Laréus Gangoueus revient pour Terangaweb-l'Afrique des Idées sur la première session de l'Université Populaire de la littérature des Afrique(s), consacrée au thème du mysticisme dans le roman africain.
J’assiste à de nombreuses rencontres sur la place parisienne. Le luxe du francilien. Mais force est de constater que toute manifestation ne mérite pas que l’on s’attarde dessus. Avec les universités populaires de la littérature africaine, la retranscription s’impose. On est à la librairie Galerie Congo, enfin dans le 7ème arrondissement de Paris, autrement dit le plus bourgeois des quartiers. Cela reste populaire. Un professeur a la lourde tache de nous introduire sur la thématique de la session : Approcher le mysticisme à travers le roman. Disons-le, le thème est délicat, épineux et je me demande sous quel angle Jacques Dalodé peut lancer les hostilités dans le cadre apaisant de la librairie Galerie Congo.
L’option choisie par l’auteur optimiste des Très bonnes nouvelles du Bénin a été celle de tout bon littéraire et amoureux épris des mots sachant taire son égo : l’effeuillage des textes, leur mise à nu. Pour cela, il a choisi de ramener ses étudiants d’un soir à un texte essentiel : L’enfant noir de Camara Laye, paru en 1953. Un classique que j’ai lu adolescent. Jacques Dalodé évoque un épisode où l’enfant noir se remémore le rapport de sa mère avec le monde invisible. Cette dernière a une sensibilité qui fait qu’elle reçoit des révélations au travers des songes et parlent aux esprits qui trament des actions contre ses proches. Son pouvoir reconnu dans la contrée, on l’appelle pour briser des sortilèges. La place de parole dans son action est importante. Elle parle. Il y a là, ce n’est plus Jacques Dalodé mais l’étudiant d’un soir que je suis qui s'exprime, la première base du mysticisme, notion qui n’a pas été clairement définie. Le mysticisme introduit une notion d’interaction par la parole de l'homme entre un monde intangible et celui qui est matériel.
L’interprétation des lectures choisies de Jacques Dalodé le conduit à extraire trois approches intéressantes du mysticisme par la fiction africaine :
- Le mysticisme par l’onirisme et le rêve qui caractérise La route de la faim du nigérian Ben Okri.
- Le mysticisme par la peur et le mauvais sort qui imprègne Treize nouvelles vaudou de Gary Victor
- Le mysticisme par l’animal dont sont chargées les terrifiantes mémoires d’un porc-épic d’Alain Mabanckou
L’étudiant intéressé pourra découvrir les lectures de ces textes triés par l’écrivain béninois. Certains extraits de roman sont réellement chargés de ces atmosphères qui caractérisent le champ magico-religieux qui conditionnent nombre de populations d’ascendance africaine. D’ailleurs, les descriptions de Gary Victor étonneront les néophytes par leur proximité avec des réalités africaines. Mais, cela, j’en ai déjà dressé plusieurs remarques dans ma chronique sur les treize nouvelles vaudou.
Jacques Dalodé complète son exposé par deux lectures : celles du Pleurer rire d’Henri Lopès et de son propre recueil de nouvelles Très bonnes nouvelles du Bénin et il apporte deux nouvelles approches :
- Le mysticisme par l’exercice du pouvoir
- Le mysticisme par la raison et l’empirisme
Avant d’évoquer la deuxième partie des échanges, j’aimerai réagir sur l’exposé et la définition du mysticisme qui, dans une approche très commune, s’apparente à l’occultisme. Je me souviens qu’adolescent dans les quartiers populaires de Brazzaville, la qualification « mystique » à un acte renvoyait immédiatement à la fois à l’occulte et à la capacité à interagir avec les mânes, les ancêtres et autres esprits. Là-bas, il ne viendrait pas à l’esprit du commun des mortels de comprendre la prière d’un prêtre catholique ou d’un pasteur évangélique comme un acte mystique. Ce qui cependant à la définition du mysticisme.Le mysticisme est associé aux croyances magico-religieuses et corrélé à une part de mystère (ce qui est le cas) et de fantastique. Cela explique en partie, le fait que la session et le traitement de la thématique ont touché le vaudou, le culte des ancêtres et l’animisme, bref croyances africaines plutôt endogènes, alors que l’islam et le christianisme auraient également pu faire l’objet d’une scrutation. En effet, comment s’exprime le mysticisme africain dans le cadre des réligions monothéistes ? La littérature africaine se confronte-t-elle à cette dimension ?
De gauche à droite Dibakana Mankessi, Pierre Laporte et Jacques Dalodé
La table ronde avec Jacques Dalodé, Pierre Laporte et Dibakana Mankessi
Faisant suite à l’exposé, le débat qui est tout aussi intéressant: Pierre Laporte, auteur du roman poétique Trajectoires paru aux éditions Diasporas noires, professeur de sciences physiques, cartésien endurci et Dibakana Mankessi, romancier et entre autres, auteur de La brève histoire de ma mère (Editions Acoria), sociologue, mystique adouci. Ils ont rejoint Jacques Dalodé, ingénieur des ponts et chaussées. Ce background n’est pas signalé ici pour faire pompeux, il va pas mal orienter les échanges que nous vous invitons à découvrir par le biais de la vidéo.
« Où allons-nous ? »
La question fondamentale que l’aîné Gabriel Kinsa, conteur, griot qu’on ne présente plus, cette question disais-je pose depuis l’assemblée des étudiants est : « Où allons-nous ? ». Même, si le sage l’intronise par un de ces préliminaires dont seuls les maîtres de la tradition orale savent faire l’usage, l’interrogation a un écho particulier en chacun des étudiants d’un soir. Car les textes lus renvoient à de nombreuses réalités sur lesquelles on a justement du mal à mettre des mots. Un contexte lourd, pesant, oppressant dont on parle avec discrétion. Si le daman de Camara Laye semble dicter ses quatre volontés à l’invisible, si la puissance de sa parole lui permet d’avoir le contrôle sur les événements et apporte une protection nécessaire, ce qui vaut pour la mère, ne vaut pas forcément pour le fils. « Où allons-nous ? » traduit aussi la possibilité de se tenir à distance pour prendre du recul ou pas. Ayiti, viscéralement attachée à ses croyances africaines, nous révèle, au travers du texte de Gary Victor, Treize nouvelles vaudou, combien cet imaginaire est envahissant et oppressant tant pour les personnages mis en scène que pour les lecteurs. Il n’y a qu’à entendre Jacques Dalodé parlant de ses lectures sous-terraines et de ses sorties titubantes de rame de métro. Notre homme n’a pourtant bu. Il s’est pris une nouvelle de l’haïtien. Un bémol a d’ailleurs été émis quand Pierre Laporte, un peu trop cartésien, a parlé d’un fantastique qui lui parle. Ce qui est fantastique pour vous, lui a rétorqué un intervenant, constitue un socle de croyances voraces qui prédétermine les actions de beaucoup de personnes dans ces contrées tropicales.
La possibilité de la distance
Une difficulté que j’ai observée pendant cet échange et de manière générale en littérature des Afriques et celle de la prise de distance par rapport à ces croyances qui pour certaines peuvent participer à la construction des individus, mais qui souvent sont sclérosantes. Jacques Dalodé, qui a écrit un texte qui pourrait être perçu comme une réponse venue du Bénin à Gary Victor, explique un peu la distance et l’humour qui sous-tendent ses nouvelles en faisant intervenir le surnaturel béninois : L’éducation et l’exil simplifient la prise de parole. Quand on sait que Gary Victor est plongé dans son île, il y a là un élément de réponse qui explique que son texte soit autant marqué. Mais que dire de Ben Okri et de ses mondes oniriques ? L’atmosphère de La route de la faim, que les lectures de Jacques Dalodé font découvrir, est assez proche du roman Etonner les dieux du même romancier. Ici, le destin d’Azaro, son personnage central est littéralement lié au monde surnaturel. Difficile de dire si une mise à distance est possible. La croyance de Camara Laye aux pouvoirs de son daman est sans équivoque : il a vu. Celle d’Alain Mabanckou est chargée de sarcasme dans Mémoires de porc-épic (Prix Renaudot 2006). Alain Mabanckou se montre habile dans sa lecture des dites croyances. Faisant écho au bestiaire des fables de Jean de La Fontaine, il met un sympathique porc-épic dans la peau d'un remarquable tueur en série. « Si un béninois racontait une histoire proche de celle narrée par le célèbre romancier congolais, je n’y verrai que du feu ». Je paraphrase Jacques Dalodé. Tellement ces croyances sont partagées en Afrique subsaharienne. Alain Mabanckou en joue avec efficacité pour proposer un vrai mangeur d’âmes, auxquels les bantous croient beaucoup plus que l’apprenti tueur pathétique, Grégoire Nakobomayo, d’African psycho (paru en 2004). La distance dans Mémoires de porc-épic est à la fois dans l’humour et l’originalité de ses drôles de mémoires. Un élément intérieur à ce système de pensée vient à confesse, il fallait y penser et être suffisamment détaché pour le faire.
D’ailleurs sur la question de la distance, Jacques Dalodé est quelque peu dubitatif quand la question « Auriez-vous pu écrire les Très bonnes nouvelles du Bénin dans votre pays ? » lui est posée. On sent qu’écrire sur une telle thématique n’est pas aisé.
Critique et bémols
Qui a lu Très bonnes nouvelles du Bénin, comprendra la logique et le cartésianisme qui conduit l’analyse de Jacques Dalodé. Il pose d’ailleurs une question judicieuse. Si ces croyances étaient aussi efficaces,pourquoi, les hommes d’état qui les utilisent pour tenir leur population sous leur coupe, ne les utilisent pas à des fins de développement ou pour au moins augmenter leur fortune personnelle ? On entre naturellement dans un nœud très complexe à défaire. Croyances entretenues pour dominer les individus qui s’y soumettent. Certains évoqueront qu’il ne s’agit pas du même référentiel. Mais ceux qui après cette rencontre, approfondiront la lecture de Gary Victor,pourront mieux cerner ce questionnement qui est manifeste dans les lettres d'Haïti et dans de nombreux textes de littérature africaine. Cartésien, Dibakana Mankessi l’est aussi dans son travail. Et ce n’est pas forcément incompatible avec sa croyance au culte des ancêtres avec lesquels il interagit. Il tente d’apporter une nuance sur les mots avec une nécessité de différencier occultisme et mysticisme. Ses développements sont disponibles sur la vidéo.
Pour terminer
Cette première session de l’Université populaire de la littérature des Afrique(s) a été riche d’enseignements. Comme Les palabres autour des Arts, elle est un échange certes introduit par le maître de céans, mais offre un vrai échange autour d’une thématique. A la différence, et cela est peut être le fait que c’est un auteur qui lançait le coup d’envoi, l’exposition aux textes et aux mots a fait de ce moment une véritable rencontre littéraire. Le sujet aussi délicat fut-il a été remarquablement abordé avec des angles d’attaques très différents. La question qui demeure est celle de savoir si l’approche de ces formes de mysticisme est émancipatrice pour l’homo africanicus. Une réponse proposée au lecteur est dans les ouvrages lus. Voir la vidéo de la session
- Très bonnes nouvelles du Bénin, Jacques Dalodé (éditions Gallimard, Continents noirs, 2012)
- La route de la faim, Ben Okri
- Mémoires de porc-épic, Alain Mabanckou (édition du Seuil, Prix Renaudot 2006)
- Treize nouvelles vaudou, Gary Victor (éditions Mémoires d’encrier, 2008)
- Le pleurer-rire, Henri Lopès (éditions Présence africaine, 1982, Grand prix littéraire d’Afrique noire)
- L’enfant noir, Camara Laye (éditions Plon, 1953)
Auteurs présents pour la première session de l'UPLA
- Pierre Laporte. Trajectoires (roman poétique, aux éditions Diasporas noires, 2012)
- Dibakana Mankessi. La brève histoire de ma mère (roman, aux éditions Acoria, 2009)
- Joss Doszen. Le clan Boboto (Loumeto)
(*) UPLA – Université Populaire de la littérature des Afrique(s)
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