Les prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendance en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les conséquences d’une faible concurrence.
Il ne suffit pas de voter une loi pour instaurer la concurrence ; mais il faut y allouer les ressources financières et humaines nécessaires aux investigations des pratiques anticoncurrentielles. Autrement, il en résulte une faible concurrence dont les conséquences directes se manifestent sur le pouvoir d’achat des consommateurs, sur la qualité des biens et services, sur l’innovation voire le fonctionnement des institutions démocratiques.
D’abord, commençons par examiner ce qu’on entend par « concurrence faible ». Le cas le plus trivial concerne le monopole qui fixe son prix de manière à extraire tout le surplus généré par la transaction. Dans les autres cas où plusieurs entreprises sont présentes sur un même marché, elles ont intérêts à s’entendre pour fixer le prix du monopole et à se partager les profits colossaux générés. Lorsque la coordination n’est pas possible, une ou plusieurs entreprises ayant suffisamment de pouvoir de marché (une part importante des clients, une liquidité financière abondante) peut s’engager dans des pratiques déloyales visant à exclure les autres pour instaurer plus tard des prix de monopole. Elles peuvent aussi envisager des fusions et acquisitions pour ne devenir qu’une seule entité potentiellement capable de fixer le prix du monopole. Ainsi, la concurrence est faible tant que la structure du marché tend vers une situation de monopole. Cette éventualité est permise par l’absence d’une veille active de la part des autorités publiques sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles.
Dans le cas des pays Africains, très peu d’informations existent sur l’ampleur de ces pratiques, dans la mesure où la plupart ne dispose pas d’un droit de la concurrence. Cependant, Evenett et al. (2006) ont compilé les cas de pratiques anticoncurrentielles révélés dans les médias en Afrique sub-saharienne de 1995 à 2004. On y a apprend que les secteurs de l’agro-alimentaire et de la brasserie entre autres sont les plus concernés par les pratiques anticoncurrentielles. Ces pratiques sont très courantes dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Cameroun par ordre d’importance. Comme l’on bien précisé les auteurs, ces chiffres sont à prendre en absolus car, il est possible que les cas de pratiques anticoncurrentielles soient plus détectés et médiatisés dans des pays où la pratique du droit de la concurrence est plus effective. Ainsi, des pays comme le Nigéria qui n’apparaissent pas en tête de peloton peuvent bien receler des pratiques anticoncurrentielles plus importantes que les autres.
L’une des conséquences immédiates de ces pratiques consiste à limiter le pouvoir d’achat des consommateurs : pour le même revenu, vous payez plus cher. Il s’en suit donc que l’effectivité du droit de la concurrence n’est pas un luxe pour des pays pauvres. Au contraire, elle est instrumentale dans la réduction de la pauvreté via le pouvoir d’achat supplémentaire qu’elle donne aux plus pauvres. On peut cependant objecter qu’il est possible de contrôler le prix des biens de premières nécessités comme cela se fait pour le riz, l’huile et le sucre au Sénégal. Même si cet argument est recevable, il omet la distorsion que cette régulation du prix induit sur les coûts de production. En général, elle n’incite pas les producteurs à baisser les coûts de production, ce qui conduit à une situation d’inefficacité économique car on aurait pu produire les mêmes biens à des coûts plus faibles et les revendre à des prix plus bas que ceux qui ont été fixés par l’Etat.[1]
Cette situation introduit une autre conséquence de la faiblesse de la concurrence qui est l’absence d’innovation. Ce sont les innovations dans l’organisation de la production et dans les intrants qui permettent de réduire les coûts de production et à terme les prix. Lorsqu’elles ne sont pas encouragées faute d’un niveau de concurrence « suffisante », la qualité des produits en pâtit ; avec pour corollaire la dégradation de l’état de santé des populations. C’est souvent le cas des filières de la viande dont la production (et non la distribution) est contrôlée en aval par si peu de producteurs.
Une autre conséquence moins soulevée dans la littérature et qui pourtant semble être aussi grave que les deux premiers est le risque de collusion entre les monopoles et les partis politiques. Que vaudrait une démocratie dont les institutions sont contrôlées par des patrons à la tête de monopoles ? Aujourd’hui, nous savons que la vague de libéralisation des sociétés d’Etat a été à l’origine d’un transfert du patrimoine des anciennes sociétés d’Etat vers des particuliers. A l’exception du secteur des télécommunications, ce transfert se traduit finalement en un monopole privé. Les exemples sont légions : les ex-sociétés nationales de production agricole, de l’eau et de l’énergie, les sociétés de produits pétroliers, voire même les banques continuent d’être gérées par des monopoles privées sans une régulation effective. Dès lors, la promotion de la concurrence est également un moyen de garantir le bon fonctionnement des institutions démocratiques telles que le parlement et la justice et de s’assurer que la démocratie soit un bien pour tous.
Il s’en suit alors que la promotion de la concurrence est au cœur du développement de toutes les nations ayant opté pour le libéralisme économique. L’excuse financière n’est plus valable, il est grand temps de mettre en place ou de renforcer l’application du droit de la concurrence en Afrique !
Georges Vivien Houngbonon
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Le poids de l'informel est tellement grand dans l'économie des Etats africains que toute législation qui n'en tiendrait pas compte ne serait que de la production législative inutile et stérile.Je suis d'avis que nous devons promouvoir de véritables politiques de concurrence, mais il faudrait qu'elles servent d'abord l'intérêt des Etats africains. C'est une bonne chose que l'UEMOA réglemente le droit de la concurrence sur une partie du marché ouest africain.Mais son inadéquation à notre rééalité économique fait que la législation communautaire est pratiquement inapplicable.Pour preuve la jurisprudence en matière de concurrence est encore très faible.
Beaucoup de nos pays ont adhéré à l'OMC qui est une organisation qui prône le libre échangisme universel.Si nos politiques de concurrence ne servent pas à nous protéger de la rigueur de la concurrence mondiale (une concurrence qui se fait avec des règles qui ne nous sont pas toujours favorables), nous continuerons d'être le sous produit automatique du marché mondial et non pas un acteur respecté dans les relations commerciales internationales.Je suis donc pour des politiques concurrentielles protectionnistes tenant en compte nos seuls intérêts,d'abord, et ceux des autres ensuite.Bel article, merci.