Les prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous mettions en exergue comment la mise en place des autorités de la concurrence peut favoriser l’intégration régionale. Pour être plus spécifique, cet article introduit une série d’articles sur la concurrence en Afrique.
De façon générale, la promotion de la concurrence vise à garantir que le bénéfice net des échanges économiques soit maximal pour la société. Cette garantie se manifeste à travers le vote d’une loi qui institue le droit de la concurrence. Cette série d’articles vise à examiner, non pas la dimension juridique de la concurrence, mais plutôt les enjeux économiques dont elle revêt. Nous commençons donc par nous interroger sur les raisons et les conditions dans lesquelles le bénéfice des échanges économiques peut être restreint.
Les transactions économiques existent sur le marché parce que les producteurs peuvent apporter les biens et services à un coût moins cher que ce que le consommateur est prêt à payer (disposition à payer). En payant moins que sa disposition à payer, le consommateur gagne donc toujours lorsqu’il achète un produit. Mais ce gain peut être plus ou moins faible en fonction de la concurrence. Il est à son maximum lorsque le prix est fixé au coût unitaire de production. Selon la théorie économique, l’intérêt d’avoir un prix de transaction très proche du coût unitaire de production vient du fait que la différence profite, en général, plus à l’économie lorsque c’est vous qui la détenez plutôt que le producteur.
Cette différence est plus importante dans le cas d’un monopole ; c’est-à-dire lorsqu’il n’y a qu’une seule entreprise qui vend le bien que vous désirez, et qu’il n’existe pas d’autres substituts. Imaginons par exemple qu’une seule entreprise détenait la propriété d’une source d’eau naturelle dont les vertus sont reconnues par tous.[1] Pour obtenir un profit maximal, il fixera le prix du litre d’eau égal à votre disposition à payer.[2] Par contre, si la source d’eau était multiple, chaque producteur fixerait son prix au coût de production. Autrement, celui qui fixe un prix au dessus du coût de production se fera évincer du marché car tous les consommateurs préfèrent acheter là où le prix est le plus bas : c’est l’effet de la concurrence. La différence de prix entre ses deux états du marché est à l’avantage du monopoleur dans le premier cas (rente). Par contre, elle profite au consommateur dans le second cas (surplus).
Tout le débat normatif sur l’importance de la concurrence dans une économie libérale repose sur le fait qu’on veuille savoir si le surplus allant au consommateur engendre plus de transactions économiques, et donc plus de croissance économique, que la rente du producteur ; ou inversement. Pour le moment, l’acceptation générale est que le surplus du consommateur a une valeur économique supérieure à la rente. Cela vient du fait que le surplus confère un pouvoir d’achat plus élevé au consommateur ; ce qui engendre plus d’échanges dans l’économie. Au contraire, la rente conduirait à reproduire de la rente et donc limiter l’ampleur des transactions économiques. Par conséquent, un consensus général s’est dégagé en faveur de la concurrence : Plus de concurrence engendre plus de surplus pour le consommateur, ce qui à son tour augmente les transactions économiques et entretien le surplus du consommateur. Il s’agit donc d’un cercle vertueux que produit la concurrence ; l’idéal étant d’avoir sur le marché des prix alignés sur les coûts de production.
Pour autant, le marché laissé à lui-même ne produit pas cet idéal. Par analogie au trafic routier, lorsqu’il n’y a pas de régulation (feux de circulation, agents de police) il y a beaucoup plus d’accidents ; malgré que chaque conducteur (ici les entreprises) conduise dans son intérêt. Les intérêts personnels (e.g. rentrer tôt à la maison) ne conduisent pas toujours à l’intérêt général (ne pas avoir d’accidents) sans aucune supervision. De la même façon, sur le marché, chaque entreprise désire se placer dans la situation du monopole. Cela peut donc les conduire à adopter des pratiques anticoncurrentielles telles que la collusion (entente sur les prix), le cartel (entente sur les quantités), les abus de position dominante (exclusion de concurrents) et les fusions anticoncurrentielles (stratégie d’augmentation des prix).
Pour cette raison, l’Etat a besoin d’intervenir pour s’assurer que sur chaque marché, des pratiques anticoncurrentielles ne soient pas avérées. Dans les pays industrialisés, cette intervention se fait par le biais d’une autorité indépendante « autorité de la concurrence » pour éviter tous biais politique dans les investigations. Cette autorité est investie, selon les pays, d’un pouvoir d’investigation qui lui permet de conduire des analyses économiques rigoureuses permettant de déterminer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle. Dans le cas échéant, il revient à la justice de condamner en dernier lieu les entreprises impliquées dans ces faits. En général, ces interventions se font sur les soupçons de collusions, de cartels ou avant la fusion entre deux ou plusieurs entreprises.
Les cas d’abus de position dominante sont plus probables dans les industries qui présentent des barrières à l’entrée. Il peut s’agir de barrières économiques comme les coûts d’investissement très élevés nécessaires à l’entrée sur le marché de la production, du stockage et du transport de l’énergie électrique et de l’eau. Les secteurs du transport ferroviaire et aérien, de même que les télécommunications font aussi partie de cette catégorie. Il peut être aussi question de barrières réglementaires comme l’attribution de licences d’exploitation dans les secteurs des mines, des télécommunications mobiles, de la banque, de la pharmacie et des transports urbains.
Dans ces industries, il est préférable que l’intervention de l’Etat se fasse ex ante compte tenu des lourdes conséquences que font peser les abus de positions dominantes sur l’économie. Typiquement, le temps d’analyse et de recours à la justice ne permet pas à un concurrent victime d’abus de position dominante de survivre sur le marché. Ainsi, le droit de la concurrence qui régit l’intervention d’une autorité de la concurrence ne permet pas de résoudre les problèmes de pratiques anticoncurrentielles posés dans ces industries. Par conséquent, la mise en place d’un régulateur, là aussi indépendant, est nécessaire. Cela est déjà le cas dans le secteur des télécommunications dans la plupart des pays Africains.
Cependant, le constat aujourd’hui est qu’il y a très peu d’autorités de la concurrence dans les pays africains. L’adoption d’un droit de la concurrence est en cours de discussion dans certains pays, mais tarde à être effective.[3] De même, très peu de régulateurs existent dans les secteurs présentant des barrières à l’entrée. Dans un prochain article nous aborderons les obstacles à la promotion de la concurrence en Afrique. Un autre présentera les conséquences d’une faible concurrence et un dernier évoquera la possibilité d’une limite à la concurrence.
Georges Vivien HOUNGBONON
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