C’est l’histoire d’un roi qui pendant plus de cinq décennies régna sans partage sur tout un pan de continent. Assi paisiblement sur son trône depuis tout ce temps, rien ne l’a jusqu’alors véritablement inquiété. Rien, sauf ce vague écho qui se fait entendre depuis peu. Un bruit sourd et puissant, si familier aux grands monarques : celui des séditions. De plus en plus de décideurs politiques et d’intellectuels partout à travers le monde souhaitent mettre fin au « règne » du franc CFA. Vestige d’une époque révolue, symbole insupportable d’un lien de dépendance à anéantir, cette monnaie serait une plaie pour les pays africains de la zone franc. D’autres considèrent que l’on sous-estime la nécessité économique du franc CFA. Chacun des 14 pays africains l’utilisant serait parfaitement libre de créer sa propre monnaie, s’il le souhaitait. Pourtant, malgré les récriminations, le statu quo perdure. Faut-il, ou non, mettre fin au franc CFA ? La question demeure.
Ce texte est le premier d’une série de trois articles sur le franc CFA. Ce premier article aborde le sujet de manière historique. Le second se focalisera sur les arguments en faveur ou à l’encontre du maintien du franc CFA. Enfin, le troisième touchera au cœur du débat actuel sur la création d’une « monnaie unique africaine ». Nous souhaitons que le lecteur trouve dans ces travaux des éléments de réflexion plutôt que les positionnements personnels de l’auteur. Cependant, il n’est pas d’écrit parfaitement dénué de subjectivité. Nous espérons donc que les points de divergence alimenteront la discussion. .
Le « franc des colonies françaises d’Afrique »
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Entrer dans le débat sur le franc CFA sans avoir en tête quelques éléments historiques ayant présidé à son émergence, puis à son développement nous paraît être une grave erreur. C’est la porte ouverte aux discours passionnés et peu réfléchis. La question est on ne peu plus sérieuse, soyons donc méthodique.
Dans l’après-midi du 26 décembre 1945, une nouvelle monnaie est née : le Franc des colonies françaises d’Afrique –ou franc CFA, pour les intimes. La France vient de ratifier les accords de Bretton Woods et souhaite restaurer dans les plus brefs délais son autorité monétaire sur ses colonies africaines. Pendant la guerre, nombre d’entre elles ont, en effet, soit émis des monnaies gagées sur le dollar soit adopté celle de l’occupant. La parité de la nouvelle monnaie est fixe –sa valeur est fixée à 2 centimes de francs- et sa convertibilité en francs est libre1. Dès lors, un lien solide se tisse entre les deux monnaies : toute émission de franc CFA revient à accroître la quantité de francs en circulation. C’est précisément ce lien d’interdépendance qui est à l’origine d’un certain « paternalisme monétaire » dont nous ne sommes toujours pas sortis aujourd’hui. Ainsi, dès cette époque, la Banque de France s’est engagée à fournir des devises en cas de besoin, pour préserver la stabilité du franc CFA.
En 1962, le Mali se retire de la zone franc. Cet acte, loin d’être anodin, est symptomatique d’une époque. Les mentalités changent profondément durant la période de décolonisation. L’idée qu’une indépendance véritable doit non seulement être institutionnelle mais également économique émerge. En clair, pas d’autonomie sans pouvoir monétaire. Pour apaiser ce climat de tensions, le franc CFA est renommé « franc de la Communauté française d’Afrique » en 1958. Toutefois, le retour volontaire du Mali dans la zone franc en 1984 inaugure une étape nouvelle. On sait désormais que si l’autonomie monétaire est une chose, le succès économique en est une autre. Le rejet systématique de ce qui vient de France aliène plus que cela ne libère. Il faut faire sien ce qui nous est profitable et refuser ce qui ne l’est pas ; là est la véritable autonomie. Aussi la zone franc a-t-elle perduré jusqu’à aujourd’hui.
Si elle a depuis connu plusieurs transformations, la plus considérable d’entre elles est sa scission en deux zones monétaires distinctes en 1994 : l’UEMOA2 et la CEMAC 3. A ces deux zones correspondent deux monnaies différentes émises par deux institutions bien distinctes. La BCEAO4 émet le « franc de la communauté financière d’Afrique », tandis que la BEAC5 imprime le « franc de la coopération financière d’Afrique centrale ». Ainsi, contrairement à l’impression que l’on pourrait s’en faire, ni le franc CFA ni la zone franc ne constituent un univers monolithique. Conserver cela à l’esprit permettrait de nuancer quantité de discours animés sur « LE franc CFA » qui, perdant toute réalité tangible, finit par n’être plus qu’un symbole où chacun y met son grain de passion.
Quoi que l’on en dise, considéré dans son versant historique, le franc CFA restera toujours marqué du sceau du colonialisme. Quelle que soient les dénominations qu’il empruntera, il restera gravé dans les mémoires comme le « franc des colonies françaises d’Afrique ». Néanmoins, l’exemple du Mali, tout comme celui d’autres pays ayant rejoint la zone franc de leur plein gré, à l’instar de la Guinée Bissau (1997), incite à la modération. Force est de constater que certains Etats y trouvent apparemment leur intérêt. Quels peuvent être ces avantages ? Par quels inconvénients sont-ils pondérés ? Et dans l’ensemble, les bénéfices l’emportent-ils ? C’est ce que nous étudierons dans notre prochain article : Faut-il enterrer le franc CFA ?
Tidiane Ly
1 la libre convertibilité ne disparaîtra qu’en 1993 2 UEMOA : l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Bénin, Burkina Faso, Côte d’ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) 3 CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad) 4 BCEAO : Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest 5 BEAC : Banque des Etats de l’Afrique centrale
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Tidiane, merci pour cette trilogie sur un sujet aussi intéressant. Et vous faites bien de replacer ce débat dans son contexte, en esquissant aussi brièvement que précisément son histoire. Je suis impatient de lire le prochain article qui évaluera les arguments pour et contre le FCFA. Une chose est sure: les enjeux derrière la politique monétaire des Etats francophones de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est sont cruciaux pour leur développement.
Tidiane, tu présentes brièvement l’histoire du Franc CFA. Tu aurais pu également nous expliquer, la raison pour laquelle la France a pu imposer cette monnaie. En effet, les Etats-Unis étant tournés vers un nouvel antagonisme (l’URSS), elle délégua le contrôle de l’Afrique à la France. Cette dernière ayant de nombreuses colonies au sein de ce continent. Les Etats-Unis croyant bon d’installer notre patrie comme « le gendarme de l’Afrique ». En somme, la France régentait -encore- l’économie et la politique (d’où le principe de françafrique) empêchant donc les soviétiques d’étendre un peu plus leur bloc. Mais, ça reste une belle présentation, de bonne facture. J’attends la suite avec impatience.
Il est vrai que j’ai tenté de contourner, autant que possible, l’aspect géopolitique dans mon historique du franc CFA. La modeste ambition qui a présidé à la rédaction de cette article a été de présenter cet « objet économique non identifié » qu’est le franc CFA. L’aspect historique n’étant qu’un prétexte. Il m’a semblé que cet article introductif préparerait le lecteur aux arguments économiques que j’exposerai dans les deux prochains articles.
Comme tu le soulignes Julien, il peut être bon de sortir de cette représentation économiciste des choses. Il me semble que le FCFA qui naît initialement en 1939 est la résultante de la Première Guerre mondiale et de la crise des années 1930. Cette période est marquée par un repli de toutes les grandes puissances sur des zones cloisonnées. L’Angleterre abandonne la convertibilité et s’enferme dans la « zone sterling », les USA instaure le tarif Hawley Smoot… La France n’a pas fait exception.
Es-tu sûr que les USA ont joué un rôle dans l’émergence de la monnaie françafricaine ? Il me semble qu’ils l’ont tout au plus laissé naître au sortir de la guerre. La logique de « blocs » ne l’imposait pas. Si cela n’avait dépendu que des USA, on aurait tout aussi bien pu entrer dans un système de type britannique, beaucoup plus souple et moins impérialiste…
Tout comme Tite je suis impatient de lire les deux autres parties de cet article. Le rappel historique effectué ici était plus que nécessaire pour comprendre la complexité du problème car il existe bien des éléments méconnus du grand public et que l’on apprend ici.
Ce sujet, est d’une importance cruciale car, comme tu l’as bien dit, le « FCFA » (pour généraliser et simplifier le propos) régit encore en partie l’économie des pays des ex-AOF et AEF.
Pour ma part, si le FCFA reste un symbole des vestiges de la colonisation, il est dans le même temps, un outil dont les pays d’Afrique de l’Ouest pourraient se servir en vue de la création d’une monnaie commune. Nous y reviendrons surement.
Bonjour, je voulais avoir une précision concernant le franc CFA. Lors de sa création, la parité de cette monnaie avec le franc est fixe. Aujourd’hui l’est-elle encore avec l’euro? Si oui, cela ne signifie-t-il pas que l’Europe dirige encore la politique monétaire d’une partie de l’Afrique?
Malheureusement oui et je pense qu’il n’en a jamais été autrement
Effectivement, le franc CFA a une partité fixe vis-à-vis de l'euro. Cependant, je ne dirais pas que "l'Europe contrôle la politique monétaire de l'Afrique". La politique monétaire européenne est effectuée en fonction d'un simple objectif : la stabilité des prix dans la zone euro. L'institution indépendante qu'est la BCE ne prend absolument pas en compte les pays africains dans ses choix.
Je dirais plutôt que les pays africains subissent la politique monétaire européenne ; tout comme les pays du Moyen-Orient subissent celle de la Fed. Mais comme je l'ai expliqué en réponse au commentaire de SLY, c'est un mal pour un bien. C'est la seule solution que l'on a trouvé jusqu'à présent pour stabiliser les monnaies africaines
Agathe, la parité entre l’Euro et le Franc CFA est fixe. Un euro = 655.957 Franc CFA. Et, tu as raison de dire que du coup, encore aujourd’hui, l’Europe dirige la politique monétaire d’une grande partie de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est. Nous entrerons plus dans ce débat lors des deux prochains articles de cette saga.
Excusez d’avance la confusion de ce commentaire, je l’écris de mémoire, j’avais lu que le Franc CFA avait des réserves de change à hauteur de 10000 milliards sur un compte du Trésor Public français. Ceci était une exigence de la France pour garantir la convertibilité du Franc CFA. On ne nous parle jamais de cette somme ni de ce qu’on en fait. Mes connaissances en finances et monnaie sont malheureusement très limitées, et donc, je ne saisis pas la portée que cet état de fait peut avoir, autant pour la France que pour les pays de la Zone CFA.
Voilà, désolé pour la confusion du propos, mais c’était une info que je tenais à faire tourner, en espérant éventuellement que vous puissiez éclaircir la chose! 🙂
Tu as parfaitement raison SLY. Les Etats de la zone franc doivent constituer un dépôt obigatoire de 50% de leur réserves extérieures sur un compte d'opérations ouvert dans les livres du Trésor français. Ceci garanti la convertibilité du franc CFA en euros.
Dis comme cela, ça paraît aberrant. En fait, il s'agit bien plus d'un échange de bons procédés que d'un legs colonialiste de plus. Bien que le franc CFA soit une monnaie commune, il reste une petite monnaie à l'échelle internationale, au regard de la part des réserves qu'il occupe dans les caisses des autres pays, ou encore de la très faible demande internationale de franc CFA.
Le problème d'une monnaie faible est que son cours (ou sa valeur) est très volatile en fonction de l'offre et de la demande qui s'adressent à elle. Ainsi, il peut y avoir des attaques spéculatives sur de telles monnaies : achats ou ventes massifs afin de réaliser des plus-values. Cela rend très instable les pays concernés. Tu trouves un exemple de cela dans les années 1980 en Amérique latine.
Ainsi, les pays aux monnaies fragiles ancrent leur monnaie sur des devises fortes (dollar, euro, yen). Cela rend leur monnaie plus crédible et plus solide. Et pour accroître leur crédibilité, ces pays peuvent signer des accords leur assurant la convertibilité de leur monnaie en dollars, euros, yens. En contrepartie, ils doivent rassurer les pays Européens (par exemple), en leur confiant des réserves de change.
J'espère que l'explication aura été claire. Je suis prêt à développer plus avant les points qui continueraient à faire question.
C'est extrêmement bien expliqué. Merci pour cet éclaircissement, Tidiane! 😉
Souleymane
Cinq des six pays membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) ont certes tous leur propre monnaie mais ces dernières maintiennent toutes un taux de change fixe avec le dollar. Quid de leur indépendance monétaire et financière lorsque la banque centrale américaine, la FED, décide de baisser ses taux directeurs (afin de soutenir la croissance) provoque des pressions inflationnistes dans les monarchies du Golfe ! Ces pays ont certes une monnaie souveraine mais avec un fort ancrage sur une devise étrangère. Les États-Unis se seraient-ils inspirés de la politique post-coloniale du Général De Gaulle?
Le CCG avait pour ambition de créer une monaie unique, les usa ont imposé leurs vétos, indépendance physique et financière sont liés, les pays de la zone cfa sont dirigés depuis paris qui fait et défait les dictateurs, la souveraineté financière passe par la souveraineté physique
Quelle est la parité entre l'euro et la Monnaie du sud Soudan?
Un regal, structurant et qui donne envie de creuser de creuser merci simplement!