En dépit d’une forte croissance économique au cours des dernières années et des perspectives optimistes, l’Afrique continue de faire face à des défis majeurs de réduction de la pauvreté et de lutte contre les inégalités que seule une croissance inclusive aidera à relever.
Une forte croissance économique au cours des dernières années
Rompant avec la morosité économique des décennies 1980 et 1990, l’Afrique a enregistré au cours de la dernière décennie un redressement économique significatif qui s’est traduit par une forte croissance de son PIB. Celui-ci a augmenté de 5,2% en moyenne entre 2001 et 2010 sur l’ensemble du continent. Sur cette période, l’Afrique a été, avec la Chine et l’Amérique latine, l’une des régions du monde ayant enregistré la croissance économique la plus significative.
Taux de croissance du PIB (en %) entre 2001 et 2013
Source : Les perspectives Economiques de l’Afrique, 2012, BAD, OCDE, PNUD, CEA
Si la croissance du continent a été affectée en 2009 par la crise économique et en 2011 par les troubles politiques en Afrique du Nord, les perspectives restent intéressantes avec une croissance qui devrait atteindre 4,5% en 2012 et 4,8% en 2013. Ce regain de dynamisme devrait être sous-tendu par la reprise économique en Afrique du Nord et par une croissance moyenne structurellement supérieure à 5,5% en Afrique subsaharienne.
Allant dans ce sens, la plupart des études s’accordent d’ailleurs à relever que l’Afrique des 50 prochaines années sera une Afrique de forte croissance dans le sillage de la décennie 2000 comme l’a souligné Tite Yokossi dans un article paru sur Terangaweb-l’Afrique des Idées.
Des enjeux persistants de réduction de la pauvreté et de lutte contre les inégalités
En dépit de la croissance économique enregistrée en Afrique au cours des dernières années et des perspectives optimistes, le continent continue de faire face à des enjeux majeurs de réduction de la pauvreté avec près de la moitié de sa population vivant en deçà du seuil de pauvreté.
Selon les données de la Banque Mondiale, le ratio de la population pauvre disposant de moins de 1,25 dollar par jour s’élevait encore à 47,5% en Afrique subsaharienne en 2008. Ce ratio atteint même 69,2% en ce qui concerne la population disposant de moins de 2 dollars par jour. A cet égard, la croissance économique de la dernière décennie s’est avérée en partie inefficace du point de vue de la réduction de la pauvreté. L’Afrique a en effet eu un processus de croissance qui a manqué de créer des emplois adéquats et des opportunités pour la majorité des populations.
Qui plus est, cette croissance, en restant cantonnée à certaines sphères, a accentué les inégalités de toutes sortes :
– de secteurs d’activités : dans certains pays, la croissance a été essentiellement portée par les secteurs des ressources minières, des télécommunications, des services financiers et du commerce, sans que cette croissance n’ait concerné des secteurs structurants telle que l’agriculture qui concerne souvent un large segment de la population ;
– d’accès aux opportunités économiques : les opportunités économiques générées par la croissance de la dernière décennie ont été, dans certains pays, essentiellement saisies par de grandes entreprises sans un essor significatif des petites structures du secteur privé telles que les micros, petites et moyennes entreprises et sans un accroissement considérable de leur savoir-faire, ni de la création d’emplois productifs locaux ;
– de territoires : la croissance a surtout bénéficié aux grandes villes africaines alors qu’une bonne partie de la population continue à vivre en milieu rural ; de surcroît, les disparités régionales en termes de développement sont souvent accentuées par l’insuffisance des infrastructures ;
– de classe d’âge : les 200 millions de jeunes, âgés entre 15 et 24 ans, constituent la classe d’âge la plus affectée par la pauvreté et le chômage. Selon la BAD, près de 70% des jeunes vivent avec moins de 2 dollars par jour ; quant à leur taux de chômage, il atteint dans plusieurs pays le double de celui des adultes ;
– de genre : en dépit des efforts faits au cours des dernières années, de fortes disparités entre les hommes et les femmes persistent dans plusieurs domaines comme l’accès à l’éducation, à la santé et aux opportunités économiques.
Certes, la croissance en elle-même constitue une condition sine qua non pour la réduction de la pauvreté. On estime ainsi qu’en moyenne un point de pourcentage de croissance supplémentaire entraîne un recul approximatif de la pauvreté de 1.5% (Fosu, 2011, cité dans les Perspectives Economiques de l’Afrique, 2012). Toutefois, pour que cette croissance ait un impact plus marqué sur la réduction de la pauvreté en Afrique, il est tout aussi nécessaire qu’elle inclut davantage de segments de la population et qu’elle ne soit pas un facteur d’accroissement des inégalités. Dans un autre article paru sur Terangaweb-l’Afrique des Idées, Georges Vivien Houngbonon insistait notamment sur la nécessité de réduire les inégalités pour booster le développement de l’Afrique. L’auteur y soulignait notamment le fait que « le taux de réduction de la pauvreté soit lié quadratiquement au niveau des inégalités et linéairement au taux de croissance du PIB. Ainsi, un niveau élevé d’inégalité requiert plus de croissance du PIB pour une même réduction de la pauvreté. »
Vers une croissance inclusive
La croissance inclusive constitue une nouvelle orientation à donner au développement économique en Afrique. L’enjeu est de générer une croissance économique qui offre davantage de possibilités de développement socio-économique au plus grand nombre de personnes, avec une attention particulière aux groupes vulnérables. Il s’agit de mettre l’accent non seulement sur le taux de croissance mais encore sur le type de croissance. La croissance inclusive peut ainsi s’articuler autour de trois axes : une croissance reposant sur une base large d’acteurs, une forte création d’emplois productifs, une attention portée aux groupes défavorisés (jeunes, femmes, populations rurales).
Cette nouvelle vision de la croissance est d’ailleurs confortée par les troubles politiques des deux dernières années en Afrique du Nord et dans certains pays d’Afrique subsaharienne qui confirment que les situations d’inégalités au niveau de la croissance sont de plus en plus intenables.
La croissance, telle qu’est s’est réalisée au cours de la dernière décennie, constitue à cet égard autant un facteur de risque pour la stabilité qu’une opportunité. De ce fait, la croissance inclusive se révèle non seulement comme un défi de développement à long terme, mais aussi un enjeu politique immédiat dont on ne saurait faire l’économie.
Nicolas Simel
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L'article synthétise très bien les enjeux que soulève la question de la croissance, dans le monde mais plus particulièrement en Afrique. Reste à savoir comment concrètement promouvoir cette croissance inclusive. Tu avances la piste d'augmenter la productivité de l'agriculture, et c'est incontestablement un chantier prioritaire. Sachant toutefois que cette augmentation de productivité veut aussi dire souvent réduction du nombre de personnes travaillant dans ce secteur. Un autre levier important, à mon sens, c'est la construction des infrastructures. Elles sont nécessaires au développement de l'Afrique, il y a des besoins énormes, et pour peu qu'on réussisse à mobiliser les moyens nécessaires, il va y avoir dans les années à venir de grands chantiers intensifs en main d'oeuvre. Le défi sera de faire en sorte que cette main d'oeuvre soit africaine et pas européenne ou chinoise, et que les chantiers s'appuient sur les compétences d'entreprises locales, qui existent et qui peuvent bien entendu être étendues et développés.
Merci Lirashe.
Sur la productivité dans le secteur agricole, oui son amélioration veut en partie dire baisse des effectfs mais en termes d'emplois, ce qu'on perd d'un côté on peut largement le gagner de l'autre. En fait le secteur agricole a longuement souffert d’une négligence de la chaine de valeur ayant débouché sur une double conséquence : d’une part un manque à gagner considérable de valeur ajoutée et d’autre part des pertes significatives de possibilités d’emplois pour les populations locales.
Un des enjeux clés du secteur agricole réside dans l’adoption d’une approche axée sur la chaine de valeur qui doit être sous-tendue par davantage d’intégration aussi bien en amont qu’en aval de la production agricole. Cela permettrait de mieux intégrer les petits producteurs aux grandes sociétés de l’agro-industrie, de leur faire bénéficier d’un savoir-faire pour accroitre leur productivité, de développer les activités de transformation au niveau local pour créer davantage de valeur ajoutée, de mettre en place d’autres activités annexes pour favoriser la création d’emplois locaux diversifiés et durables.
Je partage aussi ton avis sur les infrastructures, mais là encore l'enjeu de la croissance inclusive est de faire en sorte que les grands projets d'investissement ne bénéficient pas uniquement aux groupes internationaux mais qu'on puisse structurer autour d'eux des tissus locaux de sous traitants industriels (PME et TPE notamment) et qu'on puisse développer de petites structures de services (hébergement, restauration, commerce, etc.)…
Très bel article. Cependant les commentaires sur les travaux d'infrastructures me laissent un peu perplexe. Pourquoi dans ces projets, les travaux à réserver aux entreprises locales sont ceux qui nécessitent beaucoup de main d'oeuvre c'est à dire ceux à faible valeur ajoutée? Pourquoi devrions nous structurer, pour nos grands projets d'infrastructures, autour des grands groupes internationaux des tissus locaux de sous traitants? Je pense qu'il est impératif que nous fassions confiance aux compétences intellectuelles locales et aux entreprises industrielles locales. Ce sont ces dernières qui doivent être les pivots autour desquels devons graviter si besoin des groupes internationaux pour des besoins précis. c'est seulement ainsi qu'on pourra avoir aussi des grands groupes africains d'ingéniérie, de bâtiments, …
Le concept de croissance inclusive est la solution mondiale pour resoudre le problème de pauvreté.Mais alors ,quelles stratégies pour mettre en place la politique socio-économique.
Le continent Africain a besoin de cette croissance inclusive et devrait profiter tant qu'il est en pleine croissance économique