Si vous avez, un jour, jeté l’ancre au « Nouveau Monde » – pour y étudier, vivre ou simplement visiter – vous avez forcément connu la joie des interminables questionnaires administratifs dont il faut noircir les cases, en répondant à des questions d’une indiscrétion déroutante. Mais à moins d’appartenir à un pays d’Afrique du Nord, vous n’avez sans doute pas eu à vous poser de questions existentielles tant l’automatisme auquel invite ce type de procédure est rébarbatif et ennuyeux. Jamais je n’aurais imaginé, moi-même, que le questionnement qui a suivi ma longue hésitation entre la case « Middle Eastern » et « African » dans la catégorie « Ethnicity » suscite, chez moi, autant de remise en question.
Evidemment je saisissais le découpage géographique sur lequel repose cette distinction de races approximative, bien américaine.
Cependant, ma peine à m’identifier pleinement à une catégorie ou à l’autre soulevait d'autres questions, qui se faisaient de plus en plus présentes à mon esprit et jaillissaient de mon expérience personnelle au Maroc.
Comment, en tant que marocains vivons-nous notre appartenance à ce continent ? Y-a-t-il des ponts entre les cultures Nord Africaines et Subsaharienne ? N’y a-t-il pas plus qu’un lien purement géographique entre le Maroc – et peut être, plus largement le Maghreb – et l’Afrique au sens large ? Quels sont les rapports entre arabité et africanité sur ce continent? Comment cultiver ce sentiment d’appartenance diffus et nébuleux ?
Je précise d'avance, que je ne compte pas, ici, apporter de réponse à toutes ces questions – ce serait bien trop ambitieux en quelques lignes. J'ai donc plutôt décidé de prospecter régulièrement ces relations renaissantes et fragiles qui émergent petit à petit et visent à cimenter le sentiment d'africanité.
C’est ainsi que j’ai atterri, dans cette quête confuse du pont entre mon pays et le reste de l’Afrique, sur des sources abordant des sujets aussi éclectiques que les ponts spirituels qui relient le Nord et le Sud de Afrique, les partenariats économiques signés entre ses différents acteurs ou la stratégie politique du Maroc dans la zone subsaharienne. Autant dire que cela ne m’avançait pas beaucoup pour cerner les contours de cette nébulosité de nature culturelle que j’évoquais précédemment.
Puis, au fil des pages parcourues, je suis tombée sur des mots qui ont eu, pour moi, l’effet d’une révélation. Aurais-je du noircir la case « African » sans plus hésiter ? C’est en tout ce cas ce qu’aurait fait Mohamed Al Faytouri avec enthousiasme.
أنا زنجي
قلها لا تجبن
قلها في وجه البشرية
أنا زنجي
وأبي زنجي الجد
وأمي زنجية
انا اسود
اسود لكني حر امتلك الحرية
ارضي افريقية
عاشت ارضي
عاشت افريقية
“Ana Zinji” – Je suis nègre
"Je suis nègre"
Affirme-le avec fierté
Dis-le à toute l'humanité
Je suis nègre
Le père de mon père est nègre
Ma mère est nègre
Je suis nègre mais je suis libre et j’éprouve ma liberté
Ma terre est Afrique
Vive ma terre!
Vive l’Afrique!
(Al-Fayturi 1979a: 80, appendix 6) d’après ma propre traduction
Cette délicieuse poésie, révoltée et fière, est celle de Mohamad Al Faytouri, poète d’origine Soudanaise naturalisé Libyen, né à Alexandrie et ayant vécu en exil dans différents pays arabes. Autant dire qu’il est, à lui seul, le reflet d’une Afrique plurielle, ouverte et décloisonnée.
Mais ce qui m’a frappé dans ces vers indignés, c’est qu’ils consacrent l’arabité par la forme, mélodieuse et cadencée, et l’africanité par le fond, ardent et révolté. Au confluent d’une variété de cultures qu’il aime à faire converger par la plume, ce nationaliste arabe engagé ne se laisse pourtant jamais tenter par une vision nivelée ; relativiste et faussement unitaire.
Il célèbre la négritude en invitant à l’insurrection mais sépare la défense de cette cause des autres qui lui tiennent à cœur – la question palestinienne par exemple – et qu’il aborde dans ses autres recueils.
La beauté de sa poésie réside justement dans sa volonté de tisser un rapport triangulaire entre langue, religion et identité. Se considérant « petit, noir et laid », il vivait en effet une tragédie personnelle qui a donné toute sa couleur à sa poésie et l’a orientée vers une révolte identitaire poignante.
Ainsi, le malaise existentiel et le sentiment d’exil qui émanent des vers sanguinolents de cet écorché vif illustrent-ils la difficulté structurelle de cette quête identitaire. Mais triompher de cette difficulté est précisément ce que recherche le poète et c’est cela même qui habille sa poésie d’une fierté singulière, jaillissant de sa communion avec la nature. Les vers suivants en sont un bon exemple :
ها هو ذا الطوفان الاسود
يعدو عبر السد الصخري
ها هي ذي افريقيا الكبرى
تتألق في ضوء الفجر
Et voilà que s’abat le déluge noir
Submergeant les digues rocheuses
La voilà la grande Afrique,
Flamboyante aux premières lueurs de l’aube
(Al-Fayturi 1979a: 80, appendix 6) d’après ma propre traduction
Les frontières culturelles, économiques, ethniques et linguistiques expliquent pourquoi les échanges entre « les Afriques » peinent à s’établir et on ne peut minimiser le rôle que joue la blessure historique de l'esclavage dans ces "digues" érigées. Les ponts qui se créent devraient donc davantage s’ancrer dans une reconnaissance identitaire mutuelle qui consacre ce qui rassemble ces zones au lieu d’insister sur ce qui les sépare.
Penser, en tant qu’arabes, l’Afrique loin des clichés stéréotypés ou des ramifications racistes, c’est cela que permet la poésie d’Al Faytouri.
Ce sera, pour moi, le premier jalon dans ce voyage à la recherche des liens entre l'arabité et l'africanité.
A suivre… Ici
Hajar Chokairi
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Bravo Hajar pour ce bel article et bienvenue à l'ADI! hâte de lire tes prochaines productions….:-)
Article intéressant qui a le mérite de questionner sur ce sujet. Quelles sont les convergences, quelles sont les divergences? En abordant la littérature, que ce soit Cheikh Anta Diop, Amin Maalouf ou Tayeb Salih, on observe cette interaction forte entre arabité et africanité. Etrangement, on a l'impression qu'un voile obscur s'est abattu sur nos générations qui ont dû mal à se définir sur ce sujet. Il me semble que le Maroc avec son festival d'Essaouira sur les musiques gnawa questionne beaucoup ce sujet…