Les OGM, une opportunité ou une menace ?

Un Organisme Génétiquement Modifié (OGM) est un organisme vivant créé artificiellement par l'homme par le biais de la modification de l'identité génétique d'un organisme existant. Des techniques récentes permettent de prélever un ou plusieurs gènes sur un organisme et de les insérer dans le patrimoine génétique d'un autre. Le comportement dans l'environnement des nouveaux organismes vivants ainsi créés peut être imprévisible. Pour mettre un terme à la faim dans le monde, les OGM constituent-ils le miracle annoncé, ou sont ils une menace pour les pays en voie de développement ?

Certaines plantes génétiquement modifiées sont capables de produire elles-mêmes leurs propres insecticides. Ainsi l'homme n'est plus obligé de pulvériser les champs. Ce qui permet d'enrayer l'augmentation massive de la concentration en pesticides des eaux souterraines. Parmi les avantages des OGM, l’apparition de nouvelles variétés plus performantes et plus résistantes à certaines maladies est un argument central. Les nouvelles générations d’OGM permettent d'améliorer certaines caractéristiques des plantes ; sur le plan nutritionnel : petits pois contenant plus d'acide aminé par exemple ; sur le plan technologique : pommes de terre absorbant moins de matières grasses à la cuisson, ou un retard de maturation pour une conservation plus longue. Pour les défenseurs des OGM, les filières agricoles qui existent actuellement peuvent cohabiter : les cultures traditionnelles, les cultures « bio » et les cultures OGM. On pourrait produire des OGM sans menacer les autres formes d'agriculture.

Toutefois, on observe une contamination des autres plantes par les pollens issus des OGM dans les champs par le biais notamment des machines agricoles, dans les silos de stockage, pendant le transport et la transformation des produits… Celle-ci est irréversible et incontrôlable, et nuit gravement à l'ensemble de la biodiversité de la planète. Certains OGM permettent l’utilisation des herbicides tout au long de la pousse des plantes. Ceci peut entrainer plus de pollutions des sols et des nappes phréatiques. En outre, utiliser les herbicides en permanence, c'est prendre le risque de voir apparaître de mauvaises herbes qui vont devenir résistantes aux herbicides. Par ailleurs, à cause des antibiotiques utilisés dans la fabrication des OGM, les scientifiques craignent le passage de ce gène de résistance à des bactéries du système digestif animal ou humain. Beaucoup de paysans de pays en développement, du fait de leur vulnérabilité ou de leur manque d'information, ne se préoccupent que peu de ces questions. Leur principal souci est le coût de production de leur plantation. Ils n’hésitent pas à utiliser des OGM s’ils les jugent moins cher. Pour les grands producteurs également, la culture d'OGM est synonyme de moins de travail et d'une baisse des coûts.

Il y a toutefois un enjeu politique et économique considérable derrière la culture des OGM, qui permet à quelques grandes firmes internationales de contrôler la production de l’alimentation grâce aux brevets déposés sur les semences OGM. Ainsi, la société Monsanto détient aujourd’hui 90% du monopole sur les semences transgéniques cultivées dans le monde, et n’hésite pas à traîner en justice tout agriculteur soupçonné de les utiliser «illégalement». En effet, il est interdit de ressemer les semences récoltées. Cette interdiction représente une menace grave pour la biodiversité et la sécurité alimentaire mondiale. Depuis la nuit des temps, ce sont les pratiques de réutilisation et d’échanges de semences entre paysans qui ont permis de développer la culture de variétés de plantes adaptées aux conditions locales. Une dépendance totale des petits paysans à l’égard des multinationales pour l’achat des semences, engrais et pesticides, les entrainent dans une spirale infernale, surtout en cas de mauvaises récoltes qui les obligent à s’endetter jusqu’au cou.

Le risque du développement généralisé des OGM est l'arrêt de toutes autres formes d'agriculture. Développer les OGM, c'est en réalité assurer le monopole de l'agriculture aux multinationales. L’objectif de ces dernières étant d’accroitre leurs profits. Et accessoirement, de créer des plantes qui puissent résister aux insectes et aux herbicides, ainsi que de faciliter le travail des agriculteurs et d’éradiquer la faim. Reste à savoir si la réponse à la problématique de la faim dans le monde doit venir d’un surplus de production ou d’une meilleure répartition de ce qui est produit. 

Une alternative consisterait à développer des infrastructures adaptées à chaque pays, chaque région. Il faut permettre aux petits paysans des pays en voie de développement de mettre en œuvre des pratiques agricoles adaptées à leur milieu, viables sur le long terme et qui ne les rendent pas dépendants des firmes agrochimiques. Il faut promouvoir une agriculture durable. Et il est de la responsabilité de ces multinationales qui veulent contrôler l’agriculture de prendre en considération l’ensemble de parties prenantes et de les satisfaire au mieux. Il y a un réel manque d'information et d'objectivité de la part des autorités des pays en voie de développement, particulièrement en Afrique, dans l’introduction des OGM dans leurs pays. La fabrication des OGM est récente et nous manquons de recul sur leurs effets. En plus, les observateurs restent sceptiques quand à l’indépendance des études portant sur le sujet et des fortes incertitudes demeurent sur les risques pour l'environnement et la santé. Dans la mesure où il s'agit de manipuler le vivant, cette légèreté est extrêmement inquiétante. Nous laissons des industriels uniquement préoccupés par la rentabilité de leurs investissements toucher à l'ADN et modifier les gènes. Ces firmes, comme Monsanto, à travers les brevets sur leurs inventions, contrôlent le vivant. Au final, n’assiste-t-on pas à une marchandisation du vivant ? Des groupes de réflexions sont à encourager pour une vraie prise de conscience sur la question. Le vivant est un patrimoine commun de l'humanité dont il convient de prendre soin.

 

Djamal HALAWA

 

Crédit image : http://www.confrontations.info/?p=1899

Charlotte Libog : « L’entrepreneuriat agricole en Afrique est une opportunité pour tous»

La plateforme AGM – Afrique Grenier du Monde fondée par Charlotte Libog s’attache à promouvoir l’énorme potentiel agricole de l’Afrique qui est, selon elle, un puissant levier pour le développement économique.

Afrique Grenier du Monde

Terangaweb : Pourriez-vous nous décrire brièvement votre parcours et la raison pour laquelle vous avez créé la plateforme AGM?

Charlotte LibogC.L. : Je suis consultante e-business et entrepreneur, mariée et mère de trois enfants. Suite à un parcours chaotique se rapportant à la création d’une structure de production de cultures vivrières au Cameroun il ya deux ans, j’ai décidé de mettre sur pied un outil d’accompagnement dédié à l’entrepreneur agricole en Afrique subsaharienne. C’est pour cette raison que j’ai créé début 2012  la plateforme AGM (Afrique Grenier du Monde) avec le concours d’un collectif de cadres et d’entrepreneurs d’horizons divers. Le but de cette plateforme est d’œuvrer modestement mais efficacement pour la relance de l’agriculture africaine via l’entrepreneuriat.

La plateforme AGM constitue également un outil de promotion du potentiel agricole en Afrique dont l’exploitation efficace permettrait de répondre à divers enjeux liés au développement du continent, mais également de représenter une solution efficace pour la donne alimentaire mondiale. En effet, nous sommes dans un contexte d’insécurité alimentaire avec une offre largement inférieure à la demande et l’Afrique, continent agricole par excellence avec plus de 60 % des terres arables mondiales reste aujourd’hui le seul continent encore importateur net de denrées alimentaires. Il faut absolument inverser cette tendance.

Terangaweb : Le coût des machines, ainsi que celui des intrants et des semences améliorées voire des semences hybrides F1 qui vont de pair avec une utilisation intensive d’intrants chimiques a jusqu’ici été considéré comme le principal obstacle au développement de l’agriculture africaine. Pensez-vous que l'agriculture en Afrique puisse se développer sans l'apport d'énormes investissements?

C.L. : Divers experts en la matière dénoncent le caractère dangereux des semences OGM qui appauvrissent le sol tout en obligeant les agriculteurs à investir massivement dans les produits chimiques coûteux et néfastes à leur santé. C’est la raison pour laquelle nous optons pour la promotion de l’agro-écologie en matière de production.

En Afrique, nous avons intérêt à vulgariser ce concept, tout d’abord parce que les coûts de production sont plus intéressants puisque tout est présent dans l’environnement gratuitement et de façon abondante. Ensuite, c’est un moyen pour tout agriculteur de gagner en productivité. Par ailleurs, c’est l’opportunité donnée aux uns et aux autres d’œuvrer pour la protection de l’environnement. En résumé, on récupère tout, on réutilise tout, on ne jette rien et on devient plus productif. On est gagnant sur toute la ligne.

A l’heure actuelle, bien que  nous en parlions très peu, l’agro-écologie est un concept à développer car le modèle agro-industriel actuel a un impact négatif sur l’environnement. Il est par conséquent impératif d’agir dès maintenant en mettant à disposition du public de l’information, en proposant des sessions de sensibilisation et en soutenant la création d’entreprises sur l’ensemble de la chaîne de valeur (production, logistique, commercialisation, transformation, formation agricole, financement et assurance). En effet, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, l’offre alimentaire mondiale est inférieure à la demande. Ceci est d’autant plus urgent en Afrique avec l’importante  croissance démographique sans précédent que connaît le continent.

Terangaweb : L’agro-écologie est effectivement le modèle vers lequel tendent de plus en plus de grandes puissances agricoles telles que le Brésil (qui a condamné la firme Monsanto en 2012)  pour publicité mensongère) et la France. Paradoxalement, on assiste actuellement à la hausse des investissements en Afrique pour l’introduction des semences hybrides et OGM par les principaux industriels de l’agrobusiness, lesquels sont soutenus par certains gouvernements, mais aussi par le programme alimentaire mondial, l’USaid, la fondation Bill et Melinda Gates (cette dernière est actionnaire de Monsanto). Face à toutes ces initiatives, pensez-vous tout de même réussir à promouvoir les pratiques agro-écologiques en Afrique ?

C.L. : Avec de la bonne volonté et l’implication de tous, nous pouvons y arriver. Effectivement, l’Afrique connaît aujourd’hui une croissance réelle et durable et devient le nouvel eldorado des investisseurs peu scrupuleux. Nous n’avons pas le choix, nous devons réagir avec les bonnes manières et faire comprendre à tous que le développement de l’Afrique doit aussi se faire au profit du bien-être des Africains malgré le fait que nous vivons dans un monde capitalistique qui ne cesse de dominer les plus pauvres.

Pour cela, la plateforme AGM a besoin de l’adhésion de tous pour construire les bases du développement de l’entrepreneuriat agricole, œuvrer pour revaloriser l’image de l’entrepreneur agricole et résoudre le problème du chômage des jeunes. Par ailleurs, nous avons déjà commencé à déployer nos activités en Afrique, à travers la plateforme pilote que nous venons de lancer au Cameroun, l’idée étant d’y installer un bureau permanent. Nous commençons par l’Afrique francophone, avec les prochains déploiements prévus très prochainement au Congo et au Mali.

Terangaweb : Une campagne de sensibilisation a débutée en février avec le Cameroun. Quel a été le retour des populations concernées?

C.L. : Cette campagne est en fait le déploiement du dispositif ISAP (Informer, Sensibiliser, Accompagner, Plaider) sur le terrain. Il s’agit principalement de former et de sensibiliser sur l’urgence et la nécessité d’investir dans l’entrepreneuriat agricole. Nous avons deux cibles : les entrepreneurs ruraux parrainés par les coopératives agricoles partenaires de la plateforme AGM d’une part, et des entrepreneurs et porteurs de projets d’autre part. En un mot, nous visons le secteur privé en général afin de l’amener à s’intéresser de plus en plus au domaine agricole.

Dans le cadre de cette première étape, nous avons mis en place des partenariats avec deux coopératives agricoles, une coopérative constituée de femmes et une autre de jeunes. Nous avons pour ambition la mise sur pied d’unités de transformation avec ces coopératives en vue de la commercialisation de leurs produits. La transformation est également une réponse au phénomène de pertes post-récoltes qui représente entre 30 et 40% des produits agricoles au Cameroun. Ce chiffre est bien trop important et il résulte du manque d’infrastructures et des faiblesses structurelles du secteur agricole. A terme, nous souhaitons créer des partenariats étroits avec le secteur privé et créer des passerelles entre le monde rural qui est très difficile à approcher et le secteur privé.

En outre, nous menons des actions de plaidoyer destinées à nos dirigeants pour favoriser les échanges au sein même du continent car il est aberrant de constater que sur le continent africain il est plus facile de commercer avec la Chine qu’avec les pays voisins. Il est temps de mettre en place des politiques sous-régionales et régionales pour faciliter l’entrepreneuriat agricole en Afrique afin de voir enfin émerger l’agriculture africaine.

Les Moissons du Futur de Marie-Monique Robin

 

 

Interview réalisée par Awa Sacko


Pour plus d’informations :

– La Plateforme AGM : www.afriquegrenierdumonde.com

Les Moissons du Futur de Marie-Monique Robin :

http://www.youtube.com/watch?v=RM7XovfFiUM

http://www.arte.tv/fr/les-moissons-du-futur/6815836.html

Assurer la sécurité alimentaire : un enjeu majeur de l’intégration régionale en Afrique

1_15a_Sousalimentes_1990-2005-01Les coups de projecteur médiatiques sur les crises alimentaires dans la bande sahélienne ou la famine dans la Corne du continent renvoient à des situations de détresse qui sont devenues des lieux communs du mal-développement africain. Une image de misérabilisme qui est malheureusement confortée par les faits : sur les 925 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, 300 millions vivent en Afrique. 3 africains sur 10. A n’en pas douter, la sécurité alimentaire sera l’un des grands enjeux du continent au XXIe siècle.

Une situation d'autant plus inacceptable que l’Afrique dispose d'un potentiel à la hauteur du défi. Elle importe jusqu'à 85 % de ses denrées, alors qu'elle dispose de plus de 700 millions d'hectares de terres arables non exploitées. Deux fois la superficie de la zone UEMOA… Elle a à sa disposition parmi les plus grands fleuves du monde (Nil, Congo), mais seulement 3 % de ses terres sont irriguées, contre plus de 20 % dans le monde. Son sous-sol regorge de très importants gisements de phosphates (Maroc, Sénégal, Togo…), mais la consommation d'engrais y est dérisoire (13 kg par hectare, contre 190 kg en Asie de l'Est selon la FAO). L'Afrique est la seule région au monde où la production agricole par habitant a baissé ces deux dernières décennies, avec des rendements à l'hectare en moyenne deux fois inférieurs à ceux des autres pays en développement. Une prise de conscience qui ne s’est cependant pas répercutée sur les budgets nationaux alloués à l’agriculture, les États d'Afrique ne consacrant en moyenne que 4 % de leurs dépenses publiques à ce secteur, contre 11 % à 14 % en Asie.

De la nécessité de renforcer l'intégration régionale

Cette situation n’est pourtant pas une fatalité. Et une approche régionale effective contribuerait à faire réussir le pari d’une révolution verte africaine. Ainsi, pour reprendre les exemples précédents, l’insécurité alimentaire dans la zone sahélienne renvoie d’abord aux déficiences de l’agriculture subsaharienne en général et aux limites des politiques agricoles nationales concernées en particulier (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Soudan), tandis que les épisodes de famine en Afrique de l’Est sont d’abord le produit d’une absence de stabilité politique, si ce n’est d’un chaos institutionnel (Somalie). Deux cas de figure emblématiques mettant en jeu la sécurité alimentaire en Afrique et pour lesquels les projets d’intégration régionale, s’ils sont menés avec discernement et patience, produiront toujours plus de résultats qu’une stratégie nationale, par définition plus limitée.

Les défis à relever sont à la mesure des dimensions du continent, immenses. L’agriculture en Afrique, c’est 65 % de la population active pour 32 % du PIB (source : Banque mondiale). Mais traditionnelle, éloignée des grandes aires urbaines, très peu mécanisée et souvent coupée des principaux circuits commerciaux, elle a les plus grandes difficultés à nourrir les 400 millions de citadins du continent. Quant aux campagnes, les conditions y sont si précaires que les populations, réduites à l'autarcie, sont irrémédiablement frappées de disette en cas d’adversité climatique et de mauvaises récoltes. Pour peu que l’instabilité politique s’y ajoute, la situation alimentaire peut alors devenir extrêmement critique. 

Des solutions existent pourtant. Ainsi, pour affermir l’agriculture africaine, il conviendrait de renforcer le droit de propriété, protéger les filières locales, augmenter les barrières douanières, instaurer de nouveaux mécanismes de financement, et investir dans les infrastructures. Autant de points pour lesquels l’intégration régionale peut apporter une réponse décisive.

afrique verteS’agissant du respect du droit de la propriété, condition sine qua none pour rendre les paysans maîtres de leur sort et les intéresser à produire davantage et mieux, l’harmonisation en cours des lois et règlements (l’expérience panafricaine de l’OHADA dans le domaine du droit des affaires en est une parfaite illustration) au sein des communautés régionales africaines est déjà une réalité. En conséquence, la transparence et la prévisibilité des opérations tout autant que le cadre général des affaires tendent à progressivement s’améliorer dans les classements internationaux ( rapport annuel Doing Business de la Banque mondiale en anglais). Certes, c’est encore trop peu, et les résultats peuvent sembler encore bien modestes au regard de ce qui se fait sous d’autres latitudes. Mais il y a incontestablement un progrès depuis les débuts du processus d’intégration régional en Afrique.  

Autre aspect majeur de l’intégration régional, la constitution d’un marché commun élargi qui étend les possibilités d’échanges commerciaux à l’intérieur d’une communauté de pays membres tout en protégeant les filières agricoles de ces derniers par l’instauration d’un tarif extérieur commun (TEC). La différence de taxation sur des produits agricoles entre pays membres et non membres de la zone régionale peut ainsi aller jusqu’à plus de 20 points dans certains pays (Tanzanie, Kenya, Ouganda) Un moyen de lutter contre une concurrence extérieure parfois déloyale (produits agricoles subventionnés provenant de l’UE et des Etats-Unis) et de permettre à des acteurs locaux d’émerger progressivement (SIFCA, SUNEOR, SOMDIAA). Sur ce point, des recherches récentes (en anglais) effectuées sur les liens de causalité existant entre l’intégration régionale en Afrique et la sécurité alimentaire sur le continent concluent qu’un léger effet positif d’allocation (réallocation des facteurs de production, efficacité accrue, accroissement des échanges de matières premières agricoles au sein de la zone régionale et effet modérateur sur le prix des denrées alimentaires) peut être observé tandis que l’effet d’accumulation (investissements en hausse, spécialisation plus forte et intensification de l’innovation) attendu de la mise en place effective d’un bloc régional était marginal. Des résultats contrastés qui traduisent d’abord et avant tout un manque d’intégration effective plutôt qu’un effet pernicieux de celle-ci.

Enfin, une autre dimension essentielle doit être évoquée pour expliquer les difficultés persistantes rencontrées par l’agriculture subsaharienne, et partant la fragilité de la sécurité alimentaire qui en découle : le financement. Pour nourrir les 2 milliards d'Africains attendus en 2050, la FAO estime à 11 milliards de dollars (8,3 milliards d'euros) par an dès aujourd’hui le montant des investissements nécessaires (achats d'outils et de machines, mise en place de systèmes d'irrigation et de filières de transformation, augmentation des capacités de stockage et de transport, recherche agronomique…) pour assurer la sécurité alimentaire du continent. Un effort financier hors de portée pour une nation, et qui implique le plus souvent plusieurs pays en raison du caractère transversal des projets concernés (barrages, routes et canaux d’irrigation transfrontaliers).

Une considération pour laquelle il faut ajouter la nécessité de s’assurer que les investissements réalisés seront bel et bien convertis en ressources alimentaires et en revenus pour les populations locales. Le risque étant de voir quelques grands opérateurs privés (groupes agro-industriels ou financiers) accaparer de plus en plus de terres (lire ici un article Terangaweb sur ce sujet) pour des cultures d’exportations hautement rentables, et qui se ferait au détriment des petits producteurs nationaux. Un dilemme entre la nécessité d’attirer d’indispensables capitaux privés et la défense des intérêts nationaux Une position délicate pour laquelle une structure régionale est mieux armée et ce tant par ce qu’elle permet de mutualiser plus aisément les moyens disponibles (l’UEMOA disposait ainsi d’une enveloppe globale de 6 milliards de dollars pour les projets d’intégration régionaux sur la période 2006-2010, un montant supérieur au budget annuel de la Côte d’ivoire, première puissance économique de la zone) que d’élaborer une politique agricole d’ensemble, tout en ayant un rapport de force qui lui soit plus favorable face à d’éventuels partenaires externes.

Des premiers résultats contrastés mais encourageants

Au final, il existe peu de travaux académiques qui étudient spécifiquement la structure des échanges agricoles et leurs retombées au sein des communautés régionales africaines en matière de sécurité alimentaire. Il est vrai aussi que les projets d’intégration régionale en Afrique sont le plus souvent des créations récentes, ce qui rend malaisé la constitution empirique de preuves sur une échelle longue de temps. Une fois ces précautions énoncées, il reste cependant à constater que l’ensemble des études portant sur la question en arrive à la même conclusion : l’intégration régionale en Afrique a généré des effets bénéfiques, bien que limités en matière d’échanges intra-régionaux de produits agricoles et de renforcement de la sécurité alimentaire. A l’échelle de l’Afrique subsaharienne, la part des échanges intra-régionaux (CEDEAO, EAC, SADC…) s’agissant des produits agricoles est ainsi passée de 15 à 19 % entre 1990 et 2009. Une progression modeste et souvent inégale (la COMESA et la SADC étant considérés comme les bons élèves en la matière, alors que la CEDEAO est à la peine), mais qui traduit une amélioration des fondamentaux agricoles et des échanges intra-régionaux correspondants depuis la mise en place des principales communautés régionales. En ce sens, l’intégration régionale est plus que jamais indispensable pour relever le pari de la sécurité alimentaire en Afrique au XXIe siècle.

Jacques Leroueil
 

Pour la vente des terres agricoles : un partenariat public-privé classique !

agricultureAvant de développer notre argumentaire en faveur de la vente des terres agricoles africaines, il est important de s’accorder sur un axiome qui sera le fil conducteur de la démonstration : l’agriculture de subsistance n’a pas sa place dans des pays émergents/développés. Autrement dit, aucun habitant d’un pays développé ne doit avoir à dépendre des résultats de sa propre agriculture pour subvenir aux besoins de son alimentation. L’idée sous-jacente défendue est que chaque citoyen doit avoir une activité qui générera des revenus lui permettant d’accéder à un marché sur lequel il pourra trouver les produits agricoles. Fort de ce pré-requis, la seule agriculture qui doit subsister est une agriculture industrielle, à but non plus vivrier mais purement lucratif. Il ne reste plus alors qu’à répondre à un certain nombre de questions : comment répondre aux besoins de consommation de la population ? Qui dispose des meilleures capacités pour exploiter de la manière la plus efficiente les sols africains et pour quelles cultures ?

La première question est une fausse question. A une échelle individuelle, il n’est pas nécessaire de produire soi-même son alimentation, c’est une évidence. La seule question ici est une question de disponibilité des aliments à un coût final acceptable (coût de la denrée et coût d’accès à la denrée). A une échelle nationale, il n’est pas non plus nécessaire pour un pays d’être capable de produire la consommation nationale de produits alimentaires. La seule obligation de l’Etat est d’assurer comme dans le cas individuel un accès à un coût moindre aux denrées alimentaires de base. Pour cela, l’Etat peut inciter des acteurs privés à alimenter le marché tout en gardant une supervision nationale via des mécanismes de stabilisation de prix et de contrôle de l’inflation. 

Vient ensuite la question même de la vente des terres agricoles à des investisseurs étrangers. Ici l’équation est purement économique. Etant entendu que les terres ne devraient pas servir directement à la subsistance alimentaire, les principes économiques de base veulent qu’on alloue les ressources aux agents économiques qui en assureront la meilleure productivité. La question de l’inadéquation des productions réalisées par ces investisseurs et les besoins du marché local est peu pertinente. En effet, les agriculteurs industriels locaux aussi ont accès au marché mondial. Leur intérêt n’est pas de répondre aux besoins locaux mais de réaliser le maximum de profit via leurs exploitations agricoles. Dès lors s’il est plus rentable pour un agriculteur quelle que soit sa nationalité de produire et de vendre à une échelle mondiale un produit alimentaire dont la rentabilité est beaucoup plus forte via l’exposition au marche mondial, en raison notamment de la demande forte des pays émergents, l’Etat ne pourra contraindre cet agriculteur à investir dans des denrées locales de base moins rentables. La situation la plus dramatique est lorsque la production locale de denrées alimentaires de base est vendue à des pays voisins encore moins bien lotis en termes de production agricole, en raison des meilleurs prix liés à une simple équation d’offre-demande. 

Il convient dès lors de dissocier fortement la production agricole d’un pays et les besoins de sa population, tout comme de nos jours il est presque insensé de parler d’autosuffisance alimentaire. La Corée du Sud, présentée très souvent comme un exemple pour les pays africains à un taux d’autosuffisance alimentaire qui s’est établi à 22,6% en 2011. Et cela n’a pas empêché ce pays de réaliser des performances économiques qui font rêver les pays africains.  

Il convient pour un pays de définir dans une vision globale quelle est la meilleure utilisation possible de ses terres agricoles. Après avoir analysé l’évolution de la consommation mondiale et décrit précisément les qualités du sol et du climat nationaux, l’Etat doit déterminer les productions à réaliser sur ses terres. A l’heure actuelle, la plupart des pays africains concernés par la vente massive des terres n’ont pas les compétences techniques pour tirer le meilleur parti des sols. Vendre ces terres à des investisseurs qui ont les compétences pour en tirer le meilleur parti constitue un gain énorme par rapport à une exploitation quasi-nulle et peu productive. Comme dans tous les cas de partenariats public-privé, l’Etat doit s’assurer un transfert de compétences par la mise en place d’un quota de locaux dans le personnel des entreprises privées en charge de l’exploitation de ces terres. Par ailleurs, la durée de ces contrats d’exploitation doit être clairement définie, ainsi que des critères de qualité du sol en fin de contrat, pour s’assurer que les investisseurs ne raisonnent pas uniquement dans une échelle de court-terme.

Quant à la sécurité alimentaire, l’Etat a la responsabilité de permettre l’accès aux denrées de base. Si les opérateurs téléphoniques sont capables de proposer des services à des populations rurales très éloignées des centres urbains, alors l’Etat se doit par lui-même ou par des incitations au secteur privé d’apporter les produits vivriers au plus près des populations. L’approvisionnement se fera sur les marchés mondiaux tout en mettant en place des mécanismes permettant d’amortir le coût final pour le consommateur.

Ted Boulou

 

Sur le même sujet, l'article de Georges-Vivien Houngbonon défendant les arguments du "contre" la vente des terres africaines à des groupes étrangers : 

Réformer l’agriculture en Algérie (2)

L’agriculture périurbaine soumise à l’urbanisation ? Le cas de Sétif

La thématique du grappillage urbain au détriment des terres rurales et agricoles est rarement évoquée. Après une chute du taux d’urbanisation des années 1970 aux années 1990, la croissance urbaine a connu une très nette reprise. Cette étude sur l’agriculture périurbaine à Sétif souligne plusieurs problématiques de fond qui méritent d’être soulevées. Les zones agricoles de Sétif sont touchées depuis des années par le phénomène d’extension urbaine à ses périphéries. Cette dynamique s’opère par un gain urbain sur la terre cultivable et comporte de nombreuses contraintes sociales inhérentes au processus. Par exemple, la proximité entre la ville et les productions a notamment stimulé la vandalisation des cultures –notamment des pois chiches – qui requiert la présence prolongée des agriculteurs pour surveiller leurs parcelles et mènent souvent à l’abandon de ce type de production. D’autres difficultés telles que la circulation routière ou le piétinement sont liées à la présence humaine accrue sur ces espaces.

La pression urbaine pose également problème dans la mesure où les zones agricoles périurbaines sont considérées comme des « réserves foncières » de la politique urbaine. En d’autres termes, l’étalement de la ville ampute systématiquement, partiellement voire totalement, des exploitations agricoles. Il existe certes des procédures de ré-affection dans des fermes pilotes ou relocalisations vers d’autres parcelles en ce qui concerne les terres louées à l’Etat et des compensations financières jugées insuffisantes pour les terres privées. Mais ces mesures n’annulent pas la dynamique d’extension urbaine peu contrôlée qui contredit les efforts annoncés en faveur du secteur agraire. L’auteur de cette étude insiste sur l’existence d’un taux de régression agricole (surfaces cultivées) plus élevé que celui de l’urbanisation. L’Algérie n’est plus un grand pays agricole et peinera sérieusement à revigorer son secteur en l’absence de solutions au problème du foncier agricole et d’une maîtrise de la croissance urbaine qui s’opère au détriment des terres cultivables alentours.

Témoignage amer d’un agriculteur de Sétif

Cet agriculteur d’une quarantaine d’années – que je nomme Hassan par volonté d’anonymat – tient absolument à livrer ses inquiétudes et impressions sur le quotidien d’agriculteur sétifien « toutes ces terres que tu vois là à perte de vue ne sont pas du tout exploitées ou que très partiellement. Ici, nous avons un réel problème d’eau tant dans nos maisons puisque nous n’avons toujours pas l’eau courante (il faut se lever tôt le matin remplir des bidons d’eau pour toute la journée) que dans nos champs qu’on peine à irriguer. L’agriculture est abandonnée et délaissée par le ministère chargé de s’en occuper. C’est très difficile surtout avec cette chaleur estivale. »

Hassan vit dans un quartier populaire de Sétif avec ses quatre enfants et sa femme sans emploi ; diplômé d’agronomie il déplore que sa qualification d’ingénieur ne soit nulle part reconnue et valorisée et qu’il soit prisonnier d’une situation financière extrêmement difficile et incertaine. « Ma fille entre à l’université cette année, j’ai une famille à nourrir et malheureusement je suis complètement endetté. A cause des grandes chaleurs et de l’absence d’eau pour irriguer, ma production a été très faible. En l’absence de soutien des autorités et livré à moi-même, j’avais pourtant souscrit à une assurance pour me protéger en cas de contraintes climatiques mais contrairement à ce que l’assureur m’avait affirmé oralement, la clause ne semble pas figurer dans le contrat. Je me demande vraiment comment je vais m’en sortir. » En plein mois de Ramadan alors qu’une atmosphère de vie au ralenti planait sur la ville de Sétif, il se rendait chaque jour pour contempler avec désespoir ses terres non exploitées «qui appartiennent en réalité à l’Etat ». Regrettant d’avoir quitté son précédent emploi et de se retrouver dans une telle précarité, Hassan est déterminé vers un objectif « redresser ma situation financière, acheter un petit local pour que mon fils aîné ouvre une épicerie ou un commerce car il n’a pas d’avenir dans l’agriculture, et je dois lui assurer un avenir. »

Il insiste sur le manque de ressources en eau qui constitue un problème incontournable et bloquant toute perspective de meilleurs rendements et de développement agricole, il poursuit : « l’eau c’est la vie, sans eau on ne peut rien faire. Le problème d’irrigation est primordial et on peut par exemple diviser Sétif en deux zones : la zone nord qui a relativement assez d’eau avec des précipitations convenables et dédiée à l’élevage bovin et la culture du blé ; et la zone sud beaucoup plus pauvre en eau et où l’on trouve cultures céréalières et élevage ovin. Moi je suis dans la zone sud d’où les difficultés que je rencontre. »

Hassan tente d’exposer le dilemme face auquel les agriculteurs sétifiens se trouvent « nous avons déjà creusé jusqu’à 150m de profondeur pour les conduits d’alimentation en eau et nous avons épuisé ces nappes phréatiques. Le ministère nous interdit formellement de creuser davantage mais en parallèle il ne propose aucune solution pour développer notre système d’irrigation et permettre l’approvisionnement en eau. Les paysans ne peuvent pas vivre et cultiver sans eau, alors l’irrigation illégale se développe face à l’inaction des responsables. On développe des forages ci et là sans autorisation et de façon anarchique mais la fraude est inévitable quand les autorités sont absentes et ne répondent pas aux besoins des gens du secteur. »

Les appels de détresse des agriculteurs ont touché diverses régions au cours des dernières années tandis que les autorités ont continué de négliger la nécessité d’une réforme structurelle, entre autre autour de la question foncière, de l’irrigation mais également en termes d’efficacité, gestion, recherche et obsolescence technique/technologique. Enfin, les entreprises de transformation alimentaire locales (produits laitiers etc.) demeurent encore trop rares pour certains produits de consommation courante. Il n’est plus possible de penser l’avenir de l’Algérie et des générations futures sans s’atteler au plus tôt à une véritable révolution agraire, au développement de l’industrie agro-alimentaire locale et à la réduction de sa dépendance alimentaire qui semble être considérée, à tort, comme un sujet non prioritaire. Le développement de l’agriculture s’intègre dans un défi plus large : la diversification de l’économie et la sortie de la “mono-exportation” (hydrocarbures représentent 98% des exportations).

Mélissa Rahmouni, article initialement paru et à lire en version complète sur Arabsthink

melissa.rahmouni@arabsthink.com

Crédit photo : Mélissa Rahmouni

 

Sources

Abdelmalek Boudjenouia, André Fleury et Abdelmalek Tacherift, «L’agriculture périurbaine à Sétif (Algérie) : quel avenir face à la croissance urbaine ?», Biotechnol. Agron. Soc. Environ., volume 12 (2008)  numéro 1 : 23-30. http://popups.ulg.ac.be/Base/document.php?id=2128

M. Messahel, M.S. Benhafid et M. Cherif Ouled Hocine, Efficience des systèmes d’irrigation en Algérie, http://wasamed.iamb.it/doc_h/algeriadoc.pdf

Powerpoint de MOUHOUCHE  B. (Institut National Agronomique– El-Harrach, Alger) et  GUEMRAOUI  M. (AGID – Algérie), Réhabilitation des grands périmètres d’irrigation en Algérie, http://www.wademed.net/Articles/108MouhoucheE.pdf

Hadibi A., Chekired-Bouras F.Z., Mouhouche B., Analyse de la mise en œuvre du plan national de développement agricole dans la première tranche du périmètre de la Mitidja Ouest, Algérie, 2008. http://hal.cirad.fr/docs/00/36/64/83/PDF/18_Hadibi.pdf

Réformer l’agriculture en Algérie (1)

Dépendance aux importations de produits alimentaires, mauvaise gestion et vétusté des systèmes d’irrigation, dégradation des infrastructures, pénuries de produits de large consommation, détresse des agriculteurs, etc. Tels sont les maux qui rongent l’agriculture algérienne, engouffrée dans une sorte de somnolence et pesant pour 11% du PIB. Le pilotage inadapté des politiques publiques n’épargne pas le domaine de l’agriculture dans le pays le plus vaste du monde arabe, d’Afrique et du pourtour méditerranéen ayant fait de son principal atout – la superficie des terres – un véritable fardeau. L’Algérie dispose d’un réel potentiel agricole qui pourrait offrir d’importantes perspectives de développement vers l’autosuffisance alimentaire et être générateur d’emplois pour un segment considérable de la population (actuellement 20% de l’emploi total provient du secteur agraire). Mais le problème du foncier agricole, des ressources en eau, les difficultés de gestion et le manque de volonté politique l’en empêchent durablement.

(In)sécurité alimentaire

L’agence d’études économiques Economist Intelligence Unit vient de publier un rapport classant l’Algérie au 73e rang sur 105 pays en matière de sécurité alimentaire, entre l’Ouzbekistan et le Cameroun. A titre de comparaison avec les pays voisins, le Maroc se situe à la 59e place et la Tunisie à la 50e. Cette étude porte sur plusieurs critères à savoir les efforts de recherche ; le niveau d’approvisionnement alimentaire du pays ; le coût et l’accessibilité financière de la nourriture ; la qualité et la sécurité des aliments consommés ; enfin le revenu par habitant. Selon cette étude, l’Algérie se trouve parmi les trois pays d’Afrique ayant réalisé les moins bonnes performances au cours des deux dernières décennies. La dépendance croissante de l’Algérie vis-à-vis des marchés mondiaux des produits alimentaires -et leurs fluctuations- souligne une dynamique néfaste qui place le pays dans une position de vulnérabilité reportant à demain la résolution d’un véritable problème structurel.

L’agriculture algérienne est très loin d’assurer l’autosuffisance alimentaire tandis que le prix des produits agricoles frais constitue une des principales sources de l’inflation réductrice du pouvoir d’achat. Le Ramadan marqué par une forte hausse des prix des produits agricoles a remis le dossier brûlant sur la table. Et à l’approche des élections locales (novembre 2012), il est prévu de relancer les importations de pommes de terre afin d’éviter l’agitation sociale et ne pas répéter les pénuries d’avril dernier. Abderrahmane Metboul rappelle que, selon la dernière enquête de l’ONS datant de juillet 2012, le processus inflationniste connaît une accélération continue avec un taux d’inflation annuel de 7,3%, qui ne ralentira pas au cours de l’année 2013. C’est essentiellement les produits alimentaires et plus précisément les produits agricoles frais qui contribuent à la hausse vertigineuse des prix. “Une interrogation s’impose : comment un Algérien, qui vit au SNMG, (200 euros par mois, soit 6,6 euros par jour alors que le kilo de viande est de 10 euros) fait-il face aux dépenses incontournables – alimentation, transport, santé, éducation ?” (Abderrahmane Mebtoul dans un article du Jmed).

Le revers de l’aisance financière : l'importation massive des produits alimentaires au détriment d’un programme efficace de revalorisation et de modernisation de l’agriculture

Le développement et la modernisation de l’agriculture algérienne devrait être une priorité nationale. L’Algérie est parmi les premiers consommateurs mondiaux de blé alors que sa production nationale demeure très limitée et insuffisante pour répondre à la demande. Les principales raisons de la faible production alimentaire locale sont les défaillances du réseau de stockage d’eau et la permanence de systèmes d’irrigation obsolètes ne permettant pas d’irriguer l’essentiel de la surface agricole utile (SAU). Compte tenu du déficit pluviométrique, des sécheresses chroniques et des difficultés qu’elles engendrent, les autorités algériennes ont fait le choix de l’importation massive et coûteuse de produits au détriment d’investissements massifs et habilement étudiés et pilotés dans un programme global de modernisation du secteur agro-alimentaire et des systèmes d’irrigation. Bashir Messaitfa considère que « la disponibilité monétaire de l’Algérie la motive à importer davantage » et que les « projets d’investissement dans les industries agroalimentaires pour réduire la facture des importations » doivent être une priorité nationale. Les sommes consenties sont faramineuses, les importations de produits alimentaires s’élevant à près de 2,5 milliards de dollars par an faisant de l’Algérie le plus grand importateur de produits agricoles d’Afrique.

Le secteur agricole, auparavant dominant dans l’économie algérienne, a vu sa production chuter de 30% au cours des trente dernières années malgré les politiques de réforme et les investissements publics. Comme pour d’autres secteurs fragiles, l’agriculture a subi les coups durs des solutions de facilité de court-terme privilégiées par le gouvernement –importations- et propres à l’économie rentière. Mais la crise économique et financière de 2007 a de nouveau alarmé les autorités algériennes sur les risques d’une dépendance trop importante vis-à-vis des marchés mondiaux et la faible capacité de résistance aux chocs financiers. Ainsi, en maintenant cette logique importatrice et peu productive sans repenser le modèle économique algérien pour l’après-hydrocarbure et sans développer ses secteurs hors-hydrocarbures dont le secteur agraire, les autorités contournent dangereusement les dossiers fondamentaux et les nécessités de demain.

Quelles contraintes et quels défis pour revigorer le secteur agricole ?

La terre est dotée d’un sens symbolique puissant dans l’imaginaire algérien. Après 132 ans de colonisation, les terres appartenant aux colons grands propriétaires terriens furent récupérées par l’Etat puis redistribuées à des exploitations agricoles individuelles ou collectives. Par la suite, les terres ont également fait l’objet des politiques dirigistes socialistes de la période des grandes utopies avant que la libéralisation ne favorise les petites exploitations au détriment de la grande exploitation d’Etat.

Le droit foncier anarchique

Le droit foncier est profondément inadapté aux besoins et pose problème. La priorité donnée à l’industrialisation a naturellement contribué au déclin agricole, mais c’est également à cause de l’anarchie du morcellement des terres et de manière générale du manque d’organisation du marché foncier que l’agriculture accuse une sérieuse stagnation. L’entremêlement entre la question agraire et la question foncière explique la complexité de la réforme agraire. Le journaliste Mustapha Hammouche du journal Liberté s’exprimait sur le sujet « Tant qu’on a peur d’envisager la restructuration des domaines agricoles en grandes surfaces “modernisables”, on restera à l’état de sous-développement. On se demande pourquoi les projections de forums refusent de poser la question sous cet angle, à savoir sous son angle politique. Il paraît pourtant essentiel d’admettre qu’il n’y aura pas de révolution “agraire” et “alimentaire” sans révolution foncière. ». Sa remarque faisait écho aux politiques autour de la propriété des terres depuis l’indépendance qui selon lui sont loin d’avoir pris en compte les impératifs économiques et alimentaires, mais également aux dernières mesures permettant à presque n’importe qui de s’improviser agriculteur. La question foncière semble donc la pierre angulaire -ou du moins le dossier incontournable- de toute la problématique agricole.

Systèmes d’irrigation vétustes

L’Algérie se situe dans l’une des régions du monde les plus déficitaires en eau et cette pauvreté en potentialités hydrauliques implique de fait la nécessité de fournir un complément d’irrigation pour cultiver et atteindre des rendements de production satisfaisants. Selon le rapport Efficience des systèmes d’irrigation en Algérie, la superficie irriguée est de l’ordre de 985 200 ha soit environ 10% de la surface agricole utile (SAU), en très grande partie localisée dans le Nord du pays. On y distingue les grands périmètres d’irrigation (GPI) gérés par les offices régionaux ou de la wilaya (OPI) et les irrigations de petite et moyenne hydraulique (PMH) gérées directement par les agriculteurs. Les GPI –moins de 50 000 ha- sont alimentés en eau à partir de barrages et forages profonds investis par l’Etat mais ne représentent qu’une faible surface agricole. Ceci s’explique en grande partie par la vétusté de ces réseaux d’irrigation et des problèmes de maintenance et de gestion. Un bon nombre de ces superficies en théorie équipées n’ont pas été réellement irriguées et les besoins en irrigation sont très loin d’être assurés.

En ce qui concerne les PMH, ce sont les agriculteurs qui puisent eux-mêmes les ressources en eau via « des petits forages, puits, ghotts du Sahara ou épandage de crue ». Elles représentent l’essentiel des productions agricoles irriguées, en dépit des pénuries d’eau. Le Ministère de l’Agriculture avait mis en place un Plan national de Développement Agricole en 2000 comprenant entre autre des mesures de réduction des pertes d’eau et de soutien à la micro-irrigation locale. De manière générale, les investissements devraient se concentrer sur l’amélioration effective des systèmes d’irrigation, et la réhabilitation des réseaux vétustes afin de permettre aux agriculteurs de bénéficier de la ressource vitale – l’eau- indispensable à toute activité agricole.

Un Plan de Développement Agricole en 2000 très incomplet

Le programme de relance du secteur agricole de 2000 était doté d’une organisation institutionnelle très complexe qui regroupait organismes bancaires, assurances, institutions de développement, fonds de régulation etc. et visait à retirer progressivement l’Etat de la production agricole et à lui attribuer un rôle de régulateur. Ce programme devait aussi permettre d’organiser les producteurs via les caisses mutualistes et chambres d’agricultures régionales. Le plan était très ambitieux : 1) développer et intensifier les filières de production ; 2) adapter les systèmes de cultures ; 3) reboiser ; 4) mettre en valeur les terres par la participation des populations locales ; 5) protéger les steppes et lutter contre la désertification, réhabiliter des oasis etc. Près de 4 milliards d’euros ont été investis entre 2000 et 2005 mais pour quels résultats ?

Le plan a eu certes des impacts positifs en termes d’augmentation des superficies plantées, certaines filières comme la production de tomates ont été dynamisées et un certain nombre d’agriculteurs ont bénéficié d’aides substantielles. Cependant, ils considèrent ces aides comme très insuffisantes notamment à cause de la cherté des intrants agricoles. En ce qui concerne l’irrigation locale, malgré les subventions du matériel pour certains bénéficiaires, certaines habitudes de négligence des quantités d’eau utilisées ont persisté en l’absence de sensibilisation à l’usage des ressources, et de nombreux agriculteurs ont abandonné les nouvelles techniques introduites faute d’appui technique et de maîtrise du matériel. Le plan a globalement eu des effets mitigés et est demeuré incomplet à cause du manque de préparation dans son élaboration et son application, de sensibilisation et de soutien technique et stratégique aux agriculteurs. Enfin, l’occultation totale de la question foncière n’a pas permis de résoudre les problèmes structurels/organisationnels du secteur agraire. De fait, l’Algérie peine toujours plus de dix ans plus tard à progresser sur le chemin de l’autosuffisance alimentaire.

Mélissa Rahmouni, article initialement paru et à lire en version complète sur Arabsthink

Crédit photo : Mélissa Rahmouni

Le défi de la souveraineté alimentaire

Bien plus que la souveraineté monétaire du Professeur Agbohou, l’un des principaux défis auxquels devra faire l’Afrique est celui de la souveraineté alimentaire. Avec une population qui va doubler dans les 30 prochaines années pour atteindre les 2 milliards d’habitants en 2040-2050, les pays africains qui se trouvent déjà dans une situation alimentaire précaire, doivent absolument revoir l’organisation actuelle de leurs politiques alimentaires sous peine de s’exposer à de graves crises et de s’enfoncer davantage dans la mendicité internationale.

De l'importance de protéger le monde rural

Malgré l’urbanisation très rapide du continent (20 % d’urbains en 1970, 30 % en 1990 et 40 % en 2010), des millions de personnes vivent encore dans les campagnes africaines. Ces paysans, qui sont souvent exclus de l’éducation ou de l’accès à l’énergie, polluent peu, subviennent à leurs propres besoins, luttent contre l’avancée du désert ou contre la déforestation et sont les derniers garants de la vivacité des cultures africaines. Pour toutes ces raisons, nous pensons que la protection du monde rural et sa pérennisation doivent être une priorité pour les équipes dirigeantes africaines dans les années à venir.

Comme le dit le journaliste d’investigation Michel Collon, l’agro-business est un fléau pour les campagnes et le monde rural. En effet, avec sa mécanisation extrême et la concentration économique qui lui est inhérente, l’agriculture intensive peut bénéficier d’économies d’échelle et produit à des prix toujours plus bas, tuant les exploitations familiales ou coopératives qui sont le squelette du monde rural. Ne pouvant pas lutter sur le plan de la compétitivité économique, les petites exploitations jettent au chômage un grand nombre de paysans : en effet seule une infime partie d’entre eux sera réemployée dans les nouvelles structures agro-industrielles et la majorité des autres paysans n’a pas les outils nécessaires pour se former à de nouveaux métiers. Nous pensons donc qu’il faudrait sauvegarder les petites exploitations et subventionner l’agriculture rurale en garantissant un prix d’achat au producteur.

Les subventions : une nécessité

Cette pratique fera hurler les adeptes du marché et de la sacro-sainte concurrence. Seulement ceux-ci ne semblent ou ne veulent pas comprendre que les plus grandes puissances agricoles du monde (USA et Union Européenne en tête) ont longtemps protégé et continuent encore à protéger leurs producteurs à l’aide de subventions déguisées et de quotas de production qui faussent totalement la concurrence. Cette politique de subvention permettra aux paysans de vivre de leur métier en gagnant un peu d’argent et cela aura probablement pour effet de relancer la production vivrière africaine qui s’est petit à petit éteinte au profit des cultures d’exportation (ex. cacao) souvent plus lucratives. A l’heure actuelle, le Sénégal consomme annuellement 750.000 tonnes de riz et en produit moins de la moitié.

La perte de compétitivité de l’agriculture vivrière africaine est due à l’importation massive de céréales comme le maïs ou le riz sur les marchés mondiaux et à des prix défiant toute concurrence car subventionnés. Cet avantage apparent d’obtenir du riz ou du maïs sur les marchés internationaux à des prix bas, est en réalité un piège pour l’Afrique. Pour en être convaincu, faisons une analogie avec le premier choc pétrolier. Alors que leurs systèmes énergétiques (électricité et transport) reposaient en grande partie sur le pétrole à bas prix du Moyen-Orient, les économies occidentales se sont retrouvées prises au piège avec l’augmentation unilatérale du prix du Pétrole décidé par les pays de l’OPEP en 1973. Cette augmentation, discrètement soutenue par les multinationales pétrolières, a consisté en une multiplication brutale du prix du pétrole par 5. Elle a rappelé aux économies occidentales leur dépendance stratégique et leur fragilité face à des évènements qu’elles ne pouvaient pas toujours contrôler. Depuis ce premier choc, des politiques énergétiques volontaristes ont été menées un peu partout en Occident, avec notamment l’augmentation du parc nucléaire en France (85% de l’électricité française est aujourd’hui d’origine nucléaire) et la production de voitures plus économes en Europe puis aux Etats-Unis.

Des tensions alimentaires déjà palpables

De manière analogue au choc pétrolier, les pays africains qui se rendent dépendant du riz thaïlandais ou du maïs américain, s’exposent à des “chocs céréaliers” et fragilisent leur capacité à sécuriser l’alimentation de leurs populations jeunes et en forte croissance. Ces chocs céréaliers ou alimentaires ne sont pas des vues de l’esprit : ils existent déjà. En 2008 beaucoup de pays sahéliens d’Afrique et certains pays pauvres comme Haïti ont connu des tensions populaires appelées « émeutes de la faim ». Or comme le dit le Professeur Marcel Mazoyer, ces émeutes sont plutôt des émeutes de la pauvreté, face à des prix qui ont littéralement explosé sur les marchés mondiaux. Ainsi le prix du blé a été multiplié par 2 en seulement 3 ans passant de 150 à 310 dollars la tonne entre 2005 et 2008. La tonne de riz a également doublé entre 2004 et 2008 passant de 200 à 400 dollars. De telles hausses des prix alimentaires n’avaient pas été observées depuis le début des années 1970. Beaucoup de pays africains importateurs de la quasi-totalité de leur consommation alimentaire et qui ont pourtant les capacités hydrologiques et humaines pour subvenir à leurs besoins, s’exposent ainsi en permanence à la volatilité des prix sur les marchés céréaliers (ex. bourse de Chicago) et à la hausse des prix…du pétrole !

En effet, en plus de l’augmentation des prix mondiaux en raison d’une demande de plus en plus forte (Chine, Inde, Afrique), le riz venant du Vietnam ou du Thaïlande devient encore plus cher pour nos économies en raison de l’augmentation des cours du pétrole. L’importation des céréales depuis les lointaines contrées asiatiques nécessite de longs voyages et consomme beaucoup de carburant, un dérivé du Pétrole. Quand on sait que le prix du baril de Pétrole brut était d’un peu moins de 30 dollars en 2003 et qu’il était de 80 dollars en 2011, on comprend mieux pourquoi les prix du riz et des céréales ont explosé. Ainsi le prix final de ces produits, c’est à dire le prix du marché + le coût du transport, a en réalité quadruplé pour les économies africaines entre le début des années 2000 et 2008. Peut-on raisonnablement continuer à s’exposer à de telles hausses ?

Etant donné que la moralisation du capitalisme est une utopie et que les marchés continueront à spéculer sur une chose aussi vitale que les produits céréaliers, nous devons nous concentrer sur les facteurs sur lesquels nous pouvons influer afin de réformer notre situation alimentaire. D’où la question : comment pourrait-on faire pour sortir de cette dépendance alimentaire ?

Solution 1 : diversifier l'alimentation de nos pays (moins de céréales) : Bien que les céréales permettent de nourrir des populations importantes comme en Asie du Sud-Est avec le riz, l’Afrique se doit absolument de réduire sa dépendance céréalière. L’augmentation nécessaire de la production alimentaire pourra par exemple être supportée par les tubercules et les fruits et légumes. Cette solution intéressante est défendue par le professeur Moussa Seck du PANAAC.

Solution 2 : privilégier les filières vivrières : Les filières exportatrices comme le Cacao doivent bel et bien être abandonnées à moyen terme. Les produits agricoles nécessitent beaucoup de force de travail, d’importantes surfaces cultivables et de grandes quantités d’eau. Or les surfaces cultivables et l’eau vont devenir des “denrées” de plus en plus rares dans le monde et en Afrique, notamment en raison du réchauffement climatique, de l’avancée du désert et de l’achat massif de terres africaines par des pays asiatiques. De plus, les produits agricoles ne sont pas des produits à très haute valeur ajoutée : l’exportation de produits agricoles, hormis exceptions, n’a pas de réel impact dans l’économie d’un pays. Nous pensons donc que les pays africains doivent trouver d’autres sources de revenus et progressivement consacrer toutes leurs terres cultivables au besoin fondamental de l’alimentation. Enfin, et en raison du défi alimentaire qui nous attend, nous considérons la production de biocarburant comme une stratégie dangereuse.

Solution 3 : Subventionner la production avec un prix d’achat garanti au producteur : Comme nous l’avons expliqué plus haut, la subvention n’est pas un crime. Et il faudrait que nos pays osent se rebeller contre les organisations internationales comme l’OMC qui en réalité ne font que défendre les intérêts de quelques grands pays et de quelques multinationales comme Cargill.

Solution 4 : Utiliser les espaces économiques sous régionaux pour organiser la production : La zonation climatique de l’Afrique, en raison de son étalement en longueur, devrait nous permettre de disposer de tous types de produits alimentaires. En Afrique de l’Ouest, on pourrait ainsi utiliser les différences climatiques entre le Sahel et la zone humide (Guinée, Côte d’Ivoire etc) pour produire et exporter entre pays voisins. C’est ce qui se passe à l’échelle de l’Europe où la France produit des céréales et du lait, tandis que l’Espagne assure la production d’agrumes. Cependant cette solution nécessite une forte intégration sous régionale et elle pourrait servir à redonner un second souffle aux entités quasi-vides que constituent la CEDEAO ou la CEMAC.

Solution 5 : Utiliser une partie de l’argent des matières premières énergétiques pour le secteur agricole : L’exploitation pétrolière africaine, en hausse constante depuis des décennies, continuera à croitre dans la décennie à venir. Les bassins sédimentaires restent encore relativement peu explorés et la production pétrolière (et bientôt gazière) africaine contribuera de plus en plus à enrichir nos économies. Cette manne financière, au lieu d’être dépensée dans des projets immobiliers ayant peu d’impact sur la vie des populations, doit être en partie consacrée à la subvention et la formation de nos paysans. La fausse bonne idée est de se dire “Puisque nous avons de l’argent, allons acheter sur les marchés internationaux”. Il faut consacrer une partie de notre argent à la production et nous devons produire avant tout pour notre consommation. Toute autre logique serait suicidaire, dans ce siècle de réchauffement climatique et d’émergence de nouvelles puissances comme l’Inde ou la Chine.

Ces solutions ne sont que des esquisses de ce qu’on pourrait faire et devront nécessairement être discutées et mises en oeuvre avec le concours des principaux concernés c’est à dire les paysans. Nous avons le devoir de nous départir de nos habitudes coloniales de l’intellectuel en costard qui vient donner les orientations nées de son étude théorique. La sauvegarde de nos richesses culturelles et environnementales ainsi que les désastres entrainés par cette attitude dans le passé doivent nous pousser à intégrer le monde rural à toute décision qui a un impact sur son organisation et sur ses habitants.

Les défis qui nous attendent sont grands et celui de l’alimentation est peut-être, avec celui de l’eau, le plus important auquel l’Afrique devra faire face dans les décennies à venir mais ça nos hommes politiques n’en parlent pas…

Fary NDAO, article initialement paru chez notre partenaire Njaccar

La filière cacao au Ghana : l’histoire d’un succès

La filière cacao au Ghana qui fait vivre plus de 700.000 agriculteurs dans le Sud du pays a façonné l’économie et la politique de ce pays ouest-africain. Son histoire déjà centenaire est pleine de rebondissements et  riche d’enseignements. C’est l’histoire du succès de ce secteur que présente la Banque Mondiale dans un rapport intitulé Cocoa in Ghana : Shaping the Success of an Economy.

Le document détaille les quatre phases bien distinctes qu’a traversées la production du cacao au Ghana. En effet,  après une introduction et une croissance exponentielle (1888-1937), l’on a assisté à une stagnation suivie d’une rapide croissance après l’indépendance (1938-1964) puis à un effondrement presque fatal (1965-1982). Depuis 1983 et la mise en place de l’Economic Recovery Program (Programme de relance économique – ERP), la filière s’est redressée et n’a cessé de croître.

La croissance exponentielle de la production de cacao de la fin du 19è et du début du 20è siècle a été favorisée par la chute des prix de l’huile de palme, une forte pression démographique et un boom des exportations de caoutchouc qui a permis de réunir le capital nécessaire. La production atteignait déjà dans les années 30, 300.000 tonnes. La deuxième phase fut moins fulgurante. L’administration de Kwame Nkrumah des années 50  et 60 établit  un organisme gouvernemental, l’UGFCC, comme acheteur monopolistique de toute la production et ne cessa d’augmenter la taxation des exportations  de cacao, ceci dans le but de financer les dépenses publiques. Ces mesures qui pénalisèrent les producteurs et leurs exportations jouèrent également un grand rôle dans la destitution de Nkrumah en  1966.

Le Conseil National de Libération au pouvoir après Nkrumah décida d’augmenter la rémunération des producteurs mais du fait de la baisse des prix du cacao et de l’entrée en jeu de compétiteurs comme la Malaisie, l’Indonésie, la Côte d’Ivoire et le Brésil,  la production stagna puis se mit à baisser drastiquement.

Le lancement de l’ERP dont les mesures phares furent la mise en place d’une rémunération supérieure à celle des pays voisins pour empêcher les fuites, la dévaluation du Cedi pour réduire les coûts de production et la rémunération de la qualité de la production appuyée par l’Institut de recherche Cocoa Research Intitute of Ghana,  a permis un net rebond de la filière. Le secteur se porte encore mieux depuis les années 90 et surtout 2000, grâce à une révolution technique (utilisation d'engrais et de variétés améliorées de semences, meilleure gestion des plants contaminés par des virus) et un environnement favorable (prix élevés, réputation de haute qualité et libéralisation contrôlée et prudente du marché).

Plusieurs défis restent encore à relever par le secteur du cacao ghanéen. Ils touchent à la productivité qui peut encore être améliorée de 50 à 80%, à la compétition qui est dorénavant féroce, à la longévité de l’avantage qualité qu’il faut s’efforcer de maintenir et à l’impact environnemental de la production.

Tite Yokossi