GAZA : Quête d’une Ambassade pour une humanité d’une égale dignité

Par Thierry Amougou, économiste, professeur à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), membre de IACCHOS (Institut d’Analyse du Changement dans l’Histoire et les Sociétés Contemporaines)

Le 02 février 2024, au moment où je commence ce texte, la guerre menée par Israël contre le Hamas a déjà fait 27.019 morts et 66.139 blessés Palestiniens. L’horreur quotidienne est donc le plat du jour, qu’à leurs sens défendant, dégustent les yeux du monde devant le bombardement cathodique du petit écran. Les âmes sensibles « zappent » ou se couvrent les yeux quand les journaux télévisés invitent dans l’intimité des familles les nouvelles atrocités de ce champ de bataille. D’autres, plus affectés pour de multiples raisons, se contentent des pleurs muets et des larmes sèches de leurs esprits. Comme une grenade, mon cœur écarlate n’a aucune sympathie pour les explosions qui réduisent en miettes hommes, femmes, enfants et bébés pour la passion du bruit assourdissant et du fatras derrière soi après la déflagration. Comment échapper aux balles et à leurs sinistres sifflements ? Comment éviter le règne de la vie en miettes ? Comment résister au béton qui passe de la forme bâtiment à la forme gravas ? Comment crier plus fort que des canons en rut ? Comment dire la vie plus haut qu’un char qui crache le feu de la mort de toute sa machinerie et de toute sa technologie ? Je n’ai pas de réponses pertinentes, alors j’écris. J’écris parce que mon cœur, ma grenade organique bat encore, et que, dans une complicité intime avec mon cerveau, elle cherche un refuge salvifique vers mes multiples références intellectuelles. Elle espère y trouver une Ambassade, une terre d’accueil pour une humanité d’une égale dignité. Je pense que nous en sommes très loin dans ce conflit. Nous en sommes à mille lieues dans ce monde où une telle humanité fait face au sens interdit et au cul de sac lorsqu’elle cherche sa route, lorsqu’elle scrute sa destination. Sommes-nous sortis de la civilisation ? Barbarie et civilisation ne font-ils qu’un désormais ?

Les lignes qui suivent sont une réflexion intime d’un universitaire sur le conflit israélo-palestinien et sa résurgence prégnante depuis quelques mois après l’attaque terroriste du Hamas sur Israël. Elles montrent comment ce conflit traverse mon corps, mon esprit, mes références intellectuelles et interroge ma personne et le monde. Elles montrent comment mon travail d’enseignant est impacté et mettent en lumière la foultitude de questions qui m’envahit. Peut-on penser une Ambassade pour une humanité d’une égale dignité ? Qu’est-ce qui fonde la différence entre civilisation et barbarie en suivant Sigmund Freud, Norbert Elias et Friedrich Hegel ? Peut-on parler de barbares modernes ? Qu’apprendre de Nelson Mandela, des philosophes Fabien Eboussi Boualaga et John Duwey ? Voilà quelques-unes des interrogations auxquelles j’essaie de répondre.

  • Requiem pour l’humanité : À quel penseur m’accrocher ?

La première référence que mon cœur oriente vers mes méninges est « Malaise dans la Civilisation »[1] de Sigmund Freud. Dans cet ouvrage, le célèbre psychanalyste défend l’idée qu’en ce qui concerne « la vie psychique, la conservation du passé est plutôt la règle qu’une étrange exception… » Cette thèse freudienne me frappe véritablement comme un gourdin. Elle rend encore plus évidente ce que je perçois, c’est-à-dire, un véritable déraillement civilisationnel…

Je me rends compte qu’autant Vladimir Poutine a déclenché sa guerre contre l’Ukraine au motif de lutter contre les « Nazis » qui ferraient subir un génocide aux Ukrainiens Russophones, autant l’Etat juif qui a pour mémoire fondatrice un génocide subi par les siens du faits de vrais Nazis, écrase la Bande de Gaza au point où de nombreux intellectuels comme George Yancy, Michel Moushabeck, Didier Fassin et Judith Butler parlent de génocide et de l’exclusion des Palestiniens du statut de personne par Israël et les Etats-Unis[2]. Le « Malaise dans la Civilisation » dont parle Freud prend ici au moins trois formes que je décline de façon interrogative. N’est-ce pas la conservation psychique du triste passé des Juifs qui s’opérationnalise chez Vladimir Poutine lorsque qu’il avance comme alibi pour faire la guerre à l’Ukraine les « Nazis » et le « génocide » ? N’est-ce pas parce que Poutine sait très bien ce que « Nazis » et « génocide » évoquent dans l’imaginaire collectif mondial et notamment occidental, qu’il les mobilise pour légitimer son occupation de l’Ukraine ? N’est-ce pas la même loi freudienne de conservation psychique de la violence et de son imaginaire qui permit de faire le lien entre l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 et l’holocauste en considérant que cette attaque est le plus grand massacre de Juifs en une journée depuis la Shoah ?  Le « Malaise dans la Civilisation » ne traduit-il pas au XXIè siècle le fait qu’alors que Friedrich Hegel exalte « La Raison dans l’Histoire »[3] dans son cours de 1830, les actions et les réactions violentes des acteurs dans les sociétés modernes usent plus de la loi de conservation psychique de la violence pour définir leurs comportements que de la fonction civilisatrice de la raison ?

Friedrich Hegel est donc la seconde direction vers laquelle mon cœur guide mon cerveau. Il espère y trouver une valeur refuge, un concept consolateur… Tout de suite, mon corps tressaillit d’espoir car la raison c’est le graal du mode moderne. C’est le maître mot de Hegel dans son ouvrage de philosophie de l’histoire. C’est le principe opérationnel qui, d’après ce philosophe, mène les peuples et le monde, malgré la force motrice des passions dans les grandes réalisations humaines. L’Homme étant un animal raisonnable, il y a une intervention, même inconsciente, de la raison dans tous ses actes. Dès lors, l’Histoire étant l’Histoire de l’Homme, celle-ci est mue par une sorte de raison universelle qui mène le monde vers la liberté et le droit dont l’Etat est à la fois l’aboutissement et l’acteur pilote…

Ma joie corporelle et intellectuelle est cependant de très courte durée. Inquisiteur, mon cerveau revient à la charge pour questionner le relâchement de mon constat de déraillement civilisationnel du monde. Aussitôt des contradictions fusent…

Si nous suivons Hegel alors la raison comme instance d’aide au discernement et à la décision est omniprésente dans la Shoah (génocide des Juifs par le troisième Reich) en 1945, dans la Nakba (dépossession multiforme, notamment foncière et violente des Palestiniens par les Juifs) depuis 1948, dans l’attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et dans l’écrasement de la Bande Gaza par Tsahal en guise de riposte. Es-tu convaincu par cette conséquence de la dialectique hégelienne ? me demande mon cerveau. Penses-tu vraiment que la Shoah, la Nakba, l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et l’éradication de la Bande de Gaza de la carte par Tsahal soient des formes cachées mais agissantes d’une raison qui, en sous-main, mène cette partie du monde vers le droit, la liberté et le bien-être ? Comment sortir de la barbarie via la raison hegelienne si la raison est au fondement du mal de masse et si ladite raison tue au point de toujours repousser à demain les résultats positifs de son action positive dans l’Histoire ? À quand le règne de la liberté et du droit si des Etats (exemple de la Russie en Ukraine et d’Israël à Gaza) censés incarner l’aboutissement et la mise en scène de la civilisation ne respectent pas le droit international et font de la guerre le moyen de garantir leur liberté au détriment de celle des autres ? À quand la terre promise pour les Palestiniens ? À quand, dans une histoire sous l’égide d’une raison qui alimente la destruction comme la nuée porte l’orage, la liberté et la paix pour les Juifs ? Faut-il attendre que la Raison-Dieu, celle qu’exalte Hegel, agisse en son temps avec la violence comme prix à payer ? Ne faut-il pas que les Hommes qui font l’Histoire choisissent dès maintenant des actions non- violentes comme le fit Gandhi ?

  • Des barbares modernes…

N’avons-nous jamais été rien d’autre que des barbares les uns pour les autres depuis les rapports intertribaux des sociétés anciennes aux rapports interétatiques actuels ? Le droit, l’Etat et leurs idéologies ne sont-ils, comme le pensait déjà Karl Marx, que des superstructures protectrices de la classe dominante et illusionnistes d’un changement des fondements violents des rapports sociaux ? Cette autre série de questions fait venir Thomas Hobbes et Fernand Braudel à la rescousse de mes tourments face au conflit Israélo-palestinien.

Je me demande en effet à quel stade se trouve la raison dans l’Histoire quand, au XXIè siècle, le meurtre de l’autre demeure, pour de nombreux acteurs étatiques et non étatiques, la condition de rester en vie. C’est ainsi que raisonne le Hamas par rapport à Israël dont il vise la destruction. C’est mêmement ainsi que raisonne l’extrême droite israélienne par rapport à la Palestine et au Hamas. Dans une telle configuration hobbesienne, « la solution finale », c’est-à-dire celle qui me sauve de la mort et me donne le droit à la vie devient inévitablement le meurtre de mon semblable dont la continuité de la vie dépend aussi du droit qu’il a d’ôter la mienne[4]. C’est cette logique du meurtre et de la crémation réciproques qui dicte les comportements dans le conflit historique entre Israël et la Palestine. Les extrêmes des deux côtés, en refusant le droit à la vie d’autrui différent d’eux, témoignent du fait que le monde moderne n’est pas encore sorti du stade barbare de l’Homme loup pour lui-même. Je pense donc qu’on peut parler de barbares modernes comme d’un produit civilisationnel de la Raison dans l’histoire. Ce qui se passe en Ukraine et à Gaza constitue le renouvèlement de la preuve que dans l’histoire longue, la violence paroxystique, c’est-à-dire la guerre totale, est plus la règle que l’exception dans la recherche de solutions aux problèmes des Hommes et des sociétés. Dès lors, Freud et Hegel ne peuvent plus être d’accord car les barbares modernes qui s’expriment en Ukraine et à Gaza contredisent la conception freudienne de la civilisation comme « la totalité des œuvres et des organisations dont l’institution nous éloigne de l’état animal de nos ancêtres et qui servent notamment la réglementation des relations des Hommes entre eux. »[5]

  • …Aux génies de surface

Au regard, d’une part, du soutien de l’Occident, notamment des Etats-Unis, à la guerre totale à Gaza et, d’autre part, de l’élan du cœur pour la Palestine et les Palestiniens du Sud global, je pense que le monde se trouve dans une lutte des classes feutrée à travers deux Internationales qui existent de façon symbolique sans avoir été organisées institutionnellement au préalable. D’un côté, l’Internationale des Etats dominants en lutte contre le terrorisme et pour la conservation de l’ordre mondial actuel. De l’autre, l’Internationale des laissés-pour-compte qui, conscients d’être des dominés au même titre que les Palestiniens, sont empathiques par rapport à la Bande de Gaza. Cette dernière rappelle à la fois l’ancien statut de colonie de nombreux pays du Sud global et leur actuel statut de pays sans voix au sein des instances internationales de décision. Les statuts asymétriques de ces deux Internationales dans le système international d’Etats les oppose dans l’appréciation du conflit et le rôle des acteurs impliqués. Pour les peuples dominés ayant connu la colonisation et les violences qui s’ensuivent, le Hamas est « un mouvement de résistance » du peuple palestinien et Israël un Etat colonisateur qui ne respectent pas le droit international à l’instar de tous les Etats forts jadis colonisateurs. Les Etats du Nord, obligatoirement conservateurs d’un ordre du monde qui leur est favorable, misent plus sur le caractère terroriste du Hamas et le droit d’Israël à se défendre.

Je note aussi, alors que l’Internationale des Etats dominants joue toujours son rôle de chef d’orchestre mondial, que des fausses notes apparaissent en son sein via ses populations subalternes qui, en soutien aux Palestiniens, dénoncent la politique de la mort intra-muros et de la vengeance sans limites. Tout se passe comme si, sans se concerter, ces subalternes du Nord et du Sud global sont convaincus que c’est l’absence d’une justice pour tous qui est le fond du problème entre Israël et la Palestine. Ce problème est que, l’Etat d’Israël qui a le droit d’exister, souffre d’une infirmité morale, celle de se construire via un processus à la fois de dépossession des Palestiniens de leur terre et de non-respect du droit international.

Cela étant, les décideurs du monde ne sont-ils ceux que Fernand Braudel appelait ironiquement et de façon métaphorique des génies de surface ? Oui, cet éminent historien de l’école des Annales avait pour méthode d’analyse la longue durée nécessaire à la généalogie des phénomènes à travers la recherche des nappes profondes d’histoire lente permettant d’isoler la totalité historique comme une infrastructure explicative d’ensemble[6]. Force est de constater, comme le critiquait Fernand Braudel, que les décideurs et les instances de même nature s’activent sur ce qui fait le plus de bruit et brille. C’est-à-dire à la fois l’histoire événementielle (attaque terroriste du Hamas, expédition punitive de Tsahal) et l’histoire conjoncturelle (la guerre endémique entre Israël et la Palestine). Ils ne sortent pas de ces histoires supérieures et superficielles pour s’attaquer à la lame de fond qu’est l’injustice structurelle des rapports entre l’Etat juif et les Palestiniens. C’est cette injustice structurelle qui commande les conjonctures et les évènements sur lesquels les acteurs décideurs, que dis-je, les génies de surface s’activent. Conséquence, le problème reste intact, sans réponse et la même injustice historique reproduit d’année en année les mêmes conjonctures et les mêmes évènements meurtriers. Tant que le monde décideur restera à la surface des choses, il continuera d’assassiner des tombereaux de vies humaines innocentes. Chose, je le pense, qu’on ne peut éviter qu’en cessant d’être des génies de surfaces pour devenir des adeptes du décryptage des structures de l’injustice historique. C’est la seule posture analytique où on peut entendre la dictée d’un monde ancien dont l’injustice gouverne toujours le présent.

  •  La mort des pauvres, des pauvres morts : restes muets de la politique ?

Les pauvres innocents morts en Israël à cause de l’attaque terroriste du Hamas et les pauvres Palestiniens qui sont écrasés dans la Bande Gaza ne sont-ils pas ceux que Michel Foucault[7] refusait de considérer comme des restes muets de la politique ? Ne sont-ils pas finalement ceux que les Etats forts et les gladiateurs des deux côtés considèrent comme tels en se débarrassant ainsi de leur responsabilité dans qui arrivent aux Hommes d’os et de chair ? Je pense, contrairement à ce que souhaitait Foucault, que ces tombereaux de cadavres sont effectivement devenus des restes muets de la politique, celle du Hamas du côté palestinien et celle de Benjamin Netanyahu du côté israélien. Ces deux extrêmes et leurs organisations sont dans une violence cyclique à travers une série d’attaques et des contre-attaques récurrentes depuis plusieurs années au point de faire oublier que c’est leur extrémisme et l’immobilisme de la communauté internationale qui assassinent à la fois les Israéliens et les Palestiniens. Ceux-ci sont pris dans ce tourbillon de violence rivalitaire parce que mimétique comme le pensait René Girard[8]. Une violence rivalitaire qui aboutit à une normalisation de l’état permanent de guerre au service d’une négation réciproque du droit des autres à un Etat.

Outre cela, je pense qu’il y a même des restes muets de la politique encore plus muets que d’autres. La récente escalade dans la Bande de Gaza le montre car les plus ou moins 1000 victimes juives du Hamas ont été plus décriées et commentées par les médias et les Etats occidentaux que les désormais plus de 27.000 Palestiniens tombés à ce jour sous les bombes de Tsahal. Cette distribution inégale des émotions et de l’indignation n’est pas surprenante dans la mesure où la règle n’est pas que toute vie perdue est un drame, mais que certaines vies perdues sont des drames et d’autres pas. Le niveau d’émotion et d’indignation dépend moins de la profondeur et de l’intensité du mal infligés à tout Homme que du statut, de la couleur et de la religion des victimes dudit mal. La preuve, des Africains se noient dans la méditerranée par milliers depuis plusieurs années à cause des politiques migratoires xénophobes sans que cela n’émeuve le monde autrement que via quelques brèves des journaux télévisés. Les massacres à l’Est de la RDC existent depuis plus de trente ans sans aucune initiative internationale pour y mettre fin parce que les massacres des pauvres sont normaux. Ils font déjà partie des normalités étranges du monde moderne.

Ce n’est donc pas une histoire récente mais ancienne que les restes des populations pauvres soient des restes muets de la politique. Ce n’est pas une surprise que la colonisation qui semble le maître mot de plusieurs dirigeants israéliens de ces dernières années, aboutissent au massacre des Palestiniens car on sait qu’historiquement, la colonisation et le massacre des populations indigènes vont toujours de pair. La colonisation espagnole du nouveau monde a son lot de massacres de populations autochtones, autant que les colonisations allemande et française en Afrique. Concernant la France, Daniel Schneidermann[9] montre que ces massacres débutent avec la consolidation de l’empire colonial français alors qu’Yves Benot[10] met en lumière qu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la IVème République fut autrice des massacres de Sétif (mai-juin 1945) à Madagascar (1947), d’Haiphong (1946) au Vietnam, de Côte-d’Ivoire (1949-1950), de Casablanca au Maroc (1947) et du Cameroun (1955-1972) où l’armée française a éliminé des dizaines de milliers d’hommes et de femmes dont le seul tort était de revendiquer pour plus de libertés ou pour l’indépendance.

Pour moi, la banalisation du mal dont parle Hannah Arendt[11] ne se limite plus, dans sa version contemporaine, au caractère ordinaire du bourreau, un individu de tous les jours mais auteur d’actes monstrueux. Je pense que le monde moderne connaît une anesthésie du devoir moral devant le mal absolu, le mal non naturel et encore plus lorsqu’il frappe les plus pauvres. Je le pense parce qu’en dehors des populations, et hormis les actions de l’Afrique du Sud, les mobilisations des grandes puissances sont faibles, mieux leur vie quotidienne continue comme si de rien n’était alors que des hommes, des femmes et des enfants innocents tombent par milliers. On massacre sur terre et les décideurs regardent ailleurs… C’est le sentiment que j’ai de ce manque d’intranquillité et de cette anesthésie du monde moderne par rapport au mal non naturel. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » le disait l’ancien président français Jacques Chirac pour fustiger l’immobilisme des décideurs face au réchauffement climatique. La phrase est valable pour ce qui se passe à Gaza car cette bande de terre et sa tragédie sont les miroirs de l’autodafé de notre propre humanité.

  • Amphithéâtres : la guerre verbale contre l’Occident a bien eu lieu

Mes étudiants ne vivent pas sur mars. Ils ont droit à la parole, une parole pour discuter des problèmes qui baignent leur vie quotidienne. Aussi j’ai passé la parole à mes étudiants pendant trente minutes tant lors du début de la guerre russo-ukrainienne, qu’au début de l’offensive israélienne dans la Bande de Gaza. Ma pédagogie est simple. Je donne la parole à qui souhaite la prendre pour exprimer ce qu’il pense du conflit. Je n’interviens en tant que professeur que pour réguler les prises de parole dans un débat uniquement entre les étudiants. Ce n’est que lorsque les prises de paroles et les débats inter et intra étudiants ont cessé que j’interviens sur base de ce que les uns et les autres auront développé. Ces débats ont donné lieu à une évidence :

En dehors des étudiants qui ne disent rien mais qui doivent certainement en penser beaucoup, ceux qui parlent sont majoritairement contre l’Occident dans la Guerre en Ukraine alors que c’est la Russie l’agresseur et l’Occident celui qui sanctionne l’agresseur. Il en est ainsi parce que les étudiants ont de la mémoire et pensent que ce que fait Vladimir Poutine en Ukraine est une habitude des Occidentaux à travers le monde sans que personne ne les sanctionne. J’ai été marqué par le fait que mes étudiants ne condamnent pas catégoriquement l’agression de l’Ukraine par la Russie mais mettent dos à dos Poutine et les pays occidentaux au motif qu’ils font tous la même chose. Mon intervention a consisté à signaler que ce n’est pas parce qu’une action négative devient une habitude de tous à travers le monde qu’elle cesse d’être une action négative. Mes étudiants ont en effet tendance à dire que puisque les Américains attaquent parfois certains pays sans respect du droit international, alors le fait d’attaquer un pays n’est plus condamnable. Il se passe ici un affaiblissement du droit international à travers ce sentiment de mes étudiants potentiels dirigeants de demain. D’où le malaise dans la civilisation dont je parle à la suite de Sigmund Freud. Les règles deviennent ce que nous en faisons…

S’agissant de l’actuelle phase du conflit entre Israël et la Palestine après l’attaque terroriste du Hamas, je me suis retrouvé face à un paradoxe. Au lieu que les étudiants ne condamnent pas Israël comme ils l’ont fait pour la Russie dans l’agression de l’Ukraine par Poutine, la majeure partie des interventions a plutôt été contre l’Etat juif alors qu’il avait été agressé par le Hamas. Là, les étudiants m’ont démontré qu’ils maîtrisent la source du problème et que dans cette source, d’après eux, c’était encore l’Occident le fautif en soutenant Israël contre les Palestiniens depuis toujours sans daigner résoudre la question de fond. Le triomphe des lumières à travers le monde est-il en train de rencontrer une résistance ou une réfutation dans le milieu estudiantin ? Je me suis posé cette question dans la mesure où l’Occident est condamné par mes étudiants par contumace tant dans la guerre de la Russie en Ukraine que dans la guerre entre Israël et le Hamas. Si mes étudiants voient l’Occident dans des conflits où il n’est pas partie prenante directement, alors ils sont conscients que c’est l’Occident, en tant qu’entité dominante du système-monde, qui a toute la responsabilité dans l’état actuel de ces conflits. Les mêmes étudiants assimilent Israël à l’Occident. Le sentiment d’injustice envers les Palestiniens qu’ils manifestent me semble plus large dans leurs rangs que la défense de l’Etat juif.

  • De la souffrance et de la victime suprêmes dans le conflit Israël/Palestine :  Quid d’une Ambassade pour une Humanité d’une égale dignité ?

Pour moi, une Ambassade pour une Humanité d’une égale dignité est un lieu infranational, national ou international où les Hommes sont libres et égaux en droits et devoirs de telle façon que les Droits de l’Homme soient les mêmes pour tous. C’est une terre promise des Droits de l’Homme et de leur concrétisation pour tous les Hommes. Ma quête intime et intellectuelle d’un tel lieu, ne peut échapper à la religion comme prisme de lecture du conflit israélo-palestinien pour au moins quatre raisons. Premièrement, je suis issu d’une famille chrétienne si pratiquante que ma grand-mère paternelle qui n’avait jamais été à l’école pensait que Jérusalem était au ciel et pas sur terre. Deuxièmement, le conflit israélo-palestinien est enrobé et imbibé tous azimuts de religion. Le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam se marchent en fait sur les pieds dans cet espace géoculturel où les extrêmes politiques les transforment parfois en messianismes politiques détonants. Benjamin Netanyahu n’a-t-il pas une approche messianique du sionisme au point où il réfute le terme colonisation pour celui d’occupation de la terre biblique d’Israël ? Le Hamas n’a-t-il pas de l’Etat d’Israël l’image de Babylone, c’est-à-dire de l’ennemi à abattre que fut Rome pour les Juifs dans le récit biblique ? Babylone est effectivement dans l’histoire du christianisme une autorité satanique et démoniaque qu’il faut détruire parce qu’elle a utilisé son pouvoir politique et économique pour corrompre le monde, le coloniser. Troisièmement, puisque je parle de civilisation, je ne peux échapper aux religions qui, ainsi que l’enseigne André Malraux, sont les noyaux durs de toute civilisation : « La nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion. »[12] Sigmund Freud partage cette idée en affirmant que « Nous ne pouvons imaginer de traits plus caractéristiques de la civilisation…d’indice culturel plus sûr que le rôle conducteur attribué aux idées dans la vie des hommes. Parmi ces idées, les systèmes religieux occupent le rang le plus élevé dans le système des valeurs »[13].

Il est cependant indiscutable qu’aucune des trois religions monothéistes sus-évoquées n’a été et ne peut être de nos jours le fondement d’une Ambassade pour une humanité d’une égale dignité. Le conflit israélo-palestinien en est la preuve en ce sens qu’en promettant la paix et le bien-être à leurs peuples, ceux-ci récoltent l’insécurité permanente comme résultat concret de deux messianismes concurrents. La raison du plus fort restant toujours la meilleure comme le disait Jean de La Fontaine, la violence censée être domestiquée et absorbée par le Christ crucifié en tant que victime expiatoire de la violence rivalitaire entre les Hommes, revient sur les faibles et les pauvres [14]. Je dois donc me tourner vers autre chose car John Duwey[15] nous met en garde contre les religions et les grandes valeurs morales universelles sans ancrages ni sur les réalités concrètes et encore moins sur les connaissances rationnelles des sciences sociales. Pour lui, les voies par lesquelles la conduite humaine est susceptible d’un progrès moral suppose de s’appuyer sur une description aussi objective que possible de ses éléments constitutifs, les habitudes, les impulsions et l’intelligence sachant que ces éléments sont engagés dans une négociation permanente avec les conditions sociales, économiques, culturelles qui composent leurs environnements. Dans ce cas, le monde aura toujours un retard par rapport au progrès moral pouvant le conduire vers une Ambassade pour une égale dignité. En fait, les enseignements que donnent par exemple la sociologie de Norbert Elias[16] à travers la civilisation des mœurs sont toujours, expériences sociales obligent, ex-post par rapport à une période où des crimes ont déjà été commis. Ce que dit John Duwey ne peut donc aider que si une fois les expériences violentes connues et leurs enseignements tirés par les sciences sociales, nous devenions non seulement des « Hommes qui s’empêchent » certaines choses comme le recommandait Albert Camus[17], mais aussi des Hommes qui remplacent la raison du plus fort et la liberté de leurs pulsions violentes par une organisation harmonieuse du vivre ensemble : « Le développement de la civilisation impose des restrictions, et la justice exige que ces restrictions ne soient épargnées à personne »[18]. C’est ce qu’a compris Nelson Mandela en mettant en place la commission vérité et réconciliation. Mandela qui fut considéré comme un terroriste par de nombreux régimes occidentaux a opéré une mutation qui montre que c’est moins la violence et la force qui construisent la stabilité et la sécurité que la justice au sens d’organisation de la vie en partage. La commission vérité et réconciliation a effectivement été le moment où Nelson Mandela qui pensait rendre justices aux Noirs, aux Indiens et aux Métisses Sud-Africains via l’exclusion des Sud-Africains blancs du pays, a montré que la sécurité, la paix et la stabilité réelles s’obtiennent en considérant l’ennemi d’hier moins comme une tête à couper que comme quelqu’un avec lequel on peut cheminer et bâtir l’avenir. « Je suis parce que nous sommes » décline « Ubuntu », la philosophie bantoue qui ne conçoit la vie et l’existence qu’en partage. En devenir adepte nécessite donc, ainsi que nous le recommande le philosophe Africain Fabien Eboussi Boulaga, un apprentissage à devenir humain car cela, chez le primate qu’est l’Homme, est un avènement improbable qui exige une série d’interdits, de renoncements et de devoirs.

Ainsi, nous ne devrions plus, après les horreurs qu’a connues et que connait le monde, penser le vivre ensemble harmonieux en cherchant comment faire passer l’autre de vie à trépas même si cet autre est notre ennemi. Nous devons le faire suivant un principe suivant lequel l’expérience des évènements passés étudiés par les sciences sociales enseigne que c’est le renoncement de tous et de chacun à certaines choses qui garantit la vie en partage. Mais le monde contemporain a une approche anthropophage et autophage du vivre ensemble. Nous cherchons plus le formatage du monde à notre image que sa transformation à l’image de tout le monde. Autant de choses qui nous éloignent d’une Ambassade pour une humanité d’une égale dignité. Existent-ils des crimes tels que si vous en avez été victimes vous deveniez incritiquable et détenteur d’un droit d’infliger des violences atroces à d’autres Hommes ? Y a-t-il un crime tel que si vous critiquez les agissements des descendants de ceux qui l’ont subi vous deveniez automatiquement tant adepte de l’idéologie qui les fit souffrir que conspirateur des pratiques criminelles de cette idéologie ? Y’a-t-il des victimes et des souffrances au-dessus de toutes les autres victimes et souffrances ? La réponse à ces trois questions est positive dans le conflit israélo-palestinien. Cet état de chose nous éloigne d’une Ambassade pour une Humanité d’une égale dignité. Un lieu où tous les Hommes sont libres et égaux en droits et devoirs, un endroit où il prévaudrait une inviolabilité des Droits de l’Homme.

Thierry Amougou est économiste, professeur à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), membre de IACCHOS (Institut d’Analyse du Changement dans l’Histoire et les Sociétés Contemporaines). Thierry.amougou@uclouvain.be


[1] Sigmund Freud, 1978, Malaise dans la Civilisation, Paris, Presse Universitaire de France, page 37.

[2] Judith Butler, 2023, « Les palestiniens ne sont pas considérés comme des personnes par Israël et les Etats-Unis », Par George Yancy, Truthout, 31 octobre 2023 ; Michel Moushabeck, 2023, « Un génocide est encours à Gaza. Les dirigeants américains ne peuvent plus dire : Nous ne savions pas », Truthout, 26 octobre 2023 ; Didier Fassin, 2023, « Le spectre d’un génocide à Gaza », AOC.

[3] Friedrich Hegel, 2012, La Raison dans l’Histoire, Paris, Univers Poche.

[4] Alexandre Escudier, 2009, « Temporalisation et modernité politique : penser avec Koselleck », Annale. Histoire, Sciences Sociales, pp.1269-1301.

[5] Sigmund Freud, 1978, op. cit. page 37.

[6] Fernand Braudel, 1958, « Histoire et science sociales : la Longe durée », Annales, pp.725-753.

[7] Michel Foucault, 1984, « Face aux gouvernements, les droits de l’homme », Libération, n°967, 30 juin-1er juillet 1984, p.22.

[8] René Girard, 2011, La violence et la sacré, Paris, Fayard. 

[9] Daniel Schneidermann, 2023, Cinq têtes coupées. Massacres coloniaux : Enquête sur la fabrication de l’oubli, Paris, Seuil.

[10] Yves Benot, 2005, Massacres coloniaux. 1944-1950 : La IVè République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, La Découverte.

[11] Hannah Arendt, 2012, L’humaine condition, Paris, Gallimard.

[12] André Malraux : « Note sur l’Islam », 3 juin 1956.

[13] Sigmund Freud, Sigmund Freud, 1978, op. cit. page 42.

[14] René Girard, 2011, op.cit.

[15] John Duwey, 2023, Nature humaine et conduite. Introduction à la psychologie sociale, Paris, Gallimard.

[16] Norbert Elias, 1994, La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy.

[17] Albert Camus, 1994, Le premier Homme, Paris, Gallimard.

[18] Sigmund Freud, Sigmund Freud, 1978, op. cit.            

[19] Fabien Eboussi Boulaga, De la philosophie africaine, You Tube, consulté le 17/11/2023.

La philosophie en contexte gabonais : Quels enjeux éducatifs et politiques ?

Par Christian Dior MOULOUNGUI, Philosophe, Enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon), cdmouloungui@gmail.com

 Résumé

 « À l’école de la démocratie, les États africains ont la triste réputation d’être de mauvais élèves »[1]. Si nous validons cette assertion, alors la question fondamentale est celle du « pourquoi ». Le Professeur Pierre Nzinzi répond à cette question en ces termes : « est-il possible de réaliser les principes démocratiques dans les formes des peuples et des États tant qu’il existe un défi d’éducation ? Plus simplement, jusqu’où peut aller l’expérimentation démocratique dans la société faiblement éduquée ? »[2]Cet article souscrit à ce présupposé, qui considère que l’éducation est la condition de possibilité d’établissement des sociétés démocratiques. Éduquer, c’est enraciner un esprit dans un milieu donné et l’ouvrir au monde. Mais dans le cadre des États africains, en général, et du Gabon, en particulier, quel rôle doit jouer la philosophie pour aider, en contexte d’apprentissage, à la participation citoyenne[3] et faire en sorte que celle-ci soit un facteur de démocratie durable ? Du point de vue philosophique, nous montrerons que l’éducation aide  à la formation d’un jugement autonome, qui consiste pour le citoyen à se questionner à la fois sur l’état d’éveil des consciences, sur les rapports sociaux, sur la légitimité des institutions et sur le modèle des élites.

Mots-clés : Philosophie, citoyen, Afrique, Gabon, démocratie, éducation.

Abstract

At the school of democracy, African states have the sad reputation of being bad students”. If we validate this assertion, then the fundamental question is “why”. Professor Pierre Nzinzi answers this question in these terms: “is it possible to realize democratic principles in the forms of peoples and States as long as there is an educational challenge? More simply, how far can democratic experimentation go in a poorly educated society? » This article subscribes to this presupposition, which considers that education is the condition for the possibility of establishing democratic societies. To educate is to root a mind in a given environment and open it to the world. But in the context of African States, in general, and Gabon, in particular, what role should philosophy play in helping, in a learning context, to citizen participation and ensuring that this is a factor of democracy? Sustainable? From a philosophical point of view, we will show that education helps in the formation of an autonomous judgment, which consists for the citizen in questioning both the state of awakening of conscience, on social relations, on the legitimacy of institutions and on the model of elites.

Keywords: Philosophy, citizen, Africa, Gabon, democracy, education.

Introduction

 Cet article trouve son ancrage dans notre communication faite à l’occasion de la Journée Mondiale de la Philosophie[4] célébrée à l’Université Omar Bongo[5] de Libreville sur le thème : « La Philosophie en situation. Le contexte gabonais à l’épreuve », le 18 novembre 2023. Partant de là, nous avons examiné l’interrogation suivante : « La philosophie en contexte gabonais : Quels enjeux éducatifs et politiques ? ». En effet, si nous admettons que la philosophie est sagesse et donc la meilleure manière de vivre, alors l’acte même d’éduquer constitue la praxis du philosophe. Il existe ainsi une relation consubstantielle entre la philosophie et l’éducation. A ce titre, John Dewey pense qu’il y a « une relation intime et vitale entre le besoin de philosopher et la nécessité d’éduquer »[6]. Dans l’histoire de la philosophie, la question relative à l’éducation reste d’actualité, surtout à l’ère de l’effondrement des principes moraux, sociétaux et démocratiques. Dans ces conditions, la question relative à l’éducation a un impact dans l’organisation politique. Cependant, dans le cadre des États africains, en général, et du Gabon, en particulier, quelle est l’implication de la philosophie à la formation citoyenne considérée comme un élément participatif à une organisation politique fiable, équitable et juste ? Du point de vue philosophique, l’éducation, en posant les fondements d’un esprit libre et indépendant de l’individu, façonne le citoyen autonome, le rend responsable de ses actes, respectueux des droits humains, capable de s’approprier des valeurs de justice, de la transparence politique, et donc valorisant une société démocratique. Ainsi, philosophiquement, dans cet article, nous montrerons d’abord que c’est à travers l’éducation que le citoyen gabonais aura la possibilité d’être formé à un jugement autonome, qui lui donnerait effectivement la capacité à se questionner à la fois sur l’état d’éveil des consciences et sur les rapports sociaux(1). Ensuite, nous nous interrogerons sur la légitimité des institutions(2). De plus, nous discuterons du modèle de l’élite intellectuelle(3). Enfin, nous aborderons les perspectives philosophiques de l’éducation à la politique(4).

1. L’éveil des consciences et les rapports sociaux

Philosophiquement, l’éducation renvoie à la formation du citoyen[7] à l’esprit autonome, en tant que sujet pensant et capable de se questionner sur le fondement d’une organisation démocratique fiable. Et grâce à sa capacité à raisonner, et à ses aptitudes à répondre aux défis de l’existence. Car : La philosophie est d’une grande utilité dans la société, « sa contribution à la formation de citoyens responsables, par la culture et le développement de l’esprit critique la rend indispensable […] »[8]. En contexte africain, en général, et gabonais en particulier, nous pensons qu’elle aiderait le citoyen à être responsable, meilleur, libre, conscient, et donc à manifester l’esprit critique et indépendant. Il s’agit d’un citoyen autonome et maître de lui-même dans les faits, dans chaque geste et dans chaque décision politique. D’après Landry Ndounou, dans Education, citoyenneté, démocratie au Gabon, l’école, nécessairement républicaine, permet d’éveiller les consciences critiques, suscite la vigilance concertée et délibérative au sujet des fondements et autres supposés qui structurent l’État[9]. Sans l’autonomie et la liberté, le citoyen serait en même temps dans l’incapacité de se questionner, de comprendre la nécessité de valoriser le bien général et à participer à la bonne organisation politique de l’État gabonais. Dans L’autonomie comme enjeu de l’éducation scolaire. Le regard des philosophes, le citoyen « ne peut rien ordonner comme moyens en vue d’une fin et il est donc incapable de lier ses activités pour les tendre vers un but unique général. Cette incapacité est le signe premier du manque d’autonomie ou de liberté. Et le problème est que la majorité des citoyens souffrent en réalité de ce manque d’autonomie »[10].

 Il faut noter que l’éducation doit être non seulement  un vecteur de formation et de transformation du citoyen gabonais aux bonnes mœurs publiques, mais également essentiel pour l’appréhension des valeurs cléricales susceptibles de promouvoir le développement politique, économique et social du Gabon. Issaka Yameogo affirme : « L’éducation doit être le levier du développement politique, social et économique de l’Afrique. Une éducation qui ne conduit pas au développement manque fondamentalement à sa mission »[11]. C’est à ce titre que Joseph Ki-Zerbo, pense qu’il faut « faire du développement une grande affaire d’éducation, et de l’éducation, une vaste entreprise de développement »[12]. En d’autres termes, « Conformément à sa vision du développement qualitatif déjà décrite, il plaide pour une éducation capable de prendre en compte la valeur économique des liens sociaux et à même d’évaluer la pertinence sociale de l’accumulation des biens matériels »[13].

 Dans ce cas, l’éducation est un véritable moteur qui doit permettre aux citoyens gabonais de comprendre la nécessité de valoriser les rapports sociaux et moraux. Le citoyen valorise « la solidarité, le patriotisme, le civisme et la loyauté à l’égard des institutions et de la Constitution qui les sous-tendent »[14], estime Landry Ndounou. C’est pourquoi, la philosophie défend les valeurs qui concourent à la paix dans le monde, à savoir : la démocratie, les droits de l’homme, l’égalité et la justice. A cet effet, il faut éduquer le citoyen gabonais à ces valeurs, notamment à celle de la démocratie. Autrement dit, « forger une formation culturelle des citoyens à la démocratie »[15], Dans la même perspective, Léon Matanguila,  pense que :

Tant qu’une éducation, vectrice des valeurs des libertés, du respect de nos différences, promotrice des droits de l’homme et de la vie, de l’égalité pour tous, ne sera pas intégrée dans nos divers programmes de formation primaires, secondaires et universitaires, l’apprentissage du vivre-ensemble dans la paix sera ; à mon avis, illusoire[16].

 Somme toute, « L’éducation étant l’un des axes de l’apprentissage de la citoyenneté, elle s’inscrit à ce titre au cœur des missions de l’école et participe résolument à former des jeunes citoyens égaux et différents, capables de vivre ensemble dans de sociétés en réseaux »[17].

2. La réflexion sur la légitimité des institutions[18]

           La philosophie nous interpelle sur l’idée que l’éducation est un élément salvateur et primordial qui permet d’éclairer les gouvernants africains sur la nécessité de mettre en place les institutions légitimes. En effet, le questionnement sur la légitimité des institutions permet de réinventer une organisation démocratique qui aspire la confiance entre les gouvernants et les gouvernés en Afrique, en général et au Gabon, en particulier. Mais cela n’est possible que par la production des institutions fortes et la formation des citoyens qualifiés, afin de promouvoir  une société gabonaise démocratique, juste, équitable et prospère.  L’ancien Président américain Barack Obama, lors de son discours prononcé au Ghana, le 11 juillet 2009 affirmait : « L’Afrique n’a pas besoin des hommes forts, mais de fortes institutions ». A contrario, en cas de problématique de gouvernance ou de dysfonctionnement étatique, les autorités compétentes doivent admettre que l’une des solutions idoines consiste effectivement à restaurer les institutions démocratiquement fortes. Il s’agit donc d’admettre que l’expérimentation démocratique trouverait son essor que lorsque l’Afrique, en général, et le Gabon, en particulier, aurait compris la nécessité de s’appuyer sur l’éducation. Irma Julienne Angue Medoux note avec pertinence que :

La montée en puissance des démocraties a besoin de s’appuyer sur une montée en puissance de l’éducation qui puisse guérir les démocraties libérales et délibératives de leur volonté de puissance logocentrique en forgeant une faculté de juger démocratique qui soit à l’œuvre chez tous les partenaires sociaux[19].

 Une carence en matière d’éducation pourrait manifestement constituer l’un des obstacles de l’expérimentation démocratique, et donc un blocage au développement économique et social de la société gabonaise. Cela dit, c’est par l’éducation que les citoyens gabonais auront la possibilité de comprendre que ces institutions doivent avoir une vocation à défende et à promouvoir leurs intérêts, leurs droits fondamentaux, et donc assurer leur bien-être. Landry Ndounou n’en pense pas moins : « L’accès à un niveau de connaissance et de savoir suffisant permet au citoyen de se saisir comme un membre effectif du souverain, capable de ce fait, de mieux contrôler la qualité des lois et le mode de gouvernance en vigueur dans l’État, d’en exiger la révision, le cas échéant, d’en suggérer la nécessaire refondation, par le biais d’amendement élaboré »[20]. Ainsi, du point de vue philosophique, l’éducation permet au citoyen d’être éveillé, observateur et critique face à la législation, et non d’être un admirateur. Comme l’aurait compris Condorcet :

Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacun devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison[21].

3. L’élite intellectuelle gabonaise : Quel modèle pour la population ?

 Par élite, nous entendons ici l’ensemble de personnes qui, par rapport à leur position sociale, dispose d’une forme d’autorité et la met à profit pour persuader, proposer, débattre, permettre à l’esprit critique de s’émanciper des représentations sociales. Le terme d’élite vient de l’ancien français eslit, participe passé du verbe elire[22], lui-même dérivé du verbe latin eligere, signifiant extraire, choisir. L’élite désigne alors la sélection de ce qu’il y a de meilleur parmi un ensemble de choses ou de personnes[23]. Celle-ci est composée d’intellectuels, des leaders religieux, des leaders politiques et d’artistes. Mais dans le cadre de notre analyse, il s’agit effectivement de l’élite intellectuelle gabonaise (homme ou femme). Elle devrait être considérée comme le modèle, en contexte d’apprentissage, dans la société africaine, en général, et gabonaise, en particulier.

 A cet effet, nous pensons que l’élite intellectuelle au Gabon doit être un prototype à la formation du citoyen, et donc source de développement social du pays : « l’élite en Afrique a une trajectoire sociale »[24], selon Jean Daniel Bombela. L’élite intellectuelle africaine ou gabonaise, par son acquisition de certaines valeurs cléricales et les responsabilités qu’il occupe dans la sphère publique, doit être un exemple pour la population. C’est-à-dire, nous sous-tendons que l’élite intellectuelle se doit d’incarner une conduite exemplaire (en matière de moralité et de responsabilité), qui pourrait avoir une influence positive à l’égard de la population. Comme l’affirme Akala Ekondy, « l’élite influence la conduite du reste de la population simplement en étant ce qu’elle est, à savoir un groupe jugé « de position élevée » à bien des égards »[25]. Dans ce cas, l’élite intellectuelle africaine serait alors un vecteur des valeurs (justice, égalité, liberté, bonté, etc.) qui concourent au développement de la société. Autrement dit, à travers ses analyses, ses conseils et sa vision rationnelle du vivre-ensemble, celle-ci se doit d’être l’artisan du progrès de la société. Elle est portée au plus haut sommet de la société, et apparaît donc comme ce modèle qui inspire l’éducation de la jeunesse, voire du citoyen. C’est pourquoi, Akala Ekondy pense qu’« elle est admirée et imitée, car on estime qu’elle possède des avantages importants et des qualités précieuses »[26]. Nous pensons que l’élite intellectuelle gabonaise, par  sa connaissance, son esprit ouvert et sa critique, doit défendre les valeurs cléricales, s’engager dans la société et mettre son intelligence au service de toutes les couches de la communauté. De manière logique, l’élite intellectuelle doit être au centre de l’appareil de l’État, diriger les projets de développement, donner des orientations sur l’organisation politique, évaluer les politiques économiques, sociales et culturelles. C’est ce qui confère à l’élite intellectuelle une certaine légitimité à l’égard de la société, et donc fait d’elle un modèle pour la population. Akala Ekondy, n’en pense pas moins : « Ainsi, par sa seule manière d’agir et de penser, elle fixe des normes adoptées par l’ensemble de la société, son influence et son pouvoir sont ceux d’un modèle accepté, qui paraît digne d’être copié »[27].

4. Les perspectives philosophiques de l’éducation à la politique

 Les implications philosophiques de l’éducation à la politique doivent avoir un impact dans les faits sociétaux. Autrement dit, elles doivent être centrées sur l’homme et sur son éducation. En effet, c’est au moyen de l’éducation que le citoyen africain ou gabonais aura la possibilité d’accéder à une formation de qualité et à un éveil de conscience, et de les mettre finalement en exergue au profil du progrès de la société.  C’est par là que la pleine conscience de mettre en place la bonne gouvernance sera effective. Pour ainsi, ceux qui gouvernent la chose publique pourront maintenant comprendre la nécessité d’acter une répartition équitable des ressources. Ainsi, nous pensons qu’il apparaît donc urgent que l’Afrique, en général, et le Gabon, en particulier, devrait valoriser des pratiques éducatives et politiques républicaines dans l’optique de favoriser la bonne formation des citoyens, et leur insertion socioprofessionnelle. Pour « aider chaque jeune à jouir pleinement de sa liberté, à vivre ses droits et devoirs, à se reconnaître dans la société et participer au jeu démocratique », estime  Caroline Claire Yankep. Parce que, selon Baden Powell, « il faut développer la société en développant les gens qui la composent »[28].        

CONCLUSION

 En somme, nous avons vu dans cet article que les enjeux philosophiques de l’éducation à la politique nous ont permis de comprendre que l’éducation est un facteur substantiel pour la réalisation des sociétés démocratiques en Afrique, en général, et au Gabon, en particulier. Si du point de vue de la philosophique, l’éducation[29] est la voie qui mène à la formation d’un jugement autonome, alors nous pensons que l’autonomie[30] doit être la première qualité du citoyen gabonais. C’est la condition du politique où doit se décider précisément les moyens pour réaliser le bien commun de la société gabonaise. Ce qui sous-tend que l’un des remèdes au problème de la démocratie au Gabon, voire en Afrique doit être cherché dans l’éducation. Parce que c’est à travers elle que le citoyen arrive à comprendre que les dirigeants africains ne doivent pas gouverner selon leurs passions et à leur avantage. Au risque de succomber dans une gouvernance despotique. Alors que le gouvernement des hommes libres et rationnels s’organise à l’avantage de la félicité du plus grand nombre. Pierre Rosanvallon nous interpelle, dans La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance[31], de proscrire l’image d’antan du citoyen-électeur-passif, qui non seulement limite son implication à la politique aux échéances électorales, et demeure aussi au tant passif que spectateur politique durant le mandat des élus. Mais pour une nouvelle orientation politique contemporaine, en général, et africaine, en particulier, il faut valoriser le citoyen-électeur-vigilant, dit-il. C’est-à-dire, un citoyen actif, surveillant, dénonciateur et évaluateur face à l’action gouvernementale de façon constante, même après les échéances électorales. Caroline Claire Yankep, dans Jeunesse et citoyenneté active au Cameroun, n’en pense pas moins :

L’on distingue deux types de citoyens. Le citoyen passif (celui qui choisit de ne pas participer) et celui actif (celui qui participe). Quant à la citoyenneté active qui nous intéresse ici, elle est la mise en œuvre dans la vie de tous les jours de son rôle den citoyen. Elle passe essentiellement par le fait associatif, l’exercice des droits d’association, d’expression libre, de grève et de manifestation entre autres[32].

 Dès lors, les élites intellectuelles africaines, en général, et gabonaises, en particulier, doivent veiller à la survie de la démocratie par leurs critiques, analyses et orientations. Elles sont les prêtres  de la vérité, les défenseurs de la liberté et les garants de la justice et l’égalité sociale. Charles Zacharie Bowao, dans La Tragédie du Pouvoir. Une Psychanalyse du Slogan Politique, note avec pertinence que « La pensée critique est libre et responsable de ses actes. Nul ne peut l’enfermer dans un carcan partisan. D’où qu’il s’exprime, le philosophe ne poursuit que la vérité »[33]. Les élites intellectuelles sont alors des modèles de la société, et c’est de façon sempiternelle qu’elles doivent défendre la cause commune, même au péril de leur âme : « il est difficile, en Afrique, d’accomplir son office d’intellectuel sans s’attirer la foudre des fanatiques »[34], affirme Charles Zacharie Bowao. René Dumont, dans Démocratie pour l’Afrique, estime que l’éducation « c’est aussi une priorité politique, car toute démocratie vraie requiert une masse éduquée plus intelligemment que jusqu’ici »[35]. C’est à chaque citoyen africain, en général, et gabonais, en particulier, de comprendre que les savoirs philosophiques sont nécessaires (salvateurs et transformateurs) pour une éducation à la politique valorisant toute la plénitude d’un vivre-ensemble vers le bonheur.  

RÉFÉRENCES PIBLIOGRAPHIQUES

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[1] Biléou Sakpane-Gbati, « La démocratie à l’africaine », Éthique Publique, OpenEdition Journals, 2011, p. 1.

[2] Pierre Nzinzi, « Éducation et démocratie dans les sociétés postmodernes africaines et européennes », in Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, acte du colloque de Libreville, du 23 au 25 janvier 2013 à l’Université Omar Bongo, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 9.

[3] La citoyenneté est le statut juridique qui permet à un individu de devenir citoyen.  A cet effet, la citoyenneté donne accès à l’ensemble des droits politiques, tout en créant des devoirs, permettant de participer à la vie civique d’une société ou d’une communauté politique. C’est-à-dire, c’est un principe qui permet à un individu de devenir un citoyen dont l’objectif est de participer à la vie politique de son pays.

[4] L’organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) a institué depuis 2005 la célébration de la Journée Mondiale de la Philosophie chaque 16 novembre de l’année. C’est dans l’objectif de favoriser les sociétés plus inclusives, tolérantes et pacifiques. A cet effet, la philosophie contribue à consolider les véritables fondements d’une coexistence pacifique dont l’optique d’œuvrer pour une meilleure compréhension du monde, et de promouvoir la paix. L’UNESCO, en l’instituant, souligne l’importance de la philosophie, surtout pour les jeunes, elle encourage la pensée critique et autonome. C’est pourquoi, d’ailleurs, elle doit avoir une réflexion au près d’un large public. Et d’autant plus dans des pays où la philosophie n’est pas abordée en études supérieures.

[5] Porteur du projet : Département de Philosophie, Université Omar Bongo, Pr. J.-R.-E. Eyené Mba, Pr. C.O. Mpaga, Pr. Th. Ekogha, Dr. R. Edou Nkoghé, Dr. N. Engone Elloué.

[6] John Dewey, « Philosophie de l’éducation », in Les ouvrages Middle de John Dewey, 1916, p. 306-307.

[7] Un citoyen c’est celui qui jouit des droits et s’acquitte des devoirs définis par les lois et les mœurs d’un État organisé. C‘est-à-dire, celui qui bénéficie de l’égalité devant la loi, de la sécurité et de la liberté grâce au contrat social qui transforme l’individu en membre authentique du corps politique. (A partir de XVIIIe avec Rousseau, voir Gérard DUROZOI  et André ROUSSEL, Dictionnaire de Philosophie, Paris, Éditions Nathan, 1997, p. 69.). Dans l’Antiquité grecque, le citoyen est un homme libre appartenant au corps civique dans la cité. Dans la Rome antique, le citoyen est un homme libre doté de droits politiques dans la cité.

[8] Voir « Module de formation Philosophie », FORMATION DES PROFESSEURS

CONTRACTUELS DU PROGRAMME SOCIAL

DU GOUVERNEMENT IVOIRIEN 2019, 28 juillet – 30 septembre 2019, p. 9.

[9] Landry P. R. Ndounou, « Éducation, citoyenneté, démocratie au Gabon », in Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 202.

[10] Gaëlle Jeanmart, « L’autonomie comme enjeu de l’éducation scolaire. Le regard des philosophes », Philocité, Paris, 2009, p. 4. 

[11] Issaka Yameogo, « De l’éthique de l’éducation en Afrique : sur les traces de Joseph Ki-Zerbo », Éthique en éducation et en formation, Érudit, 2021, p. 11-12.   

[12] Joseph Ki-Zerbo, Éducation et développement en Afrique. Cinquante ans de réflexion et d’action. Ouagadougou : Fondation pour l’Histoire et le Développement endogène de l’Afrique, Paris, Éditions Les Presses Africaines, 2010, p. 183.

[13] Issaka Yameogo, Op. cit., p. 12.

[14] Landry P. R. Ndounou, « Éducation, citoyenneté, démocratie au Gabon »Op. cit.,  p. 201.

[15] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », in Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, présente les actes du colloque qui s’est tenu à Libreville, du 23 au 25 janvier 2013 à l’Université Omar Bongo, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, Quatrième de couverture.

[16] Léon Matangila, « L’éducation à l’interculturalité, condition pour l’essor des démocraties en Afrique », in Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 168.

[17] Caroline Claire Yankep, « Jeunesse et citoyenneté active au Cameroun », in Citoyenneté active au Cameroun : enjeux, défis et perspectives, Friedrich Ebert Stiftung, Yaoundé (Cameroun), 2017, p. 61.

[18] Une institution est une structure d’origine coutumière ou légale, faite d’un ensemble de règles orienté vers une fin, qui participe à l’organisation de la société ou de l’État. Autrement dit, Une institution est l’organisation d’un corps administratif. Elle est mise en place par la constitution, les lois, les règlements et les coutumes.

[19] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », Op. cit., p. 13.

[20] Landry P. R. Ndounou,  « Éducation, citoyenneté, démocratie au Gabon», Op. cit., p. 202.

[21] Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791-1792), Paris, Éditions Flammarion, 1994, p. 93.

[22] Voir Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, CNRS, 2012. Informations lexicographiques [archive] et étymologiques [archive] de « Élite » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.

[23] Ibid.

[24] Lire à ce sujet, Jean Daniel Bombela, « L’État africain et ses élites », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 23 août 2023, https://calenda.org/1091859 (Yaoundé, Cameroun). Jean Daniel Bombela est Enseignant Chercheur au Département de Science Politique à l’Université de Yaoundé II.

[25] Akala Ekondy, « Les  élites africaines et les relations sociales : La notion d’élite sociale », Journal Article, Éditions Présence africaine, 1965, p. 1.

[26] Ibid., p. 1.

[27] Ibid.

[28] Baden Powell cité par Caroline Claire Yankep, dans « Jeunesse et citoyenneté active au Cameroun », Op. cit., p. 62.

[29] L’éducation a pour première mission de faire des citoyens. Et l’autonomie, qui est le premier enjeu de cette éducation à la citoyenneté, est considérée de manière toute à fait politique comme la capacité à reléguer ses intérêts privés et immédiats pour mettre en avant l’intérêt général et le bien commun.

[30] Chez Aristote, le problème essentiel de l’éducation est lié au problème  politique. Aristote a une conception proprement politique de l’autonomie : c’est est la capacité de bien délibérer sur les moyens pour parvenir au bien le plus général, au bien du plus grand nombre.

La citoyenneté juridiquement peut être définie comme la jouissance des droits civiques attachés à la nationalité, c’est-à-dire la jouissance de l’ensemble des droits privés et publics qui constituent le statut des membres d’un État donné qui les reconnaît comme tels.

[31] Lire à ce sujet, Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006. 

[32] Caroline Claire Yankep, « Jeunesse et citoyenneté active au Cameroun », Op. cit., p. 65.

[33] Charles Zacharie Bowao, La Tragédie du Pouvoir. Une Psychanalyse du Slogan Politique, Paris, Éditions Dianoïa, 2015, p. 24.  

[34] Ibid., p. 23.

[35] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Éditions du Seuil, 1962, p. 257.

Is the CFA Franc pegged to the Euro against the economic interest of the countries in the West African Economic and Monetary Union?

In Senegal, abandoning the CFA Franc is An economic and social demand to regain economic sovereignty, say Souleymane Gueye, professor of Economics, San Francisco College and Abdoulaye Cisse, Ph.D. Candidate, Department of Economics, University of California, Berkeley

Abstract

The recent economic events resulting from major external shocks such as COVID-19 and the Russian-Ukraine war and their impact on the Communauté Financière Africaine (CFA) franc zone have reignited the debate about the usage of the CFA franc in the West African Economic and Monetary Union (WAEMU). This article investigates how the economic performances of the WAEMU in general and Senegal, in particular, relate to the arrangements between the CFA Franc currency union and the Euro and between WAEMU and France. In particular, the paper analyzes the advantages and the disadvantages that stem from the different components of these arrangements and highlights the lack of economic competitiveness of the CFA franc countries caused by the structural overvaluation of the CFA franc, the lack of monetary and fiscal sovereignty, and the no optimality of the CFA franc zone as destabilizing elements of the CFA franc for WAEMU. The paper then proposes a mild reform in the short term and a complete abandonment of the CFA franc for a national currency anchored to a basket of currencies in the long term, in the hope of achieving inclusive growth and poverty alleviation in WAEMU. 

Keywords: CFA franc, competitiveness, foreign reserves, development indicators, economic indicators, economic growth, poverty, debt, monetary policy, fiscal policy, exchange rate system, credit allocation 

Introduction

While the debate over the usage of the CFA franc has been ongoing amongst economists since the early 60s, the issue has never been a major preoccupation of most Senegalese citizens for a long time. But in the last decade, a growing interest in using the CFA has been at the forefront of public/private media and social media[1]. This growing interest of the population in the economic issues surrounding the CFA franc should be welcomed and applauded by policymakers and politicians as it is time to examine objectively the benefits and the costs of the CFA franc’s peg to the euro and ponder about the economic performance of these countries and the role the currency is playing in fostering/hindering the capacity of these countries to alleviate poverty. 

After more than sixty years of independence, it is not obvious that the currency is favorable to the economies of WAEMU in general and Senegal in particular.

Some economists say that the CFA franc affects the member countries in two key areas: 

  1. Loss of sovereignty by tying the WAEMU’s economies to the French market and constraining the scope for an independent monetary policy; hence weakening the states with negative impacts on poverty alleviation
  2. The overvaluation of the currency impairs the competitiveness of exports. 

Other economists argue that it has brought price and monetary stability, fiscal discipline, credibility, and stability to international competitiveness. Furthermore, they argue that a supranational central bank has insulated the CFA zone members’ economies from national treasuries. In contrast, the peg to the euro insulated a higher proportion of WAEMU’s trade from exchange rate fluctuations and encouraged regional convergence and integration. 

These views have been reexamined and debated since the Macron/ Ouattara announcement to replace the CFA with the Echo (1). More voices are calling to sever the financial ties with France and completely abandon the CFA. The arguments for its abandonment range from “this currency is a relic of the colonial era,” “an instrument of the colonial era,” “an instrument of repression,” and “mean of exploiting the colonies.” Why is the CFA Franc, the currency many African countries use, so controversial? 

This article aims to clarify this debate and supply economic arguments to justify severing the economic and financial arrangements at the core of the CFA franc zone. 

What are the economic effects of the CFA franc’s peg to the euro? Should Senegal abandon the CFA franc as its national currency and issue its currency like many independent states or stay in the zone? 

To answer these questions, we will present some institutional background on the CFA franc zone and briefly describe the economic structure of Senegal to provide the basis for an objective assessment of the effects (economic, monetary, and financial implications) of this exchange rate peg that convincingly should incentivize the future Senegalese authorities to exit the CFA zone and start the process of setting up the policy and institutional arrangements necessary for the introduction of a new currency.

I/ Structure / Architecture of the CFA Franc Zone

The monetary cooperation in the CFA franc zone is based on four key principles.

  1. A fixed exchange rate parity between the CFA franc and the euro remained constant from 1949 until 1994 when it was devalued by 50% to 1 French Franc = 100 CFA Franc which corresponds to 1 EUR = 655.957 CFA Franc since the euro replaced the French franc at the beginning of 1999, to help resolve a crisis that was associated with the overvaluation of the CFA franc and the failure of the structural adjustment policies imposed by the World Bank and the International Monetary Fund (IMF)(2).
  2. An unlimited and unconditional guarantee by the French Treasury for the convertibility of the CFA franc into euro at the fixed exchange rate at the Paris Stock Exchange. It is important to note that the warranty has not been used since the early 1990s, in contrast to the heavy mobilization seen before the 1980s. 
  3. The centralization of the members’ net foreign reserves at the two central banks and until 2020, the obligation to deposit half of these reserves in an operating account at the French Treasury. Since April 2021, the operating account has been closed and the funds have been transferred to other WAEMU (West African Economic and Monetary Union) accounts, following the Macron Ouattara reform of 2019(3).
  4. Free capital movements within the CFA franc zone and with France although the central bank can impose exchange controls for transactions with non-member countries of the zone.

The closed operating account functioned like a current account with overdraft facilities and worked like a currency board arrangement, thus providing little scope for an active monetary policy. Consequently, an important indicator, the Reserve cover ratio (foreign exchange reserves/short-term liabilities of the central bank) was used to guide a passive monetary policy. The rule was such that when the reserve cover ratio dropped below 20% for three consecutive months, actions such as an increase in official interest rates and a decrease in refinancing ceilings must be taken to protect parity. In practice, the Reserve cover ratio never reached alarming levels as the WAEMU zone always kept the health levels of reserves. A similar indicator of coverage is the currency issue coverage ratio, which is the ratio of the foreign exchange reserves to the value of the physical currency in circulation (i.e., physical banknotes and coins).

Figure 1 shows that the requirement to maintain 50% of total foreign exchange reserves (represented by the blue horizontal line) has been respected by the WAEMU countries since 2007. While the share of total reserves kept at the French treasury has sometimes been close to the threshold, it has consistently been higher than that, which means that France has never had to trigger the guarantee that is theoretically in the arrangements. Figure 1 also shows that the coverage ratios have been at healthy levels and that WAEMU countries typically keep sufficient levels of foreign exchange reserves to cover most of the banknotes in circulation. This observation also points to the derisked environment in which the WAEMU countries operate.

Figure 1: Key Indicators Related to Foreign Exchange Reserves

Notes: This figure shows key indicators related to the reserves held in the operating account. The y-axis on the left (in blue) shows the share of total foreign reserves held in the operating account of the French Treasury. The y-axis on the right shows the currency issue coverage ratio, which is the ratio of the foreign exchange reserves over the value of physical banknotes and coins). The blue horizontal line corresponds to the minimum requirement of total reserves that need to be kept in the operating account. The red horizontal line corresponds to the minimum level of foreign reserves needed to cover the physical currency in circulation. All the raw data are from the annual reports of the WAEMU. All calculations are done by the author.

Before the closure of the operating account, the WAEMU countries were receiving an interest of 0.75% on their reserves deposited at the operations account (rates based on ECB interest rates.) In case these reserves turned into debt, interest was to be paid to the French Treasury. The French Treasury also guaranteed these reserves’ value against a depreciation of the euro vis a vis the Special Drawing Rights (SDR)[2].

However, several safeguards triggering action by the central bank are applied to ensure the exceptional character of foreign exchange interventions and to avoid a permanent reduction or deficit of the operating account. In case the account of a country goes into deficit for a month, a reduction of 20% of the refinancing ceiling is triggered for the culpable countries. When the surplus is less than 15% of the money supply for a country, a decrease of 10% of the refinancing ceiling is applied (4).

Figure 2 shows the level of foreign reserves held by WAEMU countries in the operating account at the French Treasury over time. Strikingly, we see that these reserves constituted a significant share of nominal GDP for these countries. They fluctuated 10% of nominal GDP between 2007 and 2018. Considering how funding and liquidity constraints WAEMU countries are, this stylized trend alone gives a sense of the drawbacks of the CFA franc.

Figure 2: Foreign Reserves Held by WAEMU in the Operating Account at the French Treasury

Notes: This figure shows the relative and absolute values of the foreign exchange reserves. The y-axis on the left (in blue) shows the level of foreign reserves that were held in the operating account as a share of the nominal GDP of the WAEMU countries. The y-axis on the right (in red) shows the nominal values of foreign reserves held in the operating account. The figure only includes foreign exchange reserves held in the operating account. The rest of the foreign exchange reserves not held in the operating account were excluded from the calculations. All the raw data are from the annual report of the WAEMU. All calculations are done by the author.

Given the safeguards described above, the time series of data in Figures 1 and 2, and the comparatively small size of the CFA franc zone economies, which currently represent about 5% of France’s GDP (Gross Domestic Product), the risks to France’s public finance remain limited in scope (limitation of potential liability of the French Treasury and at the same time supply a rule-based of credibility and to the fixed parity). It is quite unlikely for the account to go into deficit since it is based on the principle of pooling the reserves of the member states. 

This safeguard mechanism was designed to control the “excesses” to which states are accustomed, taking away their ability to distribute internal capital resources through self-defined development strategies by allowing the central bank to impose a cap of 20% of national fiscal revenues on resource allocation to national treasuries of WAEMU countries. 

For example, when the balance of the operation account is in deficit for three consecutive months, or when the ratio between net external assets and sight liabilities of a central bank is equal to or less than 20% for three consecutive months, refinancing amounts are reduced automatically by 20% and immediate corrective actions are taken by the board of directors, which is now fully composed of African officials and no longer has a French representative since the Macron Ouattara reform.

Therefore, it is the level of external reserves, and not credit needs, that decide credit allocation when it should have been the opposite. Credit allocation is decided by the French government’s monetary and fiscal authorities which will tend to perform it according to France’s view over the zone economies, not based on any development strategies developed by the WAEMU countries (5).

It should be noted that despite the closure of the operating account and removal of French representatives from the board of directors, the inherent structure of the CFA Franc is still such that it presents disadvantages and drawbacks to the WAEMU zone. Indeed, the terms of the guarantee of the CFA Franc and the Euro are still opaque and not fully transparent based on the latest public documents available. While the latest annual reports of the Central Bank of West African States (BCEAO) state that the operating account has now been closed, little to no details are given about the effective changes in the guaranteed mechanisms between the Euro and the CFA franc that resulted in this closure.

In what follows, we argue that France has clear benefits and few disadvantages with the current CFA franc arrangement.

II/ Disadvantages / Drawbacks for The CFA Franc Zone: What is wrong?

There are clear disadvantages and few benefits for the Franc Zone countries. The peg to the euro, before 1999 to the French franc constraints the scope for an active independent monetary policy of the WAEMU.

Overall, the arrangement has resulted in lower inflation (on average 8%) than in other countries in Sub-Saharan Africa, which have an average of 15%. But it has also significantly limited the macroeconomic policy options (fiscal and monetary policies as well as an exchange rate policy) available to the CFA Zone members (6). Indeed, the current exchange rate regime presents several macroeconomic problems that impede these countries’ ability to navigate external shocks such as the COVID-19 pandemic and Ukraine.

First, this principle compounded by a set of legal and institutional arrangements (Board composition and operations), as well as policy and operational features (design of supervisory arrangements within the two sub-zones[3]), are wrapped in a web of unwritten rules and practices with widespread consequences on the economic, monetary, financial, fiscal, and central bank policies of the entire CFA franc zone. Although there is no direct causation between these arrangements/ policies and development outcomes, the structural indicators of the countries in the CFA franc zone, such as the Human Development Index (HDI) and the Corruption Perception Index, are among the lowest in the world, and this suggests some correlation between the CFA franc arrangements and CFA franc countries’ development outcomes (7). For example, the HDI for Senegal in 2023 is 0.512, which decreased by 0.39% compared to the previous year with a rank of 170 while the average for the WAEMU is 0.544. These HDI values are below the HDI values of similar developing countries and none of the zone members is classified in the high HDI or Medium HDI categories in Africa. The extreme poverty rate is 27.5% (rank 32) and the GDP per capita is $1606 (rank 143).

As Table 1 below illustrates, the WAEMU region ranks the lowest in key development indicators including life expectancy, earnings, and schooling. While these figures do not imply any causational link between the currency the regions use and their economic indicators, the picture is still the picture: the WAEMU countries are some of the least developed countries by conventional standards.

Table 1: Development Indicators for Different Regions in the World

Table 1: Development Indicators for Different Regions in the World

 HDILife ExpectancyYears of SchoolsGNI Per Capita
Arab States0.70870.98.013,501
East Asia and the Pacific0.74975.67.815,580
Europe and Central Asia0.79672.910.619,352
Latin America and the Caribbean0.75472.19.014,521
South Asia0.63267.96.76,481
Sub-Saharan Africa0.54760.16.03,699
WAEMU0.48660.83.42,692
     

Notes: This table shows some key economic indicators for different regions of the world. Each value shown is the mean of the variable in the first row for the region in the first column. The Human Development Index (HDI) is a composite index measuring average achievement in three basic dimensions of human development—a long and healthy life, knowledge, and a decent standard of living. (“Countries of the Third World – Nations Online Project”) Life expectancy at birth is the number of years a newborn infant could expect to live if prevailing patterns of age-specific mortality rates at the time of birth stay the same throughout the infant’s life. Mean years of schooling gives the average number of years of education received by people ages 25 and older, converted from education attainment levels using official durations of each level. (“Education Index | SpringerLink”) Gross national income (GNI) per capita is the aggregate income of an economy generated by its production and its ownership of factors of production, less the incomes paid for the use of factors of production owned by the rest of the world, converted to international dollars using PPP rates, divided by midyear population. All data are for the year 2021. All the raw data are from the UNDP website.

The persistence of monetary and financial relationships has favored neither structural transformation of the economies nor regional integration and has done even less for the economic development of the CFA countries. For example, 9 out of 14 countries in the WAEMU and the CAEMC zones are among the Least Developed Countries. With regards to health and education, CFA franc-using countries occupy the lowest ranks worldwide, as shown in Table 2.

Looking from a long-term perspective, average real incomes have stagnated or declined in five of the biggest CFA francs-using economies: Cote d’Ivoire, Cameroun, Gabon, Senegal (4.1% in 2022), and Congo Republic. Extreme poverty has risen by 3% since COVID-19. Countries in the CFA franc zone are the most impoverished in Sub-Saharan Africa despite stable prices (due to their lower inflation rate compared to the other countries in Sub-Saharan Africa). The average poverty rate for CFA countries stands at 40%. The opportunity cost of lower inflation has thus been slower GDP per capita and diminished poverty alleviation. All CFA Franc countries – including Senegal – are burdened by excessive debts and are in the category of Highly Poor Indebted Countries (HIPC)

MAJOR MACROECONOMIC INDICATORS

 2020202120222023
GDP growth (%) 1.35.14.154.1
Inflation (yearly average, %) 2.52.19.76.5
Budget balance (% GDP)-6.4-6.3-6.2-4.9
Current account balance (% GDP)-10.9-13.3-13.2-14.5
Public debt (% GDP) 69.273.275.172.4

Source: World Bank Development Indicators and IMF: Debt, trade deficit, and other economic indicators

These observations are not surprising since these countries have an average credit-to-GDP ratio of 25% compared to an average of 60% for the rest of the countries in Sub-Saharan Africa and 148.5% for France. Furthermore, the amount of credit distributed to the CFA countries’ economies stays exceptionally low with prohibitive interest rates. Most of the loans are oriented towards the export sector and service sector to the detriment of investment in the primary and secondary sectors which employ more than three-quarters of people in the labor force. These countries face credit constraints, and financial repression, and cannot use interest rates to stimulate small and medium enterprises’ development because monetary policy is seriously constrained.

Second, the institution of the CFA is at the heart of the “colonial pact” set up by France in the 1960s when all these African countries were gaining their independence. Many critics of the CFA zone consider it a relic of Africa’s colonial past and a barrier to West African country’s economic progress.

Accordingly, the objective from its origin is to maintain peripheral economies that are ‘complementary’ to the French economy; otherwise, economies that serve as cheap sources of raw material supplies (consider how Senegal, Niger, Ivory Coast, and other countries in the WAEMU region are giving French companies licenses to exploit their natural resources).

Third, the peg to the euro decreases transaction costs and insulates French companies (and all foreign companies operating in euros for that matter) from exchange rate risk. Concurrently, it hampers the level of competitiveness of the domestic private sector in the zone by effectively acting as a subsidy to imports. As a result, most of the countries in the CFA zone run substantial trade deficits. For example, the trade deficit of Senegal stands at 10% of its GDP. Therefore, this structural overvaluation of the CFA franc – in 2020 the CFA franc in the WAEMU was 20% overvalued –, tends to favor imports, including luxury goods, to the detriment of exports. This is one of the reasons the political elite do not want to take the necessary steps to change the framework of the CFA franc zone.

Besides effectively contributing to subsidizing imports, the fixed parity also acts as a trade preference granted to the eurozone, since countries in the Franc zone cannot depreciate the exchange rate to affect the level of competitiveness of their exports or to absorb external shocks such as the Covid 19 or Ukraine war. Therefore, when confronted with trade shocks or crises, the only way to defend the anchor to the euro is a reduction in public expenditure (fiscal policy) and credits to the economy (monetary policy), as well as a recourse to external financing flows (more debt accumulation). In Senegal, public debt has been increasing at an exponential rate reaching 77% of GDP because of excessive borrowing by the government and state-owned enterprises to finance the budget and to invest in the oil and gas sector. The public debt service represents more than 50 % of fiscal revenue (1772 billion CFA francs, with interest payments and depreciation amounting to 502 billion and debt amortization to 1070 billion). The debt sustainability indicators are very close to their threshold (IMF Report, 2023).

The ratio of external debt service/export revenues is 19.1% for a threshold of 21% and the external debt service/ public sector revenue is 18.8% for a threshold set at 23%. This is very worrisome as it points to a severe constraint in the capacity to borrow money when faced with external shocks. The risk position of Senegal has deteriorated (from low to moderate-risk debt that can easily evolve to high-risk debt).

Fourth, the freedom of financial transfer eases the free investment and disinvestment of capital as well as the repatriation of profits, dividends, etc. This freedom is often associated with a massive capital flight -significant financial bleeding in resource-rich CFA countries such as the Republic of Côte d’Ivoire and Senegal (9),

Fifth, besides the handicaps of an overvalued exchange rate and capital outflows due to the outward transfer of local economic surpluses, the behavior of the banking sector keeps its colonial aspects. Most of the financial institutions are subsidiaries of French financial institutions despite the timid implementation of other foreign entities (Middle Eastern and North African countries)

Bank loans are primarily targeted at large companies and governments to the detriment of SMEs in general. This trend continues to hold despite the loss of market share of many French financial institutions in the CFA countries and the dominance of foreign banks. In Senegal, foreign banks control more than 90 percent of banking assets (10).

This situation explains the low level and inadequacy of the credits to the private and public sectors that hinder domestic production in the primary sector and manufacturing sectors. The overvaluation of the CFA franc worsens this decline in domestic production.

Sixth, the current system worsens inequality between urban elites and the rural poor by constraining incentives for commercial agriculture and subsistence agriculture. Furthermore, it has failed to accelerate growth for the poorest members.

Finally, although this monetary bond did not prevent the commercial and financial decline of France in its sphere of influence, it has nonetheless contributed to the institution of centralized political regimes that are more responsive to the priorities of the French government, French companies, and foreign investors than to the interests of their citizens. For example, in oil-exporting CFA countries such as Chad, Gabon, the Republic of Congo, and Equatorial Guinea, the ‘president for life’ model or president looking to extend their term by violating the constitution of their countries still is the norm, despite the frequent organization of formal elections with a foregone conclusion. Unfortunately, Senegal is heading that way with the current president’s determination to select his successor by preventing the main opposition leader from taking part in the upcoming election after awarding all the main public projects and exploitation of the key natural resources to French companies and other foreign entities (Turks, Chinese, Indian, and Middle Eastern countries as well as North African firms).

In other words, the CFA franc existence favors a particular type of political leadership. « Those who can aspire to lead CFA countries are those who will not question its limitations while those who question the underpinnings of the CFA framework will be jailed, exiled, or killed” (Sylvanus Olympio first president of Togo, Thomas Sankara of Burkina Faso). Leaders in the Republic of Côte d’Ivoire, Senegal, Benin, and Togo have enjoyed the active solidarity and support of the French government and the French private sector over the last six decades.

In the face of growing protests of this neo-colonial relic led by pan-Africanists, social movements, patriots, nationalist politicians, and academicians, France, in alliance with Côte d’Ivoire, decided in December 2019 to soften its stance on the West African CFA franc. This proposed reform is meaningless as it is extremely limited in scope. Its main objective is to prevent criticism by renaming the currency, rearranging French representation within the Central Bank of WAEMU, and modifying the control of the French Treasury over the foreign reserves of these states.

These propositions completely ignore the key aspects of the financial and monetary arrangements that many economists criticize: the existence of a formal link of monetary subordination between France and the CFA countries, the fixed parity with the euro, the freedom of transfers, and the existence of two monetary unions that have no other foundation than colonial history.

While the abandonment of the CFA franc does not guarantee that its member countries will develop rapidly with inclusive economic growth, fair distribution of income, and alleviating poverty, the extension of its life expectancy can hinder any prospect of political and economic sovereignty of these countries.

III/ Reform of the CFA Zone

Against this background and considering the cost and benefit analysis performed for the WAEMU economies in general and Senegal particularly, a debate about the dismantlement of the CFA zone is still ongoing among economists and policymakers. The debate is about whether to stick to the existing framework of the CFA franc and change some key features or leave the CFA franc zone. The abandonment of the CFA franc to choose an exchange rate regime will be based on lessons learned from the experience of the economic performance of floaters (countries that allow their currency to fluctuate) and peggers (countries that fix their currency against a major currency or a basket of currencies). Should Senegal advocate for a reform of the CFA (opt out for a break with the peg and envision a semi-flexible or flexible system) or get out of the Zone and adopt its national currency to regain its sovereignty over monetary policy and exchange rate policy? What is the best choice for Senegal?

Short Term: Overhauling the exchange rate framework.

As the CFA members countries in general and Senegal in particular, plan for a post-COVID-19 to grow their economies and alleviate poverty, meaningful reform of the CFA franc zone should be on their agenda instead of what the French president and the Ivorian president proposed in December 2019 ( revision of the monetary cooperation agreement with France as was the case in 1973 after the criticisms of president Eyadema and the renaming of the currency from CFA franc to Eco to take into account the political and identity dimension of money; the end of the centralization of BCEAO’s foreign reserves with the French treasury (hence the closing of the operation account); and the withdrawal of France from the board of directors, the BCEAO monetary policy committee, and the WAEMU banking commission. This proposed reform is not enough and is meaningless. Consequently, one can envision a reform of the Zone since the inflexible CFA Franc monetary and exchange rate arrangement is a major contributor to the lagging economic performances (lower real GDP growth, lower per capita real GDP, lower HDI, higher trade deficit, less FDI) of countries such as Senegal, besides other factors such as bad governance, systemic corruption, inadequate business regulatory environment, human capital building, and a lack of investment in infrastructure.

The current exchange rate framework should be changed to reflect greater monetary flexibility, the possibility of improving competitiveness, adopting export-led growth, and realigning incentives for agricultural producers. To reach these goals, the exchange rate regime should evolve from the peg to the euro because anchoring the CFA to the euro no longer has the same meaning nor does it serve the same interest as it did when the system was set up – export to eurozone has decreased by more than 50% and is currently at about less than 20%. This rebalancing of the trade pattern in favor of China, India, Thailand, and Nigeria justifies a new anchoring of the CFA to a basket of currencies, especially the euro, dollar, and renminbi, reflecting WAEMU’s changing trade patterns with the rest of the world. The price of crude oil can be included in the basket to figure out the value of the exchange rate within a predefined band. Therefore, the benefits in terms of exchange rate stability with the euro are less effective due to less trade between the two zones.

Furthermore, there is a probability of a decrease in value in terms of export earnings because earnings are reported in USD, which must be converted to euros. So, an appreciation of the euro will lead to a decrease in the value of export earnings. It is also detrimental to the level of competitiveness because of the appreciation of the real exchange rate[4], and the only way to offset this negative impact on the level of competitiveness is to improve the term of trade by increasing the price of commodity goods which these countries do not control. This situation has led to a structural current account deficit since the introduction of the euro. It should also be noted that the peg to the euro creates a sentiment of “abandonment of monetary sovereignty” because of the need to follow policies set by the ECB to keep parity. Hence the restrictive policies of the Central Bank of WAEMU that explain the underfinance in these countries are the result of the peg. Indeed, M2/GDP is only 16%, which indicates a very low level of financing of economic activities.

Another reason for moving away from the peg is related to the concept of “optimal” currency area- the geographical region of the CFA zone is far from optimal due to three factors: (i) weak intraregional trade within WAEMU (it is less than 12% of total trade and well below the aim of 25%), (ii) less financial integration between the economies of WAEMU, and (iii) diverse capabilities to deal with asymmetric shocks (supply shocks such as oil shocks, COVID pandemic, or Ukraine war).

Moreover, suppose one uses exchange rate misalignment to measure the level of competitiveness of the CFA zone countries. In that case, there is a significant difference between countries in the zone, making it impossible to set up a single consensus monetary policy.

Finally, the goal of balancing stability and flexibility should make the currency more market-based to support exporters and entrepreneurs with the exchange rate adjustment. On the other hand, regaining monetary sovereignty can widen the options for fiscal and monetary management in a post-pandemic world.

Long Term: Adopting a national currency and setting up the required conditions for an independent central bank of Senegal.

As proved above, the CFA franc’s current financial and monetary arrangement is not conducive to economic growth and development because it hampers exports, hinders investment and industrialization, and creates inflationary pressure due to high inputs prices and commodities prices as well. More than sixty years after political independence or sovereignty, countries like Senegal no longer need neocolonial guarantees for monetary and fiscal management in conducting monetary and exchange rate policies. Overall, compared with the other African countries, economic growth and poverty alleviation, the human development index in the CFA franc zone has been lower since the 1990s due to the prohibitive cost of doing business in a currency pegged to the euro and because of restrictive monetary policies (tight credit policies) in the zone.

This monetary arrangement prevents the possibility of using big-push investments to transform the economies of the CFA countries, because of the fear that has been created in the minds of political leaders, policymakers, and economic managers of the zone by emphasizing the disadvantages of getting out of the Franc zone. But the lessons from the Asian tigers and many Latin American countries and African countries that manage their currencies should convince Senegal that it is possible to overcome the difficulties of having your currency and to manage monetary policy correctly to reach the stated economic goals of economic growth, price stability, job creation, and poverty alleviation. 

Our advice to the future Senegalese government is to start overcoming the burden of this financial and monetary arrangement and start a timeline of setting up the prerequisites (such as setting up an independent central bank modeled after the Federal Reserve system and the institutions to manage our currency). It is time to regain our economic and monetary sovereignty. Senegal has the human resources needed for successfully managing a national currency.

References

1. Public Announcement of Macron/ Ouattara July 2019

2. Souleymane Gueye. “La devaluation du franc cfa: Mesure inevitable ou imputable à l’intersyndicale” published in Walf Quotidien 1993

3. The new terms of the arrangements between the countries in the CFA franc zone and France remain opaque and largely undisclosed. While the latest annual report states that the operating account that previously sat at the French treasury has now been closed since April 2021, it does not disclose the details of the new ways through which the CFA is still guaranteed by the Euro now that the reserves are no longer held at the French treasury.

4. Paul R. Mason and Catherine Pattillo. The Monetary Geography of Africa Brookings Institution Press

5. The view tends to be mercantilist and monopolistic in favor of French state-backed private multinationals that operate within the WAEMU area.

6. Many African countries – Sierra Leone (44.8%), Ghana (43.1%) Gambia (17.8%), and Nigeria (24.08%) – have experienced prolonged periods of inflation. These rates are well above the inflation rate in the CFA zone in general and Senegal (14.1%) in particular. This rate is expected to slow down to 9% in 2023. These high inflation rates result from supply chain disruptions, global commodity price fluctuations, rising food and energy prices, political instability, and currency devaluation in countries with flexible exchange rates.

7. Souleymane Gueye. Senegal: Corruption, Bad Governance, and Development Outcomes. L’Afrique des idees. 2023.

8. World Bank Development Indicators and IMF: Debt, trade deficit, and other economic indicators

9. Souleymane Gueye. The Determinants of Capital Flight in the West African Economic and Monetary Union. Updated working paper. Berkeley 2021.

10. “Africa’s last colonial currency: The CFA franc story” by N’dongo Sylla et Fanny Pigeaux


[1] See for example ‘Francs CFA: Les termes nouveaux d’une question ancienne’ de Kako Nupukpo, Demba Moussa Dembele and Martial Ze Belinga, or the book “Africa’s Last Colonial Currency: the CFA Franc Story’ by Fanny Pigeaux and Ndongo Samba Sylla, among recent publications on the topic.

[2] Special Drawing Rights are assets created by the International Monetary Fund (IMF) and act as potential claims used by WAEMU countries to supplement their official reserves.

[3] The two sub-zones are the WAEMU (West African Economic and Monetary Union) and CAEMC (Central African Economic and Monetary Union).

[4] This real exchange rate is the Nominal exchange rate*(domestic price/ foreign price).

Les bénéfices de la lutte contre la corruption dans un pays : exemple du Sénégal

Par Moussa Sylla, auteur du livre « La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone UMOA » moussisylla@gmail.com

Il y a quelques jours, la France a promis de restituer 150 millions de dollars US[1] détournés par Sani Abacha, l’ancien Président du Nigeria entre 1993 et 1998, de son pays. En dix ans, entre 2006 et 2016, la Suisse avait rendu au Nigeria près de 723 millions de dollars US volés à son pays par la même personne.[2]

Au total, Sani Abacha et ses proches ont été accusés d’avoir pris illicitement plus de 4 milliards de dollars US des caisses de l’État nigérian et tenté de les blanchir dans les banques occidentales. Imaginons, avec 4 milliards de dollars, tout ce qu’un État aurait pu réaliser, combien d’hôpitaux, de routes et d’écoles de qualité il aurait pu construire.

La corruption est un fléau qui nuit au développement d’un pays[3]. Elle entraîne la surfacturation des marchés publics, amenuise les ressources fiscales, pervertit les valeurs d’une société qui se trouve gangrénée par l’argent facile et l’illusion que la réussite ne dépend pas d’un travail acharné. Elle crée une instabilité politique dans un État et provoque une difficulté à attirer les investisseurs étrangers, car ces derniers sont plus enclins à investir dans un pays qui lutte plus fermement contre la corruption.

Le 9 décembre 2003 a été signée la Convention des Nations unies contre la corruption, que le Sénégal a ratifiée en 2005 à travers la loi no 2005/11 du 3 août 2005. La date du 9 décembre marque la Journée internationale de lutte contre la corruption.

Combattre la corruption est une nécessité aujourd’hui. Si le concept de personne politiquement exposée (PPE)[4] a vu le jour, c’est dû à l’affaire Sani Abacha. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la corruption fait partie des infractions sous-jacentes à ces deux menaces. Lutter contre la corruption contribuera à endiguer ces deux fléaux. Pour cela, John A. Cassara écrit dans son livre Money laundering and illicit financial flows : « Et la corruption, sous ses diverses et nombreuses formes, est le grand facilitateur du blanchiment de capitaux. »[5]

Les conséquences de la corruption ne sont pas que monétaires, elles sont aussi sociales. Le civisme fiscal en est tributaire. Dans un pays où les citoyens savent que leurs impôts seront judicieusement utilisés, que les détournements de deniers publics ne resteront pas impunis, les populations seront plus enclines à s’acquitter de leurs devoirs fiscaux. Dans le cas contraire, elles trouveront des moyens de ne pas payer leurs impôts, car estimant qu’ils seront détournés par quelques personnes, en toute impunité.

Il urge aujourd’hui que le Sénégal lutte plus fermement contre la corruption. Son Code pénal contient des dispositions relatives à la lutte contre la corruption, il a institué un organisme chargé de lutter contre la corruption (l’OFNAC), il impose à certaines personnes élues ou nommées à certaines fonctions d’effectuer une déclaration de patrimoine, enfin, il a ratifié la Convention des Nations unies et le Protocole de la CEDEAO sur la lutte contre la corruption.

Un corpus réglementaire destiné à lutter contre la corruption a été mis en place au Sénégal, ce qui est un pas important pour la vaincre. Toutefois, des réglementations anticorruption, aussi rigoureuses soient-elles, ne seront d’aucune utilité si elles ne sont pas appliquées. L’impunité s’avère le principal engrais qui favorise une culture propice à la corruption. Par ailleurs, l’équité est une nécessité pour l’efficacité dans ce combat. Si les populations perçoivent que telle personne est poursuivie pour des faits d’enrichissement illicite, parce qu’elle a un différend avec le pouvoir en place, et que pour les mêmes faits, telle autre personne ne l’est pas, parce qu’elle fait partie du pouvoir, elles ne soutiendront pas la lutte contre la corruption.

Le Sénégal doit également élaborer une réglementation qui impose aux entreprises, privées comme publiques, de mettre en place un dispositif de lutte contre la corruption et surtout de l’appliquer. Ce dispositif doit comprendre :

  • un code de conduite qui interdit expressément tout fait de corruption ;
  • la cartographie des risques pour l’application d’une approche basée sur les risques ;
  • la formation et la sensibilisation continues des collaborateurs de l’entreprise sur la lutte contre la corruption ;
  • l’élaboration de procédures anticorruption sur les appels d’offres, la mise en concurrence lors des recrutements, la politique cadeaux… ;
  • le soutien du top management qui doit montrer, à travers ses mots et ses actes, que la lutte contre la corruption est importante pour lui ;
  • l’interdiction de payer ou de recevoir des pots-de-vin pour obtenir ou octroyer un contrat ;
  • des livres comptables transparents et fiables ;
  • la gestion des conflits d’intérêts ;
  • la protection des lanceurs d’alerte qui signalent des faits de corruption ;
  • l’audit périodique du dispositif pour permettre son amélioration continue.

Nous avons évoqué plus haut les sommes importantes détournées par Sani Abacha. Ce dernier les avait transférées dans les banques occidentales. Ces flux financiers illicites ont entraîné d’énormes pertes en devises pour son pays. Les personnes qui détournent des deniers publics et les transfèrent dans les pays occidentaux drainent les devises dont un Etat a besoin pour payer ses importations. Prenons le cas du Sénégal. Sa balance commerciale est déficitaire[6] ; il importe, en grande partie, de pays qu’il doit payer en devises telles que l’euro et le dollar. Les flux illicites qui quittent le Sénégal entraîneront des difficultés à régler ses importations.

Toutefois, la lutte contre la corruption n’est pas un combat perdu d’avance. Tout pays peut l’éradiquer ou du moins fortement atténuer ses effets. Cela exige une forte volonté étatique, avec la mise en place d’un dispositif anticorruption et son application rigoureuse et impartiale. Parmi les moyens d’y parvenir :

  • voter une loi anticorruption et s’assurer de son application ;
  • traquer tout enrichissement illicite, et si la personne présumée coupable ne peut justifier son enrichissement, confisquer les fonds et les réinjecter dans les caisses étatiques,
  • doter les organismes de lutte contre la corruption de plus de ressources et d’autonomie pour qu’ils jouent efficacement leur rôle, avec équité et impartialité.

David de Ferranti, Justin Jacinto, Anthony J. Ody, Graeme Ramshaw, dans leur livre Pour une meilleure gouvernance, écrivent sur la non-fatalité de l’échec dans la lutte contre la corruption :

       « L’explication [du succès dans la lutte contre la corruption] tient, bien sûr, au simple fait que les sociétés qui se sont montrées capables de limiter la corruption disposaient pratiquement toutes d’un système efficace d’investigation – une institution judiciaire puissante et indépendante en capacité de faire appliquer les lois, des journalistes d’investigation habiles et compétents et des médias indépendants, des fonctionnaires hautement qualifiés, des organismes de contrôle disposant de moyens techniques et financiers adéquats. »[7]

Les quatre auteurs du livre ont résumé magistralement comment le Sénégal devrait s’y prendre pour lutter efficacement contre la corruption. Il en a tout intérêt : ainsi, il pourra offrir de meilleurs services publics à sa population et à un meilleur prix, il améliorera le civisme fiscal de sa population, augmentant ainsi ses recettes fiscales, et pourra mieux attirer les investisseurs étrangers, car ces derniers seront plus enclins à investir dans un pays où la corruption est strictement combattue, comme nous l’avons vu plus haut.

Pour cela, une lutte rigoureuse contre la corruption est une nécessité au Sénégal aujourd’hui. Cela ne doit pas juste être des mots, mais surtout des actions continuelles.


[1] Chiamaka Okafor, « France to return $150 million Abacha loot to Nigeria », 3 novembre 2023.

[2] Bassey Udo, « Abacha loot: Switzerland returns $723 million to Nigeria in 10 years », 15 mars 2016. https://www.premiumtimesng.com/news/headlines/200192-abacha-loot-switzerland-returns-723-million-nigeria-10-years.html?tztc=1

[3] Terence Ho, « Avoiding the ‘resource curse’ is the key to Singapore’s sustained growth », 12 novembre 2023:

https://lkyspp.nus.edu.sg/gia/article/avoiding-the-resource-curse-is-the-key-to-singapore-s-sustained-growth :

“The truth is that it is hard for economic growth to take off in countries that are beset with conflict or corruption”

[4] Une PPE est une personne qui s’est vu confier une fonction politique importante au sein d’un État ou d’une organisation internationale. Les proches et les associés des PPE sont aussi des PPE.

[5] John A. Cassara (2021), Money laundering and illicit financial flows, page 302 : “And corruption, in its many and varied forms, is the great facilator in money laundering.

[6] Selon les données provisoires de l’ANSD pour 2022, la balance commerciale s’est fortement dégradée, passant à -3986 Mds FCFA (-6,1 Mds EUR) en 2022 :

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SN/situation-economique-et-financiere-du-senegal

[7] David de Ferranti, Justin Jacinto, Anthony J. Ody, Graeme Ramshaw (2014), Pour une meilleure gouvernance, Nouveaux Horizons, page 71.

Les fondements du sous-développement de l’Afrique

Par Mamadou Lamine FALL, Docteur en Sciences politiques à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Résumé

Les conditions difficiles que traverse depuis des années le continent africain constituent un choc moral et une immense injustice. Certes, les Africains ont une grande part de responsabilité de leur situation actuelle. Mais force est de constater qu’ils sont victimes des politiques internationales complètement en leur défaveur.

Introduction

L’Afrique reste le continent le plus pauvre au monde et elle est au centre des préoccupations sur la scène internationale. En effet, divers organes et acteurs militent pour le développement du continent, et cela depuis des années, mais jusqu’ici, les efforts déployés sont en deçà pour faire reculer l’extrême pauvreté en Afrique. Le continent africain est presque inexistant dans le commerce mondial. Il ne représente qu’environ moins de 3% du commerce international comme, on le remarque : » Sa part est passée de 4 à 2,7 % entre 1970 et 2019,…Au cours du premier semestre 2020, le commerce de marchandises de l’Afrique a baissé  de 12 % par rapport à la même période l’an dernier ».[1]

En outre, la grande majorité des pays africains ont une balance commerciale déficitaire, ce qui ne favorise pas la performance économique du continent. L’Afrique dépend aussi en grande partie de l’aide publique au développement déléguant ainsi son développement à des acteurs externes.

En clair, la pauvreté de l’Afrique est due à des facteurs endogènes et exogènes. C’est ainsi que nous avons décidé de réfléchir sur les vraies causes du sous-développement de l’Afrique.

En conséquence, pour mieux appréhender ce thème, une question essentielle mérite d’être posée à savoir : Quels sont les facteurs qui justifient le sous-développement de l’Afrique ? C’est tout l’intérêt de notre réflexion sur ce sujet.

I. Les causes externes de la dépendance politique et économique de l’Afrique

Il s’agit là de passer au peigne fin les facteurs externes qui expliquent le sous-développement du continent africain et qui perdurent encore et encore sans solution sérieuse.

En effet, le système international ne favorise pas le développement du continent africain dans la mesure où, le capitalisme économique est un frein pour jeter les bases de la croissance économique de l’Afrique. Les pays développés tirent beaucoup plus de profit dans le jeu du libéralisme économique, car, ils ont une économie qui s’adapte parfaitement à ce mécanisme ce qui n’est pas le cas pour les pays africains qui ne font que subir le diktat des grandes puissances comme, on le souligne l’économiste Amin Samir : «Le développement du capitalisme en Afrique noire s’opère dans le cadre des relations de domination qui caractérisent notre époque; il n’est pas un phénomène local totalement autonome« .[2]

En outre, les organismes multilatéraux comme la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et l’Organisation Mondiale du Commerce sont des mécanismes de représentation de la machine néolibérale au grand désarroi des pays africains comme, comme le note Eric Toussaint : «  Il est essentiel de constater la cohérence des politiques recommandées par le trio Banque mondiale / FMI / OMC. Le FMI et la Banque mondiale utilisent leur statut de créancier privilégié pour conditionner l’octroi de prêts aux gouvernements de la Périphérie à la mise en œuvre de réformes économiques qui augmentent l’ouverture des économies des pays endettés au marché mondial dominé par les pays les plus industrialisés et les transnationales qui y ont en majorité leur siège ».[3]

Ces institutions internationales mettent en œuvre des politiques macroéconomiques qui désarticulent complètement les économies africaines comme par exemple les politiques d’ajustement structurel. Ces dernières ont été développées dans les années 1980 après la crise de la dette. Il faut comprendre qu’après l’accession de la plupart des pays africains à l’indépendance, les institutions de Betton Woods ont octroyé des prêts à ces pays pour leur permettre de relancer leurs économies, mais au bout d’un certain temps, c’était devenu le chaos général, les fonds alloués ont été détournés et cette situation a été aggravée par la chute du cours des matières premières qui devaient normalement servir à rembourser la dette. Vu la situation, les institutions de Betton Woods ont simplement poussé les pays africains à adopter les politiques d’ajustement structurel, pour le remboursement des prêts, c’est-à-dire, privatisation, arrêt des subventions, libéralisation de l’économie etc.

En un mot, les politiques d’ajustement structurel ont appauvri le continent africain comme, nous le notons ici : « Les programmes d’ajustement structurel pour réduire la dette ont entraîné des coupes sévères dans les subventions à la santé, l’éducation et les projets de développement rural. Les démunis, dont les femmes, en sont profondément affectés. La dette de l’Afrique au Sud du Sahara s’élève à 280 milliards de dollars US, représentant plus de 90 % du produit intérieur brut (PIB) ».[4]

Enfin, la détérioration des termes de l’échange est un procédé qui permet aux pays industrialisés de se procurer des matières premières de l’Afrique à des prix dérisoires. Pour ensuite, les transformer en des produits finis destinés à ces mêmes pays à des prix exorbitants, ce qui nous paraît une double exploitation du continent noir. C’est ce qu’on peut noter dans les propos de M. Abdelaziz Bouteflika, ancien président algérien et ancien président de l’Organisation de l’Unité Africaine dans les années 2000: « La dégradation des termes de l’échange qui se traduit par une perte de l’ordre de 2,5% du PNB des pays africains »[5].

Ainsi, il s’avère nécessaire d’étudier un autre point pour mieux cerner la problématique du sous-développement en Afrique.

Il. Les facteurs internes de la dépendance

Dans cette partie, l’accent sera mis sur les causes internes qui empêchent les pays africains de sortir de la pauvreté et de la précarité.

Premièrement, la mauvaise gouvernance est une réalité en Afrique. Chaque année, une manne financière importante fait l’objet de détournement ce qui n’est pas sans conséquence sur le développement du continent : « La mauvaise gouvernance est un frein au développement des activités économiques en Afrique et elle coûte cher».[6]

La transparence et la reddition des comptes font défaut pour la plupart des pays africains. Les marchés publics souffrent d’un manque de transparence, au point que certaines entreprises ont du mal à gagner des marchés au profit du clientélisme politique. Cette situation freine le développement du continent et accentue la pauvreté dans tous les domaines comme on le souligne ici : « Il est évident que la corruption porte directement atteinte au développement durable en Afrique de l’Ouest, comme il est évident qu’elle touche principalement les couches de la société les plus pauvres et les plus démunies »[7]

Deuxièmement, la mauvaise gestion est une tradition en Afrique. Elle se traduit par la dilapidation de deniers publics en investissant sur des projets improductifs qui n’ont pas de conséquence directe sur la croissance économique. Les programmes et projets de développement sont souvent mal appréhendés pour booster la croissance économique des pays africains comme l’affirment Arnaud Bourgain et Jean-Claude Vérèz: «  L’attente est telle que la probabilité que les politiques publiques soient satisfaisantes est très faible, dans les pays en développement (PED) et en particulier, en Afrique subsaharienne (ASS). La complexité des réalités des terrain en ASS fait que les incompréhensions et les critiques dominent largement dans la population »[8] .

Troisièmement, l’instabilité politique et les conflits internes font échouer tout espoir de développement comme on le note dans le rapport du PNUD : « L’insécurité liée aux conflits armés demeure un des plus grands obstacles au développement humain. Il s’agit tant de la cause que de la conséquence de la pauvreté de masse ».[9]

Malheureusement, c’est la marque de fabrique de la grande majorité des pays africains qui traversent des conflits armés depuis des décennies.

Conclusion

Les fondements de la dépendance économique et politique de l’Afrique se justifient au niveau interne et externe. Les facteurs externes sont tellement ancrés dans un système quasiment contrôlé et dominé par les puissances occidentales qui ne font aucun cadeau aux pays africains. On a beau parlé de l’aide publique au développement, la calamité et la fatalité continuent de décrire le continent africain.

Fondamentalement, les pays africains doivent changer de paradigme pour prendre au sérieux la question de la pauvreté. Pour ce faire, il faut envisager des solutions durables et concrètes par rapport aux facteurs internes du sous-développement. Ces efforts doivent être aussi menés sur la scène internationale en appelant à une solidarité africaine beaucoup plus sincère loin des slogans et des politiques propagandistes que ne font que ralentir le processus de développement du continent africain.

Biographie

Mamadou Lamine FALL est Docteur en Sciences politiques, spécialité : Relations Internationales à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il est spécialiste en coopération internationale pour le développement, la coopération Nord-Sud et la paix et la sécurité internationale.

Bibliographie

  • TOUSSAINT Eric, « Le trio FMI – Banque mondiale – OMC », 25 septembre 2005
  • AMIN Samir, « Le développement du capitalisme en Afrique noire», L’Homme et la société  Année 1967 6  pp. 107-119
  • U Etim, Ekei., « Dette et programme d’ajustement structurel conséquences pour les femmes en Afrique », Spore 44. CTA, Wageningen, The Netherlands 1993
    Communiqué de Presse, « La dégradation des termes de l’échange, la dette et l’insignifiance  des investissements handicapent le développement de l’Afrique ».CNUCED/B/252
  • Rapport de l’Afreximbank, Économie Commerce mondial, « l’Afrique continue à perdre du terrain », Samedi 19 Décembre 2020 – 16:04
  • www.adiac-congo.com
  • Reportage, « La corruption appauvrit les sociétés de l’Afrique de l’Ouest », Dakar, 3 janvier 2014
  • https://www.thenewhumanitarian.org/fr/reportage/2014/01/03/la-corruption-appauvrit-les-societes-de-l-afrique-de-l-ouest
  • BOURGAIN Arnaud et VÉREZ Jean-Claude, «  Politiques publiques en Afrique subsaharienne. Introduction », dans Mondes en développement 2021/3 (n° 195), pages 7 à 10
  • Rapport du PNUD sur le développement humain en 2006
  • Conférence économique africaine (CEA) 2017

[1] Rapport de l’Afreximbank, Économie Commerce mondial : « l’Afrique continue à perdre du terrain », Samedi 19 Décembre 2020 – 16:04

www.adiac-congo.com

[2] AMIN Samir, « Le développement du capitalisme en Afrique noire», L’Homme et la société  Année 1967 6  pp. 107-119

[3] TOUSSAINT Eric, « Le trio FMI – Banque mondiale – OMC », 25 septembre 2005

[4] U Etim, Ekei., « Dette et programme d’ajustement structurel conséquences pour les femmes en Afrique », Spore 44. CTA, Wageningen, The Netherlands 1993

[5] Communiqué de Presse, « La dégradation des termes de l’échange, la dette et l’insignifiance  des investissements handicapent le développement de l’Afrique ».CNUCED/B/252

[6] Conférence économique africaine (CEA) 2017.

[7] Reportage, « La corruption appauvrit les sociétés de l’Afrique de l’Ouest », Dakar, 3 janvier 2014

https://www.thenewhumanitarian.org/fr/reportage/2014/01/03/la-corruption-appauvrit-les-societes-de-l-afrique-de-l-ouest

[8] BOURGAIN Arnaud et VÉREZ Jean-Claude, «  Politiques publiques en Afrique subsaharienne. Introduction », dans Mondes en développement 2021/3 (n° 195), pages 7 à 10

[9] Rapport du PNUD sur le développement humain en 2006

La Déclaration de Nairobi : Vers une Transition Climatique en Afrique ?

Par Amadou DIALLO, docteur en droit (Université Clermont Auvergne), chargé d’enseignement à l’UFR Droit et science politique – Université Paris-Nanterre.

Résumé : Cet article procède à l’analyse des enjeux et des opportunités inhérents à la transition climatique en Afrique, en se focalisant sur quatre domaines essentiels abordés lors du premier Sommet africain sur le climat, qui s’est tenu à Nairobi, au Kenya, du 4 au 6 septembre dernier. Ces domaines comprennent le financement des initiatives climatiques, l’agenda de la croissance verte, l’intégration de l’action climatique au sein du cadre de développement économique, ainsi que l’optimisation des ressources globales. Il examine également la pertinence de la Déclaration de Nairobi, émanant du Sommet africain sur le climat. Cette Déclaration se révèle être un instrument propice à la promotion de mesures concrètes visant à favoriser la durabilité environnementale et le développement économique en Afrique, en réponse à l’impératif pressant de l’urgence climatique.

Abstract: This article conducts an analysis of the challenges and opportunities inherent to climate transition in Africa, with a focus on four key areas addressed during the inaugural African Climate Summit held in Nairobi, Kenya, from September 4th to 6th of last year. These areas encompass climate initiative financing, the green growth agenda, the integration of climate action within the economic development framework, and the optimization of global resources. Additionally, it examines the relevance of the Nairobi Declaration arising from the African Climate Summit. This Declaration proves to be an instrumental tool for promoting concrete measures aimed at fostering environmental sustainability and economic development in Africa in response to the pressing imperative of climate urgency.

Contexte

Le premier sommet africain sur le climat, (Africa Climate Summit 23), s’est déroulé à Nairobi, au Kenya, du 4 au 6 septembre dernier. Il s’agissait d’une étape significative sur la voie de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP28), qui aura lieu en novembre à Dubaï, aux Émirats arabes unis.

Les perturbations climatiques actuelles constituent une menace sans précédent qui affecte considérablement tous les continents, y compris l’Afrique. En outre, elles engendrent une grande inégalité climatique. Cette inégalité est reflétée par le fait que les pays du Nord sont historiquement responsables des émissions, alors que celles du Sud subissent les conséquences les plus sévères tout en disposant de capacités d’adaptation limitées[1]. Dans ce contexte, l’engagement des nations africaines dans la lutte contre le réchauffement climatique revêt une importance majeure.

 Le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) souligne le rôle central des activités humaines dans le changement climatique et ses principales manifestations. Il met particulièrement en lumière les conséquences de l’augmentation des événements climatiques extrêmes, qui ont exposé des millions de personnes à une insécurité alimentaire aiguë et à une réduction de la sécurité hydrique. Ces impacts ont été particulièrement prégnants dans de nombreuses régions et communautés, en particulier en Afrique[2]. L’objectif principal de ce sommet était de souligner l’urgence de renforcer les mesures visant à lutter contre le changement climatique[3]. Plus précisément, cet événement historique a abordé quatre thèmes essentiels, à savoir le financement de l’action climatique, l’agenda de la croissance verte en Afrique, la synergie entre l’action climatique et le développement économique, ainsi que l’optimisation du capital global.

Financement de l’action climat

La mobilisation de ressources financières constitue l’une des préoccupations majeures des dirigeants africains lors de ce premier sommet. L’objectif est de soutenir les initiatives visant à renforcer la lutte contre le changement climatique sur le continent.

Lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques de 2022, également connue sous le nom de COP27[4], un consensus a été atteint en vue de l’établissement d’un Fonds spécifique dédié aux pertes et dommages[5]. Ce fonds a pour but de fournir une assistance financière aux pays en développement confrontés aux impacts irréversibles du changement climatique, englobant à la fois des aspects économiques tels que la destruction d’infrastructures lors de phénomènes climatiques extrêmes, tels qu’un ouragan, et des aspects non-économiques, notamment la perte de vies humaines[6]. Bien que le terme « pertes et dommages[7] » soit officiellement reconnu par la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, la manière de traiter cette problématique suscite des débats et des controverses, principalement entre les pays industrialisés, qui portent une responsabilité historique dans le changement climatique, et les pays en développement, qui doivent surmonter de nombreux défis pour y faire face[8].

Dans cette perspective, les responsables africains ainsi que les parties prenantes impliquées dans les pourparlers sont confrontés à la responsabilité cruciale de favoriser considérablement l’effectivité de ce processus. Néanmoins, l’atteinte de cet objectif demeure tributaire de l’établissement de lignes directrices claires et précises, en conformité avec les normes des droits humains et assorties de délais contraignants pour leur mise en œuvre.

À cet égard, la Déclaration de Nairobi sur le changement climatique, adoptée à l’issue du premier Sommet africain sur le climat le 6 septembre 2023, préconise « la mise en œuvre du Fonds pour les pertes et dommages, conformément à l’accord conclu lors de la COP27, tout en convenant d’adopter un objectif mondial mesurable en matière d’adaptation (GGA) comprenant des indicateurs et des objectifs permettant d’évaluer les progrès accomplis dans la lutte contre les effets néfastes du changement climatique »[9]. Ce rappel incite les parties prenantes à entreprendre des actions décisives en vue de concrétiser les engagements pris lors de la COP27, en mettant en place des mécanismes de suivi et d’évaluation visant à assurer la transparence et l’efficacité de la mise en œuvre du Fonds pour les pertes et dommages. Il demeure essentiel de déterminer quelles mesures concrètes seront prises pour caractériser le versement de fonds destinés à indemniser les pays concernés.

Par ailleurs, lors de son discours au sommet sur le climat, le Président de la Commission de l’Union Africaine a mis l’accent sur la nécessité d’établir une position commune au sein de l’Afrique, renforcée par une dynamique unificatrice, en ce qui concerne les questions liées au changement climatique. Il a également souligné l’impératif d’une justice collective envers l’Afrique, dont la responsabilité dans la pollution planétaire est limitée, malgré sa contribution inversement proportionnelle au volume global des investissements dans la préservation de l’environnement[10].

  • Agenda de la croissance verte en Afrique

Cette thématique a également suscité d’importantes réflexions relatives au développement durable et à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone en Afrique. L’objectif sous-jacent consiste à mettre en lumière le potentiel inexploité de l’Afrique en tant que catalyseur de la croissance verte à l’échelle continentale et mondiale, tout en établissant un cadre pour l’incorporation des principes de la croissance verte au sein des politiques nationales et régionales.

En effet, le premier sommet africain sur le climat est stratégiquement positionnée pour coordonner, promouvoir et exploiter la dynamique croissante entourant divers domaines tels que la transition vers des sources d’énergie plus durables, la conservation de la biodiversité, la promotion de financements durables et la garantie de la sécurité alimentaire. Cette position stratégique est renforcée par sa proximité temporelle avec plusieurs événements majeurs, notamment la Semaine africaine du climat, le Sommet international sur le climat et l’énergie à Madrid, l’Assemblée annuelle de la Banque mondiale à Marrakech, ainsi que la conférence de reconstitution des ressources du Fonds vert pour le climat prévue à Bonn, en Allemagne, en octobre.

Les dirigeants africains s’engagent donc à promouvoir une croissance économique durable, limitant les émissions tout en favorisant une production respectueuse de l’environnement à l’échelle mondiale, créant ainsi des opportunités d’emploi[11]. Cette initiative s’inscrit dans une volonté plus vaste de renforcer la collaboration continentale en améliorant la connectivité entre les réseaux régionaux et continentaux, avec une attention particulière portée à la mise en œuvre de l’accord relatif à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf)[12]. Dans le cadre de cette démarche, les dirigeants africains cherchent également à favoriser l’industrialisation verte en priorisant les secteurs à forte consommation d’énergie, ce qui contribuera à promouvoir l’adoption des énergies renouvelables, stimuler l’activité économique et mettre en valeur les ressources naturelles de l’Afrique[13].

  • Articulation entre l’action climatique et le développement économique

En Afrique, les températures connaissent une augmentation notable, dépassant la moyenne mondiale. Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), cette tendance à la hausse est prévue de persister tout au long du XXIe siècle[14]. Cette réalité climatique impose ainsi la nécessité d’adopter une approche intégrée où les efforts déployés pour lutter contre le changement climatique sont intrinsèquement liés au développement des nations africaines.

En effet, le changement climatique représente une menace sérieuse pour la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) et du Programme de développement de l’Union africaine à l’horizon 2063. Ainsi, l’intégration des actions climatiques dans les politiques de développement devient une nécessité impérative[15]. En raison de la cadence et de l’ampleur de l’effort requis pour lutter contre le réchauffement climatique, il est impératif de prendre en considération dès maintenant son impact sur l’économie. Cette préoccupation économique est d’autant plus pertinente pour les pays africains, qui sont souvent confrontés à des défis de développement complexes[16].

Sur ce point, la déclaration des dirigeants africains sur le climat met en lumière le constat que l’Afrique se trouve dans une situation de sous-financement concernant le secteur des énergies renouvelables, en dépit de son potentiel substantiel dans ce domaine. Par conséquent, les dirigeants préconisent la nécessité d’encourager des investissements positifs en faveur du climat dans le but de stimuler la transition vers une économie verte[17]. De plus, au cours de ce premier sommet sur le climat, les chefs d’État africains s’engagent à réorienter leurs stratégies de développement économique vers une croissance favorable au climat, englobant l’expansion de transitions énergétiques équitables et de la production d’énergie renouvelable pour le secteur industriel, la promotion de pratiques agricoles respectueuses et régénératrices du climat, ainsi que la préservation et l’amélioration cruciales de la nature et de la biodiversité[18]. Ils préconisent également l’intégration des initiatives liées au climat, à la biodiversité et aux océans dans les plans et processus nationaux, garantissant ainsi leur contribution aux objectifs de développement durable, à la promotion des moyens de subsistance et à l’amélioration de la résilience des communautés locales, des zones côtières et des économies nationales[19].

En outre, ils appellent à une mobilisation collective à l’échelle mondiale visant à lever les fonds nécessaires au développement et à l’action climatique, réitérant les principes énoncés dans la déclaration du Sommet de Paris pour un nouveau pacte de financement mondial, à savoir qu’aucun pays ne devrait jamais être contraint de choisir entre ses aspirations au développement et son engagement envers l’action climatique[20].

Si la transition vers une économie à faible émission de carbone peut être une opportunité pour promouvoir une croissance économique durable en Afrique cela nécessite une planification précise et une coordination efficace entre les acteurs nationaux et internationaux. Partageant le constat, certains auteurs soulignent qu’ « il est donc nécessaire d’accroître l’efficience énergétique et l’action contre le réchauffement climatique, notamment de manière articulée entre pays au niveau international »[21].

Pour réussir cette transition, il est impératif d’élaborer des politiques publiques cohérentes qui intègrent les objectifs climatiques dans les stratégies de développement à long terme. Les investissements dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la gestion durable des ressources naturelles peuvent contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en stimulant la croissance économique. De même, une meilleure planification territoriale, une agriculture résiliente au climat et des mesures d’adaptation sont également essentielles pour atténuer les impacts négatifs du changement climatique sur les économies africaines.

  • Optimisation du capital global

À mesure que les pays africains progressent dans leur développement et adoptent un système économique de marché, il devient impératif qu’ils établissent des mécanismes en vue d’optimiser leur capital global. En effet, ce processus doit s’inscrire dans une démarche continue, constamment adaptée aux évolutions, notamment celles associées aux changements climatiques.

Dans ce contexte, la déclaration souligne que l’Afrique possède à la fois le potentiel et l’ambition d’être un élément essentiel de la solution mondiale au changement climatique. En tant que foyer de la main-d’œuvre la plus jeune et à la croissance la plus rapide au monde, associé à un énorme potentiel d’énergies renouvelables inexploité, ainsi que de riches ressources naturelles et une culture entrepreneuriale dynamique. Ces atouts placent le continent dans une position idéale pour jouer un rôle central en tant que pôle industriel compétitif et prospère, tout en offrant la capacité d’aider d’autres régions à atteindre leurs objectifs de neutralité carbone[22].

La Déclaration de Nairobi encourage également les pays du continent à renforcer leurs systèmes de résilience face à la sécheresse en passant d’une gestion réactive des crises à une approche proactive de préparation et d’adaptation à la sécheresse. L’objectif est de réduire de manière significative la vulnérabilité des populations, des activités économiques et des écosystèmes aux effets de la sécheresse[23].

Elle encourage en outre les partenaires de développement, tant du Sud que du Nord, à harmoniser et à coordonner leurs ressources techniques et financières dédiées à l’Afrique. Cela permet de favoriser l’utilisation durable des ressources naturelles du continent africain dans le but de soutenir la transition vers un développement à faible émission de carbone sur le continent, et ainsi contribuer à la décarbonisation à l’échelle mondiale[24].

Par ailleurs est proclamé la nécessité de renforcer la résilience aux chocs climatiques, notamment en améliorant le déploiement du mécanisme de liquidité des DTS et des clauses de suspension en cas de catastrophe. L’objectif est d’examiner une nouvelle émission de DTS pour répondre à la crise climatique, d’une ampleur au moins de la même ampleur que celle du Covid19 (650 milliards de dollars)[25].

En somme, l’Afrique, tout en reconnaissant son rôle essentiel dans l’atténuation du changement climatique, sollicite la solidarité et l’engagement de la communauté mondiale en vue de garantir un avenir plus durable et résilient. Cependant, la mise en œuvre effective de cette intention demeure un sujet d’interrogation suscitant des débats ininterrompus. Quoi qu’il en soit, la Déclaration de Nairobi sur le changement climatique, qui a été adoptée à l’issue du premier Sommet africain sur le climat, constituera un outil dont pourront se servir les négociateurs et les acteurs sociaux des pays africains pour exiger davantage le respect des engagements pris et encourager des mesures plus ambitieuses. En effet, de nombreux pays africains sont fortement touchés par les conséquences du réchauffement climatique, ce qui renforce leur intérêt pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Quelle que soit la portée limitée du Sommet africain sur le climat et de sa déclaration, sa contribution à cette cause est une nouvelle favorable pour la communauté mondiale tout entière.

Biographie de l’auteur
Amadou Diallo est titulaire d’un M2 en science politique, option relations internationales, obtenu en 2015 à l’Université de Mohammed V de Rabat, suivi d’un M2 en droit de l’environnement et de l’urbanisme en 2018 à l’Université d’Artois (France). Il a également un Diplôme d’Université (DU) en expertise juridique et technique de l’environnement de l’École des Mines de Douai. En juin 2023, il a soutenu sa thèse de doctorat en droit à l’Université de Clermont Auvergne. Actuellement, il occupe le poste de chargé d’enseignement à l’Université Paris Nanterre, au sein de la faculté de droit. Ses domaines de recherche couvrent le droit public, le droit administratif et le contentieux administratif, le droit de l’environnement et de l’urbanisme, ainsi que les études africaines, en particulier la région du Sahel.

Bibliographie

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  • United Nations Climate Change, La COP 27 parvient à un accord décisif sur un nouveau fonds « pertes et préjudices » pour les pays vulnérables (en ligne), 21 novembre 2022, consulté le 14 septembre 2023 à 17h13 minutes.

[1] Sur ce point voir M. WOILLEZ, « L’Afrique face au changement climatique », Agence française de développement éd., L’économie africaine 2023. La Découverte, 2023, p. 25-44 ; L. BOISGIBAULT, et P. DIBI-ANOH, Changement climatique en Afrique subsaharienne, de la vulnérabilité à l’adaptation, In : Douzièmes Journées Géographiques de Côte d’Ivoire (JGCI-2020), 2020 ou encore l’Organisation Météorologique Mondiale, Le rapport sur l’état du climat en Afrique met l’accent sur le stress hydrique et les risques liés à l’eau, publié 08/09/2023, consulté 09/10/2023, disponible à l’adresse : public.wmo.int

[2] GIEC, « Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité, Le Résumé à l’intention des décideurs », consulté le 20 septembre 2023, p. 9, disponible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/report/IPCC_AR6_WGII_SummaryForPolicymakers.pdf

[3] N. GORBATKO, « Sommet africain sur le climat : la communauté mondiale rappelée à ses engagements », Actu Environnement, 08/09/2023, consulté le 25/09/2023 à 11h07 minutes, disponible à l’adresse : https://www.actu-environnement.com

[4] La 27e Conférence des Nations Unies sur les Changements Climatiques, qui s’est tenue du 6 au 10 novembre 2022 à Charm el-Cheikh, en Égypte.

[5] United Nations Climate Change, La COP 27 parvient à un accord décisif sur un nouveau fonds « pertes et préjudices » pour les pays vulnérables (en ligne), 21 novembre 2022, consulté le 14 septembre 2023.

[6] United Nations Climate Change, « La COP 27 parvient à un accord décisif sur un nouveau fonds ( pertes et préjudices ) pour les pays vulnérables », 21 novembre 2022, consulté le 14 septembre 2023, disponible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/fr/news/la-cop-27-parvient-a-un-accord-decisif-sur-un-nouveau-fonds-pertes-et-prejudices-pour lespays#:~:text=ONU%20Climat%20infos%2C%20le%2020,touch%C3%A9s%20par%20les%20catastrophes%20climatiqus

[7] Ce terme « désignent les effets néfastes potentiels pouvant résulter des interactions entre les aléas liés au climat et l’exposition et la vulnérabilité à ces aléas ». Voir OECD iLibrary, « Pertes et dommages induits par le changement climatique : un moment critique pour agir », consulté le 20 septembre 2023, à l’adresse suivante : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/5acc2318-fr/index.html?itemId=/content/component/5acc2318-fr

[8] J. DURAFOUR et Ch. DE LA CHAPELLE, La protection des droits humains face au changement climatique: vers une meilleure justiciabilité?, Université de Genève, consulté le 27/09/2023, disponible à l’adresse : https://www.humanrights.ch/cms/upload/pdf/2022/220811_Memoire_Jeanne_Durafour.pdf; Sur ce point, voir aussi ZAMBO, Yanick Hypolitte, La perception de la justice climatique dans les régions les plus vulnérables et à faible capacité d’adaptation au changement climatique: le cas de l’Afrique subsaharienne, NAAJ-Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables, 2021, vol. 2, no 1.

[9] Déclaration des dirigeant africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action, adopté le 6 septembre 2023 à Nairobi, Kenya, point 20.

[10] Sur ce point voir l’Union Africaine « Discours du Président de la Commission de l’Union Africaine S.E. M. Moussa Faki Mahamat à l’occasion du Sommet Africain Sur Le Climat », septembre 05, 2023, consulté le 13 septembre, disponible à l’adresse suivante : https://au.int/fr/speeches/20230905/discours-de-se-moussa-faki-mahamat-president-lors-de-louverture-de-acs2023

[11]  Déclaration des dirigeant africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action, op., cit, point 22.

[12] Ibid., point 25.

[13] Ibid., point 26.

[14] Sur ce point voir IPCC Intergovernmental Panel on climate change, Climate change 2023, Synthesis Raport, Summary for policymakers, p. 3-42.

[15] A. CHARTIER, M. TSAYEM DEMAZE, « L’Afrique dans l’agenda international de réduction des émissions de gaz à effet de serre : quelle transition énergétique pour quel développement ? L’exemple de Madagascar », Mondes en développement, 2020/4 (n° 192), p. 77-79.

[16] Ibid., p. 71-88.

[17]  Déclaration des dirigeant africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action, op., cit, point 11.

[18] Ibid., point 23.

[19] Ibid., point 31.

[20] Ibid., point 43.

[21] H. GéRARDIN, O. DAMETTE, « Quelle transition énergétique, quelles croissance et développement durables pour une nécessaire transition écologique ? Présentation », Mondes en développement, 2020/4 (n° 192), p. 11.

[22] Déclaration des dirigeant africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action, op., cit, point 13.

[23] Ibid., point 37.

[24] Ibid., point 40.

[25] Ibid., point 44


Qu’est-ce que la conformité bancaire et quelle est son importance ?

Par Moussa SYLLA, directeur de la Conformité à la FBNBank Sénégal, auteur de « La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone UMOA« 

Les banques évoluent dans un secteur d’activité réglementé. Ainsi, elles sont assujetties à des normes (lois, circulaires, règlements, instructions) qu’elles doivent respecter. Les banques au Sénégal et dans la zone UMOA doivent tout d’abord obtenir un agrément avant de pouvoir exercer.

Après avoir obtenu leur agrément, les banques doivent respecter un certain nombre de réglementations, comme nous l’avons écrit plus haut. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, elles font partie des personnes assujetties. Dès lors, elles doivent mettre en place un dispositif de lutte contre ces deux fléaux, en connaissant leur clientèle (KYC), en surveillant leurs transactions, en filtrant les personnes qui effectuent les transactions dans leurs livres, et en déclarant à la CENTIF toutes les opérations en espèces égales ou supérieures à 15 millions de francs CFA et les transactions suspectes…

Blanchiment des capitaux

Toutefois, les banques ne sont pas les seules personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; celle-ci doit être un effort collectif. Sinon, nous en pâtissons tous.

Il y a un fort soupçon que le boom immobilier que connaît le Sénégal est dû au blanchiment de capitaux. Si les notaires, les agents immobiliers ne jouent pas aussi leur rôle pour combattre le blanchiment de capitaux, le Sénégal y sera toujours en proie, et les classes moyennes continueront d’éprouver de grandes difficultés pour se procurer un logement.

Cela est également valable pour la corruption qui fait partie des infractions sous-jacentes du blanchiment de capitaux. Un pays qui connaît une forte corruption est un pays très vulnérable face au blanchiment de capitaux. Si le Sénégal ne combat pas avec force la corruption, il sera utopique de penser qu’il pourra éradiquer le blanchiment de capitaux.

Les banques doivent également respecter les réglementations relatives au dispositif prudentiel, faire preuve de loyauté envers leurs clients en leur vendant des produits et services adaptés à leurs besoins, et procéder, avant d’exécuter un transfert à l’étranger, à des vérifications telles que requises par la Réglementation sur les relations financières extérieures de l’Union…

Des sanctions conséquentes

Si elles ne respectent pas toutes ces réglementations, les banques s’exposent à des sanctions financières et disciplinaires de la part de la Commission bancaire, qui est leur organe régulateur. À l’échelle mondiale, les sanctions peuvent être très élevées ; récemment, une banque allemande, Deutsche Bank, a été sanctionnée d’un montant de 186 millions de dollars par le régulateur américain pour non-respect du dispositif réglementaire de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Dans la zone UMOA, depuis juin 2022, des banques ont été sanctionnées de montants allant jusqu’à 300 millions de francs CFA pour non-respect de diverses réglementations qui leur sont applicables.

Les sanctions ont un impact important, parce qu’elles entraînent la mauvaise réputation d’une banque, ce qui peut faire fuir ses clients ou pousser ses correspondants bancaires à cesser toute relation avec elle. Dans la zone UMOA, les sanctions sont pour le moment anonymes, mais cela changera certainement dans le futur. À l’échelle internationale, le nom de la banque sanctionnée est publié, et tous les grands médias en parlent, nuisant à son image et à sa réputation.

Le rôle de la conformité est de s’assurer que toutes les réglementations qui sont applicables à une banque sont respectées, en son sein. Pour cela, la fonction conformité ou la compliance doit identifier toutes les normes qui régissent une banque, les diffuser à l’ensemble du personnel et établir des contrôles pour s’assurer de leur respect. Par ailleurs, elle doit former et sensibiliser l’ensemble du personnel sur le respect des règles. Pour assurer son indépendance, elle doit rendre compte au Conseil d’administration et ne doit pas exercer des fonctions opérationnelles ou génératrices de revenus pour éviter tout conflit d’intérêts.

La conformité commence par le sommet

Les banques sont tenues de disposer « d’une fonction conformité permanente » dans la zone UMOA, selon la circulaire 05/2017/CB/C. C’est une chose d’en disposer d’une, c’en est une autre que ses avis soient sollicités et écoutés. Certaines entreprises mettent en place une fonction conformité cosmétique, parce que la réglementation le leur exige. Cependant, elles n’écoutent pas l’avis de la fonction conformité, et même, le marginalisent. Aussi dit-on que la conformité commence par le sommet, le Conseil d’administration et la Direction générale d’une entreprise, ce que les anglo-saxons appellent le « tone from the top », ou le ton donné par le sommet.

Les dirigeants d’une banque doivent montrer, à travers leurs mots et leurs actes, que la conformité est importante pour eux, qu’elle fait partie intégrante de l’entreprise. Pour cela, ils doivent lui octroyer des ressources humaines suffisantes et les ressources matérielles nécessaires afin qu’elle puisse être efficace dans ses tâches. La fonction conformité à elle seule ne peut faire respecter les règles dans une entreprise. Si elle n’a pas le soutien du top management, aussi volontaire et compétente soit-elle, elle sera inefficace.

C’est le sens des mots de Peter B. Driscoll, directeur de l’Office of Compliance Inspections and Examinations du Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur américain de la Bourse, dans un discours qu’il prononça le 19 novembre 2020, intitulé « The Role of CCO[1] – Empowered, Senior and With Authority :

         « L’un des aspects les plus importants d’un programme de conformité efficace consiste à faire en sorte que le top management soutienne la Conformité et donne à son directeur les moyens d’accomplir son travail efficacement. Sans le soutien de la Direction générale, aucun directeur de la conformité, aussi diligent et compétent soit-il, ne peut être efficace (…)

La cause ou le blâme d’un problème ou d’un échec de conformité n’incombe généralement pas uniquement au directeur de la Conformité et peut ne pas être dû en totalité au directeur de la Conformité. »[2]

Le top management doit montrer l’exemple

Dans notre livre La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone UMOA, nous insistons sur l’importance que le top management doit accorder à la fonction conformité. Pourquoi ? Les travaux de Robert Cialdini, dans son livre Influence et manipulation, montrent que l’autorité fait partie des mécanismes de persuasion les plus efficaces. Les subalternes sont influencés par leurs supérieurs. Quand ces derniers montrent l’exemple, non pas juste par leurs mots, mais aussi par leurs actions, se diffusera, au sein d’une entreprise ou d’une banque, une culture de conformité. Cela entraînera que les règles y seront respectées, parce que cela fait partie de la culture d’entreprise.

À défaut, comme nous l’avons vu plus haut, une entreprise ou une banque sera sanctionnée, et si ces sanctions sont diffusées nommément, sa réputation sera ébranlée. La réputation fait partie des actifs les plus importants d’une entreprise.

Ce livre a été écrit pour aider les banques de la zone UMOA à se conformer à leurs obligations réglementaires. Il leur montre comment implanter un dispositif de conformité et comment l’appliquer. L’époque où une banque pouvait accepter n’importe quel dépôt sans demander des justificatifs sur la provenance des fonds et s’assurer de leur licéité est révolue, l’époque où elle pouvait vendre à sa clientèle des produits et services inadaptés à ses besoins est aussi révolue – les clients peuvent transmettre une réclamation à une banque, et celle-ci est tenue d’y répondre dans un délai d’un mois. Dans le cas contraire, ils peuvent saisir la Commission Bancaire à l’adresse web suivante : (https://www.cb-umoa.org/index.php/fr/reclamation).

Aujourd’hui, une banque est tenue de se conformer aux règles et d’agir avec éthique et déontologie. Pour cela, la conformité est un bien nécessaire et apporte une grande valeur ajoutée à une banque qui lui accorde de l’importance.

Moussa Sylla est un professionnel de la conformité, avec plus de cinq ans d’expérience dans le domaine. Il a été tour à tour chargé de conformité, Responsable Service LAB/FT et Veille réglementaire, Directeur de la Conformité, dans trois banques différentes. Il est aussi l’auteur de plusieurs publications sur la conformité.

moussisylla@gmail.com


[1] Chief Compliance Officer, ou directeur de la conformité.

[2] Voir le discours de Peter B. Driscoll sur le lien suivant : https://www.sec.gov/news/speech/driscoll-role-cco-2020-11-19

OMC: à l’heure de la dé-mondialisation, l’Afrique peut-elle rester spectatrice ?

Par Joël Té-Léssia Assoko, journaliste, éditeur associé à l’Afrique des Idées

Alors que l’ordre commercial international est en plein chamboulement, les voix africaines se font inaudibles. A quel prix?

Les intrus sont dans Babylone. Et ses défenseurs hésitent. La décadente citadelle peut-elle encore être défendue ? Mieux: est-elle moralement défendable ? “Pour la première fois en cinquante ans, il n’y a pas d’accord mondial sur le commerce”, affirmait à la mi-septembre, à Genève, l’ex-Premier ministre britannique Gordon Brown, invité vedette du Forum public de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Plus diplomate, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’institution multilatérale, s’alarmait d’une “tendance” pouvant mener “à la fragmentation de l’économie mondiale”.

À la coalition hétéroclite – nationalistes, populistes et altermondialistes – s’est joint une toute aussi disparate mais autrement plus puissante confédération de “réformateurs”. Tous insatisfaits de “l’ordre économique mondial” bâti depuis 75 ans “sur l’idée que l’interdépendance parmi les nations à travers l’accroissement du commerce et des liens économiques promouvrait la paix et la prospérité partagée”, comme s’en est émue Ngozi Okonjo-Iweala. Pour l’ancienne ministre nigériane des Finances, “cette vision est aujourd’hui menacée”. Avec elle, le futur d’une économie mondiale “ouverte et aux règles prévisibles”.

Une approche punitive du commerce

Le fait est que, longtemps confinés aux marges de l’économiquement correct, les “sales petits secrets” de la mondialisation sont désormais au cœur de l’agenda des élites. “Des idées qui avaient été discréditées après les ‘erreurs’ des années 1930 reviennent aujourd’hui à la mode”, alerte le dernier “Rapport sur le commerce international”. Selon les économistes de l’OMC, le processus de “démondialisation” aujourd’hui entamé “rendrait l’économie mondiale plus pauvre, moins efficace, moins innovante et plus limitée en ressources, réduisant ainsi les capacité à faire avancer les priorités sociales, environnementales ou sécuritaires”.

Peut-être bien. Quoi qu’il en soit, les mesures protectionnistes (“distortionnaires” dans le franglais de l’OMC) autrefois camouflées via divers subterfuges sont aujourd’hui assumées. Ainsi, le durcissement des règles commerciales vis-à-vis de la Chine décidées par l’administration de Donald Trump n’ont guère été supprimées. Loin s’en faut. Alors que la Chine domine le marché des “minerais critiques” essentiels à la fabrication des batteries électriques, les exemptions fiscales pour l’acquisition de véhicules électriques prévues par la Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act – IRA) promulguée par Joe Biden en août 2022, ne sont réservées qu’aux voitures dont au moins 50% des intrants proviennent d’Amérique du Nord, en 2030 ce taux sera de 100%, rappelle Xolelwa Mlumbi-Peter, ambassadrice de l’Afrique du Sud auprès de l’OMC. “Qu’adviendra-t-il si ce n’est un espace commercial mondial fragmenté ?”, s’alarme la diplomate sud-africaine.

L’Union européenne défend son Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Carbon Border Adjustment Mechanism – CBAM). Un ensemble de taxes appliquées à diverses importations (acier, ciment, engrais, aluminium, hydrogène, véhicules) dont la phase transitoire commence en octobre 2023. Bien sûr, ce n’est que pure coïncidence si ces mesures épousent la géographie exacte des points faibles de l’industrie européenne. Il s’agit uniquement de mettre en œuvre “une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits”. Et ce principalement afin de “lutter contre les fuites de carbone [transfert des activités polluantes vers des juridictions moins réglementées, ndlr], dans un contexte de renforcement de l’ambition climatique au niveau européen”. Pour le président français Emmanuel Macron, il s’agit pour l’Europe de retrouver son “autonomie stratégique”. 

“Il est nécessaire de trouver les solutions de décarbonisation les moins restrictives pour le commerce. Le CBAM, par exemple, perturbera considérablement les échanges internationaux, mais ne permettra de réduire que très marginalement les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela revient à utiliser un bazooka pour tuer une mouche”, répond Xolelwa Mlumbi-Peter.

Équité et dynamique de pouvoir

Le “Sud global” n’est pas en reste. La Chine, deuxième puissance économique mondiale, s’agrippe à son statut de “pays en développement”, arguant de ses concessions passées. ”Lors de son adhésion à l’OMC, la Chine a accepté des conditions et un traitement très stricts. Par exemple, alors que la limite des subventions a été fixée à 5 % de la valeur de la production agricole pour les pays développés et à 10 % pour les pays en développement, cette limite est de 7,5 % pour la Chine”, explique un haut dirigeant des instances commerciales internationales. 

Il est à noter que le statut de “pays en développement”, est autoproclamé lors de l’adhésion à l’OMC – ce qui requiert l’unanimité des pays membres – et ne peut être abandonné que volontairement. “Le Brésil, Singapour et la Corée du Sud ont individuellement renoncé à bénéficier du “traitement spécial et différencié” réservé dans le cadre de l’OMC aux pays en développement mais n’ont pas formellement renoncé à leur statut de pays en développement”, nous a rappelé ce diplomate, familier des positions du “Sud” dans ces négociations.

Au sein même de l’OMC, “Nord” et “Sud” sont engagés dans une guérilla multipolaire. Avec l’Inde en chef de file, nombre de pays émergents et en développement (d’environ 40 à 90 États selon les sources), exigent la sanctuarisation de la “Détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire”, tandis que d’aucuns, parmi les pays riches surtout, se plaignent que ces achats provisionnels de bien alimentaires “faussent” les échanges “lorsqu’ils impliquent des achats auprès d’agriculteurs à des prix fixés par les pouvoirs publics, dénommés prix ‘administrés’”. Autrement dit : des subventions cachées à l’agriculture locale.

L’ironie étant denrée rare sur les rives du lac Léman, les pays développés s’opposent à toutes réductions de leurs propres subventions agricoles, tant qu’un accord ne sera pas trouvé au sujet des stocks alimentaires. Les solutions intermédiaires avancées par le Costa Rica, l’Inde et la Chine sur des réductions “asymétriques” ou étalées dans le temps des subventions agricoles ne font toujours pas l’unanimité. 

Or, commente un diplomate européen, environ la moitié des 800 milliards de dollars de subventions agricoles annuelles à travers le monde sont considérées comme “ayant un effet de distorsion” sur le commerce. “En comparaison, l’engagement pris lors de la COP21 à décaisser 100 milliards de dollars en faveur de l’agriculture verte n’a toujours pas été atteint”, a-t-il regretté. En plus des subventions, les mesures relatives au contenu local “sont mises en œuvre au mépris total des règles de l’OMC”, ajoute Xolelwa Mlumbi-Peter, qui avoue sa crainte que “l’ordre commercial mondial progresse désormais sur la base d’une dynamique de puissance et non selon l’équité”.

Pour ne rien arranger, note le rapport de l’OMC, le nombre de mesures d’exception liées à la “sécurité nationale” invoquées pour restreindre les échanges commerciaux a radicalement augmenté. Entre 2016 et 2022, elles ont été invoquées pas moins de 43 fois au sein des comités de l’OMC, contre 35 fois durant les treize premières années de l’OMC. Entre-temps, aucun accord n’a été trouvé pour redémarrer la cour d’appel de l’instance de règlement des différends commerciaux de l’OMC, bloquée par le véto des États-Unis qui, encouragés par d’autres pays développés, estiment que cette dernière a outrepassé ses compétences.

Qu’en est-il de l’Afrique ?

Entre clauses discriminatoires et mesures de distorsions, subventions iniques de plus en plus assumées et sabotages explicites de l’OMC – sous-staffée et dont le budget annuel est bloqué à 197 millions de francs suisses depuis dix ans malgré l’inflation -, “il y a peu de raisons d’être optimistes”, a reconnu un délégué de la Banque mondiale. “Lors de la dernière conférence ministérielle sur le commerce, en juin 2022, les États-Unis, la Chine et l’UE ont esquivé les questions sur les distorsions créées par leurs subventions. Elles n’ont pas été mentionnées dans le communiqué final. Tous les coupables sont dans la salle, en toute impunité vu la paralysie du mécanisme de règlement des différends de l’OMC”, a regretté ce haut fonctionnaire international. 

Plus optimiste, Henry Gao, professeur de droit à Singapore Management University, plaide : “Parce qu’ils sont tous des coupables, il est possible de parvenir à un grand accord sur les subventions si le coût de ces dernières devient trop élevé dans un contexte de durcissement des conditions des marchés financiers”. Cela est possible. Mais venons en au fait : tous les coupables sont peut-être dans la salle, mais toutes les parties prenantes y sont-elles ? 

Qu’en est-il de l’Afrique dans ce maëlstrom d’iniquités, dans cette économie mondiale en voie de “démondialisation” ? Il serait injuste de répondre “nulle part”. 

D’un, le système un pays-une voix qui freine parfois l’adoption des décisions accorde de fait un poids colossal à la quarantaine de pays africains membres de l’OMC, comme le prouve leur soutirn à l’Inde au sujet des stocks alimentaires. 

De deux, comme s’évertue à le rappeler Ngozi-Okonjo-Iweala, “aujourd’hui, 75 % du commerce mondial se fait dans le cadre de la ‘Clause de la nation la plus favorisée’”, pilier de l’ordre économique bâti par et autour de l’institution multilatérale. 

Enfin, “lorsqu’il s’agit des questions de politique [policy issues] et des priorités africaines (l’Agenda 2063 tout comme la zone de libre-échange continentale africaine – Zlecaf), l’unité africaine ne fait aucun doute. Nous nous sommes mis d’accord sur les propositions que nous avons présentées”, se félicite Xolelwa Mlumbi-Peter. 

Pour autant, la représentante de Pretoria admet que “le groupe Afrique est confronté à des contraintes de capacités institutionnelles”. L’Afrique du Sud et le Nigeria, uniquement, disposent d’ambassadeurs et d’équipes spécifiquement dédiées à l’OMC, regrette-elle : “Les autres représentations africaines en Suisse sont surchargées”, entre obligations consulaires à Berne et autres missions auprès des instances helvétiques de l’ONU.

Bizarrerie géopolitique

Avec moins de 5% des échanges internationaux de marchandises, le continent ne porte aucune responsabilité dans la dislocation en cours de l’ordre commercial mondial. 

Pour une fois, les pays africains ne figurent pas parmi les “suspects habituels” d’une bizarrerie géopolitique des temps modernes. Ni protagonistes, passablement “victimes”, certainement pas coupables. Mais, s’agit-il vraiment d’un progrès ?

Dans le grand théâtre du monde, l’innocence semble une vertu, mais elle n’a aucune valeur.

Diplômé en économie (Paris Dauphine PSL) et en affaires internationales (SciencesPo Paris), Joël Té-Léssia Assoko est éditeur associé de l’Afrique des Idées. Journaliste économique depuis dix ans, il a dirigé le pôle économie et finance du média panafricain Jeune Afrique entre 2020 et 2022.

Coup d’Étatisme et Etatisme du coup en Afrique : entrée ou sortie de la démocratie ?

Par Thierry AMOUGOU, économiste, Professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié: Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.

L’Afrique connaît ces derniers temps une cascade de coups d’Etat que la communauté internationale analyse plutôt négativement. Ce texte s’attèle à soutenir une lecture positive du coup d’Etat à l’aune des problèmes concrets du continent africain en montrant que les derniers coups de force qui ont eu lieu en Afrique s’apparentent à des révolutions populaires et que cela les différencie de l’Etatisme du coup contre lequel sont en lutte les peuples africains. Nous cherchons à débusquer les mouvements de fond intra-africains et internationaux qui expliquent la conjoncture politique africaine du moment et militent pour une non-condamnation systématique de l’usage de la crédibilité des armes pour prendre le pouvoir d’Etat.

  1. Coup d’Etatisme

Deng Xiaoping peut être considéré comme le père de l’hyperpuissance capitaliste actuelle qu’est la Chine. Il en est le père-fondateur via un coup d’Etat idéologique sur le parti communiste chinois qui, avec lui, et contrairement à Mao Tsé-toung, devint un parti promoteur d’une économie capitaliste en lieu et place d’une économie communiste. Ce changement idéologico-pratique opérationnalisé en s’accaparant de l’appareil dirigeant central chinois est analogue à ce que fit Thomas Sankara au Burkina Faso pour instaurer ce qu’il appela le « pays des hommes intègres » en contradiction avec la Haute-Volta au service, d’après lui, des intérêts de la domination étrangère et du néo-colonialisme. L’officier Jerry Rawlings installa le Ghana sur la route de la démocratie et de la bonne gouvernance après un putsch en 1979. Dans le cas de la France, la banque de France, le Franc, l’architecture administrative de base du pays, le Code civil et la légion d’honneur encore d’usage aujourd’hui sont des créations du général Napoléon Bonaparte suite à sa prise de pouvoir par coup d’Etat sur le régime issu de la révolution de 1789. Ces quelques exemples historiques parmi des centaines d’autres prouvent que le coup d’Etat peut avoir une valeur politique positive dans l’histoire politique du monde. Aussi, comme le stipule la suffixation[1] en –isme des noms de discours, nous pouvons valoriser la base coup d’Etat par sa modalisation positive et nominale coup d’Etatisme concevable comme l’omniprésence heureuse du coup d’Etat dans l’histoire politique mondiale et dans certaines conjonctures de cette histoire politique. Celle que vit actuellement l’Afrique en fait partie. Le coup d’Étatisme est donc une modalité idéologique et pratique d’organisation du pouvoir politique et de la transition de celui-ci vers une autre forme jugée meilleure via le coup d’Etat au sens d’instrument de prise de pouvoir et d’articulation temporaire du champ politique dans l’histoire longue des sociétés vers des régimes politiques que les auteurs du coup d’Etat pensent non seulement plus libres et plus justes, mais aussi plus productives et impossibles à atteindre sans au préalable une mise en ordre des hommes et des choses dans le sens des conditions de possibilités de cette justice, de cette liberté et de cette efficacité.

Dès lors, un coup d’Etat est parfois un coup heureux au sens de stratégie dans un jeu politique à plusieurs coups et à plusieurs acteurs. C’est un coup d’avance et de désaxement d’une dynamique politique en place au profit d’une autre via l’introduction d’un nouvel axe organisateur du pouvoir exécutif.

C’est une prise de responsabilité par l’entremise d’un moyen non constitutionnel mais objectif qu’est l’autorité et la force que l’Etat donne à une partie de l’Etat pour servir l’Etat et la société. Au sein de l’Afrique actuelle, une minorité numérique (au sein des armées) rencontre, via le coup d’Etat qu’elle orchestre, une majorité populaire sur le plan idéologique et des besoins politiques. Les sociétés africaines prennent donc désormais leurs politiques en main à travers le coup d’Etatisme. Que cela débouche sur des résultats positifs ou non dans les années à venir est moins important que cette maîtrise de leur réel qu’elles entament.

Dès lors, les gardes présidentielles africaines deviennent des « chiens de garde » des peuples et leurs caisses de résonnance en traduisant en action politique les rêves caressés et les désirs profonds des populations africaines réléguées à de simples statistiques par la démocratie libérale. C’est là où le coup d’Etat négatif, très souvent démographiquement minoritaire, se différencie du coup d’Etatisme et rejoint la révolution dans le cas de l’Afrique où les coups d’Etat rencontrent un soutien populaire.

Primo, ces coups d’Etat militaires sont applaudis par les populations africaines qui ne défendent en retour aucun régime déchu dit démocratiquement élu. Deuxio, les populations africaines contestent les troisièmes mandats mais ne contestent aucun des derniers coups d’Etat militaires dans leur continent. Tertio, les troisièmes mandats tuent plus que les coups d’Etat militaires. La preuve, la contestation liée au troisième mandat du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara a tué plus de personnes en Afrique que les quatre derniers coup d’Etat en Guinée, au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Le constat est clair et sans bavures : d’un côté, les sociétés africaines accueillent favorablement les coups d’Etat militaires et, de l’autre, les conflits pré et postélectoraux liés aux troisièmes mandats sont, dorénavant, plus thanatologiques en Afrique que les coups d’Etat militaires. La question de savoir comment et pourquoi le coup d’Etat militaire redevient le modèle politique gagnant en Afrique est donc cruciale dans un continent engagé dans un processus démocratique depuis les années 1980. Ces coups d’Etat sont-ils la sortie de l’Afrique de la poursuite de l’idéal démocratique ? Sont-ce son entrée dans la barbarie politique ? Pourquoi, alors que les coups d’Etat sont très souvent des moments de terreur houspillés par les peuples, ceux qui se font en Afrique ces derniers temps, sont plutôt encensés par les peuples africains ? N’est-il pas un signe positif de liberté des peuples africains que les coups d’Etat qui y étaient majoritairement commandités et pilotés par les anciennes puissances coloniales s’y fassent dorénavant à partir des Africains eux-mêmes ?

  • Entrée dans la barbarie politique et sortie de la démocratie ?

Les récents coups d’Etat africains sont-ils le retour de la barbarie politique, c’est-à-dire d’une grossièreté politique propre aux peuples barbares qui montreraient ainsi qu’ils ne sont encore entrés dans le temps démocratique signe d’une civilisation moderne des mœurs politiques ? Sont-ils des preuves que les peuples africains manquent d’esthétique et de goût politiques tant en applaudissant les modes non-démocratiques d’accès au pouvoir qu’en célébrant l’avènement à la tête de leurs Etats d’hommes en treillis qui désertent les casernes et montrent ainsi que les armées africaines manquent cruellement de professionnalisme ? Sont-ce une démonstration d’une Afrique non encore convaincue de Winston Churchill suivant lequel la démocratie est un mauvais système mais le moins mauvais de tous les systèmes ?

Force est de constater que la barbarie politique a commencé en Afrique avec les puissances coloniales qui ont détruit les systèmes politiques africains pendant l’Etat colonial et ont parachevé cette œuvre lors des indépendances en 1960 par la liquidation du leadership nationaliste et panafricaniste du continent. Des figures comme Ruben Um Nyobè au Cameroun, Patrice Lumumba en RDC, Sylvanus Olympio au Togo, Louis Rwagasore au Burundi, pour ne citer qu’elles, ont été liquidées par ce premier épisode de barbarie politique faisant lui-même suite à la barbarie multi-centenaire du commerce triangulaire. La première vague de coups d’Etat en Afrique est donc constituée de ceux des anciennes puissances coloniales sous formes d’élimination physique et/ou d’éviction du pouvoir des leaders africains nationalistes et panafricanistes au profit des collabos locaux.

La deuxième vague de coups d’Etat (1960-1980) survient dans une Afrique postcoloniale. Elle est surtout causée par les balbutiements institutionnels d’Etats africains encore très fragiles car à peine sortis du système colonial proprement dit et tout de suite soumis aux affres du néocolonialisme et de la guerre froide. C’est ainsi que le président gabonais Léon Mba déposé par l’armée gabonaise en 1964 fut réinstallé sur son fauteuil présidentiel par le général de Gaulle suite à une intervention directe de l’armée française au Gabon alors que d’autres militaires comme Mobutu ou Eyadema se maintinrent au pouvoir grâce à la rente géopolitique de la guerre froide. Dans la mesure où le processus démocratique engagé en Afrique avec les ajustements structurels en 1980 se clôture de nos jours par une troisième vagues de coups d’Etat militaire, il semble indiqué de considérer que celle-ci, lorsqu’on prend en compte les processus sociétaux réels, essaie de sortir l’Afrique d’un processus démocratique devenue lui-même une nouvelle barbarie politique des temps modernes. Comment le processus démocratique est-il devenu une barbarie politique en Afrique ? Les lignes qui suivent s’attèlent à l’éclairer.

  • Etatisme du coup

Le coup d’Etatisme africain fait aussi du coup d’Etat une action politique positive en Afrique parce qu’il est en lutte contre l’Etatisme du coup en vigueur dans ce continent depuis la période coloniale. L’Etatisme du coup est une main basse, un délit, une mauvaise action sur les sociétés africaines. Il agit via plusieurs modalités interdépendantes (Etats occidentaux, Etats africains, institutions internationales, idéologies dominantes…) qui s’opérationnalisent toutes par le biais de la systématisation d’une intervention étatique qui, depuis l’Etat-colonial, a porté un mauvais coup à l’Afrique dans le sens d’un mouvement par lequel un corps politique (l’Etat colonial) vient à heurter un autre corps politique (la société africaine précoloniale) qui se retrouve désorganisée dans ses fondements dans tous les domaines.

L’Etatisme du coup s’est ensuite manifesté en Afrique postcoloniale, notamment francophone, par la Françafrique, réseau mafieux qui orchestra, après les indépendances, de nombreux coups d’Etat en passant par les Etats africains postcoloniaux. Il prit la forme du coup de main (aides et appuis divers) de l’Etat français au régime postcoloniaux en place, des coups de feux à travers l’armées française (cas du Gabon en 1964), des coups tordus (introduction de la fausse monnaie en Guinée Conakry par la France en 1958), des coups de force du mercenaire français Bob Denard via le renversement de plusieurs régimes africains de 1980 à 1995 et du coup de folie lors du soutient total de l’Etat français à l’Etat centrafricain pour le sacre de Jean-Bedel Bokassa comme empereur.

Depuis les programmes d’ajustements structurels l’Etatisme du coup a pris une dimension économique et idéologique dominé par le libéralisme autoritaire[2]. Il prend la forme du choc économique ou d’une thérapie de choc qui renvoie aux mesures impératives de libéralisation économique imposées aux Etats africains par les puissances occidentales et les instances financières internationales. Les Etats africains ont ainsi été sommés d’appliquer à leurs propres sociétés des mesures d’austérité et de libéralisme sans passer ni par un débat avec les instances internationales ni par une discussion avec leurs sociétés via les assemblées nationales comme cela fut le cas en Europe à travers le parlement européen lors de la crise de la dette souveraine faisant suite la crise des crédits hypothécaires. Les conséquences de l’application de cette thérapie de choc aux sociétés africaines par ce libéralisme autoritaire ont été désastreuses étant donné qu’il en a résulté une redistribution du pouvoir politico-économique en faveur des Africains déjà fortunés, un recul de l’action publique, une favorisation des conditions économiques des multinationales occidentales et une hausse de la pauvreté, des inégalités et de l’exclusion sociale. D’où un renforcement de l’Etatisme du coup électoral car c’est l’Etat africain qui fut chargé d’implémenter toutes ces réformes de libéralisation dont la démocratisation. Celle-ci, maîtrisée par les Etats africains structurés de façon néo- patrimoniale[3], a vu se renforcer leur capacité de contrôler les processus électoraux, de fabriquer des résultats aux profit des régimes en place et de faire usage d’une inflation de la réforme constitutionnelle au service des acteurs dominants historiques. C’est la sortie de tous ces aspects de l’Etatisme du coup que cherchent les coups d’Etat qui s’enchaînent ces derniers temps en Afrique.

  • L’Afrique fait un coup d’Etat à la démocratie en mode kit

Dans « L’esprit du capitalisme ultime »[4], un de nos ouvrages publié en 2018, nous comparions les démocraties africaines à un meuble IKEA. C’est-à-dire à un produit fini qu’on achète sans connaître son concepteur, l’origine du bois, les conditions de travail de ceux qui le fabrique et encore moins son processus de production et les chaînes de valeurs qui le structurent. Tout ce qui importe à l’acheter d’un tel mobilier est d’avoir avec lui le kit de montage afin qu’il le monte chez lui en jouisse des bienfaits. La démocratie africaine est semblable à un meuble IKEA en ce sens qu’imposée de et par l’Occident comme un produit politique fini de consommation, les Etats africains la reçoivent comme un kit à monter dont les principales pièces sont le multipartisme, des élections, des observateurs, une assemblée multipartiste, une commission électorale, une constitution démocratique et une société civile.

Cette démocratie africaine est donc moins le résultat d’une histoire des luttes politiques et sociales intra-africaines et entre l’Afrique et l’Occident qu’un produit fini de l’histoire des autres que l’Afrique doit juste consommer : C’est la démocratie en mode kit. Une démocratie qui méprise le réel des autres, ne prend pas en compte leur histoire et s’impose à eux comme volonté de l’Occident et des instances internationales à un moment donné de l’évolution du système-monde dont il a le contrôle et oriente la forme.

En conséquence, au lieu que la démocratie africaine soit le résultat politique de la recherche d’une réponse endogène aux problèmes concrets du continent, elle est devenue une réponse toute faite par d’autres à l’usage de l’Afrique dont on ne respecte ni les temporalités sociopolitiques et économiques, ni les problèmes concrets des populations. De là l’aboutissement à des démocraties désincarnées étant donné que le montage du kit démocratique dépend moins de sa capacité à répondre aux questions africaines concrètes qu’à signaler son alignement aux exigences de la communauté dite internationale. Une telle pensée participe non seulement de ce que Vico appelle la barbarie intellectuelle étant donné l’histoire sinueuse de la démocratie en Occident, mais aussi de la barbarie économique qui, à travers les programmes d’ajustements structurels, décapita les Etats africains tout en leur imposant une démocratie de marché. Qu’on aboutisse aujourd’hui à des peuples africains qui encensent des putschistes, ne défendent aucun régime dit démocratiquement élu, rêvent d’union africaine via des figures militaires et vomissent les troisièmes mandats, est tout à fait plausible et compréhensible.

L’explication est que cette forme de démocratie n’a amélioré aucun aspect de leur vie, a aggravé la pauvreté et les inégalités via le néolibéralisme, a orchestré l’affaiblissement de leurs Etats, et a entériné le règne sans partage des dictatures déjà en place depuis des décennies. Les peuples africains ne défendent pas une telle démocratie parce qu’elle n’a aucune légitimité ; et elle n’a aucune légitimité parce qu’elle ne résout aucun de leurs problèmes concrets de développement. Dans un environnement où le kit démocratique n’a aucun ancrage sociologique et culturel réel, un régime africain dit démocratique n’a aucun avantage comparatif politique par rapport à un régime militaire africain.

  • Les peuples africains refusent les dynasties au pouvoir et les troisièmes mandats

Les démocraties en mode kit sont fondamentalement procédurales au sens où elles pensent que la démocratie se limite au vote alors que le vote n’est qu’un mécanisme, un outil de choix qui vient sanctionner toute une évolution sociale, politique et structurelle des institutions politiques, économiques, sociales et spirituelles dans un contexte donné. Une telle approche de la démocratie aboutit depuis plusieurs années à un électoralisme maîtrisé par les Etats africains et ceux qui les dirigent étant donné que c’est le régime au pouvoir et l’appareil institutionnel sous sa domination qui mettent en scène le vote, le calendrier électoral, sa supervision, son effectuation, ses acteurs pertinents et la production des résultats officiels qui seuls font le président élu. Le cratos (le pouvoir) qui s’exprime en Afrique est donc moins celui du demos (le peuple) que celui de l’appareil étatique contrôlé par les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir au Congo Brazzaville, au Togo, au Gabon, au Cameroun, au Tchad, en Guinée Equatoriale…

Résultats des courses, de 1980 à nos jours, aucun vote n’a pu évincer les familles africaines détentrices du pouvoir exécutif. Seul un coup d’Etat militaire à évincé Mubutu au Zaïre et c’est aussi un Coup d’Etat militaire qui vient d’évincer la famille Bongo au Gabon. Il en découle qu’une démocratie sans assises sociologiques et culturelles endogènes n’a nullement empêché la reproduction durable des familles régnantes et des club élitaires au pouvoir. Elle a été soit inapte à contrecarrer leurs malversations électorales pour garder le pouvoir, soit incapable d’endiguer la domination totale que ces familles et les clubs élitaires au pouvoir ont sur les sociétés politiques africaines grâce à leurs immenses fortunes accumulées depuis les années 1960. Qui plus est, les constitutions africaines qui auraient pu limiter le nombre de mandats au pouvoir en organisant institutionnellement l’alternance font l’objet de modifications pour les mettre au diapason du rêve démiurgique du pouvoir à vie. Le coups d’Etat militaire devient donc un moyen de sortir de la barbarie politique tant parce qu’il est le seul instrument capable de limiter le nombre de mandats au pouvoir des dictatures qui se veulent éternelles que parce qu’il met fin au troisième mandat et au mandat à vie qui ont pignon sur rue en Afrique. Là où la Constitution et le vote ne peuvent arrêter les troisièmes mandats et le pouvoir à vie, le coup d’Etat militaire le peut. Il devient ainsi paradoxalement plus crédible et plus légitime que la démocratie en mode kit.

Les populations africaines, sans être viscéralement favorables aux coups d’Etat militaires, ont compris qu’avec l’électoralisme les plus puissants au pouvoir depuis toujours le resteront et garderont le pouvoir par tricherie ou par domination totale des sociétés grâce à leurs capacités financières de redistribution des rôles à leur profit. Ainsi, même lorsqu’ils gagnent les élections sans tricher, les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir depuis les indépendances dans les pays africains sont vécues comme une injustice majeure par les populations africaines. La démocratie en mode kit ne peut corriger une telle injustice si elle les maintient au pouvoir. C’est là une autre preuve de l’échec de l’approche de la démocratie comme du café instantané. Echec aussi du processus commencé avec les ajustements structurels, continué à la Baule et poursuivi avec la chute du Mur de Berlin. La grande présence et influence de l’international dans les changements politiques en Afrique depuis les années 1980 semble faiblir devant la revanche desdites sociétés qui, à travers leurs processus réels, font que les coups d’Etats en Afrique intéressent de plus en plus le monde mais le monde a de moins en moins d’influence sur eux. Ce mouvement militaire de prise de pouvoir peut donner un ancrage populaire et souverainiste aux démocraties africaines réelles si les transitions politiques et de régimes sont bien négociées. Il peut poser les bases d’une démocratie africaine incarnée.

  • Récusation d’une démocratie appauvrissante et incapacitante…

La démocratie libérale n’est pas en très bonne santé en Occident. Les populations européennes ne sont plus certaines que leurs enfants vivront mieux qu’elles dans des sociétés où les richesses privées augmentent plus rapidement que la richesse nationale qu’est la croissance économique[5]. Le renforcement de la place des institutions technocratiques comme la banque centrale européenne et la commission européenne sans être porteuses d’un mandat électif fait que les experts prennent le pouvoir au détriment des peuples européens qui se voient dicter un libéralisme non démocratique alors que lesdits peuples ne sont pas d’accord avec toutes les mesures libérales prises. Dynamique qui donne lieu à des formes de démocraties antilibérales (Hongrie, Italie, USA de Trump…) où de libéralismes antidémocratiques[6] (commission européenne, BCE…). Un mouvement social comme celui des Gilets Jaunes en France est une preuve que la démocratie libérale n’arrive plus à réduire la pauvreté et les inégalités dans ce pays alors que l’envahissement du Capitole par les partisans de Donald Trump suite à un scrutin contesté témoigne d’une démocratie libérale incapable d’endiguer la violence dans les sociétés occidentales. Le lien tant exalté entre libéralisme économique, démocratie et développement des sociétés est donc de plus en plus mis en mal par des évolutions contradictoires qui montrent que le capitalisme globalisé détruit les Etats, appauvri les sociétés et abîme les bases de la démocratie réelle. À ces difficultés s’ajoutent l’essor des fake news, de la post-vérité et des discours de haine suite aux innovations communicationnelles induites par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

L’Afrique, consommatrice en mode kit de cette démocratie libérale, est aussi face aux désillusions de son rôle prétendument positif sur son développement. C’est que la marchandise vendue à l’Afrique était frelatée de gros mensonges historiques. La démocratie n’a jamais été au début du développement des sociétés. L’Occident par exemple a construit l’Etat, le droit, l’économie et ses spiritualités en passant par cinq siècles de monarchie absolue sans aucune démocratie. Celle-ci est arrivée alors que toutes ces institutions étaient déjà en place. La Chine se développe de nos jours sans aucune démocratie mais avec un parti unique de nature communiste qui régente tout. Les exemples de développement qui nous viennent de l’Afrique ces derniers temps sont, entre autres, ceux du Rwanda et de Guinée Equatoriale dirigés par des dictatures militaires arrivées au pouvoir par coup d’Etat. Cela veut dire que la légitimité des pouvoirs dans des contextes africains en carence de développement est de nos jours supérieure et préférée à la légalité des pouvoirs. C’est-à-dire que les populations africaines préfèrent un régime dictatorial qui donne un accès à l’eau potable, à la santé, au travail, aux logements et à l’électricité à une régime démocratique incapable de fournir ces commodités essentielles et de base. Le moment semble être propice à l’ordre, au travail et à la production par tous et pour tous pour que la vie s’améliore de façon à ce que la démocratie soit d’abord celle de l’accès de tous au bien-être élémentaire et à ses attributs.

Un autre mensonge historique qui participe du processus démocratique africain a été d’assener aux populations africaines l’idée d’une linéarité du processus démocratique et d’une démocratie qui causerait le développement économique. Les deux sont fausses. D’un côté le processus démocratique n’a jamais été linéaire nulle part. Si nous prenons le cas de l’Afrique, des coups d’Etat ont joué un rôle majeur dans l’évolution démocratique du Bénin, du Ghana, du Nigéria et de bien d’autres pays africains de telle sorte qu’on peut parler de putschs démocratiques. D’autre part, les travaux scientifiques ne montrent pas une causalité univoque entre démocratie et développement économique[7]. Tous les pays se sont construits étant des dictatures et la démocratie a permis de mieux réaliser la justice et l’Etat de droit dans de nombreux domaines sans être la cause principale de la prospérité des sociétés. En d’autres termes, si les régimes militaires africains peuvent et veulent construire leurs pays et le continent, ils peuvent y arriver comme le firent les généraux en Corée du Sud aujourd’hui un pays parmi les leaders mondiaux des nouvelles technologies.

  • Le cas du Sahel : Un souverainisme en quête d’une vraie démocratie

Le coup d’Etatisme contre l’Etatisme du coup, du mauvais coup, dirions-nous, est aussi en marche dans le Sahel. Le mauvais coup ici est que ce ne sont pas des dictatures africaines qui sont responsables de ce qui se passe au Sahel mais les démocraties occidentales. Cinq chefs d’Etat africains dans un avion en direction de Tripoli pour négocier une solution pacifique et panafricaine à la crise libyenne ont été obligés de rebrousser chemin suite à la menace de l’OTAN d’abattre leur avion dans le cas contraire[8]. Ce sont donc deux démocraties occidentales (la France de Nicolas Sarkozy et les USA de Barack Obama notamement) qui ont détruit la Libye via des bombes dites à fragmentations démocratiques mais dont le résultat, aujourd’hui, sont d’avoir fait de la Libye un Far West dont les désordres structurels instabilisent et insécurisent le Sahel où les mêmes démocraties occidentales viennent désormais jouer aux pompiers pyromanes. La démocratie à coups de bombes a fait régresser la Libye d’un pays avec un niveau de vie envié par de nombreux pays africains à un pays où les factions islamistes et tribales se disputent le maillot jaune du plus violent des violents. Les rapports entre de nombreux pays du Nord dits démocratiques et les pays africains ne sont donc jamais démocratiques. Ils prennent le plus souvent la forme d’un étatisme du mauvais coup dont les modalités sont soit des conditionnalités pour accéder à l’aide au développement, soit des bombes censées apporter la démocratie, soit le capitalisme autoritaire via des réformes impératives de libéralisation[9].

En conséquence, les opérations Serval, Barkhane et Takouba se sont révélés être plus des stratégies géopolitiques de la France et de l’Europe au Sahel qu’une vraie coopération pour trouver des solutions durables aux problèmes du Sahel. Et pourtant, comprendre le Sahel pour lui-même et non de façon instrumentale pour les objectifs hégémoniques des autres, revient à le considérer à nouveau comme un territoire réel au-delà d’un simple point saillant de la carte du terrorisme en Afrique et dans le monde. C’est-à-dire qu’il faut prendre le Sahel comme un milieu de vie, un espace maîtrisé par des acteurs en conflits multiples dont les dynamiques ne sont pas seulement des marqueurs de violence, mais aussi des preuves d’une sociabilité et d’une vitalité politiques qui le caractérisent. Il s’agit de restituer l’historicité du Sahel. Celle-ci montre que ce que la communauté internationale connait et désigne aujourd’hui par Sahel est au cœur des constructions impériales les plus riches d’Afrique. L’empire du Ghana, l’empire du Mali, l’empire Songhaï, l’empire Ashanti, l’empire Oyo, l’empire Samori et l’émirat de Sokoto, constituent la mémoire spatiale, politique, sociologiques et environnementale d’une grande partie du Sahel actuel. Or, qui qui dit empires, dit constructions de grands ensembles territoriaux, politico-économiques et sociaux gouvernés de façon différenciés par des pouvoirs centraux hégémoniques. Il en découle que la dynamique historique de ce qu’on peut appeler le Sahel ancien a pour force motrice des rivalités et des conflits entre classes sociales au sein d’empires et entre les empires voulant se vassaliser les uns les autres. Frédéric Cooper, spécialiste internationalement reconnu de l’Afrique note que « l’Ashanti, un royaume situé à l’intérieur des terres, étendit son territoire au XVIIe et XVIIIe siècles en conquérant et en incorporant un large éventail de société de son voisinage […] Des routes commerciales reliaient ce royaume et la côte et, via le Sahel et le Sahara, à l’Afrique du Nord […]. Durant le XIXe siècle, les empires islamiques du Sahel occidental furent bâtis non seulement sur les réseaux transsahariens d’élites religieuses de commerçants et de pasteurs, mais aussi sur un projet réformiste : construire un État véritablement islamique en ajoutant de la rigueur aux mélanges d’éléments religieux et culturels qui caractérisent les royaumes sahéliens » [10]. Il en découle que le Sahel ancien est marqué par des constructions politiques impériales, des conflits entre empires concurrents, entre des populations aux statuts asymétriques (esclaves/hommes libres ; aristocratie pastorale/aristocratie religieuse…), une intense activité commerciale reliant l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne à travers les routes transsahariennes, une religion dominante (l’islam) et un projet de construction d’un État islamique. Il va sans dire que cette mémoire historique doit être connue et prise en compte dans les politiques sécuritaires car elle se retrouve dans la crise sécuritaire et humanitaire contemporaine du Sahel.

Le Sahel ancien devint, avec la Conférence de Berlin de 1884, le lieu de deux colonisations concurrentes. D’une part, la colonisation des autochtones animistes du Sahel préislamique par les islamisés et des religions animistes par l’islam, puis la colonisation des islamisés par les puissances coloniales occidentales à travers la construction des empires coloniaux[11]. L’approche instrumentale du Sahel est donc très ancienne de la part des acteurs hégémoniques islamiques et occidentaux qui vont travailler en interactions déjà pendant la période coloniale.

En effet, la colonisation du Sahel islamisé par les Occidentaux va reconduire les hiérarchies sociales et communautaires déjà existantes. C’est-à-dire que pour asseoir le règne des États coloniaux, les Occidentaux vont s’appuyer sur les chefs et les communautés islamiques déjà dominantes. D’où une nouvelle stratification du pouvoir où les Occidentaux commandent les islamisés qui commandent les autochtones non islamisés mais libres qui, à leur tour, commandent les esclaves. Un tel état des choses n’a pas complètement disparu aujourd’hui des pays comme le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et même le Nord du Cameroun qu’on peut intégrer au Sahel au sens large, et où l’esclavage perdure autant que des tensions entre descendants d’esclaves et « nobles » très souvent dans une recomposition postcoloniale de leurs alliances hégémoniques avec les pouvoirs modernes en place[12]. L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé le 14 mai 2015 sonne comme une sorte de reproduction postcoloniale des alliances coloniales entre acteurs hégémoniques occidentaux (la France) et locaux du mouvement de libération national de l’Azawad (MNLA) lorsqu’on se rend compte qu’il consacre l’Azawad comme territoire alors qu’il n’y a aucune trace dans l’histoire du Mali d’un royaume, d’un village ou d’une communauté qui y renvoie[13]

Dans ces conditions, le coup d’Etatisme qui prévaut au Sahel et dont les figures marquantes sont le colonel Assimi Goita du Mali, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le général Tiani du Niger a pour objectif de fond de reconquérir la souveraineté/l’autonomie de leurs pays seule condition de possibilité d’une vraie démocratie. En fait aucune réelle démocratie n’est possible si un Etat n’a pas le monopole de la violence légitime via lequel il maîtrise son territoire, contrôle ses populations, gère ses ressources naturelles et calibre ses relations avec l’extérieur. Il devient donc compréhensible que les populations africaines dont le rêve panafricaniste reste vivace utilisent ces nouvelles figures révolutionnaires comme des chevaux de Troie du début de sa matérialisation à travers des relents d’une nouvelle indépendance après celles factices de 1960. Au Sahel comme partout en Afrique, ce sont les besoins réels des populations qui l’emportent sur les normes démocratiques et/ou institutionnelles consacrées. Ce sont ces besoins réels des populations qui inspirent les expériences politiques africaines du moment dans des sociétés qui font le constat amer que les normes démocratiques imposées par la communauté internationale sont conservatrices et ne peuvent, contrairement à leur transgression qu’entraîne le coup d’Etatisme, créer de nouvelles normes moins méprisantes du réel des sociétés africaines et capables de leurs émancipation.

Les peuples africains ne sont pas dupes. Ils savent bien que l’Afrique des militaires a déjà existé avant les années 1980 et que celle-ci s’est soldée par des transitions interminables sans aucun gain de bien-être individuel et sociétal. Le comportement favorable que ces peuples affichent face aux coups d’Etat du Sahel est qu’ils perçoivent, compte tenu de la crise d’épilepsie politique que leurs leaders donnent à la France, que ce sont des prises de pouvoir de rupture par rapport à la domination de cette ancienne puissance coloniale en Afrique. Le faible enthousiasme desdits peuples après le coup d’Etat au Gabon témoigne au contraire de leur conviction qu’il s’agit là non d’un coup d’Etat de rupture par rapport à la Françafrique, mais d’une stratégie d’endiguement d’un vrai coup d’Etat de rupture pouvant contrarier la Françafrique en Afrique centrale. Nos regards sont donc désormais tournés vers le Cameroun où, d’Après Achille Mbembe, « Réussir la succession de Paul Biya est un objectif politique stratégique du quinquennat d’Emmanuel Macron. »[14].

Thierry AMOUGOU, économiste, Pr. Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié. Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.


[1] G. AGBALIAN, 2019, « Isme : suffixe modal pour la formation de noms de discours », Travaux de Linguistique, n°79, pp.43-78.

[2] Concernant d’autres variantes du libéralisme autoritaire on peut consulter H. HELLER & C. SCHMITT, Du Libéralisme autoritaire, Paris, la Découverte, 2020.

[3] J-F. MEDARD, « L’Etat patrimonialisé », Politique africaine, n°39, pp. 25-36, 1990.

[4] T. AMOUGOU, L’esprit du capitalisme ultime. Développement, démocrate et marché, Louvain-la-Neuve, PUL, 2018.

[5] T. PICKETTY, Le capital au XXIè siècle, Paris, Seuil, 2013.

[6] Y. MOUNK, 2019, Les peuples contre la démocratie, Paris, LGF.

[7] T. AMOUGOU, Qu’est-ce que la raison développementaliste ? Louvain-la-Neuve, Academia, 2020.

[8] Cet épisode est relaté dans des vidéos par deux présidents africains encre en exercice que sont Téodoro Obiang Nguema de Guinée Equatoriale et Yoweri Museveni de Mozambique. Voir la vidéo sur  (20+) Facebook

[9] T. AMOUGOU, 2018, op.cit.

[10] F. COOPER, L’Afrique dans le monde. Capitalisme, Empire, Etat-nation, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2022, pages 88 et 89.

[11] T. AMOUGOU, 2016, op.cit.

[12] R. ATIMNIRAYE NYELADE & A. BINDOWO, Lamidalisme, colonisalisme, esclavage et génocide des autochtones au Nord du Cameroun : Aux confins de l’expérience cachée des Fali, Canadian Scientific Publishing, 2021.

[13] A. BOURGEOT, « Accord pour la paix au Mali :  bilan et perspectives », Recherches internationales, 2021, pp.101-1016.

[14] A. MBEMBE, « Cameroun-France : Tout se joue aujourd’hui », Jeune Afrique, mis en ligne 4 Août 2022 et consulté le 4 septembre 2023. https://www.jeuneafrique.com/1366751/politique/cameroun-france-tout-se-joue-aujourdhui-par-achille-mbembe/

Les médias en Afrique subsaharienne : Enjeux et perspectives démocratiques

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon)

Résumé

Cet article étudie le rôle indéniable et inéluctable des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne. En effet, les médias dans leur vocation première, celle d’informer, de divulguer la vérité et de dénoncer, à notre humble avis, participent à l’effectivité d’une organisation politique démocratique adéquate dans les États dits ouverts et consensuels. En principe, ils sont supposés être considérés comme la matrice de la plénitude démocratique. Malheureusement, l’obstacle de l’émergence médiatique en Afrique aurait donc un fondement politique, à savoir : de multiples tentatives despotiques de la volonté des pouvoirs politiques de contrôler la presse et les médias. Mais, notons-le, cet obstacle ne serait pas spécifiquement africain. En raisonnant ainsi, il s’agit donc de comprendre qu’il est incommode de vouloir mettre en exergue une organisation démocratique des médias libres et transparents en Afrique. Face à ce dilemme, il convient maintenant aux journalistes africains soit de rester fidèles à leur mission si noble afin de faire éclore la démocratie dont l’expression est la critique et la liberté au risque et péril de leur vie, soit ils renoncent au titre de grands gardiens de la démocratie et de grands prêtres de la liberté, en acceptant d’être amadoués et asservis pour des raisons hypothético-politiques.    

Abstract

This article studies the undeniable and ineluctable role of the media in the process of democratization in sub-Saharan Africa. Indeed, the media in their primary vocation, that of informing, divulging the truth and denouncing, in our humble opinion, contribute to the effectiveness of an adequate democratic political organization in the so-called open and consensual States. In principle, they are supposed to be seen as the matrix of democratic fullness. Unfortunately, the obstacle of media emergence in Africa would therefore have a political basis, namely: multiple despotic attempts by the will of political powers to control the press and the media. But, let us note, this obstacle would not be specifically African. By reasoning in this way, it is therefore a question of understanding that it is inconvenient to want to highlight a democratic organization of free and transparent media in Africa. Faced with this dilemma, it is now appropriate for African journalists either to remain faithful to their noble mission in order to bring about democracy, the expression of which is criticism and freedom at the risk and peril of their lives, or they renounce the title of great guardians of democracy and high priests of freedom, by agreeing to be cajoled and enslaved for hypothetico-political reasons

Introduction

          Parler des médias dans le processus ou effectivité de démocratisation, à notre humble avis, revient à évoquer une autre forme du pouvoir de surveillance. Justement, une forme du pouvoir de surveillance qui est censé informer, conscientiser et dénoncer les dérives du pouvoir politique ou peindre les actions de ce dernier. Laissons Pierre Rosanvallon entendre dire : « Les médias, pourrait-on dire, constituent la forme routinière et fonctionnelle d’une démocratie de surveillance dont les organisations militantes de la société civile incarnent en quelque sorte le pole activiste. Ils sont pour cela fonctionnellement complémentaires »[1]. D’où effectivement, dit-il, «  ce qui donne sa consistance au célèbre mot d’ordre : Ne détestez pas les médias, devenez les médias »[2]. En effet, il est fort probable d’estimer que cette observation nous permet logiquement de comprendre que les médias occupent une place primordiale dans le nouvel espace des pouvoirs de surveillance. A cet effet, ils sont le substrat d’une organisation de la vie démocratique adéquate dont les effets concours à la prise en compte de la volonté du peuple.

          A partir de là, il convient manifestement d’affirmer, qu’au-delà d’autres formes du pouvoir de surveillance, il y a bel et bien une contribution inestimable et avérée des médias dans la structuration démocratique pays africains subsahariens. Dans cette perspective, nous voulons montrer que dans son processus de démocratisation, l’Afrique subsaharienne doit rationnellement prendre en compte le rôle principal et substantiel des médias. Dans ces conditions, les Africains ont intérêt de promouvoir une politique de visibilité, de lisibilité et de transparence des médias dans la délibération politique en Afrique. Par ailleurs, il s’agit de noter que cet idéal médiatique, voire le rôle prépondérant des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, souffre d’une invisibilité aiguë. Pour ainsi dire, à notre sens, l’émergence des médias en Afrique subsaharienne est, malgré tout, sujette à un certain nombre de blocages liés aux libertés d’expression et à l’effectivité structurelle provenant de la politique arbitraire des dirigeants africains. Emmanuel-Thierry Koumba n’en pense pas moins lorsqu’il affirme en substance que « nonobstant la volonté de porter certaines modifications positives dans l’organisation de la presse, au Gabon et dans d’autres pays africains, il existe de multiples  manœuvres totalitaires du contrôle de la presse et des médias par les pouvoirs politiques[3] ». Il est donc fort possible de croire que les médias en Afrique subsaharienne fonctionnent de façon arbitraire, tout comme la démocratie avance à pas de caméléon, pour emprunter l’expression de Richard Banégas[4]. De ce fait, la dynamique et la transparence des médias sont à l’image d’une démocratie authentique, et donc d’une structuration politique optimale prenant en compte les aspirations et la volonté du peuple. C’est pourquoi, bien évidemment, dans cet article, nous voulons analyser et démontrer le rôle que doivent jouer normalement les médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, au-delà de toute opposition totalitaire des pouvoirs politiques et la manifestation des aléas de la censure dont ils font face. Tout compte fait, il s’agira donc ici, nous semble-t-il, d’analyser concomitamment et corrélativement les médias écrits et audiovisuels dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, puis nous évoquerons Internet comme nouveau média à considérer dans la délibération politique sous la lumière de Pierre Rosanvallon[5] et enfin nous ferons un détour en ce concerne la publicité dans l’espace public par le canal de la lumière de Jürgen Habermas[6].         

La démocratie et la césure des médias en Afrique subsaharienne

    Les médias représentent-ils un atout ou un danger pour la démocratie en Afrique subsaharienne ? Dans cet article, il s’agit de montrer comment les médias sont censurés, aliénés et corrompus dans les États d’Afrique subsaharienne. Toutefois, nous analyserons en dernier ressort, bien entendu, la nécessité des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne. Bref, nous le savons, les médias sont un atout pour la démocratie, où que nous soyons et quel que soit l’État qu’il s’agisse, développés ou sous-développés. En effet, les médias, en l’occurrence la presse écrite, la télévision, la radio, ou encore Internet, sont l’image d’une réelle liberté d’expression, et donc de l’effectivité de la démocratie dans sa plénitude, malgré qu’elle soit toujours un processus politique en construction, voire en puissance. Partant de là, nous comprenons sans doute que les médias jouent un rôle crucial dans la vie démocratique. Ils sont relativement constitutifs et participatifs au bon fonctionnement de la démocratie. Pour ce faire, ils véhiculent auprès des populations l’action de la politique des gouvernants et dénoncent, quand il le faut, les revers et dérives du pouvoir en place. De même, ils permettent effectivement à l’opposition de rendre manifeste leurs actions politiques. C’est-à-dire, ils couvrent également la direction politique et la critique de l’opposition à l’égard des gouvernants.

          A l’évidence, ils travaillent pour la lisibilité de l’action politique des dirigeants et de l’opposition auprès des populations. C’est donc une mission caractérisée par l’information, la prise de conscience et la critique, pour tout journaliste qui se veut professionnel. Edouard Balladur note avec pertinence que « les journalistes, s’ils sont fidèles à leur mission, et même s’ils se trompent, remplissent une fonction indispensable. Grâce à eux et par eux, la critique s’exprime tous les jours.»[7]. Ainsi, ils contribuent à la constitution et au fonctionnement de l’espace public ouvert à la discussion, à la controverse et à la délibération. Toutefois, dans ce monde médiatisé où règnent abus et corruption du pouvoir, nous semble-t-il, il est difficile de s’exprimer, de transmettre et de comprendre l’information dans les États de l’Afrique subsaharienne. Dans ce cas de figure, la censure bat son plein dans la vie politique africaine. Tout compte fait, il faut dire que ces dernières années, en Afrique subsaharienne, la censure politique exercée sur les médias est devenue la nature de tout régime de la sous-région. C’est ce qui traduit logiquement l’éternelle problématique de la bonne gouvernance. Sachant bien que la presse et les médias constituent le quatrième pouvoir après le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Pour dire les choses autrement, l’expression quatrième pouvoir désigne la presse et les médias. Par extension, le quatrième pouvoir regroupe tous les moyens de communication qui peuvent servir de contre-pouvoir face aux trois pouvoirs incarnant l’État (pouvoir exécutif, législatif et judiciaire), en recourant au principe de protection des sources d’information des journalistes.

Mais malheureusement, le problème est que ce quatrième pouvoir ne fonctionne pas comme l’aurait voulu l’idéal démocratique. Il devient à cet effet, de par sa critique, son sens d’informer les populations et sa dénonciation des revers du pouvoir, une menace pour les gouvernants. Dans ce contexte, il faut impérativement essayer de le faire taire par tous les moyens possibles, à savoir : censure, emprisonnement, corruption des journalistes. Les médias deviennent ainsi le cauchemar et la contrainte des hommes politiques, comme le pense Edouard Balladur. D’après lui, « Cauchemar du politique, qui les redoute tellement qu’il voudrait les amadouer, quand ce n’est pas les asservir »[8]. Pour ainsi dire, la critique des journalistes constitue une sorte d’opposition pour les gouvernants. Alors que nous savons que les journalistes sont là pour informer les populations des réalités de l’action gouvernementale, et dénoncer, si possible, les dérives autoritaires des pouvoirs politiques.

          Cela dit, les médias veillent au bon fonctionnement de la démocratie et donc ils sont considérés comme les garants de la liberté : « Les journalistes sont résolus à tout savoir, tout juger, convaincus d’être les gardiens de la démocratie, les grands prêtres de la liberté. C’est leur raison d’être »[9]. Il s’agit donc d’affirmer que les populations et les gouvernants trouvent le salut dans la presse, ils vivent de leurs écrits et paroles. C’est une aberration démocratique, pour les dirigeants africains, de vouloir corrompre ou stigmatiser le droit des journalistes de parler, d’informer, de juger et de dénoncer quand la nécessité se fait. En principe, personne ne peut échapper à la vérité des médias. Dans l’exacte mesure où ils sont à la recherche accrue de l’information pour rendre la vérité évidente. C’est pourquoi, d’ailleurs, Edouard Balladur estime que « le Politique est percé à jour, défini, jaugé, catalogué, et, quoi qu’il fasse, il lui sera difficile d’échapper à ce qui a été dit de lui »[10]. Ainsi, le politique ne peut être invincible ou impliciter sa politique démagogique face à la force des médias, il est soumis à leur critique, contrôle et jugement. Dans cette perspective, ils remplissent ainsi leur mission indispensable et humaniste : « Grâce à eux et par eux, la critique s’exprime tous les jours, alors que le peuple vote rarement ; ainsi la délégation de pouvoir qu’il consent à ceux qu’il élit n’exclut-elle pas un contrôle quotidien. Qui pourrait l’assurer, sinon les journalistes ? »[11]. C’est là même la signification de la liberté d’expression, et donc la survie de la démocratie. D’où effectivement, notons-le, « le Politique ne se sente jamais à l’abri, qu’il soit appelé à se justifier publiquement aussi souvent que l’opinion le réclame ; c’est l’une de ses servitudes les plus lourdes, mais la plus nécessaire »[12]. A ces propos, il faut noter au passage que la justification publique de l’action gouvernementale face au peuple se fait par le moyen des médias. Mais l’objectif des gouvernants africains est de chercher à faire taire ou amadouer les journalistes dans l’optique de les contrôler et de les corrompe. Heureusement, force est de constater que c’est dans le peuple et le souci de dire la vérité que les journalistes trouvent leur courage et leur secours de rester fidèle à leur mission, faute de quoi, à notre sens, ils seront prisonniers du pouvoir politique en exercice.

          C’est dans ce sens, justement, que les journalistes doivent être adeptes de la critique plutôt que la louange des gouvernants. Pour Edouard Balladur, « La presse préfère la critique à la louange. Elle demeure un contre-pouvoir, elle le restera ; le Politique ne tentera pas de l’en empêcher, ce serait peine perdue. A trop chercher à lui plaire, il témoignerait de sa faiblesse, elle réclamerait sans cesse davantage »[13]. De même, au niveau des réseaux sociaux ou d’Internet, les dirigeants africains tentent, lors des échéances électorales, de censurer les médias avec la dernière énergie. C’est dans l’optique d’étouffer la vérité des urnes et donc de promouvoir la fraude et de pérenniser le pouvoir. D’après Mai Truong, « En Afrique subsaharienne, nous constatons que les autorités dirigent souvent les fournisseurs de services internet, les FAI, pour bloquer une liste noire d’URL »[14]. Pour Mai Truong, les différents cas de censure d’Internet sont souvent dus à la mainmise de l’État sur les fournisseurs d’accès Internet qui ont, ou du moins, des liens étroits d’avec le gouvernement. Plusieurs États de l’Afrique subsaharienne, explique-t-elle, ont plus souvent eu recours à une forme de censure d’Internet. Par exemple, la suppression de contenus déjà publiés. Ils peuvent aussi procéder par la pression juridique ou militaire pour obliger les opérateurs de certains sites web à supprimer tous les textes et commentaires susceptibles de nuire au pouvoir politique en place. Partant de là, il faut comprendre que les autorités africaines sont prêtes à tout pour entretenir et conserver le pouvoir.

Il est d’autant plus raisonnable de dire que c’est ce qui sous-entend, de près ou de loin, que les médias sont d’emblée leurs premiers obstacles pour enraciner le peuple dans la corruption du pouvoir et toutes les dérives qui s’en suivent dans la gouvernance de la Cité. Pour illustrer de cas pratiques à la censure des médias en Afrique subsaharienne, Marie-Soleil Frère[15] évoque trois incidents dans la « Censure de l’information en Afrique subsaharienne francophone : la censure dans les régimes semi-autoritaires » :

D’abord, au Burundi, en septembre 2011, un groupe armé non identifié attaque un bar dans une localité, Gatumba, située à 15 km de Bujumbura, faisant plus de 40 morts. Trois jours plus tard, le ministère de l’information interdit aux médias burundais de publier, commenter ou analyser toute information liée au massacre. Plus encore, toutes les émissions en direct à caractère politique sont suspendues durant un mois. Le prétexte invoqué est celui de la nécessité de ne pas entraver l’enquête, un argument relevant de la sécurité nationale[16].

Ensuite, quelques mois plus tard, en République démocratique du Congo (RDC), en décembre 2011, suite au déroulement du second tour de l’élection présidentielle, le ministère de l’intérieur et de la sécurité ordonne la suspension du service SMS de tous les réseaux de téléphonie mobile. Raisons avancées : la préservation de l’ordre public et un aboutissement heureux du processus électoral en RDC[17].« Les SMS étaient en effet largement utilisés pour mobiliser l’opposition politique qui dénonçait la manipulation des résultats »[18].

Enfin, plus récemment, le 23 mars 2013, au Tchad, le blogueur et activiste Jean Étienne Laokolé, qui contribuait sous pseudonyme au blog d’un Tchadien de la diaspora, est arrêté par les forces de sécurité, après que son identité eut été révélée sur un autre blog. Après avoir passé cinq mois en détention, il est condamné à trois ans de prison avec sursis pour diffamation et complot d’atteinte à l’ordre public[19] n’ayant pas abouti[20].

Ces différentes formes de censure montrent qu’il s’agit d’une pratique qui intègre la nature de la politique des États de l’Afrique subsaharienne. C’est ce qui implique manifestement l’oppression et la privation des libertés d’expression, de conscience et d’agir. Cela sous-entend que « Les droits de l’homme associés aux démocraties libérales et républicaines n’offrent plus les garanties, ni ne constituent plus les systèmes de défenses imparables des individus qu’ils prétendaient être »[21]. Alors que nous sommes à l’ère de la gouvernance démocratique, où la liberté d’expression se doit d’être matérialisée, concrétisée. En réalité, c’est pourquoi, finalement, il faut affirmer que cette censure des médias traduit consensuellement le déficit de l’objectivité du droit dans les États d’Afrique subsaharienne.         

Quelle est la place pour des médias écrits et audiovisuels dans le processus de démocratisation ?

         On ne peut sans doute parler de la démocratie sans le concours médiatique dans les pays dits démocratiques en général et dans les pays d’Afrique subsahariens, en particulier. Dans l’exacte mesure où ils sont la voix du peuple sans voix et le substrat du fonctionnement de l’espace public, voire de la vie démocratique. Revenons aux médias écrits et audiovisuels dans le processus démocratisation. En effet, les médias ont toujours accompagné la démocratie dans son processus. C’est pourquoi, expliquons-le, dans leur participation au fonctionnement optimal de la démocratie, ils ont une fonction première : celle de dire la vérité, d’informer et de dénoncer lorsque le besoin se fait sentir. D’abord, dire la vérité fait partie de l’un des principes de l’éthique de la communication, dans la mesure où les médias constituent évidemment un espace public et critique face au fonctionnement du pouvoir politique en Afrique subsaharienne. C’est-à-dire, ils se font donc critique à l’égard de la politique autoritaire des gouvernants, à la corruption et donc aux dérives de la démocratie. Pour ce faire, les médias en disant la vérité des faits basés sur les sources fiables, non seulement participent ou contribuent à la fiabilité de la démocratie en Afrique, mais également ils remplissent pleinement leur tâche, celle d’être la voix du peuple sans voix. Car : « La communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle est plutôt la condition de fonctionnement »[22]. Ensuite, les médias écrits ou audiovisuels doivent informer les populations africaines sur les différents domaines de la société, voire sur les faits sociétaux. Comme par exemple, nous pouvons le dire, dans le domaine économique, politique, éducatif, culturel, etc. ils doivent être à la quête de l’information avérée et tangible par le canal de sources sûres, afin d’édifier les populations. Bien sûr, un peuple qui n’est pas informé est un peuple ignorant et donne une nation faible. Si c’est le cas, les médias seraient alors en marge de l’éthique de la communication et mettraient en faute leur tâche, d’être la voix du peuple. Enfin, la dénonciation constitue un facteur primordial pour la presse parce qu’elle permet à la presse écrite ou audiovisuelle de mettre en lumière les abus, l’aliénation et la corruption du pouvoir politique en Afrique.

         Pour ce faire, c’est à travers la dénonciation ou des articles à caractère satirique que le journaliste prend la pleine mesure d’assumer son rôle d’éveiller les consciences des populations africaines. Comme pour dire, si le journaliste ne dénonce pas les dysfonctionnements de l’organisation d’un État, alors les populations africaines demeureraient dans un sommeil dogmatique, et qu’il faillirait à sa mission première. C’est pourquoi, bien entendu, dans les sociétés démocratiques ou encore dans les pays développés, l’éveil ou la conscientisation des populations passe par l’information et la dénonciation médiatiques. Le journaliste britannique, John Wilkes, dans son The North Briton incarne bien l’image de cette dénonciation. En effet, dans son journal, il aurait mis une mouvance satirique pour attaquer et se moquer du roi George et de Lord Bute. Il ne s’est pas arrêté avec eux, mais a ciblé aussi des politiciens. Cependant, quel rôle peut jouer Internet dans la vie politique ou démocratique aujourd’hui ?

Internet comme nouveau média : Pour quelle implication démocratique, selon Pierre Rosanvallon ?

          Aujourd’hui, bien sûr, Internet occupe une place importante dans la vie politique et sociale en démocratie en général et dans l’organisation politique africaine, en particulier. Pour dire les choses autrement, selon Pierre Rosanvallon, « La Toile est aussi devenue une forme sociale à part entière, en même temps qu’une véritable forme politique »[23]. Nonobstant les dérives d’Internet et ses aléas, nous mettons en exergue ici son rôle et sa nécessité dans le processus démocratique. Il apparaît dans ce cas de figure, finalement, comme un nouveau média participatif à la vie sociale et politique. Pierre Rosanvallon pense que nous devons « appréhender l’internet sous les espèces d’un nouveau média »[24]. Celui-ci permet effectivement, explique-t-il, la circulation des opinions, des informations et les analyses. A cet égard, affirme Pierre Rosanvallon, nous comprenons manifestement que l’Internet est donc bien un média spécifique en termes de coûts d’accès, de mode de production, de processus de diffusion, et régulation. Justement, à travers l’Internet nous avons une nouvelle vision de la sphère organisationnelle étatique promettant une politique africaine de visibilité et de lisibilité. Dans l’exacte mesure où, nous pouvons l’affirmer, qu’il est devenu à part entière une forme sociale et une forme politique que la vie politique africaine doit s’approprier. Ce qui nous permet de l’analyser sous deux angles : social et politique.

          D’abord Internet comme forme sociale. Lisons Pierre Rosanvallon pour l’entendre dire : « C’est une forme sociale originale en premier lieu, parce qu’elle concourt sur des modes inédits à la constitution des communautés »[25]. Il s’agit de comprendre, selon Pierre Rosanvallon, qu’Internet crée un univers social planétaire en mettant en évidence dynamiquement la circulation, l’interaction libre, succession de rendez-vous ponctuels, la possibilité ouverte de branchements arborescents[26]. Du point de vue de l’auteur, Internet est une forme sociale parce qu’il exprime de manière instantanée l’opinion publique. Dans cette perspective, Internet apparaît alors comme une somme d’intelligences et de toutes les volontés pour dire les tourments du monde social, où jeunes et adultes africains et du monde entier expriment leurs opinions. A cet effet, rappelons que les grands médias, radio, presse et télévision, ont toujours accompagné les mouvements culturels et sociaux. Toutefois, avec l’arrivée d’Internet et du multimédia, nous sommes dans un nouveau paradigme ou paysage médiatique contemporain. Ainsi, il sied de retenir, pour notre part, qu’Internet et les nouvelles technologies de la communication sont aujourd’hui considérés logiquement comme des éléments constitutifs et participatifs des pratiques culturelles et sociales.  

           Ensuite, Internet comme une forme politique. D’après Pierre Rosanvallon, « Dans les années 1980, l’idée dominante était que les nouvelles technologies de la communication allaient bouleverser les pratiques démocratiques en permettant une intervention plus directe des citoyens »[27]. Il faut dire que la forme politique d’Internet peut être comprise comme étant une révolution dans le domaine du pouvoir de la politique africaine. Bien entendu, c’est un changement de paradigme qui rend manifeste « une modification de l’architecture du droit dont la structure pyramidale ou hiérarchique cède du terrain au jeu horizontal des réseaux »[28]. Pourquoi ? Parce qu’Internet serait alors, à notre humble avis, le canal par lequel on diffuse de manière virale, rapide et transfrontalière l’émancipation de l’homme, certaines connaissances et surtout les opinions politiques et la transparence démocratique en Afrique. Autrement dit, c’est le symbole de la liberté d’expression, d’émancipation[29] et de contestation[30] citoyenne. Celui-ci aurait apporté de moult mutations dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, en posant de nouveaux rapports entre les citoyens africains et leurs gouvernants. Dans ce cas de figure, il est donc possible d’affirmer qu’Internet s’impose également comme un média qui met en évidence l’effectivité de la médiation de l’expression politique africaine, de par la quantité d’information qu’il propose. En quelques mots, il est un outil complexe à appréhender et peut revêtir de nombreux rôles dans la vie politique que sociale en Afrique subsaharienne. Mais le rôle d’Internet qui cadre dans notre analyse ici bien entendu, est celui de rendre visible la transparence de la vie démocratique que les institutions publiques africaines se doivent de rendre manifeste. Ainsi, cette politique de lisibilité[31] d’Internet permet aux citoyens africains d’exprimer leurs opinions politiques dans un espace à vocation publique.

           En outre, Internet en démocratie, démocratie électronique, d’e-gouvernement, de cyberdémocratie sont d’autant de nouvelles formes des médias de la participation démocratique de la politique du XXIe siècle[32]. Il apparaît bien, dans cette optique, contrairement à la radio et à la télévision, qu’Internet met en situation d’égalité l’émetteur et le récepteur en ce qui concerne l’information. Dans ce cas, c’est donc un outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen africain pourrait sans doute intervenir dans un débat politique. En fait, Internet permet à toutes les catégories sociales de prendre la parole et de discuter de la chose publique. Ce nouveau monde électronique de la délibération démocratique favorise la multiplicité des opinions politiques. Bien évidemment, les réseaux sociaux sont maintenant considérés comme de « nouveaux espaces »[33] ou de nouvelles sphères ouvrant ainsi les perspectives au peuple. Par conséquent, Internet pourrait ainsi être le nouveau mode d’engagement du citoyen africain dans la chose politique. En d’autres termes, comme un nouvel espace de contestation et de reconstruction de la politique africaine. En réalité, le monde d’Internet suscite « chez l’individu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action (…) et que les sujets soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs »[34].  Dit autrement, en matérialisant la visibilité des individus, Internet a permis à ces derniers de devenir manifestement porteurs de leur propre pouvoir. Il apparaît donc comme un outil de la réalisation de la citoyenneté, de l’expression de la liberté et de la délibération politique en Afrique.    

          De fait, il faut comprendre, en substance, qu’Internet peut en quelque sorte nous donner la dimension électorale-représentative de la vie ou de la délibération publique en Afrique subsaharienne dans le but de discuter du progrès démocratique. Toutefois, Pierre Rosanvallon pense, par extension, que le rôle effectif majeur d’Internet « réside plutôt dans son adaptation spontanée aux fonctions de vigilance, de dénonciation et de notation »[35]. Du point de vue de l’auteur, Internet est l’expression même de la réalisation de ces différentes formes du pouvoir de surveillance susmentionnées. Disons-le, dans la perspective rosanvallienne, nternet, dans la nature politique, doit être considéré comme un espace globalisé et universalisé de surveillance et d’évaluation du monde, le monde de l’organisation politique africaine. Justement, Internet « est la fonction même de la surveillance »[36]. C’est donc sans doute une forme politique, l’acte de l’activité des pouvoirs publics. Nous sommes ici, on peut le dire, dans une sorte d’agora électronique. Effectivement, notons au passage que le journaliste Howard Rheingold considère cette vision politique d’Internet comme un moyen capable de redynamiser la vie démocratique. En même temps, semble-t-il, il préconise un rapprochement entre Internet et la sphère publique chez Habermas.

          En effet, le projet habermassien réside dans le souci d’apporter ou de proposer une théorie contemporaine de la démocratie, afin de résoudre de multiples problèmes qui minent les sociétés démocratiques actuelles, en général et donc africaines, en particulier. C’est pourquoi, naturellement, il se propose de fonder le concept des sociétés dans une approche historico-structuraliste, en vue de montrer les différentes mutations qui se sont faites de façon formelle et intrinsèque au cours des différentes transformations des sociétés comme procédurale d’intégration sociale[37]. La particularité d’Habermas réside dans la prise en compte de l’agir communicationnel[38] comme principe fondamental susceptible de donner une explication rationnelle des sociétés contemporaines, comme sphère publique à l’intérieur duquel l’éthique de la discussion[39] est la matrice du fonctionnement de l’espace publique. Pour comprendre l’enjeu de cet espace public chez Habermas, on revient à aborder la notion de publicité en Afrique subsaharienne.         

La publicité dans l’espace public : Lecture habermassienne

         La notion de publicité, selon Habermas, est au fondement de l’espace public ou la sphère publique. Elle peut se comprendre comme étant une sorte de large diffusion des informations, des délibérations et des sujets de débats politiques africains ou du monde via les médias. Celle-ci est considérée comme un élément substantiel de la théorie habermassienne, elle doit être comprise comme une dimension constitutive de l’espace public et comme principe de contrôle du pouvoir politique africain. Habermas considère ici, à notre sens, la publicité comme un espace public médiatique et critique face au pouvoir en place, c’est-à-dire le principe de publicité (les médias) se fait donc critique face à la domination du pouvoir politique.

          Partant de là, pour Habermas, l’influence des médias dans la vie démocratique est incontournable et inévitable, dans la mesure où la démocratie d’un pays est à l’image de ses médias et que l’espace public s’est médiatisé et diversifié à cet effet. Pour ainsi dire, la publicité constitue un facteur primordial parmi tant d’autres pour l’effectivité de la démocratie. Même si, en Afrique, d’aucuns y voient une influence néfaste. Dominique Walton[40] n’en pense pas moins : « la communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle en est plutôt la condition de fonctionnement »[41]. Il s’agit de comprendre que les médias de communication fournissent le principal lieu, l’espace public, commun de représentation et de débats des sociétés développées et démocratiques actuelles. Que ces débats, en Afrique, soient contradictoires, critiques ou confus, cela ne fait que souligner l’importance fondamentale de l’espace public médiatique. D’où logiquement le principe de publicité (Öffentlichkeit), pour Habermas, qui est l’exigence revendiquée d’un usage critique et public de la raison. Ce principe s’inscrit dans le cadre plus large de la démocratie délibérative que les Africains devraient politiquement considérée. En principe, pour Habermas, une décision n’est légitime que si la discussion qui y mène l’est également.

           Ceci dit, le débat public qui doit constituer l’effectivité démocratique en Afrique est donc un principe de légitimité relayé par l’espace public, en lequel Kant voyait un nouveau principe normatif[42]. De fait, la publicité devient alors une source de légitimation allant à l’encontre du despotisme, selon Kant. Il y a lieu d’estimer que le principe de publicité donne à l’espace public un véritable pouvoir critique, un pouvoir d’assiègement permanent, selon Habermas. Ainsi donc, l’espace public permet sans doute une revitalisation de l’État de droit par la délibération constante et publique des individus, voire de la vie politique africaine. En somme, l’un des mérites d’Habermas a notamment été de démontrer avec pertinence l’importance de la publicité (en tant qu’opinion privée dévoilée dans l’espace public) dans un débat politique. Certes, à l’origine la publicité garantirait l’usage public de la raison aussi bien avec les fondements législatifs qu’avec un contrôle critique de son exercice. En revanche, l’évolution de cette publicité vers les intérêts privés marque, selon Habermas, le déclin de la dimension critique de l’espace public. Pour lui, après son essor au XVIIIe siècle, l’espace public « gouverné par la raison » est en déclin. Pourquoi ? Parce que la publicité critique laisse progressivement la place à une publicité de manipulation, de commercialisation et de corruption, au service d’intérêts privés, affirme-t-il pertinemment.

          In fine, il convient donc d’affirmer que l’espace public doit être considéré comme un principe de la démocratie en Afrique subsaharienne. Puisqu’il est régie et structuré logiquement par le principe de la discussion. Comme tel, nous comprenons que c’est dans le Droit et démocratie[43] qu’Habermas redéfinit le principe de la discussion et lui confère une plus grande profondeur que celle d’un principe exclusivement moral. En raisonnant ainsi, le principe de la discussion se décline désormais en principe moral et en principe démocratique que les Africains subsahariens se doivent de prendre en compte, afin d’impliquer exhaustivement tous les membres du contrat social tant peint par Jean-Jacques Rousseau[44], dans son texte Du contrat Social. C’est-à-dire, en principe de règlement discursif des questions de validité dans le cadre d’interactions simple d’un côté, en principe de formation discursive et autonome de la volonté commune de l’autre. Car, explique-il, le principe moral de la discussion demeure inéluctablement inapplicable sans un principe démocratique de la participation paritaire à la formation discursive de la volonté générale. Voilà, pourquoi, en quoi le principe de la discussion ne fonde plus seulement une éthique de la discussion, mais plus généralement une théorie de la discussion qui peut prendre entre autres la forme d’une théorie morale ou d’une théorie du droit. Dans ce cas de figure, nous pensons que l’on peut estimer que le droit est plus profond que la morale. Parce que celui-ci s’efforce effectivement de sauvegarder l’existence adéquate d’un accord d’espace public, qui est soumis à l’équité de la parole et de formation d’un accord rationnel. A cet égard, un espace public où une sphère publique de la discussion est protégée tout à la fois contre les tentatives des systèmes impersonnels de l’agent et du pouvoir sur la liberté présumée des participants.

          En principe, affirmons-le, la théorie du droit, ou plus précisément de l’État de droit démocratique, est une théorie normative, elle articule normalement encore une fois l’historique et le transcendantal. C’est-à-dire qu’elle s’appuie démocratiquement sur la réalité de nos institutions démocratiques modernes pour y ressaisir à travers un effort d’autoréflexion les possibilités émancipatrices qu’elle peut raisonnablement nous permettre de réaliser. Justement, notons que le droit dont parle Habermas est donc d’abord le droit positif qui régit les États démocratiques modernes, mais seulement pour autant que ce droit positif prétende porter à travers un projet démocratique une promesse d’émancipation et incarner aussi un droit naturel que tous les hommes auraient en partage, au-delà de leurs disparités spécifiques à chaque Constitution africaine.

          Au regard de ce qui précède, à notre humble avis, le sens d’Habermas n’est pas d’aller chercher derrière le droit positif des États démocratiques la vérité originelle d’un droit prétendument naturel, équivalent de la raison pure pratique ou de la morale universelle. En effet, il s’agit d’abord de penser, plus précisément, un médium institutionnel qui puisse réellement filtrer l’intersubjectivité de la discussion qui libère pour les discussions pratiques l’espace public de la solidarité et de la reconnaissance. Dans la préface à l’édition de 1990 de l’Espace public[45], Habermas écrit que l’espace public politique constitue le concept fondamental d’une théorie de la démocratie. En tant que sphère de la discussion productrice d’une opinion publique, l’espace public constitue maintenant la base nécessaire de la société démocratique africaine. Idéalement parlant, nous comprenons que l’opinion publique africaine doit se constituer en juge du pouvoir politique en place et comme vecteur des demandes sociales de la société civile, c’est la naissance proprement parlé de l’espace public plébéienne : Droit et démocratie (1997). C’est pourquoi, naturellement, nous pensons qu’Habermas définit ainsi l’espace public comme le socle mouvant dont les frontières ne sont pas clairement définies par lequel doivent se dégager les problématiques discutées dans les différentes couches de la société. Logiquement, il doit s’entendre comme une caisse de résonance apte à répercuter les problèmes qui ne trouvent de solutions nulle part ailleurs.

Conclusion : Implication et considération des médias comme une forme de la démocratie contemporaine optimale

          Au terme de notre analyse, il sied de retenir que le rôle prépondérant des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne doit être pris en compte par les membres du corps politique. Ce qui revient à dire qu’il faut aménager un espace médiatique transparent de délibération dans l’organisation politique en Afrique subsaharienne, afin de promouvoir une démocratie authentique prônant les valeurs de la dignité humaine centrées sur les principes démocratiques. Comme pour dire, bien sûr, les acteurs politiques africains se doivent de mettre en place une structure démocratique des médias libres et dynamiques dans leur fonctionnement. A cet égard, cela impliquerait la profondeur et la délicatesse de la conscience des Africains à s’ouvrir à la culture politique de critique, de remise en cause et de l’essence de la liberté. Il faut le dire, la presse est censurée en Afrique subsaharienne parce qu’il y a le refus de l’altérité, de la critique, de concéder la liberté d’expression aux individus, au déficit à la transparence dans la gestion de la chose publique, et donc réfractaire à l’affirmation de la démocratie. Tout ce qui compte pour nous, les Africains, c’est l’acceptabilité et la conversion aux politiques caricaturales et démagogiques. C’est pourquoi, d’ailleurs, les médias sont devenus le cauchemar des hommes politiques, qui veulent à tout prix les asservir. Dans le cas contraire, en cas de refus de toute forme d’aliénation de la presse, la censure devient alors le mode opératoire pour intimider la force médiatique.

          Dès lors, on peut donc affirmer que l’idée d’une démocratie plausible tant prisée en Afrique subsaharienne ne serait effective que lorsque la presse prendra les règnes de sa mission première et salvatrice, celle de défende la voix du peuple, valoriser la critique et la liberté. Mais il faudra que celle-ci sorte aussi des carcans politiques et du joug des considérations partisanes, pour incarner la voix du peuple sans voix. En un mot, la presse doit avoir un espace public de délibération dans l’optique d’analyser, de discuter et d’informer la Cité sur les questions de gouvernance et d’État de droit en Afrique. Parce que, nous le savons, l’espace public véritable en Afrique ne saurait se comprendre, ni se réaliser sans le concours d’une presse dynamique, transparente et impartiale lorsqu’il s’agisse de discuter de la chose publique rationnellement et démocratiquement. Effectivement, l’espace public africain doit être un milieu qui permet non seulement de confirmer un pouvoir politique rationnel et efficace qui prend en considération la volonté des peuples africains, mais également capable de dénoncer les politiques totalitaires et népotistes. Ainsi, en Afrique, libération de la presse serait donc une manière de favoriser une organisation politique prenant en compte l’éthique de la discussion dans la gestion étatique. Oui, c’est l’affirmation même de la presse comme un pouvoir de contrôle de la gouvernance africaine voulant se convertir en despotisme.    

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon), cdmouloungui@gmail.com
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[1] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006,  p. 72.

[2] Ibid., p. 72. 

[3] Lire à ce sujet, Emmanuel -Thierry Koumba, Presse écrite et engagement politique au Gabon, Thèse 3è cycle, Bordeaux 3, 1997.

[4] Lire à ce sujet, Richard Banégas, Démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Éditions Karthala, 2003.

[5] Pierre Rosanvallon est Professeur au Collège de France, né dans une commune française appelée Bois en 1948 (Il a 75 ans actuellement). Il est historien, philosophe, sociologue, politologue français. Voir la thèse en cours de Christian Dior Mouloungui, La crise de la démocratie représentative en Afrique subsaharienne à la lumière de pierre Rosanvallon. Pertinence et respectives, CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES PHILOSOPHIQUES (CERP) FORMATION DOCTORALE PHILOSOPHIE, SCIENCE ET SOCIETÉ (PSS), Université Omar Bongo, Libreville (Gabon).

[6] Jürgen Habermas, né le 18 juin 1929 à Düsseldorf, est un théoricien allemand en philosophie et en sciences sociales. Il est avec Axel Honneth l’un des représentants de la deuxième génération de l’École de Francfort, et développe une pensée qui combine le matérialisme historique de Marx avec le pragmatisme américain, la théorie du développement de Piaget et Kohlberg, et la psychanalyse de Freud. Il a pris part à de nombreux débats théoriques en Allemagne, et s’est prononcé sur divers événements sociopolitiques et historiques.

[7] Edouard Balladur, Machiavel en démocratie. Mécanique du pouvoir, Op. cit., p. 43.

[8] Ibid., p. 39.

[9] Ibid.

[10] Ibid., p. 40.

[11] Ibid., p. 43

[12] Ibid.

[13] Ibid., p. 92.

[14] Mai Truong est une experte du réseau de l’organisation non-gouvernementale américaine Freedom House. C’est une organisation non-gouvernementale (ONG) financée par le gouvernement américain et basée à Washington 1, qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde. Cette organisation a été fondée en 1941, bénéficiant de Wendell Willkie et Eleanor Roosevelt en tant que premiers présidents honoraires. Voir freedomouse.org

[15] Maître de recherche en sciences de l’information et de la communication, Fonds national de la recherche scientifique/Université libre de Bruxelles.

[16] Marie-Soleil Frère, « Censure de l’information en Afrique subsaharienne francophone : la censure dans les régimes semi-autoritaires », Presses universitaires de Rennes, 2016.

[17] Journaliste en danger (JED), Rapport 2011. La liberté de la presse pendant les élections, Kinshasa (…)

[18] Marie-Soleil Frère, Op. cit.,

[19] Voir sur le site de Reporters sans frontières, [http://fr.rsf.org/tchad-le-contributeur-d-un-blog (…)

[20] Marie-Soleil Frère, Op. cit.,

[21] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 13.

[22] Wolton Dominique, Penser de la démocratie, Paris, Éditions Flammarion, 1997, p. 143.

[23] Pierre Rosanvallon, Op. cit., p. 72.

[24] Ibid., p. 72.

[25] Ibid., p. 72-73.

[26] Ibid., p. 73.

[27] Ibid., p. 73-74.

[28] Pauline Türk, « La souveraineté des États à l’épreuve d’Internet », RDP, 1er novembre 2013, n°6, p. 1489.

[29] Paola Seda, « L’internet contestataire. Comme pratique d’émancipation. Des médias alternatifs à la mobilisation numérique », Les cahiers du numérique, 2015, Vol. 11, p. 25-52.

[30] Thiery Barboni et Eric Treille, « L’engagement 2.0. Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste », Revue française de science politique, 2010/6, Vol. 60, p. 1137-1157.

[31] Nous reviendrons plus amplement sur la politique de la lisibilité au chapitre VI de notre travail intitulé : Le Bon Gouvernement comme expression démocratique. En effet, la politique de la lisibilité apparaît donc comme la justification de l’exercice du pouvoir politique et la vérification de comptes publics. C’est pourquoi, nous semble-t-il, la communication et la transparence deviennent comme des moyens de la lisibilité de la chose publique susceptible de restituer la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. Car, rapport gouvernés-gouvernants semble tombé dans l’oubli de la politique démocratique des États actuels.

[32] Les États-Unis  en sont l’illustration parfaite de ces nouvelles formes des médias de la participation démocratique, en tant que la première et la grande puissance de la démocratie dans le monde.

[33] Lilian Mathieu, « L’espace des mouvements sociaux », Politix, 2007/1, p. 131.

[34] Lire à ce sujet, Jeremy Bentham, cité par Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Éditions Gallimard, 1975.

[35] Pierre Rosanvallon, Op. cit., p. 75.

[36] Ibid.

[37] Lire à ce sujet, Pierre Ndong Meyé, Cours de philosophie de la communication, licence 3, parcours philo-lettre, Dispensé à l’Université Omar Bongo (Libreville/Gabon), 2013-2014.

[38] Lire à ce sujet, Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, tome 1 : Rationalité de l’action et rationalisation de la société, Paris, Éditions Fayard, 1987.

[39] Jürgen Habermas est l’un des penseurs de l’éthique de la discussion avec Karl-Otto Apel, éthique qui s’inscrit dans la même veine que l’éthique kantienne, tout en y apportant un certain remodelage, décentrage peut-on dire, en rapport avec l’impératif catégorique. Habermas développe en effet l’idée d’un principe de discussion capable de remplacer l’Impératif catégorique. Chez Kant, c’est au sein de l’individu qu’est déterminée la validité morale. En clair, Kant pense qu’il est possible de se mettre d’accord rationnellement sur ce qui est juste et injuste, mais que l’évaluation des normes se fait dans le for intérieur de chacun. Habermas considère que ce monologisme doit être dépassé par une compréhension dialogique de la morale, qui s’appuie sur les acquis de la pragmatique formelle et la théorie des « énoncés performatifs » (Voir Austin). Nous déterminons si une règle de conduite et d’action ou un comportement sont moraux par une discussion qui doit ressembler autant que possible à une situation de liberté de parole absolue et de renoncement aux comportements stratégiques. (Voir Jörgen Habermas, De l’éthique de la discussion, Paris, Éditions Champs essais, 2013).

[40] Dominique Wolton, né le 26 avril 1947 à Douala (Cameroun), est un sociologue français. Directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication, il est spécialiste des médias, de l’espace public, de la communication politique, et des rapports entre sciences, techniques et société. Ses recherches contribuent à valoriser une conception de la communication qui privilégie l’homme et la démocratie plutôt que la technique et l’économie. Cf. « Les sciences de la communication », Journal du CNRS, n° 231,  avril 2009.

[41] Dominique Walton, penser la communication, Op.cit., p.143.

[42] En 1962, en Allemagne un ouvrage intitulé, L’espace public, du nom du concept qu’aborde Jürgen Habermas. Ce dernier s’est sans doute inspiré de la notion d’espace public forgée par le philosophe des lumières Emmanuel Kant, dans ses textes parus en 1784 notamment, Idée du point de vue cosmopolitique ainsi que dans Qu’est-ce que les lumières ? Pour qui, établir une « constitution civile parfaitement juste », l’homme doit être libre de raisonner publiquement avec ses semblables. Cette conception kantienne de l’espace public récupérée par Habermas, qui a su l’amplifier et l’adapter au contexte socio-politique des temps modernes.

[43] Lire à ce sujet, Jürgen Habermas, Droit et démocratie, Paris, Éditions Gallimard, 1997. Dans cet ouvrage, affirmons-le, Jürgen Habermas procède à une reconstruction du système des droits et de la citoyenneté modernes. Il tente de démontrer la co-originarité de l’autonomie privée et de l’autonomie publique et de résorber la tension entre droits de l’homme et souveraineté populaire, libéralisme et républicanisme. Le présent ouvrage, issu d’un travail de doctorat, se propose de restituer les différents moments de ce paradigme procédural tout en montrant qu’il ne peut fonctionner sans le secours d’une éthique de la responsabilité. Cet ouvrage se présente comme une synthèse critique de la théorie habermassienne de la citoyenneté et tente de mettre en perspective cette théorie dans l’économie générale de l’œuvre de Habermas. Les positions les plus récentes du philosophe (par exemple en matière de clonage ou de religion) sont également discutées.

[44] Lire à ce sujet, Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social, Paris, Éditions Bookking International, 1996.

[45] L’ouvrage, L’Espace public, constitue un jalon fondateur dans l’œuvre du philosophe allemand. Après avoir obtenu une thèse de doctorat (Dissertation) en 1954 consacrée à L’Absolu et L’Histoire. Du dualisme dans la pensée de Schelling, il est devenu l’assistant d’Adorno à Francfort, dans les années de la refondation de l’Institut de recherches sociales. Entre 1959 et 1961, en pleine « querelle du positivisme » au cours de laquelle il a défendu la place de la philosophie dans les sciences sociales, il a soutenu sa thèse d’habilitation – L’espace public – sous la direction de Wolfgang Abendroth, après le refus de M. Horkheimer de la diriger. « Publié en 1962, L’espace public constitue donc un important travail de jeunesse. Dans ce texte, Jürgen Habermas tente de rendre compte de l’évolution du débat rationnel concernant la chose publique au sein de la société occidentale, en analysant ses structures sociales et ses principes fondamentaux. La problématique précise de l’ouvrage pourrait être la suivante : comment le principe du débat critique dans l’espace public classique a-t-il été profondément remis en cause au cours des XIXe et XXe siècle ? » Cf. https://hemispheregauche.fr/author/adrien-madec.

Sur la lancinante question de la démocratie en Afrique

L’édition 2022 de l’indice de démocratie du groupe de presse britannique The Economist qui a été publiée en février 2023 fait état d’une stagnation démocratique globale au cours d’une année marquée, d’une part, par la guerre en Ukraine et, d’autre part, l’absence de renouveau démocratique suite aux restrictions de libertés liées au COVID-19. Selon l’indice de démocratie 2022, 8 % de la population mondiale dans 24 pays vivent dans une démocratie complète, 37,3 % dans 48 pays dans une démocratie imparfaite, 17,9 % dans 36 pays dans un régime hybride et 36,9 % dans 59 pays dans un régime autoritaire. Concernant l’Afrique, le classement identifie seulement une seule « démocratie complète » – l’île Maurice – et six « démocraties imparfaites ». Dit autrement, étant donné que ledit indice se base, pour l’Afrique, sur un échantillon de cinquante pays, il y a donc quarante trois pays en Afrique qui sont considérés comme des régimes hybrides ou autoritaires. Voilà le fait majeur! Il est euphémique de dire que le portrait du continent africain en matière de « démocratie » brossé par The Economist est peu reluisant. Toute personne n’écoutant pas l’actualité africaine d’une oreille distraite sait que la « démocratie », si obscure et nébuleuse que soit sa définition, est fragile dans le contexte africain. Qu’on se souvienne du fait selon lequel, depuis 2000, onze chefs d’Etat africains ont changé leur Constitution pour rester au pouvoir. Qu’on se souvienne du fait selon lequel, dans une ambiance de « désillusion décromatique », quatre coups d’État se sont succédé, d’août 2020 à janvier 2022, en Afrique francophone : au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso. Donc, que le groupe de presse The Economist dise, à travers son indice, que la « démocratie » va mal en Afrique, voilà une chose qui ne surprend guère. Et, c’est de là que part la raison d’être de cette tribune.

Sans me lancer dans une benoîte entreprise de critique des systèmes d’évaluation de l’état de la démocratie comme celui de The Economist, je veux faire remarquer que ces indices ne mesurent pas les processus démocratiques en eux-mêmes mais leurs aboutissements (libertés politiques, administrations non corrompues, etc.). Les soixante critères regroupés en cinq catégories sur lesquels est fondé l’indice de démocratie mesurent les démocratisations « par le haut » et ignorent complètement les démocratisations « par le bas » soit les processus endogènes construits par les associations, les lanceurs d’alerte, les web activistes, etc. Pour être clair, The Economist fait une « photo » de l’état de la démocratie ; ce qui est fort utile pour les grandes démocraties occidentales mais peu utile pour le contexte africain en raison de ce que l’Afrique est en démocratisation. Les gens de science comprendront que je fais valoir ici le couple statique/dynamique. Une vision statique est peu informatrice. C’est la dynamique du processus de démocratisation africaine qu’il faut chercher à comprendre. Car, un État parvient à un régime démocratique durable si et seulement si cet état de choses résulte des contradictions internes du corps social. Pour saisir cela, remontons à la naissance de la démocratie dans la Grèce antique.

L’on sait, grâce à Arnold Toynbee, qu’à la fin du VIII siècle av. J.-C, il y a eu un problème de surpopulation (excès de population par rapport aux moyens de subsistance) dans plusieurs cités-États grecques. Face à cette crise, les différents cités-États ont réagi différemment.  Certains comme Chalcis et Corinthe ont employé leur surplus de population à coloniser des terres cultivables au-delà des mers – en Sicile, en Thrace, en Italie du Sud et ailleurs. En revanche, d’autres cités-États ont cherché des solutions qui ont entraîné des changements profonds dans leur « superstructure ». Sparte était à l’origine une cité-État composée d’agriculteurs. Avec l’augmentation de la population, les Spartiates ont eu besoin de plus de terres à cultiver. Pour en obtenir davantage, ils ont envahi leurs voisins, les Messéniens. Après une longue guerre, ils ont finalement conquis les riches terres de Messénie en 715 av. J.-C et ont fait des Messéniens leurs esclaves. Sparte n’a obtenu ses terres supplémentaires qu’au prix de guerres obstinées et répétées avec des peuples voisins. Pour faire face à cette situation, les hommes d’État spartiates furent contraints de militariser la vie spartiate de fond en comble, ce qu’ils firent en revigorant et en adaptant certaines institutions sociales primitives, communes à plusieurs communautés grecques, à un moment où, à Sparte comme ailleurs, ces institutions étaient sur le point de disparaître. 

Athènes a réagi au problème de la surpopulation d’une autre manière. Elle spécialisa sa production agricole pour l’exportation, se lança dans la fabrication de produits “manufacturés” également destinés à l’exportation. Ces innovations économiques ont créé de nouvelles classes sociales. Les hommes d’État athéniens développèrent des institutions politiques de manière à donner une part équitable du pouvoir politique aux nouvelles classes afin d’éviter une révolution sociale : c’est le début de la démocratie. Ils ont incidemment ouvert une nouvelle voie de progrès pour l’ensemble de la société hellénique.

La leçon à retenir est que la démocratie comme toute institution politique naît des contradictions internes d’une société. Les grandes démocraties occidentales puisent leur origine dans des révolutions sociales : la révolution des Pays-Bas, la révolution anglaise, la révolution américaine ou la révolution française. Il n’y a pas de raison que l’Afrique échappe à cette Histoire Universelle.

Par ailleurs, il est prématuré de condamner les efforts de démocratisation des pays africains tant ces derniers sont de jeunes Etats. L’Etat, dans son acception moderne, est une idée neuve en Afrique car les structures proprement politiques africaines historiques étaient à petite échelle. George Peter Murdock, anthropologue américain, a proposé une classification des institutions politiques selon les « niveaux de hiérarchie juridictionnelle » (levels of jurisdictional hierarchy, en anglais) dans son livre Ethnographic Atlas, 1967 qui est une base de données sur 1167 sociétés. Dans sa base de données, il a codé une variable (le second chiffre de la colonne 32 dans le dataset) qui varie de 0 à 4 : 0 pour “société sans autorité politique”, 1 pour « petites chefferies », 2 pour « chefferies plus importantes »? 3 pour « États » et 4 pour “grands Etats”. Quand on combine cette classification de Murdock avec les estimations de la population en Afrique en 1880 du projet HYDE (Historical Database of the Global Environment), nous pouvons calculer la proportion d’Africains qui vivaient dans des états en 1880 (voir cette étude : https://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/28603.html) . Il en ressort qu’en 1880, seulement 30% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État si l’on considère comme Etat, les groupes ethniques de la base de données de Murdock qui sont codés comme ayant au moins 3 « niveaux de hiérarchie juridictionnelle ». Dans le cas où l’on adopte la définition plus restrictive de “grand État” de Murdock, seulement 4,4% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État. Quoi qu’il en soit, une très grande majorité d’Africains ne vivaient pas dans des États au cours de la période précoloniale. Le pouvoir était confiné à l’échelle locale. L’on comprend donc que les coups d’Etat en Afrique ne sont que la manifestation de la maturation des Etats africains.

Par ailleurs, examinons le problème de la démocratie en Afrique sous le rapport des trois conditions préalables à l’accomplissement démocratique de Pierre Rosanvallon.

D’abord, la confiance des citoyens dans les institutions. Cette condition n’est vérifiée qu’à moitié en Afrique subsaharienne. Selon Afrobarometer, à travers 36 pays en 2014/2015, les Africains expriment plus de confiance envers les institutions informelles telles que les chefs religieux et traditionnels (72% et 61% respectivement) qu’envers les organismes exécutifs publics (en moyenne 54%). Ensuite, la possession d’un langage commun pour décrire les faits et affronter la vérité pour formuler des accords et des désaccords. Cette condition, si elle est vérifiée dans quelques pays africains, est loin d’être validée dans la majorité des pays où l’on observe l’existence de plusieurs dizaines de langues sur le même territoire en dépit de la langue officielle du pays. Enfin, la capacité à organiser des élections libres. Il est inutile que cette condition est loin d’être vérifiée dans la majorité des cas.

Tout mon propos, dans ce billet, trouve son résumé dans une pensée marxiste : la superstructure (l’ensemble des formes politiques, juridiques et idéologiques) s’élève sur l’infrastructure (l’ensemble de l’organisation économique de la société). Le lent changement de l’infrastructure dans beaucoup de pays africains porte les germes d’une superstructure plus en phase avec le monde contemporain.

Corruption, Bad Governance, and Development Outcomes: The Case of Senegal (1/2)

By Souleymane Gueye Ph.D, Professor of Economics and Statistics, College of San Francisco

This first part of our article examines the economic effects of corruption on the Senegalese economy. How corruption and bad governance have generated an endemic misery in Senegal? What is the relationship between corruption and real GDP per capita? How corruption affects the Human Development Index and the Private consumption?  It also illustrates the relationship between corruption, income inequality and poverty. The role of good governance in modulating the effects of corruption on economic growth and poverty in Senegal will be examined in the second portion of the study.

While traveling through Senegal and talking to people from different backgrounds, I could not hide my frustration and sadness as I contemplated the despair, anguish, and sorrow in the eyes of the people I met throughout my journey in Senegal, who are struggling to make ends meet. For example, in the coastal zone of the region of Dakar from Yarah to Toubab Jalow and the small coast (Dayane to Joal), the advance of the sea and the scarcity of fish due to the fishing licenses that the government signed with the EU, China, and Japan have installed an unimaginable misery associated with poverty, poor health, low life expectancy, an unequal distribution of income and wealth that remain endemic. This misery is the outcome of the growing phenomenon of corruption “the abuse of an entrusted power for private gain” (1) in the public sector and the private sector in Senegal and bad governance as well.

Economic and Social misery

The social and economic misery is visible everywhere after a decade of mismanagement of public resources (Flooding fund , Program National des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC), Covid 19 Fund), embezzlement of taxpayers’ money by unaccountable chief executives officers at many state owed enterprises such as ( La Poste, L’IPRESS , CMS, LONASE, COUD , SAPCO, SAR, etc.. ), corrupt politicians , and  crooked businesspeople under a more authoritarian government that is dimming hopes for a whole young generation to build a future in Senegal. 

This misery is also compounded by an attitude of resignation of many Senegalese people because of a tacit coalition between some religious leaders, crooked politicians, and civil servants pursuing their self- interest, and safeguarding French and other foreign business interest (Turks, Chinese, Indian, Moroccans etc.).

The endemic misery has generated an abject poverty conducive to extreme violence and insecurity in many places in Senegal, social fractionalization, and a fertile ground for an exploitation of the masses by corrupt political leaders and executives who are accumulating insane amount of wealth without any rational justification (not based on their productive capacity). Senegal is one of the few countries in which civil servants are the wealthiest.

Under this dire situation, record numbers of Senegalese are leaving the country. The flood of Senegalese emigres spans socio economic classes, with professional, the working class, and the destitute represented among those risking their life in the Mediterranean Sea as Russian’s invasion of Ukraine pushes up the price of different imported staples (wheat, rice,) gas, and oil; hence creating an inflationary pressure which is undermining the purchasing power of almost 95% of Senegalese households. 

Other desperate Senegalese are attempting illegal routes into Europe, South and North America and dying in record numbers according to Geneva- based civil – society group” Global Initiative Against Transnational Organized Crime.”  Senegal is the sixth largest nation of origin for migrants, according to the international migration Organization (IOM). 

This exodus from Senegal constitutes a blow to the legacy of the Democratic principles that generated hopes after the political transition of 2000 when a president from an opposition party was elected and ten years later the election of a young president who promised a “sober and virtuous “management of public resources and equitable justice. 

Unfortunately, under their reign, public money has been transformed into a private kitty in the service of a suspicious generosity, open to all the audacity of capture and predation. This has paved the way for stealing state money, enrich friends and relatives, while impoverishing the country, and consequently put the Senegalese people in misery – the misery index is more than 25% (2).

The consequences are dire:  an underutilized agricultural sector, a growing informal sector, an inflated public sector, a weak private sector unable to create enough employment to absorb the rising supply of labor due to the demographic explosion, poor infrastructure, poor health facilities ( poor women are still dying in childbirth and are transported on carts), poor education, (many school children receive their education in temporary shelters – about 6000 ), weak institutions and last but not least an anemic economy in which corruption prevails at all levels of the decision-making process –  executive, judiciary , territorial administration, public security ( police and gendarmery), health and education sectors. 

In Senegal, bribery (public servant accepting bribes to certify unsafe building in violation of many cities planning code), frequent embezzlement of contract fund so that a promised infrastructure project is delayed and over budget ( Universities of Amadou Mathar Mbow and Ibrahima Niasse , and many schools and hospital projects), as well as the  theft of public fund in a way that inflates public budgets ( recent report of the court of Audit regarding the Covid Fund ), nepotism, influence peddling, conflicts of interests are erected as a mode of management of public resources..

Currently, the “Corruption Perceptions Index” for the public sector is at 57 points slightly higher than the index in 2021, making Senegal one of the most corrupt countries with a rank of 75th

Figure 1. [Corruption Perception Index by Transparency international]

There are a host of causes of this endemic corruption in Senegal: incentives, institutions, and personal ethics. With respect to incentives, we can identify low salaries of the civil servants with a weak purchasing power. As for the institutions, some key variables can be identified such as political structure with a strong executive branch headed by a president who has at his disposal a discretionary budget without accountability to the Senegalese people. The systemic corruption is also due to a lack of ethic, an alarming disappearance of our traditional values of Diom (dignity) Deugou (faith), Dioub (honesty), leguey (travail),

Economic Effects of Corruption on the Senegalese Economy

This ingrained corruption in the public sector undermines different aspects of the Senegalese society since the corruption carries negative social and economic consequences: it harms economic efficiency, increases social inequities, undermines the functioning of democracy, and exacerbates poverty and social exclusion. Furthermore, it reduces the effectiveness of public and industrial policies, making running a business more expensive, and thus encourages business to operate in the informal sector in violation of tax and regulatory laws (3). Senegal is suffering from this endemic corruption with respect to economic growth, human development, food security, and poverty alleviation.

Corruption and GDP per Capita

There is strong evidence of a negative correlation between corruption and the low level of GDP per capita ($1590) in countries like Senegal with high level corruption (140th on a list by Transparency International of 175 countries ranked by how corrupt their public sectors appear to be.). 

The theorical literature does not provide a clear answer on this issue –relationship between corruption and economic growth and poverty alleviation.  One strand of the literature argues that corruption affects positively economic growth by making it easy for investors to avoid red tape (bureaucratic delay) by bribery /kickbacks and by incentivizing low paid civil servants to work faster and harder if they could supplement their income by levying bribes (De Soto, 1989) (Egger and Winner, 2005) (4). This belief is rooted in the impressively rapid economic growth that the East Asian- and Southeast – Asian countries have achieved since the early 70’s despite widespread corruption.

This situation known as the “East – Asian paradox” has justified the view that corruption is not a key barrier to economic growth; hence countries should not waste time designing policies or instrument to deal with corruption. However, what this strand failed to acknowledge is the fact that these Asian countries were autocracies in which the perceived credibility of the commitment of ruling political elites to economic freedom, associated with a massive investment in education and a higher domestic saving rate created a favorable economic environment, hence providing confidence to multinational firms to invest, leading to long term economic growth. It is almost impossible to quantify and attribute to corruption the sustained increased of real GDP per capita of these countries over the last three decades. For example, in Sub Saharan Africa, there are many autocratic regimes (RDC, Republic of Congo, Cameroon, Tchad, Equatorial Guinea, Gabon, Angola, Zimbabwe where high rates of corruption had a deleterious effect on economic growth and poverty reduction (Haber, 2002) (5).

I believe that the negative effect of corruption on real GDP per capita is more common as many examples in Developing countries in general and Senegal demonstrated. In this strand in which I subscribe, corruption has a negative impact on GDP per capita because it reduces investment in physical and human capital in one hand and leads to a misallocation of public expenditures away from growth enhancing sectors such as education and health towards areas that are less productivity enhancing but are more corruption intensive.; namely large and expensive infrastructural projects on the other hand.

For example, Senegal with the current government is a perfect illustration of this choice. The government has chosen to build an arena, a stadium, TER (train express rapid), and BRT (rapid transit) instead of investing in more efficient project such as rebuild the railroad throughout the country, increases the sanitary tray and invest efficiently in the education sector to set the foundation for a skilled labor force with a strong productivity of labor. 

Studies (Fishman and Svenson 2001) have shown that a 1 % increase in corruption leads to a 3 % reduction in firm growth and reduce the growth rate by about 0.72% (6)

In Senegal Real GDP per capita of Senegal increased from 1,092 US dollars in 1972 to 1,437 US dollars in 2021 growing at an average annual rate of 0.62%. while corruption continued to increase substantially (Senegal is the 73 least corrupt nation out of 180 countries in 2021 and previously Senegal was the 67 least corrupt nation. Corruption Index in Senegal averaged 36.63 Points from 1998 until 2021, reaching an all-time high of 45 Points in 2020. The perception corruption index has deteriorated (score continue to drop, 2 points compared to last year and the poverty rate continued to increase.). This is evidence that the negative correlation between corruption and GDP per capita growth is more observable in countries like Senegal than the positive relationship.

World Bank: development indicators

This is explained by the fact that the waste or the diversion of public funds due to corruption leaves Senegalese governments with fewer resources to fulfil its human rights obligations (provide shelter, food, and education), to deliver services and to improve the standard of living of Senegalese people. 

Corruption and Human Development Index

Consequently, the insidious corruption prevailing in Senegal is negatively impacting human development of the country and is increasing social vulnerabilities within the country. In Senegal, an estimated 500 billion CFA francs in public health spending is lost globally to corruption every year, undermining health services and health equipment. Furthermore, 60% of school children do not complete primary school (high rate of illiteracy). This can be linked to a lack of state resources to build schools and maintain a qualified labor force due to bribery, embezzlement, privatization of public schools to enrich well connected people and civil servants.

Fighting corruption in Senegal is thus considered a key element to achieve the sustainable development needed to improve the HDI of Senegal as corruption (racketing by the police officer on the road, frequent embezzlement at the office of Taxes and Domain, and  the Treasury as well , justice splashed every day by corruption scandal, Customs which is perceived as a quick mean to accumulate wealth, a press which traffic in influence and marketing for amoral politicians, military with rumors smuggling overseas missions, etc. ), is at the center of most of the socio-economic problems that Senegal is facing. 

Corruption, Food Security, and Level of Consumption

Corruption is also affecting food security in Senegal since the level of corruption in land and water (land scandal in local communities such as Degleer, Dougaar etc.)  is impacting small scale farmers which constitutes most of the agricultural providers (67% of agricultural product). 

This high level of corruption is also impacting the level of consumption in Senegal as demonstrated in some  economic studies (7) since many households are forced to reduce their expenses on good and services to compensate the money wasted on bribery daily (money given to the police officers on the road, to the civil servants to receive an administrative act, to bribe a person to gain access to people making decision on behalf of Senegalese citizens etc.). 

The recent drama of Sikilo in the department of Kaffrine with its 50 dead and Sakal with its 18 dead highlights the danger of corruption in a country like Senegal. This sector is one of the most corrupt areas in Senegal as the fake has become so embedded in our country and at all levels that it part of the DNA of Senegalese citizens. The overwhelming majority of drivers bought their driving licenses, have fake registration cards, have bought their technical inspection certificate, and drive without insurance. This is possible because of a corrupt administration unable to enforce the law and punish bad behavior.

Overall Impact of Corruption and Bad Governance on the Senegalese Society

This situation can only be blamed on systemic corruption prevalent in the Senegalese society and on bad governance.  Corruption, nepotism, clientelism, impunity have been erected as modes of government in Senegal; this is the root cause of increasing poverty, increasing income inequality, decline of industrialization, incapacity to satisfy the basic needs and build basic infrastructure as well as allowing foreigners to grab land and exploit Senegalese workers. Foreign national are taking advantage of this corrupt environment to gain favor under the pretense of creating enterprises that will create jobs and repatriate easily profit at the expense of local citizens and the Senegalese economy overall hence contributing to an alarming trend of capital flight. This corrupt system has destroyed opportunities for many Senegalese people to generate wealth for themselves and the society. 

These challenges exacerbated by incompetent, corrupt leaders, and obedient population educated, molded, shaped in corruption, easy money and compromise that has created a system of “politique alimentaire” prevent Senegal from moving forward in term of development outcomes (job creation and poverty reduction).  

Addressing the entrenched corruption due to a lack of ethic, abject poverty, ignorance, and low wages that is prevalent in Senegal will open greater opportunities for the youth like entrepreneurship in different sectors (primary, secondary, and tertiary) of the economy that can lead to job creation. 

Conclusion

Unfortunately, the current government of Senegal is not only unable to come up with an effective economic strategy to deal with these socio-economic problems because of a lack of political will, a president who exercises an excessive liberality with the public purse, the politicization of managers with the express request of their possible political involvement by the President, and a population that institutionalized the practice of corruption to gain favor with the possible involvement of the justice and the security forces, but also to deal with this endemic problems: Corruption. Furthermore, this regime is incapable of solving the challenges of bad governance, because of a conscious choice of a clientelist model which is inseparable from corruption by the current regime. 

Reversing these trends and characteristics of the current Senegalese economy should be the primary focus of any credible person aspiring to lead this nation. Hopefully, the current administration will reverse course and start the process of creating a stable political environment in which a productive debate among all the interested parties will take place so that the Senegalese people will get all the relevant information to make an informed choice as to the selection of the person who will lead the country in a new direction for the benefit of all Senegalese citizens. 

Looking towards the 2024 election, many politicians and presidential hopefuls are proposing policies and strategies to improve Senegal. However, no matter how great these policies and strategies are, no meaningful or impactful change can come from them unless we address the deep issues at the core of Senegalese government which are the cracks in the institutions and the constitution that allows for the executive branch to wield unchecked power. This allows them to use the state for personal enrichment, pursuing vendettas and state sanctioned embezzlement. Senegal can’t win the fight against poverty without winning the war against corruption.

Notes

(1) Ray Fisman “corruption: what everyone needs to know”

(2) The misery Index is calculated as the sum of the inflation rate and the unemployment rate.

(3) The evaluation of the tax system of Senegal by Souleymane Gueye

(4) Egger, P and Winner, H (2005) “Evidence on corruption as an incentive for foreign direct investment, European journal of Political Economy

(5) Haber. S (ed) Crony Capitalism and Growth in Latin America: Theory and Evidence, Stanford, CA Hoover Institution Press

(6) Fishman and Svenson (2001) Are corruption and Taxation Harmful to growth? Firm level evidence Manuscript, IIES Stockholm University

(7) Impact of Corruption on the Private consumption in Senegal by Souleymane Gueye. Working paper CCSF 2016

Ecologie : l’exception africaine

Par Giovanni DJOSSOU pour l’Afrique des Idées

La préservation de l’environnement en Afrique est un sujet soulevant de multiples questions comme : Peut-on préserver l’environnement sans altérer le développement économique des pays du continent ? Ou encore la gestion occidentale de l’environnement en Afrique cause-t-elle un problème de souveraineté comme nous avons analysé dans une récente tribune sur le procès contre le projet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie (voir le lien en bas de page).

Pourtant, la question n’est pas récente. Depuis près de 150 ans, l’enjeu de la sauvegarde de la nature en Afrique a engendré des conséquences lourdes, sans pour autant atteindre son objectif supposé.

En 2020 l’enseignant-chercheur en Histoire, Guillaume Blanc, écrit « L’invention du Colonialisme vert : pour en finir avec le mythe de l’Eden africain », essai dans lequel il tente de démontrer que la politique de développement des parcs nationaux en Afrique est un désastre humain, social et politique. Ainsi, à travers l’ouvrage et les interviews de l’historien, nous chercherons à savoir en quoi les tentatives de préservation de l’environnement en Afrique parlent bien plus d’histoire coloniale, de stratégies politiques et économiques et de bouleversements socioculturels que de nature. Nous nous demanderons également si la politique des parcs est si écologique qu’elle le prétend.

Les parcs nationaux : espaces de violence

Guillaume Blanc, maître de conférences en Histoire à l’Université Rennes II, a soutenu sa thèse sur les parcs nationaux au Canada, en Ethiopie et en France. En Ethiopie, le chercheur va se pencher sur le parc du Simien, dans lequel il passe trois années cumulées, entre 2007 et 2019. Dans le cas spécifique de ce parc, ce sont plus de 2 500 personnes qui sont expulsées par les experts. « Des gardes leur disent de signer des papiers et partir. Le départ est volontaire officiellement mais, il n’y pas réellement de choix. Les habitants ne conçoivent pas de dire non à un représentant de l’autorité », explique Guillaume Blanc. De fait, les populations locales intègrent l’idée qu’il faut préserver la nature et qu’elles sont, par leurs simples activités et leur simple existence, un obstacle à cette préservation. Mais bien plus que des espaces de violence psychologique, les parcs sont aussi des espaces qui mettent en question la survie des agriculteurs et des bergers. Environ 14 millions d’habitants ont été expulsés de leurs résidences au XXe siècle en Afrique et encore plusieurs dizaines de millions reçoivent amendes et peines de prison. Leurs fautes : cultiver la terre et chasser. Le parc détruit ainsi tout un écosystème et des modes de vie.

Historiquement, on observe une césure entre la pré-décolonisation et la post-décolonisation. Avant les indépendances, les colons ménagent les populations car ils les administrent. L’exemple étasunien où l’économie extractive asséchant les sols avait provoqué le déplacement des populations et entraîné des révoltes, est retenu. Il ne faut pas reproduire des situations pouvant engendrer des soulèvements. Après la décolonisation, seule la nature compte. Les expulsions sans ménagement se multiplient, tout comme les peines de prison pour chasse du petit gibier. Des villages sont aussi brûlés. Le tout sous le regard de l’Unesco qui se félicite des « actions écologiques » menées sur le continent, tout en gardant le silence sur la nature desdites actions.

Le procès contre le projet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie, le démontre (voir en bas de page l’analyse de l’auteur parue dans nos colonnes).  Guillaume Blanc rappelle, néanmoins, que la violence est inhérente à la création des parcs et non au seul cas africain. A l’inauguration du parc de la Vanoise en 1963 (Premier parc national en France), des habitants du parc, refusant la transformation forcée de leur territoire accueillent le ministre avec des fusils.

La spécificité africaine : un fétichisme depuis la colonisation

Pour Guillaume Blanc, il est impossible de comprendre l’expulsion des cultivateurs du parc du Simien si l’on ne revient pas au mythe de l’Eden africain datant de la colonisation. Les colons qui migrent en Afrique quittent l’Europe en pleine post-révolution industrielle ; une Europe où l’urbanisation est grandissante. Arrivés en Afrique, ils trouvent la forêt, la savane, des lieux qu’ils pensent non-altérés par l’Homme. Pourtant, pour l’historien : « On a une idée absurde consistant à croire en une Afrique vierge, naturelle, sauvage. Idée aussi absurde que de croire que l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire ». Mais, pour ces colons, la nature africaine devient une mission : protéger, ici, ce qu’ils n’ont pas été en mesure de protéger chez eux. « A partir des années 1930, se développe l’idée que l’on peut détruire en Europe parce que l’on protège en Afrique. Plus la nature disparaît en occident, plus elle est fantasmée en Afrique ». Ainsi, le chasseur local devient un braconnier dont il est bon de stopper les nuisances. En réalité, ce sont les expropriations commises par les colons, afin de réaliser leurs ambitions minières et extractives, qui transforment les habitudes des populations locales et accroissent les activités de chasse. « Les colons de l’époque sont incapables de voir que les désastres écologiques auxquels ils assistent sont dus à leur présence », précise Guillaume Blanc qui donne en exemple le développement fulgurant du trafic de défense d’éléphants en Afrique de L’Ouest, à l’arrivée des colons, avec 65 000 pachydermes tués par an ; les braconniers locaux ayant trouvé un nouveau débouché en la personne du colon européen et américain, très demandeur. «Plus le colon détruit la nature africaine, plus il la met en parcs ».

En 1960, l’UICN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) lance le Projet Spécial pour l’Afrique, lors de sa septième assemblée générale à Varsovie. Ce projet, soutenu par l’Unesco et la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’Agriculture), consiste, dans un premier temps, à inscrire l’idée de la conservation dans les programmes des dirigeants africains. Ensuite, lors de la conférence d’Arusha (Tanzanie) en 1979, est créée la WWF (World Wildlife Fond) dont le but est, à la fois, de financer la venue d’experts occidentaux en Afrique pour aider les dirigeants africains dans les projets de préservation, mais également « faire face à l’Africanisation des parcs » selon les termes des experts de l’époque, ce qui signifie : contrecarrer les conséquences des décolonisations. Durant ces années, « on assiste à la reconversion des administrateurs coloniaux en experts internationaux, qui vont poursuivre leur combat préservationniste en Afrique : mettre plus de terres en parcs et empêcher les hommes et les femmes de cultiver », décrypte Guillaume Blanc.

Deux poids, deux mesures

Dans ma tribune TotalEnergies en Afrique de l’Est : l’environnement face au développement, je demandais comment un pays comme la France – qui a sacrifié une part considérable de ses ressources vertes à la révolution industrielle- pouvait aujourd’hui, via des ONG, altérer les stratégies de développement de pays africains, au nom de l’écologie. Là aussi, le deux poids deux mesures n’est pas nouveau. L’historien nous apprend, par exemple, que l’Unesco classe au patrimoine mondial de l’Humanité le parc des Cévennes, en France, au nom de l’agropastoralisme. La valeur universelle du parc s’expliquerait par la manière dont l’activité des bergers et des cultivateurs a façonné le territoire. Le parc des Cévennes est une histoire d’adaptation : comment l’homme adapte la nature à son activité.

Pourtant, lorsque l’on se penche sur le parc du Simien, en Ethiopie, sa valeur universelle qui lui vaut d’être classé à l’Unesco, réside dans « Les paysages spectaculaires et les espèces endémiques ». Ainsi, l’activité humaine est valorisée en France mais considérée comme néfaste en Afrique. L’agropastoralisme est, en France, une histoire d’adaptation de la nature, là où, en Ethiopie elle est une affaire de dégradation de celle-ci. « Attention au vocabulaire, nous met en garde Guillaume Blanc. Nous, nous avons des peuples, eux, ils ont des ethnies. Nous on défriche, eux, ils déforestent. Nous on exploite eux, ils dégradent ».

La faute à la pop-culture et aux textes-réseaux


Cette mythification de l’Afrique sauvage est, selon le professeur-chercheur, largement entretenu par deux phénomènes : l’imaginaire et les experts. Le Guide du Routard, Lonely Planet ou encore les voyages de David Attenborough diffusés sur la BBC, sont autant de programmes qui inscrivent dans l’esprit des gens que l’Afrique est une terre quasiment vierge. Dans National Geographic, les braconniers sont régulièrement déshumanisés, tandis que l’on prête aux animaux des caractéristiques et des sentiments humains. Les animaux en Afrique ont une identité, ont un libre arbitre et sont plus précieux que l’Homme africain. Dans son ouvrage, Guillaume Blanc illustre cette anthropomorphisation à outrance avec le film d’animation Disney de 1994 Le Roi Lion. « Dans ce film, les lions sont des autocrates éclairés seuls capables de restaurer le cycle de la vie. Pour cela, ils vont devoir se battre contre des hyènes qui, elles, brûlent la savane. Les conservationnistes en Afrique sont les lions. Les rois détrônés qui sont les seuls à préserver la nature. Ils ne s’en prennent pas à des hyènes mais à des paysans. (…) Sans compter que dans cette Afrique [de Disney], il n’y a aucun Africain». Cette anthropomorphisation fait que: «Nous nous sentons plus proches des éléphants ou des lions que de l’Africain. (…) C’est ce que fait également que nous ne sommes pas choqués par les injustices sociales créées par les actions de l’Unesco et la WWF ».

Ensuite, Guillaume Blanc décrit le concept des textes-réseaux, à savoir de fausses vérités assénées tant de fois, par des experts autoproclamés, que l’on finit par les prendre pour des vérités absolues qu’il devient impossible de remettre en question. Les textes-réseaux, aussi, entretiennent les clichés sur la nature africaine. Par exemple, l’historien accuse les botanistes européens d’avoir lu l’histoire à l’envers dans leur analyse du couvert forestier ouest-africain. Ils découvrent des villages entourés d’une ceinture forestière. L’hypothèse des botanistes étant que, précédant l’Homme, se trouvait une grande forêt primaire, détruite au fur et à mesure de l’accroissement de la population humaine. La réalité est inverse. En Afrique de l’Ouest, avant les Hommes, il y avait de la savane. Puis, l’arrivée de l’Homme, l’agriculture et la fertilisation des terres, ont permis la pousse des arbres. Et les populations se dotent elles-mêmes, de cette couverture forestière.

Puis, Guillaume Blanc livre un exemple, plus parlant encore, de ce phénomène de textes-réseaux : dans les années 1960, un expert de la FAO, H.P. Hoefnagel, visite Addis-Abeba durant une semaine. Il étudie le rapport d’un forestier canadien datant de 1946, dans lequel est stipulé qu’il y a, à Addis-Abeba, 5% de couverture forestière, à cette époque. Puis, il consulte une seconde estimation, d’un forestier allemand qui affirme qu’aux alentours de 1900 cette couverture forestière représentait 40% du territoire. Dans son rapport, Hoefnagel proclame donc que la forêt est passée de 40% du territoire à 5% en un demi-siècle, dans la capitale éthiopienne et que l’Homme en est la cause. « Ces chiffres vont circuler partout, à une époque où l’on a peur de l’explosion démographique africaine. Le problème est que, lorsqu’on lit ‘’Une Vérité qui dérange’’ d’Al Gore, livre grâce auquel il obtient le prix Nobel, on retrouve ces chiffres qui ne reposent sur aucune enquête scientifique localisée ».

Le parc : un outil au service des dirigeants africains

Si l’on mentionne souvent l’utilisation des dirigeants africains par les experts occidentaux pour contrôler la nature, Guillaume Blanc rappelle que les dirigeants africains y trouvent également leur compte. Voilà pourquoi, selon lui, la politique des parcs revêt une dimension post-coloniale et non néo-coloniale. Dans une interview accordée à la librairie Mollat en 2020 -à l’occasion de la sortie de son ouvrage-, le professeur-chercheur confit les propos tenus par Julius Nyerere en 1960, alors qu’il est Premier ministre de Tanzanie : « Nyerere présidait la conférence concernant le Projet Spécial pour l’Afrique. Devant les experts, il dit ‘’nous voulons poursuivre le travail accompli’’, mais lorsqu’il s’adresse aux Tanzaniens, il dit ‘‘je n’ai pas l’intention de passer mes vacances à regarder des crocodiles, mais apparemment, les occidentaux sont prêts à investir des millions pour le faire’’ ».

Mais les revenus du tourisme ne sont pas l’unique gain lié au développement des parcs, pour les dirigeants africains. Toujours en Tanzanie, pays socialiste dans les années 1960, qui cherche à collectiviser les campagnes- les parcs vont favoriser le déplacement de populations. Ces déplacements forcés faciliteront le processus de collectivisation par la construction de grands villages. Idem en Ethiopie où l’Empereur Haïlé Sélassié tente de façonner un état centralisé. Il décide de construire ses parcs chez les nomades, dans les maquis, sur les territoires sécessionnistes. Le mouvement de populations seront coercitifs, violents, mais se réaliseront avec la bénédiction de la communauté internationale, étant donné que l’argument premier avancé sera la préservation de la nature.

Enfin, en République Démocratique du Congo (ex-Zaire), le président Mobutu Sese Seko, exploitera les parcs pour essayer de maîtriser l’insurrection. Il fait construire les parcs de Kahuzi-Biega et de la Maiko, dans le Kivu (l’Est du pays) où Laurent-Désiré Kabila monte son opposition. « Les parcs sont un excellent moyen de s’imposer, de planter un drapeau dans des territoires que les dirigeants peinent à contrôler. Dans cette alliance entre l’expert et le dirigeant, le grand perdant est, systématiquement, l’habitant ».

Les parcs sont-ils écologiques ?

En lieu et place de préserver la nature, les politiques environnementales, en Afrique créent des dommages sur de nombreux pans de la société, tout en insérant dans l’esprit des occidentaux des idées répandues fausses : « Dans les théories néomalthusiennes, les trop nombreux sont toujours les autres. La supposée surpopulation africaine est une idée sans fondement », lance Guillaume Blanc.

Comme le précise l’historien Nicolas Patin, maître de conférences à l’Université Bordeaux- Montaigne : « Tout le monde a un avis sur la manière dont l’Afrique devrait être préservée de sa propre population », sans pour autant se demander si la politique des parcs est réellement écologique.

Selon Guillaume Blanc : « Le coup écologique des visites dans les parcs équivaut à détruire le ressources mises en parc, en Afrique. Il ne s’agit pas d’une protection de la nature mais d’une consommation de la nature ».

Pour l’auteur de L’invention du colonialisme vert : pour en finir avec le mythe de l’Eden africain, les solutions sont multiples : « Les bergers et cultivateurs, que l’on expulse des parcs, produisent eux- mêmes leur nourriture, se déplacent à pied (…) n’achètent que peu de viandes, de poissons, de nouveaux vêtements. Ils n’ont ni smartphones ni ordinateurs. Bref, si l’on voulait sauver la planète (…) il faudrait vivre comme eux, ou s’en inspirer. Pourquoi s’en prendre à eux ? Tout simplement pour éviter de s’en prendre à nous-mêmes. Pour s’exonérer des dégâts que l’on cause partout ailleurs ». Par ailleurs, il préconise un système de co-évolution où humains et non-humains sont sur un pied d’égalité : « Cela fait 150 ans qu’une idée reçue existe : l’Homme africain détruit sa nature. Mais, après 150 ans, elle n’est toujours pas détruite. Pourquoi ne pas faire en Afrique ce que les institutions internationales font en Europe : soutenir le pastoralisme et l’agriculture. L’écologie qui répondrait à une idée de la nature sans les Hommes ne marchera jamais, car les humains font partie du vivant ».

Références

  • Guillaume Blanc, 2020, L’invention du colonialisme vert : pour en finir avec l’Eden africain, Editions Flammarion.  
  • Giovanni Djossou, TotalEnergies en Afrique de l’Est : l’environnement face au développement, https://www.lafriquedesidees.org/totalenergies-en-afrique-de-lest-lenvironnement-face-au-developpement/
  • Interview de Guillaume Blanc à la Librairie Mollat (2020) https://www.youtube.com/watch?v=I5MzCxdWvuk

Démocratie au Gabon: Quelle direction?

Christian Dior MOULOUNGUI, est philosophe. Il est enseignant de philosophie et Doctorant en troisième année à l’Université Omar Bongo (Gabon) , cdmouloungui@gmail.com Libreville / Gabon

Résumé

Cette tribune étudie l’état de la démocratie tel qu’il se présente au Gabon. La démocratie dans cet État de l’Afrique centrale, nous semble-t-il, fonctionne à pas de caméléon. Nonobstant l’ouverture démocratique amorcée dans les années 1990 prônant pour le pluralisme politique dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, l’opacité de l’organisation politique au Gabon apparaît alors comme un obstacle à l’effectivité démocratique. Cette problématique de la gouvernance au Gabon est asymétrique à la question de l’alternance démocratique, bien qu’il y ait d’autres formes des dérives du pouvoir. Comment comprendre effectivement que plus d’un demi-siècle, voir plus de 55 ans, de règne présidentiel avec un même parti (PDG) au pouvoir depuis1968 ? Dans ce cas de figure, plus de trente ans plus tard, la promesse tant entendue de la démocratie est fille d’une attente sempiternelle et l’espoir du peuple gabonais de voir les jours meilleurs s’enlise dans le désenchantement total.     

Abstract

This article examines the state of democracy as it stands in Gabon. Democracy in this Central African state, it seems to us, is working at a chameleon’s pace. Notwithstanding the democratic opening that began in the 1990s advocating political pluralism in several sub-Saharan African countries, the opacity of political organization in Gabon then appears as an obstacle to democratic effectiveness. This problem of governance in Gabon is asymmetrical to the question of democratic alternation, although there are other forms of power abuses. How can we understand that more than half a century, or even more than 54 years, of presidential rule with the same party in power since 1968 ? In this case, more than thirty years later, the long-heard promise of democracy is the daughter of an eternal expectation and the hope of the Gabonese people to see better days is bogged down in total disenchantment. 

Introduction

Le triomphe de la démocratie libérale prédit et soutenu par les Occidentaux est bel et bien significatif dans l’œuvre Francis Fukuyama à la fin de la guerre froide. Pour lui, dans La fin de l’histoire et le dernier homme[1], la fin de la guerre froide marque une nouvelle ère de paix et de la fin des combats idéologiques. Et donc, finalement, la fin du communisme, des régimes totalitaires et le triomphe de la démocratie libérale et du capitalisme dans le monde. A cet effet, il prédit alors que cette nouvelle période des relations internationales,  post-guerre ou post-historique, est considérée comme une expansion, une émergence de la démocratie libérale dans le monde. Avant lui, François Mitterrand n’en pensait pas moins en s’appuyant sur la nécessité de la démocratie dans la gouvernance africaine :

Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons[2].

A ces propos, au-delà de l’objectivité première de ce discours, il s’agissait d’une sorte d’injonction préconisée aux pays africains d’adopter le régime démocratique. Un régime idéal pour une organisation politique libérale et garant des libertés des individus. C’est-à-dire, la démocratie comme régime politique idéal, pour l’instant, qui exprime ou affirme le mieux les attentes des peuples : égalité, liberté et justice.

Dans ces contions, pour les pays africains, il apparaît alors difficile d’organiser une vie politique à la marge de cet idéal politique occidental. C’est dans ce contexte que le peuple gabonais se veut iconoclaste par le canal de multiples mouvements de contestations pour dire non aux politiques centralistes et au népotisme du pouvoir en exercice. En effet, après plus de 22 ans de politique de parti unique, le Gabon renoue enfin avec le multipartisme dans les années 1990. En réalité, c’est le contexte de l’ouverture politique et institutionnelle. Mais l’effectivité de cette mouvance démocratique sera actée en 1990 avec la Conférence Nationale[3] et en janvier 1991 avec la légalisation optimale des partis politiques d’opposition. C’est l’aboutissement d’une longue crise politique et sociale au sortir de la chute du mur de Berlin en 1989, le début de l’ère démocratique dans les années 1990. Partant de là, le Gabon peut maintenant rêver de construire un espace politique démocratique qui prend en compte l’intérêt général et la volonté de ses citoyens, et donc du corps politique dans sa totalité organique. C’est l’espoir du peuple gabonais de connaître un futur meilleur à travers un monde d’égalité, de justice et de liberté. Mais plus de trente ans après, l’idéal occidental et la prédiction de Fukuyama sur le triomphe de la démocratie n’ont pas atteint les résultats escomptés[4]. Lisons Ana Pouvreau pour l’entendre dire : « En 1989, lors de la chute du Mur de Berlin, la démocratie paraissait triomphante et son avenir s’annonçait sous un jour radieux. Trois décennies plus tard, force est de constater que les démocraties sont malades »[5]. Bien sûr, aucun État démocratique aujourd’hui, petit ou grand soit-il, n’est en marge de mouvements de contestations : « Partout se sont élevées des contestations condamnant le déficit de représentation, de légitimité et de constitution de la volonté générale »[6].  Pour ainsi dire, dans cette perspective, la politique gabonaise retombe dans ses travers. C’est pourquoi, finalement, on constate qu’après la mouvance de l’ouverture politique, l’organisation de la vie politique au Gabon est flétrie par le déclin de la démocratie. Quand bien même, nous le savons, la démocratie est et reste le régime politique par excellence dans le monde et la finalité de tout gouvernement qui se veut humain.

 En raisonnant ainsi, il n’en demeure pas moins de noter que bon nombre de spécialistes et citoyens pensent manifestement que l’effectivité des principes démocratiques pose problème en Afrique, en général et au Gabon, en particulier. A cet égard, il apparaît fort probable de constater que la sphère politique gabonaise est caricaturée par le blocage de l’alternance démocratique, le népotisme, le despotisme, et donc un dysfonctionnement de l’affirmation de l’État de droit et de la souveraineté du peuple. A partir de là, nous comprenons que l’enjeu de notre démonstration est de montrer en substance que la crise de la démocratie est belle et bien évidente au Gabon. Lisons Pierre Rosanvallon pour l’entendre dire : « L’idéal démocratique règne sans partage, mais les régimes qui s’en réclament suscitent presque partout des vives critiques. C’est le grand problème de notre temps »[7]. C’est un fait qui pose aujourd’hui, en substance, le problème de la méfiance et défiance des citoyens vis-à-vis des régimes démocratiques.

Approche diachronique de la démocratie au Gabon

 Après les indépendances dans les années 1960 en Afrique subsaharienne, plusieurs pays africains connaitront leur premier président élus par la voie des urnes. Cela fut la première marche vers une autonomisation et émancipation politiques. C’est le moment de l’affirmation de la souveraineté des États africains. Par ailleurs, il faut noter au passage que nous sommes dans le contexte des partis uniques, et donc du processus électoral à parti unique. Pierre Jacquemot  note avec pertinence que « les régime à parti unique s’installèrent quasiment partout, avec des pouvoirs centralisés, niant les choix concurrentiels, satisfaisant médiocrement le vœu des Africains de choisir librement leurs représentants »[8].

C’est dans ce contexte que le Gabon prend son indépendance le 17 août 1960. Et le 12 février 1961, Léon Mba fut élu le premier président du Gabon. Cette élection du Président Léon Mba prend forme après négociation avec l’opposition dirigée par Jean-Hilaire Aubame :

Fragilisé par ces arrestations des membres de son propre parti, Léon Mba se rapprocha du leader de l’opposition, Jean-Hilaire Aubame, pour négocier une entente. Celle-ci, très vite conclue, prit le nom d’ « Union nationale ». Elle regroupa le B.D.G., l’U.D.S.G. et le P.U.N.GA Sous ses auspices furent élus, le 12 février 1961, le premier président de la République gabonaise − en l’occurrence, Léon Mba[9].

Mais après sa mort le 28 novembre 1967, selon l’idéal constitutionnel, Albert-Bernard Bongo devient le Président de la République gabonaise : Comme le stipulait la Constitution, révisée à dessein le 17 février 1967, le vice-président Bongo lui succéda le 2 décembre 1967 »[10]. A partir du 12 mars 1968, le nouveau président, Albert-Bernard Bongo, « créa un parti unique dénommé Parti démocratique gabonais, qui abolit toutes les libertés démocratiques[11].

A ces propos, une fois au pouvoir, le Président Albert-Bernard Bongo met en place un parti politique dynamique, le Parti démocratique gabonais le  12 mars 1968, autour duquel il va assoir sa stratégie politique. A cet effet, à partir des années 1968 jusqu’à la mouvance démocratique en 1990, le Gabon est en plein essor économique. Ce développement économique est propulsé par les recettes pétrolières.  De même, il convient de dire que politiquement, le parti unique (PDG), sous l’égide du Président Albert-Bernard Bongo, assure l’équilibre du pays à travers le dialogue et l’intégration de différents bords politiques. En un mot, il faut comprendre que sur le plan économique et politique, en ce temps, le Gabon est considéré comme un prototype en matière du développement économique et de stabilité politique au niveau de l’Afrique centrale.   

La dérive du pouvoir

 Outre ses prouesses en matière de développement économique et de stabilité politique, la politique du parti politique unique menée par les gouvernants gabonais met en place une politique du ventre[12], autoritaire et clientéliste au Gabon. A partir de là, il y a une sorte d’implantation et de manifestation de la privation des libertés d’expression, de conscience et d’agir : « Le 17 mars, les autorités ont suspendu les activités de la Convention nationale des syndicats du système éducatif (CONASYSED), le principal syndicat d’enseignants du pays, invoquant le « trouble à l’ordre public » causé lors du début du mouvement de grève en octobre 2016 »[13]. En plus, ladite politique semble être caractérisée par la mauvaise gestion de la manne pétrolière, et donc soldée par une gouvernance opaque de ressources naturelles :

Selon le rapport du Fonds monétaire international sur le Gabon, […] la gouvernance déficiente et les fuites de recettes du pays sont dues à l’absence de transparence des accords de partage de la production ; l’absence de vérification des coûts déclarés par des entreprises ; le manque de transparence des déclarations de recettes pétrolières. A cela s’ajoute la mauvaise gestion des entreprises pétrolières publiques, Gabon Oil Compagny (GOC) et la raffinerie nationale gabonaise, la Sogara, qui s’accompagne de transferts financiers peu transparents entre elles et l’État[14].

Cette mauvaise gouvernance des ressources pétrolières a plusieurs conséquences, à savoir : la pauvreté et les inégalités sociales plausibles dans la société gabonaise. Selon le rapport Gabon : Profil de Pauvreté 2017, « pour l’ensemble du pays, la pauvreté se situe à 33,4 pour cent en 2017, tandis que l’extrême pauvreté (ou pauvreté alimentaire) concerne 8,2 pourcent des gabonais »[15]. L’incidence de la pauvreté (PO) par milieu de résidence au Gabon, selon ce rapport, présente les données suivantes : « Nous constatons que la pauvreté est plus élevée dans le Sud rural où elle concerne plus de deux tiers des individus, tandis qu’elle concerne 21 pour cent des individus à Libreville, la capitale Gabon. Port-Gentil et le reste de l’Ouest Urbain se situe également en dessous du taux de pauvreté national de 33,4 pour cent »[16]. Et l’extrême pauvreté : «  Au niveau national, l’indice de la pauvreté extrême est de 8,2 pour cent en 2017. Une ventilation des résultats selon le milieu de résidence montre que la pauvreté extrême est beaucoup plus important en milieu rural avec un taux de 25,4 pour cent »[17].

 En outre, on peut ainsi dire que le Gabon sombre dans l’aristocratie[18], le despotisme[19] et le népotisme[20] depuis l’ère du Président Omar Bongo Ondimba[21] à la succession en 2009 de son fils, Ali Bongo Ondimba[22] jusqu’aujourd’hui. Cette succession du père au fils est bien loin d’être la règle de l’alternance démocratique, mais, en réalité, elle est beaucoup plus une succession monarchique, dynastique. Le pouvoir du père au fils, cette alternance politique typique devient un prototype en Afrique subsaharienne, notamment en février 2005 au Togo et en mars 2021 au Tchad. Aujourd’hui plus qu’hier au Gabon, les libertés d’expression et de manifestation sont souvent opprimées. Donc, semble-t-il, cette répression face  à tout mouvement de contestations montre en suffisance que l’expression des libertés individuelles ou collectives apparaît sans doute aliénée. Les conflits post-électoraux de 1993, 2009 et 2016 traduisent le caractère oppressif des gouvernants en exercice. A cet égard, même malgré le multipartisme et donc le triomphe de la démocratie des 1990, on peut comprendre que la démocratie gabonaise peine à se réaliser.         

En effet, comme nous l’avons dit, nonobstant l’ouverture politique caractérisée par la mouvance démocratique dans les années 1990 en Afrique, l’organisation politique au Gabon fonctionne en marge des principes de la démocratie. Pour dire les choses autrement, la démocratie fonctionne à pas de caméléon, pour emprunter l’expression de  Richard Banégas[23]. Cela dit, depuis ces années 1990 symbolisant le retour à la vie démocratique et au pluralisme des partis politiques au Gabon, le régime politique n’a jamais changé. D’après Lassaad Ben Ahmed, « Au Gabon, la famille Bongo cumule plus d’un demi-siècle à la tête du pays, d’abord avec Omar Bongo durant 42 ans, depuis 1967, succédé ensuite par son fils Ali Bongo et toujours en poste »[24]. De même, l’élection des députés et sénateurs par le peuple gabonais, comme leurs représentants au Parlement, n’a jamais changé de paradigme ni pour une organisation politique adéquate et optimale, ni pour la confiance du peuple qu’ils sont censés représenter. L’enquête menée au Gabon par l’Afrobaromètre[25] en 2020, semble-t-il, nous donne une idée plus ou moins distincte de la situation démocratique dans ce pays. D’après cette enquête, « La moitié (50%) des Gabonais ne font pas du tout confiance  aux députés et sénateurs, en plus de 29% qui leur font juste un peu confiance. Seulement 6% leur font « beaucoup confiance »[26]. Dans ce cas de figure, nous dit Pierre Rosanvallon, nous sommes dans Le Parlement des invisibles[27]. C’est-à-dire, l’abandon exaspéré de nombreux gabonais qui se disent oubliés, incompris et pas écoutés par leurs représentants. Il faut donc comprendre que :

La forte majorité des enquêtés disent que ni les sénateurs (74%) ni les députés (63%) ne les écoutent jamais. La très large majorité des Gabonais jugent négative la performance des députés (78%) et des sénateurs (83%). Aussi, six Gabonais sur 10 (61%) estiment que la plupart ou « tous » les parlementaires sont impliqués dans les affaires de corruption[28].

 De même, Alix-Ida Mussavu n’en pense pas moins, en reprenant les sondages d’Afrobarometer  sur l’appréciation de la démocratie au Gabon : « Selon les résultats du 8e tour d’Afrobarometer au Gabon sur l’appréciation de la démocratie, 70% des Gabonais préfèrent la démocratie à toute autre forme de gouvernement mais plus de 88% ne sont pas satisfaits de son fonctionnement dans le pays »[29]. Au final, par ces sondages dont les données nous paraissent fiables, nous pouvons dire sur la base de l’expérience et d’appréciation que la manière de gouverner et la qualité de la vie au Gabon permettent de comprendre que la démocratie est d’autant plus chimérique et fataliste que réaliste.          

La mal-représentation

  Le problème de la politique gabonaise, à notre humble à vis, c’est la mal-représentation. Et celle-ci est la conséquence directe de la mauvaise gouvernance. Pour comprendre les choses autrement, le fait que les dirigeants gabonais n’assurent pas leur fonction des représentants du peuple de manière adéquate et optimale, il n’est pas sans conteste étonnant d’être dans la situation de gouvernance chaotique que connaisse le Gabon actuellement. Le clan dirigeant se livre, semble-t-il, au pillage sans précédent de ressources et richesses du pays. Selon Rose Moussaoui, dans Le Clan Bongo, un demi-siècle de règne et de pillage,  « ces richesses n’ont jamais profitées aux Gabonais, privés d’infrastructures et de services de base »[30]. Les conséquences immédiates de cette gouvernance opaque  sont : le népotisme, le clanisme et surtout, bien sûr, le chômage chronique des jeunes gabonais : « Dans son rapport publié le 11 août dernier à la veille de la célébration de la journée internationale de la jeunesse, l’OIT estime à 73 millions le nombre de jeunes chômeurs en 2022, soit 14,9%, en baisse par rapport à 2021 (75 millions), mais supérieur de 6 millions par rapport à 2019 »[31]. Parce que les postes dans l’administration gabonaise sont à la solde des collaborateurs et parents. Plus déplorable encore en ce qui concerne cette mal-représentation, c’est qu’elle a posé une scission entre le peuple gabonais et ses représentants. C’est-à-dire, les citoyens n’ont plus confiance à ceux qui les dirigent, et donc ils deviennent alors méfiants vis-à-vis d’eux et distants à l’organisation politique. Pierre Rosanvallon, dans son texte Le Parlement des invisibles, n’en pense pas moins : « Une coupure s’est creusée entre la société et les élus censés la représenter. Ce constat est aujourd’hui bien établi »[32].

  A ces propos, pour revenir à la situation démocratique du Gabon, il faut comprendre que l’érosion de la confiance s’est établie entre le peuple gabonais et ses représentants. Ces dirigeants gabonais auraient oublié volontairement, puisqu’ils en connaissent la nature et les enjeux d’une organisation politique démocratique, l’intérêt général et la souveraineté du peuple gabonais dans leur « gouvernementalité ». Autrement dit, le problème, justement, est que ces dirigeants gabonais excluent toute transparence dans la gestion de la chose publique, déclinent toute responsabilité, favorisent le partisanisme et rejettent consciemment l’écoute du peuple. De ce fait, Il apparaît donc fort probable de justifier, finalement, la méfiance, les critiques, le désarroi et le mécontentement des citoyens gabonais à l’égard de leurs dirigeants.

Partant de là, il sied d’affirmer que les dirigeants gabonais n’ont visiblement pas la volonté de penser démocratiquement la société gabonaise, ni comment gérer la chose politique démocratiquement de telle sorte que le bien-être des gabonais soit effectif. Mais dommage, bien évidemment, parce que leur souci n’est visiblement que d’assouvir leurs intérêts individualistes et partisans. Encore plus inquiétant dans leur gouvernance, nous semble-t-il, ils cherchent inéluctablement comment garder de facto ou par tous les moyens le pouvoir. Par conséquent, ils utilisent tous les mécanismes possibles pour pérenniser effectivement leur pouvoir. Pierre Rosanvallon note avec pertinence que la vie politique moderne et contemporaine « tend de plus en plus à s’organiser autours des enjeux de conquête et de l’exercice du pouvoir, et non autour du souci d’exprimer la société ou de gouverner adéquatement l’avenir »[33]. Comme telle, cette conquête du pouvoir au Gabon a mis en place une machine à broyer la scène politique gabonaise, et donc le Parti-État, Parti démocratique gabonais (PDG) : « le Parti démocratique gabonais (PDG), comme parti unique et dirige d’une main de fer »[34].

 A cet effet, cette marginalisation de la démocratie justifie non seulement le non-respect de la Constitution gabonaise, caractérisée par sa revisitation à des fins politiques, mais également pour asservir le peuple gabonais et de maintenir le pouvoir. Noël Bertrand Boundzanga[35] qualifie cette démocratie gabonaise de meurtrière  dans son ouvrage Le Gabon, une démocratie meurtrière[36]. Dans cet ouvrage, Noël Bertrand Boundzanga met en exergue l’analyse de la démocratie au Gabon, et donc ses avancées et ses malheurs. Pour lui, la démocratie telle qu’elle fonctionne au Gabon ne peut prétendre à aucun développement. En effet, l’État de droit au Gabon n’est pas respecté. Dans ces conditions, la vie politique devient l’apanage du système du pouvoir en place, en réduisant au silence les acteurs politiques et les acteurs de la société civile qui se veulent critiques, démocratiques. Pour ainsi dire, pour étouffer tout mouvement de contestation, le pouvoir politique en exercice utilise les intimidations. Christ Olivier Mpaga[37] ne peut rester indifférent face à cette politique caricaturale de la démocratie au Gabon en signant la lodiciquarte, c’est-à-dire la quatrième de couverture[38] dudit ouvrage, Le Gabon, une démocratie meurtrière. Pour lui, en substance, l’état actuel du Gabon ne peut favoriser la transition démocratique. Parce qu’il faut repenser la société gabonaise dans toute sa dimension de l’organisation politique. En commençant par la « légitimité et le statut du chef de l’État, des acteurs politiques, le rôle des intellectuels et les auxiliaires du pouvoir que sont la police, l’armée, les partis politiques, les syndicats et la société civile »[39].

 Il s’agit donc ici de repenser la vie politique au Gabon à travers la restructuration et la recomposition de son corps politique de façon organique. C’est une sorte d’iconoclasme révolutionnaire du contrat social de la politique gabonaise. Ainsi, l’ouvrage Le Gabon, une démocratie meurtrière se veut donc, à notre humble avis, une critique profonde de la mauvaise gouvernance au Gabon. Pour ainsi dire, Noël Bertrand Boundzanga, par Le Gabon, une démocratie meurtrière, se fait le chantre de la démocratie et le défenseur des valeurs humanistes. Par une opération intellectuelle chirurgicale, il peint une critique et un iconoclasme révolutionnaire totalisant de l’acte de « la gouvernementalité gabonaise » dans sa substance. Ainsi, il convient d’affirmer que l’opacité démocratique au Gabon se comprend, au-delà de tout raisonnement analogue ou analogique, par le despotisme et le népotisme exacerbés. Cette crucifixion de la démocratie présume, d’une certaine manière ou par extension, une disposition de l’État-policier[40] dans la mesure où l’aliénation des libertés fondamentales et l’impossibilité d’effectiviser les recours contre le pouvoir se font sentir dans la société gabonaise. René Dumont note avec pertinence que « Sans la démocratie, qui est la charpente, les droits de l’homme ne sont pas qu’une coquille vide »[41]. Alors que le Gabon a besoin d’un État-protecteur garantissant le bien-être et les droits de ses citoyens. 

Peuple passif ?

Peut-on dire que le peuple gabonais n’est pas à la hauteur des circonstances historiques ?         Nous présumons ici qu’au Gabon, la politique se fait manifestement sous forme de dysfonctionnements en mélangeant les institutions démocratiques et les pratiques autoritaires[42], estime Khalid Tinasti. Dans cette perspective, nous sommes dans un État soi-disant démocratique où  les dirigeants ont naturalisé l’acte politique par la politique des dons, du ventre et du culte de la personnalité, au lien de poser les fondements d’une politique démocratique de construction de l’État de droit recouvrant le bien-être et l’idéal de la population gabonaise. Mais malheureusement, les citoyens gabonais qui sont censés revendiquer cela sont dans un sommeil dogmatique. Bien évidemment, pour dire qu’ils ont succombé dans la servitude volontaire, pour reprendre l’expression d’Étienne La Boétie[43]. Dans ce texte d’Étienne La Boétie, considéré effectivement comme un réquisitoire contre le pouvoir absolu, il dénonce en substance l’acceptation du peuple d’être aliéné volontairement face au pouvoir politique. Pour lui, si le peuple est assujetti, c’est parce qu’il admet d’être dominé. De ce fait, la servitude du peuple, dit-il, est une servitude consentie parce qu’il demeure volontairement à l’état de minorité[44].

 En un mot, le peuple se donne volontairement à être manipulé, dressé et aliéné à la soumission et à la domination du pouvoir politique. Bien sûr, il est fort probable d’affirmer que c’est l’unique occasion et préoccupation possibles que les représentants souhaiteraient en avoir. En effet, pour Louis Auguste Blanqui, après plus de trente ans de démocratie jalonnée « de népotisme, de despotisme, de servitude et d’abrutissement systématique, la souveraineté du peuple » ne peut qu’être le produit ou l’éclosion d’un scrutin garni relativement et naturellement par « la graine semée dans les cerveaux »[45] par les prétendus gouvernants. A cet égard, pour revenir au peuple gabonais, nous comprenons donc que sa passivité face aux enjeux politiques, économiques et sociaux actuels qui prévalent dans le pays traduit implicitement son mutisme face à sa tâche de s’affirmer dans le jeu démocratique. Il apparaît bien, dans cette perspective, affirme Pierre Rosanvallon : « Le peuple dans son ensemble n’est pas encore, à ses yeux, à la hauteur de sa tâche historique »[46]. Autrement dit, il n’y a pas de bon peuple sur lequel l’énergie du droit de vigilance pourrait effectivement prendre appui. A l’évidence, le peuple gabonais, comme la masse des électeurs manipulés, ne limite ses droits que dans l’accrochage  à la duperie ou à l’illusion électorale. Pour le dire autrement, « Le suffrage universel est son esclave »[47]. En réalité, comme le pense Pierre Rosanvallon, si :

Le peuple est la source de tout pouvoir démocratique. Mais l’élection ne garantit pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général, ni qu’il y reste. C’est pourquoi un pouvoir n’est désormais considéré comme pleinement démocratique que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires de l’expression électorale majoritaire[48].

  Alors, il convient ici de comprendre la nécessité de l’orientation du renouveau politique africaine. C’est-à-dire, l’une des solutions pour pallier aux dysfonctionnements institutionnels du pouvoir représentatif en Afrique, c’est que le peuple africain doit être constamment vigilant dans l’action gouvernementale au-delà des échéances électorales. C’est donc la problématisation du citoyen-électif passif que l’Afrique ait toujours connu dans son organisation politique. En principe, nous comprenons ainsi qu’il est important et subtile de redéfinir ou de reconstruire le rôle incontestable dans l’organisation étatique que doit désormais incarner le peuple africain, en général et le peuple gabonais, en particulier. Justement, c’est celui du citoyen-vigilant et juge dans la gestion de la politique africaine moderne et contemporaine. En effet, le peuple africain, voire le peuple gabonais, doit sortir du mirage du suffrage universel que Louis Auguste Blanqui qualifie de « bévue démocratique[49] »[50]. Dans l’exacte mesure où, pense-t-il, le suffrage universel installé au centre de la démocratie représentative est susceptible d’être un principe qui donne lieu à la manipulation et à la falsification électorale. Somme toute, loin pour nous d’ostraciser ou de nier catégoriquement le vote dans le processus de démocratisation en Afrique ou au Gabon, puisqu’on le sait, il en fait partie de l’un des principes substantiels du jeu démocratique, mais on aimerait plutôt se demander pourquoi le peuple gabonais est loin d’être manifeste et vigilant dans l’acte de la gouvernance étatique au-delà de ce vote.    

L’éternel problème de la modification constitutionnelle

 La disposition de la Constitution qui régit l’organisation politique au Gabon et dans d’autres pays africains ne favorise pas l’effectivité et le bon fonctionnement de la démocratie. C’est ce qui explique logiquement le rôle de la Constitution, souvent modifiée pour l’avantage des gouvernants, dans ces pays afin de favoriser le maintien au pouvoir des dirigeants  en exercice :

La réforme de la Constitution de 2010 qui a vidé la Loi Fondamentale de toute sa subsistance et qui a permis au Chef de l’Exécutif de s’arroger tous les pouvoirs, d’exercer une hyper prépondérance sur les autres institutions constitutionnelles au point qu’il détient seul la capacité de nomination des membres desdites institutions. Par ailleurs, cette réforme n’offre aucune possibilité d’alternance et de limitation du mandat présidentiel. Elle n’assure encore moins l’indépendance de la justice et le contrôle démocratique des forces de défense de sécurité. A cet effet, le Président de la République, sans passer par le Parlement peut désormais décréter, l’état de siège ou l’état d’urgence. Assurément, la Constitution actuelle du Gabon a été imposée au peuple en violation des principes et des objectifs de la Charte Africaine de la Démocratie, des élections et de la Gouvernance signée par le Gabon le 02, février 2010 et du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques ratifié par le Gabon en 1983[51].

C’est pourquoi, finalement, les textes relatifs à la Constitution en Afrique, ou du moins au Gabon, sont apocryphes. C’est-à-dire, ces textes constituant la Constitution souffrent d’authenticité et de véracité. Parce qu’ils sont souvent amendés pour les intérêts de ceux qui dirigent. A contrario, ces derniers devraient être canoniques, c’est-à-dire revêtir l’authenticité et la véracité basées sur l’intérêt général et la souveraineté des citoyens africains, en général et des citoyens gabonais, en particulier. C’est ce qui relève manifestement le critérium fondamental de toute Constitution qui se veut républicaine. Pour ainsi dire, la Constitution qui promeut l’intérêt général, la chose publique et donc la démocratie.

 Cela dit, à notre sens, il est fort probable que les dirigeants gabonais, voire africains, ne devraient pas confondre l’autorité politique et la responsabilité politique dans l’effectivité constitutionnelle. Car, l’autorité politique, à notre humble avis, est dotée de la personnalité juridique permettant de faire assoir l’État de droit au Gabon. Et, disons-le, non l’autorité autoritaire dont ils font montre. Quant à la responsabilité politique, nous disons qu’elle relève de la responsabilité morale. Celle-ci demande à nos dirigeants d’être vertueux afin de comprendre naturellement la substance de la responsabilité qui est la leur de respecter leurs engagements politiques, en répondant à l’intérêt général des gabonais. C’est la politique adéquate qui répond aux besoins des conditions de vie des gabonais et à la prise en compte de leur réalité quotidienne. Il est donc urgent que les autorités gabonaises mettent en place une stratégie d’expérimentation politique, économique, sociale et intellectuelle plausibles de la bonne gouvernementalité, et donc de valoriser la meilleure Constitution au Gabon.

La place de la contestation comme expression de la critique démocratique au Gabon

 Ici, il est question d’admettre la critique dans la démocratie à travers les mouvements de contestation vis-à-vis du pouvoir politique en exercice au Gabon. En effet, les gouvernants gabonais doivent s’accoutumer avec les réalités d’expression populaire et citoyenne de contestation lorsque le besoin de revendiquer le droit des citoyens se fait savoir. Pour ce faire, les dirigeants gabonais doivent promouvoir la critique et non nullement adopter la politique autoritaire afin de vouloir dissiper la contestation par la répression, comme c’est toujours le cas actuellement. C’est l’ouverture politique d’acceptation de l’altérité, du droit de résistance à la volonté de dire non aux inégalités, du droit à l’opposition à la gouvernance caricaturale et hypothétique. C’est dans l’objectif de promouvoir l’objectivité du droit, la société d’égalité, et donc la politique de lisibilité, de visibilité, de proximité, de réflexibilité et  d’impartialité comme action démocratique de la vie politique au Gabon.

  A cet égard, la responsabilité politique, comme l’État de droit, doit permettre d’aménager « la reconstitution progressive d’un véritable espace protestataire »[52] dans la vie politique démocratique gabonaise. C’est pourquoi, manifestement, la contestation populaire et citoyenne doit être au centre de l’organisation politique au Gabon. En réalité, la contestation de tout pouvoir en exercice est du ressort même de l’idéal démocratique. C’est l’héritage de la transition démocratique que l’Afrique aurait professé dans les années 1990. Car, les mouvements de contestations « en Afrique remonte aux années 1990, en pleine transition démocratique »[53], estime Ousmanou Nwatchock A Birema. C’est pourquoi, bien évidemment, il souligne que les mouvements de contestations en Afrique subsaharienne ces dernières années auraient réussi à bouleverser la donne politique dans certains pays africains. Lisons-le pour l’entendre dire :

Les émeutes de la faim13, les mouvements citoyens tels que « le balai citoyen » (Burkina Faso) et « Y’en a marre » (Sénégal) ou encore les « vendredis en noir » ou le mouvement « 11 millions de citoyens de Cabral Libii (Cameroun) sont quelques-unes des modalités d’expression populaire et citoyenne ces toutes dernières années en Afrique subsaharienne[54].

 En un mot, l’aménagement d’un véritable espace d’expression populaire et citoyenne constitue effectivement l’une des solutions parmi tant d’autres de repenser le processus démocratique au Gabon. C’est la dimension relativement réaliste  d’une démocratie pragmatique et totalisante qui fait défaut à la vie politique au Gabon aujourd’hui. Il s’agit ici de comprendre que l’espoir d’un futur meilleur du Gabon réside dans « la lassitude des pouvoirs en place et sur l’adhésion conséquente des masses à l’idéologie de contestation qu’ils entretenaient à l’échelle du continent »[55]. Dans ce cas, le corps politique gabonais se doit de prendre en compte tous les contours de la matérialisation de l’expression populaire et citoyenne, en restituant les lieux de contestations tels que les démarches  institutionnelles, l’affirmation de la rue et des réseaux sociaux comme une sorte de défiance démocratique à l’égard de l’aliénation du pouvoir qui se veut nécessairement autoritaire ou népotiste. Au final, selon Ousmanou Nwatchock A Birema :  

La rue et les réseaux sociaux (re)deviennent les lieux d’expression de la défiance des pouvoirs (les soulèvements Afrique du nord par exemple ont eu leur large succès du fait de la capitalisation des réseaux sociaux par les leaders d’opinion), les diasporas sont utilisées pour travailler positivement ou négativement l’image des pays à l’étranger, ou pour agir dans les circuits de conquête du pouvoir[56].

A ces propos, il convient de comprendre qu’il faut redonner vie à l’espace publique gabonais sous toutes ses formes afin que l’idéal de l’expression populaire et citoyenne soit au centre de la vie politique au Gabon. Ainsi, il faut noter au passage qu’il apparaît donc urgent que la nécessité se fait de souscrire la manifestation de cette expression populaire et citoyenne dans la Constitution de l’État gabonais. En principe, c’est dans l’objectif de promouvoir une politique ostentatoire dans l’objectif de mettre en évidence les qualités et les avantages d’une Constitution démocratique au Gabon.

La transparence dans la gestion politique gabonaise

 Au Gabon, les citoyens ressentent le sentiment d’impuissance face au manque de transparence dans la gouvernance de leurs dirigeants. En effet, la transparence dans la gestion politique gabonaise demande effectivement « la restauration d’une volonté politique salvatrice »[57], affirme Pierre Rosanvallon. C’est pourquoi, semble-t-il, on pense qu’il faut que la transparence politique au Gabon mette en évidence les valeurs démocratiques telles qu’une administration républicaine et non partisane, le contrôle de l’affaire publique par des institutions indépendantes, le contrôle de l’action de l’État, la lutte contre les abus du pouvoir, la transparence des procédures budgétaires et la séparation des pouvoirs de l’État. A partir de là, il y a la possibilité de faire face à « la montée en puissance d’une démocratie qui est devenue essentiellement négative »[58]. Dans ce cas de figure, l’objectif de la transparence est de promouvoir la bonne gouvernance. C’est l’acte restaurateur même de la confiance entre les gouvernants-gouvernés, selon la perspective rosanvallienne. En outre, il faut comprendre sans doute que la transparence est supposée permettre un parfait contrôle de l’organisation étatique. D’après Pierre Rosanvallon :

La perspective de la transparence se substitue dorénavant à un exercice de la responsabilité que l’on a désespéré de pouvoir organiser ; elle accompagne une sorte d’abandon des objectifs proprement politiques au profit de la valorisation de qualités physiques et morales[59].

A cet égard, la transparence permet manifestement de lutter contre une organisation politique gabonaise opaque, en affirmant la primauté à l’attention des citoyens gabonais désabusés. En réalité, la transparence implique impérativement l’effectivité de « l’idéal démocratique de production d’un monde commun »[60], note Pierre Rosanvallon. Pour ainsi dire, la transparence est une vertu salvatrice qui restitue la bonne gouvernance telle que pensée par une politique démocratique, et donc responsable et compétitive. C’est l’affirmation de l’intérêt général dans une sphère politique submergée par l’indécision et l’incertitude des gouvernants gabonais. Pour Pierre Rosanvallon, la transparence est sans conteste constitutive et participative d’une politique de volonté manifeste et d’intérêt général. Car, dit-il, « La transparence est devenue la vertu qui s’est substituée à la vérité ou à l’idée d’intérêt général dans un monde marqué par l’incertitude »[61]. Il s’agit de comprendre qu’avec la transparence, les dérives du pouvoir autoritaires sont supposées disparaître, laisser place à la manifestation optimale des principes démocratiques dans la société gabonaise.

  En raisonnant ainsi, l’État gabonais doit comprendre que la politique de transparence implique donc une gouvernance de visibilité, d’impartialité, de réflexibilité et de proximité. A cet égard, elle sous-entend le moteur d’une organisation démocratique de la vie politique que réclament les citoyens gabonais. C’est un idéal organisationnel de clarification et  de gestion de la bonne représentation politique valorisé par le contrat social. Il faut donc que les dirigeants gabonais promeuvent une transparence de l’action gouvernementale en redynamisant démocratiquement les institutions dans leur fonctionnement. En cas de non-application de la transparence dans la gestion étatique, qui serait la prédominance du dysfonctionnement politique, le développement des pouvoirs de surveillance, d’empêchement et de jugement doit prévaloir dans toutes les actions des membres du corps politique. Parce que, nous semble-t-il, les pouvoirs contre-démocratiques sont relativement l’effectivité de l’équilibre de la division des pouvoirs constituant un État.

 Nous sommes ici en présence d’une dynamique politique impliquant subtilement le contrôle de la chose publique de façon à rendre plausible le fonctionnement étatique devant la communauté politique. C’est de cette manière, démocratiquement et objectivement, que chaque membre du contrat social contribue à encadrer l’intérêt général. Ainsi, la gouvernance démocratique au Gabon doit prendre en compte la transparence dans son fonctionnement tant recommandé par ses sujets. A contrario, l’application des pouvoirs de surveillance, d’empêchement et de jugement s’impose inéluctablement et de facto. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’implication des principes démocratiques dans la gestion des affaires publiques permet de comprendre le degré de transparence et de volonté des gouvernants. Cela suppose donc la proximité et l’écoute des gouvernants gabonais face aux demandes de leurs citoyens. C’est pour dire que la citoyenneté au-delà du droit de vote, implique également le droit de professer les opinions, de délibérer et de proposer, affirme Rousseau[62]. Car, l’activité démocratique basée sur la souveraineté du peuple est corrélativement liée à l’écoute des attentes de la société dans laquelle la politique s’organise. Pour ce faire, l’élaboration de la Constitution gabonaise ne peut se comprendre ou s’effectiviser en marginalisant la souveraineté du peuple et ses aspirations. C’est pourquoi, notons-le, le Gabon doit renforcer la transparence dans l’appui de l’émergence de mouvements des citoyens, la construction d’opinions publiques nationales, l’autonomie de la justice et des médias, la lisibilité et la visibilité de la gestion des affaires publiques, l’affirmation d’un véritable espace d’interpellation démocratique et la légitimation d’une représentation démocratique, etc.      

Conclusion : Optimisme pour un renouveau politique au Gabon

  Préconiser un état des lieux de la démocratie au Gabon peut avérer une entreprise délicate, et donc susceptible d’avoir certaines désapprobations et approbations. Mais que cela ne tienne, semble-t-il, nous le faisons au nom de la science, en général et au nom de la vérité philosophique, en particulier. Si le sacerdoce de l’intellectuel est de dire la vérité, alors nous mourrons au nom de cette vérité en tant que philosophe. Cela dit, nous avons vu que la démocratie au Gabon a pris une direction décadente et problématique. Elle devient sujette aux maux qui minent l’organisation politique adéquate qui se veut transparente, et donc démocratique. Penser un renouveau de la politique gabonaise est l’une des possibilités pour sortir de la mauvaise gouvernance qui déstabilise tant l’effectivité et la survie de la démocratique dans ce pays.

  Somme toute, l’orientation de la politique au Gabon laisse à désirer la redéfinition de nouvelles bases de l’organisation gouvernementale. Cette nouvelle dynamique politique préconisée, à notre sens, permet de sortir de l’image d’un Gabon morcelé par un État démuni des institutions fortes qu’offre le pays aux yeux du monde. Partant de là, il est temps que le Gabon se prenne en charge, se pense elle-même et s’ouvre aux défis mondiaux avec une organisation politique conséquente, dynamique et permanente. A notre humble avis, il faut sortir du sentiment de la logique fataliste selon lequel le Gabon ne se développera jamais tant que ce même régime politique dominant (Parti démocratique gabonais) reste au pouvoir. Parce que nous pensons que le Gabon n’est pas soumis aux réalités déplorables actuelles, mais plutôt à un avenir meilleur si il redéfinit sa direction politique en matière de gouvernance et sa gestion économique en matières de ressources premières dont il dispose.

           A cet effet, en partant de l’idéal selon lequel le Gabon est le pays de l’avenir, nous devons refuser avec la dernière énergie les propos de l’Ancien Président français Jacques Chirac, qui affirmait : la « démocratie n’est pas faite pour l’Afrique », en général et pour le Gabon, en particulier. Pour cela, il convient de penser que le Gabon a des atouts qu’il doit mettre en valeur, en promettant un espace politique de délibération adéquate pour l’effectivité d’une nouvelle organisation politique de responsabilité, d’égalité et de compétitivité que son peuple rêve tant. C’est l’organisation pleinement démocratique d’un Gabon futuriste dynamique et meilleur. Lisons Flavien Enongoué pour l’entendre dire : « Au Gabon, malgré l’échec du passé, marqué par une « démocratie ambiguë », et les incertitudes du présent, résultant de l’équation à mille inconnues du parti dominant, il faut peut-être garder espoir que demain se lèvera un jour nouveau »[63].  


[1] Lire à ce sujet, Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, 1992.

[2] Voir Extrait du discours de François Mitterrand à La Baule, 20 juin 1990. Il se prononçait sur la situation économique de l’Afrique, les possibilités d’aide des pays les plus riches et la position française en matière de coopération et d’aide financière.

[3] La Conférence Nationale au Gabon s’était tenue du1er mars au 19 avril 1990.

[4] Lire à ce sujet, Samuel Huntington, Le choc des civilisations, 1996. Quelques années plus tard, Huntington pour s’opposer à la thèse de Fukuyama, écrira que l’achèvement de la fin de la guerre froide n’est pas le triomphe de la démocratie. Mais plutôt, la fin du conflit en terme idéologique et le début de choc de cultures entre les différentes civilisations. 

[5] Lire à ce sujet, Ana Pouvreau, « Le siècle du populisme de Pierre Rosanvallon », Dygest, 2022.

[6] Ibid.

[7] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politiquent à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p. 9.

[8] Pierre Jacquemot, De l’élection à la démocratie en Afrique (1960-2020), Op. cit., p. 7.

[9] Nicolas Metegue N’nah, Roland Pourtier, « GABON », Encyclopaedia Universalis. Voir en ligne https://www.universalis.fr/encyclopedie/gabon/ . Consulté le 9 novembre 2022.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Lire à ce sujet, Jean-François Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Éditions Fayard, 1989.

[13] Voir Amnesty international, « Liberté d’expression, d’association et de réunion », Rapport sur le Gabon, 2017/ 2018.

[14] Voir Loïc Ntoutoume, « Gouvernance déficiente : Le Gabon veut inverser la tendance », Gabon Review, 8 septembre 2021. 

[15] Voir  CRCHUS, Université de Sherbrooke et Université Laval, Gabon : Profil de Pauvreté 2017, Août 2018. damien.echevin@usherbrooke.ca

[16] Ibid., p. 6.

[17] Ibid., p. 8.

[18] En politique, c’est une forme de gouvernement où le pouvoir n’est possédé que par un certain nombre de personnes constituant une classe privilégiée.

[19] C’est une forme de gouvernance soumise à une autorité arbitraire et absolue, qui opprime les libertés fondamentales des individus.

[20] C’est le fait que l’autorité mène une politique mettant en avant le favoritisme de son entourage, à savoir : Ses collaborateurs et les membres de sa famille. 

[21] Omar Bongo Ondimba fut le deuxième président du Gabon de 1967 à 2009.

[22] Ali Bongo Ondimba, fils du défunt président gabonais, Omar Bongo Ondimba, est élu à la tête de l’État gabonais, le 30 août 2009 jusqu’à nos jours.

[23] Lire à ce sujet, Richard Banégas, Démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Éditions Karthala, 2003.

[24] Lire à ce sujet, Lassaad Ben Ahmed, « Gabon : Les Bongo, 54 au pouvoir », Afrique, Agence Anadolu, 02/12/2021.  

[25] L’Afrobaromètre (en anglais afrobarometer) est une étude régulière réalisée par un réseau de recherche panafricain, indépendant et non-partisan, qui réalise des sondages de l’opinion publique sur des sujets économiques, politiques et sociaux à travers le continent africain. Il a été créé en 1999 par la fusion de trois projets de recherche menés par Michael Bratton, Robert Mattes et Emmanuel Gyimah-Boadi3. Il est, en 2019, dirigé par E. Gyimah-Boadi. Voir http://www.afrobarometer.org/node/39.

[26] Lire à ce sujet, Afrobarometer, le communiqué de presse. Libreville, Gabon 2 octobre 2020. Voir www.cergep.org, www.afrobarometer.org (Christian Wali Wali, Téléphone: +241 (0) 77061701 Email: cergepgeo@gmail.com).

[27] Lire à ce sujet, Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Paris, Éditions du Seuil, 2020.

[28] Voir Afrobarometer, le communiqué de presse. Libreville, Gabon 2 octobre 2020. 

[29] Voir post d’Alix-Ida Mussavu, Gabon Rewiew (L’information au quotidien sur la vie du Gabon), 14 octobre 2020.

[30] Voir Rosa Moussaoui, « Le Clan Bongo, un demi-siècle de règne et de pillage », L’Humanité, vendredi 2 Septembre 2016.

[31] Voir Griffin Ondo Nzuey, « Emploi : 73 millions de jeunes chômeurs en 2022 », Gabon Review, 18 août 2022.

[32] Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Op. cit., p. 23.

[33] Ibid., p. 43.

[34] Voir Lassaad Ben Ahmed, « Gabon : Les Bongo, 54 au pouvoir », Afrique, Op. cit.

[35] Noël Bertrand Boundzanga Membre de la société civile, Écrivain, Essayiste et Enseignant-Chercheur à l’Université Omar Bongo (Département de Littératures Africaines).

[36] Noël Bertrand Boundzanga, Le Gabon, une démocratie meurtrière, Paris, Éditions L’Harmattan, 2016.

[37] Christ Olivier Mpaga, Philosophe, Maître de conférences en Philosophie  et Enseignant-Chercheur à l’Université Omar Bongo (Département de Philosophie).

[38] La dernière page extérieure de l’ouvrage, plat verso.

[39] Christ Olivier Mpaga, Quatrième de couverture, Le Gabon, une démocratie meurtrière, Op. cit.

[40] État-policier pourrait se comprendre comme étant un régime politique dans lequel l’accent est mis sur le contrôle des individus, au détriment des libertés individuelles. C’est-à-dire, il est souvent difficile que les pouvoirs des autorités soit encadré par le droit. Comme pour dire, le gouvernement exerce son pouvoir de façon autoritaire et arbitraire, en utilisant les forces policières pour réprimander directement les individus ou par discrétion par la police secrète. 

[41] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 205.

[42] Lire à ce sujet, Khalid Tinasti , Le Gabon, entre démocratie et régime autoritaire, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014. « Ce livre revient longuement sur l’histoire politique et la construction institutionnelle de l’État gabonais, indispensables pour l’analyse des facteurs contribuant à la non-démocratisation du pays. Il est aussi question d’évaluer le néo-patrimonialisme du régime au travers du présidentialisme, du clientélisme et de l’appréciation de la participation et de la compétition politiques. Ce système prébendier est le résultat du comportement du Président en place, autant qu’il l’est des structures même de l’État. Aussi, un régime hybride s’est installé à la suite de la réintroduction du multipartisme, car la tenue d’élections, même compétitives, ne peut à elle seule justifier de toutes les conditions démocratiques. Cet ouvrage revient sur l’émergence du modèle de régime autoritaire compétitif au Gabon, en analysant les pressions internationales de démocratisation sur le Gabon, sa capacité de résistance à ces dernières, et surtout la capacité organisationnelle interne au pouvoir. Ce dernier facteur se caractérise par la force mobilisatrice du Parti démocratique gabonais, par la puissance coercitive de l’État, ainsi que par la cohésion ou non de l’opposition politique ». Voir Quatrième de couverture de l’ouvrage.

[43] Lire à ce sujet, Étienne de La Boétie,  Discours de la servitude volontaire (1835).

[44] Lire à ce titre, Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Éditions Flammarion, 2020. Les Lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigée par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d’un manque d’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs ; et qu’il soit si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs.

[45] Louis Auguste Blanqui, La Patrie en danger, Paris, Éditions Hachette Livre, 1871, p. 272.

[46] Pierre Rosanvallon, La Démocratie inachevée, Op. cit., p . 158.

[47] Ibid., p. 158.

[48] Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique, Op. cit., Quatrième de couverture, voire lodiciquarte (La dernière page extérieure de l’ouvrage, plat verso).

[49] Erreur commise par ignorance ou par inadvertance.

[50] Louis Auguste Blanqui, La Patrie en danger, Op. cit., p. 271.

[51] Voir Georges Mpaga, « Gabon : La démocratie gabonaise des années Ali Bongo », Bongo Doit Partir, 10 Novembre 2011.

[52] Ousmanou Nwatchock A Birema, « La démocratie en Afrique subsaharienne. Une question de volonté ? », CARPADD | Note d’analyses sociopolitiques N° 03, Mai 2018, p.  8.

[53] Ibid., p. 8

[54] Ibid.

[55] Ibid.

[56] Ibid., p. 9.

[57] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique de la défiance, Op. cit., p. 261.

[58] Ibid., p. 261.

[59] Ibid., p. 262.

[60] Ibid.

[61] Ibid.

[62] Lire à ce titre, Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., livre IV, chap. I.

[63] Flavien Enongoué, « Le pluralisme politique au Gabon : l’espoir d’un troisième âge », In Dominique Etoughé Mba et Benjamin Ngadi (dir.), Refonder l’État au Gabon. Contributions au débat, Paris, Éditions L’Harmattan, 2003, p. 99.

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The threats to the democratic institutions of Senegal: An autocracy in the making

 By Souleymane Gueye, Ph.D, professor of International Economics and Statistics, College of San Francisco

Seduced by authoritarianism, the current president of the Republic of Senegal has begun to erode the democratic norms to set the foundations for an autocratic regime. Is Senegal moving away from democratic principles rather than strengthening them? The recent events in Senegal suggest that democracy is in decline in this Sub-Saharan Africa country that used to be branded as an exception in Africa.

Stability of Political Institutions and Economic Environment

Today, there is a sense in the general population, particularly among the youth that they are ignored and forgotten by the government, particularly, in terms of the decision-making process aimed at improving the welfare of citizens and the well-being of the nation. Sixty years after independence, Senegal has managed to build a democratic nation with harmony and peaceful cohabitation amongst the different ethnic groups and religious denomination. Yet, we are witnessing an erosion of the pillars of the democratic institutions that made Senegal the envy of the other states in Sub Saharan Africa. A very serious issue, that is compounded by a failure of the government to deliver an inclusive economic growth with equity (equitable distribution of the income generated in the production process), jobs creation, construction of appropriate infrastructures, efficient investment in health, education, agriculture, and technological sectors.

Before 2012, Senegal had a stable political environment, in addition to an advantageous geographical position and abundant natural resources. Despite this favorable environment, many Senegalese people still face immense hardship. Many families still live in remote rural areas, subsisting on family-run plots of land. Additionally, 70% of the youth remain unemployed laboring in the informal sector daily to earn a meager income to feed their families. Numerous Senegalese families still lack access to running water, basic sanitation, electricity, health care and education.

However, this somewhat stable political environment barely conceals the grinding poverty that prevails in the entire country as jobs are almost nonexistent, access to health care very limited, and numerous children are stunted by poor diets or are living in abject poverty with their families, with an increased probability of experiencing hunger and starvation due to the various external shocks. Namely, the pandemic of 2019, the Ukraine war, and the rising energy cost that are being felt all over the world.

Numbers don’t lie. The Senegalese economy is in a very dire strait:

  1. Low level of national per capita income ($1540) and insufficient income growth to allow convergence in per capita income toward that achieved in the countries that were at the same level of Senegal sixty years ago (most of the East Asian countries and the So – called the “Asian Tigers”)
  2. Extensive material poverty accompanied by food insecurity and hunger (66.8% poverty rate); leading to a worsening of the life expectancy (Senegal’s position dropped from 140th to 141st; life expectancy for women 70.2 and for men 66.01)
  3. Inequality in the distribution of income and inequity in chances to succeed (growing inequality in Senegal).
  4. Vulnerability to shocks (internal and external as well) and risk of falling into poverty (66.8%) and poverty trap.
  5. Lack of satisfaction of basic needs in human development, especially health and education. Human Development Index (HDI) has barely improved. Senegal’s position changed from 165 to 168 and the HDI improved from 0.487 to 0.512.
  6. Unsatisfactory “ quality of life” in a number of dimensions such as individual freedom, human rights (The Human Right Commission just condemned heavily the Senegalese authority by highlighting the arbitrary arrests of opposition figures, use of excessive force by security forces, restrictive civic space, serious human rights abuse; approved of two flawed and overly broad counterterrorism laws with life imprisonment for those found guilty of flouting the laws, but with a partisan judiciary system; sexual and gender based violence unpunished ) capabilities, and happiness or life satisfaction[1].

The Process of Undermining the Political Institutions

Instead of looking at how to reverse the trend of the underdevelopment of the economy, the Senegalese government has embarked on repression and weakening of the key political and economic institutions. For example, the previously inclusive institutions, namely a broad-based representative system that has contributed to the election of four presidents with peaceful political transition since independence would be converting to an extractive political institution characterized by narrow representation through a manipulation of the electoral file, the strict control of the issuance of national identification card, the erection of barriers to register legitimate voters, control of the electoral process.

This is done through the elimination of the Ministry of Elections created by the previous regime to satisfy the opposition after a day of national protest in 2011 for political transparency and credibility in the electoral process. The new government gave back to the Ministry of Interior all its former prerogatives in the organization of elections, de facto removing these two characteristics of the electoral process, namely transparency and credibility.

Recent political events in Senegal demonstrate this changing political stability, events such as:

  • Preventing the main opposition coalition (Yewi Askan Wi) to legitimately participate in the election by a controversial decision (May/ June 2021) of a very partisan Constitutional Court which plays a very important role in the electoral process.
  • Preventing the National Assembly from operating with transparency by not respecting the separation of power between the executive branch and the legislative branch since the former disrespectfully decided to occupy the National Assembly with the security forces (September 2022).

Other subtle methods are also used to weaken the democratic norms and corrupt the Senegalese institutions:

  • Taking down virtuous civil servants and replacing them with cronies, proteges and family members (the President appointed his brother to CNDC (Caisse National de Dépôt et de Consignation) and his brother-in-law as a super minister with very important responsibilities).
  • Reassigning honest civil servants to less important roles by switching their portfolios as punishment (judge Souleymane Telico and many other judges and civil servants).
  • Asking trusted official to prepare evidence against political opponents that the regime wants to neutralize (case of Khalifa Sall ex-mayor of Dakar, a former political rival of the current president).
  • Building case that could tar the opponent’s reputation particularly if the target has a reputation for being honest and competent (Ousmane Sonko, the main opponent of the current president and the recent event of the Gendarmery National that has led to the arrest of a prominent investigative journalist). (NB: Sonko’s trial in Dakar court is still ongoing).
  • Authorizing investigation against people and uses it to blackmail politicians and civil servants so that they can demonstrate their loyalty (list of civil servants embezzling public funds and grabbing land illegally prepared by OFNAC (National Office Against Fraud and Corruption created in December 2012).

This approach known as “digging at the foot of a wall” according to Joseph Torigian[2], is prevalent in autocratic societies such as China, Russia, Turkey, Hungary, North Korea, that value pliant people in certain key positions (Attorney General, Interior Ministry, Secretary of Defense. Constitutional Court, Territorial Administration) for the sole purpose of executing the will of the autocrat.

The freedom of the press which is critical to a democratic society in which the government is accountable to the people is under assault in Senegal (An investigating journalist Pap Ale Niang who just revealed a plot within the security forces with the complicity of some members of the government, is under arrest).

This event is very worrisome as independent journalism and investigative journalism is under threat in Senegal. Most of the mainstream media has been neutered and muzzled by intimidation and conflict of interests created by the sprawling press groups and the irruption of scrupulous businessmen in this sector that control much of Senegalese media. Maintaining a free and accessible public square for debate is crucial to defending Senegal’s democracy. Unfortunately, the current government would intent on muzzling the free press.

All the above facts have culminated in the deterioration of the democratic institutions and the erosion of democratic norms in Senegal. In addition to corrupting the government institution as management strategy – this government would have compromised the judicial and territorial administrations by appointing people belonging to the inner circle of the current president.

The Beginning of a Repressive Regime in Senegal

Here are the examples of outright repressions and undermining of the Senegalese people constitutional rights:

Right now, we are witnessing a continued purge of political rivals through an increasingly sophisticated and treacherous campaign of anticorruption purge that sidelined opponents and suppressed potential challengers – real and perceived- to the government under the guise of fighting corruption and graft through CREI (Court of Repression of Illicit Enrichment).

Additionally, the power of the state and executive branch is being used for heavy handed repressive policies that are imperiling the Senegalese’society (manifestation and protests are prohibited or brutally repressed by the security forces).

The internet is perceived as threatening the authority of the current president; hence a mass electronic surveillance is being in all likely put in place to assert the power of the state which is risk averse. This systematic repression would be the most extreme manifestation of the obsession of the president of Senegal with eliminating political rivals -reduce the opposition to their bare bone- at the risk of criticism and domestic suffering in all parts of the society.

The desire to hold on to power due to fear of prosecution under a new regime has led the government to invest heavily in more coercive capacity: military, paramilitary and police forces (proposed budget for police, and the army, recent scandal of the purchase of military equipment for 45 billion CFA). The resulting outcome of this fear of losing the power is manifested in the following actions:

  • Jailing people (mostly youth) who are perceived to support the opposition.
  • Incentivizing competition amongst subordinates to make them prove their loyalty by carrying out the repressive policies designed by the executive branch.
  • Policing the web to the point of transforming the Senegalese society to a kind of a “police state” because of the efficient use of social networks by the youth to vent their frustration about petty corruption, denounce the government, an onerous bureaucracy that frustrate their aspirations, to discuss the everyday corruption that complicates life in Senegal.

These flagrant violations of the Senegalese constitution, coupled with the use of the security forces to prevent a portion of the Senegalese citizens to exercise their right to express

their displeasure – a right guaranteed by our constitution – , the erosion of the rule of law, the normalization of violence, the desire to undermine the stability of the country and create chaos while ignoring the growing inequality constitute the precursors of the making of an autocrat willing probably to violate the constitution through forcing a third term in the throat of the Senegalese people. These are some of the symptoms that Larry Diamond[3] called “democratic recession” and unfortunately, we are seeing them in Senegal.

Furthermore, these examples of repression and control are altering the democratic fabric of Senegal and are akin to the directives of an autocrat in the making for the final battle – a third term with a will power to blur the lines between economic policies and state benefactors that will perpetuate this systemic corruption. Senegal’s enduring corruption under Macky Sall has put it in 140 th on a list by Transparency International of 175 countries ranked by the level of corruption in public sectors. Studies[4] have shown that corruption kills because with the money lost, we could invest five times as much into public health and lift millions of Senegalese out of poverty. This problem is systemic in Senegal– kickbacks have become standard operating procedure in government – controlled enterprises (Post Office and Telecommunication, Dakar Dem Dikk, CMS, LONASE, IPRESS, SAPCO, SAR, Covid 19 Fund etc.), and the administration.

Therefore, the only conclusion one can arrive to is the current president would be preparing to run for a third term which is contrary to the constitution.

This would set the country in a self-destruction path, hence planting a seed for a destruction of what is Senegal. Example of this abounds throughout Sub Saharan Africa (Mali, Burkina Faso, Guinea, Tchad, Gambia, Niger, Soudan, etc.)

But this is not what was generally expected in 2012 when the Senegalese people elected a president of the Republic of Senegal. Back then, an ambitious plan for good governance, respect of the rule of law, food self- sufficiency, job creation for the youth and expanding the economy was laid out through the Senegal Emergent Plan[5] as well as a pledge to build a more secure and egalitarian nation based on the rule of law

Hopefully, the actual president and the government will envision a peaceful transition of power for the good of Senegal, and work toward a robust and independent security and judicial system.

By risking making the political system less resilient overtime and prioritization of politics over economic goals the president and his collaborators are clouding Senegal’s long term growth prospects – the only way to reduce poverty is through sound macroeconomic policies and good governance.

These economic objectives will be difficult to achieve because political instability, misallocation of scarce resources, impunity, and of the favoritism, nepotism, clientelism in awarding of “public contract” at the expense of the efficient Senegal’s private sector.

By practicing blatant favoritism for less efficient enterprises owned by those closed to the government or their political supporters, and putting efficient domestic private businesses at a disadvantage, the government is exacerbating the long term economic problems of Senegal, including slowing down the weak productivity of labor, job creation,  wage growth, and poverty alleviation.

Needless to remind the actual government that despite the perceived stability of Senegal’s government and political institutions, this democracy could die due to the extreme partisan polarization fostered by the government along almost ethnic lines and regional divide.

This is very scary and dangerous as direct effects of political instability and unaccountability can produce unpredictable investment related policies which influence the inflow of capital by impeding the level of attractiveness of Senegal, Economic growth, and poverty.

This is the reason why we should not allow the government to create an environment of political instability and violence by subverting the will of the people of Senegal.

Let work for peace, stability, and an inclusive economic growth in Senegal so that all the children of Senegal will be able to contribute to the development of the country for the welfare of our people.


[1] Human Right Report (2022)

[2] Prestige, Manipulation, And Coercion: Elite Power struggle in the Soviet Union and China by Joseph Torigian

[3] Facing up to the Democratic Recession by Larry Diamond

[4] Economic Effects of Corruption in Senegal by SJG Working Paper

[5] Senegal Emergent Plan (2014 – 2018) Public Treasury, Ministry of finance