Comment moderniser l’agriculture africaine ?

agroforesterie-kenya_lightboxEn 2100, l’Afrique devrait compter plus de quatre milliards d’habitants. Une forte pression démographique qui représente autant un défi qu’une opportunité pour les paysans du continent. Il y aura bien sûr de nombreuses bouches à nourrir, mais aussi un marché intérieur en pleine expansion, qui pourra profiter aux agriculteurs s’ils parviennent à moderniser leurs exploitations, avec l’appui de politiques agricoles plus ambitieuses.

On aurait tort de présenter l’agriculture africaine sous le seul angle de l’insécurité alimentaire, comme un secteur souffreteux, incapable de répondre aux besoins du continent. “Les exploitations familiales, qui sont les plus répandues sur le continent, se caractérisent surtout par leur grand hétérogénéité”, témoigne ainsi Jean-Luc François, responsable de la division agriculture et développement rural à l’Agence française de développement (AFD). “Certes il peut y avoir de petites parcelles vivrières faiblement productives et parfois en voie d’appauvrissement, mais il y a aussi de nombreuses success stories, que ce soit dans les exploitations hyper-productives de cacao, d’hévéa ou de coton destinés à l’exportation, ou dans des PME très dynamiques, tournées vers le marché domestique”.

Sur les pages de L’Afrique des Idées, René Ngiriye, un jeune exploitant sénégalais, avait par exemple livré un témoignage passionnant sur un projet entrepreneurial réussi, avec d’un côté une production de tomate destinée aux consommateurs locaux, et de l’autre du melon pour l’exportation.

Tout l’enjeu est ainsi de favoriser le développement de véritables opérateurs économiques agricoles structurés et tournés vers une demande intérieure qui ne cesse de croître. Car faute de mécanisation, les exploitations sont souvent trop petites, de un à deux hectares en moyenne. Et l’agriculture, qui reste le principal employeur du continent, et fait vivre parfois de 60 à 80 % de la population d’un pays, ne parvient toujours pas à faire face à la demande de certains produits comme le riz, le lait ou les oléagineux. Avec l’exemple emblématique des Sénégalais, qui consomment plus d’un million de tonnes de riz chaque année, tandis que la production locale dépasse à peine les 200 mille tonnes.

S’unir pour avoir accès au crédit

La modernisation agricole passe d’abord par le développement de capacités d’investissement, souvent trop faibles, voire inexistantes. L’accès au crédit reste extrêmement difficile pour un paysan africain moyen, qui dans la plupart des cas a peu de fonds propres. Rares sont les banques, structures de micro-crédit comprises, à s’aventurer dans un secteur soumis aux aléas climatiques et dont les taux de rentabilité sont somme toute assez réduits. Il ne faudra pas non plus compter sur un système de subvention ou de financement public direct dans des États qui restent fragiles économiquement.

C’est donc avant tout du privé, que peuvent venir les capacités d’investissement. Et des paysans eux-mêmes, s’ils parviennent à se structurer pour atteindre une taille critique, et négocier collectivement l’achat d’intrants, de machines ou un accès au crédit à des taux non prohibitifs. Les exemples réussis de coopératives sont déjà nombreux sur le continent. Citons Faso Jigi (« Espoir du peuple » en Bambara) au Mali, qui rassemble près de 5 000 producteurs de riz, de sorgho, de mil ou d’échalotes, notamment des femmes, et les fait bénéficier d’accès au crédit et aux équipements.

À une échelle plus large, le développement agricole passe aussi par la structuration en filières interprofessionnelles, à l’image de l’organisation réussie de la filière céréalière en Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso, où les groupements, syndicats et fédérations agricoles rassemblés pèsent davantage auprès des pouvoirs publics, et peuvent pratiquer le plaidoyer, au niveau national comme sous-régional.

Outre le soutien au crédit, les agriculteurs devraient aussi bénéficier beaucoup plus largement de systèmes de micro-assurances sur leurs productions et leurs élevages. Des expériences pilotes ont déjà été menées en Afrique de l’Ouest, mais elles restent pour le moment marginales. De telles assurances peuvent pourtant protéger efficacement les agriculteurs des aléas climatiques, notamment des grandes sécheresses sahéliennes, en modélisant les risques grâce au suivi satellite de leurs exploitations, et les effets de la météo sur les rendements.

« L’une des difficultés est enfin l’accès au foncier de jeunes paysans au capital restreint », complète Jean-Luc François, en charge de la division agriculture à l’AFD.“Il faut développer plus largement les systèmes de fermage ou de métayage, qui permettent aux jeunes de se lancer sans être directement propriétaire. Il faut leur donner l’envie de s’installer”, conclut-il en employant une formule, “les trois “F” du jeune agriculteur : “formation, financement et foncier”.

Offrir un environnement favorable

Car faute de moyens pour soutenir durablement leur agriculture, les États africains doivent au moins tenter d’offrir un environnement favorable à leurs paysans. Il y a d’une part les infrastructures et les équipements de base, eau, électricité, et routes, pour éviter l’enclavement des régions agricoles. Il y a aussi l’indispensable formation agricole. Ces dernières années, le Cameroun s’est par exemple lancé dans une politique agricole plus audacieuse saluée par les experts. Tout en soutenant les projets d’équipements des communes rurales, les autorités ont renouvelé considérablement l’offre de formation agricole, avec le soutien des bailleurs internationaux.

Depuis 2007, le programme d’Appui à la rénovation et au développement de la formation professionnelle dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et des pêches (AFOP) a permis de réorganiser en profondeur les formations et de les mettre en adéquation avec les besoins du secteur agricole grâce au système de l’alternance. Certes il manque encore des ressources financières et du personnel pour que l’AFOP fonctionne à plein régime, ou des garanties pour assurer sa pérennité, mais les premiers bilans sont très positifs.

Autre outil de la politique agricole, celui des taxations aux frontières au bénéfice de la production locale. Un levier nécessaire mais délicat à employer. Les taxes doivent malgré tout rester raisonnables, pour éviter de faire trop grimper les prix au détriment du consommateur, et elles doivent être harmonisées avec les pays voisins, pour être véritablement efficaces.

Les TIC et le développement agricole

Dernière piste, prometteuse, celle de l’utilisation croissante des nouvelles technologies au service du développement agricole. L’Afrique des Idées a déjà consacré un article à ce sujet. Avec de simple téléphones portables (et pas nécessairement des smartphones), les agriculteurs peuvent avoir accès à des informations qui leur manquaient jusqu’ici sur les marchés, les cours, et la demande en temps réel. Ce type de solution se développe dans des pays comme le Ghana notamment. Et elles sont amenées à évoluer à mesure que les paysans seront équipés et connectés. Ils pourront ainsi mieux gérer leurs commandes et leurs productions, et se prémunir là encore des risques climatiques.

Reste enfin l’argent sonnant et trébuchant que sont censés investir les États africains dans leur politique agricole. En 2003, lors du sommet de Maputo, ils s’étaient engagés sur une échéance de cinq ans, à consacrer 10% de leurs budgets nationaux au secteur agricole chaque année. Plus de dix ans après, les résultats sont très disparates. Seuls sept pays africains (Burkina Faso, Niger, Guinée, Sénégal, Mali, Malawi et Éthiopie) ont respecté leurs promesses, regrettent les ONG comme Oxfam, qui avait rassemblé en 2013 plusieurs artistes pour interpeller leurs gouvernements avec cette question: “où sont passés nos dix pourcents ?”.

Adrien de Calan

Comment « réinventer » la politique africaine de la France ?

_W1B7920-okC’est un portrait sans concession de la politique française en Afrique que brossent les députés Philippe Baumel (PS) et Jean-Claude Guibal (UMP) dans leur récent rapport parlementaire sur « La stabilité et le développement de l’Afrique francophone ». Soyons lucides, réclament-ils d’abord ; extrême pauvreté, mortalité infantile, absence d’infrastructures et secteur éducatif en crise : malgré la démographie galopante, la situation de l’Afrique est bien loin du discours afro-optimiste à la mode. Et dans ce contexte difficile, la politique française a en partie échoué, se réduisant de plus en plus, à des réactions militaires de dernière minute, au cœur de la crise, quand il aurait fallu, en amont, une politique de développement beaucoup plus ambitieuse. Corsetée dans ses vieilles habitudes, la France a bien du mal à tourner la page de ses amitiés anciennes, regrettent-ils. Elle passe à côté du bouillonnement des jeunesses africaines, qui de Ouagadougou, à Bujumbura, réclament davantage de démocratie. Pour L’Afrique des Idées, le député Philippe Baumel a accepté de présenter quelques-unes des pistes qu’il appelle de ses vœux pour redéfinir la stratégie française en Afrique.

L'Afrique des Idées: “La politique africaine de la France est à réinventer”, écrivez-vous dans votre rapport. Par où commencer ce vaste chantier ?

Compte tenu des moyens dont on dispose, on ne peut pas agir sur tous les secteurs, il faut définir des priorités. La France, au sein du concert des nations, pourrait particulièrement cibler les problématiques de santé et d’éducation. C’est déjà en partie le cas, mais ces objectifs ne sont pas complètement tenus et ils ratent parfois complètement leur cible. Sur les questions de santé, on met les moyens les plus importants sur la lutte contre le sida. Mais quand vous regardez de près les statistiques délivrées par l’OMS, vous vous apercevez que les Africains ne meurent pas en priorité du sida. Ils meurent d’abord d’autres maladies, comme le paludisme, ou à cause de la mortalité infantile sans lien avec le sida. Il faut cibler ce qui touche véritablement les Africains, plutôt qu’une maladie, certes pandémique et très importante, mais qui n’est pas la première des priorités. Sur l’éducation, nous répétons depuis plusieurs années qu’on doit mettre le paquet sur l’éducation de base. Pourtant l’année dernière nous ne lui avons consacré que 439 000 euros. Sur un budget total d’aide publique au développement de plus de 8 milliards d’euros, avouez que ce n’est pas terrible…. Dès lors, comment faire progresser la pratique du français ! Il faut mieux définir les objectifs mais surtout mieux les tenir, pour ne plus rater la cible comme on le fait aujourd’hui.

Vous souhaitez aussi que la France revienne davantage à des actions bilatérales, mais a-t-elle les moyens d’agir seule ?

Le problème aujourd’hui, c’est que l’argent que met la France sur un certain nombre de programmes internationaux n’est pas identifié. Sur le terrain, les Africains ont le sentiment que la France n’est plus dans le paysage, qu’elle est invisible alors qu’elle continue à payer de nombreuses opérations, pour des objectifs souvent médiocrement tenus. On ne veut pas se retirer complètement des actions multilatérales, mais il faut agir plus directement dans certains domaines. D’autant que je n’ai pas le sentiment que les dispositifs multilatéraux soient toujours évalués de façon optimale et que les décisions prises soient toujours concertées avec l’ensemble des co-financeurs. Il faut donner du sens à notre intervention publique en matière de développement et cela passe par un retour à une forme de bilatéralisme.

La politique africaine de la France est-elle trop militarisée ?

Attention, je considère que l’intervention militaire de la France a été ces derniers mois l’honneur de la France en Afrique. Lorsqu’il y a urgence pour restaurer la sécurité de peuples menacés par l’absolutisme ou la barbarie, il est heureux que la France intervienne. Ce que je regrette, c’est qu’elle soit la seule à intervenir et surtout, qu’avec des interventions trop durables dans le temps, l’opinion africaine se retourne et considère progressivement que la présence militaire française est une forme d’armée d’occupation. La sécurité est assurée mais s’il n’y a pas de véritables programmes de restauration de l’État, de l’économie et de la société dans son ensemble, on ne s’attaque pas aux racines du mal. Il faut faire attention à la durée de nos interventions et essayer de les faire partager au niveau européen. Il faut être à plusieurs pour gérer l’aspect militaire des choses mais surtout pour le post-militaire. La France ne peut pas se contenter de réagir dans l’urgence, il faut qu’elle soit à l’initiative d’actions en profondeur, avec des politiques de développement renouvelées, qui vont nous éviter de nous retrouver dans une situation de crise. Pourquoi un certain nombre de gens se tournent vers Boko Haram ou l’extrémisme religieux, c’est parce qu’ils ne trouvent pas de place dans la société, qu’ils sont dans la misère, et que le religieux devient leur seule perspective.

Le ministre de la Défense, Jean -Yves le Drian, est-il trop influent auprès des chefs d’État africains ?

Non. C’est bien normal qu’il soit sur le théâtre des opérations quand il y a des interventions miliaires. Mais il faut restaurer une stratégie politique vis-à-vis des États africains. C’est pour cela que nous proposons la création d’un ministère du développement de plein exercice, au même niveau que le Quai d’Orsay, pour avoir un outil d’anticipation, qui définit une politique de développement contrôlée par le Parlement, avec chaque année un arbitrage politique et budgétaire. La décision politique est aujourd’hui éparpillée, entre de nombreuses agences, sur lesquelles le Parlement n’a aucun contrôle. Cela n’aurait rien à voir avec l’ancien ministère de la coopération. S’il y avait une comparaison à faire, c’est plutôt avec ce que font les Anglais depuis plusieurs décennies avec un ministère du Développement de même niveau que celui des Affaires étrangères.

La diplomatie française est-elle déconnectée des réalités de la jeunesse africaine ?

Lors de notre mission au Cameroun, nous avons rencontré des jeunes diplômés qui avaient étudié en France puis fait le choix du retour. Sincèrement, c’était accablant. Sur la trentaine de diplômés, deux seulement avaient trouvé leurs places dans le pays. Les autres étaient désespérés malgré la réussite de leurs études réalisées avec le soutien de bourses françaises. Certains nous disaient qu’ils en arrivaient à regretter d’avoir étudié en France et d’être rentrés. Cela signifie que nous devrions aussi avoir comme mission de faciliter la réinsertion de ces jeunes dans le tissu social et économique local, pour qu’ils soient utiles au développement de leurs pays. Il faut savoir s’appuyer sur eux, développer des réseaux. Il y a à peine un an que le Ministère des Affaires étrangères a décidé de constituer un réseau complet des jeunes Africains, diplômés en France, et qui repartent dans leurs pays. C’est très pertinent. Quand on recherchera des ressources humaines on saura à quelles portes frapper et comment constituer des réseaux utiles.

Faut-il faire évoluer les relations avec certains chefs d’État, partenaires traditionnels de la France. Dans votre rapport, on peut lire par exemple qu’il faut préparer l’après Biya au Cameroun…

Il ne faut pas jeter l’anathème sur les uns ou sur les autres. Pas plus au Cameroun qu’ailleurs. Le Cameroun est un faisceau de réalités, qui relèvent du poids de l’histoire, et qu’on retrouve dans d’autres pays quel que soit l’âge du président. Je pense surtout qu’il faut sortir de cette relation de président à président, trop personnalisée. C’est la meilleure façon de masquer les véritables réalités économiques et sociales. Il faut savoir entretenir des liens directs avec les acteurs de la société civile, être sensible à ce qu’ils nous disent, à la façon dont ils vivent.

La France doit-elle davantage se faire entendre sur les droits de l’homme, vous citez plusieurs arrestations récentes en RDC notamment… ?

En Afrique comme ailleurs, je crois que le message sur les droits de l’homme est tout à fait identifié comme étant a priori un message de la diplomatie française. Si on ne le tient pas fermement, on est très vite taxé de complaisance. Je regarde un certain nombre de manifestations qui se sont tenues ces derniers mois, ces dernières semaines ou même tout récemment au Burundi, quand un président qui veut continuer à se présenter après deux mandats, n’hésite pas à tirer sur la population. Je pense que la France doit réaffirmer un certain nombre de principes. François Hollande l’a fait avec justesse à Kinshasa ou à Dakar. C’est heureux et fort que la France porte ce message mais il faut le faire au quotidien, à chaque fois que l’actualité l’exige, c’est comme ça qu’on imprimera davantage les principes et valeurs qui sont les nôtres.

Votre rapport étudie la relation avec les pays africains francophones. Cette distinction francophone/anglophone n’est-elle pas un peu datée, à l’heure où les entreprises traversent les frontières ?

Je ne suis pas sûr que les entreprises les plus significatives traversent si facilement les frontières. On s’est surtout concentré sur les pays francophones car on considérait qu’il y avait un lien plus fort depuis longtemps et une culture partagée dont on voulait mesurer les effets dans les réalités sociales et économiques. Je peux convenir que pour partie, ces clivages-là sont un peu dépassés.

Quel regard portez-vous sur le projet d’électrification de l’Afrique porté par Jean-Louis Borloo ?

C’est bien. Cela rassemble des moyens. C’est un objectif qu’il faut savoir tenir parce que cela peut concerner une large partie de la population africaine. Mais il faut le faire en coordination avec la population. Si cela reste une superstructure qui plane au-dessus des États africains, j’ai un doute sur l’efficience de la démarche. Mais je ne veux pas jeter le bébé avec l’eau du bain, on verra d’ici quelques années à partir des crédits rassemblés aujourd’hui. L’électricité c’est déterminant pour l’Afrique, dans les décennies à venir, il faut qu’un cap en termes d’infrastructures soit passé. Ces enjeux ne pourront pas être résolus par la seule action de Jean-Louis Borloo. Cela nécessite des dizaines de milliards d’euros et une mobilisation planétaire, au niveau des Nations Unies. 

Entretien réalisé par Adrien de Calan

Quand Jacques Foccart sort de l’ombre



Foccart 1Qui était Jacques Foccart ? Était-il ce démiurge tout puissant de la Françafrique qui d’un simple coup de téléphone faisait et défaisait les gouvernements africains, tel que l’ont fantasmé nombre de commentateurs ? Organisé à Paris le 26 et 27 mars à l’initiative des Archives nationales françaises, un récent colloque apporte un éclairage utile sur cette personnalité complexe, habituellement décrite comme l’âme damnée du général de Gaulle en Afrique, et plus largement sur le système d’influence politique mis en place par la France à l’aube des années 1960.



L’histoire sert justement à échapper au fantasme, ont martelé les nombreux africanistes rassemblés à Paris, explorant les facettes politiques et géographiques du « parapluie » déployé par la France, pour protéger ses intérêts et maintenir son influence en Afrique malgré la décolonisation.



Plus qu’un être seul, Jacques Foccart, à la tête du Secrétariat général des Affaires africaines et malgaches (1960-74) de l’Elysée, est d’abord l’un des visages certes discret, d’un système et d’une stratégie politique décidée par de Gaulle. « Pour de Gaulle, le grand dessein de la France c’est l’influence africaine, surtout dans le contexte de Guerre froide. La France a besoin de l’Afrique, pour des raisons économiques mais aussi sur la scène internationale pour avoir des voix supplémentaires à l’ONU. Foccart est avant tout le tacticien de cette stratégie », explique Jean-Pierre Bat, historien et archiviste auteur de plusieurs livres sur Foccart et ses réseaux, et qui vient de rendre public l’inventaire du fonds Foccart, à l’origine du colloque parisien.



Le « Monsieur Afrique » de l’Elysée est en charge d’entretenir les relations directes avec les présidents africains. « Le contact personnel, la confiance dans les hommes », étaient au cœur de son fonctionnement, se souvient ainsi un ancien ambassadeur de France, présent au colloque. La France veut parfois installer mais surtout protéger les régimes amis grâce à des accords secrets de défense pour y empêcher la subversion et asseoir le pouvoir des chefs d’État alliés.



Le circuit court



Foccart influence dès qu’il le peut les nominations des ambassadeurs français sur le continent, comme Roger Barberot en Centrafrique, Maurice Delaunay au Gabon, ou Fernand Wibaux au Tchad. Adepte du « circuit court », il place des proches comme conseillers techniques auprès des présidences africaines. Des personnages sans statut officiel, les fameux « barbouzes », sont intégrés à ce système. Liés par leur passé dans la résistance, leur fidélité au gaullisme et leur haine du communisme, ils prennent bien souvent en charge la sécurité des chefs d’État.



Les archives révèlent ainsi le suivi très intense de la crise gabonaise de 1964 et la machinerie qui se met en place pour restaurer le pouvoir de Léon Mba, après le putsch dont il est la victime. « Plusieurs missions sont aussitôt dépêchées. Un policier est envoyé pour réorganiser le service de renseignement. Bob Maloubier est lui chargé de créer la garde présidentielle et assurer la sécurité politique et physique de Mba. Et enfin une mission politique a lieu avec l’envoi d’un ancien de la Coloniale Guy Ponsaillé, qui fut préfet au Gabon avant d’être embauché par Elf », décrit Jean-Pierre Bat.



Mais la stratégie connaît aussi des échecs comme à Brazzaville en août 1963, où l’abbé Fulbert Youlou est renversé, malgré la présence sur le terrain de « Monsieur Jean », Jean Mauricheau-Beaupré, fondé de pouvoir personnel de Foccart, et incarnation des « barbouzes » de l’époque.



Les historiens réunis à Paris relativisent toutefois le mythe d’un Foccart tout puissant sur le continent. « Pour le cas de Madagascar, qui est un pays clé dans la stratégie africaine française, Foccart est d’abord un observateur très informé, une tour de contrôle entre les mains duquel circulent des documents nombreux et de toute nature: correspondance diplomatique, rapport des services… Mais il n’est pas directement acteur. Les responsables militaires sur le terrain ou ceux du renseignement ont leur logique propre », analyse l’historien Nicolas Courtin.



De la même façon, le fonctionnement du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (le SDECE, ancêtre de la DGSE), échappe en partie à Foccart, qui a une conception « très traditionnelle et un peu datée » des renseignements, estime le spécialiste Sébastien Laurent. Même si Foccart a une relation de grande proximité avec Maurice Robert, le directeur Afrique du SDECE.



La relation de la France avec ses alliés africains au premier rang desquels Houphouët-Boigny, n’est pas non plus aussi verticale qu’on a pu la décrire et les acteurs de ce système conservent des marges de manoeuvre. Le président ivoirien, surnommé Big Brother par un proche de Foccart, est ainsi un « fin politicien », estime Jean-Pierre Bat, qui a ses propres relais et joue un rôle très important dans l’installation des chefs d’Etat alliés en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale à partir de 1956. Abidjan est pendant bien longtemps le centre névralgique de ce « syndicat des chefs d’Etats africains » francophones, avant qu’il ne se déplace vers le Gabon, sous l’influence grandissante d’Omar Bongo.



Enfin, le mythe Foccart, qui en bon homme de l’ombre ne cesse d’attiser la curiosité médiatique, sert aussi à protéger le vrai décideur de Gaulle. Foccart endosse volontiers ce rôle de « paratonnerre » du général, auquel il voue une admiration sans borne et dont il est sans doute le plus intime collaborateur, reçu quotidiennement entre 1959 et 1969. En s’attribuant la responsabilité des coups tordus, des opérations secrètes ou polémiques menées par la France, Jacques Foccart préserve l’image héroïque de son mentor et entretient la geste gaulliste. 

Is Africa suffering from its Oil ?

The Impact of Oil in the Niger DeltaIn many Central African countries, oil has become a poisoned gift. Instead of benefitting from this ressource, many countries are undermined by the effects of corruption and clientelism.

In 1992, during the electoral campaign, the Congolese President Pascal Lissouba wanted « to transform Congo into Switzerland ». Two decades later, his promise has left a bitter taste. In this small oil-state, half of the population lives below the poverty line and the country was ranked at the 140th place in the UNDP human development indicator. Switzerland seems like a faraway dream.

However, on paper, Congo seems like a dreamland, as would think former President Pascal Lissouba. The country has a 5 % growth rate, over 4 million population, a big tropical forest around the Congo Basin in the north of the country, a coastline in the south-west, the majestic Congo river in the East, an ideal climate for agriculture and of course oil. With an estimated production of 263 000 barils per day, the precious black gold is at the heart of the Congolese economy. It represents 60 % of the GDP, 75 % of the public revenues and 90 % of the exports. This is exaclty where the problem lies.

As a matter of fact, many countries in Central Africa such as Congo-Brazzaville, as well as Equatorial Guinea and Angola are affected by the « curse of natural ressources ». British economist, Richard Auty, coined the phrase in 1993 to describe this paradox. The abundance of natural ressources has the opposite effect. Instead of encouraging growth, it slows down the economic development.  However, other countries that are less priviledged by nature are much more efficient economically.

Many political and economical explanations have been found to explain this situation. Oil (as well as other natural ressources) relies on a « rent economy », thus transforming the political game into a fight for ressources. In a recent article*, political expert Michael Ross associates three direct consequences to this situation. Oil rents support the authoritarian regime, promote corruption and clientelism and cause conflicts and civil wars (in Congo-Brazzaville and Angola for example).

Oil does promote a fast and relatively high economic growth. However, it makes the countries more vulnerable and more dependent on the volatility of oil prices. The appreciation of the currency can also have a negative impact on the exports in other sectors. Thus, imports will be favoured to the detriment of the development of the national production and diversification of the agriculture and industries.

A poisoned gift

If there are no institutional control or strong safeguard, oil can indeed become a poisoned gift. « The countries that depend the most on oil are the least democratic, the most corrupt and have the highest inequalities », bluntly states Marc Guéniat, survey officer for the Berne Decalaration (a Swiss NGO that analyses and identifies the role of Swiss traders in African oil-states). «If not a direct link, we can say that there is at least a correlation between oil and lack of democracy. However, some oil-states like Norway are models of democracy. »

Oil rents support the post colonial and neo-patrimonial African State. In this model, the ruling class mixes up public property with private interests and uses power to accumulate all the wealth shared by a small and priviledged class of people. A recent case of illegal assets under investigation in France involved Gabon, Congo-Brazzaville, Equatorial Guinea and Angola. Heads of State and their close relations and children are also involved in cases of concealment of stolen assets and accumulation of luxurious goods (mansions, appartements, vehicles) that are not justified by their positions and their declared income.

In these countries, the people who manage the oil sector and the economy are generally very close to those in power. For instance, in Congo-Brazzaville, Denis Christel Sassou Nguesso, son of the current President and deputy of the Oyo district, is also the Deputy General Director of the oil sector downstream of the National Oil Company (SNPC). In Angola, President Eduardo dos Santos' children also hold key-positions. Isabel or « Princess », the eldest one, is ranked by Forbes as the richest woman in Africa. She holds shares in many companies in Angola and Portugal. José Filomeno, her brother, manages the sovereign wealth of the country. Teodorin Obiang, involved in recent cases of illegal assets, is currently the Defence Minister and 2nd vice-president of Equatorial Guinea.

« One group of people controls the central bank in these States. They think their country is a playground. There are many latent conflicting interests, in Congo-Brazzaville for instance. The director of the SNCP (company managing oil contracts) is Denis Gokana. He is also the founder of the main private oil company in the country, African Oil and Gas Corporation, and signs deals with the State », claims Marc Guéniat.

Treating the disease

What are the solutions for this dreaded disease?

According to the Swiss researcher, the first and most important step is transparency. For him, "the public tenders should have clear and precise criteria. All the financial statements of public oil companies must be published. At the moment, the actions of these companies are very unclear. The financial statements of these companies are nowhere to be found. In other countries such as France, it would be unthinkable for public companies to not publish their financial statements and report their activities".

The Extractive Industries Transparency Initiative (EITI) was launched in 2003 to gather companies, NGOs and States willing to respect the norms on the improvement the governance of natural ressources. The countries mentioned above are far from being the best example. Gabon was removed from the ITIE because there was « no significative progress » on their part. Equatorial Guinea applied to join in 2007 but could not become a member because they did not fulfill the elligibilty criteria. Angola did not want to join the Initiative. Congo-Brazzaville has joined the ITIE and significative progress has been seen by the civil society. The State has indeed published the 2013 report on 31st December 2014 on all the oil revenues and its importance in the country's economy. The civil society claims that there is still a lack of transparency regarding some contracts, especially with Chinese partners.

In the long run, the reinforcement of the counterpowers and institutions is the solution. The oil found recently in Ghana should be beneficial to the country, according to researchers Dominik Kopinski, Andrzej Polus et Wojciech Tycholiz**. After many alternations and a peaceful succession to power, democracy is solidly implanted. The economy in Ghana is diversified and the civil society is very vigilant and demands a proper legal framework for the exploitation of oil. Thus, the country should be protected from the « disease of oil ».

Botswana is yet another example. The country's diamond industry is very successful. Even before this industry developped, the country had very stable institutions. Political leaders were determined to favour the national interest over any tribal interests. The authorities implemented transparent rules, such as the transfer to the public authorities of the tribes' rights to exploit mining industries. The budget is also managed responsibly. The diamond industry cannot fund any of the public expenditures.

The « natural ressources disease » is thus, nor automatic nor untreatable. As say World Bank experts Alan Gelb et Sina Grasmann***, « poppy seeds are not responsible for heroin addiction. The most important thing is to strengthen the people and the institutions in the exploitation of natural ressources».

The challenge here, is to use oil revenues as a lever for redistribution and investment in order to diversify the economy and develop education and health system. This challenge is huge but necessary for these countries where the youth is eager for a good education, employment and opportunities. The oil sector, alone, will not be able to take up this challenge.

Translated by Bushra Kadir

*Ross, Michael L., What Have We Learned about the Resource Curse? (June 20, 2014). Link: http://ssrn.com/abstract=2342668

**Kopinski Dominik, Polus Andrzej et Tycholiz Wojciech, “Resource curse or resource disease? Oil in Ghana”, African Affairs, 112/449, 583–601

***Gelb Alan, Grasmann Sina, « Déjouer la malédiction pétrolière », Afrique contemporaine 1/ 2009 (n° 229), p. 87-135

URL: www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2009-1-page-87.htm.

Quelle unité pour l’Afrique ? Entretien avec Amzat Boukari-Yabara

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« Africa Unite  ! », c’est le slogan mobilisateur de Bob Marley qu’a choisi l’historien Amzat Boukari-Yabara pour nommer son histoire du panafricanisme, parue à l’automne chez La Découverte.

Dans un livre stimulant et documenté, le chercheur retrace les grandes étapes de ce mouvement intellectuel, politique et culturel, qui appelle à l’émancipation et à l’unité africaines.

Depuis la révolution haïtienne en 1791 jusqu’à l’élection de Barack Obama, en passant bien sûr par les indépendances africaines et les luttes anti-impérialistes de Kwame Nkrumah au Ghana ou Thomas Sankara au Burkina Faso, il dessine une histoire globale qui, jusqu’à aujourd’hui, manquait à la littérature francophone. Boukari-Yabara y fait aussi oeuvre de militantisme, sans se dissimuler. Membre de la Ligue panafricaine-Umoja, il appelle au renouvellement du panafricanisme, conscient des réussites et des limites des expériences passées, et à la recherche de nouvelles inspirations, du côté par exemple, du bolivarisme controversé d’Hugo Chavez.

Bien sûr, ses prises de position, volontiers alternatives, parfois manichéennes, feront débat. Mais les questions qu’ils posent sur l’identité et le projet africains sont cruciales. Et font écho à la démarche menée par L’Afrique des idées, d’où la volonté de le rencontrer pour cet entretien.

Dans votre ouvrage, vous soulignez les origines américaines et caribéennes du panafricanisme…

Oui. L’unité avait déjà été pensée en Afrique dans les empires précoloniaux avant la traite et l’esclavage. Mais à partir du XVIIIe siècle aux Amériques, elle se construit en réaction au capitalisme et à l’esclavagisme. Les idées fondatrices du panafricanisme émergent: l’idée de libération, et qu’en s’unissant on devient plus fort.

Plus largement je voulais écrire une histoire des idées sur la longue durée. Chacun a une vision très parcellaire et parfois sectaire du panafricanisme. Certains diront, ce n’est que Marcus Garvey, que Nkrumah ou que Sankara. Il n’y avait pas vraiment de synthèse qui associe ces figures dans un même mouvement et qui montre dans des circonstances précises quelles ont été leurs prises de position. Plus que des histoires individuelles, le panafricanisme est une vision du monde, une globalisation à partir de l’Afrique, pour redonner une place aux Africains dans les rapports de forces internationaux. Je voulais montrer les enjeux et les débats qui ont animé toute cette histoire du panafricanisme dans sa complexité.

Pourquoi critiquez-vous autant les présidents francophones comme le Sénégalais Senghor ou l’Ivoirien Houphouët-Boigny ?

Le panafricanisme a échoué à cause des Francophones et leur attachement à la France. Dès 1919, pour le premier congrès panafricain, le député Blaise Diagne se place en rupture avec la tendance caribéenne et anglo-saxonne. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Senghor écoute davantage Kwame Nkrumah quand il essaye de mobiliser des députés francophones. Mais finalement, lui aussi se réalignera sur la France plus tard en endossant un rôle conservateur au moment par exemple de la guerre de libération de la Guinée-Bissau.

C’est aussi lié à deux modes de colonisation. Les Britanniques, avec leur indirect rule, ont été beaucoup plus pragmatiques et conciliants que la colonisation française. On le voit très bien avec Kwame Nkrumah. Il gagne les élections législatives et est nommé Premier ministre alors qu’il est en prison. Les Britanniques ont eu une forme de fair-play. Dans une colonie française, il n’aurait sans doute pas été libéré, les élections auraient été truquées et il serait mort en prison comme bien d’autres.

La confrontation entre Nkrumah et des dirigeants francophones comme Houphouët-Boigny est révélatrice de deux visions de l’Afrique qui s’opposent, et montre qu’il n’y a pas toujours un alignement des Africains sur ce que décide la métropole. Mais la plupart de ceux qui se revendiquaient de la vision de Nkrumah ont été éliminés dans les années 60. Il y a un cimetière de martyrs dans ce livre, qui disparaissent les uns après les autres. C’était important à rappeler. Que le panafricanisme est aussi extrêmement fragile. L’héritage de ces figures a souvent été balayé voire discrédité.

Le risque n’est-il pas de faire une histoire héroïque et légendaire de Nkrumah, Sankara ?

Je crois avoir fait un livre équilibré. Je souligne aussi les échecs. Je montre qu’à la fin, Nkrumah évolue vers une forme de dictature. Je dis aussi que Sankara ne faisait pas l’unanimité. Il y a des contradictions internes dans les sociétés où ces personnalités ont évolué. Même Garvey, je l’égratigne. Je ne fais pas du Lilian Thuram, ce ne sont pas mes étoiles noires. Ni un ouvrage à la gloire des héros. Ce qui m’intéresse c’est le contexte, l’historicité de leurs parcours, pas de faire une histoire romantique. Je parle aussi des difficultés liées à l’arrivée de Noirs américains en Afrique, qui n’y étaient pas attendus, et qui créait des tensions… J’ai voulu montrer les échecs pour comprendre quelles sont les erreurs à ne pas commettre pour les personnes qui voudraient relancer cette dynamique. J’en parle en conclusion en citant Amilcar Cabral, « ne cachez pas les difficultés, les fautes, les échecs, ne criez pas trop vite victoire… ».

JPG_Africa Unite 120315La force de votre livre, c’est aussi de restituer la vitalité de villes comme Accra et Dar Es Salaam des années 60 ou 70 où tout le monde se croise: intellectuels, artistes, responsables politiques…

Oui, c’est l’écrivain kenyan Ngugi Wa Thiong’o qui parlait de « hub intellectuel révolutionnaire » pour Dar es Salaam. C’est ça le grand défi. On me pose souvent la question: qui aujourd’hui représente le panafricanisme ? Mais on ne peut pas citer des noms mais des lieux, là où la mémoire du panafricanisme est inscrite. La Tanzanie et le Ghana, ce sont les deux États où a vraiment existé dans un temps très court certes, mais dans un temps réel, une politique panafricaniste en tant que telle. Accra, c’était un point d’entrée de la diaspora noire des Amériques, de retour sur le continent. Ce n’est pas un hasard si Obama a fait son grand discours sur l’Afrique à Accra. Il y aussi la Tanzanie de Julius Nyerere, qui a déjà disparu depuis presque 20 ans, et qui a proposé un modèle de leadership de type panafricain. Enfin il y a plus tard l’expérience de Sankara, qui est beaucoup plus chaotique, courte et interrompue dans la brutalité. Mais qui fait ressurgir un espoir aujourd’hui au Burkina Faso.

J’ai ainsi voulu mettre en place une cartographie du panafricanisme, en soulignant également le rôle des pays originels, Haïti, le Libéria, l’Ethiopie… Ou l’Amérique du Sud et de la Caraïbe qui sont souvent oubliées alors qu’il y a eu aussi des mouvements de retour vers l’Afrique qui ont parfois mieux fonctionné que celui des Noirs américains.

La rhétorique anti-impérialiste n’est-elle pas à double tranchant, volontiers mobilisée par des dirigeants très controversés comme Sékou Touré ou Kadhafi ?

Le panafricanisme a été discrédité par des pratiques. On a voulu le caricaturer en l’associant à Kadhafi. Alors que Kadhafi était dans une logique du « moi moi moi » et que dans la dernière décennie de son règne, il s’est aligné sur Paris, et les États- Unis. On a ainsi un certain nombre de régimes qui se revendiquent du panafricanisme, mais qui sont dans l’imposture, puisque finalement ils relaient l’impérialisme. Prenez Yoweri Museveni en Ouganda. Museveni a organisé le 7e congrès panafricain à Kampala, dans sa jeunesse il était à Dar Es Salaam autour de figures importantes comme Walter Rodney ou Nyerere qui l’ont formé. Aujourd’hui, c’est le pion des Américains dans l’Afrique des Grands Lacs. Kagame pareil, derrière sa posture d’homme fort qui peut plaire à beaucoup de jeunes Africains, parce qu’il répond aux Occidentaux. Mais tout ce qui est opposition à l’impérialisme ne signifie pas nécessairement panafricanisme. Le dernier exemple en date c’est Mugabe.

Quel regard portez-vous sur l’Union africaine aujourd’hui ?

Il y a une institution en laquelle je crois, c’est celle du Parlement panafricain. Encore faudrait-il qu’il soit doté d’un réel pouvoir et composé de personnes réellement panafricanistes. C’est l’espace où on peut avoir des débats et faire remonter les aspirations populaires.

Après, pour tout ce qui est à Addis-Abeba, c’est assez figé, notamment parce que ce qui est décidé dépend en grande partie du gouvernement éthiopien. Cela crée des quiproquos. Lors du cinquantenaire de l’OUA (ancêtre de l’UA), François Hollande a été invité par le gouvernement éthiopien et pas par l’Union africaine, ça a pu être mal perçu. L’Union africaine doit se décentraliser, sortir de l’institutionnalisation, ouvrir des antennes sur le continent, avoir une visibilité auprès des populations, financer des programmes sociaux concrets. Sur le continent africain, elle doit devenir plus visible que l’ONU, le PNUD ou la FAO pour montrer qu’elle existe.

C’est une remise en cause de ce système fondé sur les chefs d’État. La réunion de 54 chefs d’État, dont aucun ne mène dans son pays une politique panafricaniste, ne peut pas donner quelque chose de panafricain. Quand les dirigeants expulsent les étrangers ou refusent depuis cinquante ans de construire un pont entre les deux capitales les plus proches du monde (Kinshasa et Brazzaville, séparées par le fleuve Congo), ils montrent dans leurs politiques nationales qu’ils sont contre cette idée d’unité. Ce n’est pas en les rassemblant que le panafricanisme nait.

Que faut-il faire alors ?

C’est un travail de longue haleine. Il faut travailler les sociétés en profondeur pour voir émerger de nouveaux leaders. Et faire évoluer les paysages politiques africains. Nous devons porter un regard critique sur ce qu’on a appelé l’ouverture au multipartisme des années 1990 qui a vu pulluler énormément de partis, entre 50 et 500 selon les pays. Ils brouillent le paysage politique et appartiennent souvent à des entrepreneurs politiques qui surfent sur la vague de la démocratisation pour chercher à s’accaparer des ressources. Il faut revenir à quelque chose de plus serré, plus clair avec moins de partis mais des grandes coalitions. C’est là que le panafricanisme doit jouer un rôle car il doit y avoir un parti panafricaniste à l’échelle continentale.

Il faut aussi mieux informer les Africains. L’Union africaine est très mauvaise en communication. Elle a perdu la bataille médiatique. On l’a vu lors de la guerre de Libye. Quand on n’est pas capable de s’imposer médiatiquement, on est faible.

Que retenez-vous de l’expérience de l’Union européenne, dont le projet semble en crise aujourd’hui ?

L’Union européenne est un modèle dans sa construction initiale. Elle est partie d’un noyau dur. Et l’Afrique pour s’unir doit elle aussi partir d’un noyau dur. C’est ce que Nkrumah avait commencé à faire avec Ghana-Guinée-Mali. Si on avait suivi cette dynamique-là, le panafricanisme aurait pu triompher. Ce qui a cassé la dynamique, c’est la création de l’OUA qui a mis tout le monde dans la même organisation alors que les gens n’étaient absolument pas d’accord, ça a freiné l’unité. Quand l’Union européenne a réussi à s’organiser de manière graduelle.

Il faut rejeter les politiques néolibérales et la technocratie de l’Union européenne. Mais saisissons ce qui peut être pertinent dans cette expérience comme les échanges universitaires Erasmus, qui contribuent vraiment au rassemblement des peuples et à la formation d’une conscience commune des jeunes Européens et qu’il faudrait reproduire en Afrique. Ou un projet industriel d’envergure à l’image d’Airbus. Aujourd’hui le continent a tous les minerais possibles pour créer une voiture 100% africaine ou un avion 100% africain comme le Brésil le fait. Cela peut être le point de départ d’une dynamique panafricaine. 

L’Afrique, malade de son pétrole ?

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Le pétrole, au lieu de profiter aux pays, se transforme bien souvent en cadeau empoisonné, notamment dans les États d’Afrique centrale, minés par le clientélisme et la corruption.

« Je ferai du Congo une petite Suisse », s’enthousiasmait en 1992 le futur président congolais Pascal Lissouba, en pleine campagne électorale. Plus de vingt ans après, sa promesse, qui déjà à l’époque prêtait à sourire, laisse un goût d’amertume. Dans ce petit État pétrolier, près d’un Congolais sur deux vit toujours sous le seuil de pauvreté et le Congo figure à la 140e place dans le classement des indicateurs de développement humain (IDH), que réalise le PNUD chaque année. La Suisse paraît bien loin.

Sur le papier pourtant, le Congo ressemble bien à ce pays de cocagne dont rêvait l’ancien président Pascal Lissouba: une croissance de plus de 5%, un peu plus de 4 millions d’habitants, la grande forêt tropicale du bassin du Congo au nord, une façade maritime au sud-ouest, le majestueux fleuve Congo à l’est, un climat idéal pour l’agriculture, et surtout du pétrole. Avec une production estimée à 263 000 barils par jour, le précieux or noir est le cœur de l’économie congolaise, il représente au moins 60% de son PIB, 75% des recettes publiques et 90% des exportations. Et c’est sans doute là que le bât blesse.

Car le Congo-Brazzaville, comme ses voisins de Guinée équatoriale, du Gabon ou d’Angola semblent emblématiques de « la malédiction des ressources naturelles » qui frappe tout particulièrement l’Afrique centrale. C’est l’économiste britannique Richard Auty qui le premier a théorisé en 1993 cet apparent paradoxe: l’abondance en ressources naturelles d’un pays au lieu de lui profiter, ralentit sa croissance et son développement, quand d’autres États moins favorisés par la nature réussiront beaucoup mieux.

Les explications développées depuis par les chercheurs sont nombreuses et relèvent aussi bien de mécanismes politiques qu’économiques. Le pétrole (comme d’autres ressources naturelles ailleurs) crée une économie de rente, qui transforme le jeu politique en une lutte pour la captation des ressources. Dans un récent article,[1] Le politologue Michael Ross y associe trois conséquences directes: la rente entretient les régimes autoritaires, elle favorise la corruption et le clientélisme, elle est même facteur de conflits et de guerre civile, comme celles qui ont eu lieu en Angola ou au Congo-Brazzaville.

Sur le plan économique, si elle permet une croissance rapide et parfois élevée, la rente pétrolière rend les pays vulnérables, à la merci de la volatilité des prix. Appréciant la monnaie, elle peut aussi jouer un effet négatif sur les exportations dans d’autres secteurs, et encourager les importations aux dépens de la production intérieure et de la diversification de l’économie dans l’agriculture ou l’industrie.

 Un cadeau empoisonné

Bref, le pétrole, sans institutions et garde-fous solides peut bien se transformer en cadeau empoisonné.  « Les pays les plus dépendants au pétrole sont les moins démocratiques, les plus corrompus et ceux où les inégalités sont les plus fortes », explique ainsi sans détour Marc Guéniat, responsable enquête de la Déclaration de Berne, une ONG suisse qui analyse et dénonce le rôle des négociants suisses dans les pays pétroliers africains. « Évoquer un lien causal entre le pétrole et l’absence de démocratie est peut-être exagéré, mais on observe de toute évidence une corrélation », ajoute-t-il, « même si certains États pétroliers comme la Norvège sont des modèles de démocratie».

La rente pétrolière entretient ainsi le modèle de l’État post-colonial africain “néopatrimonial” où la classe dirigeante confond biens publics et intérêts privés et transforme le pouvoir en un exercice d’accumulation de richesses partagées par un club restreint de privilégiés. Gabon, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale et Angola, autant de pays cités dans l’affaire des biens mal acquis, dont l’instruction est en cours en ce moment même en France. Les chefs d’État, certains de leurs enfants et de leurs proches sont visés par une plainte pour recel de détournement de biens publics, soupçonnés d’enrichissement et d’accumulation de biens luxueux (hôtels particuliers, appartements, automobiles…) sans rapport avec leurs postes et leurs revenus officiels.

Dans ces pays, la gestion du secteur pétrolier et de l’économie en général est stratégiquement attribuée à des proches du pouvoir. Au Congo-Brazzaville, Denis Christel Sassou Nguesso, fils du président actuel et député dans la circonscription d’Oyo, est le directeur général adjoint de l’aval pétrolier de la SNPC, la société nationale des pétroles du Congo. En Angola, les enfants du président Eduardo dos Santos exercent eux aussi des responsabilités clés. À l’ainée Isabel, surnommée « la princesse » et considérée par le magazine Forbes comme la femme la plus riche d’Afrique, des participations dans de nombreuses entreprises angolaises et portugaises ; à son frère, José Filomeno, la gestion du fonds souverain angolais. Teodorin Obiang, régulièrement cité dans l’affaire des biens mal acquis est quant à lui ministre de la Défense et 2ème vice-président de la Guinée équatoriale.

 « Un clan a la main mise sur la banque centrale dans ces États. C’est leur porte-monnaie. Ils considèrent leurs pays comme leurs jardins. Les conflits d'intérêts sont patents, comme au Congo Brazzaville. La SNPC, la compagnie publique qui attribue et gère les contrats pétroliers, est présidée par Denis Gokana. Cette même personne est simultanément le fondateur de la principale entreprise privée pétrolière du pays, African Oil and Gas Corporation, qui signe des contrats avec l’Etat », dénonce encore Marc Guéniat.

Soigner la maladie

Alors quels remèdes pour faire face à cette redoutable maladie ?

Pour le chercheur suisse, la première et indispensable étape c’est la transparence : « des appels d’offres publics avec des critères clairs et précis, la publication de l’intégralité des comptes des sociétés pétrolières étatiques dont l’action est aujourd’hui complètement opaque. Pour l’instant, ce sont de véritables boites noires. Les comptes ne sont pas publiés et introuvables. Que penserait-on en France si des entités publiques comme la SNCF ne rendaient pas compte de leurs activités ?… ».

Pour progresser dans cette voie, la communauté internationale a lancé en 2003 l'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), qui rassemble entreprises, ONG et États producteurs volontaires qui s’engagent à respecter des normes sur l’amélioration de la gouvernance des ressources naturelles. Mais les pays cités ici sont loin d’être exemplaires. Le Gabon a ainsi été radié de l’ITIE, parce qu’« aucun progrès significatif » n’y a été constaté. La Guinée équatoriale a posé sa candidature en 2007 mais n’a jamais pu devenir membre faute d’avoir rempli les critères d’admission. L’Angola n’a visiblement pas souhaité y prendre part. Seul le Congo-Brazzaville participe à l’ITIE, et des progrès notables y ont été relevés par la société civile, avec la publication in extremis par l’État du rapport 2013, le 31 décembre 2014, qui décrit les recettes tirées de la production pétrolière et leur place dans l’économie du pays. Une société civile qui ne manque pas toutefois de dénoncer l’opacité de certains contrats avec les nouveaux partenaires chinois notamment.  

À plus long terme, la solution passe aussi par une consolidation des contrepouvoirs et des institutions. Ainsi le pétrole récemment trouvé au Ghana pourrait bien profiter au pays selon les chercheurs Dominik Kopinski, Andrzej Polus et Wojciech Tycholiz[2], parce qu’après plusieurs alternances et une succession pacifique au pouvoir, la tradition démocratique y est solidement ancrée. L’économie ghanéenne diversifiée et une société civile vigilante, qui réclame un cadre juridique précis pour l’exploitation du pétrole, tendent aussi à préserver le pays de la maladie du pétrole.

Autre exemple régulièrement cité, le Botswana et sa gestion du diamant couronnée de succès. Le pays a bénéficié d’une stabilité institutionnelle, antérieure à l’exploitation du diamant, avec des responsables politiques bien décidés à privilégier l’intérêt national sur les intérêts tribaux. Puis les autorités ont fixé des règles claires comme le transfert à la puissance publique des droits des tribus à exploiter les concessions minières. Mais aussi l’adoption d’une gestion budgétaire prudente, qui interdit de financer les dépenses courantes de l’Etat avec la rente diamantaire.

La maladie des ressources naturelles n’est donc ni automatique ni incurable, assurent ainsi les experts de la Banque mondiale Alan Gelb et Sina Grasmann parce qu’on “on ne peut tenir les graine de pavot responsables de l’addiction à l’héroïne”[3]. « L’essentiel est de compléter les ressources naturelles par un capital humain est institutionnel suffisant », expliquent-ils un brin laconiques.

Utiliser la richesse pétrolière comme un levier de redistribution et d’investissement pour diversifier l’économie, et développer l’éducation et la santé : le défi apparaît aussi immense qu’indispensable pour des pays à la jeunesse nombreuse, avide de formations, d’emplois et d'opportunités, que le secteur pétrolier seul sera bien en peine de lui fournir.


[1] Ross, Michael L., What Have We Learned about the Resource Curse? (June 20, 2014). Disponible en ligne sur SSRN: http://ssrn.com/abstract=2342668

 

[2] Kopinski Dominik, Polus Andrzej et Tycholiz Wojciech, “Resource curse or resource disease? Oil in Ghana”, African Affairs, 112/449, 583–601

 

[3] Gelb Alan, Grasmann Sina, « Déjouer la malédiction pétrolière », Afrique contemporaine 1/ 2009 (n° 229), p. 87-135

URL: www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2009-1-page-87.htm.

 

Kabila et Sassou face à leurs constitutions



 

 

JPG_KabilaSassou 030215Les présidents des deux Congo sont confrontés au même problème : leurs Constitutions respectives les empêchent de briguer un nouveau mandat. Mais ils ne sont pas tout à fait dans la même situation.

Ironie du sort, Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, à qui on a régulièrement prêté des différends sont confrontés exactement au même problème en ce début d’année 2015. Et il se résume à chaque fois à un numéro: 57 (et 58) au Congo Brazzaville et 70 en RDC, les articles constitutionnels qui les empêchent de briguer un troisième mandat à la tête de leur pays. Si la loi fondamentale reste en l’état et si ils la respectent, Sassou Nguesso, tout comme Kabila auront quitté le pouvoir fin 2016.

Après le précédent burkinabè, le débat fait donc rage à Brazzaville comme à Kinshasa, les deux capitales les plus proches du monde – séparées seulement par le fleuve Congo, franchi en sept minutes de canot rapide, avant d’affronter les formalités administratives qui dureront elles beaucoup plus longtemps,  qu'importe la rive où l’on accoste.

À Brazzaville, le sujet est officiellement sur la table depuis le 31 décembre et l’appel du principal mouvement de la majorité, le Parti congolais du travail (PCT), à la rédaction d’une nouvelle Constitution, plus adaptée à la situation du pays. L’ancien texte serait dépassé estime le parti du président Sassou, car rédigé en 2002 dans une période post-conflit, après la sanglante guerre civile qu’a connu le pays.

Bien sûr cette nouvelle Constitution n’a rien à voir avec l’éventualité d’une énième candidature du président Sassou, assure le PCT… Pourtant, l’opposition et quelques rares dissidents de la majorité y voient une simple manœuvre pour justifier un « coup d’État constitutionnel », assurant le maintien au pouvoir du chef. Denis Sassou Nguesso a quant à lui sobrement jugé sain et démocratique un tel débat constitutionnel dans son message de vœux à la Nation.

À Kinshasa, le débat a pris un tour nouveau depuis les violences survenues entre le 19 et le 22 janvier dans la capitale et à Goma à l’est du pays. À l’origine de ces affrontements, dont le bilan est  estimé par les ONG à plus de quarante morts, un projet de loi électorale qui a mis le feu aux poudres. En effet, un article particulièrement controversé, y laissait craindre un report de l’élection présidentielle, ce qui n’était pas tout à fait du goût de l’opposition. Celle-ci dénonçait, là encore, une tentative du président Kabila de s’accrocher au pouvoir. Face à la contestation populaire, l’article a finalement été retiré.

Preuve qu’à Kin’, comme à Brazza, la question constitutionnelle est sensible, même si en RDC ni le parti majoritaire (le PPRD), ni le président n’ont officiellement pris position dans le débat.

Deux situations bien différentes

Les deux chefs d’État sont donc face au même défi, ils restent néanmoins dans des situations bien différentes, autant liées à la nature de leurs pays qu’à l' histoire politique de chacun d'entre eux..

Il y a d’abord un géant face à un petit poucet. La RDC avec ses 80 millions d’habitants est l'un des pays les plus grands et peuplés d’Afrique. Et plusieurs parties du territoire échappent encore au contrôle des autorités à l’est du pays et dans le nord de la province du Katanga. Maï Maï, ADF Nalu, ou anciens rebelles hutus rwandais FDLR… les difficultés avec les groupes armés sont loin d’être réglées dans les Kivus.

Par contraste, le Congo-Brazza avec ses quatre millions d’habitants, fait figure de petit pays tranquille. Et Brazzaville de village paisible qui dévisage avec inquiétude la « Gotham City » Kinshasa aux grandes tours défraichies. Le calme, la paix, après la guerre civile de 1997 qui a marqué les esprits sont d’ailleurs les arguments volontiers convoqués par le camp du président Sassou pour appeler à son maintien au pouvoir.

Sassou et Kabila, c’est aussi deux personnalités et deux situations politiques très différentes.

À 43 ans, Joseph Kabila reste un chef d’État énigmatique et discret, assez malicieux certainement pour avoir échappé, depuis 2001 et l’assassinat de son père, aux chausses trappe inhérentes à l’exercice du pouvoir en RDC. Il reste toutefois très difficile de mesurer la nature et l’étendue de son autorité quand les richesses du sous-sol de son pays et le désordre qui y règne renforcent sans cesse les convoitises et les rivalités.

Sur le plan intérieur, Kabila dispose de concurrents reconnus comme Etienne Tshisekedi, le leader de l’UDPS apprécié notamment à Kinshasa et qui revendique depuis 2011 sa victoire aux dernières élections présidentielles.  Dans la majorité même, des concurrents s’affirment et affichent leur opposition à la révision constitutionnelle. Depuis quelques semaines, le charismatique gouverneur du Katanga, Moise Katumbi, connu pour les succès de son équipe de football le Tout Puissant Mazembe, fait ainsi parler de lui en rejetant implicitement une nouvelle candidature de Kabila. Et il n’est pas le seul au sein de la majorité à prendre ses distances.

À 71 ans, Denis Sassou Nguesso est lui un animal politique  plus expérimenté. Il a déjà plus de trente ans de pratique du pouvoir derrière lui, malgré la parenthèse de la présidence Lissouba entre 1992 et 1997 avant son retour par les armes. Le président a habilement fragilisé les partis d’opposition historique comme l’UPADS, celui de l’ancien président Lissouba, ou le MCDDI, celui de feu Bernard Kolélas, autre rival des années 1990, en attirant ses adversaires dans son giron grâce ,disent ses détracteurs, à l’attraction qu’exercent les richesses pétrolières du pays. Au sein de l’opposition, on serait ainsi bien en peine de distinguer des figures fédératrices et reconnues par la population. Des opposants minoritaires existent bel et bien mais ils ont du mal à se faire entendre dans un paysage médiatique sous contrôle.

Quant à la majorité, à l’image du PCT, héritier des années socialistes au Congo, elle reste à l’unisson avec son chef, même si quelques dissonances notables apparaissent ces dernières semaines par les voix d’anciens ministres comme André Okombi Salissa ou Charles Zacharie Bowao ou même d’un membre du gouvernement actuel Guy Parfait Kolélas (fils de Bernard…), opposées au changement constitutionnel.

Homme d’expérience, par contraste avec un Kabila bien discret sur la scène diplomatique, Sassou Nguesso exerce aussi son influence à l'international depuis de nombreuses années avec la confiance de ses partenaires. Il est par exemple le médiateur dans la crise centrafricaine. 

Un même défi donc et des situations différentes pour les présidents Kabila et Sassou. Mais ces réalités dans toute leur complexité ne permettent évidemment pas d’annoncer quels seront les prochains épisodes pour l’un ou l’autre de ces chefs d’Etat congolais. Qui aurait pu prédire qu'au Burkina Faso, une révolution populaire allait contraindre Blaise Comparé à quitter le pouvoir après 27 ans à la tête du pays ?

Adrien de Calan

Why is media freedom questionnable in Congo-Brazzaville ?

Congo – Brazzaville is known to have a very fragile media in Central Africa. Since the country transitionned to political pluralism after its Sovereign National Conference in the 1990s, the media was also diversified. However it became more and more difficult for the journalists to be independent given the structural difficulties and the concentration of power in the hands of a few people.

A single newspaper for the whole country

The difficulties encountered in the difficult pressare absurd. Dépêches de Brazzaville is the only newspaper in Congo. It is completely commited to President Denis Sassou Nguesso. Created in 1998 by Jean-Paul Bigasse (the President's communication advisor), the newspaper was published every month in four color printing. It then turned into a weekly newspaper in 2004 and then a daily in 2007. It is one of the few newspapers to have computerised editing, a printing press and is subsidised by the State. It is the only affordablenewspaper (200 FCFA) whereas other newspapers cost at least double the price and do not receive any financial help from the state.

Other newspapers in Africa are as fragile economically. The costs are quite high in the written press, especially paper, purchased in the neighboring countries the Democratic Republic of Congo, and the printing. Except two well established newspapers, Dépêches de Brazzaville and the bi-weekly La Semaine Africaine, other newspapers such as La Rue dies and Tam-Tam Africa are published very irregularly depending on the vagaries of the troubled economy. Their journalists earn a low income and sometimes no income at all. Although there is officially a collective agreement that sets a minimum wage of 90,000 CFA francs (137 euros), it is very rarely followed.

This economic vulnerability has a direct influence on the content of the articles. It partly explains the confusion in many newspapers between articles and advertisements appearing in many media that are not presented as such. Unsufficient advertising and low sales weaken these newspapers even more. Thus the "comorra" (originating from the Democratic Republic of Congo) is widely practiced by many underpaid journalists who are paid to publish a specific press release or article.

Dangerous liaisons between politics and media

From this economic vulnerability stems other issues, one of which is the dangerous liaisons between journalism and politics. According to researcher Marie-Soleil Frère, "in Congo, the majority of the media is the instrument of individual strategies of conquest or conservation of power". Public media is in the hands of the political officials who play a direct role in the country's political game. As a matter of fact, DRTV television channel is owned by the general Nobert Dabira who is a senior Congolese official close to the government. MN TV is owned by Maurice Nguesso, elder brother of the president. Top Tv is owned by his daughter Claudia. Independent newspapers are often directly or indirectly linked to political parties or officials. "As the sector becomes more dynamic, the amount of the pro-government propaganda also increases in the columns of the newspapers and on the radio. The media contributes to the cult of personality, losing all credibility and respect in the eyes of the public". This statement could be read a few months ago in the Congolese barometer media, created by the Friedrich Ebert Foundation in collaboration with professionals of the country.

This context of over-politicization and media individualisation has several negative effects. It led some independent newspapers to become a platform for the settlement of scores in the political cenacle by relaying rumors about ministers and favouring anathema to a deep analysis. It also hinders the structuring of the profession and the establishment of professional solidarity that is essential in the most challenging times such as elections. According to "senior" professionals, this solidarity is all the more important because the profession is suffering from a deep lack of training, in a country where civil wars have greatly damaged the education system.

Another major obstacle to the independence of the press is the intimidation, especially when the political situation gets tougher. This is the case in recent weeks with the ongoing debate on the constitutional amendment that would allow the President Sassou to run for a third office. Two journalists were recently expelled: Sadio Kante Morel (freelance journalist) on September 22, and Cameroonian Elijah Smith (from MN TV) on September 26. He was physically assaulted two days after covering a meeting of the opposition.

In addition to this direct violence, many journalists state that media independence is primarily limited by self-censorship. In a context of extreme fragility, taking the risk of opposing potential funders or threathening the existence of the newspapers seems somewhat questionable. According to a report by the Panos Institute, even historical newspapers and reliable references as La Semaine Africaine, bi-weekly created in 1954, backed by the Catholic Church and the Episcopal Conference, negotiate "a relative neutrality" by supporting occasionally the system to avoid trouble and ensure its existence. But in an ultra-pyramidal political system, how can they escape this temptation?

Any solutions?

Solutions to these issues are not easy to find. However, there are interesting initiatives that attempt to solve these problems.

Firstly, the lack of means can be solved by international donations. It requires that the people suggest useful projects with a long-term training program and that international donors such as the United States or the European Union, would be solicited especially during the elections. In neighboring DRC, and in a different context, Radio Okapi has proved that with a substantial budget (millions of dollars) funded by the UN, a channel can provide independent information of quality. But this kind of financial help has its limits: what happens when the donor withdraws? Congo-Brazzaville is a stable and potentially rich country. In this situation, how to access such funds generally directed in priority to countries which are in crisis?

Digital technology is a major opportunity in a country where an entrepreneur, Verona Mankou, claims to have created the first African touch pad. If digital technology is probably too often presented as a totem that would solve all problems, it has at least the advantage of reducing costs and broadcasting to a much larger audience. In Congo, a small community of people living in Brazzaville has started a network in a social media platform that rapidly relays informations, especially to the connected diaspora. This network could have a major role in controlling the information although it is difficult to assess its actual impact in a country where the access to internet is limited to a minority of the population.

 

Another challenge is to be independent from politics. In a pyramidal system, it is difficult to be independent as the political debate in Congo is very limited and has lost all credibility. It is thus easier to focus instead on economic and social issues. There are very interesting projects such as the work of the Association Syfia (http://syfia.over-blog.com), supported by the European Union. The association is composed of a team of journalists who work on human rights issues in Congo. Syfia plays the role of a small news agency and offers reports on the daily struggles of citizens. The main issues concern the relationship between Bantu and indigenous people (pygmies) and the place of women in the economy and the society or environmental protection. Recently, a website http://www.ifrikiamag.com offered a comedic platform to decrypt the clichés or quirks of the Congolese society, and present some cultural operators in the country. Even media close to the President's entourage can diversify their programs and show stories and social issues that meet the actual concerns and expectations of the public, such as the new bimonthly Terrafrica and the private channel TV service Equator Service Television.

 

Some might say that media avoids the political debate and concentrates on society and culture. However, in recent years, it is largely thanks to the artists and the vitality of the Congolese cultural scene (the playwright Dieudonné Niangouna, the dancer DeLaVallet Bidiefono, the visual artists Bill Kouélany and Gastineau Massamba …) that the dramas of the recent history of Congo could be analysed.

Translated by Aymeric LOUSSALA

Quelle politique africaine pour l’Europe ?

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2014 a été une année charnière pour la relation Union européenne – Afrique. Le 4e sommet Union Européenne – Afrique a eu lieu en avril pour préparer l’avenir du partenariat entre les deux continents. L’Europe a aussi voté son nouveau budget et ses priorités pour la période 2014-2020. Enfin, l’ensemble des dirigeants européens viennent de changer, notamment la responsable de la diplomatie Catherine Ashton, remplacée par Federica Mogherini, à la tête du Service européen pour l’action extérieure  (SEAE). L’Afrique des Idées a voulu en profiter pour faire le bilan de la politique africaine de l’UE, quatre ans après la mise en place du SEAE et d’une diplomatie européenne en tant que telle.

1 – L’UE trop absente des grandes crises qui ont secoué l’Afrique

Les récents conflits qui ont secoué le continent africain ont montré les difficultés de l’Union européenne à faire entendre sa voix et à réagir à temps dans les contextes de crise. Au Mali ou en Centrafrique, c’est encore la France, seule, qui joue le rôle de premier plan  que lui confèrent sa puissance militaire et l’histoire ”particulière” qui la lie à l’Afrique.

“L’Europe n’a pas de véritable politique sécuritaire, elle n’est que le reflet des politiques nationales”, déplore ainsi Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales (IRIS), “surtout parce que l’Allemagne est très réticente à intervenir dans ce qu’elle appelle le bourbier africain”.

Les dispositifs de préventions et de gestion des conflits de l’Union Africaine, en partie financés par l’UE, comme l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) ont eux aussi montré leurs défaillances. “Quand il faut faire la guerre, il faut réagir tout de suite et c’est souvent la France seule qui y va” reconnaît Yves Gounin, auteur de La France en Afrique, “mais pour autant il y a plusieurs phases dans ce type de crise et il ne faut pas sous estimer le rôle de relais que peut jouer l’Union Européenne ou d’autres organisations internationales après l’intervention militaire rapide, comme on le voit avec les opérations EUTM-Mali au Mali ou EUFOR RCA en Centrafrique” nuance-t-il.

Sur les cinq opérations militaires pilotées par l’Union Européenne, quatre ont lieu sur le continent africain, ce qui montre selon ce diplomate,  que l’Afrique reste malgré tout “une priorité sécuritaire” pour l’Europe. Parmi ces opérations, le principal succès européen est sans doute l’Opération Atalante, engagée en 2008 et qui aura réussi à fédérer plusieurs pays européens dans la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes.

2 – Une relation économique et commerciale en pleine redéfinition

La relation privilégiée entre l’Afrique et l’UE sur le plan économique et commercial est aussi en pleine redéfinition. Certes l’Europe reste le premier partenaire de l’Afrique et son principal investisseur, mais de nouveaux acteurs ont émergé avec l’essor de la coopération Sud-Sud. La Chine accroît inexorablement sa présence et met en avant ses prêts concessionnaires très avantageux, sans réclamer de progrès sur la voie de la bonne gouvernance comme le fait l’Europe. De plus en plus, l’UE devient un partenaire parmi d’autres.

Les intérêts aussi peuvent diverger. Puisque l’Europe reste parfois dans une logique traditionnelle d’importation de ressources naturelles et de matières premières et d’exportations de ses biens transformés, quand les pays africains, notamment émergents, réclament davantage de financements et de partenariats pour s’industrialiser, mettant en avant la croissance de plus de 5 % sur le continent.

Signe de cette redéfinition de la relation commerciale, les difficultés avec lesquelles ont été conclus les accords de partenariat économiques (APE) qui libéralisent les échanges entre les deux continents. Après d’âpres négociations, ces accords ont finalement été signés pour l’Afrique de l’Ouest. Mais le débat sur les APE a vampirisé pendant de longs mois la relation Afrique-Europe, empêchant d’avancer sur d’autres domaines de la coopération. Et la résistance des dirigeants africains a montré leur volonté de rééquilibrer la relation, en dénonçant les contradictions des Européens, notamment sur le plan agricole où l’UE subventionne ses exportations avec la Politique agricole commune (PAC), tout en affichant son soutien au développement de l’agriculture locale à travers les Fonds européens de développement (FED).

3 – Une diplomatie en apprentissage

La diplomatie européenne, dans sa dimension politique, est encore jeune puisque le SEAE est en place officiellement depuis 2010, à la suite du Traité de Lisbonne de 2007. Les délégations européennes sont désormais présentes dans la quasi totalité des États africains à l’exception de Sao Tomé, la Guinée équatoriale, ou le Soudan du Sud.

Les fonctionnaires européens, avant le Traité, travaillaient principalement sur les questions de développement. Ils ont depuis un nouveau portefeuille, beaucoup plus large et politique avec lequel ils doivent apprendre à composer. Pour les ambassades nationales traditionnelles françaises, britanniques ou allemandes… c’est aussi un nouvel acteur avec lequel il faut coordonner son action. “Cela prend du temps”, sourit le diplomate Yves Gounin, “mais c’est en train de se mettre en place avec le renouvellement des générations  et parce que des diplomates venus des Ministère des Affaires étrangères nationaux, dont des Français, prennent la tête de délégations européennes et comprennent mieux leur logique. Du côté des dirigeants africains, les représentants européens sont de plus en plus considérés, parce qu’ils ont bien compris que l’UE a des moyens.”

Les moyens justement: ceux de l’action extérieure de l’UE n’ont pas changé pour la période 2014-2020, un peu plus de 66 milliards d’euros pour la rubrique IV (« l’Europe dans le monde »), auxquels viennent s’ajouter les 30 milliards du FED destinés à l’aide au développement. Reste à définir une ligne politique claire et des priorités…

L’élargissement à 28 a conduit l’Union à orienter sa politique extérieure davantage vers l’est, avec une focalisation ces derniers mois sur la crise ukrainienne, et cela au détriment d’une “politique audacieuse pour l’Afrique”, regrette Philippe Hugon. “Le centre de gravité de l’Union européenne a clairement changé, et les nouveaux entrants n’ont pas de tropisme particulier pour l’Afrique”.

Quant à la politique de développement, comme d’autres bailleurs de fonds, l’Union Européenne affiche sa volonté de sortir d’une simple relation donateur – bénéficiaire verticale et de “différencier” l’aide, en la concentrant sur les pays les moins avancés ou les États faillis, pour privilégier d’autres formes de partenariats avec les pays qui se développent.

4 – Les migrations, zone d’ombre de la coopération Afrique – Europe

L’autre chantier de la coopération Afrique-Union européenne reste incontestablement celui des migrations. En 2013, plus de 30 000 migrants ont traversé la Méditerranée selon la Commission. Avec les drames que l’on connaît. L’intérêt partagé d’une Europe vieillissante et d’une Afrique en pleine vitalité démographique serait de redéfinir les bases d’une immigration légale renforcée, surtout pour les jeunes qualifiés, comme l’explique la politologue Corinne Valleix:

Mais les arguments électoralistes à courte vue et l'exacerbation des sentiments nationalistes poussent les dirigeants européens à ne pas franchir le pas et se contenter de brocarder l’immigration illégale. Ce défi majeur des migrations, comme les nombreux qui attendent la politique extérieure de l’UE en Afrique, ne peut faire l’économie d’une réflexion plus vaste sur l’identité européenne et la crise de son projet politique.

Dans un joli petit ouvrage, l’Europe depuis l’Afrique  Alain Mabanckou, racontait l’Europe telle qu’on la lui décrivait enfant, depuis les rivages de Pointe Noire, au Congo, où il a grandi. Une “idée,” une “croyance”,  une Europe ni à part, ni repliée sur elle même, mais tournée vers l’Afrique parce que  “l’Histoire nous a mis face à face” et “qu’on a toujours besoin d’un plus ou moins Européen que soi”. Le romancier congolais concluait ainsi:  “Nous autres originaires d’Afrique regardons l’Europe et espérons, pour son salut, qu’elle nous regarde aussi…”

Adrien de  Calan

Burundi, Bénin, Congo, RDC, Rwanda… : pas touche à ma constitution ?

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Depuis plusieurs mois, un même débat faisait rage, dans de nombreux pays africains. Au Burundi, au Burkina Faso, au Bénin, au Congo, en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda pour ne citer qu’eux, la classe politique et les citoyens se déchiraient sur une éventuelle révision de la constitution autorisant le chef de l’État à briguer un nouveau mandat, ce que la loi fondamentale, en l’état, lui interdit. 

Les termes de la controverse ont radicalement changé le 30 et le 31 octobre. Au Faso, la contestation grandissante pour sauver la constitution et son article 37 – celui qui empêchait le président Compaoré de rempiler après 27 ans de pouvoir – s’est transformée en révolution. Un tournant politique qui sonne comme un avertissement pour tous les chefs d’État  de la région.

Les arguments favorables à une révision constitutionnelle sont connus : stabilité du régime, paix et sécurité, approfondissement de politiques déjà engagées, voire adhésion de la population à la présidence en cours et à un changement de constitution qui pourrait dit-on être confirmé par référendum. Qu’en est-il des opinions inverses ? Voici les principaux arguments défendus par ceux qui s’opposent à tout “tripatouillage électoral”.

 1- Parce que tout a changé depuis la Burkina

 La révolution burkinabè annonce-t-elle des mouvements de contestation à venir dans les deux Congo, au Burundi, au Rwanda? Difficile à dire bien sûr. Le contexte a en tout cas radicalement changé depuis ces derniers jours d’octobre. Dans les pays concernés, les responsables de l’opposition ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : “la leçon qu’il faut tirer de cela c’est que les différents chefs d’État doivent comprendre que plus rien ne sera comme auparavant. Et ceci doit être une leçon qui doit être retenue pour chez nous aussi, où nous avons choisi la lutte pacifique», a ainsi déclaré Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la nation congolaise (UNC) en RDC.

 Certes, il y a plus de trois ans et demi déjà, avait lieu les printemps arabes. L’inquiétude était alors palpable dans certaines capitales africaines. Mais le Maghreb restait lointain, et la dégradation des conditions sécuritaires qui s’est installée depuis dans certains pays, devenait même pour certains chefs d’État un argument pour revendiquer leur indispensable rôle dans le maintien de la stabilité du continent.

 Le cas burkinabè rebat incontestablement les cartes. D’abord parce qu’il est plus proche et repose exactement sur la même équation : toucher ou non à un article de la constitution devenu le totem qui cristallise les revendications de l’opposition. Ensuite, parce que le régime de Blaise Compaoré ressemblait à s’y méprendre à certains cités plus haut.

Le parallèle le plus parlant étant sans doute celui avec le Congo-Brazzaville.  27 ans de pouvoir pour le « beau Blaise », près de 30 pour Denis Sassou Nguesso, aux commandes depuis 1979 (malgré une interruption entre 1992 et 1997). Et une stratégie commune : se rendre indispensable sur la scène internationale. Un rôle de médiateur au Mali pour Compaoré, une médiation en Centrafrique pour Sassou Nguesso, très impliqué dans la crise en cours à Bangui.

 2 – Pour permettre l’alternance

 Faut-il empêcher un président qui fait du bon travail de le poursuivre s’il est soutenu par sa population ?  Sans être absurde, l’argument reste au moins intrigant pour ceux qui, comme Compaoré ou Denis Sassou Nguesso, ont passé plusieurs dizaines d’années au pouvoir et ont eu tout le loisir de mettre en œuvre les politiques qu’ils estimaient utiles à leurs pays.

 Les cinq pays pourront aussi prendre l’exemple du Sénégal avec son alternance pacifique entre Diouf et Wade en 2000, puis l’élection de Macky Sall en 2012, qui ont montré les vertus d’un changement à la tête de l’État pour assurer un renouvellement des élites et des pratiques du pouvoir ; ou celui du du Ghana où après deux mandats, le président Kufuor a cédé la place à son successeur Atta-Mills en 2009.

3 – Pour respecter ses engagements nationaux et internationaux

Les opposants à tout changement constitutionnel invoquent aussi le respect des engagements nationaux et internationaux des gouvernants. Ainsi dans bien des pays, la constitution envisage des possibilités de révision mais exclut précisément tout changement qui concernerait la durée et le nombre de mandats. C’est l’article 185 à Brazzaville ou le 220 à Kinshasa qui précise que “ le nombre et la durée des mandats du Président de la République (…) ne peuvent faire l'objet d'aucune révision constitutionnelle.”

 Pour la Conférence épiscopale de RDC, qui ne cesse de réitérer son opposition à une révision constitutionnelle, “cet article pose les bases de la stabilité du pays et l’équilibre des pouvoirs dans les institutions. Le modifier serait faire marche en arrière sur le chemin de la construction de notre démocratie et compromettre gravement l’avenir harmonieux de la Nation”,  

Sur le plan international, les cinq États  cités ci-dessus ont également tous signé la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007 qui condamne dans son article 23(5) : “Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique, "qui représenterait un “changement anticonstitutionnel de gouvernement et passible de sanctions appropriées de la part de l’Union”.

4 – Pour dépersonnaliser la loi

Rarement des constitutions auront suscité autant de passions dans les capitales du continent, laissant une drôle d’image d’une Afrique où tout débat constitutionnel apparaît inextricablement lié à celui du maintien au pouvoir du chef, comme si chose publique et chose privée étaient inévitablement mêlées. On ne débat plus de la constitution pour de réelles raisons juridiques ou sociales mais bien pour l’adapter à une situation individuelle d’un président :  la loi n’encadre pas l’exercice du pouvoir mais est aménagée en fonction de lui.

 En 1995, quand l’Assemblée nationale ivoirienne obligeait tout candidat à la magistrature suprême à fournir la preuve que ses deux parents sont effectivement nés en Côte d'Ivoire, l’objectif ultime était de transformer en loi “le concept d’”ivoirité” imaginé par le président Henri Konan Bédié afin de disqualifier son principal rival Alassane Ouattara.

Quant au Congo-Brazzaville, l’article 58 de la constitution de 2002 interdit à tout candidat de plus de 70 ans de se présenter à la présidentielle. Son adoption visait moins à rajeunir la classe politique qu’à empêcher les concurrents de Sassou Nguesso de l’époque, comme Pascal Lissouba, de se présenter. Un verrou générationnel qui se retourne aujourd’hui contre celui qui l’a fixé puisque c’est désormais Sassou lui-même qui a atteint la limite d’âge…

5 – Pour la stabilité institutionnelle

“L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes”, affirmait Barack Obama en 2009 dans son discours d’Accra, précisant que l’Histoire n’est pas du côté de “ceux qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir”.

Une constitution comme toute construction humaine n’a aucune de raison d’être immuable. Mais les règles du jeu qu’elle instaure méritent au moins d’être éprouvées dans la durée. La plupart des pays cités ont des constitutions récentes : 2006 pour la RDC, 2005 pour le Burundi, 2003 pour le Rwanda, 2002 pour le Congo.

Entretenir l’instabilité institutionnelle, c’est mettre à mal la confiance des citoyens à l’égard de leurs dirigeants. Le Congo-Brazzaville est “le plus vaste cimetière institutionnel de l’Afrique”, dénonçait en 2001 l’universitaire Félix Bankounda. Depuis son indépendance en 1960, le pays a connu treize textes fondamentaux (six constitutions et sept actes fondamentaux), dont huit sous la seule présidence de Sassou Nguesso.

6 – Pour échapper à la caricature

Si la présidence à vie n’est pas l’apanage de l’Afrique, il n’en reste pas moins comme le note le journaliste Tirthankar Shanda que “sur les 19 chefs d’État qui ont accédé au pouvoir au siècle dernier et qui s’accrochent à leur place, 14 sont Africains !”. Après le Burkina, la communauté internationale sera peut être – qui sait ? – plus exigeante. La France avait prévenu à plusieurs reprises le président Compaoré, semble insister l’Élysée depuis quelques jours.

Mais il faudra sans aucun doute des concessions. Peut-on, défendre par exemple un ambigu statut d’immunité qui garantirait une sécurité économique et judiciaire à des chefs d’Etat qui, s’ils lâchent le pouvoir, redoutent la revanche de ceux qui l’ont trop longtemps attendu ? Ou offrir une (prestigieuse) porte de sortie aux présidents en place en leur attribuant de nouvelles missions dans des institutions internationales comme le proposait François Hollande à Compaoré dans un courrier du 7 octobre l’invitant à ne pas toucher à la constitution.

Ou même, si finalement maintien au pouvoir il y a, négocier de réelles contreparties. Car la conclusion du débat dépendra bien sûr de la situation bien particulière de chacun des pays. Un responsable de l’opposition burundaise confiait ainsi il y a quelques semaines qu’il avait “toutes les raisons de croire que Pierre Nkurunziza serait toujours président après 2015”, compte tenu des équilibres politiques de son pays. Mais il réclamait en échange “une vraie négociation pour ouvrir le jeu politique alors qu’il est complètement crispé. Pour cela nous aurons besoin d’un réel appui et de toute la pression de la communauté internationale”. Ce serait le moins.

Adrien de Calan

L’impossible indépendance des médias africains ? Le cas du Congo-Brazzaville

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Le Congo-Brazzaville est un pays emblématique de la fragilité des médias en Afrique Centrale. Depuis les années 1990 et le passage du pays au pluralisme politique après sa conférence souveraine, les médias sont eux aussi officiellement pluriels. Mais les difficultés structurelles qu’ils connaissent empêchent en pratique une réelle diversité et révèlent les limites de l’indépendance des journalistes vis-à-vis des responsables politiques dans un pays où les pouvoirs sont concentrés entre les mains de quelques-uns.

Un seul quotidien

Dans la presse écrite, les difficultés rencontrées quotidiennement par les journaux se démontrent par l’absurde. Il n’existe qu’un et unique quotidien au Congo, et il est entièrement acquis à la cause du président Denis Sassou Nguesso. Il s’agît des Dépêches de Brazzaville, nées en 1998 d’abord sous forme d’un mensuel en quadrichromie, puis transformées en hebdomadaire en 2004 puis quotidien en 2007. Le journal a été créé par Jean-Paul Pigasse, conseiller en communication du président congolais. Il est l’un des seuls à disposer d’une rédaction informatisée, pleinement organisée et d‘une imprimerie. Subventionné, lui seul peut offrir un contenu relativement accessible (200 FCFA) quand les autres journaux coûtent au minimum le double et ne reçoivent aucune aide de l’État.

Pour les autres titres, à l’instar d’autres journaux en Afrique et ailleurs, leur faiblesse originelle provient avant tout de leur extrême vulnérabilité économique. Dans la presse écrite, les intrants sont chers, particulièrement le papier, acheté en République démocratique du Congo, le pays voisin, et les coûts d’imprimerie élevés. À l’exception de deux journaux installés, les Dépêches de Brazzaville et le bi-hebdomadaire La Semaine Africaine, les autres (La Rue meurt, Tam-Tam d’Afrique…) paraissent extrêmement irrégulièrement, en fonction des aléas de leur situation économique tourmentée. Les journalistes y sont peu voire pas payés. Certes il existe officiellement une convention collective qui fixe un salaire minimum à 90 000 FCFA (137 euros) mais celle-ci est très rarement respectée.

Cette vulnérabilité économique a une influence directe sur les contenus. Elle explique en partie la confusion qui règne dans bien des titres entre articles de presse et publi-reportages qui figurent dans de nombreux médias sans être présentés en tant que tels. Les journaux étant trop fragiles, la publicité insuffisante et les ventes faibles (les tirages dépassent rarement 2 000 exemplaires), les journalistes sous-payés acceptent les pratiques appelées “camorra”, (coupage chez le voisin de RDC) : la retranscription d’un communiqué et d’un simple compte-rendu moyennant financement. La prime revient alors à celui qui a les moyens.

Les liaisons dangereuses entre politique et médias

De cette vulnérabilité économique découlent les autres difficultés, et notamment les liaisons dangereuses entre journalisme et politique. “Au Congo, la majorité des médias d’information sont les instruments de stratégies individuelles de conquête ou de conservation du pouvoir”, écrit la chercheuse Marie-Soleil Frère. Tandis que les médias publics relaient la parole officielle, les médias privés sont souvent la propriété de personnalités qui jouent un rôle direct dans le jeu politique congolais. Ainsi la chaîne de télévision DRTV appartient à un haut gradé congolais et proche du pouvoir, le général Nobert Dabira, MN TV à Maurice Nguesso le frère aîné du président, Top Tv à Claudia sa fille, et les journaux indépendants sont souvent de près ou de loin rattachés à tels ou tels partis ou responsables politiques… “De la même manière que le secteur devient plus dynamique, le volume de la propagande pro-gouvernementale augmente aussi dans les colonnes des journaux et sur les ondes. Une sorte de culte de la personnalité a trouvé racines partout dans les médias, affectant la crédibilité et le respect du public”, pouvait-on lire il y a quelques mois dans le baromètre des médias congolais, réalisé par la Fondation Friedrich Ebert en concertation avec des professionnels du pays.

Ce contexte de surpolitisation et d’individualisation des médias a plusieurs effets pervers. Il conduit certains journaux indépendants à se transformer en lieu des règlements de compte au sein du cénacle politique, relayant les rumeurs sur tels ou tels ministres, et privilégiant l’anathème à l’analyse à froid. Il empêche aussi une structuration de la profession, et la mise en place d’une solidarité professionnelle, pourtant indispensable dans les périodes les plus sensibles comme à l’approche d’échéances électorales. Cette coordination est d’autant plus importante, que la profession souffre, de l’avis des « anciens », d’un profond déficit de formation, dans un pays où les guerres civiles ont considérablement abimé le système éducatif.

Autre obstacle à l’indépendance de la presse, et il n’est pas anodin, les intimidations, qui interviennent notamment quand la situation politique se tend. C’est le cas ces dernières semaines avec le débat en cours sur la modification de la constitution, qui permettrait au président Sassou de briguer un troisième mandat. Deux journalistes ont récemment été expulsés : Sadio Kanté Morel (journaliste indépendante), le 22 septembre, et le Camerounais Elie Smith (MN TV) le 26 septembre ; ce dernier avait auparavant été agressé physiquement deux jours après avoir couvert un meeting de l’opposition.

En plus de ces violences directes, l’indépendance médiatique est de l’avis de nombreux journalistes limitée avant tout par l’autocensure. Dans un contexte de grande fragilité, pourquoi prendre le risque de se fâcher avec d’éventuels financeurs ou de voir menacer l’existence même de son titre. Même des journaux historiques, fiables et de référence comme La Semaine Africaine, bi-hebdomadaire né en 1954, adossé à l’Eglise catholique et à la conférence épiscopale, négocierait selon un rapport de l’Institut Panos, “une neutralité relative” en soutenant ponctuellement le régime pour éviter les ennuis, et assurer son existence. Mais dans un système politique ultra-pyramidal, comment échapper à cette tentation ?

Des esquisses de solutions ?

Devant un tel paysage, difficile d’entrevoir ne serait-ce qu’une esquisse de solutions. Au moins pourra-t-on citer des initiatives intéressantes qui tentent d’apporter chacune à leur manière une réponse à cette difficile équation.

Le manque de moyen inviterait d’abord à se tourner vers les bailleurs internationaux, ce qui nécessite là encore une coordination des acteurs pour proposer des projets consensuels et utiles, avec une dimension de formation dans la durée. Solliciter les bailleurs, dont les plus à l’écoute seraient sans doute les États-Unis ou l’Union européenne, notamment en période électorale. En RDC voisine, et dans un tout autre contexte, la Radio Okapi, avec les fonds de l’ONU, a prouvé qu’avec un budget conséquent (plusieurs millions de dollars) une antenne pouvait proposer une information indépendante et de qualité. Mais ce type d’aide a ses limites : que se passe-t-il quand le bailleur se retire ? Avec une difficulté supplémentaire pour le Congo-Brazza, pays stable et potentiellement riche : comment accéder à de tels financements, en général prioritairement adressés à des pays “plus en crise” ?

Soulignons aussi l’opportunité que peut représenter le numérique dans un pays où un entrepreneur, Vérone Mankou, revendique la création de la première tablette tactile africaine. Si le numérique est sans doute trop souvent présenté comme un totem qui résoudrait tous les problèmes, il présente au moins les avantages de faire baisser les coûts, très handicapants (mais pas d’augmenter les recettes…), et de favoriser une diffusion potentiellement plus grande. Au Congo, sur les réseaux sociaux, on constate, l’émergence d’une petite minorité brazzavilloise bruyante, qui relaie rapidement les informations, notamment auprès de la diaspora connectée, et pourrait jouer ce rôle de vigie, sans qu’il soit très facile d'évaluer son influence dans un pays où l’accès à Internet et l’utilisation des réseaux sociaux restent cantonnés à une élite.

Autre enjeu, échapper au champ du politique. Dans un système pyramidal, trouver sa place et son indépendance consiste peut être à quitter le seul domaine de l’information politique d’autant plus limité, que le débat politique congolais a perdu de sa crédibilité. Et de s’intéresser plutôt aux enjeux économiques et sociaux qui traversent la société congolaise.  Parmi les initiatives intéressantes, on peut citer le travail de l’association Syfia (http://syfia.over-blog.com), soutenue par l’Union Européenne, qui avec une équipe de journalistes travaille avec acharnement sur les questions des droits humains au Congo. Syfia joue le rôle d’une mini agence de presse et propose aux médias ses reportages sur les difficultés quotidiennes des citoyens souvent liées à des problématiques essentielles : la relation entre Bantous et populations autochtones (pygmées) par exemple, la place de la femme dans l’économie et la société ou la protection de l’environnement. En sortant à nouveau du champ politique proprement dit, tout récemment, on a vu aussi apparaître sur le net le portail "pureplayer" Ifrikiamag http://www.ifrikiamag.com, qui propose un contenu sociétal et culturel inventif et plein d’humour pour décrypter les clichés ou les travers de la société congolaise, et présenter quelques-uns des acteurs culturels du pays. Même des médias proches du giron présidentiel, quand ils diversifient leurs programmes et mettent l’accent sur des reportages et des sujets de société, se rapprochent des préoccupations et des attentes du public : on pourra citer ici le nouveau bi-mensuel Terrafrica ou la chaîne de télévision privée Equateur Service Télévision.

Certains regretteront peut être que les médias ainsi imaginés s’éloignent du débat politique en tant que tel en privilégiant la société et la culture. Mais ces dernières années, c’est surtout grâce aux artistes et à la vitalité de la scène culturelle congolaise (le dramaturge Dieudonné Niangouna, le danseur DelaVallet Bidiefono, les plasticiens Bill Kouélany et Gastineau Massamba…) qu’auront été disséqués les drames de l’histoire récente du Congo, et bien peu malheureusement grâce aux médias.