Comment mobiliser l’épargne de la diaspora africaine pour financer l’entrepreneuriat sur le continent africain ?

Par Lucien Kouakou, co-fondateur de l’association Youth Alliance for Sustainable Solutions for Africa (YASSA)

L’Afrique est le berceau de l’humanité, une terre riche de diversité culturelle et naturelle. Pourtant, de nombreuses régions du continent sont confrontées à des défis économiques et structurels qui entravent leur développement. Dans ce contexte, la diaspora africaine éparpillée aux quatre coins du monde détient un potentiel économique exceptionnel pour contribuer au progrès de leur continent d’origine.

La diaspora africaine est vaste, comptant des millions d’individus ayant quitté leurs terres natales à la recherche de meilleures opportunités. En Europe, en Amérique, en Asie, ou ailleurs, les membres de cette diaspora représentent une formidable force économique et un lien vital entre leur pays d’origine et leur pays de résidence actuel. Leurs efforts, leurs talents et surtout leur épargne sont des atouts précieux pour l’Afrique.

Cependant, malgré ce potentiel considérable, une grande partie de l’épargne de la diaspora africaine reste sous-exploitée, dormant dans des comptes bancaires, des biens immobiliers ou des investissements sans lien direct avec le continent. Les mécanismes de collecte et de transfert de fonds existent, mais ils sont loin d’atteindre leur plein potentiel. Cette sous-utilisation de l’épargne de la diaspora prive l’Afrique de ressources essentielles pour son développement.

Cet article explore cette opportunité inexploitée. Dans les pages qui suivent, nous plongerons dans la taille et la composition de la diaspora africaine, examinant l’importance de cette diaspora en tant que levier économique pour le continent. Nous examinerons également comment l’épargne de la diaspora est actuellement gérée, les mécanismes de transfert en place et les défis qui entravent son efficacité. Enfin, nous proposerons des solutions et des mécanismes innovants pour mobiliser cette épargne au profit de l’entrepreneuriat en Afrique, décrivant comment elle peut contribuer à stimuler la croissance économique, à favoriser l’innovation et à créer des opportunités pour des millions d’Africains.

Il est temps de transformer cette épargne en moteur de changement positif sur le continent. Il est temps que la diaspora africaine réalise pleinement son potentiel en investissant dans l’avenir de l’Afrique. Bienvenue dans notre exploration de ce thème essentiel et prometteur.

A-t-on une idée de la diaspora africaine dans le monde ?

 La diaspora africaine, un phénomène complexe et dynamique, a connu une évolution significative au cours des dernières décennies. De nombreux Africains ont choisi de s’établir en dehors de leur continent d’origine, motivés par des raisons diverses allant des études aux opportunités d’affaires. Cette migration prend différentes formes, allant des séjours temporaires aux décisions de résidence permanente. Depuis 1990, la diaspora africaine a enregistré une croissance marquée. En 2020, sur les 281 millions de migrants internationaux dans le monde, 25,4 millions étaient d’origine africaine, selon les données du (DAES, 2020). Cette dispersion géographique a conduit à la formation de communautés africaines diverses dans le monde entier.

Selon l’Organisation Internationale pour l’Immigration (OIM) les pays africains qui comptent le plus grand nombre d’émigrants se trouvent généralement dans le nord du continent. Ils apparaissent dans la colonne de gauche de la figure ci-dessus, où les pays sont classés selon leur nombre total de migrants (immigrants et émigrants). En 2019, l’Égypte comptait le plus grand nombre de ressortissants à l’étranger, devant le Maroc, le Soudan du Sud, la Somalie, le Soudan et l’Algérie )  (International Organization for Immigration, 2022).

Selon les données de Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (UNDESA), 82% des africains quittant leur pays de naissance réside dans un autre pays d’Afrique. Seulement 4.8% vont en Asie, et 2.6% en Europe. Sur le plan économique, les migrants africains semblent privilégier les pays à faibles revenus, représentant 58,9% de leurs destinations, tandis que 27,18% optent pour des pays à revenus moyens. Les migrations vers des pays à très hauts revenus restent limitées à 3,26%. Cette orientation économique peut refléter les opportunités perçues dans des contextes économiques similaires à ceux d’origine.

Table 1:United Nations Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2020). International Migrant Stock 2020.

Quel potentiel économique représente cette diaspora ?

Selon les données de la Banque mondiale, les flux financiers de la diaspora africaine ont compté pour 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique en 2019 alors que les Aides Publiques au Développement (APD) comptaient que 2,2 % sur la même période. Cette tendance n’a cessé d’évoluer depuis lors. En 2022 par exemple, les africains de la diaspora ont envoyé 95 milliards de dollars en aide sur le continent (World Bank, 2023). Sur ce montant, environ 53 milliards de dollars sont allés vers des pays d’Afrique subsaharienne, avec le Nigéria, le Ghana, le Kenya et le Zimbabwe en tant que principales destinations. A titre comparatif, seulement 30 milliards de dollars ont été reçu en investissement direct étrangers et 29 milliards de dollars d’aide au développement officielle pour l’Afrique subsaharienne sur la même période. Les transferts de la diaspora sont devenus la principale source de devises étrangères dans plusieurs pays. Par exemple, pour le Kenya, ces transferts sont plus importants que les exportations clés du pays, y compris le tourisme, le thé, le café et l’horticulture (World Bank, 2023). Les pays les plus dépendants des transferts de la diaspora, en proportion du PIB, sont : la Gambie, le Lesotho, les Comores et le Cap-Vert tel que le montre le graphique ci-après.

Cependant, malgré cette contribution financière substantielle, l’Afrique demeure le continent où les coûts de transfert d’argent sont les plus élevés. En moyenne, la diaspora africaine paie des frais de transfert avoisinant les 8% pour envoyer de l’argent vers les familles restées sur place, comme indiqué par le graphique de la Banque Mondiale. Cette réalité souligne le besoin pressant d’initiatives visant à réduire ces coûts et à maximiser l’impact positif de ces transferts.

Mais est-ce seulement de l’argent que peut apporter la diaspora dans le monde ?

La contribution de la diaspora ne se limite pas à un apport financier, mais elle détient également un capital humain précieux. En effet, outre les ressources financières, la diaspora africaine représente un vivier de compétences techniques considérables.

La fuite des cerveaux demeure un défi majeur entravant le progrès en Afrique. De nombreux Africains expatriés possèdent des qualifications élevées dans des secteurs où le continent souffre d’un déficit crucial, notamment dans les domaines des mathématiques, des sciences, des technologies et de l’ingénierie.

Selon un article publié par Gnimassou, la taille de la diaspora africaine dans les pays développés de l’OCDE a connu une augmentation significative depuis 1990. Cela a entraîné une proportion élevée de diaspora africaine qualifiée dans ces pays par rapport à la population ayant un niveau similaire d’éducation dans les pays d’origine. Certains pays africains, tels que l’Angola, le Cameroun, le Ghana, le Libéria et le Sénégal, affichaient un taux de diaspora qualifiée dépassant les 20% en 2010. Pour d’autres, comme la Guinée équatoriale, la Sierra Leone, l’Érythrée et la Mauritanie, ce taux atteignait même les 40%. Cette concentration de compétences constitue un réservoir essentiel pour le développement de l’économie africaine (Gnimassoun, 2021).

Comment peut-on mobiliser ce potentiel de la diaspora ?

Historiquement, les transferts financiers de la diaspora africaine vers les familles restées au pays étaient réalisés par des virements bancaires ou via des services bien établis tels que Western Union, Money Gram, RIA, VISA, Equity Bank (Kenya). Cependant, ces méthodes étaient souvent grevées de coûts élevés tant pour l’expéditeur que pour le bénéficiaire.

Fintechs de la dernière décennie, les transferts de fonds ont été simplifiés et les coûts considérablement réduits grâce à l’émergence des plateformes de transfert d’argent numériques, communément appelées fintechs. Par rapport aux institutions bancaires traditionnelles, les fintechs ont intégré de nombreuses améliorations pour répondre à la demande croissante de transferts de fonds d’une population d’utilisateurs en constante augmentation. Des fintechs telles que Kyshi, Wise , Sendwave, WorldRemit, Orange Money, Nala Money, M-PESA, Upesi Money Transfer, Afriex, Mukuru Africa, Skrill , Chipper Cash, TapTapsend, Dahabshill , Paytoo, Mamamoney, M-Shwari (Kenya), Homesend, MSF Africa, etc. offrent aux Africains la possibilité d’effectuer des virements depuis leur pays de résidence vers leur pays d’origine. Cette évolution simplifie et rend plus accessible la contribution de la diaspora au développement économique de l’Afrique.

Orientations des capitaux transférés par la diaspora africaine vers le continent : Quelle destination pour ce capital massif ?

Malgré le potentiel des investissements de la diaspora, l’analyse de leur impact en tant que moyen de financement du développement a souvent oscillé entre optimisme et pessimisme. La lacune d’informations sur les flux financiers de la diaspora, en général, et leurs destinations d’utilisation, ne permet pas une classification précise de l’utilisation des fonds de la diaspora africaine. Traditionnellement, l’Afrique est perçue comme un continent caractérisé par la solidarité. Il n’est donc pas surprenant que la majeure partie des capitaux rapatriés par la diaspora africaine serve à soutenir les familles restées sur place, notamment à travers l’investissement dans l’éducation, les soins de santé et l’alimentation. Selon l’Agence Française de Développement, environ 80 % des transferts d’argent vers les pays d’origine sont destinés à la consommation et à la couverture des risques familiaux (sécurité alimentaire, santé, éducation). Cependant, la proportion restante, soit environ 20 %, représente près d’un tiers du total de l’Aide Publique au Développement.

Les graphiques issus d’une étude de Making Finance Work for Africa (MFW4A) pour le Sénégal, le Ghana et le Nigéria donnent une estimation des montants transférés et de leurs utilisations respectives par la diaspora. Les diasporas du Ghana et du Nigeria semblent envoyer moins d’aides financières à leur pays d’origine. Cette disparité par rapport au Sénégal peut s’expliquer par divers facteurs, tels que les taux de change entre la monnaie du pays d’origine des fonds et celle du pays bénéficiaire. Cependant, ces montants demeurent significatifs lorsqu’on les compare au PIB par habitant des trois pays étudiés.

Un autre aspect important révélé par cette étude est que la diaspora africaine épargne depuis leur pays de résidence. Cette épargne est soit investie localement, soit transférée vers le continent pour soutenir les familles restées sur place ou financer des projets économiques. Cette dynamique souligne la diversité des usages de la diaspora africaine en matière de mobilisation de capitaux.

Comment peut-on orienter ce capital vers l’économie réel du continent ?

Malheureusement, les pays africains sont toujours confrontés à un énorme déficit de financement pour le développement de l’économie du contient.  Comment peut-on alors susciter plus de flux de la diaspora vers le continent ? et comment l’utiliser plus efficacement pour soutenir le développement économique du continent ?

Aujourd’hui plusieurs solutions se dessinent, et les modèles de réussite se multiplient dans le monde.

Ces paragraphes ci-après font le tour de approchent bien connues à ce jour.

  1. Le crowdfunding

Le crowdfunding, ou financement participatif en français, permet de mobiliser de l’épargne des particuliers à travers des plateformes digitales pour financer des solutions entrepreneuriales. Plusieurs plateformes de crowdfunding spécialement destinées à l’Afrique se constituent et permettent à la diaspora de contribuer au financement des startups et des projets depuis leur pays de résidence.

Selon la contrepartie des fonds envoyés l’on distingue plusieurs types de crowdfunding :

Selon le Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), en 2016, le marché du financement participatif en Afrique était estimé à 182 millions de dollars. Le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya étaient les trois principaux marchés identifiés dans le rapport du CCAF. Les prévisions indiquent désormais que le financement participatif en Afrique subsaharienne pourrait atteindre potentiellement 2,5 milliards de dollars d’ici à 2025.

  • Le Diaspora bond

Des instruments financiers innovants voient le jour pour financer des projets d’envergure nationaux. C’est le cas des « Diaspora bonds » qui sont des titres d’emprunt obligataire émis par les États en vue de mobiliser l’épargne de la diaspora ont pour vocation de briser la spirale de la dette insoutenable des Etats africains en proposants des obligations à des taux plus favorables comparés aux obligations ordinaires des marchés financiers. Ce mécanisme a déjà prouvé son potentiel en Israël et en Inde.  L’Israël et l’Inde ont levé entre 35 et 40 milliards de dollars grâce à ces obligations depuis 1951 (Ratha & Ketkar, 2007). Malgré le potentiel de cet instrument, très peu de pays africains l’ont exploré jusqu’à présent. Seulement quelques pays tels que le Nigéria ont effectué leur première opération de Diaspora Bond avec succès. En 2017, le pays a pu lever jusqu’à 300 millions de dollars à travers le Diaspora Bond. Cependant, ce montant restait significativement très petit comparé aux 21 milliards de dollars reçus à travers les transferts de la diaspora la même année (Kazeem, 2017).

  • Les clubs d’investissement de la diaspora

Plusieurs clubs d’investissement de la diaspora se créent et permettent à des individus de se cotiser leurs épargnes en vue de financer un projet commun sur le continent. C’est le cas de la solution proposée par Nawali, une initiative qui vise à construire des quartiers écologiques au Sénégal à travers l’épargne de la diaspora (Nawali, 2022). Dans la même idée, au Burkina Faso un appel à la diaspora et au peuple a été lancé par le pouvoir public en vue de souscription massive à l’entrepreneuriat communautaire avec comme objectif, la construction de deux usines de transformation de la tomate à Bobo-Dioulasso et à Tenkodogo (AIB, 2023). Dans la même dynamique, au Mali, les ambassadeurs s’unissent pour mobiliser la diaspora à investir dans le pays.

En 2020 le Kenya a créé son premier fonds d’investissement agréé pour sa diaspora, ce qui devrait permettre de canaliser une plus grande partie de l’argent de la diaspora vers des projets de développement dans l’ensemble du pays (African Business, 2020).

  • Les institutions de développement

La problématique du financement de l’économie africaine par la diaspora a bien des supporteurs institutionnels. Des institutions telles que l’Agence Française de Développement (AFD) se mobilisent pour soutenir des Etats à définir un cadre règlementaire, et propice pour canaliser les fonds en provenance de la diaspora. Ainsi, le Sénégal et l’AFD renforcent leur coopération sur le sujet en signant une convention de financement des initiatives des diasporas sénégalaises de France, mais aussi d’Espagne, d’Italie et de Belgique, en faveur du développement du pays (Kaba, 2017)

En 2022, l’Union Africaine a lancé African Diaspora Investment Fund (ADIF). Selon l’Union africaine, l’ADFC sera créé en tant qu’institution financière continentale indépendante, non membre de l’UA. Elle fonctionnera comme une entreprise sociale et collaborera avec les institutions financières, de développement et de la diaspora africaines et mondiales (Negash, 2022).

Des outils méthodiques pour permettre aux états africains d’évaluer le potentiel de la diaspora

Making Finance Work for Africa (MFW4A) en collaboration avec DMA Global et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont développé une boîte à outils dédiée à une meilleure compréhension des investissements de la diaspora en Afrique. Cet outil est l’aboutissement de nombreuses années de discussions qui ont découlé de l’étude intitulée : « Une approche systématique pour soutenir les investissements de la diaspora en Afrique ». L’étude visait à développer une méthodologie pour aider les pays à identifier les opportunités de stimuler le capital de la diaspora comme source viable d’investissement productif, et la meilleure approche pour attirer cet investissement. A travers leur étude, ils sont parvenus à cartographier les principaux canaux pouvant être utilisés pour mobiliser des investissements financiers de la diaspora. Cet outil, bien que destiné aux Etats dans leurs politiques de canaliser les capitaux de la diaspora permets aussi aux privés de saisir l’opportunité d’affaire que la problématique offre.

Cet outil met en évidence deux principaux type d’instruments d’investissement :

  • Les instruments du gouvernement : Obligations d’État, régimes publics de retraite pour la diaspora
  • Les instruments privés : Obligations d’entreprise de la diaspora, portails en ligne de placements collectifs, comptes d’épargne de la diaspora, prêts et hypothèques de la diaspora fonds gérés de la diaspora

Le graphique ci-dessous présente un aperçu des différents canaux d’investissement couverts par le modèle, (Benbrahim, 2020), (Banque Africaine de Développement & Making Finance Work for Africa, 2019).

Les obstacles d’un déploiement massif des fonds de la diaspora vers le continent africain sont divers.

Les défis entravant un flux massif des fonds de la diaspora vers le continent africain sont variés, comme indiqué dans une étude de Making Finance Work for Africa (MFW4A). Cette analyse met en lumière plusieurs raisons qui limitent la contribution de la diaspora, résumées dans les graphiques ci-dessous. Les résultats soulignent clairement que l’absence d’un cadre administratif fiable constitue un obstacle majeur à la participation de la diaspora africaine. De manière unanime, la corruption, le manque d’une entité de confiance pour une gestion optimale des fonds, ainsi que le déficit d’informations sur les projets dans les pays ciblés, se présentent comme les principaux freins à cette contribution.

En adressant promptement et durablement ces problématiques, il est possible d’accélérer l’engagement de la diaspora aux côtés des pays d’Afrique. En effet, la mise en place de mécanismes transparents, la lutte contre la corruption, et une communication efficace sur les projets en cours peuvent contribuer à instaurer la confiance nécessaire pour mobiliser de manière plus importante les ressources de la diaspora.

Quelles propositions  de solutions ?

Nous sommes convaincus que la diaspora peut jouer un rôle significatif dans le développement économique de l’Afrique, en combinant le transfert de compétences et le transfert de capitaux. Cependant, il est impératif d’harmoniser judicieusement ces deux ressources. Des initiatives telles que le crowdfunding et les diaspora bonds semblent très prometteuses. Toutefois, il est essentiel d’établir un cadre réglementaire approprié en mobilisant les acteurs publics et privés compétents pour garantir leur bon fonctionnement, notamment en abordant des problématiques telles que la réduction des coûts de transferts, la sécurité et la garantie des fonds, etc.

Pour notre part, nous croyons que les actions suivantes peuvent avoir de forts impacts sur l’écosystème entrepreneurial du continent.

  1. Prise de participation dans les startups incubées 

 L’objectif de cette approche est d’accompagner les startups dès leurs phases initiales de développement en mettant à leur disposition les ressources humaines nécessaires. Ensuite, la mobilisation de capitaux à travers les membres d’un club d’investissement de la diaspora pour prendre des participations. Cette approche présente un intérêt double : d’une part, pour l’entrepreneur qui bénéficie d’un pool de compétences pour mieux structurer son entreprise et accède aux capitaux nécessaires à la mise en œuvre de ses idées, et d’autre part, pour le club d’investissement qui peut réaliser des profits sur la croissance de l’entreprise.

  • Fond d’investissement de la diaspora

La création de fonds d’investissement spécialisés dans les startups africaines, avec des apporteurs de capitaux issus de la diaspora, permettrait d’aligner les besoins de la diaspora en termes d’investissement sur le continent avec les besoins de financement des startups locales.

Que retient-on de tout cela ?

Cette étude de la mobilisation de l’épargne africaine pour le financement de l’entrepreneuriat sur le continent révèle un potentiel significatif et une dynamique en pleine évolution. La diaspora africaine, à travers ses flux financiers, représente une source cruciale de financement, dépassant même les investissements directs étrangers et l’aide au développement dans plusieurs pays. Ces transferts financiers jouent un rôle majeur dans la satisfaction des besoins fondamentaux des familles restées sur place, tels que l’éducation, la santé, et la sécurité alimentaire.

Cependant, des défis subsistent, notamment liés au coût du transfert des fonds, à la transparence, la confiance, et la gestion efficace des fonds. L’absence d’un cadre administratif fiable, la menace de la corruption, et le manque d’informations claires sur les projets entravent le potentiel massif de contribution de la diaspora. Pour surmonter ces obstacles, des solutions innovantes émergent, allant du crowdfunding à l’émission de « Diaspora bonds » en passant par la création de clubs d’investissement. Ces mécanismes offrent des perspectives prometteuses pour orienter davantage les fonds de la diaspora vers des projets d’entrepreneuriat et de développement économique concrets.

Il devient impératif que les gouvernements africains, les institutions financières, et les acteurs de la diaspora collaborent étroitement pour créer un environnement propice, garantissant la transparence, la sécurité, et la rentabilité des investissements. En renforçant la confiance, en éliminant les obstacles administratifs, et en favorisant l’innovation financière, l’Afrique peut libérer pleinement le potentiel de sa diaspora pour stimuler une croissance économique durable et inclusive sur le continent.

Pour notre part, nous croyons qu’une  bonne combinaison des principales ressources de la diaspora  que sont compétences techniques et épargnes financières peuvent aider à changer la donne dans le financement des startups sur le continent .

Bibliographie

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Biographie de l’auteur

Lucien Kouakou est co-fondateur de l’association « Youth Alliance for Sustainable Solutions for Africa (YASSA) », dont la mission est d’accompagner les entrepreneurs développant des solutions inclusives et innovantes. Issu d’une famille d’agriculteurs établie dans un village de la sous-préfecture de Grand-Béréby, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire, il obtient son baccalauréat au Lycée Technique d’Abidjan, série E. Il intègre l’Institut National Polytechnique Houphouët Boigny de Yamoussoukro (INP-HB) après les classes préparatoires, suivies d’un cycle ingénieur généraliste. Après près de deux années dans le monde professionnel, où il a exploré diverses industries telles que le traitement et la distribution de l’eau ainsi que le textile, il recentre sa carrière vers la finance. En 2020, il intègre HEC Paris pour un Master en finance et économie et effectue des stages à BNP Paribas, Akuo Energy et Spayne Lindsay.

L’européanisation des levées de fonds en crowdfunding doit interpeller l’Afrique

Par Jean-Yves Régis Naka, cadre financier basé en Côte d’Ivoire, auteur de l’ouvrage « Le financement participatif : enjeux de développement pour l’Afrique« 2022, l’Harmattan.

Pensant avoir tourné le dos à la crise sanitaire, le continent africain subit à nouveau un ralentissement dans sa marche vers le développement, en raison du conflit russo-ukrainien. En effet, depuis quelques mois, les Africains assistent impuissants à la flambée du coût de la vie. Dans cette tourmente, l’ironie de l’histoire est que ce n’est que maintenant que certains comprennent mieux l’importance de l’autosuffisance alimentaire. Il faut dire que la crise inflationniste qui sévit actuellement en Afrique vient accentuer déjà une situation fragilisée par la crise du COVID-19 et marquée par la hausse de la pauvreté, de la menace terroriste et des impacts liés aux changements climatiques.

Toutefois, si l’on fait l’effort d’examiner la situation ne serait-ce qu’avec un brin d’optimisme, les inquiétudes s’atténuent devant le constat suivant : les crises économiques font partie intégrante des cycles auxquelles nos économies sont confrontées et elles finissent par passer. De plus, chacune d’entre elles ouvre de nouvelles opportunités. A titre d’exemple, c’est la crise financière de 2008 qui a propulsé l’industrie du financement participatif ou crowdfunding (en anglais). Dans un contexte de raréfaction du crédit et d’émergence des réseaux sociaux, a émergé le besoin de repenser la finance et le fruit de ce travail à favoriser la mise en service de plateformes dédiées à des levées de fonds en peer-to-peer, c’est-à-dire des lieux d’échanges en ligne où des internautes peuvent financer directement un projet ou une cause partagée par d’autres internautes.

A l’heure où il est question d’imaginer l’Afrique de demain, il est important d’actualiser la stratégie de déploiement des projets phares de l’Agenda 2063 (Agenda de l’Union Africaine) et d’œuvrer davantage afin que les plateformes de financement participatif du continent puissent pleinement jouer leur rôle en tant qu’outil formalisé de financement du développement.

En Afrique subsaharienne, l’intérêt est de plus en plus croissant pour le financement participatif. Mais, bien que l’évolution des levées de fonds ait connu une hausse spectaculaire de près de 481 % en 3 ans (2018-2020), les fonds collectés au niveau local restent faibles. Sur un marché estimé à 1,2 milliards de dollars en 2020, seulement 3% de ces fonds levés sont effectués sur des plateformes locales.

A ce jour, plusieurs obstacles tels que l’absence de réglementation sont pointés comme étant responsables de cette situation. Le dernier rapport (2022) de McKinsey sur l’état de l’adoption du digital en Afrique relève à ce titre que « naviguer dans un environnement réglementaire incertain » n’est pas favorable au succès des fintechs. Par conséquent, il est impérieux de trouver des solutions à ces blocages visant à accroître la mobilisation de capitaux locaux et l’expérience acquise en la matière sur d’autres marchés qui peuvent servir de boussole.

Cet article vise à présenter les innovations du marché européen du financement participatif et à monter comment l’Afrique pourrait s’en inspirer pour accélérer son développement.

Le marché du financement participatif en Europe

Au fil du temps, l’Europe a réussi à créer le plus grand espace économique du monde sans frontière, avec près de 500 millions de citoyens. Sur ce marché unique, le crowdfunding connaît un succès indéniable. Il faut savoir que le financement participatif consiste à mettre en relation au moyen d’une plateforme technologique, des porteurs de projets cherchant du financement et des investisseurs/contributeurs disposés à apporter des fonds pour leur réalisation.

Aujourd’hui, cette pratique est devenue courante dans plusieurs secteurs, notamment les énergies renouvelables et l’immobilier dans l’ensemble des vingt-sept (27) Etats membres de l’Union européenne (UE) ainsi que trois (3) Etats membres de l’Espace économique européen à savoir, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.

Au cours des dix (10) dernières années, les plateformes de crowdfunding ont connu une croissance significative en Europe. En effet, leur nombre est passé de 200 plateformes en 2012 à près de 800 aujourd’hui[1][2]. Cette évolution spectaculaire se note également en termes de levées de fonds. Selon les statistiques du Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), le volume du marché européen de la finance alternative (y compris le Royaume-Uni) a connu une évolution importante de 2013 à 2020, passant de 1,5 milliard de dollars en 2013 à 22,6 milliards de dollars en 2020[3].

Si le marché progresse bien en Europe, c’est d’abord parce que le grand public y adhère massivement et que d’importantes mesures d’accompagnement aient été prises par les pouvoirs publiques. Il faut aussi dire que dans cette partie du monde, les citoyens éprouvent de plus en plus un besoin de contribuer positivement à l’économie proximité[4]. Les plateformes jouent simplement leur partition et parmi les trois grandes formes de financement participatif proposées qui sont le prêt, le don et le capital (equity), la plus populaire est le prêt (crowdlending) qui représente 85 % du volume total des fonds levés.

L’envolée du crowdfunding en Europe n’est pas prête de s’arrêter de sitôt. Selon des estimations, le marché européen devrait enregistrer un taux de croissance annuel moyen de 6,30 % jusqu’en 2027 grâce aux efforts des opérateurs pour attirer davantage de jeunes ainsi qu’au développement de l’économie de proximité[5].

La règlementation européenne

En raison de la nature des activités, le financement participatif est soumis à la réglementation bancaire et financière. Un encadrement juridique spécifique a donc été nécessaire pour accélérer le développement du marché.

En 2012, les Etats-Unis ont donné le ton avec l’adoption du JOBS Act et les pays européen ont suivi par la suite. Par exemple, en 2014, la France a introduit deux régimes pour réguler les activités en prêts et en capital à savoir, les statuts de conseiller en investissements participatifs (CIP) et d’intermédiaire en financement participatif (IFP).

Toutefois, du fait des différences observées aux niveaux des cadres nationaux, un nouveau défi est apparu rapidement : celui d’étendre dans la commercialisation des opportunités d’investissement aux investisseurs en dehors des pays de résidence.

Il fait état que les États européens dont les marchés de capitaux nationaux sont plus petits (c’est-à-dire les pays baltes, l’Europe de l’Est, les Balkans) sont plus dépendants des flux transfrontaliers que les marchés dont les marchés de capitaux nationaux sont importants (c’est-à-dire la France, l’Allemagne…)[6].

Pour donner ainsi l’opportunité aux opérateurs de plateformes d’exploiter pleinement le potentiel du marché unique, l’UE a mis en application le 10 novembre 2021 son cadre réglementaire dénommé European Crowdfunding Service Provider Regulation (ECSPR) (règlement UE 2020/1053). En établissant un ensemble harmonisé de lignes directrices, le nouveau règlement crée des conditions de concurrence égales pour les plateformes de crowdfunding dans l’UE.

Le dynamisme des associations professionnelles

Au-delà des aspects juridiques et des opportunités de marché, l’industrie européenne du crowdfunding doit également sa percée à la vitalité des associations et réseaux professionnels engagés à ses côtés.

La capacité d’un opérateur à organiser une levée de fonds pour le financement d’une activité en soi ne sert pas l’économie. Cela représente certes une avancée technologique appréciable en termes de modernisation des outils de collecte de l’épargne, mais sans utilisateurs, la plateforme n’a pas de valeur. Ce sont à la fois les porteurs de projets et les soutiens (investisseurs et contributeurs) qui créent de la valeur.

Il est donc essentiel de susciter de l’intérêt pour les plateformes et ceci constitue l’une des missions principales des associations. Elles jouent un rôle important dans la promotion du concept crowdfunding dans sa globalité. Ensuite, en fonction de ses besoins et orientations, le citoyen éclairé se redirigera vers la plateforme qui lui parait la plus appropriée.

Les associations contribuent aussi au développement des compétences des acteurs du secteur à travers l’organisation d’ateliers et de forums pour échanger sur les bonnes pratiques. Quasiment dans chaque pays, des associations dédiées à la finance participative ont vu le jour et constituent ainsi des groupes de pression pour la défense des intérêts des plateformes face aux pouvoirs publics en particulier les régulateurs pour faire progresser la filière. C’est le cas de Bundesverband Crowdfunding eV, en Allemagne, de Spain Crowdfunding en Espagne, de Associazione Italiana Equity Crowdfunding en Italie, etc.

S’il est vrai que les plateformes de financement participatif accompagnent les initiatives publiques et privées d’une manière admirable, il est néanmoins important d’en connaître l’impact pour mieux apprécier leur plus-value. La mesure du poids économique des acteurs est de ce fait une tâche importante que se sont assignées certaines associations.

Prenons le cas de la France avec son association Financement Participatif France (FPF). Il est fait état qu’en 2022 le pays a enregistré un record dans les collectes de fonds en crowdfunding, avec plus de 2,3 milliards d’euros levés pour plus de 120.000 projets financés. Depuis 2015, le financement participatif global dans ce pays a été́ multiplié par 14 pour un total cumulé de 7 milliards d’euros[7]. Si on est bien d’accord que ces chiffres permettent de relever l’importance de l’industrie dans la vie sociale et économique du pays, il ne faut pas ignorer que c’est l’œuvre de l’association française et de son partenaire Mazars. Depuis 2013, Financement Participatif France fournit des données statistiques en rapport avec l’évolution du secteur au niveau local, à travers la publication d’un baromètre.

Au niveau européen, le continent compte un réseau professionnel puissant l’European Crowdfunding Network (ECN) qui est également impliqué dans plusieurs projets financés par l’UE visant à sensibiliser et à développer l’utilisation du crowdfunding. Ceci traduit assurément la profondeur de l’intégration régionale en Europe et le niveau de maturité du marché du financement participatif sur ce continent, où l’ensemble de l’écosystème a compris que le développement de l’intérêt collectif permettra à terme d’accroître les performances individuelles.

L’Afrique compte à ce jour quelques associations régionales dont la plus importante est l’African Crowdfunding Association (ACfA). D’importants efforts sont encore nécessaires pour susciter davantage l’appui politique et l’engagement citoyen.

La révolution digitale en Afrique

Dans Le Digital Au Secours de l’Afrique, l’ingénieur béninois Sophonie Koboude appréhende l’évolution du monde à partir du 18ème siècle, sous l’angle des révolutions industrielles. Cette approche permet de tirer deux enseignements essentiels : « Le premier grand enseignement est que l’émergence d’un nouveau système technique, bien qu’en ne supprimant pas les symboles techniques du système technique précédent, change les genres de vie à travers des transitions radicales dans la façon de produire, de consommer, d’organiser les entreprises et le système productif. Le deuxième enseignement est en effet un corollaire du premier. Le déploiement d’un nouveau système technique modifie l’ordre des puissances économiques ou, a minima, le poids relatif des économies[8]». A présent, nous vivons dans l’ère de la révolution digitale et c’est une aubaine pour le continent à condition, selon l’auteur, d’avoir un cap qui définit clairement l’horizon africain digital et s’inscrit dans le monde que fait émerger l’informatisation.

Il n’est pas difficile de se rendre compte du pouvoir du digital en Afrique. On assiste depuis plusieurs années, avec le concours d’acteurs locaux, à différents sauts numériques « leapfrogs » qui ont transformé le continent dans tous les secteurs.

Dans la finance digitale, le crowdfunding a encore beaucoup de place pour son expansion quand on sait bien que la question de financement demeure un véritable défi pour les microentreprises et les petites et moyennes entreprises (PME). Même dans les économies avancées, le déficit de financement des entreprises est bien plus élevé que l’on pense.

Selon une enquête de la Commission européenne, une PME européenne sur quatre (1/4) rencontre des difficultés pour obtenir un prêt auprès des institutions bancaires[9]. Les plateformes exploitent ainsi cette faiblesse du système financier pour se développer. A cet effet, d’après le CCAF, les plateformes de crowdfunding en Europe, hors Royaume-Uni, ont levé 4,3 milliards de dollars pour les entreprises en 2019 et 5,2 milliards de dollars en 2020. Les volumes de financement axés sur les PME ont augmenté régulièrement au cours des dernières années, le financement des entreprises représentant 35 % du volume total en 2019 et 52 % du volume total en 2020[10].

L’Afrique gagnerait beaucoup à continuer à miser sur le digital en intégrant dans son dispositif les plateformes de crowdfunding pour formaliser la générosité de ses populations, qui le sait-on est légendaire, en vue de soutenir la transformation économique.

L’avènement de la ZLECAF

La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est devenue le maître mot en Afrique aujourd’hui. Pendant que certains acteurs y voient des possibilités d’expansion de leurs activités grâce à cette ouverture sur l’ensemble des pays du continent, d’autres voient un chemin pour exister, tout court.

Cependant, au-delà de l’effet de mode, il y a une réelle volonté des décideurs politiques de transformer l’Afrique en puissance mondiale de l’avenir et cet esprit se retrouve dans la vision panafricaine partagée, à savoir : « Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique sur la scène mondiale ».

La ZLECAf est une des initiatives clés, identifiées par l’Union Africaine comme essentielle pour accélérer la croissance économique et le développement de l’Afrique, ainsi que pour promouvoir l’identité commune. Sa réalisation sera une grande réussite pour le continent mais également elle va faciliter celle d’autres projets qui englobent, entre autres, les infrastructures, l’éducation, la science, la technologie, les arts et la culture, ainsi que des initiatives visant à garantir la paix en Afrique.

La zone représente aussi une opportunité pour stimuler le marché africain du crowdfunding au regard des expériences observées dans d’autres endroits du monde en terme déploiement de grands projets. En 2019, l’Union européenne a décidé à travers son Pacte vert pour l’Europe d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. L’idée est d’arriver à un équilibre entre les émissions de carbone et l’absorption du carbone dans l’atmosphère par les puits de carbone. Fait important, pour atteindre cet objectif, le financement participatif a été identifié comme un axe complémentaire pour mobiliser des ressources mais aussi pour susciter la participation du grand public. Selon des acteurs locaux : «si les citoyens sont associés au développement des énergies renouvelables par le biais d’un financement participatif, ils accepteront plus facilement les infrastructures d’énergie renouvelable dans leur région et auront l’impression d’être véritablement partie prenante[11]». Il y a de nombreuses illustrations de la contribution des plateformes au développement des énergie vertes et la centrale solaire de Torreilles située dans le sud de la France en est un exemple. La construction de cette centrale d’une capacité de 9.6MW a nécessité l’apport de 800.000 euros, collectés sous forme de prêt participatif à un taux annuel de 5% pour une durée de trois ans à travers deux plateformes européennes Lumo (France) et Oneplanetcrowd (Pays-Bas). Grâce à l’appui de 480 investisseurs, 5.200 foyers ont eu accès à une source d’énergie renouvelable.

Pourquoi l’Afrique ne pourrait-elle pas elle aussi solliciter le concours de ses plateformes de crowdfunding dans la réalisation de ses grands projets ? Même dans le cas de la ZLECAf, les plateformes pourraient être mises à contribution pour stimuler les échanges commerciaux intra-africains en facilitant l’accès aux start-ups. C’est assurément de ce type d’interventions que le juriste camerounais Beauclair Njoya Nkamga appelle de tous ses vœux quand il fait allusion au renforcement de l’élan de la ZLECAf dans son ouvrage Présentation et procédures en Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Il y souligne, en même temps, l’importance de simplifier le narratif autour de ce concept continental et d’en faire une bonne vulgarisation pour faciliter son appropriation par les populations et acteurs économiques privés, institutionnels et consulaires[12].

Les priorités africaines

L’adoption d’une réglementation européenne pour le crowdfunding va sans conteste dynamiser le marché et accroître la capacité d’impact des plateformes sur l’économie réelle. Les plateformes africaines, elles aussi, bénéficieraient, grandement d’une reforme de cette envergure pour le continent à long terme. Mais pour l’heure, force est d’admettre que les priorités sont ailleurs.

Le premier défi que doivent relever les plateformes africaines est d’attirer plus massivement les citoyens vers elles. Bien vrai qu’il ait une hausse des fonds mobilisés, le financement participatif est encore nouveau sur le continent et les populations sont peu impliquées dans ces levées de fonds. Il n’y a pas que la méfiance qui justifie cette situation mais, aussi le manque de connaissance.

Le développement des plateformes s’accompagne également d’une variété de spécialisations, ce qui peut entraîner plus de confusion à la fois du côté des porteurs de projets que des investisseurs/contributeurs. Il peut arriver dans certains cas que le champ de spécialisation d’une plateforme s’applique à plusieurs catégories. Prenons le cas du crowdfunding immobilier, par exemple. En fonction de la spécialisation de la plateforme, il peut s’agir d’une opération en equity crowdfunding immobilier ou en prêt participatif immobilier. Dans le premier cas, l’investisseur s’engage dans un projet immobilier en échange d’actions et peut récupérer sa mise à la vente du bien. Dans le second cas, l’internaute prête un des fonds pour la réalisation d’un projet et sera remboursé selon un échéancier prévu dès le départ. En effet, tout ceci ne saurait que complexifier la compréhension pour certains.

Le crowdfunding a le potentiel de croître plus rapidement qu’on ne le pense en Afrique. Il est donc important d’accroître la sensibilisation sur les conditions d’utilisation des plateformes pour susciter une plus grande participation des citoyens africains. Pour démarrer une activité, les porteurs de projets ont l’habitude de recourir à des appels aux dons dans leur entourage, cercles familiaux et amicaux. Mais la limite dans ce schéma, c’est que celui ou celle qui n’a pas un bon réseau au départ n’a pas le droit de rêver.

C’est d’ailleurs ce besoin de contribuer à améliorer l’accès au financement en Afrique qui a motivé la publication de mon ouvrage Le financement participatif: Enjeux de développement pour l’Afrique. De plus, dans cette publication, cinq (5) axes de réflexions ont été partagés pour créer des conditions de marché plus favorable au développement de ce mécanisme. Il s’agit entre autres du renforcement d’initiatives de cofinancements, notamment avec les acteurs institutionnels ; l’accélération la réglementation des plateformes de financement participatif ; la création de communautés financières plus grandes ; le développement des labels de qualité́ ; et la mise en place de programmes de renforcement des capacités pour les porteurs de projets.

Jean-Yves Régis Naka est expert financier, essayiste et co-fondateur de Guanxi-Invest – la première plateforme de financement participatif en Afrique Centrale.

Bibliographie

Autorité des marchés financiers. 2015. Union des marchés de capitaux: Financement participatif (crowdfunding). 2015.

Koboude, Sophonie. 2021. Le digital au secours de l’Afrique. Norderstedt : s.n., 2021. 9782380672152.

McKinsey & Company. 2022. Fintech in Africa: The end of the beginning. 2022.

Naka, Jean-Yves R. 2022. Le financement participatif: Enjeux de développement pour l’Afrique. s.l. : Editions L’Harmattan, 2022. 978-2140267666.


[1] European Crowdfunding Network, A Framework for European Crowdfunding, October 2012, P. 21

[2] Max Crowdfund, European Crowdfunding Market Outlook 2023, January 24, 2023

[3] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 70

[4] Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE) français, l’économie de proximité se définit d’abord comme un mode d’organisation de l’économie autour de la relation directe : relation des entreprises avec les consommateurs, relations entre entreprises, ancrage dans la vie locale. Son objectif est d’augmenter le bien-être en valorisant le territoire par les acteurs qui l’habitent et pour eux. Elle se définit ensuite par son rapport au développement local.

[5] Mordor IntelligenceIndustry Reports, EUROPE CROWD LENDING AND CROWD INVESTING MARKET – GROWTH, TRENDS, COVID-19 IMPACT, AND FORECASTS (2023 – 2028)

[6] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 85

[7] Baromètre du crowdfunding en France 2022, Mazars – Financement Participatif France

[8] Koboude, Sophonie. 2021. Le digital au secours de l’Afrique. Norderstedt : s.n., 2021. P.31-32

[9] Mordor IntelligenceIndustry Reports, EUROPE CROWD LENDING AND CROWD INVESTING MARKET – GROWTH, TRENDS, COVID-19 IMPACT, AND FORECASTS (2023 – 2028)

[10] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 79

[11] Projet: CrowdFundRES – Le crowdfunding, la solution idéale pour stimuler les projets d’énergie renouvelable – C’est un des projets financés par les programmes‑cadres de l’UE pour la recherche et l’innovation

[12] Beauclair Njoya Nkamga. 2022. Présentation et procédures en Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). P. 20

La politique freine-t-elle la réalité d’une communauté économique ouest-africaine?

Par Foly Ananou (L’Afrique des Idées) et Beringer Gloglo (Cercle des Economistes Africains)

Le déclin successif des anciens empires du Ghana, Mandingue et Songhaï, a donné lieu à plusieurs nouveaux États souverains qui forment, aujourd’hui, la zone Afrique de l’Ouest. Fort de leur proximité civilisationnelle, avec des peuples partageant un héritage historique commun, les nouveaux Etats ouest-africains nouvellement indépendants ont formé, dès 1975, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette organisation vise la création d’une union économique et monétaire ouest-africaine à termes. Quelques décennies plus tard, des traités de libre circulations des biens et marchandises et des personnes régissent désormais la zone. Cependant, l’application des textes et l’ambition de la zone monétaire élargie, notamment au Nigéria et au Ghana, les deux plus grandes économies de la sous-région, restent encore des défis majeurs. Avant la pandémie de la Covid-19, le projet de la nouvelle monnaie unique ECO a revivifié les débats sur la zone monétaire élargie à la CEDEAO, sans pour autant aboutir à une concrétisation.

Les dernières crises socio-politiques dans la région occidentale d’Afrique ont remis au centre des débats la question de la pertinence de la construction d’une union économique et monétaire élargie dans la région. Le regain d’un élan souverainiste dans la région porte sur le projet un coup que même la simple convergence économique plébiscitée par les économistes des zones monétaires ne suffirait pas pour que la Communauté soit effective. En effet, le consensus chez les économistes et les chercheurs est que l’effectivité d’une zone monétaire élargie et d’une véritable union économique est tributaire du renforcement de l’intégration économique (coopération), laquelle est appréhendée, notamment par la convergence des cycles économiques ou encore par l’intensité des échanges commerciaux entre les pays et la similitude des chocs. Dès lors, les recommandations pour parvenir à cette intégration sont essentiellement orientées vers l’adoption des réformes qui promeuvent la coordination des politiques et une coopération plus accrue entre les États – le fameux modèle de Mundell.

Or, cette perception de l’intégration malgré son bien fondée scientifique, revêt un caractère purement économique, et ne permet pas d’examiner la question sous l’angle des implications politiques en termes d’architecture institutionnelle et de gouvernance. En d’autres termes, le développement d’une vie plus intensifiée en communauté implique des sacrifices ou des compromis au niveau individuel pouvant limiter l’influence du pouvoir politique sur le plan national. D’ailleurs, pour le cas de la Cédéao, si le projet a tenu longtemps, c’est d’abord du fait d’une volonté politique plus ou moins marquée. Cela a plusieurs implications. Alors que les pays ne trouvent pas toujours de points de convergence sur les questions liées à la gouvernance, sont-ils prêts à délaisser leur autonomie politique comme c’est le cas dans les pays européens pour voir émerger une communauté économique ou le projet n’est qu’un leurre, un instrument utilisé pour se débarrasser de personnalités politiques mal aimées dans la région ?

Dans une étude[1] récente, s’appuyant sur le trilemme politique de l’économie mondiale de Dani Rodrik, des économistes de l’Afrique des Idées et du Cercle des Économistes Africains montrent que les pays d’Afrique de l’ouest semblent globalement converger politiquement, bien que très lentement toutefois, vers une union économique et monétaire, malgré la persistance de velléité souverainiste.

  1. Comprendre le trilemme politique de l’économie mondiale de Rodrik

Le trilemme de Dani Rodrik (2011, p. xviii)[2] évoque l’impossibilité, de poursuivre simultanément la démocratie, la souveraineté nationale et la mondialisation économique. La poursuite de deux de ces biens politiques exige l’abandon du troisième. Son modèle peut être résumé par le schéma suivant :

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Les trois nœuds du trilemme sont définis par Rodrik comme suit : l’État-nation est une entité territoriale et juridictionnelle dotée de pouvoirs indépendants de création et d’administration du droit. La démocratie fait référence à un système politique où le droit de vote n’est pas limité, où il existe un degré élevé de mobilisation politique et où les institutions politiques sont sensibles aux groupes mobilisés. L’apothéose de l’intégration économique internationale serait une économie mondiale parfaitement intégrée dans laquelle les juridictions nationales n’interfèrent pas avec l’arbitrage sur les marchés des biens, des services ou des capitaux ; les coûts de transaction et les écarts fiscaux sont négligeables, la couverture des prix des produits de base et des rendements des facteurs est presque totale.

Autrement dit, les pointes du triangle sont l’État en tant que polarité souveraine disposant d’un monopole décisionnel sur les affaires qui le concernent ; la démocratie connote la réactivité de la société aux questions de distribution ; et la mondialisation consiste à se diriger vers une asymptote qui est l’intégration des économies nationales dans un marché mondial unifié. Ainsi, pour Rodrik, il est possible de combiner mondialisation (ouverture) et démocratie, mais seulement si nous déplaçons nos structures politiques au niveau international (et, à terme, mondial) et que nous renonçons à la souveraineté nationale. A contrario, si l’on veut conserver la capacité de faire des choix politiques autonomes au niveau national, il faut soit abandonner la mondialisation et se retrancher derrière les murs des communautés démocratiques nationales, soit abandonner la démocratie et accepter que les règles nécessaires pour gouverner la mondialisation soient fixées par des négociations internationales et des élites technocratiques.

La validité du modèle a été démontrée par les travaux empiriques de Aizenman et Hiro (2020).[3] Ils ont démontré que pour les pays de la zone euro, l’intégration se justifiait et fonctionne car les pays ont une préférence pour des systèmes démocratiques, avec une ambition d’insertion dans l’économie mondiale et ont abandonné leur souveraineté nationale. Les États-Unis favorisent plutôt l’insertion mondiale et leur souveraineté, ce qui se traduit par des systèmes politique peu démocratique relativement à ce qui est observable dans les pays européens. Cette trajectoire est suivie par plusieurs pays émergents et pauvres.

La transposition du trilemme de Rodrik à l’échelle d’un groupe de pays formant (ou désireux de former) une union met ainsi en évidence les trois options stratégiques de principe disponibles pour la future gouvernance de l’union potentielle. Mais à la différence du processus général de mondialisation par la libéralisation des échanges auquel Rodrik fait référence, l’intégration monétaire, dans la présente configuration, implique une décision institutionnelle délibérée d’abandonner les prérogatives nationales sur le taux de change et la fixation du niveau du taux d’intérêt dans le but d’établir une monnaie commune. Toutefois, cela implique une intensification de l’exposition de chaque pays membre aux économies des autres pays formant l’union. A cet effet, l’intégration monétaire est plus contraignante pour les économies et les politiques nationales que ne l’est, normalement, la mondialisation.

2. Une analyse de la situation en Afrique de l’Ouest

Nous avons testé la convergence des pays de la CEDEAO au sens de la thèse de Rodrik. Pour ce faire, et en s’appuyant sur les travaux de Aizenman et Hiro (2020), nous avons analysé la position des pays de la région quant à leur insertion dans le monde, la souveraineté, et le processus de démocratisation.[4]

La Figure 1 (en dessous) montre que les pays dans la sous-région sont assez divergents entre eux sur le plan de la gouvernance. Les ambitions ne sont clairement pas les mêmes. D’un côté, il y a des pays (cas de la Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso) qui tendent à abandonner leur souveraineté pour se positionner comme des démocraties avec une ambition de s’insérer dans le monde. D’un autre côté, certains pays comme le Sénégal ou le Nigéria, bien que disposant d’institutions démocratiques tiennent davantage à leur souveraineté et ambitionnent de s’insérer sur le marché international. Cette divergence indique ainsi que le projet de Communauté pour la région reste encore un objectif lointain. Toutefois, il convient de préciser que sa réalisation ne paraît pas utopique.

Figure 1. Nuage des variables et des individus

Note : Cette figure présente le nuage des variables (figure de gauche) et des individus (figure de droite) issues de l’estimation d’une analyse en composante principale.

La figure 2 (qui décrit l’évolution de chaque dimension) montre que les pays de la zone ont connu des évolutions majeures, qui laissent penser que la nécessité de se constituer en communauté s’imposera effectivement au pays de la zone. Dans les années 90, la majorité des pays étaient très souverainistes. A la fin des années 1990 et dans le sillage des années 2000, on constate un relâchement de la souveraineté nationale dans certains pays. Cette période coïncide avec la création de l’union économique et monétaire ouest-africaine (début 1994) qui rassemble le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Globalement, l’ensemble de la période est marqué par une tendance à l’ouverture au monde dans l’ensemble des pays de la région. Cela s’accompagne d’un renforcement de la démocratie. Cependant, les divergences restent marquées entre les pays parce que la dynamique reste assez hétéroclite entre les pays. Même s’il y a une tendance générale à l’abandon de la souveraineté nationale, certains pays semblent encore très animés par la volonté de disposer d’autonomie dans la gestion de leurs affaires. Par ailleurs, le maintien voire le renforcement de la souveraineté nationale, notamment depuis le début de la crise sanitaire, dans certains pays jette des doutes sur la volonté d’une réelle unification.

Figure 2. Évolution des indicateurs

Note : Cette figure présente la dynamique des différents indices relatives à l’insertion dans le monde (Globalization), à l’autonomie de décisions (Sovereignty) et au développement démocratique (Democratization), par pays entre 1990 et 2016. Ces indices sont déterminés à partir de l’ACP appliqué sur un ensemble de variables décrivant ces différentes dimensions.

Somme toute, il apparait que le projet mis en place d’une communauté économique en Afrique de l’Ouest n’ait clairement pas utopique. Notre analyse montre que les pays de la zone sont sur une tendance, du moins sur le plan de leur gouvernance et de leur position dans le monde, qui inéluctablement va les amener à se constituer en union économique et monétaire pour être pertinents. Il apparait ainsi que la volonté des dirigeants politiques de la région pour renforcer les pratiques démocratiques dans la région constitue une vraie affirmation de leur volonté de voir ce projet se concrétiser. Cette volonté devrait se matérialiser davantage dans les marqueurs économiques pour que cette communauté, si, quand elle sera réelle, puisse contribuer à améliorer les conditions socio-économiques (le bien-être social) pour les populations de la zone. 


[1] Prendre attache avec les auteurs pour plus de détails.

[2] The Globalization Paradox – Democracy and the Future of the World Economy.

[3] Aizenman, J., Hiro, I., 2020. The Political-Economy Trilemma. Open Economies Review 31(5) : 945-975

[4] L’insertion dans l’économie mondiale est mesurée par les indices de globalisation produite par KOF Globalisation index, la démocratisation est mesurée par Polcon (un indicateur produit par l’Université de Wharton qui mesure la capacité de coercition des institutions publiques et autres acteurs politiques sur le pouvoir exécutif) mais aussi par Polity2 (un indicateur qui mesure le degré d’autocratie d’un régime politique, produit par Systemic Peace). La souveraineté est mesurée par Exec (variable dichotomique, qui prend 1 si le parti au pouvoir est considéré comme un parti nationaliste ; 0 sinon), Allhouse (variable dichotomique, qui prend 1 si le parti au pouvoir a la majorité au sein du pouvoir légistatif ; 0 sinon), Herfgov (un indicateur qui mesure si le gouvernement est dominé par les membres du parti du président en cours d’exercice) extrait de la Database of Political Institutions. Pour les dimensions qui sont mesurées par plusieurs variables, nous avons aussi construit des indices composites.

LES BLEUS DE TREVOR NOAH

Le 15 juillet dernier, l’Equipe de France de football remportait la vingt-et-unième coupe du monde de l’Histoire, lors d’une victoire face à la Croatie (4-2). La particularité de cette équipe : seize des vingt-trois joueurs Français sont d’origine subsaharienne. Une particularité que n’a pas manqué de mettre en avant, Trevor Noah, dans son émission The Daily Show, dès le lendemain. Une mise en avant qui a soulevé un tollé en France, de la part de nombreux citoyens, mais aussi de personnalités comme le basketteur Nicolas Batum ou l’animateur Nagui et jusqu’à l’Ambassadeur de France aux Etats-Unis. Dans le même temps, la presse italienne et l’ex-sélectionneur croate s’adonnaient à des réflexions racistes sur cette même équipe de France, dans un anonymat confondant. Décryptage d’un événement qui en dit bien plus qu’il n’y paraît. Continue reading « LES BLEUS DE TREVOR NOAH »

La Revue de L’Afrique des Idées – Bientôt disponible !

Chers lecteurs,

J'ai l'immense plaisir de vous présenter la Revue de L'Afrique des Idées. Cette publication pluridisciplinaire, à retrouver de façon annuelle dans nos colonnes réunira pour vous des analyses menées par nos experts sur les questions structurelles concernant l’Afrique. Son but est de proposer, au travers d'études de cas, des solutions aux problématiques auxquelles font actuellement face les pays africains.

Elle est la concrétisation de ce en quoi tous les hommes et femmes qui s'engagent pour L'Afrique des Idées croient : la nécessité de mieux comprendre les défis auxquels fait face le continent africain afin d’œuvrer à ce qu’il puisse les relever.

Dans ce premier numéro vous retrouvez diverses propositions en matière d'électrification, de fiscalité mais aussi d'implication de la société civile en Afrique. En attendant sa parution, je vous laisse découvrir la version light.  

Olivia Gandzion, 

Directrice de Publication de L'Afrique des Idées

L’Afrique des Idées en 2016

2016 a été une année particulièrement difficile pour le monde en général et pour l’Afrique en particulier. De ces difficultés sont nées des idées pertinentes pour la construction d’une Afrique nouvelle. Retrouvez dans les lignes ci-dessous une revue des sujets couverts par les analystes de L’Afrique des Idées .

En 2016, l’afro-responsabilité s’est affirmée davantage sur le continent et plus particulièrement auprès de la jeunesse africaine. C’est ce que Hamidou et Christine nous rappellent dans leur éditorial qui insiste sur la nécessité de l’appropriation par les africains des discours portant sur le continent. Cette jeunesse doit contribuer agilement, habilement et d’une manière innovante à la construction de l’Afrique de demain.

L’année a en outre été marquée par la tenue de plusieurs rendez-vous électoraux sur le continent. Alors que Lika dans la recherche de son président (au Sénégal) interpelle sur le profil des dirigeants africains, Moustapha analyse les défis qui restent à relever pour aboutir à des élections apaisées en Afrique.

Face à la persistance des défis sécuritaires, notamment dans le Sahel, Adrien a rencontré Serge MICHAILOF, ancien directeur des opérations de la Banque Mondiale et l’AFD pour discuter de sa vision sur le sujet. Selon M. MICHAILOF, la relance de l’agriculture, secteur oublié par les bailleurs et les politiques africains, constituerait une solution durable pour sortir le Sahel de cette impasse.

Secteur incontournable pour le développement socio-économique d’une société, l’éducation reste un défi pour les pays africains. Wilfried a revisité la question en discutant les faiblesses des systèmes éducatifs africains et leurs impacts sur la constitution du capital humain.

En outre, le numérique qui s’est imposé comme un outil incoutournable dans l’équation du développement, a constitué un sujet d’intérêt pour les analystes de L’Afriques des Idées durant l’année.[1]. Rafaela en a analysé le rôle pour le développement durable et Thiaba le présente comme un atout pour le développement de l’économie verte en Afrique.

Dans le cadre de la COP 22 qui s’est tenue à Marrakech, Cheikh a rappelé dans son article les enjeux climatiques pour l’Afrique et discuté du rôle que les Etats africains pourraient jouer dans une gouvernance climatique mondiale.

La question du financement du développement a occupé une place centrale dans les réflexions au sein de notre Think Tank en 2016 à l’image de notre conférence annuelle consacrée à cette problématique. Dans cette perspective, Marie a réalisé une revue des nouveaux modes de financement du développement sur lesquels pourraient s’appuyer les pays africains.

Au-delà de ces défis, Nacim nous apprend que l’Afrique reste un continent qui entreprend et qui innove bien que la stratégie  pour accélérer cette dynamique reste encore à préciser et à parfaire.

A l’heure où la jeunesse africaine prend davantage conscience de la nécessité pour elle de porter le développement social, politique et économique de son continent, les bouleversements devraient se poursuivre et il devient encore plus urgent de les accompagner avec des analyses pertinentes permettant de construire cette Afrique à laquelle nous aspirons. L’Afrique des Idées ne manquera pas d’être présent à ce rendez-vous qui constitue l’essence même de notre engagement.

Foly Ananou


[1] Une série d’articles a été entièrement consacré à cette question.

 

 

The WTO Trade facilitation agreement (TFA): the Bali agreement

The first multilateral agreement concluded since the creation of the WTC was adopted by consensus during the Bali ministerial conference, on December 2013, attended by the WTC members. This is the Trade facilitation agreement that will enter into force upon ratification by the two-thirds of the WTO members. As at December 16, 2015, 63 ratifications on 162 had been obtained. Seven African States ratified the agreement: Botswana, Ivory Coast, Kenya, Mauritania, Niger, Togo and Zambia. The agreement is divided into three sections and approaches amongst others release and clearance of goods, cooperation between border Agencies and Customs cooperation in general. Besides, it provides for Special and Differential Treatment (SDT) measures that enable developing countries and least developed countries (LDCs) to determine their implementation pace of the provisions and to notify any external reinforcement needed. Moreover, it provides trade facilitation committees. A mechanism launched on July 22th, 2014 by the WTO Chief Executive Roberto Azevêdo and operational on November 27th, 2014, aims at supporting the developing countries and LDCs in the implementation process of this agreement.

 

The 2015 world trade report, entirely dedicated to the analysis of the TFA, estimates that the implementation of the agreement would lead especially to the annual increase of the world exportations by 1 000 billions of dollars and a reduction of the trade costs between 9.6% and 23.1%. The developing countries and the LDCs are considered as the major beneficiaries of the TFA. Indeed, more than a reduction of trade costs of almost 16% (18% for manufactured goods and 10.4% for agricultural goods), those countries will take significant advantage of the diversification of their exportations in terms of goods and partners, favored by the agreement.

The African regional trade agreements (RTAs)

The RTAs are reciprocal trade agreements between at least two partners. According to the WTO statistics, the Free Trade Agreements (FTAs) and the partial-scope agreements represent 90% of those RTAs, compared with 10% for Customs unions. The eight African Regional Economic Communities (RECs) recognized by the WTO are registered and reported as RTAs.

Some African States or regions concluded interregional agreements with States or regions members of WTO. For instance, the European Union (EU) and South Africa signed on October 11th, 1999 a bilateral free trade agreement on goods. This RTA, recognized by the WTO and entered into force on January 1st, 2000, includes tariff quota, Customs procedure and balance of payments measures. Ivory Coast also concluded with EU a RTA whose scope and fields are similar to EU-South Africa ones. This agreement was signed on November 26th, 2008 and entered into force on January 1st, 2009. So is the agreement between EU and Eastern and Southern Africa signed on August 29th, 2009.

The Preferential Trade Arrangements (PTAs) with Africa

The PTAs are unilateral trade preferences. African States benefit from several PTAs through arrangements in favors of LDCs. Between 2002 and 2012, the LDCs exported at least 72% of their goods towards partners with whom they have PTAs[1] : in a decreasing order of the percentage of exportation, those partners are the EU, the USA, China, India and Japan. The EU has granted almost 100% duty and quota free access to its market for all the LDCs since 2001. Since 2010, China has given duty quota free access for 60% of tariff lines to forty LDCs. India grants progressive duty and quota free access in order to reach 85% of the tariff lines in 2012. As for Japan, since 2008, nearly 98 % of tariff lines have benefited from duty and quota free access to its market.

The USA have not concluded any specific PTA with the LDCs. Nevertheless, they have set up a unilateral regime in favor of sub-Saharan States through the “African Growth and Opportunity Act” (AGOA). This act promulgated on May 18th, 2000 and notified to GATT/ WTO on January 10th, 2001 grants duty free access for goods from “D” code in the “Special” column of the Harmonized Tariff Schedule, as long as they respect the rules of applicable origin.

As the AGOA was due to expire on September 30th, 2015, WTO General Council authorizes its expansion. This is the AGOA 2.0 whose success depends on many challenges. [2]

2. The eventual conflicts between agreements and African challenges to international agreements.

Contradictions between the RTAs, foundations of the African REC

The regional agreements create rules, in particular in regional trade, that is supposed to be implemented to all the signatory States. However, in practice, it is noted that the multiplication of trade regimes could point out some inconsistencies or be an obstacle to their efficacy. Thus, in 2011, the Southern African Development Community (SADC), of the Eastern African Community (EAC) and of the Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA) had some member States in common, but who implemented the trade regime of one organization to the expanse of others’ ones. Fourteen COMESA members on nineteen obeyed the rules of the free-trade treaty; four members remained at the stage of the law preceding the preferential trade area [3]. The five member States of the EAC were part of the REC Customs union in order to set up a common market. Lastly, twelve of the fifteen members of the SADC implemented the terms of the agreement, launched in 2008. The identification of those overlaps leads the three RECs to start discussions in order to create a common free-trade area.

Generally, the treaties of regional organizations provide for how to deal with the contradictions of the different law regimes. Let’s see the example of the West African Economic and Monetary Union (WAEMU) and the Organization for Harmonization of Business Law in Africa (OHADA) which includes 7 of the 17 member states of the first one. The treaties of the two organizations consider that the acts adopted in each organization prevail on national Law (article 6 of the WAEMU treaty and article 10 of the OHADA treaty) without any mention of supremacy of one treaty over the other [4]. Yet, some of their areas of responsibility overlap: the OHADA is supposed to govern business law while the WAEMU treaty lends authority to itself to adopt any rule needed to achieve its objectives in the area of economic, monetary, sector policies or the common market, an area which can include business law.[5]

Incompatibilities with the international system

WTO encourages the creation of regional organizations as they are regarded as a mean to achieve the development objectives. However, they have to respect WTO rules. In theory, all the member States have to apply the same trade treatment the other member States, even if in practice the PTAs derogate from this principle.

The implementation of the WAEMU Common Customs Tariff (CCT) in 2015 revealed how hard it could be to reconcile Community and international commitments. Indeed, the CCT imposes to the each WTO member State not to raise the rate of Customs duty beyond a certain level, called “the bound rate”. The rates applied in reality were often lower, especially for agriculture. Thus, Nigeria had a bound rate of 150% for agricultural goods, compared to an applied rate of 33.6%; the Senegal bound rate was 29.8% while Ivory Coast one was 14.9%. The new WAEMU CCT fixed to 35% on agricultural good placed those countries automatically beyond the rate that they committed not to exceed [7]. Even if some mechanisms, like the payment of compensation, make possible the cohabitation of the two norms, one can note easily that regional commitments could enter into conflict with the engagements within other systems.

Besides, the European Union seems at first sight to approach the EPA negotiation more logically as she talks with regional groups: central Africa, Eastern and Southern Africa, Western Africa, Southern African Development Community and East Africa Community. This multiplicity of interlocutors shows many limits: the members of the COMESA for example, are divided into 3 regional groups that negotiate separately the terms of the EPA related to them, although the COMESA countries share the same objective of common market. Moreover, as the EPA is a reciprocal but asymmetrical agreement between the EU and the African countries, he aims at fostering trade between the two areas and minimizing the tariff barriers. Even if the African countries keep benefiting from derogations to protect their weak economies from the concurrence of the strong Europe, one can understand that forwards low Customs duties could conflict with rules like the CCT fixed by some regions and be inferior to the tariffs practiced within a region, favorishing Africa-Europe exchanges at the expanse of intra regional exchanges.

Which stakes for Africa in front of this diversity of agreements?

In its 2015 report on industrialization through trade, the United Nations Economic Commission for Africa evokes the importance, and even the urgency, to implement a mega-regional agreement specific to Africa to boost its economic positioning. Indeed, the Commission studies shows that an effective implementation of the non-African mega-regional trade agreements, like the transatlantic trade and investment Partnership (TTIP), transatlantic partnership and the global regional economic partnership, results to the increase of one thousand of billion dollars by 2020, of the member States exportations. In the contrary, it would lead to a fall of the African exportations of some 2.7 billions of dollars because of the intensity of the competition and the attractiveness for markets covered by those mega-regional agreements. However, this trend could be reversed if Africa gets its own continental free trade area (CFTA) because its exportations would increase of some 40 billions of dollars, through an acceleration infra-regional trade. The CFTA implementation is a current project: African Heads of States and Governments have pledged to the acceleration of its implementation by 2017.

On June, 10th, 2015, the COMESA, SAEC and EAC Heads of States and Government, gathered in Sharm El Sheikh in Egypt, launched the tripartite free-trade area (TFTA) that set up an integrate market of 26 countries, of a population of 632 millions habitants representing 57% of the global African population. This TFTA is certainly a critical step of the African CFTA implementation process as it represents a global GDP of 1.3 billions of dollars (2014) which is 58% of the Africa GDP.

The commitment of African countries in those different agreements demonstrates before all the evident willingness to integrate more in the world trade and to benefit from it to accelerate their development. However, they fail to achieve the expected results and sometimes they may constitute a constraint for the continent. To benefit fully from this global trade opening, Africa needs to reinforce its production capacities, thus to modernize the trade infrastructure and to mobilize the financial resources.

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Translated by  Mame Thiaba Diagne

 

 

[1] Economic Commission for Africa, 2015, « Industrialization through trade », annual economic report on Africa.

[2] United-Nations, African Union, 2014 « How ‘AGOA ‘2.0’ could be different “  

[3] TradeMark Southern Africa, 2011, « Aid For Trade Case Story : Negotiating the COMESA EAC SADC Tripartite FTA », Pretoria

[4] IBRIGA (LM), 2006, “The juridictionalization of the integration process in West Africa”, University de Ouagadougou

[5] KONATE (IM), 2010, “The OHADA et the others community regulations: UEMOA, CEMAC , CIMA, OAPI, CIPRES etc.”.

[6] DIOUF (EHA), 2012, “New CEDEAO Common external tariff and individual commitments of its members in WTO: overwhelming incompatibilities”, Passerelles, Part 13 – number 3.

[7] Ibid.

 

Théâtre et tension à Bangui

Créer dans Bangui sous couvre-feu 

30 octobre 2015. Toute la journée, le tournoiement des hélicoptères et le crépitement épisodique des armes à feu ont rappelé à qui aurait voulu s’en évader les atroces règlements de compte qui secouent la capitale centrafricaine. L’Alliance française de Bangui décide d’y montrer malgré tout, à 16h, « La soupe de Sidonie »[1], spectacle inspiré d’une pièce de kotèba[2] créé il y a dix ans par la compagnie malienne BlonBa[3].

LasoupedeSidonieL’acteur qui joue le rôle principal –celui d’un chef de famille musulman rêveur et désabusé – est chrétien. Il vit non loin du quartier de Fatima où, ce jour-là, se concentrent les événements meurtriers qui opposent des protagonistes des deux confessions. Il laisse dans les coulisses le téléphone qui le relie à sa famille restée là-bas, entre sur scène. Comme on dit au théâtre, il n’est pas tout à fait là. Le texte s’évapore, revient. Le jeu prend néanmoins. Il prend avec le public, très « mis en jeu » comme le veut la lignée théâtrale du kotèba, mais beaucoup de spectateurs gardent leur portable en main, vibreur aux aguets.

Dès sa version malienne, la pièce compte deux personnages potentiellement poreux à des chimères repeintes aux couleurs de l’Islam ou du christianisme. Ces constructions mentales contagieuses sont fondées sur l’espoir d’un salut magique, éruptif et sans appel qui est l’autre face du désespoir. Elles contribuent à alimenter l’imaginaire criminogène des islamistes de Boko Haram, de l’Armée de résistance du Seigneur qui baptise ses massacres au nom du Christ, au Mali des groupes de narco-djihadistes ou en Centrafrique même des petits gangs qui pullulent dans la foulée confessionnalisée des appétits politiques. Les personnages de la pièce ont été imaginés dans un contexte alors moins violent, moins prégnant, imaginés pour qu’on en rie. Ils ne portent pas de bombes. Ils déambulent sur un espace scénique où le réel n’est que signalé, stylisé. Mais lorsque le personnage de Dieumerci, alias Ben Laden, entre sur le plateau éructant ses objurgations fanatiques, deux dames lancent spontanément contre lui (le personnage ? le comédien ?) des malédictions qui ne sont pas théâtrales, des malédictions in vivo : feu, feu, feu, au nom du seigneur Jésus ! Puis, comme un miracle, elles sont reprises par le rire, qui annule la malédiction et l’élève au rang de symbole communicable.

Pour accéder à l’aéroport de Bangui M’Poko, il faut traverser durant environ un kilomètre le quartier « Combattant ». Le marché envahissant, désordonné, empiète sans façon sur la voierie. Chaque jour, des petits groupes armés y dépouillent les automobilistes imprudents. Les signes extérieurs d’islamité y sont menacés de mort. Pour prendre leur avion, c’est en convoi, précédés par un blindé des casques bleus de la Minusca, que les voyageurs franchissent la zone. Les visages sont à vingt centimètres des vitres impérativement closes. A l’entrée du quartier, un panneau déserté par la publicité commerciale est barré de l’inscription « Mort à la France », accompagnée d’une croix gammée. Une frustration dévorante environne l’ancienne puissance coloniale. Le sentiment justifié qu’elle a historiquement quelque chose à voir avec le délabrement du pays se traduit par l’effusion quotidienne, impuissante et douloureuse de rumeurs l’accusant de développer les stratégies les plus tordues pour entretenir le chaos. « La soupe de Sidonie » ne contourne pas cette réalité, ni la responsabilité historique, ni les ridicules de rumeurs fantasmées. Elle les montre. La pièce est donnée dans l’enceinte paisible et protégée de l’Alliance française et les Moundiou (les Blancs) sont dans le public. Alors, conformément à une pratique répandue dans toute l’Afrique, mais au théâtre cette fois, les personnages passent à l’entre-soi de la langue nationale, le sango, catimini dans lequel la critique devient à la fois plus tranchante, plus drôle et moins honnête. La communauté du public en est amputée, même si les Moundiou devinent sans peine qu’on les brocarde et le sujet de la moquerie. Là encore, le rude débat entre le réel et le théâtre est à deux doigts d’être englouti par la « vraie vie ».

Tout au long de la pièce, le personnage de Sidonie prépare un plat destiné à convaincre un « bailleur » moundiou d’abonder le compte en banque d’une ONG attrape-tout constituée pour attirer « toutes les subventions qui passent par là ». Mais les péripéties de l’histoire laissent finalement l’entreprenante mère de famille seule avec un plat constitué d’aliments qu’elle avait sous la main, « sans bailleur » et délicieux, mais trop copieux pour le manger seule et qu’elle choisit de partager avec un public trop nombreux pour en être rassasié. Par une pirouette née des contraintes de la situation centrafricaine et des conditions pratiques de la création, le directeur de l’Alliance française, puissance invitante, arrive alors, signale à tous qu’il a parfaitement suivi les lazzis en langue sango dont l’humanitarisme moundiou a été abondamment servi, mais qu’il va néanmoins compléter le met au motif qu’ « on est ensemble » ! L’artifice de cette brutale mondialisation humanitaire détend magiquement l’atmosphère et déchaine les applaudissements. La joie du théâtre fait son œuvre. Purement fictionnelle. Purement théâtrale. Si désirable dans ce qu’elle appelle !

Le rire d’autodérision est une spécialité et un talent de l’Afrique. Ce continent a été férocement placé par l’Histoire en position subalterne. L’autodérision est une marche sur laquelle montent les Africains pour se hisser au dessus d’eux-mêmes, prendre le large d’avec l’abaissement et manifester ainsi leur humaine grandeur. L’autodérision, le théâtre occidental la pratique peu et souvent la méprise. Prendre le risque de se moquer de soi-même est un danger pour le dominant. Au nord de la Méditerranée, l’Afrique malheureuse, révoltée, martyre ou combattante se vend mieux que la rigolade autour de laquelle se vivent, sur le continent, tant de prises de consciences essentielles. Il est du coup très compliqué de réunir par le théâtre une communauté mondialisée autour d’un rire capable d’étreindre ensemble les uns et les autres. La pirouette y parvient néanmoins, provoquant une joie sincère, réconfortante et partagée.

Ces quelques anecdotes, je les évoque ici parce qu’elles me travaillent et que j’ai envie de les travailler, de les mettre en débat. Jamais je n’ai ressenti aussi fort qu’à Bangui déchirée, de façon si tendue, si fragile et si puissante le fil incandescent qui sépare le réel de la fiction, feu par lequel la fiction produit le réel, en opère la sublimation et lui ouvre la voie. Feu toujours menacé par la poix glauque et muette d’un réel privé de la parole et inapte à la symbolisation. Je crois que ces situations cachent des enjeux fondamentaux pour la renaissance d’un art en voie d’épuisement là où il est prolixe et menacé d’étouffement dans les failles où affleurent les germinations nouvelles. J’ai envie de continuer l’enquête et d’en partager l’interprétation avec vous.

Jean-Louis Sagot-Duvauroux

Prochaines livraisons : Théâtre et tension (2) – l’œuvre aux prises avec l’événement ; Théâtre et tension (3) – sur la faille sismique de l’Histoire

[1] D’après « Bougouniéré invite à dîner » de Jean-Louis Sagot-Duvauroux et Alioune Ifra Ndiaye, mise en scène de Patrick Le Mauff. Adaptation dramaturgique et scénique de Jean-Louis Sagot-Duvauroux, avec Léonie Assana (Sidonie), Boniface Olsène Watanga (Boubakar), Benjamin Noway Wagba (Dieumerci), Louis-Marie Ngaïssona (Dieudonné), Silius Travolta Amoda (Gloiradieu). Régie générale Silvère Kpassa-Ba-Nona. Régie son et lumière Bruno Baleboua. Décor Paul Vinlot et son équipe. Conception du lion Bamara Michel Djatao. Costumes Emmanuel Youmélé. Bruitage Gabriel Yénimatchi. Une production de l’Alliance française de Bangui. Co-production BlonBa (Mali), avec le soutien de la FAO. Un grand merci à François Grosjean, directeur de l’Alliance française, à Laetitia Pereira son assistante, à notre infatigable accompagnateur Hervé Kangada, à tout le magnifique personnel de cet espace dont ils ont su faire un lieu de ressourcement culturel au rayonnement mérité. Mes amitiés à tous les artistes, étudiants, intellectuels qui se le sont approprié dans ces temps de déchirure. Et toute mon amitié à Alain, à Albert son cuisinier et à toute son équipe qui ont inspiré et rendu possible le succulent plat de gboudou aux bananes plantain partagé par tous à la fin du spectacle.

[2] « Bougouniéré invite à dîner » http://www.blonbaculture.com/pdf/theatre/blonba-bougounierre-diner.pdf

[3] http://www.blonbaculture.com/pdf/textes/blonba-15-ans.pdf

La polémique du «joueur typique Africain », est-elle le symbole d’un football africain pas encore indépendant?

En novembre dernier, les déclarations d’un entraîneur français relancent le débat du racisme au sein des institutions du football français, et le style du football africain. Des propos qui poussent à la réflexion. Explication en remontant le temps.

Retour sur la polémique

L’ancien international français (58 sélections), et entraîneur des Girondins de Bordeaux, Willy Sagnol, répondait aux questions de lecteurs d’un journal local. La thématique de la CAN, et le départ d’une partie de ses joueurs internationaux africains (12) furent abordés. L’entraîneur dérape et déclenche la polémique. Il annonce que sous son mandat la politique de recrutement du club bordelais ne sera plus tournée vers l’Afrique. Dans des propos remplis de préjugés, il y va de sa caricature en décrivant le joueur « typique » africain comme « pas cher quand on le prend, (…) qui est prêt au combat généralement, qu'on peut qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot (…), c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline». L’entraîneur s’enfonce en appuyant son discours d’une comparaison avec les « Nordiques » et leurs « bonnes mentalités ». Des propos condamnables et condamnés qui seront rapportés par l’ensemble des médias nationaux, sortant de la grille de lecture sportive de cette intervention.  

Photo 1 (2)Symptomatiques d’une France schizophrène de sa diversité qui flirte avec le parti d’extrême droite à chaque élection, l’ensemble des joueurs noirs et maghrébins sont considérés comme des joueurs africains. Faisant abstraction de ceux qui sont nés, ont grandi, et ont été formés en France. Les propos sont jugés de racistes par certains, ou de maladroits par d’autres. Au final, ce fut un buzz médiatique, qui disparut dans des excuses publiques aussi rapidement qu’il est apparu. Seul l’auteur des propos restera avec ses propos sur la conscience. Beaucoup de bruit, pour une bonne leçon. Et une casserole de plus pour le football français, habitué des polémiques racistes dans ses plus hautes sphères.

 

Le paradoxe du style africain. L’histoire comme preuve. 

Depuis de nombreuses années, les sélections nationales de football d’Afrique subsaharienne ont la réputation d’être construites sur les qualités physiques et athlétiques de ses joueurs. 

Paradoxalement, ce ne sont pas des qualités qui correspondent à la pratique naturelle et généralisée du football. Les matchs joués sur des espaces réduits et pas toujours uniformes contribuent à développer la technique et l’agilité. Comme au Brésil, où les plus grands joueurs sortent des Favelas et de leurs terrains vagues. L’histoire elle aussi va dans ce sens-là.

Chercheur à l’Observatoire du football de Neuchâtel, Raffaele Poli date les premières filières de transfert dans les colonies africaines au début des années 50. Le Portugal recruta, en 1960, le meilleur joueur de son histoire au Mozambique. « O pantera Negra » EUSÉBIO. L’AS Saint-Étienne fera fuir illégalement Salif Keita pour qu’il puisse les rejoindre. Des efforts immenses à l’époque pour attirer des joueurs très talentueux qui avaient fait leurs preuves sur le continent. 

Photo 2 (1)Dans son livre sur le parcours du triple champion d’Afrique, le HAFIA FC de Conakry, Cheick Fantamady Condé nous rapporte des propos de Maitre Naby Camara. L’actuel président du CNOSF de Guinée était l’entraîneur de l’équipe de Conakry quand il répondait aux questions du journaliste Amady Camara. C’était juste après la défaite face au CANON de Yaoundé, en finale de la coupe des champions d’Afrique, perdue en 1978. (0-0 à Conakry, et 2-0 au Cameroun).  Questionné sur les ingrédients utilisés par l’entraîneur Serbe Ivan RIDANOVIC,  il déclare : « La recherche du résultat a tout pris a provoqué le recours à des tactiques peu spectaculaires, le béton, et à des expédients peu élégants comme l’antijeu. (…) Ce n’était pas le vrai visage du football camerounais. Les Leppé, Koum, Tokoto, Léa, Ndongo, Milla, etc., ce sont épanouis en jouant avant tout au ballon ».

Car le spectacle était de rigueur dans les tribunes africaines. En Guinée, le président Sékou Touré, avait la volonté de valoriser l’indépendance de son pays, en démontrant la supériorité de ses représentants. Pendant 8 ans, il contribuait à la réputation flatteuse du style de jeu d’une équipe qui portait le sceau de sa révolution.

Outre la philosophie de certains entraîneurs, qu’est-ce qui a conduit à ce changement radical? La réponse se trouve peut-être en France.

« L’arroseur, arrosé »

Depuis la victoire au mondial 1998, les orientations données par la Direction Technique Nationale de la Fédération Française de Football, prônent un style de jeu fondé sur la solidité défensive. Les éducateurs sont formés dans cette optique. La recette du succès du football français qui s’est généralisée dans les centres de formation s’appuie essentiellement sur le physique. Même si des exceptions existent, beaucoup de joueurs furent recalés, car trop petits ou pas assez rapides, et malgré leurs talents certains.

La France est le pays qui recrute le plus de joueurs africains depuis l’arrêt Bosman en 1996.  Et pour répondre aux attentes des clubs qui les emploient, les recruteurs Français, sont à la recherche de joueurs qui correspondent à ces critères. 

Une fois expatriés, le statut des joueurs suffit à en faire des joueurs internationaux. Accompagnés des bi-nationaux formés en France, au fil du temps,  certaines sélections africaines se sont transformées en armada de joueurs du même profil : physique et défensif. 

En caricaturant le footballeur africain, Willy Sagnol n’a fait que pointer le doigt sur le football de son pays, et les directives de ses dirigeants.

Photo 3 (1)Car bien au contraire, « Le joueur typique africain » avait pour mission de faire lever les foules grâce à ses dribbles et ses actions imprévisibles. C’est ce qu’ont fait chaque week-end les meilleurs joueurs du continent. Salif Keïta, Pierre Kalala, Laurent Pokou, Roger Milla, George Weah, Rashid Yekini, Japhet N’Doram,  Nwankwo Kanu, Samuel Eto’o, Mickael Essien, Yaya Touré… 

Mais seulement quand leurs entraineurs leur laiss(ai)ent la possibilité de s’exprimer, ce qui n’est pas toujours le cas. Comme Hervé Renard qui avant la finale de la dernière CAN 2015, déclarait que pour gagner, il faut : « bien fermer leurs joueurs offensivement importants (… ) Ce sera très serré. Peut-être que ça se décidera sur coup de pied arrêté ». Soit bétonner et être réaliste, comme le Canon de Yaoundé de Ivan RADINOVIC en 1978, malgré Roger Milla, malgré Gervinho, Yaya, etc… 

Pierre-Marie GOSSELIN

 

Source citation et données :

Lien vers l’intégralité de l’intervention de Willy Sagnol dans son face à face avec les lecteurs. La question que nous abordons est disponible à partir de la 18ième minute : https://www.youtube.com/watch?v=wv6JVci1XG4&feature=player_embedded

Cheikh Fantamady CONDÉ (2009) Sport et Politique en Afrique, Le Hafia Football Club de Guinée, L’Harmattan Guinée

Conférence de presse de Hervé RENARD le 08/02/2015 avant la finale de la CAN, source AFP, disponible sur www.lequipe.fr http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Renard-ne-pas-laisser-passer-cette-chance/534891

Bibliographie : 

Raffaele POLI : Migrations et commerce de footballeurs africain : aspect historique, géographique et culturel, We Are Football Association http://www.wearefootball.org/PDF/une-nouvelle-traite.pdf

Illustration :

Photo 1 : l’équipe de France en 2008, Willy Sagnol (n°19) entouré de Patrick Viera et Lilian Thuram

Photo 2: Le Hafia FC de 1977, photo de couverture du livre de Cheick Fantamady CONTÉ

Photo 3 : Caricature de Dadou, sur le style de jeu des girondins lors de la saison 2013/2014, et la réaction des supporteurs . www.foot-land.com

Ultras, sentinelles des manifestations Nord-Africaines

Petite histoire des tribunes animées

Tout au long de l’histoire, les stades ont été le théâtre de nombreux drames humains. Des milliers de supporters venus assister à des matchs de football et ne sont jamais rentrés chez eux, victimes d’accidents ou de bousculades. Si certains sont imprévisibles, beaucoup sont provoqués par des mouvements de foules déclenchés par les supporters, les forces de l’ordre, ou les deux parties. Prévisibles, surtout quand les matchs associent tous les ingrédients d’un cocktail qui peut exploser lorsque les enjeux sont importants ou qu’ils opposent des équipes aux rivalités fortes. L’antagonisme entre des supporters organisés en groupes et des forces de l’ordre prêtes à user de la violence pour les contrôler, s’ils estiment que c’est nécessaire, est une véritable poudre à canon. Par la réglementation imposée aux clubs pour accueillir des matches et la répression, l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Sud parviennent tant bien que mal à limiter ces tragédies. En Afrique, au contraire, on compte les victimes par centaines ces dernières décennies. Le plus alarmant est qu’elles sont de plus en plus récurrentes que ce soit au Ghana, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en RD Congo ou au Maghreb. La vétusté des stades, l’absence d’issue de secours, les mauvais agissements de certains supporters et les réprimandes qui suivent des policiers, y sont pour beaucoup.

illustration article mouvement de foule

Le mouvement de foule qui a eu lieu le 1er février 2012 au Nord de l’Egypte, dans le stade de Port-Saïd, où 74 supporters du club Cairote du Al Ahly SC trouvent la mort, ne répond pas aux caractéristiques habituelles. Très présent lors de la révolution sur la place Tahrir, et à quelques jours du premier anniversaire de  la chute de Moubarak, les Ultras Ahlawy semblent être les cibles évidentes de ce massacre. L’absence de réaction des policiers et la violence inhabituelle des Ultras Green Eagles 07 du club local Al Masry,  sans réelle préméditation,  rentrés avec de nombreuses armes dans le stade,  intriguent.

Ultras, définition d'un mouvement quadragénaire

Les Ultras sont des groupes de supporters fanatiques structurés autour d’une association indépendante du club qu’ils encouragent. Cette forme de supporterisme est apparue en Italie à la fin des années 60, dans les tribunes de Milan, Gênes et Turin. Ils se sont fortement inspirés d’un mouvement Sud Américain.  Depuis le début des années 30, là-bas on anime activement les tribunes. Chants, applaudissements, drapeaux, tambours et fumigènes permettent de mettre l’ambiance et de représenter son club et son quartier dans les matchs contre les autres équipes de Buenos Aires, Sao Paulo, Rio de Janeiro ou Montevideo. Comme dans toutes fêtes, l’alcool est présent, la violence qui en découle aussi. Elle est même proportionnelle à la passion. Prémisse de la mondialisation, le phénomène déferlera sur l’Europe avec la diffusion TV des matches. Le mouvement Ultra se différencie du hooliganisme venue de Grande Bretagne, qui mise avant tout sur la violence pour déstabiliser son adversaire. Margareth Thatcher s’est chargée de mater le phénomène sur son île avec sa politique de fer à la fin des années 80. Certains hooligans œuvrent encore aujourd’hui en Europe, ils sont difficiles à contrôler et imprévisibles. La violence est également présente autour du mouvement Ultra, mais elle n’est pas l’élément de base du rassemblement. Les Ultras essaient davantage de se distinguer par leurs nombres et leurs animations en respectant certaines règles, dont l’obligation de ne pas s’attaquer aux gens qui ne sont pas du mouvement. Une fois par semaine, tous mettent en pause leurs vies pour rejoindre une zone où le jugement d’autrui n’est pas toléré. Un contexte fanatique imprévisible, où les couleurs du maillot suppriment toutes les barrières physiques ou morales. Une zone de liberté totale dans une atmosphère solidaire.

TIFO AL ALHY ILLUSTRATION 2

 

À la fin des années 90, les groupes ultras étaient déjà présents dans une grande partie des tribunes de l’Europe « Latine ». On retrouve des associations importantes en Espagne, au Portugal, en France, en Grèce, en Turquie et dans les Balkans. Ils sont les sentinelles de l’histoire de leurs clubs et veillent, à préserver un certain idéal du football, ils s’en nourrissent au même titre que les rivalités.   

 

Les Ultras sont apparus dans les pays du Nord du continent Africain en deux temps. Les précurseurs sont les African Winners du Club Africain de Tunis en 1995. Il faudra ensuite près de 10 ans pour voir de nouveaux groupes se créer. Sans doute le temps qu’ils s’adaptent à la culture arabo-musulmane et aux régimes autoritaires qui sont en place. La passion du foot est là, et depuis 2005 on assiste à une déferlante. Chaque club de foot ou presque, de Rabat au Caire, est soutenu par au moins un club d’Ultras dont les aspirations varient en fonction de la région et de l’histoire du club qu’ils supportent. Dans les grandes villes, les groupes sont très bien organisés et grandissent rapidement. En moins de 10 ans d’existence, ils sont déjà reconnus par leurs frères Européens. En 2011, un groupe d’Ultras, les Blue Lions, sont apparus à Khartoum au Soudan pour soutenir l’équipe de Al Hilal, une première en Afrique noire.

Dans les pays où les jeunes ont du mal à trouver du travail, Ultra est un style de vie. Même lorsque l’équipe ne joue pas ils continuentultras-ahlawy-showing-tantawy-the-red-card d’y consacrer leurs quotidiens. C’est une seconde famille qui permet de surmonter les difficultés quotidiennes de la vie. En Grèce et en Turquie les groupes atteignent plusieurs milliers d’adhérents.

Avec son apparition dans les pays du monde arabe, le mouvement Ultra a pris une nouvelle dimension. En 2011 les groupes des clubs rivaux du Zamalek et du Al Alhy, les White Knights 07 et les Alhawy 07, se sont unis lors des manifestations du printemps arabe sur la place Tahrir. Ils se sont associés à la population et se sont occupés de réduire la portée des répressions des policières qu’ils ont décidé de combattre ensemble sous des chants de stades. Ils obtiennent une victoire par KO sur Moubarak. Pas intéressés par la politique, ils se retirent des discussions une fois le régime parti. Cette nouvelle façon de contribuer à l’ordre démocratique,  a donné un nouvel élan que l’on a pu retrouver sur place Taksim à Istanbul (en Turquie), où les UltrAslan du Galatasaray, la Çarşı du Besiktas et les GençFenerbahçeliler du Fenerbahçe, ennemis héréditaires, ont signés une trêve pour soutenir et protéger les manifestants. Avec la aussi la victoire au bout.

Ces démonstrations de forces des Ultras dans les dernières grandes manifestations sont une nouvelle menace pour les dirigeants politiques. Au pont d’en arriver au massacre de Port-Saïd ? Nous prendrons de la hauteur sur ce mouvement en Afrique du Nord dans le second chapitre.

Pierre-Marie GOSSELIN

Légende photo 1 : Mouvement de foule à la fin du match entre l’AS Vita Club et le TP Mazembe au stade Tata-Raphael de Kinshasa le 11/05/14 source : Facebook officiel TPMazembe

Légende photo 2 : Tifo du groupe Ultras Ahly lors du match de ligue des champions Al Ahly – Tusker(Kenya). Pour le grand retour des Ultras Ahlawy après la tragédie de Port Saïd le 07/04/13 source : www.ultras-tifo.net

Légende photo 3 : Illustration de la prise de position des Ultras sur le conseil supreme des froces armées, au pouvoir en egypte depuis 2011. Latuff source : latuffcartoons.wordpress.com

 

 

Data : the next frontier of Development

UntitledHow is the digital tide taking care of the digital divide? At the start of the new millennium, there was global concern that poor countries, especially in Africa, would be twice left out: economically and also technologically. Fortunately, the digital divide never became a global challenge. In fact, it is closing faster than anyone had imagined. In some parts of the developing world there are even budding signs of possible digital overtaking.

Kenya is one of few African countries driving in the fast lane. Over the past decade, it has experienced a sweeping “digital tide”. Today, Kenya has crossed the 30 million threshold of active cell phone numbers, up 29,000 from 12 years ago! Almost everyone can now afford to buy a phone, which sell for as little as Ksh 500 (or US$5) on the flourishing second hand market.break  People are also spending more on communication. in 2012, Kenyans have spent on average US$65 on communication, compared to US$45 a year ago.

Moreover, Kenya, East Africa’s powerhouse, has reached two other milestones in 2012 : 20 million users of mobile money and 15 million internet users, thanks largely to ubiquitous smart phones (see figure).

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World Bank calculations based on Communication Commission of Kenya

Now that everyone can own a phone, even in poor countries, is the mobile revolution over? Has everything that can be invented actually been invented – a claim famously associated with a commissioner of the US patent office in the 19th century?

We actually think the opposite is true: a new wave of innovation is starting, which will exploit increased connectivity to bring new solutions to old problems, including in development policy and economics. Here are three early examples of such innovation:

First is public sector accountability. In Kenya, a new service called “I Paid A Bribe” lets people expose bribery cases by reporting them online or by SMS. In less than one year, the site has reported corruption cases ‘worth’ over half a million dollars (mainly to traffic police and other government officials).“I Paid a Bribe” has helped to expose the problem publicly, which is the first step to tackling it. Similar services could also help monitor other areas of government performance such as quality of health services, teacher attendance and power services. The Kenyan government’s pioneering resolve to open-up public data at Opendata.go.ke is a good first step in making government and public services more accountable more broadly. The database is a gold-mine for developers and civil society that have already developed great uses.

Second is economic and social welfare monitoring. Previously, socio-economic data was tediously collected via paper surveys. The results were typically available to policy makers and researchers two-to-three years later when, frankly, they were often no longer relevant. In South Sudan, the National Bureau of Statistics and the World Bank have leveraged the expansion in mobile coverage to monitor how economic and social conditions are changing in near-real-time in the young nation. Last year, they conducted a monthly phone survey, with a sample of households, asking questions about their economic situation, security, outlook, and other topics.

This year, they used cellphone-enabled tablets to collect data on food security and market prices. Such high frequency, real-time data has never been available before. It is already revolutionizing how policy makers can identify problems and bring timely solutions. As Marcelo Giugale of the World Bank puts it: High-frequency data has the potential to do “to economics what genetics did to medicine”.

Third, the explosion in mobile phone and internet leaves behind ‘digital traces’ of human behavior which can help to better understand development challenges. For example, recent research by Harvard scientists using Kenya data, published in Science last month, shows how mobile phone data (tracking people’s movements) can be used to trace the spread of malaria. By conducting such monitoring in real-time, officials could for example send text message warnings to people traveling in high-risk areas and pre-position testing equipment and drugs.

There are many other examples of such use of ‘big data’ for economic, social and policy purposes. Google has demonstrated how search data can predict dengue breakouts in Brazil, India and Indonesia by monitoring how people search for dengue-related topics and symptoms. In Indonesia, the UN Global Pulse and a research firm used Twitter data to monitor food prices with surprising accuracy, finding that the way people spoke about rice on Twitter could be correlated with the actual market price of rice. As internet use increase in Africa, large amounts of digital traces will be available and useful for monitoring and tackling social problems also here.

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Google Dengue Trends

These examples are just the tip of the iceberg, with many more applications of new technology to be discovered. Traditionally, data was used and analyzed by “experts” within government and research institutions. Today, with more available (open) data, better visualization tools, and new, socially concerned IT developer communities, the universe of users is expanding fast. Groups of expert and volunteer computer programmers are making data accessible to the public, popularizing its use and finding technical solutions to real-world issues.

The digital divide is behind us. This generation’s challenge is to leverage the new “digital tide” for the public good. Some early innovations are already very promising and there will be many more to come.

An article by Wolfgang Fengler, lead economist in trade and competitiveness (World Bank)

Garantir la sécurité alimentaire en Afrique

Securite alimentaire2Le paradoxe africain est saisissant. Quinze des vingt deux économies qui ont connu la croissance la plus rapide dans le monde sont en Afrique. Et le continent lui-même affiche une croissance dépassant 5% en moyenne. Mais l’Afrique reste la région la plus vulnérable et la plus fortement soumise aux risques liés à la faim et à l’insécurité alimentaire. Pourtant les solutions ne manquent pas. Tous les chefs d’Etat africains qui se sont réunis à Malabo, dans la capitale Équato-guinéenne à l’occasion de la 23 ème session ordinaire du sommet de l’Union africaine savent parfaitement ce qu’il faut faire après les grandes déclarations. Et s’ils passaient enfin aux actes ? 

La volonté de faire de l’agriculture le moteur du développement en Afrique est encore réaffirmé. En janvier dernier déjà, lors de la 22ème session ordinaire du sommet de l’UA, une feuille de route a été adoptée par les Chefs d’Etat pour lancer formellement le plan d’action de l’année de la sécurité alimentaire. La transformation de l’agriculture africaine pour créer les conditions de la croissance et du développement durable sur le continent ne doit pas être un simple slogan politique mobilisateur. Les défis alimentaires auxquels les pays africains font face actuellement et ceux auxquels ils pourraient être confrontés dans le futur pourraient compromettre tous les progrès réalisés dans différents domaines du développement si les mesures idoines ne sont pas prises sans délai. En 2050, la population mondiale devrait passer à 9.6 milliards de personnes. Le monde aura alors besoin d’augmenter la production alimentaire de plus de 60% pour nourrir cette population. Sous l’effet d’une croissance démographique parmi les plus rapides au monde, de l’urbanisation rapide et de la croissance économique, le continent africain verra une augmentation exponentielle de ses besoins alimentaires. La demande alimentaire devrait tripler, avec une augmentation de l’ordre de 178%, alors que celle de la Chine et de l’Inde par exemple devrait augmenter respectivement de 31% et 89%. On voit donc bien que ce qui semble se présenter aujourd’hui comme un défi pourrait bien se transformer en opportunité si des politiques agricoles efficaces sont mise en œuvre dans le cadre d’une stratégie de développement fondée sur la modernisation des systèmes de production, la transformation industrielle et l’organisation des marchés. 

Chaque année, plus de 45 à 50 milliards de dollars US représentant la facture des importations alimentaires africaines sortent du continent pour enrichir d’autres pays et créer de la valeur et des emplois ailleurs. L’investissement de cette manne financière considérable dans les secteurs de production peut changer complètement le visage de l’Afrique et accélérer sa marche vers le développement économique et social durable. Face à une telle situation, on ne peut que se réjouir de l’intérêt que les Chefs d’Etat africains portent à ce dossier impératif. La prise de conscience de l’intensité du problème de l’insécurité alimentaire est la première étape pour appliquer une thérapie appropriée.
 

Pour un continent dont le premier moyen de subsistance est l’agriculture (17% du PIB), investir durablement dans ce secteur est la meilleure option pour lever le défi de l’alimentation, mais aussi celui de l’emploi, de la pauvreté rurale ou urbaine et du développement en générale. La Présidente de la Commission de l’Union Africaine, Dlamini Zuma, a affirmé que des ruptures importantes devront êtes opérées aussi bien au niveau des pays que des communautés économiques régionales pour actualiser le potentiel de l’agriculture africaine. On ne peut cependant manquer de s’interroger sur la capacité réelle des pays africains à aller au-delà des simples déclarations d’intention pour traduire leurs décisions en acte concret. La transformation économique d’un pays requiert des politiques et des actions structurées et durables, un leadership fort et engagé et des ressources souveraines pour mettre en œuvre des politiques adaptées aux besoins et conformes aux intérêts de ce pays. Or de nombreux pays africains, pour ne pas dire la majorité, n’ont ni ce leadership ni les ressources. Alors que leurs maigres ressources publiques nationales sont constamment dilapidées ou investies dans des projets peu productifs, nombre de pays africains se tournent vers l’extérieur pour trouver les moyens nécessaires au développement de l’agriculture. Les discours prononcés à Malabo ont déjà été entendus, même si de nombreux africains se sont accrochés à la lueur d’espoir qu’ils ont laissé transparaitre. A Malabo, au moment même où ils prenaient de nouveaux engagements, les Chefs d’Etat africains ont aussi constatés que très peu d’entre eux ont tenu leur engagement à consacrer au moins 10% leur budget national au secteur agricole. Moins d’une quinzaine de pays ont en effet atteint l’objectif de Maputo déterminé en 2003 dans la capitale Mozambicaine. Et la majorité de ces bons élèves sont des PMA (Burkina Faso, Niger, Guinée, Sénégal, Mali, Ethiopie, Malawi). L’évaluation de la mise en œuvre du Programme détaillé de développement de l’agriculture Africaine (PDDAA), dont l’ambition était de porter la croissance du secteur agricole à 6% par an, a aussi montré que de nombreux efforts sont encore à faire. Même si certains pays ont fini d’aligner leurs politiques agricoles nationales au PDDAA, il reste que la croissance attendue du secteur agricole est loin d’être atteinte. 

L’insécurité alimentaire et la malnutrition ne sont pas une fatalité. D’autres pays ont eu le courage de lancer une véritable révolution agricole et sont parvenus à des résultats impressionnants. La révolution verte indienne a permis à ce pays d’opérer des transformations radicales dans sa situation alimentaire alors que l’Inde faisait l’objet des projections les plus pessimistes au début des années 60. Même si les défis alimentaires restent encore très préoccupants en Inde, ce pays ne cesse de montrer que son engagement en faveur de la sécurité et la souveraineté alimentaire est plus que jamais résolu. Il suffit de voir comment l’Inde a défendu son droit « inaliénable » de recourir à des achats publics pour constituer des stocks de sécurité alimentaire lors de la Conférence ministérielle de l’OMC à Bali pour se convaincre de sa détermination. 

Plus récemment, le Brésil, grâce à l’initiative Fome Zero (faim zéro), a réussi à tirer près de 28 millions de personnes de la faim. 

Le Brésil comme source d’inspiration pour l’Afrique

Lors de la cérémonie d’investiture qui inaugurait son premier mandat à la tête du Brésil, le Président Lula affirmait son engagement à mener une guerre sans merci à la faim et à la malnutrition : « Nous allons créer les conditions nécessaires pour que chacun dans notre pays puisse manger convenablement trois fois par jour, tous les jours, sans avoir besoin de dons de quiconque. Nous devons vaincre la faim, la misère et l’exclusion sociale. C’est d’une guerre qu’il s’agit – non pas d’une guerre pour tuer, mais une guerre pour sauver des vies ». Une dizaine d’années plus tard, plusieurs dizaines de millions de Brésiliens ont été objectivement tirés des affres de la faim et de la malnutrition. Certes le Brésil ne ressemble en rien à la plupart des Etat africains et les conditions socioéconomiques de ce géant Sud américain n’ont rien à voir avec celles des pays africains. Mais ce qui reste constant, quelque soit le pays, c’est la détermination et la constance des leaders dans la poursuite des objectifs fondamentaux du développement qui peut faire la différence. Au moment du lancement de l’initiative Faim Zéro, près de 44 millions de personnes, soit près de 28% de la population, souffraient de la faim au Brésil. La politique agricole brésilienne a articulé les besoins et l’agrobusiness avec les particularités des exploitations familiales. Ces dernières fournissent 60 à 70% de l’alimentation au Brésil.

L’accès à l’alimentation a fait l’objet d’un encadrement juridique à travers la Loi nationale sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. A partir de 2010, le droit à l’alimentation a été constitutionnalisé. La mobilisation sociale et le caractère ouvert et inclusif des politiques ont permis de réunir les franges les plus représentatives de la société brésiliennes autour des initiatives gouvernementales. La reconnaissance de l’importance des exploitations familiales a permis d’en faire des réservoirs d’expérimentation d’initiatives agricoles endogènes qui ont été par la suite étendues sur de grandes échelles. La dualité du secteur agricole brésilien caractérisé par l’existence concomitante d’exploitations familiales de petite taille et d’entreprises agricoles de grande envergure a amené le gouvernement brésilien à créer un ministère pour chaque catégorie d’exploitation et d’assurer la cohérence de leurs interventions à travers une même politique agricole. Ces ministères sont épaulés par le Ministère du développement social et du combat contre la faim et tous travaillent en synergie avec une quinzaine d’autres ministère sur toutes les questions touchant la sécurité alimentaire. 

Dans de nombreux pays africains, c’est la coordination de l’action gouvernementale dans le domaine agricole et alimentaire qui est le ventre mou des politiques contre la faim. Il n’est pas rare de voir dans un même pays une panoplie de programmes et de projets exécutés par des ministères différents et qui font presque la même chose. Le chevauchement de ces programmes engendre un gaspillage de ressources et des problèmes de coordination, de suivi et d’évaluation qui réduisent la portée des résultats. Un autre défi dans ces pays est le caractère souvent « court-termiste » des politiques qui sont changées au gré des changements de gouvernement ou de Président dans les rares pays où l’alternance politique est une réalité. 

En dépit de l’engagement récurrent des Chefs d’Etat africains, peu d’entre eux ont donné un caractère constitutionnel au droit à la l’alimentation. En Afrique de l’Ouest par exemple, seuls le Niger et la Côte d’Ivoire ont atteint ce niveau. Il ne faut pas pourtant beaucoup d’efforts pour inscrire le droit à l’alimentation dans les constitutions. Certes, cela ne suffit pas pour régler le problème de la faim en Afrique. Mais ce sera déjà beaucoup plus fort que les déclarations creuses faites lors des sommets sans lendemain. 

Article proposé par notre partenaire Enda/Cacid

Youth employment in Africa : what to do when informal is normal

carriere3In low-income African countries, most people cannot afford to be unemployed. Lacking any significant safety net, 70 to 80 percent of the labor force ekes out a living by working in low-productivity, informal farms or household enterprises. Private-sector wage and salary jobs have been growing at a fairly rapid clip—at 7.3 percent a year between 1992 and 2005 in Uganda, for instance (Exhibit 1)—but this growth is from such a small base that it cannot come close to absorbing the 7 million to 10 million young people entering the labor force every year. Furthermore, some of these young people are not qualified for the wage jobs that are available. As a result, most young people will end up working in the same place as their parents—small farms or household enterprises. Taking the example of Uganda again, under optimistic assumptions about economic growth and wage-employment creation, the share of the labor force in informal activities will only fall from 79 percent today to 74 percent in 2020 (Exhibit 2). In short, informal is normal.

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Calculations by World Bank staff from household and labor-force surveys

The challenge of youth employment in Africa, therefore, is not just to create more wage and salary jobs—important as this may be—but to increase the productivity, and hence earnings, of the majority of young people who will be employed in informal farms and household enterprises. How can this be done? In general, workers’ productivity can be increased by (i) “demand-side” measures, such as better infrastructure and business climate, that lower the costs of production and thus increase the demand for labor; and (ii) “supply-side” measures that improve the skills of workers. In the case of farms, agricultural development is already geared toward increasing agricultural productivity. This will result in higher incomes but lower demand for labor in agriculture. This is how all economies develop; Africa is no exception. In the case of household enterprises (where the farm labor will move to), most are tiny—mom-and-pop or pop-and-son shops—that do not benefit from capital investment and economies of scale of larger enterprises. Small and medium enterprises that hire 5 to 20 people enjoy higher productivity. The problem is that very few of the household enterprises grow into larger ones; most remain very small or die.

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Calculations by World Bank staff from household and labor-force surveys

There appears to be greater scope for supply-side measures. People with a primary education or less are disproportionately concentrated in the informal sector. By increasing the skills of those who leave school, we can increase their productivity in farm and nonfarm household enterprises. With higher skills, new entrants can increase their earnings by moving out of the farm sector and eventually the household-enterprise sector. Such an investment will not be lost if the worker moves out of the informal sector: they can take their human capital with them.

How can the skills of these new entrants be increased? Even among students who have completed primary school, a disturbingly high share has difficulty with reading and writing. A survey in Tanzania showed that, among seventh-grade students, 20 percent could not read a sentence in Kiswahili, 30 percent could not perform a two-digit multiplication problem, and 50 percent could not read English, which is the language of instruction in secondary school. One reason for these disappointing results is that teachers in public primary schools in Tanzania are absent 23 percent of the time. When present, they spend just over two hours a day teaching. And only 11 percent of the teachers had minimal language skills. Thus, increasing informal workers’ productivity by strengthening their skills requires reforms in basic education—making teachers more accountable to students, and politicians accountable for delivering on education outcomes.

Does this mean that there should be no effort on the demand side? No. Large-scale efforts are unlikely to work, especially if workers are eventually going to move out of agriculture. But it is possible for local governments to support the growth of informal nonfarm-sector enterprises by enabling them to conduct business—rather than suppressing them for violating property rights. Increasing access to financial services would also help these capital-strapped enterprises.

Finally, what about the wage and salary sector? Jobs in factories and services will be the final destination for all workers (possibly over a generation), so the growth of this sector is clearly important. Achieving this growth will involve a multitude of efforts to raise the competitiveness of the economy, with a better investment climate and improved infrastructure the main ingredients. Programs that support matching the skills of educated workers (secondary school and university graduates) to jobs will probably not see returns as high as those produced by simply creating more formal-sector jobs.

In sum, because most young Africans will work in informal farms and household enterprises, the challenge of increasing their productivity needs to be met by first, increasing their basic skills, which they can take with them when they move to new enterprises; and second, creating jobs in the formal sector by improving the economy’s competitiveness, so that this sector can absorb more qualified workers into a productive workforce.

An article by Shantayana Devarajan,  initially published on McKinsey on Society

Football, Fifa et quotas: Le statu quo qui dérange

Je suis un grand fan de foot, je pense que cela n'aura échappé à personne, mais je suis également un observateur amusé des relations que tissent les pays, les institutions et les continents entre eux. On appelle cela pompeusement la "Géopolitique". Je souhaiterais aujourd'hui vous parler de Géofootball si vous me concédez le néologisme, inspiré que j'ai été par une jeune sœur togolaise nommée Farida Nabourema. Bonne lecture !

FIFA-logoRentrons dans le vif du sujet et partons des faits : L'Afrique et l'Asie s'imposent comme les locomotives démographiques et économiques de ce XXIème siècle à l'échelle mondiale; mais il me semble que le football ne suive pas cette tendance, ce qui est assez curieux car la prospérité démographique et économique s'accompagne très souvent d'un leadership dans des domaines culturels comme le sport de haut niveau, la gastronomie et la production artistique. Les USA ont leur Basketball et en sont les rois incontestés, les Européens ont leur Rugby et le Football qu'ils partagent avec les sud-américains mais l'Afrique et l'Asie, y compris la Chine qui brille dans les sports individuels, semblent être à la traine dans ces grands sports collectifs. S'il est évident qu'il y a un déficit d'infrastructures à combler et un retard culturel du haut niveau à corriger pour ces deux continents, il y a un autre paramètre qui ne peut plus être passé sous silence : le problème des quotas dans les grandes compétitions internationales, particulièrement pour la Coupe du Monde de football. Nous, fans de foot et amateurs observant de loin, noyons probablement le poisson du statut-quo dans les dribbles chaloupés de Messi et les coups de patte de Yaya Touré.

Faisons simple et parlons chiffres : L'Afrique (1,1 milliards d'habitants depuis 2011) et l'Asie (4,4 Milliards d'habitants) regroupent 75 % de la population mondiale. Sur 32 équipes qualifiées pour la Coupe du Monde, ces deux continents totalisent  9 équipes (5 pour l'Afrique, 4 pour l'Asie) soit à peine 28 % du total des équipes. Certes la démographie ne fait pas tout mais il y a là une curiosité qu'il est important de souligner. Pourquoi l'Europe, qui ne regroupe que 10 % de la population mondiale, a-t-elle droit à 40 % des places disponibles à la Coupe du Monde de football ? La réponse nous est donnée par la toute puissante Fifa. Selon l'instance suprême du football mondial dont le siège se trouve à Zurich en Suisse, si l'Afrique n'a pas davantage de places disponibles pour le Mondial, c'est parce qu'elle n'a pas eu de résultats satisfaisants lors des dernières éditions. Logique non ? Disons oui et non. Oui cela est logique car il s'agit là du mode de sélection de tous les sports de haut niveau, qui, rappelons-le, sont aussi des spectacles médiatiques pour le grand public. Les équipes, et ici les continents, se voient attribuer des coefficients liés à leurs performances les plus récentes dans la compétition. En procédant de la sorte, on est à peu près sûr de garantir le retour des meilleurs joueurs et des meilleures équipes afin d'assurer le spectacle. Il ne faut quand même pas déconner : une coupe du monde sans la crête et le sourire de Neymar ou les jolis abdos de Cristiano Ronaldo interesserait à peine 50 % de la population mondiale…N'est-ce pas Mesdames ?

Mais, puisqu'il en faut toujours un, ce système de désignation des quotas basé uniquement sur les performances passées présente des limites évidentes, surtout pour la Coupe du Monde de football. En effet, bien qu'étant avant tout une compétition sportive d'un niveau très élevé, la Coupe du Monde est également une fête mondiale, un spectacle auquel la quasi totalité des terriens ayant accès à une télé consacre un mois entier tous les 4 ans. On estime que 2,2 Milliards de téléspectateurs étaient devant Brésil-Croatie, le match d'ouverture de ce Mondial 2014 et que ce chiffre montera à 3 Milliards pour tout le mondial. Or le jeu de l'audience et de la publicité fait de cet événement une véritable poule aux oeufs d'or pour la Fifa, organisatrice de la compétition et qui vend les droits de diffusion aux TV, Radios et plateformes mobiles du monde entier. La preuve, toujours en chiffres : De 40 Milliards de FCFA (60 M€) en 1990, les droits TV ont progressivement grimpé à, tenez-vous bien, 2100 Milliards FCFA pour cette édition 2014 au Brésil ! En 2010 en Afrique du Sud, la FIFA a gagné 1200 Milliards de FCFA, ce qui représentait 87% de ses revenus entre 2007 et 2010.[1] La FIFA vit, et vit bien, grâce à la Coupe du Monde.

mondial-2014_bresilVous commencez maintenant à voir là où je veux en venir : Si la Coupe du Monde rapporte autant d'argent à la FIFA grâce aux gens qui regardent et que 75 % des habitants de la planète sont africains et asiatiques…pourquoi ces deux continents devraient-ils continuer à accepter d'être des minorités visibles dans cette grande messe du football mondial alors que c'est eux qui fournissent la grande majorité des téléspectateurs ? Moi qui croyais que le client était roi et que les actionnaires avaient toujours raison… Si l'on ajoute à cela le fait qu'il y a de plus en plus de stars africaines et asiatiques depuis le début des années 90 (Ayew, Weah, Etoo, Drogba, Essien, Diouf, Touré, Nakata, Ji Sung Park, Nakamura, Kagawa) ajouté aux belles performances des pays de ces continents (Corée 2002, Senegal 2002 et Ghana 2010 par exemple), il apparaît alors urgent de corriger l'équilibre actuel qui est largement en faveur des nations européennes, et ce, pour des raisons évidemment historiques. Le monde a beaucoup changé depuis quelques décennies et le football, qui fait partie du monde malgré les sensations irréelles qu'il procure, doit également changer. Je doute en outre que l'Egypte, championne d'Afrique en 2006, 2008 et 2010, éliminée en barrages de la zone Afrique par le Ghana, soit moins forte que la redoutable équipe de Grèce…Enfin, et de manière plus terre à terre, si vous n’êtes que 5 sur 32, vos chances de vous qualifier ne serait-ce que pour les quarts de finale, sont statistiquement faibles et c'est le cercle vicieux qui s’enclenche : vous performez moins car vos chances de le faire sont faibles, votre quota n’augmente pas et il vous sera difficile de performer à la prochaine édition. Xalass !

Quelles solutions : Il est évident que les pays africains doivent améliorer leurs résultats en Coupe du Monde comme les pays sud-américains qui ont de bons résultats malgré un quota similaire (5 places + 3 places en Amérique Centrale). Pour cela il faut améliorer sinon ancrer la culture du haut niveau, éviter des grèves pour des primes (n’est-ce pas Messieurs les lions indomptables…), investir dans la formation des jeunes, développer les championnats africains locaux, impliquer les investisseurs privés du continent, bâtir des infrastructures de haut standing . MAIS il faut également ne plus se laisser marcher dessus et faire une chose : taper du poing sur la table. Si l’Asie peut faire valoir son nombre énorme de téléspectateurs, l’Afrique, qui n’est pas aussi bien lotie en termes de pénétration TV, peut néanmoins s’appuyer sur ses nombreuses fédérations de football qui sont 55 et forment la plus grande colonie continentale sur les 209 fédérations qui composent la FIFA. L'élection du Président de la FIFA qui se tient tous les 4 ans avec un prochain scrutin en 2015 en constitue une opportunité pour se faire entendre…

Sepp Blatter, 78 ans, Président depuis 16 ans et candidat déclaré à sa propre réélection, aura forcément besoin des voix africaines pour gagner, surtout s’il fait face au français Michel Platini, ancienne gloire du football mondial et actuel Président de l’UEFA. Basée sur le principe « un pays – une voix » comme à l’ONU, l’élection du Président de la FIFA dépend en grande partie du choix des pays africains. En haussant le ton auprès de la FIFA et avertissant les candidats qu’ils ne voteraient qu’en faveur d’une hausse du nombre de places qui leur sont attribués, il y a fort à parier que les pays africains auront gain de cause. Un objectif raisonnable serait de réclamer 7 places dans un 1er temps et de monter à 10 candidats en 2023, en esperant qu'une ou plusieurs équipes africaines brillent en 2014 au Brésil, en 2018 en Russie ou en 2022 au Qatar. Mais enfin…pour arriver à faire pencher la balance, il faudra que les pays africains parlent d’une seule et même voix, divisés qu’ils sont par l’immortel geyser de lumière Issa Hayatou 1er, 67 ans et inamovible Président de la CAF depuis 27 ans. Il faut néanmoins reconnaitre que le camerounais, surfant sur la vague des réformes de la FIFA destinées à augmenter le nombre de pays participant à la Coupe du Monde, a su faire passer le quota de pays africains qualifiés de 2 à 5 pays. Mais cela ne nous suffit désormais plus car un continent si bouillant, si riche et si jeune doit s’imposer partout, en géopolitique comme en géofootball.

Il est grand temps que la Coupe du Monde soit aussi la coupe de tout le monde.

Fary Ndao

La démocratie de l’angoisse (2ème partie)

Dr. Gilles Olakounlé Yabi est consultant indépendant sur les questions de conflits, de sécurité et de gouvernance en Afrique de l'Ouest. Il était auparavant directeur du projet Afrique de l'Ouest du think-tank International Crisis Group. Cet article a initialement été publié sur le site d'African Futures et sur son blog (http://gillesyabi.blogspot.com). Nous le republions ici avec son accord.  

JPG_Elections180614Dans la première partie de cet article, l’auteur a décrit le contexte politique dans lequel se dérouleront les élections présidentielles dans les six pays d’Afrique de l’Ouest concernés par ces scrutins souvent à haut risque cette année et en 2015. Il a examiné en particulier l’intensité anticipée de la compétition électorale dans chacun des pays, un des trois éléments d’appréciation des risques de violence. Dans cette deuxième partie, il s’interroge sur le contexte sécuritaire actuel des différents pays et sur l’environnement institutionnel qui devra encadrer les processus électoraux.

 

Lorsqu’on s’intéresse au contexte sécuritaire général, un deuxième élément d’appréciation capital pour une analyse approximative des risques liés aux élections présidentielles à venir, il n’y a pas de quoi être rassuré. Parmi les déterminants principaux du contexte sécuritaire, on peut s’appesantir sur l’existence ou non dans le pays de groupes armés rebelles ou ex-rebelles, le degré de contrôle politique et d’intégrité professionnelle des forces de sécurité et des forces armées, le niveau d’alignement des affinités politiques avec l’appartenance ethnique et régionale, les conditions pacifiques ou non des élections présidentielles les plus récentes ainsi que l’ampleur et la forme de l’implication politique et/ou sécuritaire d’acteurs extérieurs importants.

Le Nigeria apparaît sans conteste comme l’environnement sécuritaire le plus fragile. L’élection de 2015 va se dérouler dans un pays déjà aux prises avec le groupe terroriste Boko Haram au Nord-Est, un pays qui abrite également des groupes armés organisés dans le Delta du Niger aussi prompts à soutenir politiquement qu’à exercer des pressions sur le président Jonathan lui-même issu de cette région du South-South, et un pays qui connaît des niveaux élevés de violence combinant des dimensions politiques, économiques, ethniques et religieuses dans le Middle Belt (centre du pays) et ailleurs sur le territoire. La fédération nigériane est aussi habituée à des lendemains d’élection meurtriers, comme ce fut le cas en 2011, alors même que le scrutin avait été jugé mieux organisé et plus crédible que tous les précédents.

Plus de 800 personnes avaient été tuées en trois jours d’émeutes et de furie dans douze Etats du nord de la fédération, l’élément déclencheur ayant été la défaite du candidat nordiste Muhammadu Buhari face à Jonathan. Le Nigeria n’avait pas besoin du terrorisme de Boko Haram pour atteindre de tels niveaux de violences mettant aux prises des concitoyens entre eux, avec certes une dose de spontanéité mais aussi un degré certain de préparation des esprits à la violence par des entrepreneurs politico-ethniques et des extrémistes religieux. Dans la perspective de 2015, le chantage à la violence a déjà commencé dans le pays, animé aussi bien par des groupes de militants du « si Jonathan n’est pas réélu, ce sera le chaos » que par ceux du « si Jonathan est réélu, ce sera le chaos ». Quand on ajoute à cette préparation mentale le très faible degré de confiance des populations nigérianes dans l’intégrité et le professionnalisme des forces de sécurité, la crainte d’un sombre début d’année 2015 dans la grande puissance de l’Afrique de l’Ouest paraît fort légitime.

La Guinée, du fait du prolongement ethno-régional de la polarisation politique et du passif de violences, est également très fragile du point de vue sécuritaire. Il convient de reconnaître les progrès indéniables qui ont été faits sous la présidence Condé dans la réforme du secteur de la sécurité qui se traduit par une amélioration de la capacité des forces de l’ordre à contenir des manifestations de rue sans tuer en une seule journée plusieurs dizaines de personnes. Ce n’est plus l’époque de Lansana Conté ou celle de Dadis Camara mais on n’est encore très loin d’un comportement exemplaire des forces de sécurité et d’une neutralité politique des responsables du maintien de l’ordre et de la haute administration territoriale. Les différentes manifestations qui avaient rythmé la longue et difficile marche vers les élections législatives de septembre dernier s’étaient tout de même traduites par des violences parfois meurtrières. On peut déjà anticiper un face-à-face explosif entre manifestants de l’opposition et forces de sécurité lorsque sera engagé le processus menant à l’élection présidentielle.

Le contexte sécuritaire n’est pas particulièrement rassurant non plus en Guinée Bissau et en Côte d’Ivoire. Dans le premier pays, les chefs de l’armée se sont toujours considérés autonomes par rapport au pouvoir politique civil et on parle de réforme du secteur de la sécurité depuis une dizaine d’années sans avoir jamais réussi à l’enclencher. En Côte d’Ivoire, des efforts significatifs ont été faits pour gérer les conséquences catastrophiques du conflit armé postélectoral de 2011, mais il faudra encore quelques années pour doter le pays de forces de défense et de sécurité cohérentes, efficaces et politiquement neutres. L’héritage difficile des années de rébellion et de conflit risque de peser lourdement dans l’environnement sécuritaire et les développements politiques… après l’élection de 2015. Aussi bien en Guinée Bissau qu’en Côte d’Ivoire, la présence d’acteurs extérieurs mandatés pour le maintien de la paix, la mission militaire de la CEDEAO (ECOMIB) et l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) respectivement, est un facteur d’apaisement relatif.

Le positionnement politique des forces de défense et de sécurité et le maintien de leur unité sont des éléments d’incertitude qui pèsent sur le contexte sécuritaire au Burkina Faso qui a connu de violentes mutineries en 2011. Impossible de savoir comment l’armée burkinabè et les différentes générations qui la composent vivent actuellement la situation inédite d’incertitude politique sur l’après 2015. Les hauts responsables militaires dont beaucoup ont été nommés au lendemain des mutineries de 2011 pour reprendre en main ce pilier essentiel du pouvoir de Compaoré considèrent-ils leur sort lié au maintien de ce dernier au palais présidentiel après 2015 ? Comment les officiers les plus proches du président qui l’ont accompagné depuis les premières années d’un régime alors très brutal appréhendent-ils l’avenir ? Beaucoup de questions et peu de réponses, ce qui ne devrait pas atténuer l’angoisse des Burkinabè et de nombre de leurs voisins ouest-africains. Au Togo, la question du positionnement politique des forces de sécurité et de l’armée se pose beaucoup moins : le verrouillage sécuritaire par le pouvoir de Lomé semble résister à l’usure du temps.

Il convient enfin de s’interroger sur le cadre institutionnel dans lequel se dérouleront les scrutins présidentiels dans les différents pays. Ce cadre désigne ici l’ensemble des règles, procédures, institutions qui sont mobilisées du début à la fin du processus électoral et qui jouent un rôle déterminant dans la crédibilité des scrutins, en particulier celle des résultats définitifs qui désignent le vainqueur. Si la crédibilité du processus électoral n’est pas une garantie d’absence de crise et de violences, la perception d’un déficit important de crédibilité est quasiment toujours un déclencheur de troubles. De plus, lorsque l’élection présidentielle se passe dans un pays dont l’environnement sécuritaire est déjà fragile et dans le contexte d’une intense compétition pour le pouvoir, la crédibilité du cadre institutionnel régentant l’élection peut être décisive pour sauver le pays d’un basculement quasiment certain dans une crise postélectorale.

Il ne faudra pas trop compter sur cela. Partout, les dispositions des lois électorales, les conditions d’établissement des fichiers d’électeurs, la neutralité politique et la compétence technique des institutions chargées d’organiser les élections et d’examiner les éventuels recours font l’objet de controverses. Aucun des pays concerné par une élection présidentielle en 2014 ou 2015 n’est un modèle dans la région en matière d’organisation de scrutins libres, transparents et crédibles. Certains ont accompli, à l’instar du Nigeria, des progrès notables en la matière au cours des dernières années, mais ils sont tous encore loin, bien loin, des modèles en Afrique de l’Ouest que sont le Ghana, le Cap-Vert et le Sénégal où des commissions électorales et/ou d’autres dispositifs et institutions ont su gérer et crédibiliser des élections parfois très compétitives.

Au Nigeria, nombre de réformes qui avaient été recommandées par les experts au lendemain des élections générales de 2011, certes mieux organisées que les précédentes, pour corriger les plus graves failles du système n’ont pas été mises en œuvre. En Guinée, il a fallu des médiations, une forte implication technique internationale et un accord politique âprement négocié pour arriver à organiser des élections législatives en septembre 2013. La liste des tâches à accomplir pour rendre le dispositif électoral plus crédible pour la présidentielle de 2015 est très longue. Elle comprend l’établissement d’un nouveau fichier électoral et la mise en place d’une institution cruciale comme la Cour constitutionnelle qui doit remplacer la Cour suprême dans le rôle de juge ultime du contentieux électoral. Même en Côte d’Ivoire, où l’actuel président avait promis une révision de la Constitution, rien n’a été fait pour fermer la page des dispositions spéciales issues des accords de paix et doter le pays d’un nouveau cadre électoral et d’un mode de composition de la commission électorale indépendante susceptible de créer davantage de confiance de la part de tous les acteurs politiques.

On ne peut, en guise de conclusion, que donner raison aux citoyens d’Afrique de l’Ouest déjà angoissés à l’approche des échéances électorales à venir. Lorsqu’on prend en compte simultanément les trois éléments d’appréciation, aucun des pays ne sera à l’abri de tensions fortes susceptibles de dégénérer en violences plus ou moins graves. En prenant le risque de se tromper, – qui peut vraiment prévoir tous les scénarios possibles dans chacun de ces pays plusieurs mois avant les différents scrutins ? -, il est raisonnable de classer le Nigeria et la Guinée dans une catégorie de pays à très haut risque, le Burkina Faso dans une catégorie de pays à haut risque et la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire et le Togo dans une catégorie de pays à risque modéré, ce qualificatif ne voulant surtout pas dire « faible » ou « inexistant ».

Les élections calamiteuses ne sont pas cependant des catastrophes naturelles imprévisibles et inévitables. Les citoyens de chacun des pays concernés, la CEDEAO et les acteurs internationaux importants ont les moyens de dompter l’angoisse par une forte mobilisation pour prévenir des crises violentes. Mais il y a aussi un risque à appréhender les élections uniquement ou principalement comme des moments de danger d’implosion des Etats, et à ne rechercher que des élections sans violence. Cela revient souvent, pour les organisations régionales et internationales, à préférer la manipulation des processus électoraux au profit du camp le plus puissant, et donc le plus à même de provoquer le chaos en cas de défaite, à des scrutins réellement ouverts à l’issue incertaine. Le risque est celui d’oublier et de faire oublier à quoi devraient servir les rituels électoraux dans des démocraties jeunes et fragiles : à ancrer petit à petit une culture démocratique dans la société. Si les populations doivent continuer à aller voter tous les quatre ou cinq ans, la peur au ventre, c’est l’adhésion populaire à l’idéal démocratique en Afrique de l’Ouest qui finira par être menacée.

Dr. Gilles Yabi