L'art contemporain africain, comme partout, demande du temps pour mûrir et être reconnu. C'est justement à la reconnaissance des particularités de l'art africain qu'Aude Minart, gérante de la Galerie Africaine, dédie sa carrière. Après sept ans passés sur les routes du continent, sept ans qui ont "révolutionné sa vie", cette galeriste itinérante porte sous le bras les oeuvres nées de talents du Togo, du Sénégal ou du Soudan, entre autres, pour les exposer à travers l'Europe. Elle est messagère d'une Afrique résolument moderne et tournée vers l'avenir, sans être porte-parole: les oeuvres, pièces rares et inattendues, parlent d'elles-mêmes. Entretien au coeur de la mairie du XVIème arrondissement de Paris, où se tient l'exposition l'Afrique au-delà des Masques.
L'art à bras-le-corps
Dès son retour en France, Aude Minart décide de prendre un tournant dans sa carrière de publicitaire et de réaliser quelque chose qui soit en rapport avec le continent africain. Après avoir essuyé quelques objections de la part des galeries françaises, elle décide de repeindre son appartement et d'y exposer les oeuvres qu'elle a glanées. L'effort porte ses fruits, et bientôt de nombreux peintres trouvent leur place dans Paris. Ils sont très vite sollicités par les dispositifs d'accompagnement des artistes en France et en Europe. Yao Metsoko(Togo), Birame Ndiaye(Sénégal), Julien Sinzogan(Bénin) : autant de noms qui résonneront bientôt dans les esprits des passionnés d'art d'Europe et, qui sait, d'Amérique du Nord.
Difficile de parler d'Afrique à l'extérieur quand le continent est souvent abordé comme un seul bloc où les populations se ressemblent. Une confusion dans laquelle Aude Minart ne risque pas de tomber : quand elle parle d'Afrique, c'est bien du continent, qu'elle connaît bien pour l'avoir exploré sous différentes facettes, coté anglophone et francophone. Deux cotés qui, selon elle, ne sont pas plus différents par leur passé colonial que par des enjeux plus profonds, comme le besoin d'investissement des autorités dans l'accompagnement et l'encadrement des artistes, tout comme le besoin d'acquéreurs locaux pour les oeuvres. "La reconnaissance des artistes ne doit pas se faire systématiquement à l'extérieur du continent : ce dont nous avons besoin, c'est que l'acquisition par des collectionneurs locaux soit plus encouragée".
Les grands thèmes
Dénoncer la corruption, les conditions de vie sur le continent et dans les banlieues : la peinture africaine reste très empreinte d'engagement politique, comme le précise Aude Minart. Ce qui est normal, étant donné le contexte de certains pays. Tout art n'est-il pas, à l'instar de la littérature, le langage d'un engagement ? Sur une toile de jute où l'on peut encore lire "Ghana Cocoa Board", les personnages hybrides de Yao Metsoko, entre l'homme politique en cravate et la pintade ou le margouillat, comme une satire visuelle qui empreinte au cubisme, font sourire. En face, Birame Ndiaye, en peignant à même des affiches arrachées aux murs, revendique le street art, et dans le box d'à coté, les photographies de Emeka Udemba (Nigéria) montrent sur leur lieu de travail des vigiles et des agents de sécurité, qui ne sont pas sans rappeler le roman de Gauz, Debout Payé.
Tandis que je contemple des ventilateurs de Lamyne M (Cameroun), aux hélices délicatement enveloppées de différents tissus du monde entier, évocation du réchauffement climatique et de l'écologie, Aude Minart souligne l'orientation universelle que prend l'art africain comme engagement et moyen d'expression, malgré un encadrement encore hésitant.
Artiste : le métier impossible ?
"Il est difficile d'en faire un métier quand on sait que les Beaux-Arts n'existent pas partout ; ils existent au Sénégal, et dans certains pays d'Afrique anglophone, et c'est en cela que certains pays d'Afrique sont différents, bien plus que par leurs langues officielles héritées des colons. Cependant, les vocations n'en meurent pas pour autant, et je suis impressionnée devant la ténacité de ces artistes ancrés dans les technologies actuelles, que tout contrarie et qui émergent chaque jour de plus en plus nombreux. ",
souligne la galeriste.
Les prochains rendez-vous de la Galerie Africaine auront lieu à Paris : Migrations, du 28 juin au 23 juillet, Galerie Mailletz, au 17 rue du Petit Pont, Paris 5ème, et l'exposition de Yao Metsoko, du 9 au 25 juillet, 19 rue du Pont Louis-Philippe, Paris 4ème.
Courez-y : bouleversements garantis !
Visitez le site de la Galerie Africaine : www.lagalerieafricaine.com
Touhfat Mouhtare
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