Football africain, les sélections du foot-business

 

Le football est une religion en Afrique. Un coup d’œil dans n’importe quelle ville vous offrira un patchwork des clubs les plus célèbres d’Europe, et des incontournables sélections qui ont fait la fierté du continent. Mais jeunes et amateurs doivent se débrouiller pour jouer.

 

L’Afrique n’est pas aveugle, le footbusiness venu d’Europe lui renvoie l’éclat de sa puissance financière chaque week-end à la télévision. Être footballeur professionnel rapporte plus que docteur ou avocat. Les terrains de foot, qu’ils soient en latérite, en sable, en goudron ou en herbe sont pris d’assaut les soirs et les week-ends. Seules les chaleurs écrasantes du soleil à son zénith ou les trombes d’eau accordent un sursis à ces espaces de jeu. Les plus jeunes rêvent tous de suivre les traces des légendes Samuel Eto’o et Didier Drogba, qui ont mis l’Europe à leurs pieds. Seulement, le football professionnel n’est que la vitrine luisante de la grande boutique que représente ce sport. Pour la rejoindre depuis l’Afrique, le chemin est long et parsemé d’embuches. Le Football n’est pas un métier, c’est un sport qui permet aux meilleurs et aux plus chanceux d’en vivre.

Footballeurs autonomes

Dans de nombreux coins d’Afrique, rien, où presque, n’est mis en place pour la pratique du football amateur et de loisir, celui qui concerne la masse et les jeunes. Ce constat n’empêche pas les gens de jouer : il suffit de peu pour s’organiser en deux équipes et d’occuper son après-midi. Seulement, cette structure anarchique du football « à la base »  n’est pas idéale pour son développement. L’intérêt du jeu est réduit au loisir sans compétition, annihilant par là même, un intérêt élémentaire du sport. Heureusement, de petits promoteurs philanthropes ou dans le business de la formation, organisent des tournois à l’échelle d’un quartier, d’une ville ou d’une région. Souvent lors des vacances scolaires, parfois même reconduits d’année en année. A côté de cette organisation informelle généralisée, aucun championnat officiel n’est organisé par les fédérations dans les catégories de jeunes sur le continent, où à de rares exceptions près.

Le système mis en place par la FIFA en Afrique via la Confédération Africaine de Football (CAF) ne s’adapte pas à l’environnement. La gestion financière opaque qui est effectuée ne permet pas une bonne utilisation des fonds. Qu’ils soient débloqués par la FIFA dans le cadre de ses subventions où de ses missions de développement, soutenu par l’état, ou issu du sponsoring de l’équipe nationale. Les montants arrivés à destination sont loin des sommes évoquées au départ, et varient d’une année sur l’autre au gré des besoins des intermédiaires. De ses bureaux  à Zurich, la FIFA valide la méthode et vient parader en Afrique avec des valises de dons. Pour financer la construction d’un nouveau siège pour les fédérations souvent, et des terrains pour les joueurs rarement…Aucun organisme de contrôle externe ne veille à ce que ces pratiques douteuses s’arrêtent. Petits arrangements entre amis donc.

Le rôle éducatif et social qui est pourtant à la base du sport, se trouve relégué au second rang des priorités exigées par la CAF, qui elle se soucie principalement de la bonne tenue des compétitions continentales. Que ce soit sur le plan des nations (CAN dans toutes les catégories d’âge et de genre, CHAN) ou des clubs (ligue des champions et coupe de la confédération). L’exigence demandée aux fédérations de chaque pays est la tenue des sélections, l’organisation d’un championnat national et d’une coupe qui suffisent à justifier des subventions obtenues. Beaucoup de présidents de fédération se prennent alors pour des « Bernard Tapie » version Olympique de Marseille 88-93 et bénéficient du soutien des états, qui veulent bien figurer à l’international. Les moyens mis en place pour gagner se font en dépit du bon sens. Les sélections présentent de plus en plus de joueurs binationaux, n’ayant la plupart du temps jamais mis les pied au pays dans un autre contexte que celui du football. Pire, des joueurs étrangers à qui on donne la nationalité. Les primes de matches sont négociées sur la base d’une réalité salariale occidentale. Les entraineurs étrangers touchent des salaires indécents rarement justifiés et bien sûr, l’inévitable corruption des matchs officiels.

Tout cela nuit au développement du football, de la formation des jeunes à la pratique amateur. Mais comme il suffit de faire croire à une boutique bien remplie, la fin des privilèges n’est pas à l’ordre du jour.

Les secteurs publics et privés au service du football

Le football est un sport de masse en Afrique qui compte des millions de pratiquants. Rien n’est mis en place pour organiser des championnats dans toutes les catégories d’âges et de tous les niveaux alors qu’ils permettraient à l'une majorité des joueurs d’évoluer dans un cadre où la motivation et le plaisir monteraient crescendo avec la compétition. Un rôle d’intérêt général qui doit encourager les institutions publiques à investir à la base, et non pas aider et encourager des fédérations frauduleuses. L’argent du peuple, utilisé aux services du peuple.

Dans un tel contexte, les clubs doivent souvent se débrouiller seul.  Les mécènes venues du secteur privé sont rares, mais un modèle se détache : celui de Moïse Katumbi au Tout Puissant Mazembe de Lubumbashi en RDC. Il a su doter son club des infrastructures qui lui permettront de survivre et de continuer de performer même au delà de son mandat.

Pour les clubs qui n’ont pas de président milliardaires, ils doivent parvenir à de nouvelles ressources. En Afrique l’argent est dans les poches étrangères. Le sponsoring des entreprises étrangères doit se généraliser. Certains clubs peuvent déjà compter sur le soutien de passionnés et d’anciens joueurs, qui une fois dans le secteur privée n’hésitent pas à effectuer les démarches pour pousser leurs directions à investir. Car sans la présence d’intermédiaire fiable, impossible pour les multinationales de se mêler dans cette « mafia » du football africain bien connue des cercles d’influences.

Pourtant elles seraient nombreuses ces sociétés internationales à pouvoir se servir du sport pour marquer leur contribution au développement des pays où ils s’enrichissent, et de se rapprocher des populations les plus vulnérables : Par effet domino accroitre leur notoriété et susciter la sympathie des supporters et du pays tout entier si les résultats sont probants. Gagnant-gagnant.  

 

Pierre-Marie Gosselin

Football, Fifa et quotas: Le statu quo qui dérange

Je suis un grand fan de foot, je pense que cela n'aura échappé à personne, mais je suis également un observateur amusé des relations que tissent les pays, les institutions et les continents entre eux. On appelle cela pompeusement la "Géopolitique". Je souhaiterais aujourd'hui vous parler de Géofootball si vous me concédez le néologisme, inspiré que j'ai été par une jeune sœur togolaise nommée Farida Nabourema. Bonne lecture !

FIFA-logoRentrons dans le vif du sujet et partons des faits : L'Afrique et l'Asie s'imposent comme les locomotives démographiques et économiques de ce XXIème siècle à l'échelle mondiale; mais il me semble que le football ne suive pas cette tendance, ce qui est assez curieux car la prospérité démographique et économique s'accompagne très souvent d'un leadership dans des domaines culturels comme le sport de haut niveau, la gastronomie et la production artistique. Les USA ont leur Basketball et en sont les rois incontestés, les Européens ont leur Rugby et le Football qu'ils partagent avec les sud-américains mais l'Afrique et l'Asie, y compris la Chine qui brille dans les sports individuels, semblent être à la traine dans ces grands sports collectifs. S'il est évident qu'il y a un déficit d'infrastructures à combler et un retard culturel du haut niveau à corriger pour ces deux continents, il y a un autre paramètre qui ne peut plus être passé sous silence : le problème des quotas dans les grandes compétitions internationales, particulièrement pour la Coupe du Monde de football. Nous, fans de foot et amateurs observant de loin, noyons probablement le poisson du statut-quo dans les dribbles chaloupés de Messi et les coups de patte de Yaya Touré.

Faisons simple et parlons chiffres : L'Afrique (1,1 milliards d'habitants depuis 2011) et l'Asie (4,4 Milliards d'habitants) regroupent 75 % de la population mondiale. Sur 32 équipes qualifiées pour la Coupe du Monde, ces deux continents totalisent  9 équipes (5 pour l'Afrique, 4 pour l'Asie) soit à peine 28 % du total des équipes. Certes la démographie ne fait pas tout mais il y a là une curiosité qu'il est important de souligner. Pourquoi l'Europe, qui ne regroupe que 10 % de la population mondiale, a-t-elle droit à 40 % des places disponibles à la Coupe du Monde de football ? La réponse nous est donnée par la toute puissante Fifa. Selon l'instance suprême du football mondial dont le siège se trouve à Zurich en Suisse, si l'Afrique n'a pas davantage de places disponibles pour le Mondial, c'est parce qu'elle n'a pas eu de résultats satisfaisants lors des dernières éditions. Logique non ? Disons oui et non. Oui cela est logique car il s'agit là du mode de sélection de tous les sports de haut niveau, qui, rappelons-le, sont aussi des spectacles médiatiques pour le grand public. Les équipes, et ici les continents, se voient attribuer des coefficients liés à leurs performances les plus récentes dans la compétition. En procédant de la sorte, on est à peu près sûr de garantir le retour des meilleurs joueurs et des meilleures équipes afin d'assurer le spectacle. Il ne faut quand même pas déconner : une coupe du monde sans la crête et le sourire de Neymar ou les jolis abdos de Cristiano Ronaldo interesserait à peine 50 % de la population mondiale…N'est-ce pas Mesdames ?

Mais, puisqu'il en faut toujours un, ce système de désignation des quotas basé uniquement sur les performances passées présente des limites évidentes, surtout pour la Coupe du Monde de football. En effet, bien qu'étant avant tout une compétition sportive d'un niveau très élevé, la Coupe du Monde est également une fête mondiale, un spectacle auquel la quasi totalité des terriens ayant accès à une télé consacre un mois entier tous les 4 ans. On estime que 2,2 Milliards de téléspectateurs étaient devant Brésil-Croatie, le match d'ouverture de ce Mondial 2014 et que ce chiffre montera à 3 Milliards pour tout le mondial. Or le jeu de l'audience et de la publicité fait de cet événement une véritable poule aux oeufs d'or pour la Fifa, organisatrice de la compétition et qui vend les droits de diffusion aux TV, Radios et plateformes mobiles du monde entier. La preuve, toujours en chiffres : De 40 Milliards de FCFA (60 M€) en 1990, les droits TV ont progressivement grimpé à, tenez-vous bien, 2100 Milliards FCFA pour cette édition 2014 au Brésil ! En 2010 en Afrique du Sud, la FIFA a gagné 1200 Milliards de FCFA, ce qui représentait 87% de ses revenus entre 2007 et 2010.[1] La FIFA vit, et vit bien, grâce à la Coupe du Monde.

mondial-2014_bresilVous commencez maintenant à voir là où je veux en venir : Si la Coupe du Monde rapporte autant d'argent à la FIFA grâce aux gens qui regardent et que 75 % des habitants de la planète sont africains et asiatiques…pourquoi ces deux continents devraient-ils continuer à accepter d'être des minorités visibles dans cette grande messe du football mondial alors que c'est eux qui fournissent la grande majorité des téléspectateurs ? Moi qui croyais que le client était roi et que les actionnaires avaient toujours raison… Si l'on ajoute à cela le fait qu'il y a de plus en plus de stars africaines et asiatiques depuis le début des années 90 (Ayew, Weah, Etoo, Drogba, Essien, Diouf, Touré, Nakata, Ji Sung Park, Nakamura, Kagawa) ajouté aux belles performances des pays de ces continents (Corée 2002, Senegal 2002 et Ghana 2010 par exemple), il apparaît alors urgent de corriger l'équilibre actuel qui est largement en faveur des nations européennes, et ce, pour des raisons évidemment historiques. Le monde a beaucoup changé depuis quelques décennies et le football, qui fait partie du monde malgré les sensations irréelles qu'il procure, doit également changer. Je doute en outre que l'Egypte, championne d'Afrique en 2006, 2008 et 2010, éliminée en barrages de la zone Afrique par le Ghana, soit moins forte que la redoutable équipe de Grèce…Enfin, et de manière plus terre à terre, si vous n’êtes que 5 sur 32, vos chances de vous qualifier ne serait-ce que pour les quarts de finale, sont statistiquement faibles et c'est le cercle vicieux qui s’enclenche : vous performez moins car vos chances de le faire sont faibles, votre quota n’augmente pas et il vous sera difficile de performer à la prochaine édition. Xalass !

Quelles solutions : Il est évident que les pays africains doivent améliorer leurs résultats en Coupe du Monde comme les pays sud-américains qui ont de bons résultats malgré un quota similaire (5 places + 3 places en Amérique Centrale). Pour cela il faut améliorer sinon ancrer la culture du haut niveau, éviter des grèves pour des primes (n’est-ce pas Messieurs les lions indomptables…), investir dans la formation des jeunes, développer les championnats africains locaux, impliquer les investisseurs privés du continent, bâtir des infrastructures de haut standing . MAIS il faut également ne plus se laisser marcher dessus et faire une chose : taper du poing sur la table. Si l’Asie peut faire valoir son nombre énorme de téléspectateurs, l’Afrique, qui n’est pas aussi bien lotie en termes de pénétration TV, peut néanmoins s’appuyer sur ses nombreuses fédérations de football qui sont 55 et forment la plus grande colonie continentale sur les 209 fédérations qui composent la FIFA. L'élection du Président de la FIFA qui se tient tous les 4 ans avec un prochain scrutin en 2015 en constitue une opportunité pour se faire entendre…

Sepp Blatter, 78 ans, Président depuis 16 ans et candidat déclaré à sa propre réélection, aura forcément besoin des voix africaines pour gagner, surtout s’il fait face au français Michel Platini, ancienne gloire du football mondial et actuel Président de l’UEFA. Basée sur le principe « un pays – une voix » comme à l’ONU, l’élection du Président de la FIFA dépend en grande partie du choix des pays africains. En haussant le ton auprès de la FIFA et avertissant les candidats qu’ils ne voteraient qu’en faveur d’une hausse du nombre de places qui leur sont attribués, il y a fort à parier que les pays africains auront gain de cause. Un objectif raisonnable serait de réclamer 7 places dans un 1er temps et de monter à 10 candidats en 2023, en esperant qu'une ou plusieurs équipes africaines brillent en 2014 au Brésil, en 2018 en Russie ou en 2022 au Qatar. Mais enfin…pour arriver à faire pencher la balance, il faudra que les pays africains parlent d’une seule et même voix, divisés qu’ils sont par l’immortel geyser de lumière Issa Hayatou 1er, 67 ans et inamovible Président de la CAF depuis 27 ans. Il faut néanmoins reconnaitre que le camerounais, surfant sur la vague des réformes de la FIFA destinées à augmenter le nombre de pays participant à la Coupe du Monde, a su faire passer le quota de pays africains qualifiés de 2 à 5 pays. Mais cela ne nous suffit désormais plus car un continent si bouillant, si riche et si jeune doit s’imposer partout, en géopolitique comme en géofootball.

Il est grand temps que la Coupe du Monde soit aussi la coupe de tout le monde.

Fary Ndao

Afrique du Sud : les lingots du Mondial

 Zurich : le 15 mai 2004. Les délégations marocaine et sud africaine retiennent leur souffle. Dans quelques secondes, Joseph Blatter, président de la Federation International of Football Association (FIFA), ouvrira l’enveloppe dans laquelle se cache le nom du pays organisateur de la XIXe Coupe du Monde de l’histoire, en 2010. Quatre petites années plus tôt, l’Afrique du Sud avait échoué à ce même niveau de la sélection pour la Coupe du Monde 2006, mais n’avait pas fait pâle figure, face à la grande Allemagne, ne s’inclinant que d’une seule voix. Suite à cet échec, les différentes confédérations footballistiques et la FIFA, avaient unanimement décidé que l’appel d’offre, pour l’édition suivante (2010), ne serait ouvert qu’aux seuls pays africains. Cinq pays c’étaient alors lancés dans la course : la Libye, La Tunisie, Le Maroc, L’Egypte et l’Afrique du Sud. Très vite, la Libye et la Tunisie jetèrent l’éponge, effrayés qu’elles étaient par la masse des éventuels investissements à prévoir. Sur les trois pays restant, l’Egypte semblait la moins bien lotie, ayant récemment obtenu l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN 2006). Elle n’obtiendra aucun vote le jour J. Le Maroc et l’Afrique du Sud, les deux dossiers les plus solides, allaient donc se disputer le Graal.
 
L’enveloppe est ouverte. Le résultat est présenté à l’assemblée. Le clan marocain est abattu, des années de travail qui s’envolent. Côté sud africain, on exulte. Ils ont pris leur revanche. 14 voix favorables contre 10 pour le Maroc. Le pays le plus riche du continent aura l’honneur et l’immense responsabilité d’organiser la Coupe du Monde 2010. Six ans de préparation pour quatre semaines de spectacle.
 
Aujourd’hui, en 2011, nous pouvons affirmer que cette compétition fut un franc succès sportif –exception faite peut-être de la délégation française- couronnant certainement l’un des plus beaux champions de l’histoire des Coupe du Monde : l’Espagne. Qu’en est-il du succès financier ? Quel bénéfice l’Afrique du Sud retire-t-elle réellement de cet événement ?
Nous tâcherons de voir ensemble le bilan que l’on peut tirer du succès économique, financier et social généré par la manifestation sportive la plus populaire au monde, loin devant le Super Bowl.
 
 Lorsqu’au début de la décennie 2000, la FIFA a décidé que la Coupe du Monde 2010 s’organiserait sur le continent africain, l’idée centrale était de faire bénéficier un pays d’Afrique du succès économique de ce genre d’événement, créant par la suite un éventuel emballement positif, une sorte de cercle vertueux, comme ce fut le cas de la Catalogne et de toute l’Espagne après les J.O. 1992 à Barcelone.
Seulement, pour que la fête soit belle et attire du monde, il faut investir. Beaucoup. Le football nécessite des infrastructures de grandes envergures et très coûteuses. En 2005, l’Afrique du Sud détient 4 stades de football dignes de ce nom –nécessitant quelques rénovations néanmoins-. Dans sont dossier initial, rendu à la FIFA en 2004, l’Afrique du Sud prévoyait 13 stades pour la compétition : les 4 rénovés plus 9 nouveaux stades. Le budget prévu était de 550 millions d’euros. Une utopie lorsque l’on connaît le coût des stades modernes. En lieu et place des 550 millions d’euros c’est près d’un milliard € investi ; non pas pour 13 mais 10 stades, au final.
 
Bien entendu, construire des stades ne suffit pas. Il faut aménager le territoire. Etendre les réseaux ferroviaire et routier, moderniser les aéroports, créer des parkings aux abords des stades et des nouveaux hôtels. En juin 2008, Danny Jordan, directeur exécutif du Comité d’Organisation de la coupe, estime que le budget est d’ors et déjà dépassé du fait de « l’escalade des coûts ». Dans ses prévisions initiales, hors constructions et rénovations des stades, le gouvernement sud africain avait estimé à 400 M€ les coûts nécessaires aux infrastructures. En 2011, l’agence OSEO, dans son étude intitulée “ A Preliminary Evaluation of the Impact of the 2010 FIFA World Cup: South Africa”, estime que ces coûts auraient finalement avoisinés les 3,5 milliards de dollars! Soit près de 10 fois la somme prévue.
 
Les avantages immédiats de ces investissements sont clairement identifiables. Aujourd’hui, le pays, grâce à la Coupe du Monde, possède des aéroports flambant neufs, de belles routes. On observe aussi un désenclavement de certaines régions du pays grâce au développement du réseau ferré. Grâce aux stades, l’Afrique du Sud s’inscrit désormais comme l’un des leaders de l’industrie du « Sportainment » –avec l’Allemagne-. Industrie où les stades ne sont plus de simples lieux de rencontres sportives mais de véritables lieux de vie, intégrant des hôtels, des restaurants, des galeries marchandes, des salles de conférence. Sur ce point précis, l’Afrique du Sud est nettement en avance sur un pays comme la France par exemple.
De telles infrastructures ont également attiré touristes et supportaires. Pour 64 matches au total, il a été recensé 3,2 millions de spectateurs soit une moyenne de 49 700 spectateurs par parties.
Cela étant dit, cette réussite est à relativiser car, en termes de retour sur investissement comme en termes de progrès social, la Coupe du Monde 2010 n’a pas joué le rôle que l’on attendait.
 
En ce qui concerne les finances publiques, cet événement a été un échec. Le gouvernement attendait des recettes fiscales à hauteur de 1,5 milliard d’euros, elles ne seront que de 500 millions d’euros.
Sur le plan économique, le bilan est plus mitigé. Tout d’abord, les nombreux travaux effectués entre 2004 et 2009, ont permis aux cinq grandes entreprises de construction du pays d’accroître considérablement leurs bénéfices (+1300% entre 2004 et 2009-sources OSEO). Les salaires des directeurs de ces entreprises ont, en moyenne, progressés de 200% (sources OSEO) dans la même période. L’engouement généré par la compétition a permis de créer près de 200 000 emplois, mais la plupart étant saisonniers, bon nombre d’entre eux ont été détruits après le 11 juillet.
 
Les magnifiques stades représentent à eux seuls le non moins magnifique gaspillage financier dont a fait preuve le gouvernement sud africain. Ces dix stades à un milliard sont, sans aucun doute possible, des bijoux de modernité, enviés par bien des pays de football. Mais c’est précisément là que le bas blesse : l’Afrique du Sud n’est pas un pays de football. La contenance moyenne des stades de la coupe est de 56 711 places –contre 30 914 pour la France-. Ces mastodontes, symbolisés par le gigantesque Soccer City Stadium de Johannesburg, théâtre de la finale, avec ses 94 700 places (contre 80 000 pour le Stade de France), ont été rebaptisés « White Elephants » après la compétition. En effet, aujourd’hui, ces stades sonnent désespérément creux et ce pour plusieurs raisons : les équipes de Rugby (sport roi) ont, pour la plupart conservé leurs anciens stades, tandis que les clubs de football n’ont pas les moyens de devenir locataires de ces enceintes neuves et coûteuses. Ainsi, ces stades, initialement prévus pour générer des revenus dans le futur, sont en réalité des boulets attachés aux pieds du gouvernement sud africain qui déboursera, en moyenne, chaque année, 2 millions d’euros pour les entretenir.
 
D’un point de vue social, la déception est également au rendez-vous. Cette manifestation sportive était présentée comme organisée par les Africains pour les Africains et le reste du monde. Résultats, sur les 3,2 millions de places vendues pour l’ensemble de la compétition, moins de 5% l’ont été à destination des Sud africains. La raison majeure étant que les prix des billets étaient bien trop élevés pour l’autochtone moyen.
 
L’exemple symbolisant le mieux l’échec social lié à l’été 2010 est sans aucun doute, la grève des ouvriers. Si la Coupe du Monde devait apporter de nouvelles infrastructures et une plus grande affluence touristique, elle avait surtout pour objectif d’améliorer le niveau de vie de la population, ceci de manière durable. La réalité était toute autre. Le 8 juillet 2009, le National Union of Mineworker lance le mouvement de grève : « No work, no pay » et menace de ne pas livrer les stades en temps et en heure. Cette grève massive de plus de 70 000 ouvriers porte deux revendications majeures : une amélioration des salaires de 13% pour faire face à la fois aux petits salaires accordés (245€/mois en moyenne), et à l’inflation croissante. La deuxième revendication porte, elle, sur le nombre de congés payés. Les ouvriers réclament une extension de 4 petits jours. Le personnel en grève travaille sur les chantiers clés du projet : aéroport central de Johannesburg, chantiers ferroviaires du Green Point au Cap. Face à cette menace qui risquerait de ternir l’image de l’Afrique du Sud aux yeux du monde, la Fédération des employeurs du bâtiment, la SAFCEC, cède, partiellement, accordant une augmentation de 10% des salaires, mais sans jours de congé supplémentaires.
Alors, où sont passés les lingots du Mondial ? Cette épreuve dont les plus grands pays s’arrachent l’organisation ; cette épreuve que le Qatar et ses futurs stades climatisés accueilleront en 2022.
 
  Pour répondre à cette question, il faut se tourner vers l’institution reine du football, la FIFA, et son président depuis 13 ans : Joseph (Sepp) Blatter. Ce dernier déclarait dans Le Monde datant du 3 mars 2011: « la Coupe du Monde est un immense succès financier ». Pour sûr. La FIFA a, sur la période 2007-2010, un chiffre d’affaire de 4,2 milliards de dollars soit environ 2,9 milliards d’euros. Sur cette même période, les bénéfices réalisés par l’organisation sont de 631 millions $ (444 millions €). Selon Markus Kattner, directeur financier de la FIFA, 87% de ce chiffre d’affaire, soit 3,7 milliards $ (2,6 milliards€) ont été réalisé pendant le seul mois de compétition (11 juin-11 juillet 2010). On comprend alors mieux l’importance de la Coupe du Monde pour les finances de la FIFA.
 
Malheureusement, cette recherche constante du gain –pour ce qui ne reste finalement qu’une association- peut aller en contradiction totale avec les buts qu’elle c’était fixée au départ. En 2007 l’association avait lancé le projet « Fair Game- Fair Play » qui consistait à faire en sorte qu’un minimum de Sud africains aux faibles revenus soit laissé aux portes des stades. On sait aujourd’hui ce qu’il en a été. En mars 2008, une cérémonie, en présence de Sepp Blatter, avait été organisée par les différentes délégations syndicales afin d’ouvrir les yeux de la FIFA sur les conditions de travail des ouvriers. Un mémorandum pour « des conditions de travail descentes » avait été remis au dirigeant qui avait alors assuré que la FIFA veillerait à ce que les travaux soient effectués dans de bonnes conditions et que les ouvriers aient des places gratuites pour voir des matches dans les stades qu’ils auront eux-mêmes construit. Là encore, nous savons désormais que ces promesses n’ont pas abouti.
 
Pis. Si les gains de la FIFA se font avant tout sur les droits télévisuels et les droits marketing, il faut également noter que ses gains, ainsi que ceux de ses partenaires, ont été exonérés d’impôts. Selon OSEO, cet élément fut une condition sine qua non de l’attribution de l’épreuve à l’Afrique du Sud. Pour Adrian Lackay, porte-paroles du South Africa Revenue Service (autorités fiscales sud africaines) : «Les privilèges que nous avons dû octroyer à la FIFA étaient tout simplement excessifs. Ils ont rendu impossible le moindre gain financier pour l’Afrique du Sud ». Pour couronner le tout, on peut ajouter que la FIFA a fait pression sur la collectivité de Durban afin de faire raser des marchés entiers, expulsant de fait –selon l’ONU-, près de 20 000 personnes de leurs logements pour les parquer dans des installations précaires ; à l’image des Hutongs en 2008 –quartiers chinois historiques raser pour le bien des J.O-.
 
Des dépenses sous-estimées, des recettes surestimées, une FIFA qui s’accapare la majeure partie des recettes. Aux vues de tout cela, la Coupe du Monde 2010 ne pouvait être autre chose qu’un échec économique pour l’Afrique du Sud. Et si Michael Goldman, du Gordon Institute of Business Sciences, à l’université de Pretoria, estime qu’il est trop tôt pour tirer un bilan économique et qu’ «un retour sur investissement à court-terme est très peu probable », on peut s’imaginer, à la connaissance de tous ces éléments, que cet événement n’engendrera pas la croissance escomptée.
Cela étant dit, on est en droit de penser que tous ces investissements n’ont pas été vains et qu’ils pourront s’avérer utiles sur le long terme. On parle, de manière récurrente, des villes de Durban et Johannesburg comme probables candidates à l’organisation des J.O. de 2020 (attribués en 2013). Dans les villes concurrentes se trouveraient, parmi les plus sérieuses candidatures, Rabat et Casablanca au Maroc…
 
Giovanni Djossou