Occuper l’espace. Ce sont les mots de l’écrivain malgache. Ils ont un sens évident quand je prends mon RER avec le coffret intitulé Enlacement(s). Un peu encombrant. Si c’est le cas pour le passager que je suis, j’imagine la problématique pour un libraire où justement l’occupation de la surface est comptée au millimètre carré. Sourire. C’est un choix qu’assume Raharimanana.
Ce coffret comprend trois volets d’une œuvre jouant sur plusieurs genres littéraires et artistiques. La poésie. Le théâtre. Le chant. La prose. La danse. Bref, un texte inclassable. Un peu comme Les cauchemars du gecko, sa précédente parution. J’ai pris là encore le temps de m’imprégner des différents volets de ce projet. Des ruines : Prologue pour une résidence littéraire. Obscena : Pour voix et chorégraphie. Il n’y a plus de pays : Pour chant et murmures. Afin de comprendre et faire une bonne lecture de ces textes, il est important de prendre en compte ces paramètres de la création de l’homme de lettres malgache et en fonction de la latitude du lecteur, se mettre en situation.
Des ruines
Le premier volet de ce triptyque pourrait être interprété comme un état des lieux des ruines à partir desquelles il serait possible de reconstruire quelque chose. Ruines de l’écrivain, ruines qu’il observe faites de terres razziées, de sous sols pillés, de corps souillés. Morceaux choisis :
« J’écris pour le vide. J’écris pour un futur. J’écris pour un monde d’espérance. Et ce n’est que cela : l’espérance, la possibilité d’être ou de ne pas être. »
L’écrivain pose la question de l’œuvre littéraire et de la réception qui en est faite. En particulier, quand l’esthétique suffit à satisfaire le lecteur sans que le cri de l’enfant suicide ne soit entendu, perçu. La poésie est applaudie, la douleur évacuée. Explorer les ruines, c’est revenir sur le passé. Forcément violent puisqu’il ne semble n’en rester rien. Il y a également cette assignation à penser le futur et à dépasser ce passé. Mais celui-ci conditionne bien les actes d’aujourd’hui. Comment ne pas questionner une mémoire faite d’esclavage, de traite négrière, de colonisation, de dictature quand cet héritage écrase le quotidien. D’ailleurs en tenter l’exploration semble impossible, tellement l’enrayement des actes est ancré, passé la lettre « B » est insurmontable. Posture indélicate de l’écrivain.
Obscena
C’est un volet plus charnel. Pour voix et chorégraphie. Les séquences sont plus courtes. Ciselées. Les mots sont plus crus. Les scènes mises en danse plus obscènes. Le poète met des mots sur le viol, l’intime pénétré de la femme, de la mère. Parler de l’obscène. Mais aussi prendre de la distance :
« Mais l’enfant est autiste, je me paralyse au bord de la mémoire, les douleurs ont fermé sa gorge, ma révolte, ma haine, mon refus de lier ma vie à celle fracassée de mes pères, mère, est-ce vie de n’écrire que leur temps de mort et de défaite, celle des vies à dévorer les douleurs et à ingurgiter les malheurs que tous se sont ingéniés à méconnaitre ? Mais l’enfant est autiste et me rentre à la gorge la lâcheté à laquelle j’aspire, l’oubliJe. N’oubliez pas, viens du sud, je. »
L’enfant est autiste. Raharimanana travaille sur la mémoire. Il est important d’inscrire ce triptyque comme un prolongement de l’écriture de Nour, 1947, Portraits d’insurgés 1947, Madagascar 1947. Alors que le silence enfouissait des pans entiers de la mémoire malgache, dire l’histoire est important, mieux c’est une préoccupation. Dire les violences subies, intériorisées, oubliées ou ignorées est essentiel. C’est un sacerdoce. Le poète affirme le fait qu’il n’a pas le choix. Y a-t-il de la prétention dans sa posture ? L’écrivain a pris la plume parce qu’un jour un adolescent sans espoir a décidé de résister ou de disparaitre. Anecdote.
Est-il utile de parler du troisième volet qui évoque la mère ? J’ai trop parlé. Il n’y a plus de pays. Chacun trouvera une part de soi, de son pays dans les mots de Raharimanana. Un texte difficile. Qu’il faut parfois lire, murmurer, chanter pour l’entendre. Des volets qui s’entrelacent et qui ont l’ambition d’occuper un espace. Faisons lui de la place.
Lareus Gangoueus
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