Dans une étude en libre accès sur le site de la fondation Jean Jaurès (Protections sociales en Afrique subsaharienne : le cas du Sénégal, juin 2010)[1], l’économiste Eveline Baumann analyse le système de protection sociale au Sénégal. Celui-ci se caractérise par une faible couverture de la population, puisque la protection sociale s’y est historiquement arrimée au salariat, alors que 90% des travailleurs exerceraient une activité informelle. Ces travailleurs du secteur informel sont pourtant les plus exposés aux risques sociaux et économiques. Autrement dit, les protections sociales actuelles ne remplissent pas leur rôle de redistribution des richesses créées et, au contraire, renforce la stratification sociale en protégeant les privilégiés du marché du travail. Il serait d’urgence nécessaire de mettre en place une formule permettant de découpler salariat et protections sociales et de trouver d’autres sources de financement pour remédier à la situation actuelle.
Une publication du Bureau International du Travail[2] démontre que l’effort financier nécessaire à l’extension des prestations sociales à des groupes plus larges est théoriquement compatible avec les ressources nationales disponibles dans plusieurs pays sous-développés, notamment africains. Pour continuer sur l’exemple du Sénégal, le scénario retenu dans l’étude indique qu’il serait possible de faire évoluer ces prestations, entre 2005 et 2034, de 5% à 10% du PIB de manière soutenable. Les études du BIT montrent aussi qu’un investissement de près de 4% du PIB sur les prestations de vieillesse, invalidité et familiales pourrait réduire les taux de pauvreté d’environ 40 % dans des pays comme la Tanzanie ou le Sénégal.
Ces travaux académiques sont à mettre en lumière au regard des politiques publiques innovantes en matière de protections sociales menées depuis plusieurs années par des pays en voie de développement. Les exemples empiriques du Mexique, du Brésil et de l’Afrique du Sud ont démontré que la protection sociale n’est pas un luxe réservé aux pays développés, mais bien au contraire un investissement dans le capital humain de sa population indispensable pour toute stratégie de développement. L’effort de réduction de la pauvreté et des inégalités, en plus de renforcer la cohésion sociale, augmente l’employabilité de la population en âge de travailler et donc participe à la croissance.
Un autre document du BIT[3] recense les politiques publiques innovantes en la matière. On y apprend que le programme brésilien Bolsa Familia est le système de transferts sociaux le plus grand au monde, avec une couverture actuelle de 46 millions de personnes à un coût d’environ 0,4% du PIB. L’Afrique du Sud s’est également illustrée dans le domaine, en étendant la couverture de son système de prestations familiales à plus de 4 millions de bénéficiaires au cours des dix dernières années. L’exemple du programme Bolsa Familia gagnerait à être adapté et appliqué au plus vite aux pays africains bénéficiant d’une rente économique comme l’Angola ou la Guinée Equatoriale. Le Brésil de Lula a prouvé qu’il était possible, à travers l’outil de la protection sociale, de réduire de manière drastique et à relativement faible coût l’extrême pauvreté dans un pays. Les conditions objectives de la réalisation d’une telle politique sont réunies dans ces pays pétroliers à faible population.
Emmanuel Leroueil
[1] : http://www.jean-jaures.org/Publications/Les-notes/Protections-sociales-en-Afrique-subsaharienne
[2] : PAL Karuna, BEHRENDT Christina, LEGER Florian, CICHONMichael, HAGEMEJER Krzysztof, Can Low Income Countries Afford Basic Social Protection? First Results of a Modelling Exercise, Geneva, ILO, 2005 (http://www.ilo.org/public/english/protection/secsoc/downloads/1023sp1.pdf )
[3] : www.ilo.org/gimi/gess/RessFileDownload.do?ressourceId=19181
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