Dans un communiqué récent, la Banque Mondiale annonçait que le nombre de pauvres dans le monde aurait diminué de 3,2 points de pourcentage entre 2012 et 2015 pour s’établir à 702 millions de personnes, soit un peu moins de 10% de la population mondiale, et qu’à cette allure l’extrême pauvreté pourrait être éradiquée d’ici 2030. Cette donnée est d’autant plus impressionnante que le seuil a été révisé à la hausse, passant de 1,25 USD par jour à 1,90 USD.
Avant toute chose, il faut préciser qu’en termes réelles, ce seuil n’a point changé. La méthodologie utilisée par les analystes de la BM conserve le pouvoir d’achat réel et l’actualise au prix de 2011. En d’autres termes, il est considéré que la quantité de biens et services qu’une personne peut s’offrir n’a pas changé mais que ce sont les prix qui ont évolué. Ce nouveau seuil ne traduit donc qu’une augmentation de prix plutôt qu’une variation (à la hausse des capacités réelles) et c’est tant mieux. Les résultats des estimations effectuées par la Banque ne seraient donc pas liés à la méthodologie.
En ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, le taux de pauvreté est passé de de 56% en 1990 à 35% en 2015. Une donnée qui tend à prouver que les pays africains luttent effectivement contre la pauvreté. Or sur les 702 millions de personnes concernés, 346 millions seraient d’Afrique subsahariennes contre 285 millions en 1990.
Le 35% annoncé comme taux de pauvreté en Afrique subsaharienne serait donc lié à un effet de base ; la population africaine ayant fortement cru sur la période passant de 523 millions en 1990 à près d’un milliard en 2015. Comparé à d’autres régions du monde (notamment ceux affichant un niveau de pauvreté similaire à celui du continent en 1990), le constat est que de façon absolue, la croissance de la population africaine s’est accompagné d’une augmentation de la population des pauvres mais à un rythme moins prononcée de sorte qu’il paraît négligeable. En effet, en Asie du sud ou en Asie de l’Est-Pacifique, le nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté est passé de 583 millions et 1 milliard en 1990 respectivement à 225 millions et 84 millions en 2015.
Bien sûr la situation est très hétéroclite suivant les pays. Certains ayant subi plusieurs années de crises socio-politiques qui ont inhibé la mise en œuvre de toutes politiques susceptibles d’améliorer les conditions de vie des plus pauvres. En outre, les données discutées ici ne sont que des estimations et pourraient être révisées à la hausse ou à la baisse quand seront disponibles des données plus précises. Au-delà de ces considérations méthodologiques, ces données traduisent un certain échec des différents programmes (y compris OMD), des initiatives privées (d’ONG) visant à réduire la pauvreté. Un contexte africain pourrait-il expliquer cette situation, d’autant plus que les mêmes programmes exécutés ailleurs dans le monde semblent aboutir à des résultats satisfaisants ?
Une tentative de réponse avait été fournie dans un article précédent en insistant sur la conception de ces programmes qui se focalisent davantage sur la croissance, occultent les canaux de transmission et ne sont pas parfois adaptées aux réalités locales. La corruption (qui se traduit par des détournements de fonds) et les tensions socio-politiques sont autant de facteurs qui obèrent l’efficacité des programmes de développement. Le manque de planification autonome du développement constitue, par ailleurs, un facteur entravant. Plusieurs pays du continent subissent l’évolution de leur population, sans pouvoir y apporter une réponse adéquate. A titre d’exemple, le manque de politique d’urbanisation se traduit par une concentration des ruraux (qui se sont déplacés vers les centres urbains) dans des zones non adaptées pour l’habitation. A termes, ces personnes font face à des problèmes récurrents d’inondation, qui à leur tour induisent des problèmes d’assainissement, retardent les rentrées scolaires, etc., qui obèrent toutes perspectives d’élévation du niveau de vie de ces personnes, qui seront tout naturellement comptabilisées comme étant pauvres. En outre, les économies africaines sont extraverties sur l’extérieur de sorte que les performances économiques récentes du continent n’ont eu que des impacts limitées sur la situation des plus pauvres, qui ne participent pas du tout ou que très peu à cette embellie économique. Il apparaît donc que la résolution de la question de la pauvreté repose fortement sur la capacité des pays en mettre en place de façon autonome des politiques économiques susceptibles d’améliore la situation les plus pauvres comme l’ont fait les autres[i].
Rien n’a-t-il donc été fait depuis plus de 20 ans ? A cette question, la réponse serait : beaucoup mais pas assez. De toute évidence, si rien n’avait été fait, le nombre de pauvre sur le continent serait bien plus important. Il faudrait davantage approfondir la lutte contre la pauvreté et cela passerait sans doute par une politique (économique, sociale et de gestion) plus responsable et qui s’attache à l’amélioration du bien-être globale de la société. Si la mesure de la pauvreté, via l’approche monétaire, est discutable, elle ne peut en aucun cas constituer un argument. Certes le modèle utilisé se base sur une conception occidentale du mode de vie mais « un mode de vie à l’africaine » (encore qu’il faudrait pouvoir en donner une définition dans le contexte actuel de mondialisation) ne stipule pas non plus une vie sans accès aux fondamentaux d’une vie décente (éducation peu importe la forme qu’on lui donne, accès aux soins, nutrition, etc.).
Foly Ananou
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