Comme le soulevait déjà le Congrès des économistes africains de Nairobi1, la crise macroéconomique mondiale a débouché, en Afrique, sur une détérioration dramatique de la condition sociale des populations. Renforcement du couple pauvreté de masse-chômage, délitement des filets de protection, dégradation des services publics, la crise a belle et bien envahit le champ social. Une contraction de l’activité économique ne devient préoccupante qu’à partir du moment où elle affecte le quotidien des personnes. Autant dire que l’heure est à la préoccupation ! Le professeur Moustapha Kassé2 avance l’idée selon laquelle une relance de l’intégration régionale permettrait de transfigurer la crise actuelle en une heureuse destruction-créatrice. L’un des premiers postes de cette relance serait la création en Afrique d’une (ou plusieurs) monnaie(s) unique(s). Ceci sonnerait le glas du franc CFA : une véritable révolution en perspectives. A travers Le « franc des colonies françaises d’Afrique » et Faut-il enterrer le franc CFA ? l’auteur des présentes lignes a tenté d’établir que cette révolution était plus que nécessaire. Mais dire qu’elle est nécessaire ne suffit bien sûr pas. Encore faut-il en sous-peser les risques, bienfaits et conditions de réalisation. Pour créer une monnaie, il ne suffit pas d’une formule magique.
> L’idée de dévaluation compétitive en fait rêver plus d’un
La première question que soulève le remplacement du franc CFA par une monnaie unique africaine est celle du régime de change à adopter. On oublie souvent que le taux de change, prix d’une monnaie exprimé en devise étrangère (1 franc CFA= 0,15 centimes d’euro), n’est pas soit fixe soit flexible. Une myriade de régimes existe entre ces deux extrêmes : ancrage à un panier de monnaies, bande de fluctuation, parité fixe ajustable… Ainsi le Botswana est-il passé d’un système fixe lié au rand sud africain à un régime fixe ajustable adossé à un panier de monnaies dans lequel le rand tient une place prépondérante. Inutile de préciser que le pula botswanais n’est pas étranger à la vigoureuse santé économique du premier exportateur mondial de diamants. Le choix d’un bon système de change peut bouleverser la donne économique d’un pays. Concernant les pays de la zone franc, la création d’une monnaie africaine au change flexible –option la plus prisée des analystes- permettrait de démuseler la politique de change.
L’idée de dévaluations compétitives menées par les pays de l’actuelle zone franc en fait rêver plus d’un. En abaissant ainsi le cours de leur monnaie, ces pays permettrait à un Japonais, par exemple, détenant une quantité donnée de yen d’acheter davantage de monnaie africaine et donc de biens africains. Belle manière de stimuler les exportations ! Ne sombrons toutefois pas dans l’idyllisme ; la flexibilité du taux de change a, comme toute chose, son lot de risques. Une monnaie fragile dont le cours fluctuerait librement au gré de l’offre et de la demande serait nécessairement sujette à des attaques spéculatives. La solidité est, on le voit, une condition sine qua non de la création d’une monnaie unique africaine.
Ayant fait fi de la garantie du Trésor public français, la future Banque centrale africaine (BCA) devra faire ses preuves en terme de crédibilité. Dans l’univers des taux de change, ce sont les anticipations des agents qui font la réalité. Si les marchés croient la monnaie africaine fragile, elle le sera de fait. Un poids considérable pèsera sur les épaules de la future BCA. Elle devra donc être indépendante pour ne pas subir les velléités pour le moins irresponsables des chefs d’Etat africains. Cette indépendance ne devra cependant pas s’imposer au détriment de la responsabilité démocratique de l’institution. Il faudra qu’à échéances régulières, la future BCA rende compte de ses actions devant les Parlements nationaux.
> La définition des objectifs de la BCA suscitera d’âpres débats
Jusqu’à présent BCEAO et BEAC avaient pour seule mission de soutenir la parité entre le franc CFA et l’euro. Emancipée de cet objectif, la future BCA se verra attribuer de nouvelles missions. Leur définition suscitera, sans aucun doute, d’âpres débats opposant non seulement les spécialistes mais aussi les dirigeants politiques, voire les citoyens entre eux. Le mandat de la BCA visera-t-il la maîtrise de l’inflation, la réduction du chômage ou bien le contrôle du solde extérieur ? La séance est ouverte. Face à cette politique monétaire unique, une multitude de politiques budgétaires coexisteront. Une coordination de l’ensemble sera absolument indispensable. Le Pacte de convergence et de stabilité créé en 1999 pourra servir de point d’appui pour le renforcement de la coordination et des coopérations. Mais le désir de coopération ne suffira pas. Encore faudra-t-il une fois encore définir les missions des politiques budgétaires : stabilisation de l’activité, allocation des ressources, redistribution interrégionale…
La création d’une monnaie unique africaine nécessite donc de procéder méthodiquement, par étape. Elle « ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » Cette phrase issue de l’inoubliable discours de Robert Schuman à propos de l’Europe résume à merveille la voie que doivent emprunter les autorités africaines si elles souhaitent remplacer le franc CFA par une monnaie africaine. Ce n’est qu’au terme de cette lente construction que les pays de l’ex-zone CFA pourront profiter d’un développement économique accéléré. L’illusion de la stabilité entretenue par la rigidité du taux de change laissera place à l’innovation et au développement de techniques de gestion du risque. Il en résultera assurément un développement sans précédent du secteur financier en Afrique3.
L’idée de sortie du système CFA fait aujourd’hui école. Deux conceptions s’opposent néanmoins : la création par chaque Etat de sa propre monnaie et la voie panafricaine d’une monnaie unique. La première représente un risque de morcellement, voire de balkanisation monétaire. Chaque pays africain se retrouverait isolé sur la scène internationale. Cette voie est à éviter à tout prix car le système économique mondial est une monstrueuse machine à broyer les singletons mal armés. La voie panafricaine semble être à la fois la plus plausible et la plus raisonnable. Reste à savoir comment cette révolution s’enclenchera. Passera-t-on par la voie du référendum ou par la consultation des Parlements nationaux ? Nécessaire et inévitable, cette révolution aura lieu. Mais saura-t-on gérer la post-révolution ?
Tidiane Ly
1 Ce congrès s’est déroulé entre lé 2 et le 4 mars 2009 dans la capitale du Kenya
2 Ancien Conseiller Spécial du Président de la République du Sénégal et auteur de Repenser la zone franc
3 Franc CFA : le débat continue, d’Edouard Pépin Taguedong (2007)
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Comme tu le dis, "La création d’une monnaie unique africaine nécessite de procéder méthodiquement, par étape". J'ai l'impression que ton article ne parle pas assez de ces étapes, il saute tout de suite à la phase finale pour expliquer à quoi pourrait ressembler une monnaie africaine. Or, à mon sens, l'essentiel est justement de définir ces étapes et la meilleure manière d'arriver à une intégration monétaire et économique.
C'est en ce sens que je plaiderai plutôt pour une troisième voie, distincte des deux autres que tu as cité à la fin de ton article. Ni le morcellement d'une monnaie pour chaque Etat, ni la voie d'une monnaie panafricaine unique. Une monnaie unique n'a de sens et n'est efficace que si elle recouvre une zone économique intégrée, sans barrières douanières à l'intérieur de l'espace, avec de très importants échanges économique infra-régionaux. Or, cela ne sera pas possible à court et moyen terme entre tous les pays africains. Il faut donc se concentrer sur les espaces sous-régionaux comme l'UEMOA et la CEMAC, les renforcer et relancer sérieusement leur processus d'intégration. Je plaide donc pour ma part pour un renforcement considérable de l'autonomie et de l'endogénéité économique de la zone CFA.
Quand j'aurai le temps, je compte étayer mes arguments dans une série de deux articles sur ce sujet : une critique appuyée du système CFA actuel et des propositions de réformes à mettre en oeuvre au plus vite. J'espère que cela fera un bon complément à tes trois articles bien documentés.
Il est important, dans cet article, d'entendre le concept de "monnnaie unique" africaine dans son acception économique. C'est à dire : monnaie commune à un certain nombre de pays, avec une politique monétaire unique. "Unique" ne renvoie pas à la géographie -le continent africain- mais à la politique. Ainsi, bien entendu, je ne pense pas que le rand sud africain doive fusionner avec le cedi ghanéen. Lorsque dans l'introduction je parle d'une ou plusieurs monnaies unique, cela renverrait par expemple à une monnaie unique en Afrique de l'ouest, une autre en Afrique australe, une autre….
L'euro est ainsi une monnaie unique européenne.
Cette précision faite, je souhaiterais revenir sur ton commentaire, Lirashe. Pourquoi n'avoir pas évoqué les étapes de cette intégration économique ? Question cruciale ! C'est à dessein que je ne l'ai pas fait. Je souhaitais présenter un corpus de questionnements auquel auront à répondre les décideurs politiques. Quel type de régime de change ? Quelles missions de politique économique ? Quel rôle pour la BCA ?
Comment tout cela prendra-t-il corps dans un déroulement de mesures concrètes ? Probablement par étape ; je ne m'avance pas plus. L'article vise justement à mettre la question sur la table. Les réponses seront éminemment politiques et nécessiteront des positionnements souvent tranchés. Je serais ravi si cette ouverture pouvait déboucher sur de nouveaux travaux. J'attends tes articles avec impartience, Lirashe.