L'incertitude politique créée par l'hospitalisation du président algérien Abdelaziz Bouteflika, plus que la maladie d'un homme est un symptôme de la dérive entière du système politique : absence d'institutions fortes et indépendantes, guerre de clans et d'intérêts, personnalisation du pouvoir. Il n'est pas certain que cela soit amené à changer.
Depuis quelques jours, les commentateurs de la politique algérienne ont pu observer le remarquable changement dans la stratégie de communication du gouvernement. Pendant la longue absence d’Abdelaziz Bouteflika (hospitalisé à Paris depuis le 27 avril), la rétention de l’information a été totale, contrastant avec la transparence des autorités sud-africaines sur l’hospitalisation de Nelson Mandela. Ce changement a sans doute été motivé par les rumeurs les plus alarmantes, autant dans la rue que dans la presse, annonçant « la fin de Bouteflika »[1].
A travers la maladie du président, l’état d’incertitude politique qui règne à Alger témoigne de la dérive permanente de tout un système, incapable de faire émerger de véritables institutions et toujours empêtré dans des guerres de clans, de groupes d’intérêt et de personnes.
Le président Bouteflika est malade, c’est un fait. Au-delà du constat, la stratégie de communication officielle révèle à nouveau le mépris permanent du gouvernement pour son peuple. Si l’on omet le caractère baroque d’un président qui se fait soigner à Paris alors que des malades essayent, à Alger, d’attirer l’attention des autorités sur le manque d’infrastructures hospitalières, les modifications intervenues dans les déclarations des officiels sont tout aussi évocatrices. Ce qui était au départ un « mini-AVC » est devenu un AVC à proprement parler, et la « convalescence » s’est transformée en « rééducation fonctionnelle ». Le premier ministre, Abdelmalek Sellal, s’étonnait, dans un récent séminaire sur la communication institutionnelle, que l’on s’intéresse autant à l’état de santé du président. Fausse bêtise ou vraie mauvaise foi, peut-être faudrait-il rappeler à M. Sellal que dans un régime politique hyper-présidentiel où les actions sont directement impulsées par le chef de l’Etat, la capacité du président de la République à gouverner est un sujet d’intérêt pour l’ensemble de la population.
Ainsi, des figures de la société civile, des responsables politiques et des personnalités historiques ont appelé à l’application de l’article 88 de la Constitution qui dispose : « lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ». Le quotidien El Watan rapporte que le Conseil constitutionnel a envisagé de se saisir du dossier, une initiative légale et responsable qui s’est malheureusement heurtée au refus de Tayeb Bélaïz, président du Conseil, ex-ministre de la Justice et proche du clan présidentiel. Ce blocage, absolument scandaleux, mais dont personne ne semble s’émouvoir outre mesure, n’a rien d’anormal dans un pays qui vit sous le joug de l’autoritarisme depuis son indépendance.
La dictature, telle que l’a toujours connue l’Algérie, n’est cependant pas la seule responsable de la forfaiture. Cette dernière est aussi le résultat d’une pratique politique mise en œuvre par le président Bouteflika, qui a méprisé la loi, humilié les institutions, et marginalisé le peuple. Les exemples ne manquent pas, des multiples viols constitutionnels à la gestion de la crise du Printemps noir[2]. Cette paralysie est l’aboutissement d’une excessive personnalisation des rapports de pouvoir à tous les niveaux, et des allégeances claniques qui ont vidé les institutions de toute moelle politique, et piétiné les principes fondamentaux qui régissent l’Etat de droit.
Le mélange des genres n’est pas nouveau à Alger. Le déplacement à Paris du général Gaïd Salah, chef d’Etat major de l’armée, et du premier ministre Abdelmalek Sellal pour recevoir les directives du président, illustre bien les rapports de force entre les différents centres de décision. Dans la ligne droite du changement de stratégie dans la communication sur la maladie du Président, la télévision nationale, suivie par d’autres chaînes privées, a retransmis les images d’un président âgé, fatigué et malade, pour tenter d’apaiser les tensions. Loin d’obtenir les effets escomptés, ces images n’ont fait que renforcer le sentiment que l’heure de tourner la page des années Bouteflika a sonné. Seule question en suspens : qui se fera adouber par l’armée pour être « calife à la place du calife » ?
Déjà, les candidatures, ouvertement annoncées ou suggérées par les « milieux autorisés », se multiplient. Parmi les candidats potentiels, les favoris sont d’anciens premiers ministres. Certains y pensent depuis longtemps, comme Mouloud Hamrouche, initiateur des réformes avortées de la fin des années 80. D’autres, comme Ahmed Benbitour, se découvrent des humeurs d’opposant après avoir été éjectés du sérail. D’autres enfin, à l’instar d’Ali Benflis, en hibernation depuis son échec à la présidentielle de 2004, commencent à s’agiter dans les coulisses et préparent leur retour sur le devant de la scène politique.
Mohamed-Chafik Mesbah, ancien colonel des services de renseignement et politologue, est le premier à avoir suggéré, dans la presse algérienne, le possible retour du général Liamine Zéroual, ancien Président de la République de 1995 à 1999, qui serait « le seul candidat consensuel ». Point commun à tous ces candidats potentiels, ils sont tous issus de la nomenklatura et ont occupé de hautes positions dans le gouvernement ou dans l’armée.
Hommes du sérail, hommes du passé, ces candidats témoignent que le changement du système politique n’est pas à l’ordre du jour. Le verrouillage de Bouteflika, qui a favorisé la promotion des courtisans par l’allégeance clanique, a annihilé toute émergence d’élites politiques et intellectuelles autonomes, issues des nouvelles générations. Malgré d’incontestables potentialités humaines, l’Algérie risque de subir cet héritage pour encore longtemps.
Par Aghilès Aït-Larbi
Article publié initialement par notre partenaire ArabsThink
[1] Notamment l’hebdomadaire français Valeurs actuelles et le quotidien algérien Mon Journal.
[2] Manifestations de Kabylie en 2001, au cours desquelles les gendarmes ont tiré à balles réelles sur les manifestants, faisant 126 morts et des dizaines de blessés.
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