Lambert Mendé : la voix de son Maître !

Bien avant la théorie aujourd’hui en vogue de la post-vérité ; avant l’invention des faits alternatifs avatars du trumpisme triomphant, il y avait Lambert Mendé.

Lorsqu’en septembre 2016 de violentes manifestations hostiles au président de la RDC, Joseph Kabila, ont fait des dizaines de morts à Kinshasa, Lambert Mendé « ministre porte-parole du gouvernement » est apparu pour dire : « L'ordre sera respecté et les honnêtes citoyens seront protégés ». Ceux qui sont morts parce qu’ayant marché pour réclamer plus de démocratie se voyaient ainsi exclus du champ des « honnêtes citoyens ».  Quand, il y a quelques semaines, une vidéo montrait des soldats de l’armée congolaise tuant des miliciens désarmés, parfois couchés à même « la terre gorgée de sang » et devant  « les képis qui ricanent » comme aurait dit le poète David Diop, Lambert Mendé a, du bout des lèvres, qualifié le massacre d’ « excès ». Les activistes des mouvements citoyens sénégalais Y’en a marre et burkinabè Balai citoyen arrêtés lors d’une visite dans le pays, en mars 2015, en même temps que des membres de la société civile congolaise, seront accusés de s’être livrés à des « manœuvres de déstabilisation et d’atteinte à la sûreté de l’Etat ».

Aux oreilles de Lambert Mendé, les termes « droits de l’homme » et « libertés » résonnent comme autant de menaces contre lesquelles il faut livrer bataille à grand renfort de bruit et de fureur feinte. Ce personnage est l’incarnation de toutes les voix de leurs maîtres, quel que soit l’endroit d’où elles parlent, dont la parole balaye à la fois les faits et les souffrances des victimes. C’est le verbe qui dégage le cadavre en touche, les mots qui anéantissent la mémoire des malheureux tombés sous les balles de l’oppression.

Le syndrome Mendé, c’est la défense de l’indéfendable. L’absolution de l’odieux crime par de savantes circonlocutions. Le masque de l’affabilité cachant mal le cynisme devenu banal. La violence d’un humour macabre qui a besoin du sang des innocents pour se hisser sur la scène du théâtre montée au dessus de celle du crime et nous dire que le bourreau n’est pas celui dont il porte la parole mais celui qui est six pieds sous terre.

A travers le monde, le spectacle de manifestations réprimées dans le sang et de militaires qui exécutent face caméra des hommes et des femmes désarmés est affligeant mais hélas récurrent. Il est déjà difficile de mesurer son impuissance face à tant d’inhumanité vouée à demeurer impunie. Mais le plus insupportable, c’est de voir Lambert Mendé – ou ses frères jumeaux le burundais Willy Niamitwe et le gabonais Alain Claude Bilie Bi Nzé, par exemple – débouler et nous dire, en somme, avec sa faconde et son emphase, que l’assassiné l’a bien cherché, que le manifestant emprisonné n’avait qu’à rester chez lui, que le citoyen n’en est pas un, qu’il est en fait un sujet ; l’entendre répéter que le monde se porterait mieux si on laissait l’homme qui le paye pour ses aptitudes de mauvais conteur réprimer et s’éterniser au pouvoir à son aise.

Sur le continent africain et ailleurs, les Lambert Mendé pullulent, tapis dans les palais ou pas loin, recrutés par des chefs d’Etat incompétents pour ajouter le mensonge à l’échec, le mépris à l’irresponsabilité. Est atteint du syndrome Mendé, le politicien, le journaliste, l’avocat, l’artiste ou tout autre laudateur et flagorneur payé à insulter l’intelligence de celui qui l’écoute en lui assurant que tout va bien quand le braquage se déroule et que le sang coule sous ses yeux.

Leur métier ? Nettoyer  de la conscience collective les forfaits dont nous sommes tous les jours témoins. Leur arme ? La parole publique : de la prestation audiovisuelle à l’article de presse en passant par le tweet. Les contre-vérités qu’ils colportent sont démenties par les faits ? Ils inventeront des faits nouveaux ou se réfugieront dans le déni, le tout sous un vernis de respectabilité dont eux seuls ne se rendent compte du craquement.

Ou alors si, ils s’en aperçoivent mais n’en ont cure. Nous sommes aussi à l’ère de la post-respectabilité, celle de l’honorabilité alternative. 

Racine Assane Demba

Viols commis par des soldats français : à quand les « sanctions exemplaires » ?

C’est en plein cœur de la crise centrafricaine que le scandale éclate : des soldats de l’armée française et de l’ONU seraient coupables de viols contre des civils, dont des enfants. Plus d’un an après, les informations sur le travail de la justice tombent au compte-goutte. Où sont ces « sanctions exemplaires » promises par le gouvernement français ?

L’une après l’autre, les enquêtes se ferment. Et n’aboutissent à aucune poursuite. Trois investigations ont été ouvertes par la justice française au sujet des soupçons de viols commis par des soldats français en Centrafrique. L’une d’elles a été classée sans suite, la deuxième s’achemine vers un non-lieu.

Le silence français

Pour l’opinion publique, l’histoire commence avec la fuite d’un document confidentiel de l’ONU. Révélé par The Guardian, le rapport compile des témoignages de dizaines enfants forcés de pratiquer des fellations contre de l’argent ou de la nourriture. Nous sommes en avril 2015, et l’opinion est écœurée. Tous les éléments du sordide sont réunis : des enfants, un camp de déplacés – celui de l’aéroport de M’poko, le plus grand du pays, sécurisé par la France -, des dizaines de soldats mis en cause, ceux-là même déployés sur le territoire pour protéger la population. Si les faits sont graves, « les sanctions seront graves », déclare alors François Hollande. « Elles seront même exemplaires ».

Quand le scandale des viols sur mineurs éclate, la justice française, informée des faits, a, en fait, déjà ouvert une enquête préliminaire depuis juillet 2014. Au cours de cette enquête, aucun enfant, aucun militaire mis en cause ne sera entendu. Lorsque des enquêteurs mandatés par l’ONU ont été dépêchés sur le terrain, le commandement de la force française Sangaris aurait refusé de répondre à leurs questions.

Aujourd’hui, le scandale est retombé, l’indignation s’est essoufflée, et les quelques articles parus sur la fermeture des enquêtes sont presque passés inaperçus.

Une affaire entre les mains de la justice

Les opérations de maintien de la paix sont éclaboussées, de manière cyclique, de scandales similaires. Et la révélation de ces scandales semble faire beaucoup plus de bruit que l’impunité des responsables. Bien sûr, le temps de la justice est un temps long. Evidemment, le rapport de l’ONU, paru en 2015, faisant état de récits peu crédibles et d’accusations « non corroborées » d’enfants interrogés, est venu jeter le discrédit sur certaines accusations.

Pourtant, interrogé par les journalistes de Médiapart en décembre dernier, le ministère français de la défense explique que lorsque les faits étaient « avérés et les auteurs identifiés », les « militaires mis en cause » ont été « éloignés du théâtre » et ont subi « des sanctions disciplinaires ». Des soldats ont donc été reconnus coupables. Combien ? Les victimes de ces militaires « sanctionnés » ont-elles été notifiées de ces décisions ?

C’est à la justice française de juger les soldats de Sangaris qui seraient responsables de crimes ou de délits commis lors de leur mission, selon un accord conclu en janvier 2014 entre la France et la Centrafrique. Soit. Mais lorsque l’enquête ouverte au sujet d’un soldat ayant violé une fille mineure au cours de l’été 2014 est classée, le 20 novembre dernier, la plaignante n’en est pas informée. On ne peut évoquer « l’exemplarité » des sanctions en tenant les victimes à l’écart des avancées de la justice.

Au fond, tout se passe comme si l’affaire ne concernait plus la Centrafrique, ni les victimes. Sangaris a plié bagages, les soldats qui se seraient « mal comportés », pour reprendre l’expression délicate de François Hollande, ont apparemment été sanctionnés. Au sens propre comme au figuré, affaire classée.

Des violences inévitables ?

Une impression amère de mépris envers des victimes sur le témoignage desquelles pèse un scepticisme à peine dissimulé. Avec, en arrière-fond, l’idée que ces exactions seraient inévitables. D’un côté, une population démunie, vulnérable. De l’autre, des soldats en proie à des troubles psychologiques sévères, parachutés dans un environnement extrêmement violent. J’ai discuté l’année dernière avec un soldat français, vingt ans à peine, tout juste revenu de Bangui. Son témoignage glaçant m’a fait réaliser à quel point la préparation et le suivi à leur retour des soldats déployés était insuffisant pour prévenir et combattre les violences sexuelles dont il m’avait fait le récit. Selon un rapport parlementaire, l’opération Sangaris a généré des déséquilibres psychologiques chez 12% de ses soldats : c’est l’une des guerres les plus traumatisantes menées par la France.

Alors, quelle solution pour lutter contre les violences sexuelles en temps de guerre ? La première étape serait peut-être de se débarrasser de l’idée qu’elles sont inévitables. Cela éviterait peut-être à certains de proposer des solutions stupides, pour ne pas dire grotesques. Comme cet ancien diplomate français qui m’expliquait qu’il suffirait de réduire les temps de mission des soldats sur le terrain, pour leur permettre, en somme, de mieux pouvoir « se retenir » lors de leur retour en mission. Combien de personnes partagent cette analyse ? A quel point le phénomène est-il appréhendé à l’envers ?

Qu’ils soient ou non mandatés par l’ONU, les soldats membres d’opérations de maintien de la paix ne peuvent être jugés que par la juridiction de leur pays d’origine. En se refusant obstinément à un minimum de transparence, ces pays adoptent un comportement aux effets doublement néfastes. Non seulement ils entachent leur propre crédibilité, mais ils empêchent de réfléchir à des moyens efficaces de protéger les populations.

Marieme Soumaré

À nos lecteurs

Voilà maintenant six ans que L’Afrique des Idées se bat pour faire vivre et rendre audible le concept d’afro-responsabilité.

Six ans que L’Afrique des Idées a fait sienne et défend la conviction selon laquelle l’Afrique que nous voulons ne deviendra réalité que si l’on donne l’opportunité à cette jeunesse africaine consciente de la responsabilité qui lui incombe de faire entendre sa voix.   

Six années durant lesquelles vous, lecteurs, analystes et membres issus de tous horizons, animés par cette indéfectible croyance en un avenir pour l’Afrique digne de son potentiel que nous avons en partage, avez contribué sans relâche en la transformation de ce qui n’était au départ qu’un simple blog en think tank indépendant, productif, ancré localement et capable de s’imposer comme véritable force de proposition dans des lieux où cette voix n’est encore que trop peu entendue.

Arrêtons-nous un instant et regardons en arrière.

L’Afrique des Idées est aujourd’hui à l’origine d’une production d’idées reconnues, avec plus de 2000 articles d’analyse, un nombre grandissant de notes d’analyses et d’études de qualité relayées par des instances internationales telles que les Nations Unies et de multiples conférences et interventions dans les médias ( BBC, BFM Business, Financial Afrik, France Info, Courrier international,…).

Riche de plus d’une centaine de membres actifs de plus de 15 nationalités mettant leurs compétences au service de ce projet commun, et ce, de l’Afrique à l’Amérique du Nord en passant par l’Europe : L’Afrique des Idées c’est aussi et surtout une communauté d’infatigables bâtisseurs composée de jeunes soutenue par des partenaires de confiance.

Mais c’est aussi grâce et pour vous, qui êtes plus de 50 000 à nous rendre visite chaque mois, et qui avez été plus de 2500 à participer à nos conférences au cours des 5 dernières années, que L’Afrique des Idées continue inlassablement de rester tournée vers l’avenir et s’efforce de se renouveler.

C’est donc naturellement que nous souhaitons partager avec vous nos perspectives pour 2017, qui s’est affirmée dès les premiers jours, et nous prenons l’actualité en témoin, comme l’année des défis.

Le défi du sens, que l’on a commencé à créer, à se réapproprier et qu’il va falloir porter, défendre, valoriser avec plus d’intensité en disséminant nos productions et en établissant de nouveaux partenariats tout en restant en alerte et prêt à prendre position sur l’actualité africaine.

Le défi de la pluralité des idées et des problématiques qui se présentent à nous et que l’on se doit d’embrasser, de confronter et de mettre en perspective de manière toujours plus approfondie afin de proposer des solutions pertinentes et réalistes à travers les rapports réalisés par nos groupes de travail composés d’experts et marqués du sceau de l’interdisciplinarité. Seul moyen selon nous d’avoir une approche complète et en phase avec la réalité.

En somme, le défi de la transformation, sans laquelle, selon nous, aucun changement n’est possible. Et quel meilleur moyen de le relever que de voir encore et toujours plus loin, d’échanger encore et toujours plus, de parler et d’écrire avec encore et toujours plus de force et de conviction. Ecrire l’Afrique que nous vivons, écrire l’Afrique que nous ne voulons plus, écrire l’Afrique que nous méritons, écrire l’Afrique dont nous rêvons. Ecrire pour exister et faire entendre notre voix qui est celle d’une Afrique plurielle, ingénieuse et unie. La voix d’une Afrique riche de sa jeunesse. La voix d’une Afrique riche de ses idées.

Vous êtes la preuve que cette Afrique existe. Continuons à l’écrire ensemble.

Olivia GANDZION

Directrice des publications 

 

 

Note de lecture sur « Zero to One » et réflexions sur comment bâtir le futur africain

Dans son essai « Zero to One : notes sur les startups et comment bâtir le futur », l’entrepreneur américain Peter THIEL, co-fondateur de sociétés comme PayPal et Palantir, identifie deux approches du progrès : un progrès horizontal ou encore incrémental, et un progrès vertical ou exponentiel. 

Notre société est bâtie autour de la notion de progrès incrémental. Tous les ans, nous analysons la croissance économique incrémentale de nos pays, comparativement à l’année précédente. Ainsi, l’Afrique se gargarise des taux de croissance de 6% de ses pays les plus dynamiques. Chacun se projette dans le futur en considérant les résultats du passé proche. Une entreprise ou un individu cherchera une croissance incrémentale de ses revenus, sur la base de ce qu’il connait déjà et de ce qu’il identifie comme le champ d’un possible restreint. 

L’accélération des ruptures technologiques, des nouveaux modèles d’affaires qu’elles engendrent et les mutations rapides du champ sociopolitique invitent toutefois à considérer plus sérieusement l’option du progrès exponentiel. La caractéristique du progrès exponentiel est qu’il crée un champ nouveau de possibilités de services, de produits, d’accumulation de capital et de savoir, de créations d’emplois, de réseaux et de pouvoir qui, parce qu’il ne s’appuie pas sur un réel préexistant, est totalement imprévisible et transformateur. Le développement de la téléphonie mobile et du mobile money, passé en Afrique de quasiment 0 utilisateur au milieu des années 1990 à plusieurs centaines de millions dans les années 2000, est un exemple de développement exponentiel, de courbe verticale du progrès. Internet, les réseaux sociaux, sont d’autres exemples de progrès exponentiel. Dans un registre différent, le développement de l’Etat islamique au Moyen-Orient ou l’émergence de nouveaux acteurs politiques dans les démocraties matures, comme Trump aux Etats-Unis, peuvent également être assimilés à des phénomènes imprévisibles de développement exponentiel. 

La contrainte du progrès exponentiel est toutefois…qu’il reste totalement à inventer. Contrairement à la croissance incrémentale, qui améliore l’existant à la marge, et demande donc des compétences de bons gestionnaires, d’administrateurs rigoureux, le développement exponentiel consiste à inventer ce qui n’existe pas encore, à le rendre viable (économiquement, socialement, politiquement) et à soutenir ensuite sa croissance exponentielle, en mobilisant les ressources humaines, financières et matérielles nécessaires à ce développement fulgurant en courbe verticale. 

Ces concepts de progrès incrémental vs progrès exponentiel sont particulièrement signifiant lorsqu’on les applique à la situation actuelle de l’Afrique. Le continent africain se caractérise par une croissance démographique massive et l’arrivée de cohortes toujours plus nombreuses de jeunes actifs, dans un tissu économique peu structuré et relativement peu dynamique, qui peine à convertir le dividende démographique. Des millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail en étant peu ou pas formés et rejoignent des services informels à faible productivité et faible valeur ajoutée. Ces jeunes se retrouvent à la merci de tous les aléas socioéconomiques. Dans ce contexte de vulnérabilité forte, des courants idéologiques radicaux comblent le vide des institutions intermédiaires défaillantes (entreprises, écoles, institutions publiques et filets sociaux de proximité) et liguent une part sans cesse croissante de la population contre les institutions séculières avec des méthodes parfois terroristes. Ce contexte a largement nourri le discours sur l’afro-pessimisme. 

Dans le même essai « Zero to One », Peter THIEL distingue quatre approches du futur, selon que l’on soit optimiste ou pessimiste, déterminé ou indéterminé. Il classifie la manière dont les êtres humains abordent l’avenir en fonction des quatre catégories décrites dans le schéma ci-dessous : 

 

Il y a deux sortes de pessimistes. Ceux qui pensent que tout va aller mal et qui ne font rien pour se préparer ou contrer cet avenir sombre (pessimiste indéterminé) : ce sont les abstentionnistes, les petits parasites désillusionnés (petits policiers corrompus…) ou encore ces gens qui se réfugient dans certaines approches religieuses parce qu’il n’y a rien à tirer du « monde réel ». Et puis il y a les pessimistes déterminés : ils pensent que les choses vont aller de mal en pis, et décident de prendre leurs précautions ou, généralement, de fuir lorsqu’ils le peuvent. On retrouve dans cette catégorie bon nombre de migrants africains, prêts à braver tous les dangers et à consacrer des sommes d’argent non négligeables pour s’échapper de l’avenir pessimiste qu’ils prêtent à tort ou à raison à leur pays.  

Dans la catégorie des optimistes, les plus courants sont les optimistes indéterminés, ceux que l’on appelle dans le cas africain les afro-optimistes. Ils croient à la fable selon laquelle l’émergence de la classe moyenne africaine va résoudre inéluctablement tous les problèmes et assurer un avenir radieux au continent, fait de croissance, d’emplois, de mall commerciaux et de villes modernes et attractives. Généralement, ces optimistes indéterminés, lorsqu’ils sont africains, ont fait des études supérieures, s’engagent dans un parcours carriériste et ne se posent pas beaucoup de questions sur la montée des inégalités ou le décalage criant entre leur mode de vie et celui de la majorité de la population. Ils pensent, sans savoir exactement comment, que la main invisible de la croissance africaine réduira ces gaps et fera converger le plus grand nombre vers… la « classe moyenne africaine ». Ces optimistes indéterminés surveillent de près le taux de croissance économique annuelle de leur pays ou du sous-continent, indicateur fiable selon eux du progrès incrémental qui résoudra tous les maux. 

Cette approche, simpliste, illusoire, est dangereuse au regard des contraintes démographiques, économiques et sociopolitiques évoquées précédemment. La dernière posture qui, l’auteur se permet de dévoiler son opinion, nous semble préférable, est celle de l’optimiste déterminé qui cherche les moyens pratiques de construire un avenir meilleur qu’il sait possible. Possibilité ne veut toutefois pas dire inéluctabilité. D’où la nécessité d’imaginer, de planifier et d’œuvrer à l’émergence de nouveaux modèles, basés sur de nouvelles approches et nouvelles technologies, qui élargissent le champ des possibles dans tous les domaines de l’activité humaine et aboutissent parfois au développement exponentiel absolument nécessaire pour convertir positivement le dividende démographique africain au 21ème siècle. Ces nouveaux modèles se bâtiront parfois au détriment des anciens, et la phase de mutation rapide que nous appelons de nos vœux ne se fera pas sans résistance forte de la part de ceux qui vivent au crochet de l’ancien système. L’urgence de la situation appelle toutefois à n’avoir aucune indulgence avec la médiocrité de ceux qui contribuent à tirer le système vers le bas. 

Espérons que l’Afrique de demain ressemblera à quelque chose que presque personne ne pourrait imaginer aujourd’hui. Cela voudrait dire que nous aurons connu plusieurs phases de développement exponentiel, dans plusieurs domaines, qui permettront – optimisme oblige – aux populations du continent de trouver les opportunités pour assurer leur bien-être. Cela ne sera possible que si une masse critique de jeunes africains fait le pari risqué de la créativité, de l’innovation et de l’anticonformisme, en lieu et place des parcours carriéristes conformistes de la « classe moyenne africaine ». 

Emmanuel Leroueil

Mort de Pateh Sabally : à quoi bon sauver un simple migrant ?

Pateh Sabally, réfugié gambien de 22 ans s’est laissé mourir dans le Grand Canal de Venise, samedi 21 janvier. Après le Nigérian Emmanuel Chidi battu à mort en juillet 2016 par des militants racistes à Fermo, l’Italie est à nouveau le théâtre d’une barbarie raciste.

Cette mort de Pateh Sabally nous dit quelque chose de notre époque sidérante, car elle témoigne de ce qu’Hannah Arendt appelait « la banalité du mal ». En 2017, un jeune homme se noie pendant que des passants et des touristes rigolent et l’agonissent d’insultes racistes. Personne ne tente quoi que ce soit pour le sauver, mais on sort tout de même son téléphone pour filmer la scène, histoire de faire ensuite le buzz sur les réseaux sociaux. L’inhumanité atteint ainsi une dimension terrifiante par la médiatisation de la cruauté.

C’est un spectacle tragique que l’Europe montre, elle qui se vante pourtant au quotidien d’être un modèle de démocratie, de liberté et de respect de la dignité humaine. Le Vieux Continent donne constamment à l’Afrique des leçons de morale en matière électorale et sur les conflits qui foudroient nos pays, mais son traitement des migrants, des réfugiés qui fuient les horreurs n’est en rien humaniste.

A quoi bon sauver un simple migrant ?

Ces Vénitiens et ces touristes auraient plongé pour sauver n’importe quoi, même un appareil photo. Mais leur attitude coupable résulte, en Europe, de la persistance d’un discours martelé par des politiques et des médias sur le danger que constitue l’Autre – migrant, réfugié ou simple étranger. Les qualificatifs pour les désigner sont légion et montrent tous combien le mépris est total : « Nègre », « envahisseur », « fuite d’eau », « misère du monde », « voleur de boulot »…

Beaucoup de médias ont relaté la tragédie de Pateh Sabally invoquant une mort survenue dans l’indifférence. L’expression est fausse. Le jeune homme est mort sous des ricanements conscients qui n’ont rien d’indifférents. Ce n’est qu’un migrant qui se suicide, à quoi bon le sauver, se sont-ils dit !

D’autres morts auront lieu malheureusement. Il n’y a qu’à suivre les débats en Europe où un homme politique, pour augmenter sa cote de popularité, sort une énormité sur les étrangers, les réfugiés, les musulmans. Ailleurs, on érige des barrières physiques et symboliques contre des gens qui ne sont pas nés dans le bon pays ou n’ont pas la bonne orientation religieuse. C’est une vague xénophobe qui s’est emparée de l’Occident, rappelant les heures les plus sombres de notre Histoire. Et ce n’est pas le décret anti-immigration signé le 27 janvier par Donald Trump et interdisant l’entrée des Etats-Unis aux ressortissants de sept pays – dont trois africains : la Somalie, la Libye et le Soudan – qui va apaiser les esprits.

Rien ne prédit que le cycle de l’horreur finira bientôt. Au contraire, on se laisse gagner de jour en jour par une escalade verbale et guerrière qui est la cause lointaine des morts d’Emmanuel Chidi, qui fuyait Boko Haram, puis de Pateh Sabally, que les sinistres années de présidence de Yahya Jammeh ont poussé à la fuite. Leur mort pèsera longtemps dans la conscience de tous ceux qui, chaque jour, en pointant l’Autre comme un problème, sont la honte de l’Europe et les bourreaux de nos jeunes exilés.

Hamidou Anne

 

Gambie : une démonstration du « loup et l’agneau » de la Fontaine

La Cédéao et l’Union Africaine, soutenues dans une certaine mesure par la Communauté internationale, ont contraint Jammeh à céder le pouvoir après de longues négociations menées par les présidents guinéen et mauritanien et sous la menace d’une intervention militaire. Si cette manœuvre a permis de se débarrasser d’un pouvoir autocratique qui a plongé ce petit pays dans une crise socio-économique sévère et un isolement international quasi-complet ; il convient toutefois de s’interroger sur le signal qu’elle donne, notamment pour l’instauration d’une démocratie véritable en Afrique, mais aussi quant au fonctionnement des institutions régionales africaines.

Cette crise est la résultante de l’entêtement de Yahya Jammeh à s’accrocher au pouvoir alors qu’il l’aurait perdu dans les urnes. Une défaite, qu’il a concédé dans un premier temps, avant de faire volte-face contestant la légitimité du président élu en évoquant les irrégularités entachant le scrutin et révélées par l’IEC (Independent Electoral Commission).[1] Une volte-face que certains considèrent comme une manœuvre de Jammeh afin d’éviter des poursuites judiciaires pour les exactions commises durant ses 22 années au pouvoir.

Cependant, dans une Afrique en quête de stabilité démocratique, les arguments avancés par les détracteurs de Jammeh seraient-ils pertinents vis-à-vis de ceux du président sortant dénonçant les irrégularités ? D’autant plus que ces irrégularités ont été confirmées par le président de l’IEC lui-même, tout en précisant qu’elles ne sont pas de nature à modifier l’issue du scrutin.

Alors qu’à l’annonce des résultats, Jammeh aurait pu les rejeter en bloc pour diverses raisons, s’accrocher au pouvoir en s’appuyant sur l’armée comme certains de ses pairs, il les a acceptés à la surprise générale. Il a démontré sa volonté de respecter les principes de la démocratie et à ce titre, il aurait fallu user des voies de recours légales pour régler ce différend politique. La médiation de la CEDEAO, conduite par sa présidente Ellen Johnson Sirleaf, ne s’est pas attachée à amener les protagonistes à user de telles voies, même si on estime que le contexte ne s’y prête pas avec une cour suprême dont les membres n’ont pas été nommés. Elle avait une seule ambition : négocier le départ de Jammeh. L’échec d’une telle médiation était donc prévisible et n’a laissé à Jammeh que des options qui ont envenimé la crise de sorte à lui donner l’image d’ennemi de la démocratie pouvant justifier cette intervention militaire.

Jammeh n’est certes pas un agneau et son départ contraint – dans la mesure où le président élu de la Gambie, Adama Barrow, a prêté serment à Dakar (dans un flou juridique total que seul comprend la communauté Internationale) et vu l’imminence d’une intervention militaire que Jammeh ne peut contenir ; l’armée gambienne ne voulant d’ailleurs pas se battre, selon cet article du "Monde" – offre à la Gambie un nouveau souffle. Cependant, cette situation suscite plusieurs interrogations, notamment sur la gestion des crises par les institutions régionales africaines.

Le constat est qu’à situation similaire, les traitements ne sont pas les mêmes. La balance régionale tend à pencher d’un côté de sorte que l’intervention de ces institutions ne sert qu’à appuyer l’une des parties impliquées dans la crise et non à les renforcer, foulant au passage les principes démocratiques. Alors qu’en 2005 et 2015, le Togo était au bord d’une crise après les élections, la CEDEAO n’a fait qu’avaliser l’élection de Faure Gnassingbé au grand désarroi du peuple. Plus récemment, alors que tout indiquait qu’Ali Bongo a forcé sa réélection en tant que président du Gabon, l’Union Africaine a fait mine de laisser les Gabonais régler leur différend politique. Au Congo, les manœuvres de Sassou Nguesso pour se maintenir au pouvoir n’ont pas suscité une quelconque intervention de l’Union Africaine et celles de Kabila en RDC n’amèneront certainement pas cette dernière à décider d’une intervention militaire ou à en appuyer une visant à déloger ce dernier.  Si le conflit électoral en Gambie n’est pas une première sur le continent, il n’en est pas de même de la réaction de la communauté internationale. Cette dernière ne s’est en effet jamais autant impliquée pour le respect du choix populaire. Mais à y regarder de près, cette prise de position tient davantage à la personnalité de Jammeh plutôt qu’à une intention véritable de l’institution de renforcer la démocratie dans ce pays et dans la région de façon globale. Très peu apprécié par ses pairs, Jammeh a fait les frais de cette crise post-électorale qui constitue un ultime instrument entre les mains de ses détracteurs pour le forcer à quitter le pouvoir. La gestion des crises par les institutions africaines se ferait donc à la tête du client ? Cela s’y apparente. Aussi détestable que Jammeh puisse être, cette intervention musclée pour le déloger du pouvoir n’était pas forcément nécessaire, surtout qu’il était dans son droit de contester les résultats d’une élection dont la crédibilité a été remise en cause par les organisateurs.

Au final, Jammeh a quitté le pouvoir (chacun pourra l’apprécier selon sa conviction) mais il ne faudrait surtout pas y lire une victoire de la démocratie sur la dictature mais plutôt une persistance de l’application de la loi du plus fort dans la conquête du pouvoir politique en Afrique et reconnaître que les institutions africaines ne sont qu’à leur solde. Dans ce contexte, elles ne pourraient permettre d’atteindre l’intégration tant souhaitée et de construire cette Afrique que nous voulons.

Dans tous les cas, on attendra l’Union Africaine et les autres institutions régionales sur d’autres scènes … tant l’Afrique compte des accros au pouvoir, qui, comme Jammeh, dirigent leur pays d’une main de fer depuis bien longtemps et violent ouvertement les principes démocratiques, sans être inquiétés. Espérons que nous nous trompons et que ces institutions réitéreront ce genre d’actions dans d’autres cas, qui ne manqueront certainement pas de se présenter sur le continent.

Seule la lutte libère !

tsSur la terre d’Eburnie, le peuple gronde, mais reste faible, inactif et subit l’émergence à marche forcée. De loin il regarde les exilés politiques mourir, de loin il compte le nombre de jours de prison de nombreux anonymes. Face à cette situation, le peuple d’Eburnie pense avoir trouvé la voie : pour l’Ivoirien, la révolution sera numérique.

De profonds germes de contestation

Un pouvoir politique ne craint pas un peuple qui ne sait plus se battre pour ses droits. Au contraire, les mesures gouvernementales plus injustes les unes que les autres s’égrainent dans le silence désarmant d’un peuple qui semble avoir perdu son courage. Sur les marchés, les prix des denrées alimentaires sont au plus haut, les étudiants attendent toujours de pouvoir suivre leur formation dans des conditions décentes ; et même lorsqu’ils grondent pour le respect de leurs droits fondamentaux, ils sont victimes d’arrestations. La hausse des prix de l’électricité ne cesse de peser sur le budget des ménages. Le déguerpissement de nombreuses familles de leurs logements insalubres sans alternative crée de la frustration chez une population aux abois. Erigé en norme, le tribalisme refait surface et les scandales de corruption émergent (notamment dans la filière de l’anacarde).

Dans ce climat rempli de ressentiments, le pouvoir, qui se voulait différent de l’ancien régime, est loin d’être exemplaire. Sur le front politique, la réconciliation reste un mirage, les proches de l’ancien président sont toujours détenus dans les geôles sans jugement et sans avoir ne serait-ce que la chance de bénéficier des services d’un avocat. Dans les pays voisins, les exilés politiques continuent de mourir dans une profonde insouciance.

Face à ce tableau sombre, et malgré des indicateurs macroéconomiques qui affichent un niveau record depuis 10 ans, la première économie d’Afrique francophone (9% de croissance annuel moyen sur la période 2012-2015) est loin d’offrir à sa population l’émergence tant souhaitée.

Dans ce contexte, les Ivoiriens se réfugient sur internet, qui est devenu le mur de leurs lamentations, mais aussi le symbole de leur faiblesse.  Les pétitions se suivent, les hashtags se succèdent, les statuts de contestation se multiplient, les vidéos s’enchaînent…En vain.

Une contestation en manque de leadership

La  démission des élites ne se discute plus. Trop frileuses, elles ont choisi leur camp, celui de l’immobilisme. Elles refusent tout positionnement critique, tout effort de réflexion qui peut sembler désormais dangereux. Elles refusent d’assumer sa place et de mener son combat. Les réseaux sociaux leur servent à montrer qu’elles profitent de l’émergence bien réelle selon elles, n’en déplaise à toutes ces familles qui n’arrivent toujours pas à vivre décemment.

Le terrain de la contestation ayant été laissé vacant par les élites, celles-ci sont remplacées sur  internet par des porte-paroles qui de part la faiblesse de leur argumentaire ne font qu’entériner le nivellement par le bas de notre société. On est loin de cette Côte d’ivoire des années 70 ou la contestation était portée par  Zadi Zaourou ou encore le professeur Memel-Fotê.

S’organiser pour résister

Le peuple burkinabé a montré l’exemple en Afrique en se soulevant le 31 Octobre 2014 contre la violation de ses libertés fondamentales. Depuis longtemps la colère grondait, le peuple se lamentait et les signes avant coureur d’une révolte étaient visibles. Les vicissitudes de la vie ne parvenaient pas à éteindre la sourde révolte qui se préparait. Les soubresauts de l’affaire Norbert Zongo, les émeutes de la faim, les mutineries étaient les prémices d’une probable révolution. Porté par une société civile active et organisée au sein du collectif « Balai citoyen », le peuple burkinabé se préparait à entrer dans l’histoire par la grande porte.

Loin de l’inaction des fameux réseaux sociaux et de leur simulacre de révolution, c’est dans la rue que ce peuple va aller chercher et arracher le départ du maitre de Kossyam. Ce pouvoir qu’on croyait immuable, inébranlable a vertigineusement chuté. A l’instar du Balai Citoyen au Burkina Faso, la société civile ivoirienne doit s’organiser et faire émerger un réel contre-pouvoir pour empêcher que des décisions injustes soient prises en son nom, et à son insu.

Agir debout !

La société civile doit comprendre que face à la démission de ses représentants, elle doit prendre ses responsabilités en s’impliquant concrètement sur le terrain par l’emploi de tous les moyens pacifiques afin de faire entendre sa voix. Revendiquer, s’informer, manifester, boycotter, s’organiser, marcher, proposer, débattre.

Les réseaux sociaux doivent être utilisés de manière efficace, ils doivent servir de caisse de résonance aux revendications, ils doivent aider à mutualiser les forces et ne doivent en aucun cas remplacer la contestation frontale. Un hashtag aussi viral soit-il ne fera jamais fléchir un gouvernement.

Face à un pouvoir qui frôle parfois l’autoritarisme, le risque est grand, et les sacrifices à faire importants. Refuser de se confronter à un pouvoir, refuser de se lever, c’est accepter de subir demain les conséquences de notre léthargie. « L’esclave (le peuple) qui n’assume pas sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort, seule la lutte libère ». 

Joël-Armel Nandjui

 

Les femmes noires en ont marre que vous parliez de leurs cheveux !

ooLaine d'animal, éponge à gratter, paille… Pour décrire la texture des cheveux crépus, quand on pénètre le terrain de la moquerie, l'originalité et la subtilité sont généralement de mise. Le professeur d'une prestigieuse école d'Afrique du Sud aurait choisi pour sa part de comparer la chevelure de l'une de ses élèves à un "nid d'oiseaux". Les remarques racistes des enseignants de la Pretoria Girls High ont été récemment dénoncées par des lycéennes de l'établissement. Elles accusent de discrimination la direction – blanche – de leur école, qui les oblige à lisser ou à attacher leurs cheveux.

La médiatisation de leur mobilisation a ravivé le vieux débat du racisme institutionnel dans l'Afrique du Sud post-apartheid. Une pétition contre la politique discriminatoire du lycée a été publiée en ligne et recueille à ce jour près de 33 000 signatures. Elle dénonce également l'interdiction pour les lycéennes noires de parler leur langue maternelle dans l'enceinte de l'établissement, les seules langues admises étant l'anglais et l'afrikaans. Il semblerait que certains dirigeants de la Pretoria Girls High  regrettent encore l'époque révolue où leur établissement était uniquement réservé aux élèves blanches, à leurs propres langues maternelles et à leurs cheveux lisses et "bien" peignés.

Face au mouvement de protestation de ses élèves, la direction du lycée a finalement été obligée de suspendre son règlement intérieur. Désormais, les lycéennes de Pretoria pourront coiffer leurs cheveux comme elles l'entendent. On peut d'ailleurs se réjouir du soutien unanime qui a accompagné leur mouvement, en Afrique du Sud et ailleurs. Mais à quoi tient ce soutien ? Sans doute un peu moins la force de leur message : « laissez-nous coiffer nos cheveux comme nous le voulons » qu'à sa cible : une institution blanche, issue de l'apartheid, aux politiques discriminatoires.

En effet, la stigmatisation des cheveux crépus n'est pas uniquement observée au travers d'administrations qui ont conservé certaines de leurs pratiques racistes d'un autre temps. En terme de standards de beauté notamment, la domination des critères occidentaux s'observe encore au sein même des sociétés africaines, bien que celles-ci aient tendance à l'oublier.

La coiffure afro a pourtant représenté une revendication politique forte, portée par le mouvement Black Power aux Etats-Unis à partir des années 1960.  Soudain, l'afro devenait un moyen de promouvoir la beauté des hommes et des femmes noirs et d'affirmer fièrement son appartenance à une communauté. Elle était devenue un outil de revendication, un rejet de l'assimilation à la culture blanche, un processus de réappropriation culturelle.

Paradoxalement, c'est principalement dans les sociétés occidentales que cette revendication a été la plus forte. Aux Etats-Unis puis en Europe, le projet du Black Power s'est peu à peu effacé devant le phénomène nappy, qui illustre le souhait des jeunes filles et des femmes noires d'assumer leurs cheveux crépus. C'est un phénomène majoritairement relationnel, qui se développe souvent en dehors de la sphère familiale ; il puise notamment sa force sur internet, au milieu des « tutos » de youtubeuses et de la profusion de blogs spécifiques. La dimension politique de l'affirmation de la beauté de la femme noire tend à se diluer dans celle d'un phénomène de mode qui représente un business florissant pour les commerçants de produits de beauté. Le marché juteux des cheveux naturels a toutefois ceci de bénéfique en Occident qu'il renforce, et légitime, la promotion de la beauté des cheveux des femmes noires.

En Afrique ? La question ne se pose pas, ou si peu. Pour être jolie, féminine, très majoritairement il faut se coiffer, il faut « faire sa tête ». Garder ses cheveux naturels, c'est s'exposer aux remarques, voire aux reproches de ceux qui ne considèrent pas l'afro comme une coiffure adéquate en société. Et par là même, perpétuent le schéma de pensée qui apprend aux petites filles aux cheveux crépus qu'ils doivent être lissés, tressés, disciplinés, domptés.

Hommes ou femmes, la soumission aux canons de beauté blancs ne nous ait-elle pas inculquée dès notre enfance? Faut-il rappeler que l'utilisation de produits chimiques destinés à se blanchir la peau continue de faire des ravages au sud du Sahara? A l'heure de l'afro-optimisme, des grands discours sur l’émergence politique et culturelle des pays africains, les crèmes blanchissantes et les produits de défrisage se vendent toujours dans nos marchés. Et tandis qu'à Pretoria les professeurs blancs se moquent des cheveux de leurs élèves, nos mères continuent de nous apprendre, petites filles, que se coiffer, c'est d'abord apprendre à modifier ou au moins à dissimuler la texture de nos cheveux.

En définitive, quoi qu'elle fasse, la femme noire aura toujours tort. Si elle porte ses cheveux naturels, a fortiori dans le milieu professionnel, elle sera vue, au mieux comme une militante engagée, au pire comme une femme à l'allure peu soignée. A l'inverse, si elle a l'outrecuidance de se tresser ou de se lisser les cheveux, les adeptes du « nappy » la soupçonneront de ne pas s'accepter telle qu'elle est, de ne pas assumer son identité noire comme elle le devrait.

Car au delà de la question du racisme et de la domination des standards blancs dans les critères esthétiques, poser la question des coupes afros, c'est aussi poser celle de la liberté de la femme à faire ce qu'elle veut de son corps, et avec son corps. Sur les cheveux de la femme noire, tout le monde a un commentaire à faire qui s'accompagne bien souvent d'une irrépressible envie de les toucher. Laisser ses cheveux naturels, ce n'est pas juste laisser ses cheveux naturels : c'est une revendication politique, c'est porter fièrement son « identité noire » comme un foulard noué.

La fascination pour les cheveux des noirs, qu'elle tienne de l'attraction ou de la répulsion, a paradoxalement mené à la construction du stéréotype de la femme noire énervée qui porte ses cheveux naturels comme une bannière de revendication. L'artiste américaine Debra Cartwright le définit ainsi : « Les femmes noires ont assez à supporter, en terme de stress, de pression sociale, de standards de beauté. Nous sommes vues comme « colériques » quand nous exprimons une opinion, nos cheveux [sont] « militants » alors qu'il ne font que pousser sur notre tête ». Pour renverser les clichés associés à l'image de la femme noire toujours en colère, l'artiste peint leurs cheveux crépus à l'aquarelle, met l'accent sur leur féminité et leur douceur. (http://thereelnetwork.net/debra-cartwright-combatting-the-stereotype-of-black-women-with-watercolors/).

L’émancipation de la femme africaine ne passe peut-être pas par la revendication de sa « conscience noire », mais bien par sa liberté à se coiffer, c'est-à-dire à disposer de son corps, comme elle l'entend. Cela étant un sujet qui dépasse évidemment de loin le règlement raciste d'un lycée pour filles en Afrique du Sud.

Marième Soumaré

 

 

 

 

 

Pour des états généraux de la liberté en Afrique

picture1Grignotés de toutes parts, ballotés entre régimes autocratiques et fanatismes religieux, les droits élémentaires des Africains se trouvent laminés entre le marteau et l’enclume. La mondialisation débridée, la financiarisation à outrance de l’économie, le réchauffement climatique entre autres aggravent un tableau déjà sombre, plongeant le continent (bientôt le plus peuplé du monde) dans une léthargie qui hypothèque la jeunesse africaine. Les Défis de l’Afrique sont politiques, économiques et religieux. Tour d’horizon.

Nous sommes en face d’une classe politique incapable

Nos dirigeants, qui sont trop occupés à s’enrichir impunément et à se maintenir au pouvoir envers et contre tout, ont oublié de planifier le développement, pendant que la corruption généralisée et l’absence d’institutions judiciaires fiables finissent de décourager les investisseurs.

Dans une récente tribune reprise par Terangaweb et consacrée à l’Union africaine qu’il qualifie d’ailleurs d’ « union affreuse », le journaliste sénégalais Adama Gaye peint une Afrique ruinée par « une classe de leaders-dealers, spoliateurs des biens publics et complices d’une recolonisation consentie ».

Une croissance trompeuse ?

L’Afrique décrite par les médias et les discours laudateurs comme le futur eldorado économique est loin de tenir ses promesses. La hausse transitoire des prix  des matières premières a suscité un vent d’euphorie et laissé croire que l’Afrique se réveillait enfin économiquement. Mais l’industrie extractive s’est révélée peu créatrice d’emplois laissant ainsi le chômage progresser indéfiniment.

La pandémie du Sida semble reculer et de plus en plus de jeunes fréquentent l’école, certes. Mais le continent affiche encore désespérément un grand retard dans la plupart des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). La pauvreté n’a presque pas baissé et les rangs des « sans travail » ne cessent de gonfler.

Les 15 millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi pourraient compter sur les richesses naturelles du continent, si elles ne profitaient qu’à une petite oligarchie, qui la brade à tout va. L’industrie des services (hôtellerie, téléphonie, etc.) n’en  absorbe qu’une minorité. L’économie informelle et les emplois précaires sont le lot quotidien de beaucoup d’Africains, dont certains se laissent tenter par l’aventure migratoire, au péril de leur vie.

Pendant que toute l’Afrique prie, une partie stagne et l’autre s’enfonce.

Des présidents prédateurs, parfois prédicateurs, ont effectivement mis le continent sous leur coupe réglée, tout en cédant au syncrétisme politico-religieux. Parallèlement au retour des vieux démons de la dictature,  l’intégrisme et l’explosion de courants religieux de tous genre ont fini par donner raison à Régis Debray : « La religion n’est plus l’opium du peuple mais la vitamine du faible ». Si son diagnostic se confirme, les Africains risquent une overdose. Mais il ne faut pas leur jeter une pierre. La croyance ne gêne réellement que quand elle est imposée de force ! Tant qu’elle reste dans la sphère privée, l’Etat doit la protéger et la faire respecter. Voici la laïcité dans sa plus simple définition, qui ne fait pas plaisir aux intégristes de tout acabit.

Des handicaps qui se transforment en forces

Les défis qui attendent le continent de tous les extrêmes sont incommensurables, mais paradoxalement ils représentent un vivier d’emplois et un grand levier de croissance. Presque tout est à faire ou à refaire :

– l’éducation professionnalisante de la jeunesse,

– le développement de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises,

– la lutte contre le réchauffement climatique et le développement des énergies renouvelables,

– la mise en œuvre d’une industrie de  transformation,

– le retour d’une partie de la diaspora africaine.

Mais la liberté consiste d’abord à sortir du sous-développement et de la misère. Face à la montée des tyrannies de toutes sortes qui l’empêchent d’avancer, la jeunesse africaine doit se battre par les urnes pour faire émerger de vrais hommes d’Etat, capables de placer l’intégration régionale africaine au premier plan, car l’union fait la force.

Afin de réveiller une conscience nouvelle, des états généraux de la liberté semblent indispensables à travers toute l’Afrique. Parce que les urgences s’accumulent frénétiquement et risquent de compromettre pour longtemps la liberté des Africains. Les défis qui attendent le continent le plus pauvre sont trop importants pour être confiés uniquement aux politiciens actuels, qui ont tant failli et trahi !

Afrique martyrisée, Afrique ridiculisée, mais, Afrique bientôt libérée par ses fils et filles qui auront participé aux états généraux de la liberté.

Quand l’Afrique s’éveille entre le marteau et l’enclume, L’urgence de forger une résistance tous azimuts discute des solutions qui s’offrent au contient et le rôle que pourra effectivement y jouer ces fils et filles.

Paul Samba.

* NDLR : Paul Samba est l’auteur de l’ouvrage Quand l’Afrique s’éveille entre le marteau et l’enclume, L’urgence de forger une résistance tous azimuts (BOD éditeurs juin 2016)

Cet article a été publié le 10/09/2016

UA : La panne du panafricanisme

drapeau-union-africaineC’est une Union africaine (UA), frappée par une crise protéiforme, qui organise son Sommet de Chefs d’Etat et de gouvernement du 15 au 17 Juillet dans la capitale du Rwanda. A sa création en l’an 2000, l’Union africaine (UA) était censée servir de rampe de lancement à la renaissance africaine; elle n’est plus que l’expression de sa panne. C’est dire que son Sommet de Chefs d’Etat et de gouvernement, cette semaine à Kigali, ne peut exciper d’aucun prétexte sérieux pour ne pas être un moment de vérité.
L’Afrique ne peut s’y dérober. Ses Etats membres sont paralysés par une crise suffocante avec des économies en chute libre ou dominées par des acteurs étrangers privant les peuples de revenus. Sa classe moyenne a rejoint les rangs de ces damnés de la terre. Elle est prise entre le marteau de ce lumpenprolétariat et l’enclume d’une classe de leaders-dealers, spoliateurs des biens publics et complices d’une recolonisation consentie. Ses ressources publiques, naturelles en particulier, sont légalement capturées par des forces extérieures avec l’aide d’une néo-bourgeoisie compradore. Les défis du terrorisme, des trafics de drogue et d’argent s’ajoutent aussi à un tableau qui s’assombrit de jour en jour. S’y ajoutent le fanatisme religieux, les pandémies transfrontalières, les élections volées et les constitutions violées, la démocratie chahutée, l’absence des services de base. Ce cocktail est suffisamment lourd pour donner le coup de grâce au souvenir flamboyant que l’Afrique projetait, il y a à peine dix ans.


Et ce n’est pas tout. Puisque ses dettes reviennent au galop, les investisseurs la fuient, comme les touristes, tandis que de nouvelles menaces sécuritaires détruisent son attractivité. En outre, dépassées par les incidences de l’individualisme induit par l’avènement des technologies modernes de communication, les sociétés locales ne retrouvent plus les équilibres qui faisaient naguère de l’Afrique une terre de relative harmonie, malgré la pauvreté matérielle de ses peuples.
Dans ce climat d’urgences généralisées, les sommets de l’Ua, comme les rencontres des autres institutions africaines, tranchent par leur vacuité. Ce ne sont plus que des coquilles vides, des espaces de blablas quand l’histoire somme le continent de se montrer à la hauteur de ce tournant critique de son évolution.


En ces heures où elle vit ses plus graves contradictions post-indépendance, l’Afrique est entre les mains des dirigeants les plus irresponsables, incompétents, incapables qu’elle ait connus.
On leur doit du reste l’exploit d’avoir transformé en obstacle ce vent qui portait la barque africaine, au début de ce siècle, quand le continent était visité par un super-cycle doré. Ses matières premières étaient achetées à un prix exorbitant. Ses sols, sous-sols, zones maritimes révélaient des richesses insoupçonnées. Les investisseurs affluaient. La dette était largement effacée en même temps qu’une gestion macro-économique plus rigoureuse devenait la norme. Une démocratisation politique semblait être enclenchée. De nouveaux leaders professant oralement une éthique de gouvernance prenaient les rênes des pays. L’Afrique n’était même plus au menu mais à la table des plus puissants. On l’invitait à prendre part au Sommet des pays les plus industrialisés comme pour lui aménager une place de choix dans une reconfiguration de l’ordre international. Elle produisait même ses plans continentaux de développement -comme le tristement célèbre Nepad !


Dans ces conditions, après la fin de l’apartheid et celle de la colonisation officielle, l’Organisation de l’Unité africaine (Oua) pouvait céder la place à une Union africaine, entrée en vigueur en 2002 pour hâter la mystique communautaire.
Malgré son bon positionnement géographique et géopolitique en plus de ses ressources naturelles et humaines, l’Afrique qui se réunit à Kigali, sur une terre labourée par le pire des génocides, survenu en 1994, ne peut convaincre que les naïfs tant sa rechute fulgurante peut doucher tout sentimentalisme à son égard. Qui ose encore en faire le continent qui monte ? Tout se déglingue. Et l’Union africaine (l’union affreuse ?) est l’expression la plus achevée de ce retournement de situation. Entre les mains de l’ex-épouse de l’actuel Chef d’Etat d’Afrique du Sud, elle n’est plus qu’un Titanic institutionnel en puissance.
Avançant au milieu de dangereux récifs, face à une puissante houle, son sort ne semble même pas préoccuper les dirigeants du continent : sur le ponton du Titanic, ils sablent le champagne pendant que les africains-américains se font massacrer, que les immigrants africains vivent le calvaire, que les peuples et pays africains retombent sous le joug de puissances interlopes.


Seuls des candidats insignifiants se bousculent pour la succession de la présidente sortante de la Commission de l’UA (avec ses dames de compagnie, son folklore et ses paillettes). Qui veut en vérité diriger une institution sans bilan ? Sa déconfiture s’exprime par ses manques de réalisations en infrastructures physiques, en avancées dans les luttes contre les pandémies et la défense de la souveraineté africaine, encore moins pour contenir les menaces à la paix. Elle est absente sur les grands enjeux: ni diversification des économies; ni monnaie africaine; ni leadership continental. Son budget n’est pas assuré. Son siège est financé par la Chine. Les peuples la méprisent…


Elle n’est plus qu’un instrument de marketing d’autocrates comme l’hôte de son Sommet, Paul Kagamé. Il ne faut dès lors pas être surpris que sous l’oeil d’autres prédateurs-en-chef du panafricanisme, le Titanic UA, soit plus proche de faire le pas vers le naufrage qui l’attend…sauf miracle ! Ceux qui avaient rêvé l’unité africaine, au point de créer des mécanismes institutionnels pour la porter doivent se retourner dans leurs tombes. Ces pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (Oua), l’ancêtre de l’Ua, ne s’imaginaient pas qu’ils allaient avoir de médiocres successeurs. Leur rêve est devenu un insoutenable cauchemar…

Adama Gaye est journaliste consultant, auteur de l'ouvrage "Chine-Afrique : le dragon et l'autruche" (L'Harmattan) 

Un procès a-t-il pour autant besoin d’être « exemplaire » pour être une réussite ?

JPG_Hissène Habré 050815Le verdict – perpétuité ! – fut accueilli par les cris de soulagement des victimes, salué au niveau international. Le 30 mai 2016, Hissène Habré a été condamné pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour des faits commis alors qu’il était à la tête du Tchad, de 1982 à 1990.

Depuis son ouverture à Dakar en juillet dernier, le procès « historique » fait l’objet d’une attention toute particulière. Plus qu’un procès : un symbole. Un contre-argument opposé à ceux qui reprochent à l’Afrique son inaction, voire son indulgence, envers ses dictateurs les plus sanguinaires. Un moyen de mettre un terme au bras de fer musclé qui oppose une partie de l’Union Africaine à la Cour Pénale Internationale.

Lourd poids que celui qui pèse sur les épaules de la justice pénale internationale !  On ne lui demande plus seulement de juger des coupables : elle se doit aussi d’aider à la construction de la paix, de réconcilier des nations divisées. Au procès d’Hissène Habré, il échoit en outre de donner à l’Occident une leçon d’indépendance de la part de l’Afrique, et un avertissement à tous les dictateurs du continent.

Un procès a-t-il pour autant besoin d’être « exemplaire » pour être une réussite ?

La condamnation d’Hissène Habré n’a pas émané d’une volonté subite et concertée des Etats africains de juger leurs pairs et ne facilitera sans doute pas l’inculpation des autres responsables de crimes internationaux sur le continent.

Mais pour qui a assisté comme moi aux témoignages glaçants de certaines des 96 victimes qui auront défilé à la barre entre les mois de septembre et décembre 2015, est-elle une victoire ? Assurément. Lorsque « Khadija la rouge » accuse le Président déchu de l’avoir violée (fait pour lequel il sera reconnu coupable), elle prononce ces phrases devant la Chambre : « Je me sens forte devant cet homme fort, silencieux, cloué sur sa chaise. Toute la haine que j’ai sentie, maintenant que j’ai parlé, je ne la sens plus. J’ai dit ce que j’avais à dire. ». Quelques jours plus tard, un homme dépose devant la barre. Les tortures qu’il a subies au cours du régime Habré l’ont rendu à moitié sourd. Il témoigne du décompte quotidien qu’il faisait des morts dans sa cellule, pour « pouvoir dire à la sortie : voilà, j’ai vécu cet enfer. Je n’oublie pas. Je n’oublierai jamais. » Il ajoutera ceci : Je pensais que l’affaire était terminée. Je ne pensais pas qu’il y allait avoir un jugement. Mais Dieu merci il a eu lieu, parce qu’on a crié « fatigué » ».

La simple organisation de ce procès tenait en effet déjà d’une victoire, tant sa mise en œuvre fut longue : 16 ans se seront écoulés entre le dépôt de la première plainte par un collectif de victimes et l’issue du verdict.

En réponse à l’élan d’optimisme qui a accompagné la condamnation de l’ancien dictateur, certains pointent du doigt les ambiguïtés, voire les lacunes du procès. Parmi elles, l’absence des cinq autres officiels tchadiens inculpés, le jeu trouble joué par le gouvernement du président actuel Idriss Déby – dont beaucoup considèrent qu’il avait sa place aux côtés d’Hissène Habré sur le banc des accusés –, le poids des  nations et des organisations occidentales dans son organisation.

La nature « africaine » du procès, dont il est censé tenir son exemplarité, est en effet à relativiser. Les Chambres Africaines Extraordinaires chargées de juger l’ancien président, inaugurées par le Sénégal et l’Union Africaine, doivent en effet leur création à une décision rendue par la CIJ (Cour Internationale de Justice) saisie par la Belgique en 2009. Elles sont également financées en grande partie par l’Occident, Union Européenne en tête. Au final, le procès Habré est un procès africain qui intéresse – surtout ? – les Occidentaux. Est-ce un tort ? Il se veut après tout autant un signe adressé aux dictateurs du continent (nous pouvons vous juger) qu’à l’Occident (et nous le ferons nous-mêmes).

La création d’un tribunal ad-hoc pour juger un ancien chef d’Etat coupable de crimes internationaux constitue sans nul doute un précédent sur le continent. En théorie, d’autres Etats africains ont la capacité, comme le Sénégal, de juger eux-mêmes des étrangers accusés de crimes graves, en vertu du principe de compétence universelle. Dans les faits, le procès Habré, dont la tenue est longtemps demeurée improbable, pourrait  conserver longtemps sa valeur d’exception.

La mise en œuvre de la justice n’échappe pas aux réalités diplomatiques, aux jeux de pouvoir et d’influence, aux manœuvres politiques. Mais ces éléments, lorsqu’un procès est conduit avec rigueur et indépendance, ne remettent pas en cause le caractère juste et équitable du jugement qui est rendu.  Ce fut le cas le 30 mai dernier.

Le procès Habré n’est peut-être qu’un pas de fourmi vers l’établissement d’un système pénal international qui ne soit ni l’expression d’un revanchisme des vainqueurs, ni d’une emprise néo-colonialiste. Peut-être est-il uniquement l’expression d’une justice qui a été rendue. C’est aussi simple que ça, et malheureusement assez rare pour mériter d’être salué sans détours.

Marieme Soumaré

Mali : de la grandeur à la décadence ?

Bandiougou GakouJe tiens à saluer la lutte héroïque du père de la nation dans la conquête de notre Indépendance, même s’il ne s’agissait que de pouvoir saisir une balle au bond, une perche tendue par le général De Gaulle. La véritable lutte a consisté à dire non à l’occupant, comme l’a fait aussi de façon héroïque et sans violence ni tintamarre le résistant Cheik Hamaoullah de Nioro.

Dire non à l’occupant, c’est renoncer à l’armée d’occupation pour assurer la sécurité et la défense de sa patrie. C’est aussi tenter de reconvertir, si faire se peut, l’économie coloniale en une économie nationale saine. Les sociétés d’Etat, implantées parfois dans la précipitation et sans étude de faisabilité,  ont germé dans ce but. Bien que leur viabilité au plan économique fût très approximative, elles ont eu le grand mérite de casser le mythe de la toute puissance de l’occupant. Tout cela, bien fait, était loin de la perfection, qui n’est pas de ce monde faut-il le rappeler.

Modibo Keita notre bien aimé papa fut grand et parfois moins grand. Nous évoquerons  juste quelques aspects de ce qui fut par moment, traumatisant pour le peuple.

Les 5 péchés de Modibo Keita

1- Modibo Keita a imposé un culte de la personnalité au peuple malien. Que pouvait-il gagner dans cette divination faite sur sa personne, au point d’ériger son admiration en pratique cultuelle imposée ? Loin du narcissisme primaire, le désordre narcissique traduit généralement, selon les adeptes de Sigmund Freud, plus un mépris de l’autre, qu’une admiration de soi, et conduit tout naturellement, et ce fut le cas, au solipsisme. Nous ne pourrons jamais citer toutes les manifestations agaçantes de ce culte nocif.

Passons sur le cas anodin de ce citoyen lambda, interdit d’utiliser sa belle voiture, une grosse américaine, tout simplement parce qu’elle brille autant que celle du grand leader, la même américaine. La voiture n’est pas confisquée mais restera confinée sine die, chez son propriétaire.

Avouons qu’un zélateur du sérail peut avoir décidé à l’insu du chef.

Passons aussi sur cette superbe création artistique du terroir, un chef-d’œuvre musical issu du tréfonds des villages, qui fut, sans texte, sans loi ni arrêté ministériel, interdite sur les ondes, parce qu’elle rappelait qu’aucun pouvoir n’est jamais illimité. Un adage du pays dit ‘’une chanson vaut par le message qu’elle distille’’. Sous d’autres cieux, la création artistique est honorée,  soutenue et récompensée, surtout quand elle est si saine  d’éducation.

Là aussi, Le même zélateur a pu jouer sans ordre du chef.

Passons encore sur tous les billets de banque à l’effigie et à la gloire de l’incontestable chef bien aimé. Le citoyen ne devra plus et  ne pourra plus se passer de son image : elle sera sur lui, partout, dans sa poche, au village ou en ville, dans sa main, au bureau ou à la maison, au marché, dans la mosquée, à l’église. Don quichotte et ‘’One man show’’  en mourraient de jalousie.

Ici, impossible d’accuser le sérail.

Passons et  passons, mais restons sur ce point culminant, un rien pathologique. Dans ce pays du Ouagadou, du Kaarta, du Mande, des Songhays, de l’Almamy, dans ce pays de Tombouctou où les saints ont tracé des voies de la pureté spirituelle, la dignité de l’autorité se conjugue avec l’humilité. L’oublier c’est renier ses racines, c’est peut-être aussi être frappé de pathologie solipsiste, et sans doute, de la part du chef incontesté, c’est porter un coup malsain à l’Education et la culture. Le NOUS de la politesse est propre, sage, sain et noble.

Le  ‘’ JE ’’  dit-on est haïssable. Mais quand on en vient à parler de soi à la troisième personne, de la part du chef, il y a de quoi s’inquiéter. Quand le Moi ou le Je est propulsé chanson, cela devient amusant. Et quand l’intéressé soi même, pour  chanter  sa gloire, entonne et invite tout le microcosme politique à chanter en chœur derrière  lui ; quand notre bien aimé Modibo chante à la tète de ses troupes politiques,  non pas la voie tracée du Parti, mais plutôt sa propre VOIX : ‘’La voix de Modibo a sonné…’’,  le rituel devient prière canonique et le culte,  danger national. Au moins pour une première raison, l’éduction populaire et notamment celle des enfants en prend un coup véritablement  hostile.

2- Parlons justement d’éducation, et surtout des ‘’Sizoutards’’,   pour voir de près  cette question simplement absurde. Peut-on éduquer les enfants avec des maitres sans éducation ? Or c’est exactement ce qui s’est passé au début des années 60. Pour donner un coup d’accélérateur au taux de scolarisation, tous ceux-là qui avaient été rejetés par l’école pour indiscipline caractérisée, banditisme affiché, ces impénitents fumeurs qui empoisonnaient  l’école, tous ceux-là, les incorrigibles, dont la présence au milieu des enfants pouvait altérer leur éducation et qui ont été renvoyés d’une école qui se voulait saine, seront invités à se faire connaitre. Tous ceux qui, parmi les vagabonds, reconvertis ou non, avaient atteint un niveau voisin  du certificat d’études, étaient appelés et enrôlés, puis intégrés  moniteurs d’enseignement, le tout,  signé de main de MAITRE !

L’école, c’est pour apprendre à lire, écrire, compter, mais pas seulement. L’école, c’est aussi pour éduquer. Ces apprentis-chauffeurs, ces cuistots de libano-syriens du business, ces vermines que l’addiction au tabac avait rendu délinquants  et qui empoisonnaient déjà les rues, sont tous promus un certain six-août, d’où la retentissante expression de sisoutards. Doit-on dans ces conditions s’étonner que l’école malienne fût en chute libre ? Doit-on s’étonner aujourd’hui de sa faillite morale et intellectuelle. La médiocrité ne peut engendrer que la médiocrité. Et le cycle infernal des malformés devant à leur tour former et éduquer est vaillamment mis en marche. La crise de l’Ecole malienne trouve dans l’invention des sisoutards toute son origine, n’en déplaise aux responsables encore présents de cette mésaventure   pédagogique, qui porta une blessure au moral des vrais éducateurs soucieux de la bonne tenue de leur si noble métier. Le taux de scolarisation fut légèrement amélioré mais la qualité de la formation fut gravement et durablement détériorée.

En dépit de ces tares, le Mali rayonne à l’international. De Buckingham Palace au Kremlin, le leader charismatique est aux petits soins. C’est cet aura qui lui vaudra de régler de main de maitre une vive tension qui menait le Maroc et l’Algérie au bord de la confrontation musclée. C’est encore cet aura qui permit le rapatriement sans heurt diplomatique, de tous les Maliens détenus  esclaves en Arabie.

Cependant, à l’interne, l’enlisement s’accentuait. L’option socialiste courageusement proclamée  en pleine guerre froide imposait de fait un embargo occidental. Par les temps de vaches maigres, le dessein revanchard  frappera de toute évidence les opposants connus.

Le régime, bien conscient de sa poigne, de sa main de fer impitoyable,  par sa voie la plus autorisée, avouera le destin des trois ‘’trois tiers’’ : un tiers des Maliens s’enfuira et ira à l’aventure, un tiers restera sur place dans la contestation stérile, et le Parti s’occupera d’eux. Le troisième tiers utile bâtira  un Mali fort, prospère et respecté.

Les investissements humains ont fait fuir du pays tous ces bras forts déversés sans rémunération sur les chantiers routiers tels que Kayes/Conakry. Le Mali se videra d’une part substantielle de sa population active à cause de ces taches assimilées à des ‘’travaux forcés’’.

3- Le second tiers était bien pris en main par la milice de l’USRDA et soumis à la  rééducation musclée dans les camps spécialement dressés à cet effet. Le camp de Bamako, jouxtant le parc zoologique  créa au tout début une vraie confusion dans l’esprit du peuple. Les rugissements et mugissements lugubres, les hurlements et vociférations sinistres, les cris stridents dont les collines voisines diffusaient les échos, ne venaient pas du parc zoo, mais bien du camp des corrections. Au début le peuple sage avait du mal à s’y résoudre. La logique simpliste mais implacable paya ; le peuple est mis au pas.

4- A Ségou, l’USRDA avait inventé la solution Tienen-Amen avant Pékin. Les récalcitrants de Sakoyba et tous les autres habitants avec, sont sommés de vider les lieux sous peine d’être broyés par les chenilles des chars déployés. L’impénitent patriarche viscéralement attaché à sa case,  tous coqs et chèvres que l’instinct animal avait ramenés au bercail se trouveront tous sous le coup d’un Tienen-Amen malien, sans autre forme de procès.

5- Au grand Nord le schéma est identique et le scenario aussi. L’Amenokal qui rejette le socialisme, qui s’affirme libéral,  opposé au système en vigueur, sera traqué jusque dans sa progéniture, au fond des cavernes du Teghargaret, puis sauvagement anéantis. Aucune option de dialogue n’est au programme.

Voyez-vous mes braves amis. Le Mali fut porté sept ans sur les épaules de Modibo Keita à la tète de  l’USRDA. Modibo était incontestablement un grand patriote. La patrie ne tombera pas de ses mains. Au contraire, elle aura ses belles heures de rayonnement mondial.

Puis le système sans nom  a conduit où nous en  sommes : une mise sous tutelle. Jugez-en par vous-mêmes.                             

Bandiougou Gakou,

Ancien ministre, Ancien ambassadeur du Mali

 

 

Bénin : Pourquoi le mandat unique serait-il une mauvaise idée ?

P TalonL’élection présidentielle béninoise de mars 2016 a été l’occasion pour chaque candidat de faire des propositions de réformes institutionnelles notamment sur l’organisation de la vie politique nationale. A cet effet, la proposition du nouveau président Patrice Talon d’instaurer un mandat présidentiel unique et un financement public pour les partis politiques mérite une analyse plus approfondie, tant elle paraît à la fois séduisante et complexe. Le mandat unique enlèverait au président l’incitation à étouffer l’opposition ou à distordre les politiques publiques dans le but de renouveler son mandat. Quant au financement public, il rendrait les partis politiques plus indépendants des milieux d’affaires, jusqu’ici leurs principaux bailleurs de fonds. Cependant, en dépit de ces bonnes intentions, ces réformes risquent de porter un coup à la vitalité de la démocratie béninoise, et ceci pour deux raisons liées.

Déplacement du problème de l’individu vers le parti

Jusqu’aux dernières élections, les présidents béninois n’ont jamais été issus de partis politiques. Une fois au pouvoir, le président est typiquement soutenu par une alliance de partis politiques qui s’étiole dès son départ du pouvoir. Ce fût le cas de Soglo, de Kérékou et probablement de Yayi. Dans ce contexte où le président n’est redevable à aucun parti politique, son incitation à conserver le pouvoir se recentre sur lui-même, l’alliance de partis créée lors du premier mandat n’étant qu’un instrument à cette fin. Par contre, lorsqu’il s’agit d’un mandat unique, l’incitation du nouveau président pourrait toujours être la conservation du pouvoir, mais cette fois-ci au profit de son parti politique.

Le paysage politique mexicain offre un exemple saisissant de cette éventualité. Le Mexique a instauré un mandat présidentiel unique de six ans depuis 1934 avec un régime présidentiel comme au Bénin. Depuis 80 ans, le président a toujours été issu du parti libéral, à l’exception de la décennie 2000-2012 où le président était issu du parti conservateur. Cet exemple suggère donc que l’incitation à étouffer l’opposition reste entière, voire renforcée, lorsque le président n’a droit qu’à un seul mandat.

Il est toutefois possible que le mandat unique réduise la distorsion des politiques publiques à cause de l’incitation du président à conserver le pouvoir au profit de son parti politique. Cependant, la question de l’innovation dans les politiques publiques reste posée, car même si la politique n’est plus biaisée, elle pourrait être plus efficace si de nouvelles idées étaient régulièrement introduites dans le corpus idéologique des partis politiques qui aspirent à exercer le pouvoir exécutif. Cette quête d’innovation politique pourrait être garantie si de nouvelles figures politiques, issues de la jeunesse ou des couches sociales minoritaires, avaient la possibilité d’intégrer les organes dirigeants des partis politiques.

Emergence d’un parti politique dominant et stable

Les risques suscités par le déplacement du problème de l’individu vers le parti politique, à savoir l’étouffement de l’opposition et le manque d’innovation politique, ne sont avérés que si les conditions sont remplies pour l’émergence d’un parti politique qui rassemble la majorité des électeurs et qui dispose d’une stabilité temporelle.  Dans l’exemple du Mexique, le parti libéral ayant conservé le pouvoir plus de 80% du temps depuis le passage au mandat unique existait bien avant cette réforme et avait exercé le pouvoir exécutif pendant de nombreuses années. En l’état actuel des choses au Bénin, il y a peu de chance qu’émerge un parti politique dominant à cause de la base ethnique des partis politiques dans un environnement ethniquement fragmenté.

Quoiqu’une bonne nouvelle, cette situation est de nature à pervertir l’exercice du pouvoir exécutif en cas de mandat unique. Chaque nouveau président s’arrangerait pour profiter au maximum de son mandat sachant qu’il n’a pas de compte à rendre, sauf si les institutions de contre-pouvoir étaient suffisamment fortes. Le financement public des partis politiques, si elle était uniquement fonction du poids électoral, lève cette contrainte en incitant les partis politiques à s’allier au-delà des frontières ethniques.  

Il semble donc que l’instauration du mandat unique, accompagné d’un financement public des partis politiques, pourrait être un puissant moteur à l’émergence d’une sorte de parti unique durable et peu innovant. Même si ces réformes permettent de limiter la distorsion des politiques publiques créées par le renouvellement du mandat, elles laissent plus forte l’incitation à étouffer l’opposition politique, entamant ainsi la vitalité de la démocratie. Dès lors, la question fondamentale que soulèvent les deux réformes phares du nouveau président est celle de l’arbitrage entre vitalité démocratique et innovation politique.

Concilier vitalité démocratique et innovation politique

Pour concilier ces deux effets la réforme institutionnelle du président Talon aurait besoin d’être complétée par des mesures spécifiques sur la base du financement public. Ainsi, il pourrait être demandé aux partis politiques d’avoir un quota permanent de jeunes dans leurs instances dirigeantes. Avoir les jeunes à ces niveaux hiérarchiques des partis politiques permet d’inciter à l’innovation politique. Exclus, ils constituent en même temps la principale force politique susceptible de menacer la dominance et la stabilité d’un parti politique.

Par ailleurs, il devrait y avoir un financement de base identique pour tous les partis politiques dès lors qu’ils justifient d’un seuil minimal d’adhérents, plus une partie variable en fonction du poids électoral. Cela éviterait également la persistance d’un parti dominant. En outre, le renforcement des institutions de contre-pouvoir et la mise en place d’un système de reconnaissance vis-à-vis des présidents les plus méritants décourageraient la perversion du mandat unique comme un appel à se servir au plus vite.

 

Georges Vivien HOUNGBONON

La Gambie, cet exemple des conséquences de l’absence de gouvernance économique

gambia

La Gambie est un pays qui offre un contraste saisissant, entre l’image qu’en véhiculent les médias en lien avec les déclarations et positions de son président, la personnalité de ses habitants et sa situation socio-économique.

Banjul a l’air d’une ville des années 90, cependant ses habitants s’y sentent bien. Bien parce que malgré leur pauvreté, ils ont une joie de vivre que rien se semble justifier et ne se montrent pas du tout hostile envers les touristes. Au regard de l’intérêt que portent les touristes, notamment allemand et britannique, à ce pays ; on se demande bien pourquoi on nous vend la Gambie comme un pays à éviter. Le tourisme sexuel y est réel mais ne justifie pas l’importance de ce secteur[1].

La destination est avant tout low cost, dispose de belles plages avec des habitants plutôt conviviaux. Certains y découvrent des opportunités d’affaires. De fait, tant qu’on ne s’intéresse pas aux questions politiques, on peut y faire des affaires. Enfin sans compter sur les éventuels caprices du président. En effet, s’il ne s’invite pas dans la sphère économique (lui et son cercle), ce sont ses décisions arbitraires qui détériorent l’environnement des affaires. Des décisions que les médias occidentaux surenchérissent, créant une certaine phobie de ce pays alors que certaines de ces décisions paraissent plutôt correctes : interdiction de l’excision ou de la dépigmentation, entre autres.

La réelle difficulté de la Gambie réside dans l’absence d’une stratégie de gouvernance socio-économique, qui se traduit par les décisions arbitraires des autorités. Son administration constituée de ressources humaines qualifiées, s’exerce donc plus à rafistoler les dégâts causés à l’économie par les décisions erratiques des autorités que d’assurer la mise en œuvre des projets et programmes définis dans le plan d’émergence du pays, et ceci, à tous les niveaux. De l’exécutif au judiciaire en passant par le législatif, les fonctionnaires de ce pays tentent d’assumer au mieux leur fonction pour améliorer la situation de leur pays mais doivent composer avec un exécutif dont les décisions leur échappent complètement et sont tout à fait imprévisibles.

Le budget qui constitue un instrument de politique économique est complètement politisé et traduit les seules ambitions du président. Son financement est rendu complexe par l’isolement de plus en plus croissant du pays, qui depuis son indépendance est gavé d’aides extérieures. Les agents de l’administration ont donc été contraints de recourir au marché domestique pour mobiliser les ressources nécessaires au financement des déséquilibres budgétaires, créant un effet d’éviction au détriment du secteur privé. Les taux d’intérêt y atteignent aujourd’hui près de 30%.

Ces fonctionnaires n’ont vraiment pas le choix. Il ne faut pas leur en vouloir. Il faut bien payer les salaires et assurer le fonctionnement de l’administration ; au moins pour entretenir la demande afin de créer un semblant de marché domestique pour que les quelques entreprises, hôtels et autres commerces puissent fonctionner. Les projets d’investissement sont rares et le paiement des intérêts absorbe une bonne partie des ressources propres de l’Etat. La Banque Centrale n’y est pas indépendante et ne peut donc mettre en place des mesures pour contrôler ces interventions de l’Etat sur le marché financier.

La politique de change est pilotée depuis la présidence de la république. Le taux de change dalasi-dollar a ainsi été fixé à plusieurs reprises sur les trois dernières années par simple annonce présidentiel et sans une évaluation préalable des risques pour l’économie, contribuant à éroder les relais de croissance du pays et à fragiliser ces équilibres extérieurs. Les réserves du pays ont fondu au cours des deux dernières années et se situent aujourd’hui à un niveau qui ne permettrait de financer que deux mois et demi d’importations.

Le développement du pays est donc pris en otage par la seule volonté d’un politique, toute manœuvre visant à favoriser le développement du pays pouvant être remis en cause par une simple décision présidentiel. Ainsi en plus des difficultés usuelles – approvisionnement électrique, cadre réglementaire, état des infrastructures, etc. – qui affectent l’attractivité des pays africains, la Gambie a en plus son président, qui se constitue en une source d’instabilité de l’environnement des affaires, affectant fortement l’attractivité du pays et obérant toute perspective de développement. Au dernier classement Doing Business, le pays a reculé à la 151ème place.

Définir un plan, avec un ensemble de projets à exécuter, ne suffit pas pour garantir le développement ou l’émergence. Son appropriation par les hautes autorités est nécessaire pour sa réussite.

Le cas gambien qui montre assez bien comment le manque d’une stratégie de gouvernance économique cohérente peut être dommageable pour l’économie, n’est pas une particularité. Ceci est une problématique qui se pose à plusieurs pays africains aujourd’hui. La détermination politique devant accompagner la mise en œuvre des projets et programmes de développement est quasi-absente et la situation se détériore quand en plus, les autorités interviennent dans la sphère économique ou s’enlisent dans des jeux ou calculs politiques. On citera le cas du Congo, du Burundi, de la Centrafrique, etc.

Les réglementations ne servent à rien si les politiques ne sont pas conscientes que ce sont leurs actions qui en déterminent la pertinence. Cette inconscience de nos politiques, aussi bien ceux qui gouvernent que ceux qui se réclament de l’opposition, est frustrante. Frustrante, parce que nous voulons voir cet Afrique se développer à travers la valorisation de son potentiel que plusieurs entités physiques et/ou morales, aussi bien externes qu’internes sont prêts à financer.

 

[1] Le tourisme représente 11% du PIB et constitue le premier poste de salariés dans le pays.

Ensemble, nous avons le pouvoir !

africa unitePendant la colonisation les Baoulés, Wolofs, Peuls, Mossis, Sousous, Dogons, Malinkés, Ebriés des territoires ivoirien, soudanais, guinéen ou voltaïque, comprennent  que l'unité est la seule manière pour eux de vaincre l'oppression coloniale. De Dakar à Abidjan en passant par Cotonou ou Conakry, l’intensité et la férocité de la colonisation sont identiques. Les Africains souffrent ensemble mais luttent et résistent ensemble. Les humiliations et la soumission servent alors de ciment à l'unité de ces peuples.

Mansaya Ya An Bé Ta Lé di

Dès 1895, après avoir soumis par la force une grande partie de l'Afrique de l'Ouest, l’État français met en place une fédération, l'Afrique occidentale française (AOF), pour administrer les territoires sous sa domination. Cette fédération composée de six puis de sept territoires sera administrée par un gouverneur général et aura pour capitale Saint Louis. En 1956, sous l'impulsion de la loi cadre, l'AOF est démantelée. Les sept territoires sont désormais séparés, isolés et administrés séparément par des institutions locales.

En 1958, le référendum sur la Communauté franco-africaine entérine cette division par l'institution de républiques autonomes. Ces deux événements valident le processus de balkanisation de l'ex AOF. Ainsi après avoir lutté ensemble contre l'oppression coloniale c'est en ordre dispersé que les peuples de l'ex AOF s’apprêtent à accéder à l’indépendance.

Minh wo hégba hé sanou

En 1957, la Gold Coast ex colonie britannique arrache son indépendance et devient le Ghana sous la direction de son leader Kwamé N'krumah partisan du panafricanisme et de l'unité africaine. En 1958, la Guinée, conduite par son charismatique leader Sékou Touré, obtient l'indépendance en refusant avec fierté de participer à la communauté franco-africaine.

Mbolo moy dolé

De leurs cotés les autres colonies françaises intègrent la communauté franco-africaine mais comme le rappelle Léopold Sedar Senghor « La Communauté n'est pour nous qu'un passage et un moyen, notamment celui de nous préparer à l'indépendance à la manière des territoires sous dépendance britannique. » Un vent de liberté souffle sur le continent africain et de Dakar à Niamey l’indépendance n'est alors  plus qu'une question de temps.

Won Ma Langui Mainguèya Na Won Yi Ra

C'est dans cette atmosphère de liberté que le Sénégal, le Soudan, le Dahomey et la Haute-Volta choisissent le chemin de l'unité. « Notre réunion, dans cette salle des délibérations du Grand Conseil, est un acte de foi dans le destin d'une Afrique forte de l'union de tous ses membres sans discrimination d'aucune sorte ». C'est par cette phrase de l’avocat sénégalais Lamine Guèye que s'ouvre l'Assemblée constituante qui officialise la création  d'une fédération regroupant ces quatre territoires. Elle prendra le nom de Fédération du Mali en référence au grand empire fondé par Soundjata Keita.

Le 14 janvier 1959, la Constitution présentée par le sénégalais Doudou Thiam est approuvée par acclamation par les délégués de tous les territoires. Le rêve unioniste porté par Modibo Keita et Léopold Sédar Senghor voit le jour. C'est donc ensemble que ces quatre nations souhaitent acquérir leur indépendance. Nous sommes en 1959 et l'indépendance pointe à l'horizon.

Mi do kpo mi na dou gan

Mais la fédération va être torpillée par le chef du RDA Félix Houphouët-Boigny artisan de la loi cadre et partisan d'une évolution séparée des anciennes colonies.
Il voit d'un mauvais œil la formation de cette fédération qui pourra lui faire de l'ombre et lui faire perdre son influence dans la sous-région.

Sous la pression d'Houphouët Boigny, la Haute volta et le Dahomey vont se retirer de la fédération et construire une organisation de coopération régionale en opposition à la fédération du Mali. Ces défections ébranlent la fédération mais ne la détruisent pas. Le Sénégal et le Mali sous la houlette du leader panafricain Modibo Keita continuent l'aventure.

Né mi lé dou, nousein la non mia si

Le 4 avril 1959, l'Assemblée de la Fédération se réunit ; Modibo Keita, Léopold Sedar Senghor et Mamadou Dia sont alors désignés respectivement président, président de l'Assemblée et  Vice-Président. Après la mise en place des instances politiques, la prochaine étape est celle de l'acquisition de l'indépendance. Le 20 juin 1960, Léopold Sédar Senghor président de l'Assemblée proclame l'indépendance de la Fédération.

Tond san bé nii taba nama ya tond so

Mais les conflits internes, les antagonistes et les rivalités au sommet de l’État viennent à bout de la fédération.  A la suite d'un conflit institutionnel le Sénégal par la voix de son chef Senghor se retire de la fédération et proclame l'indépendance du Sénégal. Le Soudan proclame à son tour son indépendance et devient le Mali. Après seulement quatre mois d’existence en tant qu’Etat indépendant la Fédération du Mali disparaît.

Tcharbandé no ir gaté gabi

La disparition de la Fédération du Mali emporte avec elle les rêves d'unité portés par les leaders africains. Malgré d'autres initiatives insufflées par Kwamé N'krumah ou encore Sékou Touré les africains ne parviendront pas à s'unir. Ainsi aux lendemains des indépendances on voit apparaître sur le continent africain des états aussi faibles les uns que les autres et n'ayant aucun poids sur la scène mondiale.

Aussi longtemps que notre peuple s'expose au danger d'être faible en étant désuni, il est à prévoir que nous restions sous la domination d'autres peuples qui ont su devenir forts en s'unissant. Unis, nous sommes forts et dans toute l'Afrique les peuples lancent un appel: ensemble nous avons le pouvoir.

Joël-Armel Nandjui