Le FMI et la Banque Mondiale mettent en avant l’importance des classes moyennes dans la dynamique de croissance de l’Afrique. Comment peut-on définir la classe moyenne, dans un espace où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Quelles sont ses caractéristiques et quel rôle joue-t-elle effectivement dans l’environnement économique du continent ? Cet article tente de caractériser la classe moyenne.
Dès le début du 21ème siècle, l’Afrique a amorcé une dynamique caractérisée par un désendettement significatif[1], une réduction des déficits budgétaires, accompagnés d’une croissance moyenne de plus de 5% du PIB. Cette dynamique est considérée comme une porte de sortie de la pauvreté pour l’Afrique et une porte d’entrée vers le développement. Les principales institutions financières, pilotes de l’aide au développement, assurent que cette dynamique a engendré l’évolution de la société africaine, de sorte qu’elle puisse soutenir de façon pérenne les performances macroéconomiques du continent. Un précédent article présentait cette vision en décrivant le processus vertueux qui permettrait de maintenir les résultats actuels du continent. Il s’appuie notamment sur l’émergence de classes moyennes en lien avec l’évolution démographique, l’ouverture des marchés africains, les processus d’intégration en cours sur le continent, l’impact des médias[2], le rôle de la diaspora et la consolidation de nouveaux partenariats (l’Asie notamment). Il s’avère donc opportun de déterminer les caractéristiques de ces classes moyennes.
Avant toute chose, il faut préciser que le concept de classe moyenne est indécis et incertain dans les sciences sociales. Selon Chauvel, il n’est que l’un de ces concepts sans origine connue ni définition mais dont la popularité vient du fait que leur imprécision permet de dire tout et son contraire. La définition la plus connue et la plus commune repose sur deux critères : celui du revenu et de la profession. En Afrique, son utilisation est assez récente et il serait difficile d’en fournir une définition précise. L’un des travaux les plus élaborés sur le sujet est le rapport de la Banque Africaine de Développement. Elle identifie 3 catégories de classes moyennes :
– une catégorie dite flottante car regroupant les personnes à peine sortie de la précarité. Il s’agit de personnes dont le revenu journalier est compris entre 2 et 4 USD (en parité du pouvoir d’achat 2005). Ce ne sont là que des personnes qui se situent juste au dessus du seuil de pauvreté et qui pourraient donc replonger dans une situation de pauvreté à la survenue d’un évènement critique comme une perte d’emploi, une forte inflation, une augmentation non anticipée des cours internationaux de produits alimentaires importées ou encore une catastrophe naturelle. Cette classe constituait en 2010 près de 20% de la population (contre 10% en 1980) et représente plus de 50% de la classe moyenne dans sa globalité (selon les critères de la BAD) ;
– un groupe intermédiaire qui regroupe toutes les personnes qui ne courent plus le risque de retomber dans une situation de pauvreté et dont le revenu journalier est situé dans une fourchette de 4 à 10 USD (PPA 2005). Il s’agit de personnes pouvant prétendre à élargir leur panier de biens au delà des biens alimentaires de base ;
– puis le groupe supérieur (gracieusement nommé Africa First) auquel appartient toutes les personnes ayant un revenu journalier supérieur compris entre 10 USD et 20 USD (PPA 2005). Il s’agit principalement des investisseurs locaux ou des entrepreneurs, des hommes d’affaires qui prennent activement part au fonctionnement de l’économie et qui ont tout intérêt à la préservation d’un environnement stable aussi bien sur le plan politique, sécuritaire que sur les principaux indicateurs de performance économique. Ce groupe ne représente toute fois que 4% de la population totale en 2010.
Pour les individus dont le revenu journalier est au- delà de 20 USD (PPA 2005), la BAD les classe dans une classe des riches. Elle regroupe les quelques millions de nouveaux riches africains, à qui profite le développement du secteur minier et extractive, des télécommunications ou de l’agroalimentaire et dont quelques uns se retrouvent au classement Forbes des milliardaires : les diamantaires d’Afrique du sud, les barons du pétrole nigérians ou encore les « haut d’en haut » congolais, pour ne citer que ceux là.
Cette structuration manque toutefois de révéler la persistance des inégalités. D’après les données de la BAD (graphique ci-dessus) les trois catégories (intermédiaire, supérieure et possédante) qui ne représentent que 19% de la population se partagent près de 40% des revenus alors que la classe flottante et les pauvres qui comptent pour 81% de la population disposent de 60% des revenus. Selon the African Progress Panel (2012), 24 sur les 53 pays africains sont plus inégalitaires que la Chine : l’indice de Gini[3] au Mozambique, au Kenya ou en Zambie se situe dans une fourchette de 0,45 à 0,55. En Afrique du Sud, au Botswana ou au Lesotho, cet indicateur affiche des résultats supérieurs à 0,6.
A ces groupes, s’ajoute la diaspora. Selon les travaux de Boateng sur le Ghana, la diaspora peut être considéré comme appartenant à la classe moyenne. En effet, les membres de la diaspora qu’ils soient employés avec des revenus stables ou appartenant à la classe flottante dans leur pays d’accueil, occupent dans leur pays d’origine un statut assez proche de la classe moyenne dans la mesure où leurs modes de consommation et autres aspirations influencent significativement les populations sur place.
Les déterminants de cette dynamique sociale sont toutefois assez hétéroclites suivant les pays[4]. Si au Nigéria, elle a été portée par l’activité pétrolière ; au Ghana ou au Cap Vert la classe moyenne s’appuie sur les transferts des migrants. Au Cameroun ou au Niger, l’entrée dans la classe moyenne est définie par la capacité à entreprendre alors qu’au Gabon, elle est assurée par l’accession à un emploi. En Afrique du sud, elle a été propulsée par les mesures postapartheid du Black Economic Empowerment.
Il est évident qu’entre extrême richesse et pauvreté, il existe sur le continent un groupe intermédiaire qui tend à prendre forme de plus en plus, indiquant que les performances économiques créent des opportunités permettant de faire sortir durablement une partie de la population de la pauvreté. Cet impact reste cependant très faible ; quand l’on considère que seulement 14% de la population africaine, en 2010, pouvait être considéré comme non vulnérable à la pauvreté. Ainsi la place importante qu’occupe ladite classe moyenne dans les perspectives économiques du continent sont à relativiser. Elle ne serait pas suffisamment importante et représente moins du quart du revenu du continent, pour impacter significativement l’activité économique du continent. C’est cette hypothèse que le prochain article tentera de traiter. Il s’agira de vérifier si la classe moyenne africaine porterait les fruits socio-économiques (consommation, environnement politique, etc.) qu’on lui prêterait.
Foly Ananou
Sources :
BAD (2011). The Middle of the Pyramid : dynamics of the Middle Class in Africa.
[3] L’indice de Gini mesure les inégalités dans la distribution des revenus. Il varie entre 0 et 1 de sorte que le 0 indique une égalité dans la distribution alors que le 1 exprime l’inégalité parfaite.
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20 dollars par jours en 2014 ne signifie pas être riche. Des méthodes de calculs non actualisées ou inadaptées à l'évolution de nos réalités je ne sais pas
Il s'agit de 20 USD/jour au prix du dollar de 2005 .. une dizaine d'année après ca vaut beaucoup plus .. cette façon de procéder permet surtout la comparabilité entre pays. Il faut aussi tenir compte du fait que ces calculs s'attachent au coût de la vie en Afrique .. comme le montre les chiffres, très peu de gens peuvent se prévaloir de gagner près de 1000 USD/mois en moyenne en Afrique. La situation est surement très hétéroclite suivant les pays : 1000 USD par mois dans un pays comme le Sénégal n'a rien à avoir avec un tel revenu au Bénin ou au Togo.
Dans tous les cas, je suis d'accord cependant que ce seuil est relativement bas … mais ca vaut ce que ça vaut dans les conditions qui sont notre …