Karim Wade, de l’arrogance à la trahison des siens

 

Photo+Karim+WadeLe prononcé du verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite contre Karim Wade et ses complices, ce lundi 23 mars 2015, a été accueilli par une immense clameur de désolation dans la salle 4 du Palais de justice Lat Dior de Dakar. Celle des partisans de l’ancien ministre d’État, finalement condamné à six ans de prison ferme, une amende de 138,293 milliards de francs Cfa, la confiscation de tous ses biens identifiés par l’enquête, mais gardant ses droits civils et politiques.

A dire vrai, cette sentence n’a surpris personne en dehors de ceux qui avaient la naïveté de croire que la machine judiciaire, sur ce dossier de la traque dite des biens mal acquis, avait les moyens de « négocier » quelque arrangement spécifique au statut du fils de l’ancien président de la république. Patatras ! Quoique modérée, la main des juges du tribunal de la Crei n’a pas tremblé, même si le président Henri Grégoire Diop a paru s’essouffler au terme de deux heures de lecture d’une sentence historique.

En soi, nous ne nous réjouissons pas de la condamnation de monsieur Karim Wade à six années de prison. Simplement, nous avons le devoir de saluer la détermination politique du pouvoir sénégalais à aller, pour une fois, au bout d’une logique saine et salutaire : la protection des ressources de la collectivité nationale contre les criminels économiques et financiers de passage dans les hautes (ou basses) sphères de l’État.

Karim Meïssa Wade, ancien tout-puissant ministre d’État aux responsabilités stratosphériques, paie aujourd’hui les pots cassés d’une ascension irréfléchie, brutale, sans commune mesure avec le vécu réel qui était le sien au moment de l’accession de son père à la magistrature suprême. Plastronnant sous une littérature directement extraite d’un conte de faits pour enfants, l’ex-ministre d’État s’est vu trop beau trop tôt, trop fort trop vite, ignorant volontairement ou naïvement les ingrédients de base constitutifs de la carapace d’un vrai homme d’État. 

Sans base ni éducation politique, dépourvu de charisme, sans relais structuré dans le Sénégal des profondeurs, il avait fait le choix de vivre sur l’énorme capital politique et humain de son père, Abdoulaye Wade. Or ce dernier, faut-il le rappeler, s’est assujetti à endurer vingt six ans de carrière dans l’opposition avant de toucher le Graal de son engagement et de ses sacrifices. Le fils, lui, se forgeant des ambitions phénoménales avec la complicité irresponsable des ascendants, s’est laissé embarquer dans ces réseaux inextricables d’intérêts et de magouilles que seule l’immersion dans le pouvoir permet. 

Novice dans la manipulation du principe de puissance, imprudent face aux conséquences imprédictibles permises par la volonté démocratique des peuples, Karim Wade s’est aveuglé avec l’aide des siens, intransigeant contre ceux qu’il considérait à tort ou à raison comme des ennemis bruts de son ascension, n’écoutant que ceux qui lui contaient sornettes pour tirer profits et avantages de son propre éclosion, autour d’une tasse de thé ou de café, quelque part entre Dubaï et Monaco, mais aussi dans Dakar intra muros. 

L’échec d’une défense

Wade Jr. n’a pas été seulement victime de faux-amis qui, incapables d’assumer par eux-mêmes leurs propres ambitions, avaient fini de dissoudre leur destin politique dans le sien. Il l’a été également d’un père devenu dieu de ses obligés mais qui avait envisagé que seule une double succession monarchique dans « son » parti et dans un État capturé depuis 2000 était en mesure de lui assurer la postérité qu’il revendiquait à la hauteur de son égo. De fait, il ferma peut-être les yeux – s’il était au courant – sur tous les stratagèmes que son fils développait à partir de ses positions de pouvoir au sommet de l’Etat. Abdoulaye Wade était-il informé des pratiques peu orthodoxes auxquelles se livrait Karim Wade et que l’énoncé du verdict de la Crei a mises en lumière ce 23 mars ?
Victime, Karim Wade l’a aussi été de ses avocats et conseils. La plupart de ceux-ci, donc pas tous, sont reconnus comme des professionnels aguerris des prétoires. Des hommes d’expérience aux capacités tactiques qui peuvent être utiles à leurs clients. Mais ne se sont-ils pas trompés de procès au bout du compte ? Le caractère exceptionnel de la Crei, ses procédures aux antipodes des juridictions classiques, sa résurgence en ces temps de la maturité des peuples et des exigences morales liées au principe de la reddition des comptes, ne suffisaient-ils pas à leur imposer une démarche plus efficace pour sauver leur client ? Comment expliquer que des manquements inhérents à ce type de procès aient pu servir de motif pour déserter ainsi le prétoire ?

On peut respecter leur stratégie, cela n’empêche pas d’avancer le propos qui fâche : ils ont opté pour la facilité, plaidant plus dans les médias que devant le tribunal, arc-boutés à des principes universels de droit qui ne font pas tout le droit, finissant par boycotter un procès que la lourdeur des charges contre Karim Wade rendait ingagnable à leurs yeux, oubliant même que, « en matière pénale, la preuve est libre », ainsi que leur rappelait un de leurs confrères.

Le principal concerné n’a pas été exemplaire non plus ! Emmuré dans le silence face aux accusations précises et accablantes de ses contradicteurs, Karim Wade ne s’est pas révélé courageux, en droite ligne d’ailleurs de l’ascension couvée dont il a bénéficié durant sa (brève) carrière politique. Son mutisme, il le voulait sélectif : en extase quand il fallait parler du fameux compte de Singapour et des bijoux de sa défunte femme, deux dossiers sur lesquels il savait qu’il aurait gain de cause ; aphone lorsqu’il était question de AHS, ABS, Blackpearl Finance, etc.

Et maintenant ?

Dans notre entendement, si ce procès historique ne devait pas être l’amorce d’une transformation radicale des modes de gouvernance en vigueur dans notre pays depuis cinquante cinq ans, il n’aura servi à strictement rien, sauf à donner bonne conscience à des politiciens professionnels. C’est le moment pour les politiques au pouvoir de confirmer leur détermination à promouvoir un Sénégal en lutte perpétuelle contre la corruption. Les Sénégalais les ont à l’œil, patients.

Mais le nœud gordien de notre salut à tous réside dans l’émancipation du pouvoir judiciaire, garant de nos libertés, arbitre de nos turpitudes. Car, si nous laissons les politiciens de ce pays conduire seuls nos destinées selon leurs agendas, des centaines d’énoncés de verdict comme celui de ce 23 mars 2015 nous sont d’ores et déjà promis. Encore que, dans l’attente, il y en a qui méritent le sort de Karim Wade.

 

Momar Dieng

Article initialement paru sur le blog http://momardieng.blogspot.fr/

 

L’affaire Petro-Tim : Pour un usage des voies de droit au Sénégal

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Le Sénégal est un pays où les voies de droit sont peu utilisées par les citoyens pour résoudre leurs problèmes. Qu’il s’agisse de litiges entre particuliers ou de différends opposant les citoyens aux institutions, le recours est beaucoup plus prompt à l’endroit des médias ou autres canaux publics. Or, l’espace public ne devrait pas être le lieu de résolution des affaires publiques. Cela est peut-être dû à la place que ces médias ont dans la vie démocratique (radios, télés, presse écrite) mais une nation qui se targue de sa vitalité démocratique doit en premier lieu prouver l’efficacité de ses voies de droit. L’importance des affaires portées sur la place publique alors qu’elles concernent précisément  des différends à portée juridique dont les tribunaux doivent être saisis est un déficit de démocratie.

En témoigne l’affaire Petrotim/Arcelor Mittal, qui est devenue un imbroglio où des affaires distinctes sont portées dans l’espace public alors qu’elles concernent des institutions importantes de l’Etat. Il y a dans cette affaire un méli-mélo d’accusations (conflit d’intérêts, corruption, détournement de deniers publics) faites au meeting du Parti démocratique sénégalais (PDS, le principal parti d’opposition) tenu le 21 novembre 2014. L’ancien Président Abdoulaye Wade (2000-12) a tout simplement « joint » deux litiges différents : celui opposant la société Mittal (devenue ArcelorMittal) à l’État sénégalais, et un autre litige dans lequel est cité Aliou Sall, le frère de l’actuel Président Macky Sall (2012-).  Aliou Sall est accusé d’avoir usé de ses relations et de sa fonction diplomatique de l’époque dans un contrat où Petro-Tim Limited (devenue Timis Corporation), une compagnie pétrolière de l’homme d’affaires roumain Frank Timis est privilégié, et même d’avoir touché des rétro-commissions, pendant que beaucoup d’argent public aurait été versé dans les comptes d’avocats personnels du chef de l’État. Ces accusations taisent plusieurs faits essentiels pour comprendre le dossier :

  1. Le fait qu’Aliou Sall a agi en qualité d’agent de l’Etat sénégalais en poste à Pékin ;
  2. Le fait que des avocats personnels d’un chef de l’Etat peuvent agir en qualité du chef de l’Etat intuitu personae et recevoir leurs honoraires sur un compte ouvert à cet effet ;
  3. Le fait qu’ArcelorMittal, s’étant retiré du contrat qui le liait à l’État du Sénégal pour l’exploitation de gisements miniers dans l’est du pays, a versé des dommages-intérêts à l’État après une décision du tribunal arbitral de Paris ;
  4. Le fait que c’est le régime d’Abdoulaye Wade qui a causé ce préjudice de l’État envers Mittal

Le flou qui a entouré la présentation de l’affaire Petro-Tim ces dernières semaines a donné l’impression qu’il y a eu « beaucoup de précipitation au début et peu de clarté à la fin », pour citer l’ancien ministre Alioune Badara Cissé. Mais lorsqu’elle a été examinée de façon sérieuse, les autorités sénégalaises ont eu vite fait de démontrer que le flou a été volontairement entretenu par Wade. Cette tentative de semer la confusion dans l’esprit des citoyens et, comme fréquemment, de divertir l’opinion par des sujets polémistes, ne va pas dans le sens de l’apaisement de la vie publique.

Car l’espace public n’est pas le lieu où les affaires d’une telle portée juridique doivent être résolues. Ce n’est bon ni pour la quiétude de l’opinion publique, ni pour l’exécution des programmes publics, ni pour le bon fonctionnement des institutions. Pour cette affaire, comme pour tant d’autres, les Sénégalais devraient se tourner vers les cours et tribunaux  pour éviter la pollution du débat public. Le débat politique doit porter sur les programmes économiques, l’opportunité des choix opérés, et non sur une lutte entre clans destinés à « détruire » des politiciens pour les intérêts d’une famille. Crier sous tous les toits qu’on détient des preuves et disséminer des rumeurs sans fondement ne sert pas la stabilité des institutions dont se targue le Sénégal. Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux : le porter devant les tribunaux dans un pays où la justice est garantie ainsi que les droits. C’est valable pour cette affaire comme pour beaucoup d’autres qui faussent le débat démocratique.

Sauf à remettre en question l’indépendance des tribunaux ou la sécurité du système judiciaire, ce qui serait troublant pour des personnalités politiques qui étaient en fonction jusqu’il y a peu, il y a un danger à consacrer des meetings politiques à porter ces accusations devant le tribunal de l’opinion. Le système judiciaire sénégalais permet à tout citoyen d’attaquer les autorités administratives, y compris l’Etat, les collectivités décentralisées et les entreprises publiques : garantie constitutionnelle. Les actes des personnes morales de droit public peuvent être attaqués devant la Cour suprême et, même si les délais sont réduits, il y a toujours possibilité de provoquer une décision implicite de rejet (silence de l’administration après une requête). Et lorsqu’on estime que ce sont des actes non administratifs, il y a toujours les tribunaux régionaux et cours d’appels qui sont compétents. Mieux, le règlement non juridictionnel est possible (Médiateur de la République, Parlement, etc.).

Il est dommage que les tribunaux soient submergés presqu’exclusivement de différends liés aux mœurs (vol, viol, agressions, escroquerie) et très rarement saisis pour des questions de gouvernance. Beaucoup d’hommes politiques préfèrent s’exprimer devant les médias et devant les militants pour invectiver leurs adversaires au lieu d’agir avec responsabilité en utilisant les tribunaux du pays, alors même qu’ils ne manquent pas de moyens pour commettre des avocats spécialisés sur ces questions. Dès lors, comment expliquer cette propension à recourir aux médias et à l’espace public pour résoudre des problèmes politiques ayant une portée juridique ? Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux et gagner la bataille de l’opinion est d’obtenir un règlement juridictionnel de ces litiges. Lorsque le Président actuel, Macky Sall, alors dans l’opposition, a fait l’objet d’une procédure judiciaire pour un patrimoine appartenant à l’État sénégalais (les fameux « fonds taïwanais »), un non-lieu fut rendu. Lorsqu’Ibrahima Sène, le leader du Parti pour l’indépendance et le travail, a été attrait en justice pour diffamation, il a été relâché au bénéfice du doute. Lorsque Karim Wade est soupçonné d’enrichissement illicite, c’est encore la justice qui doit trancher, qu’elle passe par la CREI, la Cour de justice de l’UEMOA, etc.

A l’heure où le gouvernement est dans une phase cruciale de mise en œuvre des programmes contenus dans le Plan Sénégal émergent, avec la gestion quotidienne des problèmes des ménages, les étudiants, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les transporteurs, et même les journalistes, ont certainement plus besoin d’être informés des efforts fournis par le gouvernement – baisse des loyers, des produits pétroliers, des prix des denrées, octroi de moyens aux collectivités territoriales, mise en place d’instruments comme la Banque nationale pour le développement économique (BNDE), le Fonds souverain d’investissements stratégiques (FONSIS), la Couverture maladie universelle (CMU) ou le Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (PAQUET) – que d’écouter des accusations aussi légères que celles relatives à l’affaire Petro Tim/Arcelor Mittal.

Il serait bien que le débat public soit moins vicié. Fournir des efforts pour cogiter sur les programmes est en soi beaucoup plus bénéfique pour la vie publique que des accusations aussi légères qui ont leur place, encore une fois, dans les instances judiciaires financées exclusivement pour ces questions. Quel est l’apport marginal des attaques personnelles portées dans les médias à longueur de journée pour le pouvoir d’achat des Sénégalais ? Ces derniers méritent un débat public plus informé et plus structuré.

Mais on est en droit de croire que les électeurs sont moins enclins à écouter ces polémiques stériles qu’à évaluer le bilan des responsables qu’ils ont porté au pouvoir (local comme national). La bonne tenue des élections (locales en 2014, nationales en 2012) montre l’importance des résultats concrets. La maturité des électeurs prouvée lors des consultations électorales doit entraîner un meilleur débat public. L’Etat de droit vivra mieux lorsque les bons programmes économiques seront soutenus ; lorsque les résultats seront salués ; lorsque les attaques personnelles finiront devant les tribunaux. 

La justice de Macky Sall traque les dignitaires de l’ancien parti démocratique sénégalais

imagesLa plupart des barons du PDS sont empêtrés dans de beaux draps avec la décision des autorités sénégalaises de les poursuivre en justice. Ainsi, après la mise sous mandat de dépôt de Ndèye Khady Gueye, certains d’entre eux sont-ils montés au créneau pour dénoncer un énième épisode de ces traques. Mais la manière dont ces enquêtes sont décriées laisse à désirer, car elle fait fi de ce qu’elles représentent des moments-clé dans la vie d’une Nation.

Par exemple, Monsieur Babacar Gaye, ancien Ministre des Affaires Politiques sous Wade, actuellement Président du Conseil Régional de Kaffrine (Centre), est intervenu dans quelques médias dakarois pour fustiger les décisions des autorités politiques et judiciaires du Sénégal. De même, Me Ousmane Ngom, ancien Ministre de l’Intérieur et ancien Ministre de la Justice, estime qu’aucune juridiction sénégalaise ne devrait statuer sur le cas des anciens Ministres de Wade, excepté la Haute Cour de Justice de la République.

Pour leur propre information, les cours spéciales du Sénégal, y compris la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI), sont organisées par des textes adoptés par le Parlement du pays, avec des missions claires et précises. De ce fait, sauf à ne plus faire confiance à la justice de ce pays et à ses lois, Ousmane Ngom, au vu des fonctions qu’il a occupées, se devrait de laisser libre cours à cette justice.

L’Etat du Sénégal ne se perd pas en conjectures en mettant en place un dispositif de répression des crimes économiques. Que les anciens caciques du PDS se rassurent donc, la volonté de faire rendre des comptes et/ou de rapatrier les fonds publics mal utilisés n’est pas une perte de temps. D’ailleurs, le Sénégal est un pays dont les hommes de droit sont réputés intègres et les institutions politiques et judiciaires fiables. Les récriminations dont ces procédures de reddition des comptes font l’objet pèchent par trop de juridisme. Bien entendu, il incombe aux magistrats d’en décider. Mais encore faut-il qu’on leur accorde, et par la même occasion à la justice sénégalaise, l’occasion de rendre leurs décisions. Et cela passera inévitablement par le crédit qu’on accordera aux institutions judiciaires du Sénégal.

téléchargementLe billet d’écrou délivré à Ndeye Khady Gueye, ancienne Directrice du Fonds de Promotion économique, par le Doyen des Juges d’instruction, Mahawa Sémou Diouf, n’est qu’une page de la longue liste d’auditions et mandats de dépôt dont les anciens barons du PDS font l’objet. Sur rapport de la Cellule Nationale de traitement des informations financières (Centif), le magistrat a décidé de placer sous mandat de dépôt la dame de la Gueule-Tapée pour escroquerie portant sur des deniers publics, détournement de deniers publics, complicité de détournement et de blanchiment de capitaux. La gravité des chefs d’accusation, portant sur près de 3 milliards, démontre à elle seule qu’il s’agit, pour cette affaire comme pour les autres, de moments-clé de la vie d’une Nation.

Seul l’avenir nous édifiera sur la réalité des faits incriminés, envers elle comme envers les autres. Mais nul n’a le droit de faire obstacle à la justice sénégalaise. Car c’est bien l’avenir de cette dernière qui est en jeu, qu’il s’agisse de la CREI, de la CENTIF, de la Haute Cour de Justice, ou des tribunaux ordinaires.

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

A quoi servent les oppositions africaines?

progbagboLa question mérite d'être posée : à quoi servent les oppositions politiques en Afrique ? De manière plus générale, à quoi servent les opposants politiques dans un processus démocratique ? Les opposants ne devraient-ils pas empêcher ou minimiser la « dictature » de la majorité présidentielle en contre-balançant les pouvoirs et les points de vue politiques ? Certes, dans les pays africains, le manque de ressources allouées aux oppositions démocratiques ne leur permet pas de faire face aux projets politiques et autres prétentions du groupe majoritaire. Malgré cela, ont-elles même simplement essayé de jouer leur rôle, de ramer à contre-courant, mais dans le bon sens ? Dans la plupart des cas, les opposants politiques n’essaient même pas. Pourquoi ?

Les débats sur le déficit démocratique des pays africains épargnent souvent le rôle et la responsabilité des oppositions politiques. L’opposition corrompue du Cameroun est très fortement partie prenante des mandats perpétuels du Président Paul Biya qui ressemblent à une aventure ambiguë annihilant toute possibilité d’alternance politique. Cette opposition n’ouvre, bien évidemment, aucune perspective de changement, d’évolution politique d’une république se disant, pourtant, démocratique. Au Sénégal, l’obsolescence subite du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) depuis l’élection de Macky Sall est honteuse et alarmante. Il y moins d’un an grand parti au pouvoir, elle se décompose et prend les allures d’une petite brigade politique de province.

Le cas du PDS témoigne d’une décadence voire d’une incapacité à se poser comme parti d’opposition digne et prometteur ; ne serait-ce que pour les prochaines cruciales échéances électorales, face à un parti au pouvoir adepte des alliances sur fond de clientélisme, de promesses politiciennes et de corruption des différentes tendances politiques composant la majorité. Fait-on face à des oppositions hyper-présidentialistes ? L’on peut répondre par l’affirmative, et aller plus loin en notant que la présence des éternels opposants qui n’ont plus d’idées enrichissantes pour l’évolution politique de leur formation pose un vrai problème de renouvellement des élites voire constitue même un frein dans un processus démocratique qualitatif. D’éternels chefs comme Abdoulaye Bathily ou Ousmane Tanor Dieng semblent faire de la politique un éternel métier. Une situation qui ne laisse, bien évidemment, aucune perspective aux jeunes qui ont souvent le choix entre hurler leur colère et voir indiquée la porte de sortie ou carrément se désintéresser de la gestion de la chose publique.

opposant-guinee-mUn renouvellement des leaders d’oppositions africains est donc une nécessité dans un continent dont la jeunesse est le premier potentiel économique pour plus de représentativité et plus de responsabilité des acteurs politiques. C’est également une façon de renouveler, varier et faire évoluer les idées et les compétences. Opposant historique ne rime pas forcement avec compétence politique. Un renouvellement des élites est, dès lors, plus que nécessaire, elle est obligatoire. Force est de reconnaître que dans bien des pays africains, les oppositions politiques se sont laissées corrompre, signe d’une démocratie instable et superficielle pouvant, d’un moment à l’autre, plonger les Etats dans une phase de désintégration partielle ou totale de leurs institutions. Benjamin Disraeli avait raison de soutenir que nul gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable opposition. Le cas malien n’est que la résultante d’un long processus de désintégration institutionnelle sous couvert d’une démocratie unanimiste et fictive. L'opposition n'a pourtant pas seulement un rôle de contestation, de destruction. Un opposant démocratique est un acteur de la vie politique, œuvrant pour plus de démocratie, plus de respect des engagements des dirigeants, plus de débat dans l'espace public. 

Pour plus démocratie, pour des représentants politiques plus responsables et soucieux de la cause publique, bref pour une politique plus noble et plus saine, nos opposants politiques doivent prendre conscience de leur mission. Il ne s’agit pas de tenir un éternel et redondant discours démagogique. Il ne s’agit pas non plus d’avoir à l’esprit une éternelle critique stérile encore moins une velléité de seulement détruire sans être une force de propositions. Il s’agit de contribuer à l’évolution des idées et des pratiques politiques. Il s’agit de prendre part à un projet collectif noble et humaniste dans un vrai processus démocratique. Une démocratie de façade fera long feu. Elle débouche sur une désintégration progressive des bases constitutionnelles et institutionnelles, sur une remise en cause de la structure étatique prélude à son effondrement. L’enjeu n’est pas une querelle de personnes mais d’œuvrer pour le bien public. Les forces d'opposition actuelles ont une très grande part de responsabilité dans l’immobilisme politique des Etats africains, quand elles ne précipitent pas leur effondrement.

 

Papa Modou Diouf

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Sénégal : le défi de la représentativité

Assemblee-NA l’assemblée nationale, le parti au pouvoir (l'APR du Président Macky Sall) et l'opposition (le PDS de l'ex-président Wade) ne se font pas de cadeaux. Dernier épisode en date, la motion de censure portée par les députés libéraux à l'encontre de l'actuel Premier ministre Abdoul Mbaye, accusé d'avoir blanchi de l'argent sale provenant de l'ex-Président tchadien, Hissène Habré.

Cette motion qui n'avait aucune chance d'aboutir vu la majorité écrasante des députés de Benno Bokk Yaakar à l’assemblée nationale, n'est néanmoins pas surprenante dans un pays dont la tradition politique parlementaire nous a habitué à d’épiques moments d’échanges houleux. Les évènements de 1962, ayant opposé Senghor à Mamadou Dia ont connu leur temps forts dans une assemblée nationale dirigée par Lamine Gueye, un fidèle de Senghor.

Ce qui est en revanche surprenant – en tout cas pour une démocratie « mature» comme aiment à le rappeler les hommes politiques sénégalais – c'est que l'assemblée nationale sénégalaise ne soit qu'une chambre de résonance du pouvoir exécutif. C'est en tout cas le sentiment qui rejaillit lorsqu'on considère l'histoire récente des dernières législatures. En effet, c'est une chambre largement acquise à la cause du pouvoir socialiste de l'époque qui avait voté la modification de la constitution en 1999 permettant à Abdou Diouf de faire sauter le verrou de la limitation des mandats et de se présenter pour briguer une nouvelle fois le suffrage des Sénégalais en 2000. Avec le résultat que l’on connaît…
C'est également une assemblée nationale totalement aux ordres d'Abdoulaye Wade qui a failli voter le 23 Juin 2011, le très controversé projet de loi portant création de la Vice-présidence et abaissement de la majorité élective de 50 à 25 % des suffrages exprimés. Et c'est aujourd'hui une assemblée nationale aux couleurs de Benno Bokk Yakaar qui adule « son » premier ministre et hue l’infime minorité de députés de l'opposition qui ont déposé la motion de censure.

Cette dévotion systématique de l'assemblée nationale en faveur du pouvoir en place traduit, si besoin en était, le caractère ultra-présidentialiste du régime politique sénégalais et renvoie surtout à un mode de désignation peu représentatif des députés. En effet, le couplage à quelques mois d'intervalle des élections présidentielle et législative dans cet ordre, « force la main » au peuple : celui ci ne serait en effet pas logique avec lui-même en n'octroyant pas au président qu'il vient d'élire une majorité à l'assemblée nationale. Ceci afin que le nouveau locataire du palais de l’avenue Senghor puisse mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu.

Cependant, cette élection législative de confirmation ne fait pas que donner une majorité au pouvoir en place, elle lui assure systématiquement d’une majorité écrasante qui donne souvent au parlement sénégalais les allures d’une assemblée soviétique. Ainsi l'enchantement législatif a fait en sorte que le nombre de députés du parti socialiste, formation historique qui a gouverné le Sénégal pendant 40 ans (1960-2000) à seulement…10 en 2001 au lendemain de la défaite d'Abdou Diouf ! Idem pour le PDS qui a connu une chute vertigineuse après 12 ans d’exercice du pouvoir. De 131 en 2011, les libéraux ne se retrouvent qu'avec 12 malheureux députés en 2012, année de la défaite présidentielle d’Abdoulaye Wade. Or ce qui est curieux avec ces ascenseurs numériques, c'est que aucun des deux présidents sortants n'a été ridicule lors de la présidentielle : Diouf affichait 41 % au 1er tour en 2000 et Wade 35 % en 2012. Cet écart entre les scores présidentiels honorables des sortants et le nombre relativement faible de députés obtenus par leurs partis s'explique surtout par le mode de suffrage législatif qui obéit à un scrutin mixte, mêlant la proportionnelle au niveau national et le scrutin majoritaire au niveau départemental. Or, la part donnée aux listes nationales représente environ la moitié des sièges.

Ainsi, nul besoin d'obtenir un pourcentage de voix équivalent à celui de vos sièges, il suffit d'être le parti au pouvoir et votre triomphe est assuré. Lors des législatives de 2001, avec seulement 49% des voix, la coalition Sopi avait remporté 89 des 120 sièges en jeu, soit 74 % du total. Le PS, nouvel opposant, terminait deuxième avec 17,4 % des suffrages exprimés n'obtenait que 10 sièges, tous à partir de la liste nationale proportionnelle.
Ce mode de scrutin permet donc de récupérer quasiment tous les sièges, de caser sa clientèle politique et d'avoir une assemblée nationale qui se comportera comme une chambre d’enregistrement des volontés de l’exécutif au lieu de prendre en charge les préoccupations des populations qui elles n'habitent dans aucune liste mais bien dans des circonscriptions réelles. Ainsi, si la représentante nationale des vendeuses de poissons du Sénégal vous a soutenu lors de la Présidentielle mais qu'elle ne dispose pas d'une circonscription où elle est bien ancrée, alors placez la sur la liste nationale à une place relativement proche: elle a environ 99 % de chances d'être élue. Pour le coup, même sans circonscription, elle représente bien une partie du peuple, en l’occurrence les poissonnières, et sa voix stridente habituée à chanter les louanges de son mérou vous servira peut-être à défendre votre nouveau projet de loi sur les licences de pêche…

Derrière cette image cocasse, se cache le problème de la représentativité des populations dans nos institutions. En effet, les populations africaines souffrent beaucoup du problème de la représentativité : nos institutions fonctionnant à partir de modèles pensés il y'a plus de 50 ans, à environ 5000 kilomètres de notre actuelle assemblée nationale. Réintroduire davantage de proportionnelle en donnant de l'importance à la circonscription, permettrait non seulement d'éviter les « chutes législatives » vertigineuses que nous observons lorsqu'il se produit une alternance politique, mais cela aurait également pour avantage de « re-territorialiser » la politique en donnant au député une légitimité populaire. Ainsi, pour se maintenir au parlement, les députés n'auraient plus besoin de se muer en laudateurs du président ou de prouver leur fidélité au parti en votant des lois scélérates contraires à la volonté des mandats que sont les électeurs, mais trouveraient plutôt leur bonheur à recueillir, transférer et concrétiser les doléances des populations qui les ont élus. Il est urgent de changer la loi électorale ; ce qui du ressort des…députés. Alors, mesdames et messieurs les représentants du peuple, c'est pour quand le changement ?

Fary Ndao

Un article détaillé sur le mode de scrutin à lire ici : http://aceproject.org/ace-fr/topics/es/esy/esy_sn