement la concurrence. Cette politique de subvention permettra aux paysans de vivre de leur métier en gagnant un peu d’argent et cela aura probablement pour effet de relancer la production vivrière africaine qui s’est petit à petit éteinte au profit des cultures d’exportation (ex. cacao) souvent plus lucratives. A l’heure actuelle, le Sénégal consomme annuellement 750.000 tonnes de riz et en produit moins de la moitié.

La perte de compétitivité de l’agriculture vivrière africaine est due à l’importation massive de céréales comme le maïs ou le riz sur les marchés mondiaux et à des prix défiant toute concurrence car subventionnés. Cet avantage apparent d’obtenir du riz ou du maïs sur les marchés internationaux à des prix bas, est en réalité un piège pour l’Afrique. Pour en être convaincu, faisons une analogie avec le premier choc pétrolier. Alors que leurs systèmes énergétiques (électricité et transport) reposaient en grande partie sur le pétrole à bas prix du Moyen-Orient, les économies occidentales se sont retrouvées prises au piège avec l’augmentation unilatérale du prix du Pétrole décidé par les pays de l’OPEP en 1973. Cette augmentation, discrètement soutenue par les multinationales pétrolières, a consisté en une multiplication brutale du prix du pétrole par 5. Elle a rappelé aux économies occidentales leur dépendance stratégique et leur fragilité face à des évènements qu’elles ne pouvaient pas toujours contrôler. Depuis ce premier choc, des politiques énergétiques volontaristes ont été menées un peu partout en Occident, avec notamment l’augmentation du parc nucléaire en France (85% de l’électricité française est aujourd’hui d’origine nucléaire) et la production de voitures plus économes en Europe puis aux Etats-Unis.

Des tensions alimentaires déjà palpables

De manière analogue au choc pétrolier, les pays africains qui se rendent dépendant du riz thaïlandais ou du maïs américain, s’exposent à des “chocs céréaliers” et fragilisent leur capacité à sécuriser l’alimentation de leurs populations jeunes et en forte croissance. Ces chocs céréaliers ou alimentaires ne sont pas des vues de l’esprit : ils existent déjà. En 2008 beaucoup de pays sahéliens d’Afrique et certains pays pauvres comme Haïti ont connu des tensions populaires appelées « émeutes de la faim ». Or comme le dit le Professeur Marcel Mazoyer, ces émeutes sont plutôt des émeutes de la pauvreté, face à des prix qui ont littéralement explosé sur les marchés mondiaux. Ainsi le prix du blé a été multiplié par 2 en seulement 3 ans passant de 150 à 310 dollars la tonne entre 2005 et 2008. La tonne de riz a également doublé entre 2004 et 2008 passant de 200 à 400 dollars. De telles hausses des prix alimentaires n’avaient pas été observées depuis le début des années 1970. Beaucoup de pays africains importateurs de la quasi-totalité de leur consommation alimentaire et qui ont pourtant les capacités hydrologiques et humaines pour subvenir à leurs besoins, s’exposent ainsi en permanence à la volatilité des prix sur les marchés céréaliers (ex. bourse de Chicago) et à la hausse des prix…du pétrole !

En effet, en plus de l’augmentation des prix mondiaux en raison d’une demande de plus en plus forte (Chine, Inde, Afrique), le riz venant du Vietnam ou du Thaïlande devient encore plus cher pour nos économies en raison de l’augmentation des cours du pétrole. L’importation des céréales depuis les lointaines contrées asiatiques nécessite de longs voyages et consomme beaucoup de carburant, un dérivé du Pétrole. Quand on sait que le prix du baril de Pétrole brut était d’un peu moins de 30 dollars en 2003 et qu’il était de 80 dollars en 2011, on comprend mieux pourquoi les prix du riz et des céréales ont explosé. Ainsi le prix final de ces produits, c’est à dire le prix du marché + le coût du transport, a en réalité quadruplé pour les économies africaines entre le début des années 2000 et 2008. Peut-on raisonnablement continuer à s’exposer à de telles hausses ?

Etant donné que la moralisation du capitalisme est une utopie et que les marchés continueront à spéculer sur une chose aussi vitale que les produits céréaliers, nous devons nous concentrer sur les facteurs sur lesquels nous pouvons influer afin de réformer notre situation alimentaire. D’où la question : comment pourrait-on faire pour sortir de cette dépendance alimentaire ?

Solution 1 : diversifier l'alimentation de nos pays (moins de céréales) : Bien que les céréales permettent de nourrir des populations importantes comme en Asie du Sud-Est avec le riz, l’Afrique se doit absolument de réduire sa dépendance céréalière. L’augmentation nécessaire de la production alimentaire pourra par exemple être supportée par les tubercules et les fruits et légumes. Cette solution intéressante est défendue par le professeur Moussa Seck du PANAAC.

Solution 2 : privilégier les filières vivrières : Les filières exportatrices comme le Cacao doivent bel et bien être abandonnées à moyen terme. Les produits agricoles nécessitent beaucoup de force de travail, d’importantes surfaces cultivables et de grandes quantités d’eau. Or les surfaces cultivables et l’eau vont devenir des “denrées” de plus en plus rares dans le monde et en Afrique, notamment en raison du réchauffement climatique, de l’avancée du désert et de l’achat massif de terres africaines par des pays asiatiques. De plus, les produits agricoles ne sont pas des produits à très haute valeur ajoutée : l’exportation de produits agricoles, hormis exceptions, n’a pas de réel impact dans l’économie d’un pays. Nous pensons donc que les pays africains doivent trouver d’autres sources de revenus et progressivement consacrer toutes leurs terres cultivables au besoin fondamental de l’alimentation. Enfin, et en raison du défi alimentaire qui nous attend, nous considérons la production de biocarburant comme une stratégie dangereuse.

Solution 3 : Subventionner la production avec un prix d’achat garanti au producteur : Comme nous l’avons expliqué plus haut, la subvention n’est pas un crime. Et il faudrait que nos pays osent se rebeller contre les organisations internationales comme l’OMC qui en réalité ne font que défendre les intérêts de quelques grands pays et de quelques multinationales comme Cargill.

Solution 4 : Utiliser les espaces économiques sous régionaux pour organiser la production : La zonation climatique de l’Afrique, en raison de son étalement en longueur, devrait nous permettre de disposer de tous types de produits alimentaires. En Afrique de l’Ouest, on pourrait ainsi utiliser les différences climatiques entre le Sahel et la zone humide (Guinée, Côte d’Ivoire etc) pour produire et exporter entre pays voisins. C’est ce qui se passe à l’échelle de l’Europe où la France produit des céréales et du lait, tandis que l’Espagne assure la production d’agrumes. Cependant cette solution nécessite une forte intégration sous régionale et elle pourrait servir à redonner un second souffle aux entités quasi-vides que constituent la CEDEAO ou la CEMAC.

Solution 5 : Utiliser une partie de l’argent des matières premières énergétiques pour le secteur agricole : L’exploitation pétrolière africaine, en hausse constante depuis des décennies, continuera à croitre dans la décennie à venir. Les bassins sédimentaires restent encore relativement peu explorés et la production pétrolière (et bientôt gazière) africaine contribuera de plus en plus à enrichir nos économies. Cette manne financière, au lieu d’être dépensée dans des projets immobiliers ayant peu d’impact sur la vie des populations, doit être en partie consacrée à la subvention et la formation de nos paysans. La fausse bonne idée est de se dire “Puisque nous avons de l’argent, allons acheter sur les marchés internationaux”. Il faut consacrer une partie de notre argent à la production et nous devons produire avant tout pour notre consommation. Toute autre logique serait suicidaire, dans ce siècle de réchauffement climatique et d’émergence de nouvelles puissances comme l’Inde ou la Chine.

Ces solutions ne sont que des esquisses de ce qu’on pourrait faire et devront nécessairement être discutées et mises en oeuvre avec le concours des principaux concernés c’est à dire les paysans. Nous avons le devoir de nous départir de nos habitudes coloniales de l’intellectuel en costard qui vient donner les orientations nées de son étude théorique. La sauvegarde de nos richesses culturelles et environnementales ainsi que les désastres entrainés par cette attitude dans le passé doivent nous pousser à intégrer le monde rural à toute décision qui a un impact sur son organisation et sur ses habitants.

Les défis qui nous attendent sont grands et celui de l’alimentation est peut-être, avec celui de l’eau, le plus important auquel l’Afrique devra faire face dans les décennies à venir mais ça nos hommes politiques n’en parlent pas…

Fary NDAO, article initialement paru chez notre partenaire Njaccar

Macky Président : quelles perspectives ?

"Mes pensées vont tout d'abord aux martyrs de la Nation, qui se sont battus pour le respect de notre constitution". Ces propos sont ceux de Macky Sall lors de sont tout premier discours en tant que 4ème Président de la République du Sénégal. Il y'a on ne sait quoi de grand chez cet homme à la stature imposante et qui distille rarement un mot plus haut que l'autre. Une dignité non feinte qui se retrouve dans cette référence à tous ceux et celles qui sont morts par la faute du seul entêtement d'un homme de 86 ans et de son clan. Les enseignements de ce second tour, avec la chute de Wade, le consensus autour de Macky Sall et les perspectives ouvertes par ce scrutin.

La triste chute du Président Wade

Cet entêtement à se présenter contre la loi et en dépit des morts a été sanctionné, entre autres dérives, par un score historique au second tour de cette Présidentielle. En effet avec seulement 32% des suffrages, le Président sortant Abdoulaye Wade est en passe d'obtenir un score plus faible qu'au premier tour, ce qui ne ferait que confirmer la "jurisprudence du sortant condamné dès le 1er acte" (Diouf 2000, Gbagbo 2010) : car dès le 26 Février 2012 les sénégalais ont clairement dit qu'ils ne voulaient plus d'Abdoulaye Wade, ils l'ont confirmé ce 25 Mars.

Et comme l'a si justement dit Albert Bourgi au lendemain du 1er tour, c'est d'abord la manière d'exercer le pouvoir qui a été sanctionnée : un pouvoir géré de manière familiale, reclus dans ses certitudes, ignorant les complaintes des populations (vie chère, crise scolaire), enfermé dans ses berlines et ses scandales financiers, hautain à l'égard de ses opposants et donc à l'égard de ceux que ces derniers représentent. La liste pourrait s'allonger mais ces éléments sont peut-être les plus marquants et ceux qui ont coûté le plus cher au Président Wade malgré un bilan plus qu'honorable, notamment dans les infrastructures, la modernisation de la fonction publique et le désenclavement des zones rurales. Un sacré monstre politique et un président controversé vient de s'en aller comme il est arrivé : par les urnes et dans la liesse. Son successeur : Macky Sall.

Macky Sall : Par ici M. Le Président !

Il est à la fois la surprise et l'homme attendu de cette présidentielle. Surprise car son score du 1er tour était déjà exceptionnel pour un néo-candidat ayant un "bébé parti" (l'APR est né en 2009), semi-surprise par le consensus qu'il a réussi à faire autour de lui lors de ce second tour. Avec 68 % des voix, Macky Sall a fédéré toute l'opposition, tous les sénégalais car malgré les lignes de fractures qui traversent notre pays (sociales, confrériques etc), il a réussi le tour de force de rassembler et il serait trop réducteur, à mon humble avis, de tout mettre sur le compte du "Tout sauf Wade !" car il est peu probable qu'un Idrissa Seck aurait réussi à avoir un tel score, s'il était arrivé au second tour.

Cette capacité à faire consensus autour de lui me fait donc dire que Macky Sall était également un peu attendu à l'occasion de cette présidentielle. Il symbolise la rupture générationnelle réclamée par les formations politiques (AG Jotna, FSD BJ) et dictée par la démographie d'un pays où 6 millions de personnnes n'ont pas encore 18 ans. Telle est la raison pour laquelle l'honorable Moustapha Niasse ne pouvait pas gagner cette élection : les sénégalais voulaient un président jeune, ils ont choisi Macky Sall, 51 ans, le premier Président né après l'indépendance de 1960.

Le candidat programmé pour gagner

Mais au delà de l'atout de la jeunesse, Macky Sall dégage quelque chose d'assez énigmatique qui a parlé aux sénégalais, il semble leur inspirer confiance ou en tout cas il suscite rarement le rejet chez eux et on n'arrive pas tellement à trouver matière à polémiquer contre lui : car malgré ses 8 ans passés dans le PDS de Wade et ce aux plus hauts postes de responsabilité de l'Etat, Macky Sall est très peu voire jamais cité dans des affaires de gros sous et cela l'a beaucoup servi. Il a même lancé à l'occasion de la campagne, un très offensif "Si Wade et son régime ont des dossiers contre moi, qu'ils les sortent ! ".

Outre les apports des candidats malheureux du 1er tour, Macky Sall a également bénéficié d'un vote large car il a sillonné les routes, dormi chez des sénégalais lambda lorsqu'il allait dans les régions pour implanter son parti et préparer cette écheance, il a bénéficié de sa connaissance minitieuse de la carte électorle sénégalaise, lui le scientifique rigoureux directeur de campagne victorieux en 2007. Enfin, il a mis la diaspora dans son escarcelle à l'aide de nombreux voyages or cette diaspora même si elle ne vaut même pas la le tiers du département de Pikine, a une grande influence et un fort poids financier conséquent dans la vie de millions de sénégalais. Fort de tout cela, Macky était un sacré client : il a confirmé son potentiel et est devenu le 4ème Président du Sénégal.

Les perspectives : Entre urgences sociales, gestion du pouvoir et questions clés.

"Dundd gi metti na !" Ce cri relatif à la vie chère est sur toutes les bouches ou presque, il n'est ni l'appanage des villes , ni celui des zones rurales et Macky Sall sera très attendu sur ce point. Son équipe devra être capable de limiter les impacts d'un contexte économique mondial perturbé, avec des matières premières sous forte pression et des céréales (riz, blé) de plus en plus chères. A moins qu'il apporte réellement la rupture en privilégiant davantage le consommer local et en renforçant drastiquement les capacités agricoles dans la vallée du fleuve, ce qui est d'ailleurs écrit dans son programme "Yoonu Yokkute". L'accès aux soins pour le plus grand nombre est également un priorité dans un pays où une radiographie coûte 15.000 FCFA, soit la moitié du salaire mensuel d'une femme de ménage à Dakar.

Outre la brulante question des grêves récurrentes dans l'Education nationale, Macky Sall devra se démarquer, s'il veut être réélu et pour le bien du Sénégal surtout, de la gestion qui était devenue désastreuse vers la fin du second mandat d'Abdoulaye Wade. Macky Sall doit mettre fin à l'ère des scandales à répétition, des distributions arbitraires d'argent (lutteurs, militants) et du train de vie extraordinairement élevé de l'Etat avec 100 Milliards de FCfa de budget annuel de la Présidence, 40.000 euros par voyage en jet privé du Ministre Karim Wade, pléthore d'agences nationales inutiles et budgétivores etc. Il doit également gérer dans la transparence, étendre les prérogatives des organismes de controle (ARMP, Cour des Comptes, IGE) et éviter les distributions politico-politicardes de postes afin de privilégier la compétence. C'est un voeu qu'il a lui même émis, esperons qu'il tiendra parole. En tout cas, en bons patriotes, nous lui mettrons la pression pour qu'il change cette manière de faire car maintenant que nous savons que la vigilence paye nous continuerons à faire de la veille citoyenne.

Enfin, il faudrait profiter de l'accession au pouvoir d'un président jeune et brillant (tous les témoignages sont unanimes là dessus) pour soulever les questions de fond, les questions clés comme la sortie de cette camisole de force que constitue le Fcfa, l'exploitation des richesses minières et bientôt pétrolières au bénéfice réel des populations et non des multinationales (cf. Or de Sabodala, bientot de Massawa), l'urgence de l'union sous-régionale et le réglement définitif de la crise casamançaise, par la force ou par la négociation.

Je terminerai sur les premiers mots de notre nouveau Président "Mes pensées vont tout d'abord aux martyrs de la Nation, qui se sont battus pour le respect de notre constitution". Nous ne vous oublierons jamais…Vive le Sénégal, vive l'Afrique.

Fary Ndao

Les enseignements du 1er tour des présidentielles au Sénégal

Les urnes ont parlé ! Et les sénégalais ont encore surpris. Plusieurs enseignements, et non des moindres, sont à tirer de ce 1er tour de la présidentielle. La fin de l'ère Wade, la percée de Macky Sall, la chute d'Idrissa Seck, le beau baroud d'honneur de Moustapha Niasse et la triste fin de Tanor. Voilà autant de points remarquables dans ce 1er tour en attendant…le second.

1 – La fin de l'ère Wade

Abdoulaye Wade n'aura finalement pas droit à un troisième mandat. Les 1ers tours en Afrique (de l'Ouest) sont de vrais révélateurs pour les pouvoirs en place car ils sanctionnent souvent une réelection haut la main (Wade 2007, Compaoré 2010) ou annoncent une défaite au second tour (Diouf 2000, Gbagbo 2010). Si la jurisprudence des 1ers tours est vérifiée, Abdoulaye Wade vient de perdre son fauteuil présidentiel et finira ses 12 ans de pouvoir le 03 Mars prochain. Les grands centres urbains de l'Ouest (Dakar, Mbour, Thies, Kaolack) ont été les principaux foyers de la contestation de la candidature du Président sortant et ont joué le rôle de locomotive dans l'effritement de l'électorat du Président sortant. La conclusion me semble inéluctable : nous sommes bel et bien entrés dans l'ère post-wade. Le 2nd tour Wade/Macky qui se dessine le confirmera probablement.

2 – La percée de Macky Sall et la scission du PDS

Le grand gagnant de ce 1er tour est sans aucun doute le leader de l'APR et candidat de la coalition Macky 2012, Macky Sall. Il confirme ainsi la place de second que beaucoup lui prédisaient au vu des importantes mobilisations populaires notées lors de ses meetings durant la campagne. Il distance ses riveaux de l'opposition (Moustapha Niasse, Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng), remporte son fief de Fatick et fait d'excellents scores dans la banlieu de Dakar et dans…des fiefs du Président sortant (région Nord avec le Fouta, Sénégal Oriental, Casamance, Kolda). Comment expliquer cette percée ? Tout d'abord par sa stratégie de campagne que les sénégalais ont semblent-il apprécié : des meetings jusqu'à 4h matin, une couverture quasi exhaustive du territoire national et de fréquents voyages dans la diaspora depuis 3 ans. Macky Sall a également aggregé autour de lui une belle coalition avec d'anciens candidats potentiels à la présidentielle comme Aminata Tall du PDS, Me Moussa Diop d'AG Jotna, Arona Ndoffène Diouf également. Cependant la percée de Macky Sall trouve surtout son explication dans l'éclatement de l'électorat du PDS. En effet, il semblerait que les PDS ont voulu signifier diplomatiquement à leur leader historique Wade, qu'ils souhaitaient voir un changement générationnel à la tête du bloc libéral et ont donc déporté leurs voix sur le candidat Sall. Ceci explique les excellents scores de Macky Sall dans des localités où Wade avait regné sans partage en 2007. Cependant, je pense qu'il faut également voir cette scission du PDS en défaveur de Me Wade, comme une réaction d'orgueuil des sénégalais qui n'ont pas voulu renforcer davatange l'hyperministre Karim Meissa Wade, en confiant un nouveau mandat à son père. Les PDS ont dit à Wade de passer le flambeau et ont semble-t-il dit non à Karim Wade mais ils n'ont pas tout jeté de leur identité et se sont reconnus dans le libéral Macky Sall pour perpétuer l'esprit de leur famille politique à la tête de l'Etat sénégalais.

3 – Le combat contre la candidature de Wade a lassé les sénégalais et perdu Idy

Beaucoup de morts, un lieu de culte profané lors de manifestations, des dégats collatéraux qui ont touché les biens d'autrui : le combat contre la candidature de Wade a mobilisé beaucoup d'énergie et a occupé l'essentiel de l'espace médiatique lors de cette campagne électorale. Mais l'enseignement donné par ce 1er tour est que ce combat a lassé les sénégalais et ils ont préféré voter pour ceux qui ont parlé de programme plutot que pour ceux qui ont parlé de constitution. Pragmatisme politique ou immaturité démocratique ? La question reste ouverte mais le peuple sénégalais a préféré voter pour ceux qui ont sillonné le pays à sa rencontre plutôt que ceux qui se sont battus dans les rues de Dakar pour faire respecter la constitution et les lois.

Ainsi le grand perdant de ce 1er tour est le candidat de la coalition Idy4President, Idrissa Seck. Distancé par Macky Sall, probablement devancé par Niasse qu'il avait largement distancé en 2007, Idrissa Seck a semble-t-il payé ses multiples allers retours chez Wade et n'a pas bénéficié du combat mené à Dakar contre la candidature de Wade : il doit probablement se mordre les doigts de ne pas avoir battu campagne un peu partout dans le pays. On pourrait également dire la même chose des candidats Ibrahima Fall de Taxaw Tamm et Cheikh Bamba Dièye du FSD/BJ : cependant il faut noter que ceux-ci n'étaient pas vus comme de potentiels candidats capables de se qualifier au second tour. Leur score est même positif vu la petite taille de leurs partis respectifs. Le grand perdant de la lutte jusqu'au boutiste contre la candidature de Wade est bel et bien le maire de Thiès Idrissa Seck. Il devra maintenant se résoudre à être au mieux, le 5ème président de la République du Sénégal car le 4ème fauteuil présidentiel semble être promis à Macky Sall.

4 – Le beau baroud d'honneur de Niasse et la triste fin de Tanor

A mes yeux, la véritable surprise de ces élections est l'excellent score de Moustapha Niasse (autour de 15%) alors qu'il n'avait récolté qu'un peu plus de 4% en 2007. Aidé par la machine électorale qu'est la coalition Benno Siggil Sénégal, Moustapha Niasse a vu être confirmé, à travers ce vote massif en sa faveur, la crédit que les sénégalais lui accordent en tant qu'Homme d'Etat. Il est vrai qu'en ces heures troubles pour le Sénégal, il avait peut être le profil le plus rassurant pour diriger le pays en tant que sage de la nation. Il aura son mot à dire en vue du second tour Wade/Macky comme il avait eu son mot à dire en 2000 lors du duel Diouf/Wade.
Diouf avait fait 41% en 2000, son successeur naturel Ousmane Tanor Dieng n'avait réussi qu'à faire 14% en 2007 et a semble-t-il encore reculé lors de cette présidentielle pour se retrouver avec un score aux alentours de 10% malgré un maillage socialiste qui a eu le temps de s'installer sur tout le territoire durant les 40 ans de règne du PS. L'heure du renouvellement de leadership semble venue dans ce parti : Khalifa Sall, maire de Dakar, est le patron naturel tout désigné de ce Parti Socialiste rénové, avec à ses côtés les guerrières que sont Aissata Tall Sall et Aminata Mbengue Ndiaye respectivement maires de Podor et de Louga.

Ce 1er tour a donc été pour les sénégalais l'occasion d'opérer à une redistribution des cartes sur l'échiquier politique national. Il aura surtout permis d'opérer le renouvellement générationnel tant attendu (probables retraites politiques de Wade, Niasse et Tanor Dieng), fait un grand perdant avec Idrissa Seck et consacré un homme Macky Sall. Cheikh Bamba Dièye fait beaucoup mieux qu'en 2007 mais son score reste faible et Ibrahima Fall fait un score respectable mais logique pour un homme inconnu il y'a encore un an. Finalement, mieux valait s'armer de sa carte que brûler des pneus, le résultat final aura été le même : Le Président Abdoulaye Wade semble définitivement être un président sortant, et j'estime que c'est une bonne chose car cela permet d'ouvrir une nouvelle ère politique dans notre pays et c'était une condition nécessaire pour le respect de la mémoire de tous ceux qui ont disparu en luttant contre ce 3ème mandat. Ces jeunes, qui auraient pu diriger le Sénégal de demain, ne seront donc pas morts pour rien. Paix à leurs âmes, vive le Sénégal et vive l'Afrique !

PS : Je tiens à rendre hommage aux médias du Sénégal (radios,TV) et aux citoyens qui ont joué un rôle décisif dans la sécurisation du vote populaire en signalant les vélléités de fraude et les tentatives d'intimidations, même si celles ci sont restées marginales à l'échelle du pays. Le vote c'est également la vigilence.

 

Fary NDAO

Idrissa Seck, prétendant à la présidence de la République du Sénégal

Dès la création du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) en 1974, le jeune Idrissa Seck, alors âgé de 15 ans, devient militant aux côtés d’Abdoulaye Wade. Le jeune Seck gravit rapidement les échelons et devient le directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade lors des élections présidentielles de février 1988. Il sera d’ailleurs emprisonné à la maison d’arrêt de Reubeus au lendemain de ces élections émaillées de violences. Alors que plusieurs poids lourds du PDS (Ngom, Dias, Serigne Diop) quittent le parti dans les années 90, Seck en devient le seul vrai numéro deux derrière l’inusable Wade. A la faveur d’un accord consacrant l’entrée du PDS dans un gouvernement élargi, « Idy » -comme l’appellent ses compatriotes- devient Ministre du Commerce et de l’Industrialisation en mars 1995. Il quittera son poste en mars 1998, préparant le terrain pour une nouvelle candidature d’Abdoulaye Wade en vue des Présidentielles de 2000.

L’Homme de l’ombre (1999-2002) :

Alors que l’opposant Wade décide de s’offrir une préretraite en France après plus de 25 ans d’opposition, Idrissa Seck le convainc de (re)venir livrer un dernier combat politique. En effet, encouragé par les nombreuses fissures de l’édifice socialiste (défections de Moustapha Niasse et Djibo Kâ notamment) Idy est persuadé que l’heure du PDS et de son leader Wade est arrivée. Endossant le rôle de directeur de campagne pour son « père » comme il aime à appeler Wade , Seck initie avec son mentor les fameuses marches bleues lors de la campagne de 2000. Avec l’élection de Wade au second tour face au sortant Diouf, de nombreux observateurs s’attendaient à une entrée remarquée d’Idrissa Seck dans le premier gouvernement de l’alternance. Cependant, désireux de couver son bras droit, le Président Wade le garde à ses côtés en le nommant au poste peu médiatisé de directeur de cabinet. Cantonné au Palais Présidentiel mais bénéficiant également d’un portefeuille de ministre d’Etat (ce qui confère à son titulaire la capacité de traiter directement avec le Président de la République), Idrissa Seck n’en est pas moins un des poids lourds du régime. Il favorise l’ascension de jeunes cadres du PDS comme Macky Sall ou Awa Gueye Kébé et voit se succéder deux premiers ministres en à peine deux ans d’alternance, à savoir Moustapha Niasse dont les voix avaient été décisives dans la victoire de Wade en 2000 et Mame Madior Boye, la première femme à occuper le poste de Premier Ministre au Sénégal.

De Premier Ministre à Premier Ennemi (2002-2007) :

Alors que Wade fait le vide autour de lui en écartant ses alliés de 2000, Seck devient tout naturellement le candidat désigné à la primature. Sa nomination à ce poste a lieu en Novembre 2002. En succedant à Mame Madior Boye, le Premier Ministre Idrissa Seck se positionne clairement en numéro deux de l’Etat et en potentiel successeur de Wade. Alors que ses ambitions politiques grandissent au fur à mesure qu’il s’installe dans son rôle, Seck est débarqué de son poste de premier ministre par Wade en Avril 2004, soit un an et demi après son arrivée à la primature. Fier de son bilan notamment en ce qui concerne les grabs de convergence et les infrastructures, Idrissa Seck se retire dans sa ville de Thies (il en est le maire) dont il avait piloté la rénovation en vue des festivités de l’Indépendance.

Ces travaux publics seront à l’origine de sa mise en accusation par l’Etat en Juillet 2005. Idrissa Seck est alors officiellement poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » puis pour corruption et malversations financières dans l’affaire des « chantiers de Thiès » et la gestion des fonds politiques. Plongé dans la tourmente, Seck est exclu du PDS en août 2005 et passera un peu plus de 6 mois en prison, toujours à la maison d’arrêt de Reubeus. En janvier puis en février 2006, Idrissa Seck bénéficie tour à tour d’un non-lieu pour le délit d’atteinte à la sureté de l’Etat puis d’un autre pour la gestion des fonds secrets. Libéré dans la foulée de ces décisions, Idrissa Seck annonce , le 4 avril 2006, sa candidature pour la présidentielle de 2007. « Idy » crée ensuite son propre parti « Rewmi » (« le Pays » en Wolof) en Septembre 2006. Il se lance dans la course à la présidentielle tout en annonçant que son compagnonnage avec Wade est désormais derrière lui.

Idrissa Seck arrive second de l’élection présidentielle, remportée haut la main par le sortant Abdoulaye Wade (55% au 1er tour). Plusieurs analystes politiques estiment cependant qu’Idrissa Seck, qui se dit convaincu d’être le « 4eme Président de la République du Sénégal », a laissé passer sa chance avec cette élection, notamment à cause de ses retrouvailles à la veille des élections avec le président Wade. En effet, Wade accorde trois audiences à Seck en fin Janvier 2007, moins d’un mois avant le 1er tour de la présidentielle. Au sortir d’une de ces audiences, Abdoulaye Wade annonce qu’ « Idrissa Seck a accepté de réintégrer le Parti Démocratique Sénégalais ». Seck confirmera cette information le 1er Février 2007 tout en annonçant son intention de maintenir sa candidature pour la présidentielle.

Retrouvailles, tensions et ambitions présidentielles (2007-2011) :

Le jeu des tensions/retrouvailles ne s’arrête pas puisque le président Wade, fort de sa réélection, annonce en mars 2007 la réouverture des dossiers de corruption contre quelques leaders de l’opposition, en tête desquels se trouve Idrissa Seck. Cela n’empêchera pas Idy de féliciter le candidat victorieux Wade, dans une posture jugée à mi-chemin entre celle d’homme d’Etat et celle d’homme politique sous pression, notamment à cause des poursuites judiciaires dont il est l’objet. D’abord accusé par Wade d’avoir détourné 40 Milliards de FCFA (un peu plus de 60 millions d’euros), Seck se réconcilie avec son mentor en janvier 2009, malgré la forte opposition de plusieurs membres du PDS et la Génération du Concret, mouvement formé autour de Karim Wade.

Après une nouvelle victoire aux municipales de Thiès en mars 2009, Seck est totalement blanchi par la justice sénégalaise en mai 2009 à la faveur d’un « non lieu total » dixit ses avocats. Il dissout ensuite son parti Rewmi et réintègre officiellement le PDS, ce qui provoquera quelques levés de boucliers au sein de ses partisans rewmistes. Un temps pressenti pour redevenir premier ministre, voire vice-président (un poste dont il a été question de créer constitutionnellement avant que le projet soit abandonné), Idrissa Seck se contente d’être un membre du comité directeur du PDS, l’instance regroupant tous les poids lourds du parti au pouvoir. N’ayant pas délaissé son ambition de devenir le prochain Président de la République , Idrissa Seck change de stratégie par rapport à 2007 et tente de se présenter en tant que candidat du PDS, « sa famille naturelle » comme il aime à le rappeler.

Barré par Wade qui a annoncé sa candidature des 2009, mais aussi par de nombreux cadres du PDS qui ne souhaitent pas son retour aux affaires, Seck se radicalise et engage un débat interne sur la recevabilité de la candidature du « pape du Sopi » c’est-à-dire d’Abdoulaye Wade. Après plusieurs mois de joutes verbales par presse interposée, Seck et ses adversaires au sein du PDS finissent par solder leurs comptes lors d’un comité directeur où l’exclusion définitive d’Idrissa Seck est votée. Confirmée en avril 2011, l’exclusion d’Idrissa Seck du parti au pouvoir l’a poussé à annoncer sa candidature pour l’élection présidentielle de 2012. Si la candidature d’Abdoulaye Wade est validée par le Conseil Constitutionnel, Idrissa Seck fera donc à nouveau face à son « père » lors d’une élection présidentielle.

Idrissa Seck en 2012

Points forts : Une figure connue des Sénégalais, une grande expérience politique malgré sa relative jeunesse (53 ans), un bastion électoral d’envergure (la ville de Thies), une bonne image à l’international, un bon communicant, une frange du PDS lui est encore acquise.

Points faibles : Ses multiples allers-retours auprès du Président Wade, la suspicion populaire sur ses moyens de campagne et l’argent des fonds politiques, la grogne de ses administrés thiessois, son non-positionnement dans un des deux grands blocs (Benno Siggil Sénégal (Opposition) et PDS/AST (Pouvoir), son statut d’ancien du PDS à l’heure où le parti au pouvoir est en perte de vitesse.

Affinités politiques et alliances probables : Idrissa Seck est un libéral : il l’a toujours dit et répété. Même du temps de son grand froid avec Wade, il n’était pas réellement l’allié des opposants phares que sont le PS, l’AFP, le FSD/BJ. Sa tentative avortée de retour au PDS montre bien qu’Idrissa Seck se méfie de l’opposition comme celle-ci se méfie de lui. Il pourrait cependant retrouver dans celle-ci son ancien camarade de parti Macky Sall, lui aussi ancien premier ministre PDS déchu. D’autres personnages comme Cheikh Tidiane Gadio (Ministre des Affaires Etrangères de 2000 à 2009) et Aminata Tall (ancienne responsable nationale des femmes du PDS et Secrétaire générale de la Présidence) pourraient venir gonfler cette alliance. Plus récemment le nom d’Ibrahima Fall, ancien Ministre socialiste et haut fonctionnaire des Nations-Unies, lui aussi candidat en 2012, a été évoqué en vue d’une probable alliance avec Seck. Enfin, l’hypothèse d’un nouveau retour au PDS n’est pas à exclure, notamment si la candidature de Wade est invalide, comme Seck l’affirme.

Article de notre partenaire Njaccar

Tous droits réservés. Ce dossier ainsi que l’ensemble des dossiers de la série « Qui voter en 2012 » sont l’exclusive propriété de l’Association Njaccaar VisionnaireAfricain. La reproduction et la diffusion sont permises à condition d’en citer expressément la source. La Cellule Economique et Politique de Njàccaar VisionnaireAfricain vous remercie. A bientôt pour un nouveau dossier « Qui voter en 2012 ? ».

Contribution: Matières dernières

« L’Afrique est riche, on a du diamant, de l’or, du manganèse, du coltan » etc. J’entends souvent ces paroles que j’ai moi-même parfois tenues. Le grand Thomas  Sankara également disait devant les chefs d’Etats de l’OUA à Addis Abeba en 1987 que « notre sol et notre sous-sol sont riches ». Les Jeunes intellectuels africains, dont je crois faire partie, répètent à l’envie les chiffres qui font de tel ou tel pays africain « le premier producteur mondial de ceci » comme la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo et de Alassane Ouattara pour le cacao ou encore « le dixième producteur mondial de cela » comme le géant nigérian de Goodluck Jonathan en ce qui concerne le pétrole. Ces deux exemples, même s’ils n’ont pas été pris au hasard, auraient pu être remplacés par une dizaine d’autres (la Guinée et sa Bauxite, la République Démocratique du Congo et son Colombo Tantalite ou Coltan, le Gabon et son bois, etc.) vu que pour la plupart d’entre eux, nos pays sont richement pourvus en matières premières.

Depuis quelques années que je réfléchis à la situation du continent, j’ai fini par avoir la conviction suivante : si notre sol et notre sous-sol sont riches, nous ne sommes pas riches et si d’aventure nous l’étions, nous serions plutôt des producteurs de matières dernières et non de matières premières. Dernières, car hormis quelques rares exceptions où leur valorisation apporte un véritable plus (Botswana, Ghana), ces matières n’enrichissent qu’une faible minorité de gens (les hauts dirigeants politiques, militaires, et quelques entrepreneurs un peu bizarres). Une question se pose : Alors que nous disposons de matières premières dont le monde entier a besoin, pourquoi n’arrivons nous pas à en tirer de grands bénéfices?

Cette question, comme chaque problématique posée en Afrique, ne peut être traitée avec une seule réponse. Les facteurs sont multiples : corruption, cupidité, faible coût sur les marchés mondiaux etc.  Mais laissons ce type d’analyse auto-flagellante à d’autres. Intéressons-nous plutôt à d’autres éléments qui à mes yeux accentuent ce paradoxe du « dernier de la classe riche en matières premières ».

En effet si l’Afrique ne tire pas de grands bénéfices de ses matières premières, c’est d’abord et avant tout parce que ses intellectuels n’ont pas opéré de révolution conceptuelle depuis que nous sommes sortis de la barbarie qu’était la colonisation. Cette élite, dont certains d’entre nous vont constituer le vivier de renouvellement, a filièrisé les cultures de rentes que le colon avait développées sur nos territoires : typiquement c’est ce que fait la Côte d’Ivoire avec son cacao. Elle fait grandir ses fèves et comme à l’époque coloniale, les exporte dans la Métropole (France, Suisse) qui les transforme (en Y’a bon banania à l’époque et en Lindt de nos jours) avant de les revendre à des prix exorbitants dans l’ex-colonie qui constitue ainsi un marché pour les produits finis de l’ancien maitre. Dans ce petit cercle que l’on vient de décortiquer, qui, d’après vous, empoche réellement une part conséquente de valeur ajoutée ? Sûrement pas le paysan ivoirien… Enfin, si l’on sait que c’est l’élite locale élevée à la sauce occidentale qui va dépenser une partie de son salaire pour acheter ces chocolats de « haut niveau », on sait qui en réalité perpétue le mal… En résumé, l’élite a institutionnalisé la culture de rente (par peur ou ignorance ou autre), s’en gargarise dans les salons et continue à enrichir le concurrent en rachetant au prix fort les produits qu’il fabrique. Cela mène à une autre question : Si l’élite n’est pas consciente des intérêts du groupe, constitue-t-elle réellement une élite ? Formons-nous des intellectuels qui servent réellement leurs pays ou formons-nous plutôt des porteurs de diplômes? 

Outre la perpétuation des cultures de rentes, la faible industrialisation est également à mettre en cause. L’un et l’autre pourraient d’ailleurs être équivalents car l’un, en l’occurrence la faible industrialisation, est la réciproque de l’autre. Cependant, il est préférable de les distinguer pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’au-delà de créer de la richesse, l’industrialisation en aval des filières de matières premières permet de sécuriser l’approvisionnement d’un pays en biens essentiels à son fonctionnement. Qu’est-ce à dire ? Que si le Nigéria avait veillé à ce que ses capacités de raffinage se développent à une vitesse proche de celles de son industrie extractive, on n’assisterait pas aux scènes affligeantes de pénurie d’essence dans Lagos. Oui, le 10ème producteur mondial de pétrole rencontre des problèmes d’approvisionnement en essence…Il vend beaucoup de pétrole, donc fait rentrer beaucoup de devises (65% du budget de l'Etat), mais n’en a pas assez pour aller racheter de l’essence en quantité suffisante pour son approvisionnement. La conclusion que toute personne lucide devrait en tirer est la suivante : il ne sert à rien de se dépêcher de développer ses capacités d’extraction en minerais, en hydrocarbures ou d’étendre la surface de ses terres cultivables si en bout de chaine on ne transforme pas une partie suffisante de ce qui est extrait pour sa propre consommation. Nous devons arrêter d’extraire pour vendre, et commencer à extraire, raffiner, transformer etc. en quantité suffisante pour satisfaire la demande intérieure. En termes de stratégie, les faits prouvent au quotidien que les pays africains, leurs dirigeants et la plupart de leurs intellectuels échouent royalement.

Troisième élément pouvant expliquer le paradoxe des matières dernières, le refus de l’emploi de la technologie dans ces filières. L’emploi du mot refus n’est pas fortuit. En effet, nos pays ont depuis quelque temps adopté la fâcheuse habitude de fournir des cadres de (très) haut niveau aux sociétés étrangères (américaines, françaises, australiennes, hollandaises) pour que l’on nous exploite avec nos cerveaux et du matériel hi-tech qui lui, ne nous appartient pas. L’Etat du Sénégal, par exemple, investit 40 % de son budget dans l’Education nationale (chiffres officiels), même si l’essentiel de ce pactole est mobilisé pour des dépenses de fonctionnement, cela fait tout de même beaucoup pour l’éducation. Des étudiants sont envoyés à l’étranger avec des bourses nationales (en 2007 on recensait 8 992 étudiants sénégalais dans le supérieur en France), ceux qui restent au pays ont une bourse automatique et des conditions financières, certes maigres mais avantageuses pour poursuivre leurs études. Si parmi tout ce beau monde on forme des ingénieurs géologues, des ingénieurs agronomes mais que ceux-ci travaillent pour des sociétés étrangères car seules celles-ci ont un niveau technologique suffisant pour les accueillir dans leurs structures, à quoi cela sert-il de former ces ingénieurs et de dépenser autant d’argent pour eux ? Une partie de cet argent doit être redéployée dans l’acquisition de technologie.

Il faut donc que nous les futurs dirigeants, car les actuels me désespèrent, soyons au fait de la chose suivante : investir dans les ressources humaines sans investir dans la technologie c’est comme aller faire un appel à la prière du vendredi en pleine soirée ladies night au Duplex, c’est du temps perdu… Il faut certes former des cadres, des ingénieurs surtout, mais il faut également que nos pays et nos secteurs privés se sacrifient financièrement pour moderniser la production agricole (cf. PanAAC http://www.panaac.org) et progressivement acquérir la technologie pour leurs compagnies nationales d'extraction minière, gazière, ou pétrolière. Et si ces sociétés n’existent pas, il faut les créer ! L’Aramco, société nationale du pétrole en Arabie Saoudite, n’attends plus l’appui technologique de Total, Shell ou BP pour explorer et exploiter le pétrole saoudien. Au Venezuela, le Président Chavez a également préféré avoir moins de maitrise technologique en nationalisant le secteur pétrolier, plutôt que de continuer à tout le temps demander la technologie étrangère pour extraire le pétrole de son pays. Et quand on sait que celui qui vous prête sa technologie, veut avoir les trois quarts des retombées financières, il devient préférable de gérer avec ce que l’on a.

Pour prendre un exemple africain, sous le magistère du Président Sassou Nguesso, faux marxiste de surcroît,  l’Etat congolais touchait seulement 17% de la manne pétrolière, le reste allant essentiellement dans les caisses d'ELF, l’exploitant qui apporte sa technologie. Alors soit nous faisons ce que tout le monde fait (notamment les chinois) en incluant des clauses de transfert de technologies dans nos permis d’exploitation, soit nous continuons à offrir gratuitement nos matières premières pour permettre à des boites comme Total de faire 13 milliards d’euros de bénéfice en un an. En résumé, tant que le tryptique Ressources Humaines + Sociétés Nationales + Transferts ou achats de technologie ne sera pas atteint, il ne sert à rien d’exploiter nos matières premières. Autant les laisser dans le sous-sol…

Je voudrais enfin terminer en lançant un appel aux jeunes étudiants africains : développez l’esprit entrepreneurial en vous car hormis les grandes sociétés étrangères, il n’existe pas encore de structures suffisamment fortes pour vous accueillir et vous fournir un niveau de salaire conforme aux standards occidentaux de vos diplômes. Il faut certes des réformes politiques et structurelles comme j’ai essayé de le démontrer dans cet article mais il faut également un secteur privé fort et organisé pour soutenir nos Etats. Ils sont bien trop petits et bien trop faibles économiquement pour réaliser ces changements tous seuls. Entreprenez avec obligation de réussite et interdiction de découragement, avec le temps vous pourrez apporter votre pierre à l’édifice et contribuer à faire de nos matières dernières des matières premières. 

Fary NDAO

Membre de l’Association Njaccaar Visionnaire Africain