Tribunes
Evoquant son métier de critique littéraire, le journaliste et écrivain français Patrick Besson eut cette formule à la fois géniale et scandaleuse : « quand je lis la presse littéraire, j'ai l'impression d'être le curé d'une église dans laquelle un tas d'idiots viendraient manger des chips. » A un degré forcément inférieur, je retrouve, ah… le même agacement, un étonnement de nature semblable : quand je lis des articles traitant de l’Afrique contemporaine, j’ai l’impression d’être le seul mec avec du popcorn dans un cinéma où une bande d'illuminés viendrait prier.
Prenez cette affaire malienne, par exemple. Un an qu’on présente cette crise comme une calamité qui se serait abattue sur une démocratie exemplaire, pacifique et désarmée. C’en est devenu presqu’un nouveau catéchisme. Tout est faux, évidemment, dans cette démonstration. Les populations maliennes, au plus dur de la crise, ont purement et simplement abandonné tout instinct démocratique et applaudi l’instauration d’une dictature militaire. L’armée malienne, sous-formée mais plus ou moins bien dotée n’a pas attendu la rébellion pour céder à la trahison et à l’argent. La classe politique malienne, quant à elle, s’avère incapable de soutenir le gouvernement de transition, tout comme elle s’était révélée incapable de soutenir le régime démocratiquement élu d’Amadou Toumani Touré. En cinquante ans, les institutions politiques maliennes ont échoué à apporter le quart d'un début de réponse cohérente aux très anciennes revendications des Touaregs.
Et encore, les troupes de la CEDEAO qui doivent intervenir pour (il est interdit de rire) "rétablir la démocratie", seront composées essentiellement de soldats n’ayant jamais obéi à un commandement civil. Si un consensus existe aujourd’hui sur la nécessité d’intervenir, personne n’a aucune idée du moment à partir duquel la mission sera considérée comme « accomplie. » Personne n’arrive à expliquer comment la Mauritanie et le Niger sont arrivés à assurer la sécurité de leur territoire quand les forces armées maliennes n’y songeaient même plus et imploraient les Américains d'installer le siège de l'Africom dans le sahel malien. Personne ne sait exactement à quoi joue Blaise Compaoré qui aura soutenu aussi bien Toumani Touré que les putschistes, autant que l’intervention de la CEDEAO. Personne ne fait confiance au parlement malien, encore moins au gouvernement. Personne ne reconnaît la moindre espèce d’autorité à Cheikh Modibo Diarra, premier ministre fantoche. Personne ne veut penser aux réactions des populations de la CEDEAO lorsque les premiers cercueils reviendront de Gao. Personne ne sait comment réagiront les populations maliennes quand les premières victimes collatérales rempliront les fosses communes. Personne ne sait qui dirige les nombreuses milices qui poussent comme champignon dans le centre du pays.
De l'autre côté, tout le monde sait que la question Touareg devra être réglée – de préférence sans exterminer tous les Touaregs. Tout le monde sait qu’il faudra négocier, c'est-à-dire accorder une espèce d’autonomie territoriale au MNLA. Le plus probable est un scénario à la Kurde, avec une nouvelle constitution malienne qui reconnaisse la spécificité de l’Azawad et laisse aux Touaregs le contrôle de la sécurité, de l’éducation et de la culture sur plus ou moins un tiers du territoire – avec une administration locale aux couleurs locales et un certain pouvoir administratif. Tout le monde sait que l’armée malienne devra combattre aux côtés du MNLA. Et tout le monde sait que des agents secrets (mettons formateurs militaires pour faire plaisir au souverainistes) des pays de l’OTAN devront être sur le terrain. De la même façon, tout le monde sait qu’il faudra trouver une ambassade au capitaine Sanogo. Ah et tout le monde sait que c’est parti pour cinq ans, au moins – parce que des forces de maintien de l’ordre devront rester sur place.
Dans l’espèce d’impatience et l’excitation qui entourent le premier vote du conseil de sécurité de l’ONU exigeant de la CEDEAO, un plan détaillé d’intervention, on retrouve la même irrationalité qui avait suivi la profanation des monuments funéraires de Tombouctou. Des soldats ghanéens, ivoiriens, burkinabés et sénégalais seront expédiés dans un territoire inconnu et hostile, affronter des combattants qui n’ont aucunement agressé leur propre pays, au sein d’une population pas particulièrement amène ni attachée à la démocratie – dans le cas des Ivoiriens, ils devront coopérer avec l’armée malienne qui il y a dix ans formait ceux qui bientôt allaient mettre la Côte d’Ivoire à feu et à sang. J’insiste sur ce point depuis quelques semaines maintenant, parce que c’est essentiel : toute intervention militaire au Mali se fera moitié par altruisme, moitié parce que quand la barbe de ton voisin brûle… ; ce n’est nullement un renvoi d’ascenseur, quite the contrary.
Qu'on le reconnaisse simplement, il est hors de question que les forces de la CEDEAO interviennent dans le sahel malien pour restaurer l'instable et irresponsable statu-quo de 2011. Il faut bien évidemment bouter Ansar El Dine hors d'Afrique Occidentale. Mais ce n'est là que le début. Il faudra ensuite reconstruire la démocratie malienne. Et cela risque de prendre plus de temps, coûter plus cher, causer plus de pertes civiles et exiger un soutien sans faille des populations et des instances politiques maliennes. Soutien qu'il serait fou d'imaginer gagné d'avance.
Joël Té-Léssia
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Bonjour M. Joël Té-Léssia,
Merci pour cette chronique. Vraiment intéressant ce que vous dîtes.
PS : j'ai remarqué deux coquilles
Joel Te Lessia : Merci pour votre commentaire, l’article a été mis à jour pour tenir compte des coquilles indiquées.
Très bonne réflexion, cher Joel. C'est toujours un plaisir de te lire.
J'ai une remarque toutefois. Est-ce que la question touaregue dans la configuration actuelle est toujours d'actualité? Il me semblait que le MNLA n'avait plus la maitrise de la situation en Azawad…
Bonsoir LaRéus,
La situation militaire du MNLA a certainement changé. Le contexte politique un peu moins. Il faudra trouver une solution à la question Touareg. Vu que le MNLA a encore des armes et des soldats, qu'il est aussi exposé aux dérives et attaques des Islamistes et que ses membres connaissent plus ou moins bien le territoire, il serait utile de les rallier à la coalition de la CEDEAO.