Analyse Politique
Pays membres de l'UEMOA.
Le 10 janvier 1994 à Dakar, les Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays de l’Afrique de l’Ouest ayant en commun l’usage du franc CFA (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo, auxquels viendra s’ajouter la Guinée-Bissau à partir de 1997) signaient un traité de portée historique : l’instauration de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), prolongement de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA). Le lendemain, le franc CFA était dévalué, prenant totalement de court des consommateurs qui virent les prix passer du simple au double du jour au lendemain. Un choc terrible, politiquement mal géré (bien qu’économiquement nécessaire) et dont la mémoire populaire a gardé des traces vivaces. Entachée de ce « pêché originel », l’UEMOA n’aurait pu commencer sous de plus mauvais auspices. Sur ce point, nul doute que la concomitance des deux événements aura joué en défaveur de la jeune institution ouest-africaine. Le caractère malencontreux du timing initial ne saurait cependant faire oublier la pertinence évidente de la création de l’UEMOA. Bien plus encore que le bien-fondé du projet, son caractère de nécessité.
Une union indispensable
Ce besoin d’union économique et monétaire à l’échelle ouest-africaine repose sur un constat simple : jusqu’en 1994, il n’existe qu’une union monétaire (UMOA) regroupant les pays de la zone ayant pour devise le franc CFA, dont la gestion est pilotée par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Mais la dimension uniquement monétaire de l’union limite de facto les ambitions et le champ de compétence de l’UMOA. Surtout, elle néglige l’importance cruciale d’une intégration économique élargie et effective au sein de la zone. Un préalable indispensable à une dynamique durable de croissance et à une convergence économique structurelle des pays membres de l’Union à long terme. A la différence par exemple de l’Union européenne qui a opté pour une approche gradualiste visant dans un premier temps à assurer une intégration économique avancée avant de mettre en place une union monétaire (avec l’euro), l’instauration d’une union monétaire ouest-africaine a d’abord acté un fait historique (l’existence d’une monnaie commune, le franc CFA pour les anciennes colonies françaises) avant de consolider ce socle commun par une approche globale d’intégration économique : l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Le traité instituant l’UEMOA en 1994 complète ainsi celui de l’UMOA (qui date de 1962) et fait de la BCEAO et de la BOAD (Banque ouest-africaine de développement) des institutions spécialisées autonomes.
Avec près de deux décennies de recul et une approche nuancée des évolutions économiques qui ont depuis pris place, l’heure du bilan est désormais venue. Confronter de façon objective et balancée les réalisations de l’UEMOA à l’aune des intentions initiales affichées : un exercice que se propose ce présent article. Tant pour mesurer le chemin accompli que pour percevoir les insuffisances et blocages rencontrés.
Un bilan en demi-teinte
Evoquant son mandat de près de 8 ans à la tête de la Commission de l’UEMOA au cours d’une conférence de presse tenue à Bamako en juin 2011, Soumaïla Cissé (remplacé depuis par le sénégalais Cheikh Adjibou Soumaré. Voir ici son interview-bilan) remarquait en guise de préambule que « l’UEMOA revenait de loin », faisant directement allusion au contexte économique tendu consécutif à la dévaluation du franc CFA au moment de la création de l’union en 1994. Il fallait trouver dans cette situation délicate les mécanismes les plus appropriés (système de compensations financières notamment pour les pays touchés par cette dévaluation) pour faire face à la nouvelle donne. Passé ce premier cap difficile, restait à mettre en place les différents nouveaux organes de l’UEMOA : la Cour de Justice, la Cour des Comptes, le Comite interparlementaire (amené à devenir le parlement de l’Union), la Chambre consulaire régionale (lieu privilégié de dialogue entre l’UEMOA et les operateurs économiques privés). Enfin, jeter les bases d’une intégration économique effective. Dix huit ans plus tard, l’UEMOA peut à bon droit se targuer d’un certain nombre de réalisations. Même si il reste encore nombre de chantiers en suspens.
Siége de l’UEMOA à Ouagadougou (Burkina-Faso)
Les principaux organes (Commission, Cour de justice, Cour des Comptes, Comité interparlementaire, Chambre consulaire) et institutions autonomes (BCEAO et BOAD) de l’UEMOA fonctionnent de façon satisfaisante et la plupart des observateurs s’accorde à reconnaitre la relative efficacité des politiques et mesures mises en œuvre. L’UEMOA dispose en outre d’un budget de fonctionnement convenable, gage d’une certaine marge de manœuvre. Ses ressources pour 2011 s’élevaient ainsi à 140 milliards de francs CFA (environ 280 millions de $), moyens budgétaires équivalents à ceux de l’Union africaine (UA) et à comparer avec les 67 milliards de francs CFA (environ 130 millions de $) de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). L’UEMOA a cependant les défauts de sa jeunesse : son potentiel d’actions n’est pas encore pleinement exploité et sa communication institutionnelle est perfectible. La Cour de Justice traite ainsi peu d’affaires (malgré les avantages évidents d’avoir un juge en dernier ressort capable d’arbitrer les conflits à l’échelle de toute la zone UEMOA) et les travaux de la Cour des Comptes tout autant que du Comité interparlementaire restent relativement confidentiels.
La coordination des politiques sectorielles nationales a fortement progressé et est devenue une réalité dans nombre de projets à vocation régionale, qui se présentent sous la forme de programmes d’investissements portant sur les infrastructures, les télécoms, l’exploitation énergétique…Ainsi, sur la période 2006-2010, leprogramme économique de l’UEMOA a financé 63 projets d’intégration régionale pour un montant total de près de 3.000 milliards de francs CFA (environ 6 milliards de $). Et le prochain plan sur 2011-2015 promet d’être en hausse sensible, tant en raison de la reprise économique que du grand retour de la Côte d'Ivoire sur la scène économiques ouest-africaine après plus de dix ans de blocage interne. Nul ne contestera cependant que les besoins en la matière sont immenses et que les efforts communautaire de l’UEMOA, combinés aux programmes individuels de chaque pays, ne comblent pour l’heure que très partiellement les attentes des populations.
Entré en vigueur le 1er janvier 2000, le tarif extérieur commun (TEC) a pour sa part permis une meilleure protection de la production communautaire et un accroissement incontestable des échanges commerciaux au sein de la zone UEMOA, même si la part du commerce intra-communautaire reste faible (environ 15 %). De ce point de vue, il y a bel et bien eu un renforcement de la compétitivité des pays membres à l’intérieur de l’UEMOA, ces derniers étant partiellement protégés de la concurrence étrangère grâce au tarif extérieur commun. En revanche, sur les marchés internationaux, on ne peut encore parler d’une progression significative de la compétitivité ; les données empiriques ne validant pas en l’état actuel des choses une amélioration significative de celle-ci. Le TEC constitue en tous les cas les prémices inédites d’une politique commerciale extérieure commune qui permet à l’UEMOA de disposer d’une compétence quasi-exclusive dans la conclusion d’accords internationaux et de défendre ainsi au mieux les intérêts de l’ensemble de la zone.
Enfin, axe majeur de l’ambition de l’UMEOA, le marché commun basé sur la libre circulation des personnes, biens et capitaux est quant à lui un succès partiel. Certes, l’UEMOA a pris l’ensemble des dispositions permettant aux ressortissants d’un Etat membre de bénéficier sur le territoire de l’Union de la liberté de circulation, de résidence et de droit d’établissement. Le principe est globalement appliqué et la circulation est de facto plus fluide qu’avant la création de l’UEMOA. Mais dans la pratique, tracasseries administratives et barrières en tous genres sont encore fréquentes aux frontières. Tant pour les personnes que pour les marchandises. La situation est comparativement bien meilleure pour les flux de capitaux. La mise en place de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) à partir de 1996, a de plus permis de disposer d’un marche financier structuré (actions et obligations) au sein de la zone.
Une union qui reste à affermir
Près de 20 ans après sa création, l’UEMOA a incontestablement fait du chemin. La liberté de circulation des personnes, des biens et des capitaux, en dépit de quelques contrariétés, est dans l’ensemble effective. Les institutions communautaires fonctionnent convenablement. Les cadres juridiques, fiscaux, commerciaux et douaniers ont été harmonisés. Et la coopération communautaire, sur bien des aspects essentiels (commerce, programmes d’investissements sectoriels), est une réalité. Sans parler de ce qui semble depuis fort longtemps une évidence dans la zone UEMOA, mais qui reste pour beaucoup encore un rêve inaccessible sous d’autres latitudes : l’usage d’une monnaie commune. Comparée à d’autres expériences sous-régionales africaines (CEDEAO, UMA, CEMAC, SADC), l’UEMOA tire assurément son épingle du jeu. Dans le cas en l’espèce de l’Afrique de l’Ouest, et malgré sa relative jeunesse, l’UEMOA a ainsi mis en œuvre avec plus ou moins de succès sur le plan économique ce que la CEDEAO se propose de réaliser depuis près de 40 ans (entre autres missions). Un parallèle cruel pour la grande organisation intergouvernementale basée à Abuja (Nigeria). Aussi, de l’avis de la plupart des observateurs, l’UEMOA constitue l’une des intégrations régionales les plus avancées et prometteuses du continent (le cas de la communauté d’Afrique de l’Est est aussi instructif).
Tableau comparatif des organisations régionales africaines
Reste in fine la question essentielle : jusqu'à quel point la mise en place de l’UEMOA a-t-elle permis d’enclencher un cercle vertueux de croissance et d’intégration, objectif ultime de l’Union ? Sur la période allant de 1980 à 1994, les membres de l’UMOA (remplacée depuis par l’UEMOA) ont enregistré une croissance économique annuelle de 2.4 %. Les pays adhérents à l’UEMOA ont pour leur part vu celle-ci être portée à 4.3 % en moyenne annuelle sur la période 1994-2008 (lire aussi à ce sujet un précédent article sur la question). Un quasi-doublement, mais qui doit cependant être restitué dans un contexte plus large. Cette croissance tendanciellement supérieure peut aussi être constatée sur le reste du continent, en dehors de la zone UEMOA, et s’explique principalement par une modification des termes de l’échange en faveur de l’Afrique (hausse prolongée du cours des matières premières, principales ressources des pays africains, à partir du début des années 2000). En revanche, une plus grande stabilité macro-économique est vérifiée dans la durée au sein de l’Union. Des résultats qui laissent à penser que si l’Union économique et monétaire ouest-africaine n’accélère intrinsèquement pas sensiblement la croissance, elle constitue à tout le moins un filet stabilisateur qui lisse partiellement les aléas de la conjoncture.
En revanche, il existe toujours de profondes disparités économiques structurelles entre pays pour parler d’une réelle convergence au sein de la zone. Certains pays tels que la Côte d'Ivoire ou le Sénégal sont ainsi sensiblement plus favorisées que d’autres sans accès à la mer, à l’image du Burkina Faso ou du Niger. Une asymétrie qui perdurera probablement pendant encore longtemps.
Les vents conjoncturels actuels semblent pourtant s’annoncer favorables à l’UMEOA. Après le creux de la récession de 2008-2009, la croissance a repris de plus belle. Il est vrai que celle-ci est toujours portée par les mêmes bons fondamentaux (cours des matières premières bien orientés, accroissement de la consommation et des investissements, environnement macro-économique stable) que ceux précédant la crise. Une situation favorable qui pousse la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à tabler sur une croissance d’au moins 5.3 % cette année dans l’ensemble de la zone. Encore plus optimiste, une étude de la banque Ecobank va même jusqu'à pronostiquer une croissance moyenne annuelle de 7.8 % au cours des trois prochaines années pour la zone UMEOA.
Une quasi-euphorie qui malgré les incertitudes actuelles pesant sur le Mali et la Guinée-Bissau, s’expliquent avant tout par un facteur décisif : le retour au premier plan de la Côte d'Ivoire sur la scène ouest-africaine. Après plus d’une décennie de crise interne, la relance de la locomotive ivoirienne (plus de 30 % du PIB de la zone) promet d’entrainer dans son sillage l’ensemble du train de l’UEMOA. Une reprise forte et durable de l’éléphant ivoirien qui doit encore être confirmée, mais dont la réalisation permettrait de consolider encore un peu plus les réalisations déjà accomplies par l’UEMOA.
Jacques Leroueil
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Merci frère pour ce bel article.
Le besoin pour les Etats africains de se regrouper au sein d’espaces d’échange n’est plus à prouver. De multiples communautés économiques ont été créées à cet effet et notre chère UEMOA est de celles qui ont réussi à en imposer et permettre aux Etats membres de participer au commerce mondial sans heurts. Vous ne l’avez que trop bien dit, la conjoncture et la terrible dévaluation ont constitué un sérieux handicap au bon envol des activités de l’Union. Malgré cela, elle a tout de même réussi à présenter de satisfaisants résultants qui auraient pu être meilleurs si certains préalables avaient été réglés. Je pense notamment à la totale pacification de la région sans laquelle toute politique de libéralisation resterait lettre morte.
Ensuite, la priorité a été donnée à l’industrie au détriment du secteur rural et la production agricole se trouve hypothéquée par des réformes inappropriées de la propriété foncière. Et le poids de l’informel sur nos économies nous enjoint de juste changer de cap mais de maintenir le rythme. Il faudrait donc que l’Union incite, exhorte les Etats membres à s’investir au maximum dans leurs domaines de prédilection. Car comme l'a dit Roland RIBOUX «ce n’est qu’en se spécialisant dans ce qu’on fait de mieux et dans ce qui a le plus de répercussions qu’on atteint le développement. Dans l’UEMOA, c’est l'agro-industrie.
Merci Oumar pour cet utile complément à l'article. Je retiens notamment de votre commentaire deux remarques fortes :
1) La stabilité politique est une condition sine qua none au développement de la zone. Tant que celle-ci ne sera pas effective, et généralisée, la dynamique vertueuse d'intégration peut toujours être remise en cause. Ce point me semble en effet capital.
2) La nécessité de "corriger" le tir sur les priorités économiques à donner, notamment concernant les secteurs stratégiques à favoriser. Clairement, en l'état actuel des choses, en zone UEMOA (comme d'ailleurs dans la majeure partie du continent africain), c'est le secteur agricole qui fait vivre la majorité de la population active. Il est donc en effet urgent de repenser en profondeur le soutien à cette filière. Cadre juridique adéquat et règlement de la question foncière, protectionnisme "intelligent", montée en gamme et transformation de la production brute afin de capter plus de valeur ajoutée…. Beaucoup de pistes qui ont souvent été préconisées par les acteurs avertis du secteur.
De la faculté à répondre à ces défis dépend en grande partie le devenir de la zone. Un enjeu qui concerne tant les gouvernants que les populations !
bonjour a tous est ce que vous pouvez m'envoyer les avantages de la plus grande stabilité macro-économique au sein de l'UEMOA je veux faire une analyse sur ca. j'attend vos reponse sur ma boite électronique merci a tous ceux qui vont me lire et me repondre le plus vite possible.lucienbeele@yaahoo.fr ou lucienbeele@gmail.com
Ensemble on est plus fort ;Voila pourquoi les Etats Africains ont grand intéret à se serrer les coudes pour enfin amorcer leur developpement et rompre avec la politique de mains tendues . Nous le pouvons chers frères .Donnons -nous le mental de gagnant et portant à la tête de nos Etats des hommes capables de résister devant l'intimidation et la soif de s'éterniser au pouvoir . C'est à ce seul prix qu'un jour (qui est bien sûr proche ) que l'Afrique notre beau Continent réussira à conjuguer L'Emergence, le Développement et la Prospérité au présent .Merci
Bonjour Monsieur s’il vous plaît est-ce que vous pouvez m’aider avec la documentation sur l’UEMOA ? J’ai besoin du Règlement Intérieur du Parlement de l’UEMOA