Pour certains Africains, aujourd'hui, la France n'est plus un sujet de discussion, mais de condamnation. Coupable, forcément coupable. Le verdict du "Procès Mahé", prononcé le vendredi 7 décembre dernier, par la cour d'assises de Paris, en est une nouvelle illustration. Firmin Mahé, ivoirien, soupçonné d'être un "coupeur de route", a été dénoncé par des indics aux soldats français de la Force Licorne, blessé puis froidement abattu (étouffé par un sac poubelle, à l'arrière d'un véhicule militaire) en mai 2005. Vendredi dernier, le colonel Burgaud qui donna implicitement l'ordre d'exécuter Mahé ("roulez doucement"), l'adjudant chef Guy Raugel, qui étouffa Mahé et le brigadier-chef Johannes Schnier qui maintint le corps de Mahé pendant le meurtre ont été respectivement condamnés à cinq, quatre et un an de prison avec sursis. Les condamnations ne se sont pas fait attendre. Et là est le problème.
Laissons de côté les interrogations sur l'identité même de la victime, qui de toute évidence n'étaient qu'une manoeuvre dilatoire de la partie civile. Le verdict de la cour est pourtant clair : "rien ne permet de justifier qu`un homme blessé et ligoté soit étouffé avec un sac poubelle, même au nom de la nécessaire protection des populations civiles" (…) " les militaires en cause ont gravement porté atteinte aux valeurs fondamentales de la République française" (…) "Toutefois, la complexité de la situation en zone de confiance en mai 2005,(…) et enfin les scènes de crime particulièrement traumatisantes auxquelles ils ont été confrontés constituent des circonstances exceptionnelles qui, au regard de leur engagement sans faille pour leur mission, sont de nature à atténuer leur responsabilité". Le sursis ne signifie nullement l'innocence des accusés. Simplement la prise en compte de la particularité du contexte et la violence extrême de cette "zone tampon" dans laquelle les soldats français devaient assurer une sorte de pouvoir de police.
J'ai déjà sur ce site, à maintes reprises, condamné l'inaction de cette Force Licorne quand des villages entiers étaient attaqués à quelques encablures de ses bases, je me vois mal reprocher à ces soldats de tenter (stupidement, violemment, en dehors de toute légalité, certes, mais quand même) de "faire quelque chose". Et dans le déluge d'indignations qui a accueilli la condamnation (parce qu'ils ont bel et bien été condamnés) des militaires français, je crois détecter quelque chose de plus cynique et plus inquiétant que la simple exigence de justice et de vérité. A lire les commentaires sur Jeune Afrique, Abidjan.net et d'autres sites africains, je suis frappé par le degré d'identification de certains lecteurs avec Firmin Mahé. Le simple fait d'avoir été abattu par "la France" l'élève automatiquement au statut de martyr.
Que la justice française ait reconnu la réalité du crime, que le tribunal ait été horrifié par le caractère sordide de l'exécution, que personne durant ce procès n'ait vraiment douté de la culpabilité (présumée) de Firmin Mahé ni contesté l'ampleur et la brutalité des crimes dont il était soupçonné, que des soldats exténués, dans un contexte d'hyperviolence généralisée aient pu s'affranchir de certaines limites, rien de tout cela ne semble entrer des l'équation : Mahé est "un de nos frères" tués par les Français. Ce n'est plus seulement la clémence éventuelle de la justice française qui est problématique (et encore une fois, l'idée que le contexte du crime puisse être important, ne me semble pas si scandaleuse), c'est l'élimination de Mahé qui est lamentée. This will not do !
On en est arrivé à un point qui frise la paranoïa. L'idée que la France ou que des soldats français puissent ne pas être toujours et systématiquement animés des plus noirs desseins semble dorénavant exclue. S'en satisfasse qui veut. Pas moi. Si toutes les décisions des autorités françaises sur L'Afrique depuis quarante ans avaient été à ce point nourries du désir de protéger les victimes que l'assassinat de Mahé, nous n'en serions pas là.
Manque-t-on de vraies victimes et de héros à ce point?
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Je suis passée, j'ai lu et je me suis retenue dans un premier temps. Mais en fait non il fallait que je réagisse.
Je ne comprends pas comment tu en es arrivé à pondre cet article (provocation,naiveté,cynisme)?
Comment peut on exécuter un homme en dehors de tout cadre légal? Meme les plus grands criminels ont droit à être jugés. Il faut arreter de laisser passer de telles abhérrations parce que nous sommes des Africains, il faut arreter d'applaudir des 2 mains ce genre d'"exactions héroiques".
On devrait aussi selon toi trouver des circonstances atténuantes aux militaires français qui ont froidement abattu 54 Ivoiriens pendant les manifestations de 2004? Selon toi le contexte frileux de l'époque justifie t il de commettre impunément de tels massacres? Soyons sérieux!!
Je ne crois pas avoir, dans l'article, absous de quelque façon que ce soit les actes de ces militaires français. Et prétendre le contraire, ou sous-entendre que je les excuse, ou encore laisser penser que j'"applaudis" les massacres de novembre 2004 est effarant. Libre à vous d'établir une équivalence entre les victimes innocentes des manifestations de 2004 et un criminel (présumé, si on y tient) recherché autant par l'ONU que la CEDEAO ou la Force Licorne. Ce genre d'hyperbole ne sert à rien.
Le procès de Mahé aurait permis, entre autres, de savoir qui l'avait (éventuellement) armé, financé et protégé durant ses "randonnées"… Son assassinat nous prive de cette part de vérité. Cela étant, si les informations dont on dispose – et elles n'ont pas été sérieusement contestées par la partie civile, ni par l'avocat de la partie civile ni même par le procureur de la République, – sont vraies, les crimes dont on l'accusait étaient particulièrement graves et odieux.
On peut regretter et trouver particulièrement immonde cette exécution parajudiciaire, sans pour autant tomber dans l'hagiographie ou s'identifier à Firmin Mahé — ou le mettre sur le même pied d'égalité, encore une fois, que les manifestants de 2004 – ou en faire un posterboy des exactions françaises en Afrique, un autre martyr de l'armée française.
On peut trouver épouvantable l'exécution (légale) du couple Rosenberg en temps de paix, sans éprouver de la sympathie pour leur trahison, si devenir un suppôt de Mc-Carthy. on peut faire la différence entre "l'armée américaine" en général et les soldats-tortionnaires d'Abu Grahib. Entre les fous de la gachette de novembre 2004 et les soldats exténués, perdus qui ont assassiné celui que leur hiérarchie et l'ensemble des forces en présence dans la zone avaient identifié comme un meurtrier particulièrement sadique (et qui ont été condamnés pour ce crime), et entre Mahé et des manifestants désarmés. Ce que l'article dénonce justement c'est cette incapacité à discriminer ce qui imprescriptible et injustifiable (le massacre de manifestants, la Françafrique, etc.) du reste : le sordide et l'immoral.
Quitte à être cynique et mériter pleinement les injures que je reçois (et oui, l'allusion à novembre 2004, je la prends pour une injure et une calomnie) : tuer Firmin Mahé (mai 2005) n'est pas la chose la plus grave que les soldats français aient jamais faite en Afrique, et comparé à leurs agissements de quelques semaines plus tôt (novembre 2004), ça pourrait même passer pour du "progrès"…