Macky Sall, un an après: Le temps des cafouillages

 

Le pouvoir de Macky Sall, un an après, connaît d’importants cafouillages qui sont autant de facteurs d’inquiétude. Aux dissensions internes dans la coalition politique au pouvoir, Bennoo Bokk Yaakar, s’est ajouté un impressionnant tumulte au sein du gouvernement au sujet de la traque des biens mal acquis. Enfin, une fois de plus, un sérieux débat juridique sur la réduction du mandat présidentiel se fait jour.

Des élections locales en rangs dispersés

Les élections locales prévues en mars 2014 constituent de plus en plus un sujet de discorde pour les différents partis de la coalition majoritaire Bennoo Bokk Yaakar. Suite à la victoire de Macky Sall au second tour du scrutin présidentiel de mars 2012, un gouvernement de coalition, qui a intégré presque toute l’ancienne opposition, a été formé. Cette coalition, reconduite aux élections législatives tenues en juillet 2012, risque cependant de ne pas survivre jusqu’aux prochaines joutes électorales. En effet, les alliés de Bennoo Bokk Yaakar  iront certainement en rangs dispersés aux élections locales de mars 2014. Le renouvellement des instances politiques issues de la décentralisation fait l’objet de vives concurrences entre les responsables de l’APR (Alliance pour la République), du PS (Parti socialiste), de l’AFP (Alliance des Forces du Progrès) et du Rewmi.

Ainsi, Mbaye Ndiaye, éminence grise de l’APR, a récemment lancé un appel du pied à Khalifa Sall, Maire PS de Dakar, à rejoindre les rangs du parti présidentiel s’il tenait à conserver son fauteuil à la tête de la capitale du pays. De même, le Président Macky Sall et le député Abdou Mbow, responsable des jeunes de l’APR, ont clairement fait savoir que leur parti pourrait confectionner ses propres listes dans certaines circonscriptions électorales. Quant à l’AFP, parti du Président de l’Assemblée Nationale Moustapha Niasse, elle a jusque là observé un certain mutisme sur cette question. Son leader compte vraisemblablement rester aux côtés de l’APR autant que faire se pourra, mais rien ne garantit que les responsables du parti s’alignent sur cette volonté. Le Rewmi d’Idrissa Seck, Maire de Thiès et ancien Premier Ministre sous Wade, est pour sa part dans une posture d’indépendance par rapport à l’alliance Bennoo Bokk Yaakar. Idrissa Seck prend souvent ses distances, en menant par exemple une grande tournée en solitaire dans plusieurs localités du Sénégal. En somme, de véritables fissures risquent d’éclater au grand jour, à mesure qu’approchent les élections locales.

L’épisode malheureux de la médiation pénale

Par ailleurs, la coalition au pouvoir peine à affirmer une réelle cohésion d’ensemble dans la communication gouvernementale. Un épisode ahurissant a été la question de la médiation pénale dans l’affaire dite des biens mal acquis. Cette proposition faite par l’avocat de l’Etat, Me El Hadji Diouf, et défendue par le Ministre en charge de la promotion de la bonne gouvernance et Porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, a fait long feu. La médiation pénale aurait consisté à convaincre les responsables du régime de Wade soupçonnés d’enrichissement illicite à rembourser 80% des sommes détournées pour éviter la prison. Mais très rapidement, Madame Aminata Touré, Ministre de la Justice, s’est inscrite contre cette idée de son collègue. Ce qui est regrettable, c’est qu’il puisse exister une telle mésentente parmi les membres du gouvernement. Ce défaut de cohérence dans la communication est décrié comme une cacophonie au sommet de l’Etat.

 La réduction du mandat présidentiel en questions

Enfin, la question de la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, promise par Macky Sall lors de la campagne présidentielle, divise au sein de la classe politique. Certains juristes, dont l’éminent Ismaila Madior Fall, défendent l’idée d’un référendum pour l’opérer. Selon eux, une loi adoptée par l’Assemblée Nationale pour y arriver, ainsi que le préconisent certains hommes politiques,  violerait la Constitution du Sénégal. En effet, l’article 27 de la loi fondamentale stipule que la durée du mandat présidentiel « ne peut être révisée que par une loi référendaire ». Ainsi, si l’on s’en tient à cette analyse, seule une loi référendaire permettrait de la modifier. Mais le juridisme serait alors poussé à son bout, et le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Car l’organisation d’un référendum prendrait beaucoup de temps et d’argent. Les ressources budgétaires de l’Etat sénégalais sont déjà assez maigres. Le gouvernement peine à satisfaire la demande sociale pour laquelle le président de la République a été élu il y a un an. Des élections locales pointent à l’horizon. S’y ajoutent les redoutables inondations et montées des prix des denrées alimentaires. Est-il raisonnable de privilégier l’organisation d’un référendum sur d’autres solutions plus pragmatiques ? Si l’on tient vaille que vaille à respecter la Constitution, il reste une dernière solution qui peut faire consensus. Elle consisterait en la démission du Président de la République à l’issue des cinq premières années de son mandat. Dans ce cas de figure, le Conseil Constitutionnel constaterait la vacance du pouvoir, avant de désigner le Président de l’Assemblée Nationale pour assurer l’intérim et organiser l’élection présidentielle. Cette solution aurait le mérite de préserver les sommes importantes que coûterait un référendum, tout en conférant une grande sagesse à Macky Sall, qui respecterait un engagement électoral sans précédent dans l’histoire politique du Sénégal.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Sénégal : le défi de la représentativité

Assemblee-NA l’assemblée nationale, le parti au pouvoir (l'APR du Président Macky Sall) et l'opposition (le PDS de l'ex-président Wade) ne se font pas de cadeaux. Dernier épisode en date, la motion de censure portée par les députés libéraux à l'encontre de l'actuel Premier ministre Abdoul Mbaye, accusé d'avoir blanchi de l'argent sale provenant de l'ex-Président tchadien, Hissène Habré.

Cette motion qui n'avait aucune chance d'aboutir vu la majorité écrasante des députés de Benno Bokk Yaakar à l’assemblée nationale, n'est néanmoins pas surprenante dans un pays dont la tradition politique parlementaire nous a habitué à d’épiques moments d’échanges houleux. Les évènements de 1962, ayant opposé Senghor à Mamadou Dia ont connu leur temps forts dans une assemblée nationale dirigée par Lamine Gueye, un fidèle de Senghor.

Ce qui est en revanche surprenant – en tout cas pour une démocratie « mature» comme aiment à le rappeler les hommes politiques sénégalais – c'est que l'assemblée nationale sénégalaise ne soit qu'une chambre de résonance du pouvoir exécutif. C'est en tout cas le sentiment qui rejaillit lorsqu'on considère l'histoire récente des dernières législatures. En effet, c'est une chambre largement acquise à la cause du pouvoir socialiste de l'époque qui avait voté la modification de la constitution en 1999 permettant à Abdou Diouf de faire sauter le verrou de la limitation des mandats et de se présenter pour briguer une nouvelle fois le suffrage des Sénégalais en 2000. Avec le résultat que l’on connaît…
C'est également une assemblée nationale totalement aux ordres d'Abdoulaye Wade qui a failli voter le 23 Juin 2011, le très controversé projet de loi portant création de la Vice-présidence et abaissement de la majorité élective de 50 à 25 % des suffrages exprimés. Et c'est aujourd'hui une assemblée nationale aux couleurs de Benno Bokk Yakaar qui adule « son » premier ministre et hue l’infime minorité de députés de l'opposition qui ont déposé la motion de censure.

Cette dévotion systématique de l'assemblée nationale en faveur du pouvoir en place traduit, si besoin en était, le caractère ultra-présidentialiste du régime politique sénégalais et renvoie surtout à un mode de désignation peu représentatif des députés. En effet, le couplage à quelques mois d'intervalle des élections présidentielle et législative dans cet ordre, « force la main » au peuple : celui ci ne serait en effet pas logique avec lui-même en n'octroyant pas au président qu'il vient d'élire une majorité à l'assemblée nationale. Ceci afin que le nouveau locataire du palais de l’avenue Senghor puisse mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu.

Cependant, cette élection législative de confirmation ne fait pas que donner une majorité au pouvoir en place, elle lui assure systématiquement d’une majorité écrasante qui donne souvent au parlement sénégalais les allures d’une assemblée soviétique. Ainsi l'enchantement législatif a fait en sorte que le nombre de députés du parti socialiste, formation historique qui a gouverné le Sénégal pendant 40 ans (1960-2000) à seulement…10 en 2001 au lendemain de la défaite d'Abdou Diouf ! Idem pour le PDS qui a connu une chute vertigineuse après 12 ans d’exercice du pouvoir. De 131 en 2011, les libéraux ne se retrouvent qu'avec 12 malheureux députés en 2012, année de la défaite présidentielle d’Abdoulaye Wade. Or ce qui est curieux avec ces ascenseurs numériques, c'est que aucun des deux présidents sortants n'a été ridicule lors de la présidentielle : Diouf affichait 41 % au 1er tour en 2000 et Wade 35 % en 2012. Cet écart entre les scores présidentiels honorables des sortants et le nombre relativement faible de députés obtenus par leurs partis s'explique surtout par le mode de suffrage législatif qui obéit à un scrutin mixte, mêlant la proportionnelle au niveau national et le scrutin majoritaire au niveau départemental. Or, la part donnée aux listes nationales représente environ la moitié des sièges.

Ainsi, nul besoin d'obtenir un pourcentage de voix équivalent à celui de vos sièges, il suffit d'être le parti au pouvoir et votre triomphe est assuré. Lors des législatives de 2001, avec seulement 49% des voix, la coalition Sopi avait remporté 89 des 120 sièges en jeu, soit 74 % du total. Le PS, nouvel opposant, terminait deuxième avec 17,4 % des suffrages exprimés n'obtenait que 10 sièges, tous à partir de la liste nationale proportionnelle.
Ce mode de scrutin permet donc de récupérer quasiment tous les sièges, de caser sa clientèle politique et d'avoir une assemblée nationale qui se comportera comme une chambre d’enregistrement des volontés de l’exécutif au lieu de prendre en charge les préoccupations des populations qui elles n'habitent dans aucune liste mais bien dans des circonscriptions réelles. Ainsi, si la représentante nationale des vendeuses de poissons du Sénégal vous a soutenu lors de la Présidentielle mais qu'elle ne dispose pas d'une circonscription où elle est bien ancrée, alors placez la sur la liste nationale à une place relativement proche: elle a environ 99 % de chances d'être élue. Pour le coup, même sans circonscription, elle représente bien une partie du peuple, en l’occurrence les poissonnières, et sa voix stridente habituée à chanter les louanges de son mérou vous servira peut-être à défendre votre nouveau projet de loi sur les licences de pêche…

Derrière cette image cocasse, se cache le problème de la représentativité des populations dans nos institutions. En effet, les populations africaines souffrent beaucoup du problème de la représentativité : nos institutions fonctionnant à partir de modèles pensés il y'a plus de 50 ans, à environ 5000 kilomètres de notre actuelle assemblée nationale. Réintroduire davantage de proportionnelle en donnant de l'importance à la circonscription, permettrait non seulement d'éviter les « chutes législatives » vertigineuses que nous observons lorsqu'il se produit une alternance politique, mais cela aurait également pour avantage de « re-territorialiser » la politique en donnant au député une légitimité populaire. Ainsi, pour se maintenir au parlement, les députés n'auraient plus besoin de se muer en laudateurs du président ou de prouver leur fidélité au parti en votant des lois scélérates contraires à la volonté des mandats que sont les électeurs, mais trouveraient plutôt leur bonheur à recueillir, transférer et concrétiser les doléances des populations qui les ont élus. Il est urgent de changer la loi électorale ; ce qui du ressort des…députés. Alors, mesdames et messieurs les représentants du peuple, c'est pour quand le changement ?

Fary Ndao

Un article détaillé sur le mode de scrutin à lire ici : http://aceproject.org/ace-fr/topics/es/esy/esy_sn