Les prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous mettions expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendance en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les obstacles à leur mise en place après avoir fait un état des lieux.
La promotion de la concurrence passe par le vote d’une loi, qui instaure le droit de la concurrence ou d’un code de régulation sectorielle. Le droit de la concurrence s’applique à toutes les activités économiques une fois qu’un comportement anticoncurrentiel est suspecté. Par contre, le code de régulation sectorielle s’applique à un secteur particulier présentant des barrières à l’entrée. Typiquement, c’est le cas du secteur des télécommunications où l’entrée d’un opérateur nécessite soit l’accès à un réseau fixe où l’achat d’une licence donnant accès à une bande de fréquences hertziennes.
Dans les deux cas, la promotion de la concurrence se traduit par la mise en place d’une autorité administrative indépendante dotée des moyens financiers, législatifs et humains pour conduire les analyses et investigations nécessaires à la sauvegarde de la concurrence sur les marchés.[1] Ici, la notion d’indépendance de l’autorité vis-à-vis du gouvernement est centrale, dans la mesure où il peut y avoir des conflits d’intérêts entre les entreprises mises en cause et l’Etat. C’est souvent le cas dans la régulation sectorielle lorsque le régulateur est en charge d’un monopole d’Etat (la production de l’énergie par exemple). Du moins indépendant au plus indépendant, on distingue généralement trois cas selon que les investigations et analyses soient conduites par : i) une direction du ministère du commerce ; ii) une commission sous la tutelle d’un ministre (typiquement celui en charge du commerce) ou iii) une autorité indépendante dont les décisions sont validées exclusivement par les tribunaux.
Lorsqu’on fait un tour de l’Afrique, on n’y rencontre pas seulement ces trois cas ; mais aussi des pays qui ne disposent même pas d’un droit de la concurrence. La Côte-d’Ivoire, le Burkina-Faso et le Sénégal font partie des premiers pays Africains à avoir mis en place un droit de la concurrence ; même s’il n’est pas clair si ces lois ont été effectives depuis leur vote. Dans le même temps, le plus grand marché africain, en l’occurrence le Nigéria, n’en dispose pas encore même si les débats parlementaires sont en cours en vue de sa prochaine adoption. Beaucoup de pays africains sont encore à la traîne. Certains sont couverts par la règlementation des institutions régionales telle que la COMESA. C’est le cas de pays comme le Soudan, la Lybie ou Madagascar.
Les raisons qui expliquent cette grande hétérogénéité dépendent certainement de la situation de chaque pays. De façon générale, on peut évoquer la faible industrialisation avec comme corollaire la dominance et la persistance du secteur informel, de même que la présence de plusieurs monopoles d’Etat – en particulier dans les secteurs de l’énergie et des transports -, comme les premiers obstacles à la promotion de la concurrence en Afrique. Pour ces raisons, il y a peu de demande pour l’intervention de l’Etat à travers les autorités de la concurrence et de la régulation sectorielle. Cette faible demande s’explique aussi par la méconnaissance des consommateurs et des PME des inconvénients qui découlent des pratiques anticoncurrentielles ; comme le souligne si bien le Dr. Coulibaly dans son article sur l’effectivité de la concurrence dans l’UEMOA.
Cependant, la faible industrialisation ou la présence des monopoles ne suffissent pas pour expliquer l’Etat du droit de la concurrence en Afrique, surtout lorsqu’on considère le cas du Nigéria. En s’appuyant sur les théories d’économie politique de fourniture des services publics, on parvient à comprendre pourquoi certains pays ne mettent pas en place un droit de la concurrence en dépit d’une activité économique formelle en forte croissance.[2] La fourniture de services publics comme la régulation de la concurrence sur les marchés dépend du poids des intérêts contradictoires qui se présentent au politicien. Ce dernier devra choisir de satisfaire les intérêts d’un groupe particulier en fonction de son pouvoir de lobbying. Ainsi, lorsqu’on se retrouve dans un pays où les PME sont de tailles très petites, où les consommateurs ne comprennent pas le rôle d’une autorité de la concurrence dans la sauvegarde de leur pouvoir d’achat et de la qualité des biens et services, alors les secteurs monopolistiques qui n’ont pas intérêt à subir plus de concurrence vont militer en faveur d’un retard dans l’adoption du droit de la concurrence ou du code de la régulation sectorielle. Dans certains cas, c’est l’Etat qui s’inquiète des conséquences de la concurrence sur ses recettes fiscales à la suite d’une libéralisation ou de la mise en place d’un monopole privé régulé.
Enfin, il faut reconnaître aussi le caractère onéreux que revêt la mise en place d’une autorité de la concurrence ou de la régulation. Son fonctionnement effectif nécessite d’importants moyens financiers, ainsi que des ressources humaines fortement qualifiées. En général, ce sont des docteurs en droit et en économie qui sont recrutés dans ces agences et la charge le travail requiert d’avoir un grand nombre de personnels ayant ce profil. A titre d’exemple, l’autorité de la concurrence américaine (FTC) dispose d’environ 500 juristes de la concurrence et de 70 docteurs en économie. Comme le montre l’article de Tchapga (2013), les autorités de la concurrence africaines disposent de très peu de moyens financiers par rapport à leurs besoins.
L’une des critiques formulées à l’encontre du droit de la concurrence est que son application coûte chère sans des résultats concrets. Très souvent les investigations d’un cas d’abus de position dominante peuvent prendre plusieurs mois voire des années. Cependant, il arrive qu’on s’aperçoive après ces mois d’investigations que les suspicions initiales n’étaient pas fondées. Dans les cas où elles sont fondées, il arrive aussi très souvent que les décisions d’amendes soient invalidées par le tribunal ou cassées par la cour de cassation. Dès lors, le gain à mettre en place des autorités de la concurrence n’est pas toujours positif a priori ; mais c’est sans compter les conséquences d’une faible promotion de la concurrence.
Georges Vivien Houngbonon
[1] Voir par exemple les travaux de Esther Duflo qui suggèrent que les leaders politiques ont tendance à fournir des services publics biaisés en faveur des groupes auxquels ils doivent leur maintient au pouvoir.
[2] Dans le droit français, une autorité administrative indépendante (AAI) est une entité qui agit au nom de l’Etat sans être sous le contrôle du gouvernement. Cependant, le cadre législatif de l’AAI est définit par le parlement alors que ses décisions sont contrôlées par le pouvoir judiciaire.
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