Le regard du professeur Kom

Ambroise Kom est un professeur de littérature reconnu qui longtemps a dispensé son savoir aux Etats-Unis. Il fait partie de ces critiques qui ont beaucoup travaillé sur des auteurs de la trempe de Mongo Beti. Pour le lecteur que je suis, c’est toujours un plaisir d’échanger avec une telle sommité pour confronter une lecture et dans le fond, ouvrir le champ d’une lecture variée d’une oeuvre…


Nous avons donc eu le plaisir d’échanger sur une oeuvre que j’ai rangée dans le rayon de mes coups de coeur 2016 : Racines d’amertume du béninois Landry Sossoumihen.                                                                                                                                                                    

Je ne pense pas que le professeur m’en veuille de rendre public cet échange passionnant. La CENE littéraire a organisé des tables rondes durant le salon du livre de Genève sur les oeuvres qui ont fait partie de la sélection finale du Prix du livre engagé. Je ne sais plus trop comment notre discussion a démarré. Le professeur Kom a relevé le fait que ce premier roman s’il traite de manière relativement intéressante la question du retour des élites africaines sur le continent, il comporte quelques lacunes qui se centrent autour de la récurrente démonstration de la compétence de ce médecin urgentiste béninois basé à Cherbourg dont Landry Sossoumihen relate le combat constant contre la mort. Cette permanence des cas cliniques a été relevée par plusieurs lecteurs soulignant peut être une limite pour l’auteur à fictionnaliser le sujet. Il me semble pourtant dans la lecture que j’ai faite de ce roman qu’il s’agit plus d’une toile de fond importante, un contexte que le romancier propose à ses lecteurs. 

Ce contexte brosse une forme de réussite, le portrait de cette élite africaine qui tente de s'intégrer en France. Une place saisie par le mérite et l'application d’un savoir chèrement acquis. Un renversement d’un certain rapport de force. En effet, si le challenge de Vandji – personnage central – est avant tout de maintenir ses patients en vie, de repousser les affres et offensives de la mort, le lecteur lit aussi une quête passive chez Vandji de la reconnaissance du patient. Je ne serais pas naïf en sous-estimant ce regard à rebours où la question raciale ne peut être expurgée. Toutefois les rapports de force s’expriment dans ce regard premier. D’ailleurs ce regard est proposé sous trois formes différentes dans ce roman. Celui d'un milieu socio-professionnel pédant, se cachant derrière des statuts et des lois pour refuser à Vandji la reconnaissance de ses pairs. Celui d’une vieille dame affable et sans intention trouble qui souligne à Vandji de manière douce qu’il n’est pas indispensable en France et que le vrai challenge pour lui est de répondre aux attentes en terme de santé des Béninois. Enfin, il y a celui de François Pesnel qui offre par sa folie, l’expression d’un discours franc et sans équivoque : vous êtes en France un sous-médecin, un médecin esclave. Ambroise Kom souligne que ce regard dans la sphère publique est beaucoup plus important à analyser que ce qui est exprimé dans les salons ou dans le secret du lit conjugal.

Dans le fond, la réussite sociale est finalement dans le rapport à ce regard. La discussion prend une tournure passionnante. On sent dans les mots que la réussite des élites en France est une imposture si ce regard est sous-pesé. Et d’une certaine manière les démonstrations en compétence de Vandji ne font que souligner un mensonge qui ne dit pas son nom. Produit du système américain, j’ai le sentiment qu'Ambroise Kom à une lecture outre-Atlantique du sujet. Mais il rappelle qu’aux Etats Unis, le rapport à l’autre est différent. Dans le fond, si le job est bien fait, on se fout du regard de l’autre. La condescendance ne s’exprime donc pas de cette manière. Et pout caricaturer la chose, je dirai qu'en France, avant que la question de la compétence soit posée, il est demandé au Noir en France : "Que fais-tu là ?"

Il y a donc une débauche inutile d’énergie de Sossoumihen selon le point de vue exprimé par Ambroise Kom à vouloir prouver quoique soit à celui qui décide d’accueillir ou pas. De plus, il pousse son analyse plus loin en rappelant que sur la terre d’origine, Vandji n’est pas attendu et le sentiment d’impuissance est criard.  Ce que j’aime dans cette discussion avec cette homme de lettres camerounais droit dans ses bottes, ce sont les partis pris assumés. Et la littérature, c’est avant tout cela. La sphère familiale qui, de mon point d'attaque, est intéressante puisqu’elle est dans le cas de Vandji un lieu de perpétuels questionnements, est relativement secondaire pour l'universitaire camerounais. Tenir debout dans la sphère publique repose pour moi sur cet exo-squelette. Le combat intérieur dans la cellule familiale est essentielle. Il permet de bâtir des hommes et des femmes solides prêts à affronter n’importe quel système, raciste ici, corrompu là-bas. Nayline est la gardienne des rêves de son mari, l’élément non corrompu par le confort et un projet de dissidence. Le discours sur la structure familiale est donc à mon sens tout aussi importante que les combats menés sur la place publique.

Dans le fond, tous les regards sur Vandji sont instructifs et révélateurs de la réussite ou pas de cet homme et de son intériorité. Mais, le plus important est celui qu'il porte sur lui-même. Face au rejet, le sensibilité de médecin urgentiste béninois touchera un grand nombre de lecteurs. Droit dans les yeux, le professeur Kom me regarde.

Lareus Gangoueus

Abdelaziz Baraka Sakin, lauréat du Prix du livre engagé 2017

Baraka Sakin, prix du livre engagé
Abdelaziz Baraka Sakin, prix du Livre engagé de la CENE Littéraire. Photo : Laréus Gangoueus.

Des prix. Encore. Toujours. Le prix du livre engagé de l’édition 2017 a été adressé au romancier soudanais Abdelaziz Baraka Sakin. Une cérémonie riche en émotions fortes en plein cœur du Salon du livre de Genève. Un prix récompensant un texte fort qui livre au reste du monde la singularité des intrigues politico-militaires du pouvoir de Khartoum dans ce pays si vaste, si central que représente le Soudan. Cette terre au carrefour des brassages ou pas entre noirs et arabes d'Afrique, où la question de l’esclavage ne semble ne pas avoir été vraiment affrontée et qui régit encore aujourd'hui le statut des individus et les rapports entre populations de ce pays. Bon, je ne vais pas vous refaire la critique de ce roman.

L’émotion est donc palpable sur le stand de la CENE littéraire. L’écrivain est heureux. Il brandit fièrement le Prix et le dédie à son peuple. Flore-Agnès Nda Zoa, présidente de l’association La CENE littéraire, avocate mécène, auteure d’un discours très volontaire, où elle rappelle les contraintes en termes d’organisation sur le plan matériel et financier d'un tel prix, un investissement garantissant toutefois la liberté totale du choix. Un prix de lecteurs passionnés. Un jury très relevé présidé par Ambroise Kom, comprenant les écrivains Boubacar Boris Diop, Koulsy Lamko, Ken Bugul, ou le Dr Hortense Sime.

L’enthousiasme du soudanais est communicatif. Il faut dire que Timba Béma, artiste, avait introduit la cérémonie par une délicate mélopée par laquelle il nous invitait à prendre le parti de nous souvenir. Se souvenir, une des fonctions de la littérature…

Émotion palpable car les massacres se poursuivent sur le terrain. La question du Darfour n’est pas un épisode passé de l'histoire contemporaine. Les janjawids poursuivent leurs actions criminelles sur le terrain. C’est juste le zoom des médias internationaux qui s'est focalisé sur autre chose. Ce prix a donc une signifcation réelle.

N'hésitez pas à découvrir la présentation proposée  du roman Le messie du Darfour sur le site de la CENE littéraire puis l'intervention du romancier soudanais au Salon Africain du livre.

Un dernier mot pour saluer les lecteurs de la présélection de ce prix littéraire d'une part et encore une fois, d'autre part, le travail de Laure Leroy, directrice des éditions Zulma qui a donné la possibilité à ce texte d'exister dans l'espace francophone ! 

Le Moabi Cinéma, l’oeuvre intéressante de Blick Bassy

Blick Bassy
Blick Bassy. Photo Catherine Helie, Gallimard
Blick Bassy, très grand musicien camerounais, se révèle tout aussi étonnant en écriture.  Très belle musique, sophistiquée, sensible, l’homme a une très belle voix et le personnage, de prime abord, est excentrique et à la fois réservé. C’est l’impression qu’il m’avait laissé à l’occasion des dix ans de la collection Continents noirs de Gallimard. Je commencerai donc par dire que Blick Bassy est avant tout un artiste, un créateur. D'où mon intérêt immédiat dès que j'ai appris la parution de son premier roman : Le Moabi Cinéma. Un roman pour lequel l'auteur a obtenu le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire cette année. 

Chronique d'une bourgeoisie locale du Cameroun


Parlons tout d’abord de ce qui m’a emballé. L’histoire. Le Moabi Cinéma est un roman dont la trame se déroule à Yaoundé, capitale de ce grand pays d’Afrique centrale. A Essos, en particulier. Boum Biboum, dit « Mingri » appartient à la bourgeoisie locale. Son père est commissaire de police, polygame et ils ne font pas partie de cette Afrique que l’on plaint. Il a des frères, des soeurs, des grands parents… Boum Biboum fait surtout partie d’une bande de cinq jeunes adultes. Google+ le génie, Simonobissick le dur à cuir, Rigo le footballeur addict, Obama l'homonyme de quelqu'un, Yap le godfather, qui exerce le pouvoir de la force sur ce beau monde. C’est une bande de gais lurons qui se retrouve régulièrement chez Molo l’Infalsifiable, le bar où ils prennent régulièrement une pinte de bière. Soyons précis, une descente de bière. On boit au goulot là-bas, pas à la pinte. Ces jeunes gens ont tous le baccalauréat et se sont laissés tenter pour nombre d’entre eux, le temps d’une saison, par les études universitaires. Boum Biboum a loupé le coche pour aller faire ses études à l’étranger par un funeste sentiment de solidarité avec ses potes de jeu et de combat. 

Les jeunes, un thème riche et peu traité 

A la longue, en raison d’un pays dont l’horizon ressemble aux environs de Zurich, ville cernée par de hautes montagnes, sans opportunités sur place, cette bande finit par être le réceptacle des discours des mbenguistes (entendez par là ceux qui à habitent Mbeng, en France et par extension en Europe occidentale). A force de discours, partir est la seule issue. Reste à obtenir les visas… Roman sur l’immobilisme, l’attente et la désespérance de la jeunesse africaine, Le Moabi Cinéma est un texte porté par l’humour de Blick Bassy, un talent certain d’écrivain qui ne force pas sa nature. C’est d’ailleurs étonnant puisque le musicien qu’il est ne chante qu’en bassa, langue du centre du Cameroun. De plus, la bande de jeunes n’est pas souvent traitée en littérature africaine.

La patte d'un artiste

Cela étant, qu’est-ce qui caractérise ce roman et le différencie d’autres auteurs qui pataugent dans ce sujet consternant? Le Moabi cinéma, justement. Je vous l’ai dit, Blick Bassy est un artiste pur. Il nous monte de toute pièce une situation ubuesque qui permet pourtant de pousser la réflexion. Boum BiBoum tombe par hasard sur un moabi particulier dans la forêt qui jouxte la capitale camerounaise. Un moabi géant dans lequel sont incrustés des écrans géants qui diffusent des images inédites du monde, de l'Occident, des images brutes de décoffrage. C’est une révélation pour Mingri qui est prêt à tout pour comprendre le phénomène et l’exploiter…

 

Que feraient parents, amis, aventuriers s’il leur était donné de découvrir l’envers du décor, l’imposture des mbenguistes ou des « parisiens » ? C’est la question principale que Blick Bassy pose. Le roman souffre de quelques incohérences chronologiques. Il serait malhonnête de ne pas le dire, mais en terminant ce roman, la chute est particulièrement douloureuse, je pense que cela ne nuit pas à l’intelligence du projet.

Un dernier mot. L’auteur a un regard extrêmement critique vis-à-vis de certaines approches du christianisme en Afrique centrale. Il le met d’ailleurs en scène de manière particulièrement violente. Comme si les croyances protestantes portaient l’essentiel de la désespérance de la jeunesse camerounaise. Par contre, Blick Bassy semble manifestement indulgent vis-à-vis du système politique qui tient ce pays depuis les indépendances. Le sacrifice d’un individu ne provoque que quelques larmes avant que les gens continuent le show et la vie. Une société civile très amorphe et peut-être fataliste.

Pour faire durer le plaisir : lors d'une danse des mots exécutée avec Yvan Amar et Ralphanie Mwana Kongo, nous avions eu droit à un intermède musical de … Blick Bassy. 


Le Moabi cinéma
Par Blick Bassy – Editions Gallimard, Collections Continents noirs
Crédit Photo Helie/Gallimard

Racines d’amertume : un roman à lire d’urgence(s)

Racines d'amertumeLe roman Racines d’amertume m’a permis de me replonger dans l'univers complexe et passionnant des urgences. J’ai longtemps été un fan de la fameuse série de télévision Urgences. Beaucoup regardaient cette série américaine pour les beaux yeux du Dr Ross incarné par Georges Clooney. 15 ans après, il est difficile de mettre des mots sur l’intérêt qu’on porte à un tel sujet. Les urgences portent en elles plusieurs réalités : la fragilité de la vie, l’élitisme pourtant accessible des urgentistes, les disparités en terme de prévoyance sociale des patients et bien d’autres tares ou croustillantes anecdotes.

Vandji, l’urgentiste révolté.

Ce roman commence par un malentendu. Et pour laisser le lecteur dans une posture inconfortable, le romancier Landry Sossoumihem ne fait rien pour éclaircir la situation. Trois médecins d’origine africaine discutent dans une salle de réunion d’un nouveau dispositif juridique qui n’est pas à leur avantage. Il s'agit d'une loi ou d'une note de service qui ne semble pas leur reconnaitre un statut à part entière dans l’exercice d’un métier qu’ils accomplissent pourtant avec passion et consciencieusement. Vandji est urgentiste depuis une douzaine d’années. Avec le statut batard de médecin esclave. C’est l’un des premiers points intéressants de ce roman :  la description de la condition des médecins exerçant en France avec un diplôme étranger. Cette situation est connue de ceux et celles qui ont dans leur entourage ce type de médecin « étranger ». Des années pour intégrer un système pour réaliser que les compétences acquises et reconnues restent tributaires d’une administration et du pouvoir de l’élite dans le domaine.

La rupture de Vandji dans son accomplissement est introduite par le collectif 10, un manifeste qui lui rappelle qu’il reste un sous-médecin. Cet axe étant posé, il enclenche une introspection très intéressante accompagnée par les questions pressantes de son épouse, gardienne de ses rêves.

De l’abandon des rêves

Ce roman s’inscrit dans un mouvement constant, téléportant le lecteur entre trois champs d’action : le lieu de travail de Vandji Sannou, sa cellule familiale et la communauté africaine de Cherbourg. De manière cyclique, on visite ces trois terrains. Le premier espace nous renvoie à la série Urgences. L’écriture porte les stigmates du propos de l’écrivain-médecin qui oublie que son lecteur ne comprend pas forcément son langage technique. Pourtant, Sossoumihen n’est pas hautain dans son approche et d’une certaine manière, il familiarise au métier d’urgentiste le lecteur qui découvre cet univers par dessus son épaule d'écrivain. Il oeuvre avec un sens de l’éthique et il vit son emploi avec une passion rassurante. Il jouit de la puissance technique et de l'organisation rodée des urgences en Normandie pour pratiquer sa science. Le combat constant et acharné contre la mort, personnifiée, les ressources dont il dispose, sont au coeur de la narration. Comme toutes les séries télévisées « médicales », Racines d’amertume nous donne une vision extrêmement rassurante, angélique de l’exercice tant que le terrain de la pratique est la France. A l’abandon des rêves, en particulier celui du retour au bercail après son internat, Vandji trouve un argumentaire solide, construit au fil des ans : condition de travail, études des enfants, acquisition de biens matériels, etc. 

Le couple, lieu de questionnement et de préservation

Nayline, épouse de Vandji est la gardienne du temple. De manière assez surprenante, elle est la principale partisane d’un retour au pays, lieu d’expression du rêve fondateur de ce couple. Elle impose un refus de toute forme de compromission à son mari. De manière très travaillée, Landry Sossoumihen pousse cette réflexion par le biais de ce couple qui se délite. La place de la foi dans la préservation de l’intégrité des choix fondamentaux est très interpellante. Ce deuxième terrain nous donne l'intériorité des personnages. Les motivations réelles de ceux qui ont émigré sont mises à nue. Nayline n'hésite pas à défier tous ces intellectuels africains exilés à Cherbourg qui portent haut dans leurs rencontres leur amertume à l'endroit des pratiques et des dirigeants de leur pays d'origine. L'interpellation de Nayline fait écho à celle plus haineuse d'un patient désespéré et particulièrement facho.

Il était là debout, les yeux en ignition et le regard assombri. De sa bouche consumée par les fumerolles de la haine, il exécrait Vandji. Les mots jaillissaient tel un volcan crachant des larves d'un feu à l'odeur putride. Ils écorchèrent sa peau et transpercèrent son coeur. Un silence lourd se fit entendre soudainement chargé de violence et de l'opprobre de propos qui finalement ne semblaient pas si dénués de sens que cela, pensa Vandji. "Médecin-au-rabais", "médecin-esclave", "médecin ramasseur-de-miettes", voilà autant de qualificatifs qui pouvaient parfaitement décrire ce qu'il était : n'était-ce pas ce que disait le point 10?

p.269 Racines d'amertume, Mon Petit Editeur 

Pour terminer 

Je n'ai pas abordé le dernier terrain d'observation. Il est le point d'achèvement des interrogations de Vandji. Je laisse aux lecteurs et lectrices le soin de découvrir ce développement de Landry Sossoumihen. Ce roman est passionnant. Il se lit aisément malgré les envolées médicales de l'auteur. Personnellement, en utilisant le portrait du médecin béninois qui, il y a quelques années, incarnait dans certains discours populistes en France, ces élites africaines refusant le retour dans leurs pays respectifs, Sossoumihen aborde le sujet dans toute sa complexité et dans toute sa violence : l'entre-deux culturel et la complexité du retour. Il révèle l'exploitation des médecins ayant obtenu des diplômes hors de France, avec toute l'hypocrisie du système. Mais, je m'arrête là. Les amertumes sont profondes. Il faut en traiter les racines.

Landry Sossoumihen, Racines d'amertumes

Mon petit éditeur, première parution en 2016, 267 pages

Terre ceinte : la résistance intellectuelle face au terrorisme

Terre ceinte. Le titre de ce roman traduit une esthétique exigeante et une extrême subtilité de l'auteur quand on aborde le roman. Nous sommes sur une terre ceinte, un espace assiégé. Des miliciens djihadistes imposent leur diktat depuis plusieurs années dans une ville du Sumal, pays sahélien imaginaire. Sous la direction d’Abdelkarim Konaté, une police religieuse réprime violemment toute transgression aux lois imposées par les occupants islamistes.

Ce roman est introduit par une exécution publique. Un couple de jeunes amoureux a été pris sur le fait par les miliciens rigoristes. Devant toute la communauté, leurs parents, ces deux jeunes qui refusent de renoncer à l’amour qui les lient sont abattus froidement. Face à cette situation extrême, un groupe d’individus s'organise pour tenter de réagir, d'éveiller et de sensibiliser la population. Le projet d'un journal clandestin prend forme pour dénoncer les exactions des milices, proposer une relecture de certains extraits du texte sacré.  C'est autour de Malamine, chirurgien dans l’hôpital principal de la ville, que ce projet prend corps. Le profil de ces résistants est assez divers : Enseignant, libraire, étudiant, infirmier, informaticienne, etc.

Mohamed Mbougar Sarr. Source : seneweb.comMohamed Mbougar Sarr propose plusieurs postes d’observation des différents acteurs du drame qui secoue cette ville. Une focale est faite sur Abdelkarim, tête pensante des djihadistes, chef de la police de la ville. Dans sa description minutieuse de l’univers de cet illuminé, l’écrivain dresse le portrait somme toute assez juste d’un homme prêt à tout pour aller au bout de ses convictions, au bout de ce qu’il estime être juste… pour son dieu. Habité par un idéal divin, incarnation dans cette ville de la justice divine, il est d'une remarquable indifférence ou distance par rapport aux actes qu'il pose : tortures, mutilations, exécutions sommaires. Et l’une des forces de ce roman réside dans l'arrière-plan psychologique des protagonistes qui est décrit avec maestria et densité. Ainsi l’engagement de Malamine est ausculté avec minutie au fil des événements qui impactent directement son foyer. Figure emblématique des résistants, il est habité par une colère sourde dont le lecteur comprendra progressivement l'origine. Son épouse Ndey Joor Camara fait également partie des personnages attachants, complexes, forts de ce roman.

Dans cette ville qui fait penser à Tombouctou, la question est de savoir comment résister efficacement.  Cette élite qui refuse d'abdiquer mesure ou fait également face aux conséquences que toute prise de parole ou action peut avoir sur les événements, sur le peuple déjà oppressé.

Le jeune romancier sénégalais pose des questions très intéressantes. Il met en remarquablement en scène par exemple la radicalisation du fils de Malamine. Dans un échange d’une étonnante profondeur, le positionnement de ce fils « perdu » renvoie le père à sa responsabilité et son éloignement. Le fait qu’une telle situation touche une famille appartenant aux classes moyennes de cette ville confirme la complexité du problème et remet en cause l’unique excuse de la pauvreté. Mbougar Sarr introduit aussi la question de la prise de parole et de son pouvoir quand elle est utilisée à bon escient. Elle est à la fois le fait des élites mais aussi celle des « badauds ». Ces hommes miséreux qui, la nuit,  sont molestés parce qu'ils habitent cette dernière de leurs chants anciens.

Le journal publié de ces résistants incarne cette mise en situation avec toutes les conséquences possibles. Il est difficile de ne pas voir dans ces débats clandestins sur des thématiques touchant au peuple, son éducation, sa capacité à oser l'insurrection, l'émergence nouvelle de l'écrivain guide. Une nécessité de dire, de s'engager face l'indicible et de conduire, d'orienter la réflexion. Une approche qui semble totalement assumée. Mbougar Sarr fait partie de cette nouvelle génération qui se démarque de ses aînés qui s'employaient dans des narrations nombrilistes et qui refusaient toute assignation à écrire sur des problématiques sociétales africaines. Il participe avec Max Lobé,Elgas, ou Hakim Bah à cette prise de parole différente, nerveuse parfois, engageante toujours.

 

 

Terre Ceinte s’inscrit dans ces œuvres qui se sont construites après l’occupation de Tombouctou par Ansar Dine et AQMI. Il y a beaucoup de similarités avec le film Timbuktu du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, le roman explosif d’Ousmane Diarra (La route des clameurs). Si ce dernier rythme son roman sans concession par une colère profonde, Mbougar Sarr se démarque par une distance qui peut se comprendre : là où le malien réagit avec véhémence face à un désastre subit, le sénégalais anticipe. Il pose le problème dans toute sa complexité et autorise ainsi un échange à tous les niveaux de la société face à un danger qui peut toucher le Sénégal. Au niveau de son style, j'ai apprécié la pluralité des prises de paroles, la construction non linéaire de la narration ou encore les échanges épistolaires entre les mères des deux amoureux suppliciés.

Je note une étonnante similitude dans ces trois œuvres produites simultanément : l'intellectuel est le cœur du sujet dans ces trois histoires. Le politique ne l'est pas.

Mohamed Mbougar Sarr, Terre ceinte
Editions Présence Africaine, première parution en 2014, Prix Kourouma 2015, Grand Prix du roman Métis 2015

Lareus Gangeous

 

 

Livre : Jussy Kiyindou et l’aller-retour en soi

Etrange construction que le texte de Jussy Kiyindou. Encore un congolais. Pour mon plus grand plaisir car j’avais le sentiment que les plumes congolaises trop fragiles, se brisaient au contact du papier. Les textes publiés étant d’une profonde médiocrité. Avec Kiyindou, c’est le crépuscule d’une nouvelle génération, la formation lointaine d’une vague venant d’Afrique centrale…

Quand tombent les lumières du crépuscule est une auto-fiction. Le genre fait des émules dans l’espace francophone. On a aimé le camerounais Eugène Ebodé. On a relu Théo Ananissoh dans ce type de narration où le lecteur pris au piège de l’écrivain tente de démêler le vrai du faux. Exercice naturellement vain et puéril puisque le lecteur distant ne maîtrise aucune clé de décryptage. Dans l’ouvrage de Jussy Kiyindou la frme prend, en y repensant, une forme particulièrement exquise. Ici, nous suivons un jeune français d’origine congolaise. Ou un jeune congolais ayant grandi en France. Le suivre est en soi une mission périlleuse puisque l’on ne sait jamais trop bien à quelle période de sa vie on se trouve. 2008. 2009. 2014. Sont-ce des dates. On a même des mois. Kinsoundi. Saint-Germain-des-Prés. Rouen. 1997.

Jussy Kiyindou - credit Présence Africaine
Jussy Kiyindou – credit Présence Africaine

Je cherche la trame. Le personnage lui se cherche. C’est sûrement pour cela que ce roman n’a pas de trame. Pas de commencement. Pas de fin. Des questions… Un repère central. Le grand père qui vient de mourir. Non, il est mort il y a quelques temps. Grand-père auquel on s’accroche dans une croyance farouche, bien bantoue, celle du culte des ancêtres. Les morts continueraient d’accompagner les vivants et il serait possible de communier avec eux… Ce roman qui est construit comme une errance où les jeunes femmes que rencontrent Jussy ne sont que des lieux de passage, des exutoires dont la mission n’est pas de recueillir la confidence, la douleur, l’enfermement du personnage central. C’est le récit d’une non rencontre. Et c’est assez troublant.

Pourquoi? Parce que ce jeune homme possède, ou plus prudemment, semble posséder tous les codes de l’intégration. Il ne manque pas d’ambition. Il évolue dans un milieu où il pourrait véritablement prendre ses marques dans la terre d’accueil. Mais la contemplation du patriarche prend une forme oppressante.trame. Pas de commencement. Pas de fin. Des questions… Un repère central. Le grand père qui vient de mourir. Non, il est mort il y a quelques temps. Grand-père auquel on s’accroche dans une croyance farouche, bien bantoue, celle du culte des ancêtres. Les morts continueraient d’accompagner les vivants et il serait possible de communier avec eux… Ce roman qui est construit comme une errance où les jeunes femmes que rencontrent Jussy ne sont que des lieux de passage, des exutoires dont la mission n’est pas de recueillir la confidence, la douleur, l’enfermement du personnage central. C’est le récit d’une non rencontre. Et c’est assez troublant.

Ecrit dans une forme littéraire très classique par ce jeune auteur de 25 ans (entendons-nous bien, je parle de l’écriture, pas de l’architecture de l’oeuvre qui en porte toute la richesse) Kiyindou me fait penser à un autre romancier congolais de talent, Wilfried N’Sondé qui a abordé l’écartèlement culturel dans une approche assez similaire dansle coeur des enfants léopards, mais un contexte complètement différent. Celui attendu de la banlieue. Kiyindou dépasse cette étape. Son lieu d’interpellation n’est pas la cellule froide d’une garde à vue mais la marche forcenée d'un jeune africain après un coït satisfaisant. Ce roman n’a pas de début. Il n’a pas de fin. Il a des questions. Il traduit une triste errance solitaire.

Jusqu'à quand? L’important pour Kiyindou semble être le mouvement. Avancer. A tâtons. Mais avancer tout de même.

Jussy Kiyindou
Quand tombent les lumières du crépuscule
Editions Présence Africaine, Parution 2016

La lente évolution de l’édition numérique africaine – volet 1

Quid de l'édition numérique en Afrique ? Une étude a été réalisée sur la période du 15 mai 2015 au 15 octobre 2015 dans le cadre d’une thèse professionnelle en marketing digital portant sur les leviers de promotion pour une plateforme de livres numériques. Elle porte essentiellement sur les maisons d’édition localisées en Afrique francophone ou spécialisées sur le monde africain. A partir des plateformes Afrilivres et Francographies, une soixantaine d’éditeurs référencés ont été identifiés, accessibles par les moyens du numérique. 20 maisons d’éditions ont bien voulu répondre à nos questions, soit 34% des sites identifiés. Avant d’éplucher les données recueillies, nous avons tenu à réaliser une photographie de la présence de ces acteurs du livre sur le web francophone.
 

Chiffres clés et Infographie 


Numérisation de l'édition africaine : infographie

Il est important de noter le caractère jeune des maisons d’édition dédiées aux lettres africaine L’historique éditeur Présence Africaine a été créé en 1947. Le chiffre de 66 éditeurs représente le nombre d’acteurs de l’édition répertorié dans le cadre de cette enquête. Nous avons tenu à traduire le niveau d’expérience respective.

Le catalogue moyen de ces maisons d’édition contient 237 livres en tout genre. En phase de développement, l’éditeur Athéna Diff (Sénégal) récemment créé en 2014 comprend une douzaine d’ouvrages (chiffres recueillis sur la période de l’étude) tandis que la maison d’édition Chihab (Algérie) compte le catalogue le plus fourni de nos interlocuteurs.

Chiffres : ventes annuelles

Ces chiffres sont très fluctuants d’une maison d’édition à une autre. De plus, ils sont augmentés pour certains éditeurs qui comprennent dans leur catalogue des manuels scolaires (à l'instar des éditions Chihab, en Algérie ou Eburnie Editions en Côte d’Ivoire). Il est essentiel de souligner que le modèle économique des plus grandes maisons d’édition localisées en Afrique et qui se sont exprimées dans le cadre de cette enquête, repose sur le marché du manuel scolaire et des ouvrages scientifiques et/ou universitaires. La littérature générale n’est réellement bankable que lorsqu’un roman rentre dans le programme d’enseignement général ou technique de l’éducation nationale d’un pays. Pour peu qu’il ne soit pas aux prises avec le piratage et le photocopillage de masse. Donc les chiffres ci-dessus sont plutôt encourageants dans leur globalité.

Nous sommes en présence des chiffres de l’année 2014 en termes de publications par maison d’édition, soit 22 publications en moyenne. Certaines données relatives à la publication peuvent paraître importantes. C’est le cas pour les Nouvelles Editions Numériques Africaines (NENA) qui font un travail de numérisation constant et acharné (155 publications en  2015). Les données de publications annuelles sont logiquement importantes pour cet acteur singulier du livre en Afrique. De manière générale, il faut compter en moyenne une vingtaine de publications annuelles par maison d’édition. 

Ligne éditoriale

35% des éditeurs choisissent de s’enfermer dans des silos nationaux comme l’éditeur comorien Cœlacanthe basé en région parisienne. Il y a donc pour ce type d’éditeur la volonté de ne promouvoir que des auteurs venant des îles Comores, choix respectable. La réticence pour les solutions numériques est donc naturelle pour ce profil d’acteurs du livre. Il existe même des cas d’éditeurs centrés sur une littérature régionaliste. En considérant que pour beaucoup d’éditeurs locaux, un lien étroit existe avec l’éducation nationale et le besoin d’avoir des ouvrages pédagogiques produits localement ou répondant à des besoins spécifiques. La stratégie de ces éditeurs nationaux ne se soucie pas de la nécessité d’élargir le cercle du lectorat. Toute solution technique poussant le développement d’un réseau n’est d’aucun intérêt dans ce cas de figure.

Malgré les résistances que les plateformes de numérisation constatent dans leur travail de démarchage et d’engagement des éditeurs locaux sur le continent ou pour les éditions africaines en Europe, il est important de réaliser que 60% des éditeurs sont favorables à la numérisation de leurs fonds éditoriaux. Mais il est essentiel d’entendre les points d’inquiétude que mentionnent les autorités publiques, les éditeurs ou les écrivains quand ils sont questionnés.


 La transparence autour des données commerciales

 
1. Le point de vue des éditeurs 
Les retours des éditeurs qui tentent de s’essayer au numérique sont très intéressants. Par exemple, un éditeur explique lors du salon du livre de Genève (avril 2016) ses déboires avec Amazon. Cette plateforme propose un processus de numérisation assez rapide et automatisé. Mais quand l’éditeur progresse dans sa relation avec Amazon, le constat d’une impossibilité d’avoir un suivi détaillé des ventes sur les échantillons numérisés par le géant américain du numérique. Cela peut paraître étonnant, mais cela dénote pour cet opérateur d'un manque d’accompagnement des petits éditeurs censés enrichir la longue traîne par un contenu diversifié. Ce questionnement, cette inquiétude est aussi le fait de certaines autorités dans le domaine du livre comme Ibrahima Lo (directeur du livre et de la lecture au Sénégal) qui exprime une réserve sur une numérisation non contrôlée. Une volonté de contrôle légitime pour ce représentant de l’état sénégalais dans le conseil d’administration des Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, éditeur historique de grands classiques de la littérature africaine comme Une si longue lettre et Un chant écarlate de Mariama Ba, La collégienne de Marouba Fall, Le revenant d’Aminata Sow Fall…

2. Le point de vue des auteurs 
En questionnant quelques auteurs, il est surprenant d’entendre le peu d’intérêt, l’attention distraite qu’ils prêtent à la question du livre numérique et de leur droit lié à la propriété numérique. Certains ne font d’ailleurs pas attention en signant leur contrat d’édition aux clauses relatives au volet numérique de leur droit d’auteurs. Ce qui peut donner des pourcentages de rémunération de l’œuvre étonnamment bas (i.e le cas d’un auteur rémunéré à 2% sur le prix d’achat de son livre). Ces pratiques qui peuvent relever de l’escroquerie donnent le sentiment aux écrivains que ce qui se vend bien et mieux, au final, c’est le livre papier. A un point tel que de nombreux écrivains vivants et édités dans de grandes maisons d’éditions européennes ne semblent pas se soucier de la présence de leur œuvre au format numérique. Il semble donc y avoir de la part des auteurs une méconnaissance ou un désintérêt pour le sujet. Le rapport au livre papier, ouvrage matériel, y forcément pour quelque chose. Mais, dans le cadre de la rencontre d'un public, est-il logique pour des acteurs qui produisent des œuvres dans un environnement où la chaîne du livre n'a jamais fonctionné de n'avoir qu'une corde à son arc. Si on doit rajouter la question des ayants droit sur certaines œuvres appartenant au pantheon des lettres africaines, ayants droit qui parfois peinent sinon s'opposent à toute forme de numérisation de quelques grands auteurs, nous nous retrouvons face un contenu du catalogue numérique des littératures africaines peu fourni pour ne pas dire pauvre et rebutant pour les primo e-lecteurs.

 

 

Catalogue de l'édition numérique africaine 


Catalogue de l'édition numérique africaine

Sur le niveau de numérisation des fonds éditoriaux, les chiffres sont assez révélateurs d’une forme de réserve des éditeurs. En abscisse, nous avons le pourcentage de numérisation de fonds éditoriaux et en ordonnées, les valeurs proposées nous permettent de nous représenter le nombre d’éditeurs par niveau de numérisation. Plus de la moitié des éditeurs locaux africains n’ont pas procédé à une numérisation de leurs fonds éditoriaux. Nous passons à 71% de ces éditeurs si nous étendons notre regard à ceux dont 5% du catalogue est numérisé. A noter que l’intégralité du catalogue des Nouvelles Editions Numériques Africaines est numérisée. Néanmoins, cette étude souligne tout de même que 60% des éditeurs interrogés dans cette enquête estiment que le numérisation des œuvres est une opportunité pour la chaîne du livre en Afrique.

Nous aborderons dans un prochain article les axes de résistance à la numérisation relevés par les éditeurs.

Laréus Gangoueus

Cet article est extrait de la thèse professionnelle de Réassi Ouabonzi, sur le thème "Quels leviers du marketing digital pour la promotion d'une plateforme de livres numériques en Afrique" – MBA Marketing et Commerce sur Internet – Institut Léonard de Vinci, Paris la Défense
Les chiffres ci-dessus cités ont été obtenus à partir d'une enquête réalisée auprès de 23 éditeurs basés sur le continent Africain ou étant spécialisés sur les littératures africaines.
Voir l'infographie reprenant tous les chiffres ci-dessus et complétée par d'autres pointsest consultable en ligne en cliquant ici

 

Interview with Tidjane Deme, Office Leader for Google Africa

ADI: How does Google aid the development of the Digital ecosystem in Africa? And why does Google do it?

We do so because we are convinced that the region needs an internet ecosystem that is dynamic and as well open. That is to say, an internet system, where each person has free access to information that he needs without any hindrance.  Despite the developments that we see in mobile internet, it is still insufficient.  We have not yet reached the cut-off mark. The speed and penetration rate are still low. For example, one cannot play a high definition video without the question of data coming up or the short waits to allow the videos to buffer. We can’t still do a lot on the internet and it is quite expensive. Even those who go on the internet still do not have access to high-speed internet (broadband).

picture 1

However, there is a new trend of providing limited internet access to well-known sites. In fact some Internet service providers (ISP)  offer packages that only give access to these selected sites. However, if an entrepreneur starts to provide a new service, his service is not included in this package and is therefore not accessible to all. This forms the base for our need to have an internet platform that is open to all. We are presently trying to tackle three aspects:  

We are working on problems of access to internet. That is the infrastructure that limits access; price and regulatory problems that limit the development of an open internet platform. To us, high speed internet allows for quick access to all types of content.

The second aspect is on content. Today, there is so much content on normal media platforms but these are not available on the internet.

The third aspect is focused on encouraging entrepreneurs t o develop a high-growth industry.

Internet in French-Speaking Africa: What are the differences that exist among the regions in French-speaking Africa?

There are many differences that exist among the countries. I will look beyond the Francophone region and talk about it in a global manner. It is difficult to draw conclusions because there are about 50 countries in Africa with different characteristics and contexts.  We group and analyze these countries based on certain aspects.

One criterion that affects the access to internet is the policies and regulation of telecom operators in each country. This environment often determines the state of the market. It is in this case that we see enormous differences in the English-speaking countries in East Africa and those of West Africa especially the Francophone countries. In general, there is a difference between French-speaking and English-speaking countries. We have some policies that I will say are very modern. As the sector evolves though, the policies have to adapt to an environment that changes very fast. This is often not the case in many countries. For example, Senegal changes it’s polices every ten years. There is a telecoms code that came into effect in 2001 and another new code which has not been implemented. So, this market which has changed drastically over the years is governed by a regulatory policy which has been in effect since 2001. The capacity of the regulatory system to adapt to the market is a modernizing factor.

                                                                                                               

picture 2A second important regulatory aspect is the segmentation of licenses. The old polices (of 20 years ago) are based on monolithic licenses. One license was enough to become a mobile Operator.Today, when we look at the telecoms market, there are many operators that carry out different functions. For example, there are those who provide data (ISP), those who develop mobile towers and antennas which are then shared by different operators. Also, there are those who provide infrastructure and those who provide Voice over IP   (VoIP) on mobile phones and fixed lines.

 

The last criterion of modernity in licenses is linked to the fact that the telecoms sector was created on the basis of concessions run by a third-party so that the latter could bring revenue for the government. This political approach for a long time focused on revenue-making than on the impact the telecoms sector made on the economy. Modern policies will therefore have to measure the impact that each policy will have on the sector and the economy in general. When we look at these three criteria, French-speaking African countries still rely on archaic methods, which do not allow for  the existence of a large number of actors and  they target a  small number of actors that are taxed heavily (Benin, Mali, Senegal, Cameroun, etc). However, we have the total opposite (with an eye on long term benefits) in English-speaking African countries and in Mozambique (in view).These points create two criteria that distinguish the countries.

Following this, we arrive at a certain market structure. In certain countries, you have a market with a small number of actors who are vertically integrated and who do everything. Take for example, Senegal. There are three mobile operators and one internet provider.  In Benin, there are 5 operators. Now take Ghana as another example, there are 5-6 operators and about 20 internet providers and numerous actors who deal with content. In Kenya, there are 13 providers of international capacity and 5 infrastructure providers. Here, the mobile sector is not as competitive, as Safaricom dominates the market (85%) but at least there are many actors who intervene enormously. So, we categorize the countries according to these 3 criteria: 1. Type of controls 2. Market dynamics; and 3. The state of infrastructure

The 4th criterion of the ecosystem is the amount of investors that are present on the market, who create employment and value and those which the African governments have not grasped or encouraged.

 

On the Francophone Marketplaces, what are the methods of payment? What do you think of these new actors?

For a long time, it was said that the classic e-business solutions could not work in Africa because we were lacking some key elements in the African digital ecosystem like payment portals. Now, when we look at the new actors on the market like Rocket International, Jumia, Kaymu, and Kangoo in Nigeria, there are two phenomena that have aided their growth:

First of all, there is the emergence of the growing middle-class in African mega-cities. These people have a standard of living that is quite similar to what you see in Europe or in the United States. They possess credit cards and buy online due to their style of living. Once, this middle class increased; a market was created, in order to duplicate the same style seen in Europe.

That is one of the reasons Jumia, Kaymu, Jovago, etc arrived on the market. They were even innovative enough to cater for the rest of the online population by providing new payment solutions. In fact, we always thought that mobile phones would constitute a useful tool for payment. But today, when we look at these actors, they have bypassed the mobile and are offering the method of payment on delivery. They do not make use of mobile phones as a method of payment.  

This means that the operators have missed a great opportunity. They have all dragged their feet in the provision of an Application Provider Interface (API) to developers. This only has to do with Francophone Africa. Safaricom with its famous tool M-PESA will soon provide an online payment solution. On the other hand, Orange has just announced that it will start testing its Orange Money* API with developers. The same goes for MTN Money. So, I think that the operators have yet to explore this potential growth area of Mobile Money which is a method of online payment. Nevertheless, there are a good amount of users who make use of mobile payments for money transfers and bill payments. It is therefore not surprising that these solutions have arrived with the growing middle-class.

Translated by Onyinyechi Ananaba

Copyright  Google Photos – Will Marlow The real internet – Charles Roffey –The context of the digital society. Interview of Tidjane Deme  on Google’s strategy for  francophone Africa . Interview in September 2015

Key words: Google / Telecoms regulation /digital ecosystem / Marketplaces / Mobile Money

(*)  Interview carried out in September 2015 for a professional thesis on the levers in digital marketing for the promotion of African cultural products– ILV Paris – MBAMCI

 

Genèse des viols de masse en RDC

Cette analyse est le fruit de la lecture du récit de Joseph Mwantuali, tiré de l'histoire vraie de Coco Ramazani, une femme congolaise rescapée du conflit qui ensanglante l'Est de la RDC depuis bientôt 20 ans.
 
 

CocoRamazani4L’universitaire Joseph Mwantuali était en quête de données sur les  violences auxquelles les femmes de l’est de RDC doivent faire face depuis la première rébellion qui a suivi la chute de Mobutu. C'est au détour d’un échange dans une famille congolaise, qu'il fait la connaissance de Coco Ramazani. Réfugiée aux Etats-Unis, cette femme congolaise est porteuse du VIH et elle passe par plusieurs tentatives de suicide. Elle a fui l’Est de la RDC et Mwantuali va progressivement recueillir son témoignage qu'il va d'une main de maestro retranscrire.

Il s’agit donc d’un récit, d’une histoire vraie, un parcours quelque part dans le far east congolais. Avant de présenter ce texte, j’aimerais tout d’abord saluer l’écriture de Joseph Mwantuali. Il réussit la prouesse de proposer un texte maîtrisé, avec une plume d’une extrême qualité, sans fioriture sur le plan du style, totalement au service de la narration de Coco Ramazani. Cet effacement de l’intermédiaire, du porte-voix au service de la victime est remarquable et je tenais à le souligner.

Du point de vue de sa structure, ce texte pourrait être découpé en trois parties : Le contexte familial et social nébuleux dans le contexte qui précède la chute de Mobutu, son vécu au coeur d'un mouvement rebelle (RCD) – La vie après la guerre en exil. Le tout n'est pas forcément chronologique.

La vie avant l'occupation rwandaise et ougandaise

La première partie du récit de Coco Ramazani porte le témoignage de son enfance. Celle d’une enfant a perdu sa mère très tôt. En une quinzaine d’années, c’est plusieurs environnements qu’elle va côtoyer étant parfois soumise à la misère la plus profonde où le système « D » (Débrouillez-vous pour vivre) est insuffisant pour traduire ce contexte hostile. Fille menue, chaque fois que Coco Ramazani débarque chez une de ses sœurs, c'est pour les tâches domestiques, pour prendre soin des rejetons de ses soeurs, elle est la bonne à tout faire en incapacité de partager ses challenges personnels, les premières prédations masculines.

Joseph E. Mwantuali – source Présence Africaine

C'est aussi le propos d’une femme qui exècre profondément son père pour avoir livré sa très large progéniture (22 enfants, pour 5 épouses) à la misère la plus profonde. Un père disparu très tôt dans un accident de circulation. Et une famille paternelle qui laisse la charge des enfants en bas âge aux aîné(e)s tout en s’appropriant tous les biens matériels récupérables du défunt. La légendaire solidarité africaine…

Cette première phase est particulièrement instructive et elle ressemble aux descriptions qu’un Jean Bofane ferait de la vie des petites gens à Kinshasa dans  son fameux roman Mathématiques congolaises. Elle explique aussi certains choix incompréhensibles que fera Coco Ramazani plus tard. Un point dominant de cette période qui se termine avec l’arrivée des troupes Rwandaises à Bukavu, est l’harcèlement sexuel dont elle – adolescente pré-pubère – va faire l’objet par un pasteur évangélique pédophile. La solitude de l’orpheline, les mauvais traitements, une forme de reconnaissance vont enfermer la jeune femme dans cette relation perverse. Les figures masculines sont donc mises à mal à juste titre. Entre le père qui se reproduit à satiété, le frère aîné qui refuse d’assumer l’héritage paternel fait d’une ribambelle de bouches trop nombreuses à nourrir, le pasteur prédateur sexuel, des enseignants qui exercent un droit de cuissage sans vergogne et ni retenue, l’homme décrit tout au long de cette première phase dite pacifiée est déjà en guerre contre la gente féminine…

Une femme dans le mouvement du RCD : le viol comme arme de travail

Le problème que pose ce récit est illustré par la violence organisée au sein même du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie). Nous sommes là, c'est ma lecture, dans la genèse des viols de masse en RDC. Pour rappel, ce mouvement politique qui va connaître deux mouvances, à savoir celle de Goma (pro-rwandaise) et celle de Kisangani (pro-ougandaise) est un produit de la deuxième invasion que va connaître la RDC. Un mouvement politique avec des pantins congolais à sa tête pour servir de caution sinon de couverture à une exploitation des ressources assaillants étrangers qui ne retombent dans la première erreur de partir jusqu’à Kinshasa.

Coco Ramazani, secrétaire, agent administratif, n’a pas de protecteur attitré au sein de ce mouvement qu'elle a intégré après une ou deux années universitaires. A plusieurs reprises, elle fait l’objet de viols par les dirigeants de ce parti qui a la prétention de diriger ce pays. Naturellement, n’importe quel lecteur phallocrate objectera en soulignant "pourquoi reste-t-elle dans le mouvement ?". Et je pense que c’est tout l’intérêt de ce récit que je ne peux dévoiler complètement. Le contexte de la guerre fait que la jeune femme n’a que très peu de marge de manœuvre lorsqu’elle se retrouve à Kisangani, loin de sa famille, sans ressource dans un mouvement qui prend bien soin de ne pas rémunérer ses employés, les livrant à la merci des responsables. Parler de genèse de viol de masse peut paraître excessif, et ce n'est pas le propos de Mwantuali. 

Là où l’ouvrage devient très pertinent, c’est dans le partage de la petite femme de rien du tout. En dehors de subir certaines agressions, elle observe les valeurs de ces « rebelles », ces gros cervaux qui ambitionnent constituer une alternance crédible pour ce pays et qui se prostituent auprès de l’occupant étranger. Des hommes capables pour sauver leur peau lors de l’évacuation de Kisangani – après la destruction du siège de leur mouvement par les Rwandais – d’abandonner une demi-douzaine de femmes congolaises de leur mouvement (dont Coco) dans un camp bourré de soldats ougandais ? Faut-il vous faire un dessin ?

Le viol des femmes en RDC est une image terrifiante de celui de ce pays par ses élites corrompues. De la même manière que les violeurs du RCD Kisangani, selon la narration proposée par Joseph Mwantuali, disposent des femmes comme d’objet à disposition – dans un autre contexte on aurait parlé d’esclaves – ces élites prédatrices se servent pour leur satisfaction personnelle des richesses de ce pays trop doté par la nature. Mais il me semble que le plus douloureux ici, c'est la récurrence du viol. Comme ces femmes, la RDC est dans un rapport constant d'exposition à l'agresseur sans que des mesures de protection ne soient conçues par ses leaders politiques, proposées aux populations, aux femmes avant tout.

 

Au-delà du cas de la RDC, Tu le diras à ma mère de Joseph Mwantuali interpellera chaque lecteur. Si la violence ici décrite est crue et nous retourne l’estomac, elle prend des formes différentes dans d’autres pays comme le Congo voisin par exemple. L’alternance après laquelle chaque nation africaine soupire a le devoir de s’extraire de cette prédation animale qui intègre l’idée vendre père, mère et femme pour satisfaire une soif de pouvoir inextinguible. 

L'exil

Coco, elle, se meurt quelque part dans un exil qui n'est point doré. Marquée à vie par la violence des hommes, se pensant abandonnée par un Dieu qu’elle finit par croire indifférent à ses souffrances puisque c’est dans sa « maison » qu’ont commencé les premières agressions subies par Coco Ramazani, elle tente une reconstruction en Lui parlant, partagée entre raison et folie. L'objectif des violeurs est atteint : briser une femme, détruire un pays pour en abuser encore et encore. Une femme qui résiste malgré tout, ce livre en est la preuve.

Laréus Gangoueus

Tu le diras à ma mère, Joseph Mwantuali (Editions Présence Africaine, 2015) 

Source photo – Editions Présence Africaine

Mongo Beti, le pauvre Christ de Bomba

MongoBeti_PauvreChristdeBombaDans le cadre de sa comédie littéraire intitulée La couleur de l’écrivain déjà chroniquée sur l'Afrique des idées, l’essayiste togolais Sami Tchak propose au lecteur, au détour d’une séquence consacrée au romancier Mongo Beti, de redécouvrir sino
n d’aborder le travail littéraire de l’homme de lettres Camerounais. Si Sami Tchak a une vision très nuancée de l’engagement en littérature – il en parle  d'ailleurs très bien dans cette essai-comédie – il ne manque pas d’interpeler et encourager le lecteur à aller à la rencontre de cet auteur engagé sur le champ littéraire pour lui épargner la mort attendue par ceux qui combattaient son discours pertinent et dérangeant sur la Françafrique en le confinant à la marge : la mort littéraire.

Pour ma part, j’ai pris commande du Pauvre Christ de Bomba. Un ouvrage publié en 1956 aux éditions Robert Laffont réédité depuis aux éditions Présence Africaine. La première réflexion que je me suis faite concerne la jeunesse de l’écrivain au moment de la publication de ce roman. Déjà auteur de Ville cruelle sous le pseudonyme d’Eza Boto, le Camerounais a déjà marqué les esprits. Avec le Pauvre Christ de Bomba, il place le lecteur au cœur d’une mission catholique quelque part dans l‘arrière pays camerounais. Là, il nous donne de suivre le R.S.P, un fervent prêtre d’origine suisse, le père Drummond. Le poste d’observation proposé par Mongo Beti est Denis, un jeune boy sur la mission qui nous narre avec ses yeux d’adolescent le contexte et les faits qui vont conduire au naufrage de cette œuvre missionnaire. Le RSP porte un intérêt particulier pour l’accompagnement des femmes-mères, il est en guerre ouverte contre les pratiques liées à polygamie. L’équilibre semble toutefois stable quand cet homme engageant se décide à faire le tour de la mission en s’orientant chez les Talas, population particulièrement réfractaire à l’Evangile ou au changement imposé par la nouvelle religion.

Cette tournée va durer près d’un mois. Elle va être très riche en enseignement, en surprise. L’approche prise mongo-beti-1par Mongo Beti est particulièrement édifiante et révélatrice de l’empreinte qu’il donnera à ses prises de position. Le roman décrit essentiellement deux choses. La posture du RSP se traduit par le désir de réduire les résistances à la doctrine catholique qu’ils observent chez les Talas. Ces actions sont téméraires pour réduire les « usurpateurs » qui sapent l’amplification de son discours dans son espace de jeu. Mais l’audace de ce religieux européen repose-t-elle sur sa foi en Dieu ou sur le pouvoir colonial qu’incarne sa couleur de peau ? Cette question est exprimée par le père Drummond qui n’est pas dupe et ne se ment pas. D’ailleurs dans des échanges avec le jeune administrateur colonial Vidal, il a conscience que l’église catholique (dans ce contexte) joue finalement un rôle de refuge dans une stratégie du bâton et de la carotte. Les inhumanités des travaux forcées et autres répressions poussent une population fébrile dans les bras de l’église. Dans la description qu’en fait Mongo Beti.

C'est étonnant combien les hommes peuvent avoir soif de Dieu quand la chicote leur strie le dos.

Le pauvre Christ de Bomba, Edition Présence Africaine, page 67

A propos des travaux forcés, les mots du RSP Drummond.

Vois-tu, Zacharie, des Blancs vont maltraiter des Noirs et quand les Noirs se sentiront très malheureux, ils accourront vers moi en disant : "Père, Père, Père…", eux qui jusque-là se seront si peu soucié de moi. Et moi je les baptiserais, je les confesserais, je les intéresserais. Et ce retournement heureux des choses, je le devrais à la méchanceté des Blancs!… Moi aussi je suis un Blanc!…

Le pauvre Christ de Bomba, Edition Présence Africaine, page 189

La critique la plus subtile de Mongo Beti et son argument matraque sont dans l’affirmation que le ver est dans la pomme et que l’évangélisation n’a jamais pris corps dans ce qui constitue à la mission de Bomba. Le dépucelage forcé du jeune narrateur introduit le lecteur au cœur de la dite-corruption du système sensé être par essence vertueux. L’aveuglement du RSP est consternant de ce point de vue pour le lecteur. Je n’irai pas plus loin afin de laisser au lecteur de découvrir un final pour le moins…

Mon avis de lecteur est que Mongo Beti écrit un livre à charge contre le système colonial et l’église catholique. Et même si le livre a le défaut des œuvres de fiction imprégnées par une pensée politique, il est difficile d’ignorer la qualité du traitement des personnages par Mongo Beti. Le lecteur s'attachera autant au passionné et passionnant homme de Dieu et du pouvoir colonial, qu'à son boy, Denis qui nous narre cette histoire. J’avoue que la réflexion qu’offre Chinua Achebe dans Un monde s’effondre est beaucoup plus engageante justement parce que l’auteur Nigérian choisit de se mettre en retrait et ne nous soumet que les faits d'une confrontation intéressante entre missionnaires et les autochtones en pays igbo.. Il n’empêche que Mongo Beti offre là un texte unique, étonnant, drôle, subversif.

Pour la route, un dernier extrait d'un chef de village dont le RSP Drummond vient d'exploser un instrument  de musique, le père catholique ne supportant pas l'idée de ces populations dansant au rythme de cette musique envoûtante…

Je vous en supplie, frères, laissez-moi écraser cette sale vermine sous mon seul pied gauche et vous n'en entendrez plus jamais parler. Qu'est-il venu ficher dans notre pays, je vous le demande? Il crevait de faim dans son pays, il s'amène, nous le nourrissons, nous le gratifions de terres, il se construit de belles maisons avec l'argent que nous lui donnons; et même nous lui prêtons nos femmes pendant trois mois

Le pauvre Christ de Bomba, Edition Présence Africaine, page 94

Lareus Gangoueus

 

Mongo Beti, Le pauvre christ de Bomba, Editions Robert Laffont, 1956 – Réédition Présence Africaine 

Entretien avec Tidjane Deme, Office lead pour Google Afrique francophone – Volet I

ADI : Comment Google accompagne le développement de l’écosystème digital en Afrique? Et surtout pourquoi le fait-il? 

Nous le faisons parce que nous sommes convaincus qu’il faut que se développe dans la région un écosystème internet qui soit à la fois dynamique et très ouvert. C’est-à-dire un internet où chacun est libre de consulter le contenu qu’il veut et de le consommer comme il souhaite sans entrave.  Malgré le développement que l’on observe actuellement avec l’internet mobile, cela reste insuffisant, nous ne remplissons pas tous les critères. Le débit est faible, le taux de pénétration est très faible. Je prends toujours l’exemple de la lecture d'une vidéo haute définition sans se poser de question de quotas ou de faire des pauses pour attendre que ça charge. On ne peut pas tout faire sur internet et cela coûte relativement cher.

Même ceux qui sont sur Internet n’ont pas encore un accès internet haut débit (broadband). Il y a des tendances à faire de l’internet limité qui favorise les sites web les plus populaires. Real Internet Certains fournisseurs d'accès à l'internet (FAI) proposent des packages qui ne donnent accès qu’à certains sites populaires. Par exemple si un entrepreneur quelconque lance un nouveau service, il n’est pas inclus dans le package et il n’est donc pas accessible à tout le monde. D’où notre volonté d’avoir un internet ouvert. Nous essayons donc de faire face à trois aspects :

  • Nous travaillons sur les problématiques d’accès à Internet, c’est-à-dire les problèmes d’infrastructures qui limitent l’accès, les problèmes de coût et les problèmes de politique publique (régulation) qui limitent le développement d’internet ouvert. Le haut débit à notre entendement permet un accès rapide et à tout contenu.
  • Notre deuxième aspect est le contenu. Aujourd’hui, il y a du contenu dans les médias. Mais ce contenu est sous-représenté sur internet.
  • Notre troisième aspect consiste à encourager les entrepreneurs à développer un secteur en croissance

Développement de l'internet en Afrique francophone / Quelle nuance entre les régions dans l’espace francophone ?

Il y a de nombreuses différences constatées en fonction des pays. Je dépasserai le cadre francophone pour aborder la situation de manière plus globale. Il est difficile de faire des généralités car il y a une cinquantaine de pays avec des spécificités et des contextes différents. Nous faisons des regroupements selon des caractéristiques précises. Et nous analysons des critères précis.

Un des premiers critères qui définit l’accès sur internet est l’état de la régulation et de la règlementation des opérateurs de télécommunications dans chaque pays. C’est cet environnement qui détermine souvent l’état du marché. Et sur cela, nous voyons énormément de différences entre l’Afrique de l’Est anglophone et l’Afrique de l’Ouest essentiellement francophone. De manière générale entre les pays francophones et anglophones, l’état de la régulation est très différent. Nous avons des régulations que je dirais très modernes. En effet, comme le secteur évolue très vite, la régulation doit avoir des mécanismes qui s’adaptent à un environnement qui change très vite, mais ce n'est pas encore le cas dans beaucoup de pays. En guise d'exemple, le Sénégal change sa régulation tous les dix ans. Il y a eu un code des télécoms mis en place en 2001 et un nouveau code des télécoms qui à ce jour n’a pas fait l’objet d’un décret d’application. Donc on évolue avec une loi de régulation qui date de 2001 sur un marché qui a beaucoup évolué depuis. La capacité du système de régulation de s’adapter au marché est un facteur de modernité

Un deuxième aspect sur la régulation qui est très important c’est la segmentation des licences. Les régulations très anciennes (il y a 20 ans) étaient basées sur des licences monolithiques. Une seule licence valait Contentpour être opérateur mobile. Aujourd’hui quand on regarde les marchés des télécoms, il y a beaucoup d’opérateurs qui font des choses très différentes. Par exemple il y a des opérateurs qui font de la data (ISP), les acteurs qui développent les tours mobiles, des antennes qui les partagent ensuite aux différents opérateurs. Vous trouverez également des opérateurs qui font les infrastructures, d’autres qui font de la voix sur IP (VoIP) sur le mobile, d’autres sur le fixe.

Un dernier critère de modernité dans les licences est lié au fait que les télécoms ont longtemps été conçus comme des concessions données à un tiers en vue que celui-ci donne des recettes à l’état. L’approche politique s'est longtemps focalisée sur les recettes et non pas sur l’impact du secteur des télécoms sur l’ensemble de l’économie en générale. Une régulation moderne va mesurer l’impact de chacun des actes de régulation sur le secteur des télécoms et sur l’ensemble de l’économie. Quand on regarde ces trois critères, les pays francophones restent sur des approches encore archaïques, pas très flexibles et qui ne permettent pas l’existence d’un grand nombre d’acteurs et ciblent un nombre restreint d’acteurs que l’on taxe très lourdement (Bénin, Mali, Sénégal, Cameroun, etc). Nous avons totalement l’inverse, avec un souci de bénéfices à long terme, en Afrique anglophone ou au Mozambique (en cours de procédure).

Le résultat de tous ces points crée deux critères qui distinguent les pays. Ensuite, c’est la structure du marché qui en résulte. Dans certains pays vous aurez un marché avec très peu d’acteurs qui gèrent, qui sont très intégrés verticalement et qui font tout. Prenons l’exemple du Sénégal, vous avez trois opérateurs mobiles et un FAI. Au Bénin vous avez cinq opérateurs. Prenons maintenant le Ghana : 5-6 opérateurs, une vingtaine de FAI, plusieurs acteurs qui font du contenu. Pour le Kenya, 13 fournisseurs de capacité internationale, 5 fournisseurs d’infrastructures, le secteur du mobile est peu compétitif avec Safaricom qui domine le marché (85%) mais en amont il y a plusieurs acteurs qui agissent énormément. On classe les pays selon ces trois critères : 1. l’état de la régulation, 2. la dynamique du marché et 3. L’état des infrastructures.

Le 4è critère sur l’état de l’écosystème est celui de l’ensemble des investisseurs qui occupent le marché, créent de l’emploi, de la valeur et que les gouvernements des pays Africains n’ont pas appris à appréhender et à encourager.

Sur les Marketplaces en Afrique francophone. Quels sont les moyens de paiement? Comment observez-vous l’arrivée de ces nouveaux acteurs?

On a longtemps dit que les solutions classiques du e-business ne pouvaient pas marcher en Afrique car il y avait des composants manquants dans l’écosystème digital africain comme le paiement. Quand on regarde l’arrivée de nouveaux acteurs comme Rocket International, Jumia, Kaymu, et Kangoo au Nigeria, il y a deux phénomènes qui expliquent leur développement. Tout d’abord, l’émergence d’une classe moyenne qui grandit dans les mégapoles africaines et qui vit de manière très proche de n’importe quelle classe moyenne en Europe ou aux Etats-Unis. Donc des populations qui possèdent des cartes de crédit, qui consomment en ligne par besoin en raison de leur modèle de vie. Quand cette classe moyenne s’épaissit suffisamment, un marché s’est créé pour dupliquer ce qui se passe en Europe. C’est une de ces raisons qui explique l’arrivée de Jumia, Kaymu, Jovago, etc. Ils ont aussi innové pour atteindre le reste de la population internaute par de nouvelles solutions de paiement. On a toujours pensé que le mobile allait être un relais intéressant pour le paiement. Mais aujourd’hui, quand on regarde ces acteurs, ils contournent le mobile en proposant un paiement à la livraison. Ils n’utilisent pas le mobile comme moyen de paiement. Cela veut dire que les opérateurs sont surement entrain loupé un coche.  Ils ont tous tardé à ouvrir leur interface de programmation (API) aux développeurs. Et cela ne concerne pas que l’Afrique francophone. Safaricom avec son outil populaire M-PESA peine à proposer une solution de paiement en ligne. Orange vient seulement d’annoncer qu’ils vont commencer à tester leur API avec des développeurs pour Orange Money*. Idem pour MTN Money. Donc je pense que les opérateurs n’ont pas encore exploré ce réservoir de développement du Mobile Money qu’est le paiement en ligne. Néanmoins, il y a une bonne base d’utilisateurs qui usent du paiement mobile pour les transferts d’argent et le règlement de facture. Ce n’est donc pas surprenant que ces solutions arrivent avec une classe moyenne qui se développe.

Copyright Photos Google – Will Marlow The real internet – Charles Roffey –

Le contexte de la société numérique Africaine. Interview de Tidjane Deme sur la stratégie générale de Google pour l’Afrique francophone. Propos recueillis en septembre 2015

Mots Clés : Google / Régulation des Télécoms / écosystème digital / Marketplaces / Mobile Money

(*) Propos recueillis en septembre 2015 dans le cadre d'une thése professionnelle sur les leviers du marketing digital pour la promotion des produits culturels africains – ILV Paris – MBAMCI

Vol à vif, le roman à paraître de Johary Ravaloson

ADI_Vol a vifQuand commence la lecture du roman Vol à vif de l’écrivain malgache Johary Ravaloson, le lecteur que je suis a du mal à trouver ses repères. On se retrouve embarqué dans une situation particulièrement exotique : l’univers des voleurs de zébus de l’arrière pays malgache. D’ailleurs, on est pris par ce vol à vif, dans lequel l’écrivain nous narre le détail de l’action tout en nous présentant les différents personnages. Les brigands ourdissent leur plan et le mettent à exécution avec une certaine réussite. Ils arrivent même à semer leurs poursuivants dans un premier temps. Naturellement, et c’est tout l’intérêt du roman, un paramètre difficile à anticiper pour ces voleurs va être celui de l’intervention d’un hélicoptère pour permettre aux forces de l’ordre d’améliorer leur traque des voleurs.

Portraits du jeunesse  désoeuvrée

Johary Ravaloson prend le temps de décrire les membres de cette bande de jeunes désoeuvrés. On découvre des personnages marqués pour les plus charismatiques d'entre eux par une forme de nihilisme. N’hésitant pas, par une action d’éclat, à choisir la mort plutôt que l’enfermement… Tibaar, le plus jeune du groupe assiste impuissant à l’exécution de ses compagnons. Par les hauteurs qui surplombent le lieu de l’affrontement, Tibaar s’extrait miraculeusement des griffes des forces de l’ordre, avec l’aide d’un papangue, sorte de milan malgache. La plume de Ravaloson est si sensible, si maîtrisée, si proche de ces jeunes délinquants qu’on se prend d’empathie pour ces personnages froidement abattus par la police. Il y a dans cette première phase du roman, une poétique sur la violence sourde qui, dans cette campagne reculée de Madagascar, fait étrangement écho au texte du guinéen Hakim Ba, Tachetures (Editions Ganndal). Il y a nihilisme. 

Des voleurs de zébus à l'intrigue de succession

Deux histoires se superposent pourtant. Au forfait des Dahalo (voleurs de zébus), Johary Ravaloson oppose une histoire plus ancienne. Celle du bannissement d’un nouveau né au sein du clan des Baar. Sur fond d’intrigue, d’héritages, de manipulation de Markrik, un des tous premiers cadres formés à la sauce occidentale, successeur naturel du chef traditionnel des Baar et qui nourrit de nombreuses ambitions à cheval entre deux mondes. Le nouveau né étant selon les oracles de ce clan porteur de malédictions mais aussi un prétendant à la succession, Markrik qui est en même temps le père de l’enfant, veut à tout prix la mort de l’enfant.

Quand j’ai dit tout cela, je n’ai rien dit. Car, tout l’art de Johary Ravaloson  est dans la construction de son histoire, dans les rapprochements de ces séquences de narration qui au début de la lecture  peut faire penser à des nouvelles totalement indépendantes. Quel lien peut-il y avoir entre ces jeunes voleurs de zébus et les intrigues de palais de Markrik? Il faut le lire.

Des mondes qui s'effondrent encore…

J’aimerais souligner les nombreux points forts de ce roman. La première force de ce roman réside dans la spiritualité qui sous-tend le propos de Johary Ravaloson. Un des personnages au centre de ce roman est un prêtre Baar dont la prise de parole ou la réflexion explique l’empreinte spirituelle de ce roman. Un ancrage dans le culte des Ancêtres, dans l’animisme sous tend le propos de l’auteur malgache. Cet ancrage se traduit aussi par une description minutieuse et profonde des us et coutumes baar avec des points de notre point de vue actuel ne manqueront pas d’interpeler le lecteur. Comme le fait que les enjeux communautaires priment sur la vie d’un nourrisson qu’on est prêt à livrer à des fourmis dévoreuses. Ce qui d’une certaine manière n’est pas sans me rappeler le propos de Chinua Achebe où les igbos pour les mêmes raisons allaient abandonner des bébés jumeaux dans le bois sacré à la merci des bêtes sauvages, pour l’intérêt du clan.

Johary RavalosonJohary Ravaloson fait toucher au lecteur le poids de certains choix communautaires, le prix du bannissement et de l’exclusion mais aussi l’émergence d’une singularité, de l’individualisme. C’est une détermination à malgré tout être en quête de l’amour et du regard favorable des autres. Des interrogations de la fatalité, son sens. La figure de Tibaar va donc très intéressante à suivre. Ce roman est tellement riche. J’aborderais deux autres points :

L’écriture est totalement au service des personnages. Elle est poétique et je l’imagine portant la langue des Baar (si ce groupe ethnique n’est pas une fiction), la philosophie de ce peuple. Elle porte avec la même exigence chaque phase du roman.

Le travail d’orfèvre de Ravaloson s’exprime aussi dans la conclusion du roman et dans les perspectives extrêmement ouvertes qu’il propose à ses personnages avec une interaction entre le mythique et le temporel. 

Que dire d’autres? Beaucoup. Mais je suis sur un blog régi par des règles de publications. Donc, je vous prierai de vous faire une idée et de parler de ce roman autour de vous. Un texte qui sera publié aux éditions réunionaises  Dodo vole.


Johary Ravaloson, Vol à vif
Editions Dodo vole, à paraître en février 2016

Source photo – Vents d'ailleurs

Une nouvelle génération de cinéastes francophones pour prendre la parole? 

Pape_SeckAlors que l'Afrique des idées continue sa réflexion sur le cinéma africain, ses initiatives nouvelles, ses réussites et ses lacunes, il nous semble pertinent de donner la parole à de nouveaux jeunes cinéastes Africains. Lauréat de plusieurs prix internationaux pour son court métrage  Sagar, le sénégalais Pape Seck fait partie de cette nouvelle génération et il répond à nos questions.

Bonjour Pape Seck, vous êtes un jeuneréalisateur sénégalais, formé à l’école du cinéma de Marrakech, start-uper et vous appartenez à un nouveau courant du cinéma africain francophone. Mais le mieux serait que vous vous présentiez vous-même, n’est-ce pas?

Pape Seck :

Bonjour et merci beaucoup de la belle opportunité que vous m’offrez à, travers cette vitrine, de pouvoir échanger avec vous et avec nos chers amis internautes.

Je m'appelle Pape Abdoulaye SECK, jeune réalisateur sénégalais, comme vous dites, diplômé de l’Ecole Supérieure des Arts Visuels de Marrakech (Esav Marrakech). Je suis également « start-uper », fondateur de Doli’Motion Film et co-fondateur de Nabisso, un projet en innovation numérique.

Pour ce qui est du nouveau courant du cinéma africain francophone, je fais effectivement parti de ces jeunes qui essaient de bien orienter le boom de l’audiovisuel et du cinéma en Afrique, facilité par le numérique.

Vous avez réalisé un premier film qui a été primé dans certains festivals. Pouvez-vous nous parler de ce film, du sujet et des moyens avec lesquels vous avez pu le réaliser?

Pape Seck :

En effet j’ai écrit et réalisé le court métrage « Sagar », dans le cadre de mon travail de fin d’étude à l’Esav Marrakech en 2014. Le film a connu sa première consécration au FESPACO 2015, en remportant le prix du meilleur film fiction des écoles.

 

« Sagar » est un drame intime tourné dans les limites de la folie. L'échec chronique à l'enfantement rend une jeune mère mentalement dérangée au point de se fabriquer un bébé en tissu qu'elle essaie de protéger contre tout et tout le monde, sous le regard impuissant de son mari, partagé entre son amour pour sa femme et sa dignité d'homme qui importe à sa mère.

 

Sagar est très connu comme nom dans la société sénégalaise. Mais il signifie avant tout "chiffon". Et les deux significations ont chacune une histoire dans le film.

 

A la base, le nom Sagar est issu de nos us et coutume "Ceedo" et s'alligne dans la même catégorie que les noms "Kenbougoul" (personne n’en veut), "Yadikone", "Yakha Mbootu", etc. Ces noms servaient, suite à des rituelles, de sauver la vie de l'enfant en gestation, dont la mère peinait à avoir d'enfant, ou à les avoir vivant. Et c'est dans ce premier sens que film trouve son inspiration dans ce titre de "Sagar". Par ailleurs, le protagoniste du film utilise une pagne tissé qui métaphorise le "Sagar" (chiffon), en guise de bébé. Et donc j'ai beaucoup travaillé dans les ambigüités dans ce film. 

 

J’ai essayé d'explorer la question de l'attachement dans cette histoire. C’est l’attachement du protagoniste principal à l’inexistant (le faux bébé). Mais c’est également l’attachement du mari à sa femme et celui de la belle mère, à la dignité de son fils et celle de sa famille. J’ai fait recourt à la folie pour arriver à cerner cette question d'attachement au néant.

 

Le film a été tourné en 3 jours sur Marrakech, alors que l’histoire dans le film se déroule au Sénégal. Nous avons été, dés le départ, limité par plein de paramètres dont les décors extérieurs et les possibilités en terme de casting et autres. Mais à quelque chose malheur est bon. 

 

Les contraintes nous ont poussés, mon équipe et moi, à beaucoup réfléchir, creuser et échanger avec dextérité pour réussir le challenge du film que nous nous étions lancé.

 

Pourquoi faire des films quand vous savez que les canaux de distribution classique du cinéma ont échoué, que les salles de cinéma ont fermé depuis des années et que la plupart des films francophones ne sont vus que par des festivaliers à Ouagadougou ou en Occident?

Pape Seck :

Votre question me donne envie de vous en poser une : Pourquoi écrire des livres quand les gens ne lisent quasiment plus ?

 

Je pense que nous faisons un métier qui n’est pas forcément conditionné par le marché. Je ne vais pas vous mentir en vous disant que je ne cherche pas à vivre de mon “art”, mais ce n’est pas ce qui me motive. Je pense que, tout comme les productions littéraires, quand on fait un film, on laisse un héritage à la postérité. Et donc pour répondre à la question du “pourquoi faire des film…” c’est tout simplement parce que nous avons un regard sur notre temps que nous cristallisons à travers nos histoires, nos films, qui sont des témoins très puissants de notre époque.

 

Aujourd'hui, fréquenter les salles de cinéma n'est plus inscrit dans nos habitudes d'Africain à cause de la disparition de ces derniers dans nos pays. Mais nous sommes très télé et internet, surtout notre génération. Donc je pense que le problème est encore gérable. Il est important que les politiques suivent et que des conventions soient signées avec toutes les chaines de télévisions qui ont le potentiel de se positionner en  numéro 1 des partenaires et distributeurs du cinéma de nos pays.

 

En dehors de ça, avec des amis basés sur Paris, Djeydi Djigo, son frère Alpha et Jérome Arouna, nous travaillons sur un concept d'application et de plateforme web pour la diffusion exclusive du cinéma africain, à l'image de netflix… Affaire à suivre.

 

Juste pour dire que nous avons encore un grand potentiel pour proposer de meilleurs canaux de distribution et de diffusion plus efficaces et mieux adaptés à notre époque.

On constate, mais peut-être me démentirez-vous, que le cinéma d’Afrique francophone est une institution assistée par les fonds européens et que cela se ressent dans le contenu et certaines thématiques des films. Qu’en pensez-vous et comment vous situez-vous par rapport à cette réalité?

Pape Seck :

Personnellement, je suis conscient de la difficulté de faire un film de qualité, avec toute la logistique, les coûts et les compétences que cela implique. Donc, c’est très aisément que l’on comprenne que les cinémas d’Afrique francophone soient ainsi assistés par les fonds européens et autres – à préciser qu’ils y trouvent également leur intérêt vu que, souvent dans les conventions signées, leurs techniciens sont engagés dans les projets.

 

Mais cela reste un grand problème dans la mesure où, la liberté d’expression idéologique et artistique du réalisateur est menacée par des obligations de révision et réaménagement de certains aspects de ses propos sur des questions politiques, économiques et/ou sociales. D’où la nécessité de trouver les moyens de s’autonomiser. La question du financement du cinéma est très politique. Mais encore, faut-il qu’en Afrique, nos dirigeants comprennent les enjeux et la puissance de ce média. JEAN-MICHEL FRODON disait dans son livre « La projection Nationale – Cinéma et nation » : " Pas de nation sans cinéma. Pas de cinéma sans nation. Il existe une affinité de nature entre cinéma et nation, qui repose sur un mécanisme commun, qui les constitue l’un et l’autre : la projection. C’est en se projetant, en offrant une image reconnaissable et désirable, que s’institue la nation comme « forme » supérieure à l’existence d’un territoire et d’un Etat. » Donc avec le cinéma, il nous est possible de forger les individus ou le type d’individu que nous aimerions avoir pour nos sociétés. En cela, le valeureux Thomas Sankara disait, « un peuple qui t’impose son cinéma, éduque tes enfants, que tu le veuilles ou non. » Il avait bien compris.

 

Cette année, dans le cadre du fond pour la promotion du cinéma et de la production, le Sénégal a fait le pas en investissant un milliard de nos francs dans la production cinématographique. Il est important que cette dynamique se multiplie un peu partout en Afrique francophone, ne serait-ce que pour lancer le mouvement. Car, je reste convaincu que, si la machine de nos productions se met en marche, avec un marcher africain de notre industrie cinématographique bien maitrisé, plus rien ne nous arrêtera.

 

Toujours à propos du cinéma du continent africain, Nollywood se développe et de plus en plus avec des films ambitieux, tout en ayant un véritable contact populaire au Nigeria  et une exportation vers l’extérieur de leur cinématographie. Quels ponts existent-ils entre les jeunes réalisateurs et techniciens francophones et l’industrie du cinéma nigérian? Est-ce que les barrières nationales sont si étanches que cela?

Pape Seck :

À ce jour, je n’ai pas eu écho de collaboration de grande ampleur entre Nollywood et les cinémas d’Afrique francophone en terme de production. Mais j’ai espoir que nous arrivions à cela avec cette belle et nouvelle dynamique de partage et d’échange qui s’est instaurée au sein de la jeune génération de cinéastes africains.

 

Aujourd’hui, avec le numérique et les facilité de communication, nous discutons de plus en plus entre jeunes cinéastes et un véritable horizon de coopération se dessine entre nous, au delà des barrières nationales.

 

Par ailleurs, de manière plus large en terme de collaboration entre réalisateurs africains, la dynamique a été lancée depuis l'époque de Sembène. Il est à noter qu'à cette époque, les réalisateurs de  cinéma africain n'étaient pas aussi nombreux qu’aujourd’hui… Sembéne a d'ailleurs manifesté l'importance de ces rapports de collaboration dans son dernier film "Moladé" qu'il a tourné au Burkina Faso et dans lequel ont travaillé des sénégalais, des ivoiriens, des burkinabés. En tant que jeune héritier de ce grand homme, et ayant bien saisi ce dernier message fort de sens, dans sa dernière réalisation, je me suis naturellement inscrit dans cette même dynamique. Et c'est avec une très grande joie que je me suis rendu compte que la plus part des jeunes réalisateurs africains sont dans cette même logique.

Nollywood a mis en place des plateformes de streaming qui permettent d’étendre son aura et d’impacter un public de la diaspora. Un modèle économique intéressant. Comment vous situez-vous, en tant que francophone dans ce contexte?

Pape Seck :

Lors de la précédente édition du sommet de la francophonie à Liège (Belgique), nous présentions, avec mes 3 collaborateurs que j’ai cités en début de cet entretien, notre application et plateforme web Nabisso, spécialement dédié à la diffusion en streaming et VOD de films africains. Nous y travaillions depuis déjà 2 ans et nous en sommes en phase de finalisation pour son opérationnalité qui est pour bientôt. 

De manière générale, pouvez-vous nous parler de l’impact de la révolution numérique sur le cinéma africain en termes de création, de diffusion, de renouvellement du public et de marketing?

Pape Seck :

Le numérique donne un grand souffle à la production cinématographique africaine. Je pense que si nos cinémas (d'Afrique) tendent de plus en plus vers une certaine indépendance, c'est grâce au numérique. Il nous a facilité l'accès par rapport à beaucoup de chose, non pas simplement dans le domaine du cinéma. Aujourd'hui, toutes les grosses logistiques dont on avait besoin pour faire un film, nous sont dispensées grâce au numérique.

 

Ceci dit, j'aime souvent tirer la sonnette d'alarme sur la question de la qualité et de la profondeur dans notre travail. Il ne faut pas que nous nous laissions nous rendre paresseux par autant de facilité. Aussi avancée que sera la technologie, sophistiquées, les machines, ils ne feront jamais tout à notre place. La réflexion, c'est nous qui la menons. Donc l'exigence de qualité et de profondeur nous incombe.

 

Nous assistons à une floraison de séries africaines bien diffusé dans les chaines de télés et sur internet, dont l’audience après du publique africain est très appréciable. Qu’importe la qualité de ces séries. Ce qui suscite beaucoup d’espoir en ce qui concerne le future de cinéma africain, auprès de son publique. Et c’est assez réconfortant je trouve.

Dans Sagar,  traitez vous l'incapacité à faire le deuil d'une mère ou la stérilité dans un couple ? Pourquoi avoir voulu traiter l'un de ces deux sujets ?

Pape Seck :

« Sagar » traite bien de la stérilité dans une société où l’enfant est capital pour la survie d’un ménage. C’est une valeur qui assure une certaine stabilité dans le couple. Mais en même temps, il n’est pas donné à tout le monde d’en avoir. Et je voyais autour de moi la souffrance de ces personnes, ces femmes qui peinaient à donner de la progéniture à leurs belles familles et qui au final étaient plus des coupables que des victimes. Nous n’avons pas trop cette culture d’essayer de nous mettre à la place de ces gens pour comprendre leur souffrance au lieu de les juger avec autant de gratuité.

 

Sur cette question du jugement, il me fallait impérativement ne pas tomber dedans dans ma manière de caractériser mes personnages. Il me fallait donner à chacun d’eux des motivations qui nous font comprendre qu’au final, nous sommes tous des humains et que, ce qui cause tous nos problèmes réside peut-être dans notre incompréhension des uns et des autres.

Dans cette histoire, j’ai également essayé d’explorer la notion de l’attachement, mais surtout, à l’attachement au néant. Le mari

s’attache à sa femme malgré sa folie, la belle mère s’attache à la dignité de sa famille et le personnage principal en question s’attache à ce néant, ce bébé inexistant que j’ai essayé de faire vivre avec le son, pour raconter l’histoire que se raconte ce personnage dans sa bulle. Et donc avec  la folie, je suis arrivé à cerner cette question d’attachement au néant.

Merci pour votre disponibilité.

Pape Seck :

C’est moi qui vous remercie pour votre amabilité et pour l’intérêt que vous portez à mon travail et à ma modeste personne. 

Propos recueillis par Lareus Gangoueus pour l'Afrique des idées

 

 

La violence, creuset de la plume d’Hakim Bah

Tachetures1 est une série de six nouvelles plus ou moins courtes. L’auteur, Hakim Bah, nous transporte dans chacune de ces nouvelles en Guinée Conakry. Il y traite de sujets assez attendus quand on plonge en littérature africaine : La violence sourde, son impact, la métamorphose qu’elle engendre sur ses victimes et la question du vivre ensemble. Il est important de souligner que lorsqu’on a dit cela, un bémol est à poser tout de suite. Tachetures est transposable dans n’importe quelle société de notre planète et je pense que c’est l’une des forces du livre. Cette violence  a, dans son expression, une forme d’absurdité. Après la lecture. Au moment où je vous écris. Car, quoi de plus absurde, lors de la répression d’une manifestation de lycéens ou d’étudiants guinéens par les hommes de main du pouvoir en place, de voir le désir naissant d’une relation amoureuse volé en éclats par le fait d’une balle qui pourrait être perdue ou visée? Pourquoi l’espoir qui se forme sous les pavés est-il anéanti si brutalement? Cette première nouvelle dont je vous ai parlé de manière détournée pour ne pas trop vous en dire, donne le ton de ce recueil. Il en définit un acteur central : la jeunesse. On me dira, la jeunesse guinéenne. Mais, j’ai le sentiment que ce livre dépasse largement le cadre de la Guinée. A l’explosion du partenaire accidentel de combat, la folie ou la déshumanisation de l’individu semble être une des voies de garage. Implacablement, le système répressif rattrape ses brebis égarées pour les remettre au pas.

Hakim Bah, écrivainCette nouvelle renvoie à des manifestations importantes en Guinée. Plus, on avance dans le texte, plus les viols se succèdent. Ils prennent des formes différentes et ne prenez pas au premier degré, ce que je dis. Mais pour faire simple, comme si cela est possible quand on fait de la recension, tout écart aussi minime soit-il est violemment, sinon cruellement sanctionné. Les dominants, les adultes usent de leur puissance pour assujettir, réprimer, briser toute forme d’originalité, de beauté dans l’individu. Une des nouvelles m’a d’ailleurs rappelé « I », une magnifique texte de la comorienne Touhfat Mouhtare publié dans le recueil Ames suspendues (éditions Coelacanthe, 2012). Le texte d’Hakim Bah fait écho à celui de sa consoeur comorienne. Ils sont écrits avec la même émotion, le même sentiment d’impuissance. Ils diffèrent sur les conséquences. Là encore la désorientation, l’incapacité à assumer un acte subi s’expriment sous le portrait brossé d'une jeune guinéenne par Hakim Bah.

Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un dispositif littéraire voulu pour accentuer l’impact de la violence subie. Mais, ce sont principalement des femmes qui subissent les coups, les gifles, les viols. Que cette violence soit l’expression de l’institution politique, l’institution familiale ou l’institution du mariage. Elle se traduit aussi dans un impossible dialogue qui ne permet pas de saisir le propos de la victime. Tachetures, la dernière nouvelle, est de ce point de vue terrifiante. L’absurdité y atteint un tel niveau d’intensité que le lecteur pourrait se déconnecter si le processus narratif de la nouvelle n’avait pas été aussi rondement mené. La qualité de la plume tient en laisse le lecteur et la justesse du propos ne fait qu’asseoir la crédibilité d’une scène : une mère qui livre sa fille à peine pubère à la nuit guinéenne. Un dernier mot portera sur une nouvelle qui traite de l’albinisme, du rejet et encore une fois de la violence physique qui s’abat sur les albinos pour des raisons obscures.

Hakim Bah réussit en très peu de mots a faire parler cette jeunesse africaine. Quand on réalise que la moitié de la population africaine a moins de 20 ans, une attention particulière doit être apportée à cette prise de parole. Hakim Bah, 27 ans, est également dramaturge. Si sa plume doit encore gagner en puissance, il a déjà la maîtrise de la mise en scène de son propos. Comment sortir de ce cycle de violence est la question qui se pose à chaque lecteur et plus largement aux africains de ma génération et de celle de mes parents qui sont aux manettes du pouvoir et qui dévoient, oppressent cette jeunesse. Mais, là, c’est moi qui parle, et non Hakim Bah.

Le livre dont je vous ai parlé est court, mais il est particulièrement dense dans son propos. Je vous le recommande.

Laréus Gangoueus

1. Tachetures, recueil de nouvelles (éditions Ganndal, Conakry Guinée, 2015) / Photo Hakim Bah – source RFI

Ode to an Independent and Popular African Cinema

Although I am not an expert in African cinema, I follow with great interest, the films screened in movie theatres in France, and more specifically in and around Paris. Joseph Gaye Ramaka’s Carmen, Djo Tunda Wa Munga’s Viva Riva, Dany Kouyaté’s Sia Yatabaré, or his le rêve de Python and Bamako and Timbuktu, 2 incredible adventures written by Abderahmane Sissako. These story-lines are often well constructed, with good visuals and sound.

Cinema and literature are similar, in that they are cultural tools that can serve to deconstruct or reinforce a certain image of Africa and of Africans. Without going into technical, philosophical or aesthetical details, I have come to the conclusion that these "African movies", often financed by European funds, do not target the African audience (with the exception of Sissako's Timbuktu). For the best part, they serve only to promote a neo-colonial discourse or propagate false African stereotypes, which only serve to reassure the public who pays to watch them.

I know that my opinion is quite extreme. However, I am not the first person to think like this.  Boubacar Boris Diop, the acclaimed Senegalese essayist and novelist talks about it in his first short story, La petite vieille  of his collection La nuit de l’Imoko published by Mémoires d’encrier. In this piece, the rebellious and marginalized African intellectual expressed his views on this biased film-making industry that is controlled by other forces. His revolutionary opinions were harshly repressed. Boubacar Boris Diop's mainly denounces the France-Africa system that is calling all the shots.

 

The Nollywood Week Festival in Paris inspired me to write this article. I think that I have finally understood the difference between a funded movie industry and an independent one. On learning the importance of quality as expressed by a seasoned observer, the actor and producer, Jimmy Jean-Louis, something came to mind. There is something special about the Nigerian movie industry. It is the story of lions beginning to tell their stories to other lions leaving the disillusioned hunter at the edge of the forest. Strangely, this is reflected in the reactions of the audience, mainly of African descent. They can relate to what is been narrated, what is being shown.

 

Great laughs were inspired by the drama-comedy, set in London, Gone too far by Destiny Ekaragha. Sobbing and sighing could be heard during the movie, Dry by Stephanie Okéréké-Linus, which told of the sad fate of Halima. What can we say about the investigations of Inspector Waziri? Here, we could see from the brilliant, subjective and controversial point of view of Kunle Afolayan, the director of October 1. Kunle Afolayan is a Nigerian that gives us insight into a tragedy borne at the independence of his nation. The end of the story gives the spectator a view of the complexities and the challenges that a multi-cultural nation faces as she is forced to take her destiny in her hands. She has to do this by bearing the scars of the invisible abuse, inflicted on her in unexpected ways by the colonist.

 

I could talk about other movies that I saw, but my aim is to tell you that I discovered the real essence of an independent movie industry. It’s fascinating; the content is different. It is crucial for Africa to tell her own story. So why am I not surprised that these really good movies aren't in competition at FESPACO in Ouagadougou? Can we really say that Dry or October 1 are not up to standard for the competition?

October-1-World-Premiere-28-September-2014-AlabamaU2-02

Let's be honest, I do not know how the judges select the films for these festivals but I think that Boubacar Boris Diop’s reasoning is not far from the truth…this reasoning that one must pay allegiance to the funding party. Therefore, I think that any cohabitation of the latter and the independent Nigerian producers will not make any sense; it would be like finding a worm in your apple …

 

The strength of an independent movie industry is measured by the freedom of speech given to the creators, script writers and directors. Also, in one way or the other this measurement also applies to the literary world. The fact that certain African authors write for a western audience is a loss and a denial of responsibility. The consumer makes the artist. The consumer is the one who accepts to take a look at the produced work and it is left to him to judge if such an investment is worthwhile. Nollywood has found its true audience by producing movies that relate to them.

The economic power of this industry lies in a very large and loyal clientele and not in a small elite group that only looks down from its pedestal on the endogenous productions. The model is quite unstable as it does not rely on a network of movie theaters. However, this is not the subject of our discussion.

 

We should feel great pride that Nigerian or Ghanaian directors could be sponsored through independent means, government funding programs or foreign institutions especially western ones. This is therefore an ode to this movie industry, even though it can produce only one good film per year …

 

Translated by Onyinyechi Ananaba