L’affaire Petro-Tim : Pour un usage des voies de droit au Sénégal

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Le Sénégal est un pays où les voies de droit sont peu utilisées par les citoyens pour résoudre leurs problèmes. Qu’il s’agisse de litiges entre particuliers ou de différends opposant les citoyens aux institutions, le recours est beaucoup plus prompt à l’endroit des médias ou autres canaux publics. Or, l’espace public ne devrait pas être le lieu de résolution des affaires publiques. Cela est peut-être dû à la place que ces médias ont dans la vie démocratique (radios, télés, presse écrite) mais une nation qui se targue de sa vitalité démocratique doit en premier lieu prouver l’efficacité de ses voies de droit. L’importance des affaires portées sur la place publique alors qu’elles concernent précisément  des différends à portée juridique dont les tribunaux doivent être saisis est un déficit de démocratie.

En témoigne l’affaire Petrotim/Arcelor Mittal, qui est devenue un imbroglio où des affaires distinctes sont portées dans l’espace public alors qu’elles concernent des institutions importantes de l’Etat. Il y a dans cette affaire un méli-mélo d’accusations (conflit d’intérêts, corruption, détournement de deniers publics) faites au meeting du Parti démocratique sénégalais (PDS, le principal parti d’opposition) tenu le 21 novembre 2014. L’ancien Président Abdoulaye Wade (2000-12) a tout simplement « joint » deux litiges différents : celui opposant la société Mittal (devenue ArcelorMittal) à l’État sénégalais, et un autre litige dans lequel est cité Aliou Sall, le frère de l’actuel Président Macky Sall (2012-).  Aliou Sall est accusé d’avoir usé de ses relations et de sa fonction diplomatique de l’époque dans un contrat où Petro-Tim Limited (devenue Timis Corporation), une compagnie pétrolière de l’homme d’affaires roumain Frank Timis est privilégié, et même d’avoir touché des rétro-commissions, pendant que beaucoup d’argent public aurait été versé dans les comptes d’avocats personnels du chef de l’État. Ces accusations taisent plusieurs faits essentiels pour comprendre le dossier :

  1. Le fait qu’Aliou Sall a agi en qualité d’agent de l’Etat sénégalais en poste à Pékin ;
  2. Le fait que des avocats personnels d’un chef de l’Etat peuvent agir en qualité du chef de l’Etat intuitu personae et recevoir leurs honoraires sur un compte ouvert à cet effet ;
  3. Le fait qu’ArcelorMittal, s’étant retiré du contrat qui le liait à l’État du Sénégal pour l’exploitation de gisements miniers dans l’est du pays, a versé des dommages-intérêts à l’État après une décision du tribunal arbitral de Paris ;
  4. Le fait que c’est le régime d’Abdoulaye Wade qui a causé ce préjudice de l’État envers Mittal

Le flou qui a entouré la présentation de l’affaire Petro-Tim ces dernières semaines a donné l’impression qu’il y a eu « beaucoup de précipitation au début et peu de clarté à la fin », pour citer l’ancien ministre Alioune Badara Cissé. Mais lorsqu’elle a été examinée de façon sérieuse, les autorités sénégalaises ont eu vite fait de démontrer que le flou a été volontairement entretenu par Wade. Cette tentative de semer la confusion dans l’esprit des citoyens et, comme fréquemment, de divertir l’opinion par des sujets polémistes, ne va pas dans le sens de l’apaisement de la vie publique.

Car l’espace public n’est pas le lieu où les affaires d’une telle portée juridique doivent être résolues. Ce n’est bon ni pour la quiétude de l’opinion publique, ni pour l’exécution des programmes publics, ni pour le bon fonctionnement des institutions. Pour cette affaire, comme pour tant d’autres, les Sénégalais devraient se tourner vers les cours et tribunaux  pour éviter la pollution du débat public. Le débat politique doit porter sur les programmes économiques, l’opportunité des choix opérés, et non sur une lutte entre clans destinés à « détruire » des politiciens pour les intérêts d’une famille. Crier sous tous les toits qu’on détient des preuves et disséminer des rumeurs sans fondement ne sert pas la stabilité des institutions dont se targue le Sénégal. Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux : le porter devant les tribunaux dans un pays où la justice est garantie ainsi que les droits. C’est valable pour cette affaire comme pour beaucoup d’autres qui faussent le débat démocratique.

Sauf à remettre en question l’indépendance des tribunaux ou la sécurité du système judiciaire, ce qui serait troublant pour des personnalités politiques qui étaient en fonction jusqu’il y a peu, il y a un danger à consacrer des meetings politiques à porter ces accusations devant le tribunal de l’opinion. Le système judiciaire sénégalais permet à tout citoyen d’attaquer les autorités administratives, y compris l’Etat, les collectivités décentralisées et les entreprises publiques : garantie constitutionnelle. Les actes des personnes morales de droit public peuvent être attaqués devant la Cour suprême et, même si les délais sont réduits, il y a toujours possibilité de provoquer une décision implicite de rejet (silence de l’administration après une requête). Et lorsqu’on estime que ce sont des actes non administratifs, il y a toujours les tribunaux régionaux et cours d’appels qui sont compétents. Mieux, le règlement non juridictionnel est possible (Médiateur de la République, Parlement, etc.).

Il est dommage que les tribunaux soient submergés presqu’exclusivement de différends liés aux mœurs (vol, viol, agressions, escroquerie) et très rarement saisis pour des questions de gouvernance. Beaucoup d’hommes politiques préfèrent s’exprimer devant les médias et devant les militants pour invectiver leurs adversaires au lieu d’agir avec responsabilité en utilisant les tribunaux du pays, alors même qu’ils ne manquent pas de moyens pour commettre des avocats spécialisés sur ces questions. Dès lors, comment expliquer cette propension à recourir aux médias et à l’espace public pour résoudre des problèmes politiques ayant une portée juridique ? Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux et gagner la bataille de l’opinion est d’obtenir un règlement juridictionnel de ces litiges. Lorsque le Président actuel, Macky Sall, alors dans l’opposition, a fait l’objet d’une procédure judiciaire pour un patrimoine appartenant à l’État sénégalais (les fameux « fonds taïwanais »), un non-lieu fut rendu. Lorsqu’Ibrahima Sène, le leader du Parti pour l’indépendance et le travail, a été attrait en justice pour diffamation, il a été relâché au bénéfice du doute. Lorsque Karim Wade est soupçonné d’enrichissement illicite, c’est encore la justice qui doit trancher, qu’elle passe par la CREI, la Cour de justice de l’UEMOA, etc.

A l’heure où le gouvernement est dans une phase cruciale de mise en œuvre des programmes contenus dans le Plan Sénégal émergent, avec la gestion quotidienne des problèmes des ménages, les étudiants, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les transporteurs, et même les journalistes, ont certainement plus besoin d’être informés des efforts fournis par le gouvernement – baisse des loyers, des produits pétroliers, des prix des denrées, octroi de moyens aux collectivités territoriales, mise en place d’instruments comme la Banque nationale pour le développement économique (BNDE), le Fonds souverain d’investissements stratégiques (FONSIS), la Couverture maladie universelle (CMU) ou le Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (PAQUET) – que d’écouter des accusations aussi légères que celles relatives à l’affaire Petro Tim/Arcelor Mittal.

Il serait bien que le débat public soit moins vicié. Fournir des efforts pour cogiter sur les programmes est en soi beaucoup plus bénéfique pour la vie publique que des accusations aussi légères qui ont leur place, encore une fois, dans les instances judiciaires financées exclusivement pour ces questions. Quel est l’apport marginal des attaques personnelles portées dans les médias à longueur de journée pour le pouvoir d’achat des Sénégalais ? Ces derniers méritent un débat public plus informé et plus structuré.

Mais on est en droit de croire que les électeurs sont moins enclins à écouter ces polémiques stériles qu’à évaluer le bilan des responsables qu’ils ont porté au pouvoir (local comme national). La bonne tenue des élections (locales en 2014, nationales en 2012) montre l’importance des résultats concrets. La maturité des électeurs prouvée lors des consultations électorales doit entraîner un meilleur débat public. L’Etat de droit vivra mieux lorsque les bons programmes économiques seront soutenus ; lorsque les résultats seront salués ; lorsque les attaques personnelles finiront devant les tribunaux. 

Macky Sall et le renouveau sénégalais

Au moment de fêter le 52ème anniversaire de son accession à l’indépendance, le Sénégal s’est doté d’un nouveau Président de la République, le premier à être né après l’indépendance de 1960. Au-delà de cette anecdote, Macky Sall incarne, sans le personnaliser, une tendance profonde qui s’est développée depuis trois ans : le renouveau sénégalais. Ce renouveau s’articule autour de trois axes fondamentaux : une nouvelle société civile, laïque, jeune et éclectique, une alternance générationnelle et un nouveau sens à l’action gouvernementale.

Le premier aspect de ce renouveau sénégalais est la naissance d’une vraie société civile qui présente trois caractéristiques majeures. La première est qu’elle est laïque. Dans son ouvrage intitulé Le marabout et le Prince (1981), Christian Coulon expliquait que le Sénégal possédait une société civile essentiellement « à base religieuse ». Les chefs religieux musulmans, d’abord à l’époque de la colonisation et ensuite après l’indépendance, ont joué, à la frontière de la sphère politique, le rôle qu’on peut assigner à une société civile. Ce rôle a encore pu être joué jusqu’à la fin de la décennie 2000. Cependant, au cours des dernières années, on a de plus en plus assisté à une marginalisation de cette société civile « à base religieuse ». Quant à l’élection du Président Macky Sall, elle a sonné le glas de la décadence des chefs religieux donneurs de consignes de vote. A cette société civile « à base religieuse », s’est donc substituée une société civile qu’on pourrait se définir comme laïque et dont on peut se réjouir qu’elle soit davantage en phase avec la Constitution du pays d’une part et d’autre part avec un éveil des consciences digne d’une société éclairée.

En plus d’être laïque, la nouvelle société civile sénégalaise présente la caractéristique d’être jeune. A cet égard, il convient de rendre à César ce qui lui revient. L’opposition traditionnelle sénégalaise a pendant longtemps échoué à constituer un contrepoint à Abdoulaye Wade. C’est d’abord la jeunesse, amenée par le mouvement Y en a marre, qui a impulsé le M23 et qui a constitué la véritable opposition à l’ancien Président de la République. L’élection de Macky Sall doit beaucoup à cette jeune société civile.

Toutefois, cette deuxième caractéristique ne doit pas amener à occulter le caractère désormais éclectique de la société civile sénégalaise. On y retrouve certes une jeunesse fortement engagée mais aussi d’autres structures. Ainsi, les Assises Nationales ne sont pas à négliger d’autant plus que les conclusions qui en sont issues compléteront le programme présidentiel de Macky Sall, notamment sur le renforcement de la démocratie, le raffermissement des institutions et l’indépendance de la justice. Le phénomène Youssou Ndour non plus n’est pas à négliger : l’engagement du chanteur et homme d’affaires sénégalais pour le départ d’Abdoulaye Wade a été sans relâche et tout au moins salutaire dans l’internationalisation du débat.

Outre cette nouvelle société civile, laïque, jeune et éclectique, le renouveau sénégalais transparait également dans l’alternance générationnelle incarnée par le Président Macky Sall. Sur le continent le plus jeune de la planète, la moyenne d’âge des dirigeants est le plus élevé au monde. Face à un tel paradoxe, le Sénégal vient d’envoyer à la retraite un octogénaire pour confier les rênes du pays à un homme davantage en phase avec la jeunesse de la population. Le renouveau sénégalais, c’est aussi l’avènement d’une équipe dirigeante dont la projection vers l’avenir est crédibilisée par une appartenance à la génération du plus grand nombre. Si la démocratie est le pouvoir du peuple et si les représentants du peuple doivent être à son image, l’alternance générationnelle, tout comme le renouveau la société civile d’ailleurs, contribue substantiellement à consolider la démocratie sénégalaise.

Mais à quoi servirait une démocratie dans une misère économique ? Le renouveau aurait en effet été vain s’il n’était pas sous-tendu par un nouveau sens à l’action gouvernementale. Celle-ci est désormais résolument tournée vers un double objectif : dans l’immédiat, l’amélioration des conditions de vie des populations les plus modestes, et à moyen et long termes, la mise en œuvre des conditions de l’émergence économique.

A cet égard, le nouveau Président de la république a posé des actes concrets. Le premier est la nomination d’un Premier Ministre de très haut niveau, Abdoul Mbaye, banquier d'affaires diplômé d'HEC, ancien PDG de plusieurs banques sénégalaises et orfèvre de l'installation du Groupe marocain AttijariWafa Bank au Sénégal. Ce technocrate reconnu et respecté, doté d'une fine intelligence et d'une intégrité jamais remise en cause, saura animer l'équipe gouvernementale et lui insuffler une culture de résultat issue du secteur privé. Là où le dernier gouvernement d'Abdoulaye Wade comptait 40 personnes dont…13 ministres d'Etat, celui qui sera animé par Abdoul Mbaye ne comptera pas plus de 25 ministres. Macky Sall a fermement averti ses collaborateurs lors de son discours du 3 avril que l'exervice du pouvoir sera "un sacerdoce sans ambiguité, (car) il est question de servir et non de se servir". Et ce sacerdoce se focalisera d'abord sur l'amélioration des conditions de vie des sénégalais.

Sur ce point, le Président, directement dans ses discours et à travers ses conseillers économiques, a annoncé la baisse dans les prochaines semaines des prix de trois denrées de première nécessité, à savoir le sucre, le riz et l’huile, de quoi rendre plus agréable et plus accessible le diébou djeune (riz au poisson, plat traditionnel du pays) des sénégalais. De plus, son gouvernement devrait aussi mettre en place assez rapidement une couverture maladie universelle (CMU).

Enfin, le programme présidentiel de Macky Sall a été conçu comme un chemin vers le véritable développement. Tout ne sera pas réalisable dans les prochaines années mais le Sénégal peut au moins avoir la certitude d’être désormais sur la bonne voie, avec un leadership de qualité.

Dans ce Sénégal nouveau, la politique n’est plus déconnectée de la réalité, elle n’est plus seulement une représentation ; elle est devenue le réel. C’est aussi cela qui donne sens aux premiers mots du Président de la République, au soir de son élection : « Ce soir une ère nouvelle commence pour le Sénégal. Ensemble nous allons rapidement nous atteler au travail de redressement attendu par chacun et attendu de chacun ».

Bonne fête de l'indépendance! Bonne route sur le chemin de la réfondation démocratique et de l'émergence économique!

                                                                                                                                                              Nicolas Simel

Abdoulaye Wade est une invention des Sénégalais

 
 
Pour l'observateur non averti, les élections présidentielles sénégalaises s'apparentent étrangement à une transition démocratique. Elles en portent tous les stigmates : l'intransigeance du camp au pouvoir, le sentiment d'urgence qui étreint l'opposition, la pressante mobilisation de la société civile, les stratagèmes mis en place par les partis d'opposition, les larges et difformes coalitions machinées dans l'urgence, le pouvoir parlementaire muet et unicolore, le pouvoir judiciaire contesté – non plus sa simple indépendance –  les trahisons au sein de la majorité au pouvoir, l'alliance des modères de celle-ci avec l'opposition, le va-tout des conservateurs (ici, les imprécations proprement non-démocratiques de Bethio Thioune), l'irruption de candidature « boulangeo- technocratique » de Youssou Ndour. Même l'attitude d’Abdoulaye Wade : la tentation monarchique, le désir de manigancer une réforme électorale d'urgence, le déni de toute légitimité à ses opposants. Tout respire la fin du régime autocratique.
 
À ceci près justement, que la présidentielle 2012 au Sénégal n'est qu'une banale élection dans un pays de tradition démocratique. Au plutôt : elle n'aurait dû être qu'une banale présidentielle dans une démocratie apaisée. Que cela ne soit pas le cas aujourd'hui est d’abord et avant tout, la responsabilité des Sénégalais. Cette génération devra, un jour ou l’autre, expliquer sa trahison.
 
Abdoulaye Wade est une invention des Sénégalais. C’est l’opposition sénégalaise qui tira un Wade déconfit et découragé de son exil parisien en 1999 pour en faire son champion. Ce sont les Sénégalais qui l’ont porté au pouvoir et qui l’ont reconduit dans ses fonctions en 2007. Ce sont eux qui ont placidement accepté ses dérives autoritaires. Ce sont eux qui, docilement, ont laissé se dégrader leur démocratie.
 
Au début des années 2000, le Sénégal avait :
  • l’armée la plus disciplinée, la plus unie, la plus loyale d’Afrique ;
  • une population globalement libre de tensions ethniques ou de ressentiments tribaux majeurs – y compris la question casamançaise – ;
  • un paysage politique diversifié et solide au début du millénaire ;
 
Une décennie à peine plus tard, l’offre politique se résume essentiellement à un tout sauf Wade, les semaines précédant l’élection se sont écoulées dans une ambiance quasi-insurrectionnelle, personne ne sait exactement ce que sera la réponse des militaires sénégalais si des troubles éclatent à l’issue du second tour, la CEDEAO a dû dépêcher Obasanjo comme médiateur – de tous les coups bas, celui-là est le plus abjecte. Et les citoyens sénégalais ont réalisé ce chef-d’œuvre d’irresponsabilité, en toute liberté, sans pressions extérieures, sans baïonnette aux tempes, avant de se réveiller bruyamment et violemment après des années de silence – dira-t-on "de stupeur" par mansuétude?
 
Que l'on ne s'y trompe pas, au moment du diagnostic, la vraie interrogation n'est pas tant de savoir ce que Wade a fait du Sénégal mais ce que les sénégalais ont fait de Wade et de leur pays. Parce que, bon sang, le droit de vote est aussi un devoir de responsabilité.
 
Joël Té-Léssia

Les enseignements du 1er tour des présidentielles au Sénégal

Les urnes ont parlé ! Et les sénégalais ont encore surpris. Plusieurs enseignements, et non des moindres, sont à tirer de ce 1er tour de la présidentielle. La fin de l'ère Wade, la percée de Macky Sall, la chute d'Idrissa Seck, le beau baroud d'honneur de Moustapha Niasse et la triste fin de Tanor. Voilà autant de points remarquables dans ce 1er tour en attendant…le second.

1 – La fin de l'ère Wade

Abdoulaye Wade n'aura finalement pas droit à un troisième mandat. Les 1ers tours en Afrique (de l'Ouest) sont de vrais révélateurs pour les pouvoirs en place car ils sanctionnent souvent une réelection haut la main (Wade 2007, Compaoré 2010) ou annoncent une défaite au second tour (Diouf 2000, Gbagbo 2010). Si la jurisprudence des 1ers tours est vérifiée, Abdoulaye Wade vient de perdre son fauteuil présidentiel et finira ses 12 ans de pouvoir le 03 Mars prochain. Les grands centres urbains de l'Ouest (Dakar, Mbour, Thies, Kaolack) ont été les principaux foyers de la contestation de la candidature du Président sortant et ont joué le rôle de locomotive dans l'effritement de l'électorat du Président sortant. La conclusion me semble inéluctable : nous sommes bel et bien entrés dans l'ère post-wade. Le 2nd tour Wade/Macky qui se dessine le confirmera probablement.

2 – La percée de Macky Sall et la scission du PDS

Le grand gagnant de ce 1er tour est sans aucun doute le leader de l'APR et candidat de la coalition Macky 2012, Macky Sall. Il confirme ainsi la place de second que beaucoup lui prédisaient au vu des importantes mobilisations populaires notées lors de ses meetings durant la campagne. Il distance ses riveaux de l'opposition (Moustapha Niasse, Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng), remporte son fief de Fatick et fait d'excellents scores dans la banlieu de Dakar et dans…des fiefs du Président sortant (région Nord avec le Fouta, Sénégal Oriental, Casamance, Kolda). Comment expliquer cette percée ? Tout d'abord par sa stratégie de campagne que les sénégalais ont semblent-il apprécié : des meetings jusqu'à 4h matin, une couverture quasi exhaustive du territoire national et de fréquents voyages dans la diaspora depuis 3 ans. Macky Sall a également aggregé autour de lui une belle coalition avec d'anciens candidats potentiels à la présidentielle comme Aminata Tall du PDS, Me Moussa Diop d'AG Jotna, Arona Ndoffène Diouf également. Cependant la percée de Macky Sall trouve surtout son explication dans l'éclatement de l'électorat du PDS. En effet, il semblerait que les PDS ont voulu signifier diplomatiquement à leur leader historique Wade, qu'ils souhaitaient voir un changement générationnel à la tête du bloc libéral et ont donc déporté leurs voix sur le candidat Sall. Ceci explique les excellents scores de Macky Sall dans des localités où Wade avait regné sans partage en 2007. Cependant, je pense qu'il faut également voir cette scission du PDS en défaveur de Me Wade, comme une réaction d'orgueuil des sénégalais qui n'ont pas voulu renforcer davatange l'hyperministre Karim Meissa Wade, en confiant un nouveau mandat à son père. Les PDS ont dit à Wade de passer le flambeau et ont semble-t-il dit non à Karim Wade mais ils n'ont pas tout jeté de leur identité et se sont reconnus dans le libéral Macky Sall pour perpétuer l'esprit de leur famille politique à la tête de l'Etat sénégalais.

3 – Le combat contre la candidature de Wade a lassé les sénégalais et perdu Idy

Beaucoup de morts, un lieu de culte profané lors de manifestations, des dégats collatéraux qui ont touché les biens d'autrui : le combat contre la candidature de Wade a mobilisé beaucoup d'énergie et a occupé l'essentiel de l'espace médiatique lors de cette campagne électorale. Mais l'enseignement donné par ce 1er tour est que ce combat a lassé les sénégalais et ils ont préféré voter pour ceux qui ont parlé de programme plutot que pour ceux qui ont parlé de constitution. Pragmatisme politique ou immaturité démocratique ? La question reste ouverte mais le peuple sénégalais a préféré voter pour ceux qui ont sillonné le pays à sa rencontre plutôt que ceux qui se sont battus dans les rues de Dakar pour faire respecter la constitution et les lois.

Ainsi le grand perdant de ce 1er tour est le candidat de la coalition Idy4President, Idrissa Seck. Distancé par Macky Sall, probablement devancé par Niasse qu'il avait largement distancé en 2007, Idrissa Seck a semble-t-il payé ses multiples allers retours chez Wade et n'a pas bénéficié du combat mené à Dakar contre la candidature de Wade : il doit probablement se mordre les doigts de ne pas avoir battu campagne un peu partout dans le pays. On pourrait également dire la même chose des candidats Ibrahima Fall de Taxaw Tamm et Cheikh Bamba Dièye du FSD/BJ : cependant il faut noter que ceux-ci n'étaient pas vus comme de potentiels candidats capables de se qualifier au second tour. Leur score est même positif vu la petite taille de leurs partis respectifs. Le grand perdant de la lutte jusqu'au boutiste contre la candidature de Wade est bel et bien le maire de Thiès Idrissa Seck. Il devra maintenant se résoudre à être au mieux, le 5ème président de la République du Sénégal car le 4ème fauteuil présidentiel semble être promis à Macky Sall.

4 – Le beau baroud d'honneur de Niasse et la triste fin de Tanor

A mes yeux, la véritable surprise de ces élections est l'excellent score de Moustapha Niasse (autour de 15%) alors qu'il n'avait récolté qu'un peu plus de 4% en 2007. Aidé par la machine électorale qu'est la coalition Benno Siggil Sénégal, Moustapha Niasse a vu être confirmé, à travers ce vote massif en sa faveur, la crédit que les sénégalais lui accordent en tant qu'Homme d'Etat. Il est vrai qu'en ces heures troubles pour le Sénégal, il avait peut être le profil le plus rassurant pour diriger le pays en tant que sage de la nation. Il aura son mot à dire en vue du second tour Wade/Macky comme il avait eu son mot à dire en 2000 lors du duel Diouf/Wade.
Diouf avait fait 41% en 2000, son successeur naturel Ousmane Tanor Dieng n'avait réussi qu'à faire 14% en 2007 et a semble-t-il encore reculé lors de cette présidentielle pour se retrouver avec un score aux alentours de 10% malgré un maillage socialiste qui a eu le temps de s'installer sur tout le territoire durant les 40 ans de règne du PS. L'heure du renouvellement de leadership semble venue dans ce parti : Khalifa Sall, maire de Dakar, est le patron naturel tout désigné de ce Parti Socialiste rénové, avec à ses côtés les guerrières que sont Aissata Tall Sall et Aminata Mbengue Ndiaye respectivement maires de Podor et de Louga.

Ce 1er tour a donc été pour les sénégalais l'occasion d'opérer à une redistribution des cartes sur l'échiquier politique national. Il aura surtout permis d'opérer le renouvellement générationnel tant attendu (probables retraites politiques de Wade, Niasse et Tanor Dieng), fait un grand perdant avec Idrissa Seck et consacré un homme Macky Sall. Cheikh Bamba Dièye fait beaucoup mieux qu'en 2007 mais son score reste faible et Ibrahima Fall fait un score respectable mais logique pour un homme inconnu il y'a encore un an. Finalement, mieux valait s'armer de sa carte que brûler des pneus, le résultat final aura été le même : Le Président Abdoulaye Wade semble définitivement être un président sortant, et j'estime que c'est une bonne chose car cela permet d'ouvrir une nouvelle ère politique dans notre pays et c'était une condition nécessaire pour le respect de la mémoire de tous ceux qui ont disparu en luttant contre ce 3ème mandat. Ces jeunes, qui auraient pu diriger le Sénégal de demain, ne seront donc pas morts pour rien. Paix à leurs âmes, vive le Sénégal et vive l'Afrique !

PS : Je tiens à rendre hommage aux médias du Sénégal (radios,TV) et aux citoyens qui ont joué un rôle décisif dans la sécurisation du vote populaire en signalant les vélléités de fraude et les tentatives d'intimidations, même si celles ci sont restées marginales à l'échelle du pays. Le vote c'est également la vigilence.

 

Fary NDAO

Sénégal: le devoir de résistance à Wade

"Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir." Montesquieu, L'Esprit des lois – 1748

 Pourquoi résister à Abdoulaye Wade est devenu un devoir moral ? 

Au Sénégal, après la validation de la candidature de l’actuel Président Abdoulaye Wade par le Conseil Constitutionnel, la résistance par tous les moyens est devenue un devoir moral. 

La candidature de Wade pour un troisième mandat est une violation manifeste de la Constitution, d’abord contre son esprit. En réformant la Constitution en 2001, l’idée de Wade était qu’aucun Président, y compris lui, ne puisse effectuer plus de deux mandats à la tête du pays. Mais puisqu’au pays du « Ma wakhon, wakhet »[1], plus qu’ailleurs, la parole est libre, mieux vaut s’en tenir à l’écriture qui, elle, est serve.

A cet égard, la candidature d’Abdoulaye Wade constitue une violation de la lettre de la Constitution dont l’article 27 stipule que « le mandat (du Président de la République) est renouvelable une seule fois ». Quant à penser que cette disposition adoptée en 2001 sous Wade ne s’appliquerait pas au Président en exercice, l’article 104 est péremptoire : « toutes les dispositions de la présente Constitution lui sont applicables ». 

A vrai dire, cette candidature n’est que le dernier avatar d'une manie de manipulation de la Constitution et des lois dont Abdoulaye Wade seul a le génie. Lorsqu’en septembre 2008, il a voulu se débarrasser de Macky Sall, alors Président de l’Assemblée Nationale, il a fait voter un amendement à l'article 62 de la Constitution pour réduire la durée du mandat du président de l’Assemblée Nationale en cours d’exercice de 5 à…1 an…avec effet immédiat. En juin 2011, mesurant (enfin) l’ampleur de son impopularité, il a voulu modifier la constitution pour ramener la majorité pour être élu au premier tour de l’élection présidentielle de 50% à…25%, et même pas des inscrits, mais des seuls votants. N’eut été la détermination du peuple sénégalais porté notamment par le mouvement « Y en a marre », Abdoulaye Wade aurait inscrit à son actif, cette innovation majeure.

Qui plus est, Abdoulaye Wade ne tient qu’en piètre estime le Conseil Constitutionnel dont il dicte la plus petite des mesures. L’invalidation de la candidature de Youssou Ndour, sous le prétexte qu’il n’aurait pas obtenu les 10 000 signatures nécessaires, en est une preuve supplémentaire. Plus que la décision de valider la candidature de Wade, qui, entendons-nous bien, demeure le fond du problème, cette décision reste le symbole d’un Conseil Constitutionnel qui a perdu toute parcelle d’indépendance et dont on ne peut plus attendre qu’elle soit le gardien du respect des libertés de notre peuple.

Face à un Abdoulaye Wade décidé depuis bien longtemps déjà à piétiner la Constitution du Sénégal et face à un Conseil Constitutionnel qui a définitivement renoncé à garantir l’état de droit, la résistance à Wade et au clan qui l’entoure est devenue, plus qu’une opposition partisane, un devoir moral.

Résister à Abdoulaye Wade, oui, mais comment ?

Penser qu’après avoir manipulé à plusieurs reprises la Constitution, corrompu les membres du Conseil Constitutionnel en augmentant leurs salaires de 5 millions de FCFA, avoir qualifié la révolte du peuple de « manifestations d’humeur », ordonner à la police de tirer à balles réelles sur les manifestants, Abdoulaye Wade organisera des élections pour les perdre, est une vue de l’esprit.

La confrontation directe entre le peuple et le régime d’Abdoulaye Wade est la seule forme de résistance qui vaille aujourd’hui. Si les tunisiens, les égyptiens, les libyens hier et les syriens encore aujourd’hui le font face à leurs dirigeants, pourquoi pas les sénégalais ? Bien entendu, nul n’ignore ce que cela a pu coûter à ces peuples, mais leurs aspirations à la liberté et à la dignité sont-elles plus fortes que celles des sénégalais ?

Abdoulaye Wade ne retirera sa candidature et n’organisera des élections libres et transparentes que s’il voit dans le blanc des yeux du peuple sénégalais une détermination plus forte que la sienne. 

Le peuple sénégalais à un rendez-vous avec l’histoire. S’il se défausse, il aura non seulement balayer plusieurs décennies de luttes et de conquêtes démocratiques, mais aussi rater l’occasion de s’offrir de meilleures perspectives d’avenir, économiques notamment. La nature du débat politique est en effet tellement vif qu’il élude quelques autres raisons fondamentales pour lesquelles le Sénégal doit tourner la page du régime d’Abdoulaye Wade : le système éducatif s’est détérioré, le chômage a explosé, la captation des ressources par les thuriféraires du régime a atteint un seuil jamais égalé tandis que l’écrasante majorité de la population vit dans une pauvreté affligeante. C’est cela le Sénégal d’Abdoulaye Wade ; c’est cela le Sénégal dont le peuple ne veut plus.

 Nicolas Simel


[1] Ma wakhone, wakhet se traduirait : « Je l’ai dit, maintenant je me dédis ». Abdoulaye Wade, interpellé par des journalistes sur le fait qu’il avait bien précisé que la Constitution ne lui permettait pas de briguer un troisième mandat, a tenu ses propos, devenus désormais le symbole de sa versatilité. 

Les habits neufs de Youssou Ndour

« Moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes »
Le mariage de Figaro, Beaumarchais
 
La candidature de Youssou N'dour vedette internationalement reconnue de la chanson sénégalaise et homme d'affaires puissant et réputé, à l'élection présidentielle de février prochain dans son pays natal aurait pu prêter à sourire. C'est un phénomène assez connu. De nombreux capitaines d'industrie, sur le tard, ont souvent eu envie d'influer sur l'opinion publique. On se souvient de l'aventurisme hautement virevoltant de Jimmy Goldsmith, milliardaire franco-britannique qui racheta l'Express en France, créa le très éphémère « Now » en Angleterre et fonda le tout aussi éphémère Referendum Party au Royaume-Uni. Youssou N'dour réussit dans la chanson, il se lança ensuite dans la production audiovisuelle, puis dans l'humanitaire (paludisme et Sida), dans les médias par la suite (Future Médias) et enfin dans la politique. Parcours normal, a priori.
 
Tout Sénégalais après dix-huit ans rêve d'un visa, d'un titre universitaire et de la présidence de la République. Youssou N'dour a reçu tous les visas qu'il souhaitait et même plus, il veut maintenant être président de la République. Soit! Mais : il n'a pas fait d'études supérieures! Or il se trouve que les Sénégalais, moins que les Ghanéens mais certainement autant que les Portugais ou les Italiens souffrent d'une sorte d'obsession du papier! Le diplôme! Le diplôme! Ils continuent d'appeler Abdoulaye Wade, « maître »! La dernière fois qu'il a plaidé, Wade, Giscard était encore ministre! On imagine mal les Français élire « Maître » François Mitterrand ou chérir la mémoire de « Maître » Pierre Mendès-France! Au Sénégal ça passe…
 
Je m'étais promis de ne plus écrire sur le Sénégal : 1) ça n'a aucun impact réel dans ce pays et 2) hors antenne, je me fais chaque fois, très sévèrement, tancer par des « amis » plus ou moins proches. Je suis paresseux et très lâche. Alors, je me disais : pas de Sénégal.
 
Mais, mazette! La volée de bois vert que le bonhomme se prend depuis une semaine! « Comment a-t-il osé? » Le « guignol »! Le « plaisantin ». Le « fou »! 
 
Oui, la déclaration de candidature de N'dour est d'une franchise enfantine et son projet d'une naïveté grotesque quoique touchante : self-made man, il arrive avec l'expérience de celui qui sait s'entourer des bonnes personnes; il veut dégraisser le lion (réduire le train de vie de l'Etat); il compte amener le Sénégal à l'auto-suffisance alimentaire dès 2017 et – cerise – il veut rétablir la rigueur dans la gestion des affaires publiques… Rien sur la politique industrielle, rien sur la réforme électorale, rien sur la santé, rien sur l'emploi des jeunes, rien sur l'infrastructure, rien sur la politique fiscale ou monétaire. À part ça… c'est un assez bon programme…
 
Certes, pour qu'il présente sa candidature aux Sénégalais, son équipe de communication lui a fourni une paire de lunettes à monture épaisse (à la Thuram) qu'il ne quitte plus; ils lui ont fait perdre cinq kilos et ils lui ont infligé probablement des heures et des heures de cours de diction. C'est donc un Youssou neuf qu'on trimbale de plateaux-télés en émissions radiodiffusées. Ça fait machiné, artificiel. Il se trouve pourtant que les programmes des autres candidats déclarés à la présidentielle sénégalaise ne brillent guère plus par leur intelligibilité ou leur ambition. Mieux, l'adresse et l'intelligence avec lesquelles Youssou N'dour constitua son groupe de presse et développa sa carrière internationale témoignent d'une connaissance exceptionnelle de l'environnement politique et économique de son pays et d'une sagacité rare. L'enfant de la Médina s'est construit posément, patiemment et avec brio une stature de personnalité publique disponible, indifférente à l'argent public et possédant une sérieuse « conscience sociale ». à ce jour, aucun de ses adversaires potentiels, Abdoulaye Wade encore moins que les autres ne dispose d'un tel capital social. Ceci d'autant plus qu'une importante part de la jeunesse sénégalaise reste résolument insensible au fétichisme du diplôme, justement parce qu'elle n'en a pas. La cassure générationnelle est ici plus forte que jamais. Youssou N'dour peut très bien figurer au second tour de l'élection présidentielle sénégalaise. Et Face à Wade, l'emporter tout à fait.
 
Depuis trois générations au moins, le Sénégal est dirigé par des « intellectuels » avec la réussite qu'on connaît (à tel point que les seuls miracles « sénégalais » sont aujourd'hui sa relative « stabilité » et l'exode massif de ses citoyens…) Voici un homme doté d'un vrai sens des affaires, aussi à l'aise au contact des grands de ce monde que de l'homme de la rue, s'exprimant simplement et proposant une « alternative » crédible, limpide et intelligible à la grandiloquence impotente et corrompue d'Abdoulaye-2000-projets-farfelus-en-tête-Wade. Ajoutez à cela que la formidable bataille d'égos au sein de l'opposition sénégalaise l'a rendue incapable, jusqu'ici, et c'est un comble, de proposer ne serait-ce qu'un simili front commun face à Wade. En quoi ces gens-là sont nécessairement plus aptes à diriger le Sénégal que Youssou N'dour m'échappe totalement.
 
Je ne veux pas faire de peine à mes amis Sénégalais, mais si Arnold Schwarzenegger a pu être gouverneur de la Californie (400.000 km2, 37 millions d'habitants et un PIB de 2000 milliards de dollars), Youssou N'dour peut bel et bien diriger le Sénégal.

La candidature de Youssou N'dour peut être attaquée de mille façons, j'en ai indiqué quelques unes plus haut. N'empêche que les réponses qu'elle a suscité chez l'intelligentsia et une partie de la population de ce pays ne dit rien de bon. Ce qui est choquant et aberrant, c'est que l'indignation que sa candidature a soulevé dans certains quartiers de la population sénégalaise respire les séquelles coloniales : il n'est pas allé à l'école des "Blancs", comment peut-il oser vouloir diriger ce pays? L'intelligence avec laquelle il a bâti une carrière et fondé des entreprises florissantes s'efface soudain devant celle sanctionné par le crayon. À ce jeu-là, Malraux s'efface devant Frédéric Lefebvre…
 
C'est ce qui est rassurant néanmoins, avec le Sénégal : dans beaucoup de pays africains, à moins de quarante morts, on considère que l'élection s'est déroulée sans « incidents majeurs », à Dakar on s'écharpe sur la candidature d'un businessman-chanteur. N'est-ce pas merveilleux?
 
Je crois qu'on va bien se marrer en 2012.
 
Joël Té-Léssia

Violence politique au Sénégal : le malheur n’arrive pas qu’aux autres….


« Heureux les artisans de Paix, car ils seront appelés Fils de Dieu » Matthieu 5, 9.

En dépit de la vive émotion suscitée par les récents incidents du 22 décembre 2011 – au cours desquels une personne a été tuée et trois autres blessées – la violence politique ne constitue guère un phénomène nouveau au Sénégal. Certes son ampleur n’a jusque là pas atteint les proportions prises dans certains autres pays africains, mais celle-ci s’est quelquefois cristallisée en des événements majeurs que l’observateur d’aujourd’hui a tendance à méconnaître.

La première phase de la violence physique en politique au Sénégal est celle qui oppose, des indépendances à 1974, diverses tendances d’un parti unique au pouvoir : l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) devenue Parti Socialiste (PS). Elle atteint son paroxysme avec l’assassinat le 3 février 1967 à Thiès de Demba Diop, député-maire de la ville de Mbour et président du groupe parlementaire de l’UPS à l’Assemblée Nationale. Dans un contexte de rivalité politique entre Ibou Kébé, ancien maire de la ville et son allié Jacques d’Erneville d’une part et d’autre part Demba Diop, ce dernier est sauvagement poignardé par Abdou N’Dakhafé Faye. A la suite du procès du 17 mars 1967, celui-ci est condamné à mort puis exécuté tandis que Ibou Kébé écopait de la réclusion perpétuelle et Jacques d’Erneville de 20 ans de travaux forcés.

A peine ce procès terminé que le 22 mars 1967, à l’occasion de la fête de l’Aid el Kébir, le président de la République Léopold Sédar Senghor est victime d’une tentative d’assassinat. A la sortie de la prière de la grande mosquée de Dakar, un certain Moustapha Lô pointe son arme sur le président. Lui aussi sera condamné à la peine capitale et exécuté. L’hypothèse, non prouvée juridiquement, d’un attentat commandité par le camp de Mamadou Dia qui avait été accusé de tentative de coup d’Etat en 1962, est alors évoquée.

Ces deux événements, relatés par Marcel Mendy dans un essai intitulé La violence politique au Sénégal[1], cristallisent une violence essentiellement circonscrite dans le cadre du parti unique.

Avec le pluripartisme limité adopté par Senghor en 1974 et surtout le multipartisme par Abdou Diouf en 1981, la violence politique devient en substance une arme de l’opposition incarnée par Abdoulaye Wade contre le parti au pouvoir. Face à un parti au pouvoir qui monopolise tous les rouages de l’Etat en dépit du libéralisme politique de façade, Abdoulaye Wade, alors leader charismatique de l’opposition, théorise et met en œuvre cette nouvelle violence politique. Lors du congrès du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) les 2 et 3 janvier 1988, il explique :

Je ne pose pas le problème en termes d’alternative pacifique ou non pacifique. Quand il faut faire une révolution, il faut la faire. Si en 1789, les Français s’étaient dit qu’il ne faut pas faire la révolution (…) « Attendons que le roi veuille réformer sa royauté pour arriver à la République » (…) on aurait attendu deux cents ans. Il y a des réformes à faire. Si le pays veut l’alternance, il faut que l’alternance soit faite quels que soient les prix et les moyens.[2]  

Les élections du 28 février 1988 sont alors émaillées d’émeutes sanglantes à la suite desquelles prés de 300 personnes sont arrêtées et jugées. Les leaders du PDS, au premier chef Abdoulaye Wade et Ousmane Ngom, sont alors identifiés comme commanditaires par la justice et condamnés à des peines de prison.

L’événement qui reste cependant dans les mémoires comme le symbole par excellence de la violence politique au Sénégal reste l’assassinat de Me Babacar Sèye, vice président du conseil constitutionnel, le 15 mai 1993. Ce meurtre politique est commis à la suite des élections législatives du 9 mai. Au cours de l’enquête, les assassins, Clédor Sène, Pape Ibrahima Diakhaté et Assane Diop ont clairement désigné Abdoulaye Wade, son épouse Viviane et son conseiller financier Samuel Sarr, ainsi qu’Ousmane Ngom et Abdoulaye Faye, comme les commanditaires de ce meurtre scabreux. La chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar a toutefois estimé le 26 mai 1994, sans doute à la suite d’un arrangement politique entre Wade et Abdou Diouf, qu’il n’y avait pas lieu de les poursuivre. Outre les aveux des meurtriers, la responsabilité d’Abdoulaye Wade est d’autant plus probable au regard de son attitude une fois devenu président de la république. Il a en effet accordé aux assassins de Me Sèye la grâce présidentielle le 22 janvier 2002 et fait adopté le 7 janvier 2005 la loi dite Ezzan. Celle-ci établit l'amnistie de toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises en relation avec des élections sur la période allant du 1er janvier 1983 au 31 décembre 2004. Sur ce sujet, l’ouvrage du journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly, intitulé Wade, un opposant au pouvoir, l’alternance piégée ?[3], est édifiant.

Enfin, avec l’alternance politique intervenue en l’an 2000, la violence politique franchit un nouveau cap : elle devient celle d’un parti qui continue à cultiver en interne la culture de la violence comme mode de règlement politique entre différentes tendances politiques, tout en en faisant une arme prisée non seulement contre les opposants politiques mais aussi les responsables de la société civile. En ce qui concerne l’espace public sénégalais, le caractère novateur de cette violence politique est qu’elle va de pair avec une absence de justice effarante. Sous les présidents Senghor et Diouf, les phénomènes de violence faisaient l’objet d’enquêtes sérieuses, de procès équitables et d’une exécution des peines prononcées. Sous Wade, on accorde la grâce présidentielle aux meurtriers, adopte des lois d’amnistie et assure aux nervis et commanditaires en lieu et place de séjour carcéral des traitements princiers. Avec l’agression contre Talla Sylla le 5 octobre 2003, le saccage des locaux de groupes de presse comme 24h Chrono, l’AS ou encore Walfadjiri, les menaces de mort en novembre 2003 contre le clergé épiscopal sénégalais, le passage à tabac d’Alioune Tine, président de la Raddho, jusqu’aux dernières intimidations contre les leaders de l’opposition en vue des prochaines élections présidentielles, le tout par des nervis clairement identifiés comme proches du parti au pouvoir, ce n’est pas tant la violence politique en elle-même qui est choquante que l’impunité et la promotion toujours sidérantes dont bénéficient ses commanditaires.

Dans sa préface à l’essai La violence politique au Sénégal, Abbé Bernard Ndiaye, prêtre et écrivain, mettait en lumière cette problématique :

« Il est écrit que l’Etat doit garantir aussi la sécurité des personnes et de leurs biens, garantir aussi la liberté de pensée, de parole, d’association, etc. si l’on veut éviter la dictature et le type de société liberticide. Soit. Mais comment peut-il assumer cette fonction éminemment régalienne s’il exerce un pouvoir prédateur, s’il s’est échafaudé un appareil répressif implacable contre d’honnêtes citoyens qui n’accomplissent que leur devoir en osant stigmatiser ses dérives, ses exactions, et ses crimes ? Le laxisme, la corruption  et l’injustice ahurissante sont la mère de la violence. Ce sont eux qui créent les frustrations, la colère, la haine, le désir de vengeance ou de « faire sa propre justice »[4]

Avec Abdoulaye Wade, le pacte par lequel les citoyens renoncent à se faire leur propre justice pour la confier à l’Etat est en train d’être rompu. On en revient à un état de nature du fait d’un président qui rêve d’obtenir un prix Nobel de la paix mais qui restera sans doute dans l’histoire comme celui par lequel la violence politique a dépassé le seuil de tolérance au Sénégal.

A moins de deux mois des élections présidentielles, jamais le risque de chaos n’a été aussi proche. Il est temps que les Sénégalais aient conscience que le malheur n’arrive pas qu’aux autres.

 Nicolas Simel


[1]  Marcel Mendy, La violence politique au Sénégal, de 1960 à 2003, Editions Tabala, 2006

[2] Entretien avec Abdoulaye Ndiaga Sylla et Ibrahima Fall, in Sud Hebdo n3, 13 janvier 1988, Propos ropportés par Marcel Mendy dans son essai, page 126

[3] Abdou Latif Coulibaly, Wade, un opposant au pouvoir – l’alternance piégée ?, Dakar, Editions Sentinelles, 2003

[4]Abbé Bernard Ndiaye, dans sa préface à l’essai La violence politique au Sénégal (2006), page 12

 

 

Sénégal : une configuration politique inédite à 3 mois des élections présidentielles

Avec son objectif de rempiler un nouveau mandat présidentiel contre les dispositions de la Constitution, Abdoulaye Wade a paradoxalement trouvé deux alliés de taille : Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti Socialiste (PS) et Moustapha Niasse, secrétaire général de l’Alliance des Forces du Progrès (AFP), les deux principaux partis de l’opposition.

L’inimitié que se vouent Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse obstrue tous les efforts de l’opposition et l’empêche sérieusement de faire front commun contre Abdoulaye Wade. Cette animosité mutuelle ne cède en effet à aucun intérêt supposé supérieur de la nation. L’incapacité de la coalition des partis d’opposition Benno Siggil Senegal de trouver un candidat unique – Niasse et Tanor ayant tous deux fini par se porter candidat – est la preuve que ces deux leaders ne sont capables d’aucun esprit de dépassement au moment où les populations souffrent plus que jamais du régime d’Abdoulaye Wade. Il y a trois  semaines, à la sortie du Conseil des ministres, le président Wade a même conseillé à Tanor et à Niasse de faire de lui le candidat de l’opposition pour les élections présidentielles du 26 février 2012! Sacré toupet ! Pourtant, à y regarder de plus près, les trois hommes ont plusieurs points communs.

Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse : le même échec

D’abord, Tanor et Niasse hier, tout comme Abdoulaye Wade aujourd’hui, ont pris part à l’exercice du pouvoir sans succès particulier, pour ne pas dire avec un échec retentissant. Ensuite, ils partagent une même logique de gestion de leur parti politique, conçu comme un appareil privé au service de son principal bailleur de fonds. Enfin, ils n’incarnent plus, si tant est qu’ils l’eussent fait par le passé, le désir d’avenir de la jeunesse sénégalaise. Il existe aujourd’hui, plus qu’un besoin d’alternance politique, un besoin d’alternance générationnelle qui ne saurait tolérer qu’un vieillard de 90 ans soit remplacé par un compère sexagénaire.

Sénégal : un besoin de projection vers l’avenir et de leadership

En effet, qu’attend le Sénégal de sa prochaine élection présidentielle si ce n’est que le vainqueur possède tout au moins deux dispositions fondamentales : la capacité à incarner le désir d’avenir de la jeunesse et le sens du leadership ?

S’il y a une chose qu’on retiendra de l’année 2011, c’est sans doute le refus des peuples de confier la marche de leurs nations à des élites complètement déconnectées de leurs réalités sociales et économiques. Les révolutions du Jasmin et du Nil, la chute du colonel Kadhafi, et même le mouvement des Indignés qui n’a pas fini de secouer l’Europe et les Etats-Unis, participent de cette tectonique ambiante qui fera de plus en plus trembler tous les pouvoirs. Le Sénégal n’y échappera pas tant que sa classe politique ne se sera pas renouvelée pour être davantage en phase avec les aspirations des populations. Dans cette perspective, l’âge sera un facteur discriminant qui devrait écarter Abdoulaye Wade (85 ans officiellement, mais en réalité plutôt 90 ans), Moustapha Niasse (72 ans) et Ousmane Tanor Dieng (64 ans) pour mettre en avant des candidats comme Idrissa Seck, Macky Sall ou encore Cheikh Bamba Dièye.

Etre apte à incarner les aspirations d’un peuple n’est cependant que d’un piètre intérêt si cela ne s’accompagne pas d’une disposition particulière à ouvrir des voies prometteuses et à amener le pays tout entier à les emprunter. On notera d’ailleurs que les solutions économiques pour placer le Sénégal sur la voie du développement sont largement connues. L’enjeu réside plutôt dans l’aptitude à les mettre en œuvre de façon efficace.  Pour cela, il faudra aussi que le prochain président sache rassembler bien au-delà de son camp politique et mobiliser différents talents, y compris ceux issus de la diaspora.

Sur ce point également, Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse ont jusque là fait preuve de sectarisme et d’absence de dépassement dans leur gestion du pouvoir au niveau étatique pour le premier et au sein de l’opposition pour les deux autres.

A contrario, Idrissa Seck et Macky Sall ont envoyé des signaux intéressants au cours des derniers mois. Par exemple, en sortant du cadre stricto sensu de son parti pour nommer Léna Sène directrice de sa campagne, Idrissa Seck envoie un double message qui rencontre un écho non négligeable chez bon nombre de Sénégalais. En confiant la coordination de sa campagne à cette diplômé d’Harvard, Idrissa Seck entend valoriser les qualités intellectuelles de l’une des Sénégalaises les plus brillantes de sa génération, là où au PDS on fait la promotion de bouffons comme Farba Senghor et on compte sur des lutteurs corrompus à coup de millions pour mobiliser l’électorat wadiste. En réussissant à convaincre Léna Sène de se plonger dans l’arène politique sénégalaise, Idrissa Seck envoie aussi un signal fort à la diaspora à laquelle il entend redonner le goût d’une implication plus forte dans le développement économique du Sénégal. En ces temps où la France renvoie les diplômés étrangers de ses meilleures écoles et universités, de plus en plus de jeunes Sénégalais de la diaspora devraient être sensibles à ce message.

Abdoulaye Wade, Idrissa Seck et Macky Sall dans le même panier : une vraie confusion

Hélas, Idrissa Seck et Macky Sall font encore auprès de beaucoup de sénégalais les frais de leur compagnonnage avec Abdoulaye Wade. C’est cependant une erreur majeure que de penser que le choix à l’élection présidentiel de février 2012 devra se faire entre le camp libéral au pouvoir depuis 2000 dans lequel on range Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Macky Sall d’une part et d’autre part le camp de l’opposition traditionnel avec notamment Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse. Idrissa Seck et Macky Sall, quand bien même ils sont issus des rangs du pouvoir libéral actuellement en place, incarnent une projection vers l’avenir et une aptitude à mener résolument le Sénégal sur le chemin du développement. Cette conclusion confirme par ailleurs l’échec sidérant des partis traditionnels, comme le Parti Socialiste (PS), le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) et l’Alliance des Forces du Progrès (AFP), à faire émerger en leurs seins de futurs leaders pour le Sénégal.

L’élection présidentielle de février 2012, qui soulève aujourd’hui beaucoup de zones d’ombres, sera vraisemblablement inédite dans l’histoire politique du Sénégal. Elle devrait réunir un Président sortant de 90 ans candidat contre les dispositions de la Constitution, deux de ses anciens Premiers Ministres, une opposition traditionnelle sans leader et probablement le sénégalais en vie le plus connu dans le monde, l’artiste et homme d’affaires Youssou Ndour. Et cette compétition inédite risque de s’effectuer sous l’épée de Damoclès de Dame violence. Les prochains mois de la démocratie sénégalaise sont plus qu’incertains.

 Nicolas Simel

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Mais où sont passées les oppositions?

Quand la diaspora sénégalaise en France se mobilise contre le Président Wade

Pour des raisons historiques et culturelles, Paris est sans doute la ville où la présence de la diaspora sénégalaise est la plus forte. C’est aussi à Paris que celle-ci est l’une des plus diversifiées : entre les vendeurs à la sauvette sous la Tour Eiffel et les brillants avocats et consultants des plus prestigieux cabinets de la capitale, en passant par les centaines d’étudiants et les milliers d’immigrés de longue date. Il n’est donc guère surprenant que la crise politique et sociale du pays, qui s’est notamment cristallisée avec les événements des 23 et 27 juin, y ait eu un écho particulièrement retentissant. En réalité, plus qu’un simple écho, la diaspora sénégalaise à Paris est un des acteurs majeurs de la mobilisation contre le projet de réforme constitutionnel du Président Abdoulaye Wade et pour le départ de ce dernier du pouvoir.

Le 22 juin en début d’après-midi, la veille du vote prévu du projet de loi par l’Assemblée Nationale, une trentaine de membres de la coalition Benno Siggil Sénégal, pour l’essentiel composée de jeunes, a réussi une opération inédite. Ils ont réussi à pénétrer dans l’enceinte du Consulat général du Sénégal à Paris et à y manifester leur vive protestation en taggant l’ensemble des locaux. Leur arrestation par la police française sur demande du Consul du Sénégal et leur garde à vue n’auront en rien entamé la mobilisation de la diaspora sénégalaise à Paris. Le lendemain 23 juin, jour prévu du vote du projet de loi à Dakar, et en même temps que la forte mobilisation des populations du Sénégal, plusieurs dizaines de personnes se sont encore réunis cette fois-ci devant l’Ambassade du Sénégal à Paris pour exprimer leur vive opposition au projet du régime en place. Tous ont été arrêtés par la police française pour quelques heures. Ils sont partis en promettant de revenir ; le 06 juillet, ils étaient encore nombreux à manifester cette fois-ci devant les grilles de l’Assemblée Nationale française ; c’est dire le combat sans relâche que mène la diaspora sénégalaise en France.

Au-delà des raisons classiques communes à nombre de Sénégalais, qu’est ce qui justifie une si forte mobilisation ?

Premièrement, la France est un partenaire politique et économique stratégique du Sénégal avec tout au moins un regard attentif sur l’évolution de la situation du pays. S’il revient certes aux Sénégalais le devoir et l’honneur de mener leur révolution, il importe de donner un écho aux mouvements de protestation au sein de l’opinion publique française. Cela constitue également une façon de mettre la pression sur les dirigeants français pour qu’ils ne soient pas tentés de prêter mains fortes à une éventuelle dévolution monarchique du pouvoir. Les images du Président Sarkozy présentant Karim Wade au Président Obama lors des derniers sommets du G8 et du G20 à Deauville en France ont fait le tour du monde et choqué beaucoup de sénégalais. A contrario les propos de Robert Bourgi, l’un des barons de la françafrique contre Karim Wade et ceux du ministre français des affaires étrangères Alain Juppé allant dans le même sens suscitent l’espoir d’un lâchage de la Famille Wade par Nicolas Sarkozy.

Deuxièmement, la diaspora sénégalaise à Paris est un des principaux pourvoyeurs de fonds du Sénégal, à travers les envois d’argent à leurs familles. Cette diaspora en tire donc un droit de regard sur la situation économique du pays d’autant plus que dans tous les domaines où l’Etat ne réussit pas à assurer des prestations satisfaisantes, en matière de santé, d’éducation, de denrées alimentaires, de transport, d’emploi des jeunes, etc. la diaspora tente de le suppléer. De ce fait, plus le gouvernement en place est économiquement défaillant, plus s’alourdissent les charges de la diaspora. A cet égard, chaque membre de la diaspora se considère comme un relais auprès de sa famille locale, les incite à s’inscrire sur les listes électorales et à contribuer au changement politique dont le Sénégal a besoin pour se mettre résolument sur le chemin du développement économique.

Troisièmement, et dans le sillage de la raison précédente, il existe au sein de cette diaspora une réelle volonté de revenir au Sénégal contribuer au développement économique. Toutefois, cela ne peut se faire que s’il y a un cadre politique et économique un tant soit peu favorable. Et la conviction est que le pouvoir en place a donné toute la mesure de son incapacité à mettre le Sénégal sur la voie du développement économique. Surtout, la diaspora souhaite aujourd’hui un pouvoir avec une véritable vision d’avenir pour le Sénégal et sa jeunesse, une mise en œuvre concrète de solides programmes de développement économique. La diaspora veut que ce changement soit amorcé et elle entend en être un acteur majeur.

Nicolas Simel

Aspirations rabougries

 

Après mon post un peu sec sur la « pseudo-indépendance » du Sénégal, je devrais en principe, écrire quelque chose de positif sur le « sursaut démocratique » de la rue sénégalaise contre le projet – totalement imbécile – de réforme constitutionnelle d’Abdoulaye Wade. Le problème, c’est que rien dans cette « réaction » ne m’inspire la moindre sympathie. C’est comme s’il fallait féliciter le cocu dans le célèbre sketch de Raymond Devos (« j’ai des doutes ») de sa lucidité in extremis : J'ai des doutes !… J'ai des doutes !… Hier soir, en rentrant dans mes foyers plus tôt que d'habitude…il y avait quelqu'un dans mes pantoufles… Mon meilleur copain… Si bien que je me demande si, quand je ne suis pas là… il ne se sert pas de mes affaires ! (….) Alors !… mes pantoufles !… mon pyjama !… ma radio !… mes cigarettes !… et pourquoi pas ma femme pendant qu'il y est !

Le simple fait que ce projet de loi ait existé, qu’Abdoulaye Wade ait eu la folie de le penser, que son gouvernement ait accepté de le présenter au Parlement, qu’il se soit trouvé une majorité de députés pour sérieusement penser à l’adopter (le gros de l’opposition ayant boycotté les dernières législatives, la majorité de Wade à la chambre est absolue) et que de Wade au dernier des parlementaires, tous ces gens aient pensé que les Sénégalais ne feraient rien, qu’il aie fallu attendre le dernier moment pour empêcher le désastre…. Rien, absolument rien dans ce cauchemar n’est à saluer. Ce projet de loi aurait dû, vu l’histoire démocratique de ce pays, être tout bonnement « impensable ». De la même façon qu’un coup d’état militaire en France, la fin de la monarchie britannique ou un Pape Africain sont impensables. Wade l’a pensé. Et ses députés et lui se sont étonnés de la réaction des Sénégalais. Moi aussi, à vrai dire.

J’avais vraiment cru que la stratégie du pot-au-feu avait finalement abouti. La recette est simple : cuisinez un peuple à feu doux, veillez surtout à ne pas le brusquer au départ, mais faites lui avaler à doses de plus en plus fortes, toutes sortes de projets législatifs, économique, architecturaux ou politiques plus abscons les uns que les autres, saupoudrez tout ça d’une fine touche de paternalisme, remuez toujours dans le bon sens, celui de l’exception nationale, Sénégal, lumière du monde et de l’Afrique, pour éviter tout débordement, pensez à corrompre à grandes louchées quiconque a la vélléité de faire usage de sa cervelle et le peuple est enfin prêt à tout accepter. Wade n’a peut-être pas assez corrompu.

Les Sénégalais pensent que le Sénégal, ne concerne qu’eux-seuls. Ils se trompent. Le Sénégal leur est prêté, c’est l’affaire de beaucoup d’Ouest-Africains, pour qui ce pays, le seul de la région n’ayant jamais connu de putsch, est un phare, le métronome. C’est justement pourquoi leur passivité inconcevable au cours des six dernières années, alors qu’il était évident qu’Abdoulaye Wade avait perdu tout sens des réalités et transformait leur pays en une énième satrapie tropicale m’a agacé d’abord, puis bouleversé et enfin anéanti. C’est comme de voir un ami d’enfance devenir opiomane.

Je me demande si les gens se rendent compte du changement : il y a dix ans, le monde se félicitait du sens démocratique des Sénégalais parce qu’ils organisaient une transition politique, pacifique, ordonnée, libérale ; aujourd’hui on devrait applaudir parce qu’il a fallu trois morts et une centaine de blessés pour éviter l’instauration d’une dyarchie héréditaire (de facto) dans leur pays. C’est ça le progrès ?

J’ai longtemps pensé que cette décennie serait celle des aspirations rabougries, le « printemps » sénégalais l’illustre bien, c'est-à-dire sordidement.

Joël Té Léssia

Éditorial: Pour une alternance générationnelle en Afrique

À Deauvillle lors des sommets du G8 et du G20, Nicolas Sarkozy a convié quelques chefs d’Etats africains, d’aucuns pour saluer leur accession démocratique au pouvoir en dépit de circonstances souvent très difficiles (Alassane Ouattara, Alpha Condé, Mahamadou Issoufou), d’autres pour leur engagement en faveur du NEPAD (Abdoulaye Wade, Abdelaziz Bouteflika notamment). Ces catégories de dirigeants représentent les deux versants d’une Afrique nouvelle : l’alternance démocratique et la vision économique fondée sur des programmes solides. L’ironie veut cependant que ces deux visions soient incarnées par des chefs d’Etat particulièrement âgés et presqu’en fin de vie pour certains : Alassane Ouattara a 69 ans, Alpha Condé 73 ans, Bouteflika 74 ans et Abdoulaye Wade officiellement 86 ans ! Seul Mahamadou Issoufou fait office d’exception avec ses 59 ans.

En face, le G8 enregistre des chiffres aux antipodes de ceux de l’Afrique. La moyenne d’âge des 8 chefs d’Etat et de gouvernement des pays les plus puissants est de 55 ans. Il aurait d’ailleurs pu être plus faible si l’Italie n’était dirigée par un certain Silvio Berlusconi. Du haut de ses 75 ans, le Président du Conseil italien fait office d’exception là où en Afrique il passerait presque pour un petit joueur… Entre la moyenne d’âge des chefs d’Etat africains conviés à Deauville et celle des dirigeants des pays les plus puissants de la planète, il y a presque une génération !

Les présidents africains présents à Deauville ne sont pas des boucs émissaires, pas plus qu’ils ne constituent des éléments superficiels d’une argumentation démagogique. Ils sont tout simplement à l’image de la classe politique africaine et de nos Etats dirigés par des personnes du 3ème, voire du 4ème âge. L’Afrique est indéniablement le continent dans lequel la moyenne d’âge des chefs d’Etat est de loin la plus élevée. Dans sa galerie de portraits des chefs d’Etat à qui il faut dire « Dégage ! » tout comme dans un article intitulé « Mais où sont passées les oppositions ? » Terangaweb a déjà mis en exergue les dangers d’une situation dans laquelle la population la plus jeune de la planète se trouve dirigée par les chefs d’Etats les plus vieux. Peut-on encore incarner les aspirations de la jeunesse algérienne ou sénégalaise lorsqu’on a 73 ans comme Bouteflika ou 86 ans comme Abdoulaye Wade ?

Le mal est même plus profond dans la mesure où il gangrène la quasi-totalité des partis politiques africains, y compris ceux des oppositions. On en vient alors, quand alternance démocratique il y a, à remplacer des chefs d’Etat mourants par de vieux opposants. L’alternance démocratique ne suffit pas ; il faut qu’elle aille de pair avec une alternance générationnelle. Si en effet la démocratie est le pouvoir du peuple, reste à savoir d’où vient le pouvoir et ce qu’est un peuple. Pour désigner le peuple, les Grecs usaient de trois termes[1] : laos ou le peuple en tant que masse d’hommes, ethnos ou le peuple formé de personnes de même origine, demos où le peuple habitant un territoire précis. La démocratie serait dont le pouvoir de ce troisième peuple. Or l’Afrique est aujourd’hui habitée par 450 millions de personnes âgées de moins de 15 ans et environ 850 millions âgés de moins de 60 ans, constituant ainsi près de 85% de sa population. Nos septuagénaires et octogénaires doivent tout simplement laisser la place aux quadra et quinquagénaires. Ou plutôt, ces derniers doivent prendre la place des premiers cités.

A cet égard, le renouvellement des structures politiques constitue un véritable enjeu pour l’Afrique.

Les différents mouvements de protestations qui secouent présentement le continent ont montré une extraordinaire aptitude de la jeunesse africaine à se passer des structures politiques classiques. Est-ce d’ailleurs proprement africain en ces temps où l’Europe commence à être gagnée par le mouvement « Indignados »  impulsé par la jeunesse espagnole? Mais en Europe, au moins, les partis politiques restent encore assis sur des socles idéologiques solides là où en Afrique le lien politique a été jusque là très ténu. Que la jeunesse africaine se mobilise (enfin !) et décide de sortir de sa torpeur est en soi une excellente nouvelle pour la marche de nos peuples. Mais cet état de fait devrait inquiéter les partis politiques qui sont tout simplement en train d’être marginalisés par les profonds bouleversements démographiques et sociaux en cours.

Pour relever le défi qui leur est lancé, les partis politiques doivent s’atteler à promouvoir de jeunes leaders auxquels la population pourra s’identifier plus aisément. Ceux-ci ont d’ailleurs une capacité de mobilisation importante et une plus grande aptitude à descendre dans la rue et à prendre part aux mouvements de protestions aux côtés de leur peuple.

Il sera aussi nécessaire, face à une démystification totale du discours politique, de mener une politique de l’action et non plus seulement du verbe. Cela devrait constituer une préoccupation aussi bien pour les partis d’opposition qu’a fortiori ceux au pouvoir. Il faudrait d’ailleurs que l’on cesse de cantonner la politique au pouvoir national. Ceux qui dirigent les collectivités locales (mairies, communes et communautés rurales notamment) doivent, par des actes concrets, redonner à la jeunesse le goût de la politique. L’enjeu est aussi de faire de la jeunesse une priorité du développement aussi bien local, national que continental.

Les partis politiques africains doivent donc relever le challenge de la (re) conquête de la jeunesse. Mais la jeunesse aurait aussi tort de croire que, pour réaliser ses aspirations économiques et sociales, elle peut faire abstraction des structures politiques.

Nicolas Simel



[1] Cf. Petit lexique des mots essentiels, O. V.

Ces chefs d’Etat à qui il faut dire « Dégage! »

Blaise Compaoré, sous ses airs de médiateur et de faiseur de paix dans les crises africaines, est un assassin de grand chemin. Au palmarès de son régime, le Président burkinabé compte Thomas Sankara, Henri Zongo et Jean Baptiste Boukary Lingani, mais aussi le journaliste Norbert Zongo et tout dernièrement le jeune Justin Zongo. Cet ancien parrain politique de Charles Taylor a aussi soutenu l’Unita en Angola et la rébellion ivoirienne. Son pays est une base arrière pour tous les conflits d’Afrique de l’Ouest et ce fourbe fait office de sage en Afrique. Quel triste sort que celui de ce continent ! Arrivé au pouvoir par coup d’état en octobre 1987, ce militaire a réussi à se faire élire à 4 reprises avec des scores de 80%, à coups d’intimidations, de fraudes massives et de tripatouillages constitutionnels. Il fait aujourd’hui face à des mutineries, y compris au sein de sa propre garde personnelle, et à de vives protestations de la part des étudiants et d’autres couches de la société. Il ne faudrait pas que son régime y survive. Blaise dégage !

Paul Biya dirige de main de fer son pays depuis 1982 et l’essentiel des 19 millions de Camerounais n’ont connu que lui. Il a réussi la prouesse de faire passer le Cameroun du statut de pays à revenu intermédiaire à celui de pays très pauvre et son régime a institutionnalisé la corruption en mode de gouvernance. Mais c’est surtout au plan politique que Paul Biya donne toute la mesure de son autoritarisme. Au début des années 1990, l’homme n’a concédé un semblant d’ouverture démocratique qu’au prix d’un massacre de plusieurs centaines de personnes. A la suite de sa volonté de supprimer la limitation des mandats présidentiels telle qu’initialement prévue par l’article 6.2, le roi fainéant a encore autorisé l’armée à tirer à balles réelles sur ses propres concitoyens fin février 2008. Depuis cette constitutionnalisation unilatérale d’une présidence à vie, ce catholique formé à Louis-le-Grand, à la Sorbonne et à Sciences Po Paris est devenu Biya l’Eternel. 2011 est une année d’élection présidentielle au Cameroun et il faut que Biya aussi dégage !

Denis Sassou Nguesso occupe les devants de la scène politique congolaise depuis…1979. Il n’a donné de répit à son peuple que pendant un intermède de 5 ans, juste le temps de perdre les élections de 1992 et de revenir en 1997, par les armes et avec le soutien de l’Angola, à la suite d’une guerre civile post-électorale extrêmement violente. C’est dire à quel point cet homme est obnubilé par le pouvoir. Que 70% de sa population vivent avec moins d’un dollar par jour alors que la manne pétrolière est captée par une petite minorité, cet homme n’en a cure. Il préfère organiser des simulacres d’élections et dilapider à New York ou à Paris l’argent de son peuple. Il est l’un des principaux chefs d’Etat impliqués dans l’affaire des biens mal acquis. Après la mort de son beau fils Omar Bongo, Sassou Ngesso est devenu le symbole vivant et dégoutant de plusieurs décennies de Françafrique. Sassou Ngesso dégage !

Eduardo Dos Santos est sans doute le plus grand voleur d’Afrique, en concurrence avec son homologue Obiang Nguema. Il a érigé un détournement systématique de la manne pétrolière de l’Angola à son profit. Un rapport de l’ONU a ainsi prouvé que plus de 4,5 milliards de dollars de recettes liées aux ventes de pétrole n’étaient pas déclarées dans le budget de l’Etat. La clique du MPLA au pouvoir et de leurs affidés est une véritable mafia, un tique qui suce le sang du peuple angolais. Malgré les richesses minières et pétrolières du pays, 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Malgré les immeubles haut-standing qui se construisent à Luanda, la majeure partie de la population de la capitale angolaise vit dans des bidonvilles indignes. L’Angola mérite mieux que cette classe politique qui a gardé ses réflexes prédateurs du temps de la guerre civile. Pour toutes ces raisons, Dos Santos dégage !

Teodoro Obiang Nguéma : Cet homme est une caricature ambulante. L’incarnation de l’Afrique bananière des bande-dessinées. Le fantôme contemporain des Bokassa et autres Mobutu Sesse Seko, en plus intelligent peut-être. Arrivé au pouvoir en 1979 par un coup d’Etat contre son oncle dont il était le chef d’Etat-major, Teodoro n’a eu de cesse depuis de faire de son pays sa propre ferme, des puits de pétrole équato-guinéens ses propres vaches à lait. Ses fils jouent les stars américaines à Hollywood tandis que les à peine 650 000 d’habitants de la Guinée-Equatoriale vivent privés de tout confort et manquant pour beaucoup du minimum vital. La Guinée Equatoriale est un eldorado pour quelques privilégiés et investisseurs étrangers, un enfer pour tous les autres. C’est peut-être le plus gros gâchis d’Afrique en rapport à son potentiel. Pour le bien du peuple équato-guinéen, Teodoro dégage !

Robert Mugabe est un Nelson Mandela qui a très, très mal tourné. Secrétaire Général de la Zimbabwe African National Union au début des années 60, alors que le pays est sous le joug d’une minorité blanche dirigée par Ian Smith, Robert Mugabe sera emprisonné pendant dix ans, de 1964 à 1974. Libéré en 1975, il rejoint le Mozambique d’où il participe à la lutte de libération du pays. La guerre terminée, Mugabe l’ancien prisonnier, le héros est élu Premier Ministre en 1980. Il opte pour la réconciliation nationale et forme un gouvernement d’union auquel participent toutes les fractions/partis rivaux y compris l’ancienne minorité blanche. Et puis, il y aura l’exacerbation des rivalités entre la ZANU et la Zimbabwe African Peoples Union, autre mouvement de résistance. Puis la Gukurahundi, la répression sanglante dès 1982 par les troupes de Mugabe des partisans de la ZAPU, quelques milliers de morts, beaucoup lors d’exécutions publiques. Et puis la fusion des deux mouvements en 1987. Puis la réforme agraire ratée, l’échec de la socialisation de l’économie, l’invasion du Congo, la catastrophe économique, sociale, alimentaire. Après viendront parachever le désastre, le tripatouillage des élections législatives et présidentielles en 2008. La répression des partisans de Tsvangirai. Et enfin le Robert Mugabe, autocrate sanguinaire, despote spoliateur, que l’on connaît aujourd’hui. Vraiment, Robert Mugabe doit dégager !

Mswati III. Sa majesté Mswati III. Ingwenyama. Le Lion. Chef de la tribu des Dlamini. 43 ans. 14 épouses. 24 Enfants. 200 frères et sœurs. Mswati, troisième du nom. Roi du Swaziland. Monarque absolu, dirige par décret et nomme le Premier Ministre et les Juges. 10% de la population swazi – essentiellement, la très large famille royale, ses alliés et obligés – concentre 60% de la richesse du pays. 69% des sujets du bon Roi Mswati III vivent avec moins d’un dollar par jour. 300.000 d’entre eux ne survivent que grâce à l’aide alimentaire mondiale. Les heureux habitants du royaume de Swaziland meurent en moyenne à 38 ans, à cause du fort taux de prévalence du VIH. Mswati III, né Prince Makhosetive (« Roi des Nations ») Dlamini, 67e fils du Roi Sobhuza II, a une fortune personnelle estimée à 100 millions de dollars et s’est alloué 13 millions d’euros, en 2004, sur les fonds publics, pour la construction d’une résidence pour ses épouses. Mswati III réprime aujourd’hui dans le sang les opposants et simples citoyens protestant contre la cérémonie prévue pour célébrer, toujours dans le faste le plus abject, les vingt-cinq ans de son arrivée au pouvoir. Faut-il encore préciser que Mswati III doit dégager ?

Le Makhzen. Nous ne serons pas plus royaliste que le roi. Dans leur grande majorité, les manifestants marocains ne demandent pas tant le départ du roi Mohamed VI que la fin du système monarchique archaïque qui a fait de l’arbitraire et des passe-droits la règle, des Marocains des sujets passifs et non des citoyens responsables. Le mouvement du 20 février, mouvement des citoyens qui appellent au changement, veut la fin de ce système, le makhzen. Ils veulent faire du Maroc non pas un pays qu’il fait bon visiter, mais un pays où il fait bon vivre. Ils devront faire face aux pesanteurs du système, dont le personnel politique, à commencer par le roi lui-même, compte bien rester en place. Ils devront donner tort à la célèbre formule du Guépard : « tout changer pour que rien ne change ». Il faut que le makhzen dégage !

Abdellaziz Bouteflika : Ce n’est pas insulter le rôle historique qu’a pu jouer Bouteflika dans l’histoire contemporaine de l’Algérie que de dire que son troisième mandat est le mandat de trop. Un vieillard retranché dans son palais ne peut pas diriger un pays jeune, dynamique, sous tension économico-sociale, en pleine mutation. Il faut quelqu’un auquel les jeunes générations puissent s’identifier, quelqu’un qui soit au centre de l’action et au milieu de son peuple, quelqu’un qui insuffle de l’énergie. Bouteflika est un dinosaure d’un autre temps. Il aurait dû quitter la scène au bon moment. Réformer le système avant qu’il n’y soit contraint par le peuple. Un système sclérosé, gérontocratique, élitiste, militariste, corrompu, auquel il faudra s’attaquer et réformer de fond en comble pour améliorer la redistribution des richesses au-delà des seuls investissements en infrastructures. Pour que la nouvelle Algérie puisse prendre son envol, Bouteflika dégage !

Omar el-Béchir : Le président soudanais est accusé de crimes contre l’humanité par le Tribunal Pénal International. Sous sa présidence, son pays a connu des massacres terribles au Darfour et une guerre civile meurtrière au Sud-Soudan. Qu’il les ait personnellement guidés ou non, Omar el-Béchir est responsable. Responsable de la division interne au Soudan ; de la haine attisée entre les différentes composantes de sa population. Héritier d’une autre époque, celle de l’islamisme d’Etat triomphant, Béchir s’est reconverti depuis dans le développement à coups de pétrodollars chinois. Paria de la communauté internationale, acteur central des intrigues et exactions des années sombres du Soudan, il est aujourd’hui un boulet pour son pays qui cherche à aller de l’avant et à tourner la page. Suffisant pour dire, Omar dégage !

Isayas Afewerki. Le parcours d’Isayas Afewerki est typique du « Père » de l’indépendance Africain, lorsque celle-ci a été acquise par la voie des armes. Après une guerre de trente ans contre l’Éthiopie, en 1991, l’Érythrée obtient son indépendance (de facto, l’accession officielle se fera deux ans plus tard). Afewerki à la tête de l’Eritrean People's Liberation Front, accède au pouvoir. Son armée devient le People's Front for Democracy and Justice, parti unique. La constitution rédigée en 1998 n’a jamais été implémentée. Afewerki dirige seul, emprisonne les dissidents (chaque fois plus nombreux et plus proches de lui), interdit la presse indépendante, a chassé les ONG internationales du pays et se livre depuis une dizaine d’années à un aventurisme militaire dans la région. Isayas Afewerki déclarait en mai 2008 : « les élections polarisent la société ». C’est pour cette raison qu’il a décidé de les « repousser » de trois ou quatre décennies. Isayas Afewerki… Dégage !

Yoweri Museveni dirige l’Ouganda depuis 1986. Il fit partie, dans les années 1990, avec Paul Kagamé, Meles Zenawi et Isayas Afewerki de la… « Nouvelle génération de Leaders Africains ». Tous quatre sont arrivés au pouvoir par les armes. Museveni avait pourtant bien commencé. Hormis une première période marxiste-léniniste, sa première décennie au pouvoir le voit organiser un système politique avec restriction de la représentation politique – les partis politique sont autorisés, mais les candidats se présentent en tant qu’individus, hors parti – certes, mais un gouvernement élargi et à composante multiethnique et une relative restructuration de l’économie. Puis, dans cette région troublée des Grands Lacs, il y eut la seconde Guerre du Congo – 5 millions de morts – la répression des mouvements rebelles – dont la sinistre Armée de Libération du Seigneur – la réforme constitutionnelle suspendant la limite de deux mandats, l’intimidation et l’emprisonnement des opposants. Yoweri Museveni est au pouvoir depuis vingt-cinq ans. Les fleurs de la « nouvelle génération » ont fané. Museveni doit dégager !

Abdoulaye Wade, au pouvoir depuis 2000 (seulement !), est un octogénaire sénile que sa mégalomanie a perdu. Après avoir fait rêver le Sénégal, il s’est attelé avec zèle à la dégradation de toutes les institutions publiques. Il a préféré humilier tous ceux que le pays comptait de compétents pour s’entourer d’ignares et de roublards de tous bords devenus les thuriféraires du régime. Il a ensuite confié la conduite du pays à son fils Karim pressenti pour lui succéder dans le cadre d’une dévolution monarchique du pouvoir. Au nom du père, du fils et du saint esprit ambiant, l’alternance politique est devenue une alternoce, cette course avide à qui s’enrichit le plus en un temps record. Malgré ses grandes idées pour l’Afrique, au Sénégal, sa stratégie de croissance accélérée est un échec patent. Ne pas arrêter ce vieillard et le clan qui l’entoure est un crime de non assistance à un pays en voie de sous-développement et de recul démocratique. Wade dégage !
 

Joel Té Léssia, Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye

Une affaire d’indépendances

 

Durant mes années au Sénégal, tous les 7 décembre, au matin, le drapeau ivoirien était hissé aux côtés des couleurs sénégalaises. L’armée sénégalaise célébrait l’indépendance d’un « pays frère » – à ceci près que la Côte d’Ivoire acquit son indépendance le 7… août 1960. C’est un des secrets les mieux gardés de l’histoire du Prytanée Militaire de Saint-Louis. La raison en est que la fête nationale signifiait pour les nationaux du pays célébré, dîner organisé par la princesse avec tout le gratin militaire, professoral et étudiant de l’école, jus de fruit à volonté et double ration de poulet-frites. L’amour que nous portions à notre pays était beaucoup moins chatouilleux qu’aujourd’hui – il supportait ce genre de coups de butoir. C’est seulement vers la fin qu’on comprit l’origine de la méprise : le 7 décembre était la date anniversaire de la mort d’Houphouët-Boigny. Un troufion à l’État Major avait dû intervertir les fiches. Personne n’avait vérifié les dates depuis 1993 …

Le souvenir de ce running-gag tellement militaire m’est revenu lundi dernier tandis que le Sénégal célébrait les cinquante-et-un ans de son indépendance. L’indépendance du Sénégal, un autre running gag. Les Sénégalais eux-mêmes font semblant d’y croire ; comme ils font semblant en tout d’ailleurs : de croire que le « modèle démocratique » sénégalais existe encore ; d’adhérer à la pantalonnade de « l’excellence éducative » sénégalaise, etc.

Il existe un Sénégal fantasmé dans l’imaginaire collectif sénégalais – on me dira qu’il existe également une France fantasmée, un Nigeria Fantasmé, un Burkina Faso fant… Non, soyons honnêtes, les hommes intègres sont assez lucides pour ne rien fantasmer de la réalité de leur pays – dans ce Sénégal, la philosophie et la culture sénégalaises font l’envie du MONDE ENTIER – littéralement – ; il n’y a que l’Egypte et l’Afrique du Sud qui en Afrique rivalisent, à peine, avec ce Sénégal ; dans ce Sénégal, Wade a tout fait avant tout le monde et tout compris ; il n’y a plus de poésie possible après Senghor, il n’y a pas de guerre en Casamance ; Gorée est le seul port négrier d’Afrique, les Sénégalais descendent des pharaons, la gastronomie sénégalaise est grasse juste ce qu’il faut, il n’y a pas de risques de crise alimentaire et… tout le monde jalouse le Sénégal.

Les Sénégalais se paient de mots. Ils les adorent (« les mots du français rayonnent de mille feux, comme des diamants » LSS) et en assomment tout le monde. Ils les aiment grands et plein de sens. Peut-être parce que la réalité du pays est rabougrie et monotone ? Lundi 4 Avril, le Sénégal célébrait ses cinquante-et-un ans d’autonomie territoriale. Comme dans l’histoire du 7 décembre, j’ai l’impression que personne n’ose lui dire qu’il lui manque encore l’autonomie administrative, politique, culturelle, militaire et financière. J’ai adoré vivre au Sénégal et j’aime ce pays, alors, si je peux être la voix amie qui rend les mauvaises nouvelles supportables

(Quand on est malheureux, on doit être méchant.) 

Joël Té Léssia

Wade n’est pas obligé…

“La constitution est la charte, l’ensemble des textes de loi fondamentaux qui déterminent la forme de gouvernement du Sénégal, le régime et les institutions de l’Etat.” (examen.sn)

Le débat sur la recevabilité de la candidature de Me Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, à un troisième mandat, a pris une certaine ampleur qui mérite attention. Tout d’abord du point de vue politique: les Sénégalais sont fiers de la maturité de leurs institutions et de leur avancée démocratique, notamment depuis l’alternance pacifique de 2000. Ensuite sous un angle juridique: le texte adopté par le peuple et en vigueur depuis le 7 janvier 2001 semble pour le moins ambigu sur une question aussi cruciale que la limitation du nombre de mandats du Chef de l’Etat. Enfin sur le plan social: la question oppose avec virulence les tenants de la candidature de l’intéressé et ceux de son impossibilité.

Le 19 mars 2000, Abdoulaye Wade est élu au second tour avec une large coalition de partis politiques, devant le président PS sortant, Abdou Diouf, au pouvoir depuis 1981. Il prit sur lui de convoquer les Sénégalais à un référendum proposant une nouvelle constitution, adopté à une majorité historique, avec l’acquiescement de l’opposition. La nouvelle constitution a survécu, il est vrai avec moult retouches législatives selon les calculs du moment, pendant une décennie. Elle réorganise le régime en conférant plus de pouvoirs au Parlement par-ci et créant de nouvelles institutions de surveillance par-là. La démocratie sénégalaise semble renforcée et remise sur des rails plus solides. Continue reading « Wade n’est pas obligé… »

Bilan de 2009 pour le Sénégal: Etat en deliquescene, appauvrissement et frusatration des populations

De l’année 2009 qui vient de s’écouler, que retenir pour le Sénégal si ce n’est que l’Etat y est en déliquescence, que les populations se sont incontestablement appauvries et que la frustration y a touché un seuil jusque là jamais atteint ?

Il n’est guère besoin de s’y attarder, l’Etat au Sénégal est en faillite. Le Président Wade n’incarne même plus un pouvoir qui a déserté un gouvernement pléthorique dont la plupart des ministres sont des pantins, une Assemblée Nationale entre les mains d’un petit groupe de bandits, un Sénat qui ne sert qu’à élargir l’éventail de rente du pouvoir. Dans ce pays, la constitution et les institutions y ont été vidé de leur sens ; le président sent bien venir l’apocalypse et ne pourra sauver ni l’Etat, ni son parti ni même son propre fils. il ne lui reste plus qu’à s’accrocher à son espèce de monument dit de la renaissance africaine qui suscite l’indignation de notre peuple et fait la risée de notre pays dans la presse internationale. On ne peut plus rien attendre d’Abdoulaye Wade sur le plan politique, il a perdu la mesure des choses et son entourage ne l’a jamais suffisamment eue. Continue reading « Bilan de 2009 pour le Sénégal: Etat en deliquescene, appauvrissement et frusatration des populations »