Chômage des jeunes : l’Éthiopie, un exemple à suivre

À Hawassa, ville du sud de l’Éthiopie, située à 250 kilomètres de la capitale Addis-Abeba, Mitike Paulos, 24 ans, sa jeune sœur et trois amis fabriquent des sacs et ceintures de cuir destinés à la vente. Mitike et sa sœur ont appris ce métier de leur frère, qui enseigne à Addis-Abeba à l’Institut public de développement de l’industrie du cuir. Ils ont commencé leur activité en 2011 avec un emprunt de 35 000 birr (2 000 dollars) et emploient aujourd’hui 10 personnes. Ils espèrent augmenter la production et embaucher plus de personnel.

Le gouvernement éthiopien encourage les jeunes à créer de petites entreprises afin de réduire leur taux de chômage, qui d’après les estimations officielles dépasse 50 %. Avec 90 millions d’habitants, ce pays est le deuxième le plus peuplé d’Afrique et produit plus de 150 000 nouveaux diplômés chaque année. Le gouvernement souhaite désormais orienter la main-d’œuvre qualifiée vers les projets de construction à grande échelle menés à travers le pays, dans les secteurs de l’énergie hydroélectrique, du chemin de fer, des routes, du logement, de l’approvisionnement en eau et de l’irrigation.

Les méthodes du gouvernement 

Un jeune homme suit une formation professionnelle dispensée aux enfants des rues en Éthiopie. Crédits Photo: Panos/Robin Hammond Un jeune homme suit une formation professionnelle dispensée aux enfants des rues en Éthiopie. Crédits Photo: Panos/Robin HammondLes jeunes Éthiopiens qui souhaitent devenir entrepreneurs sont encouragés à se regrouper afin d’accéder aux services de microfinance. L’Agence fédérale de développement des microentreprises et des petites entreprises leur donne une formation à la création d’entreprises et la gestion. L’agence fournit également un soutien financier aux jeunes créateurs de petites et moyennes entreprises dans des domaines tels que le textile, le cuir, l’agriculture, le commerce, le bois et l’acier.

Améliorer l’emploi des jeunes

L’ambitieux plan quinquennal de croissance et de transformation de l’Éthiopie (2010-2015), qui prévoit le développement de zones industrielles et la construction de près de 16 000 kilomètres de route, devrait, à terme, réduire considérablement le chômage. Ce plan vise également à augmenter la production d’énergie, du niveau actuel de 2 000 mégawatts à 8 000 mégawatts, et à construire une ligne ferroviaire de plus de 2 000 kilomètres. Ces projets emploient déjà des centaines de milliers de jeunes et d’autres recrutements sont en cours.

D’après les chiffres officiels, dans les secteurs formel et informel, plus de 1,4 million d’emplois ont été créés entre 2006 et 2010, et plus de 1,2 million en 2011 et 2012. La plupart des personnes embauchées étaient des jeunes.

Davantage d’efforts

Cependant, tout le monde n’est pas satisfait de cette stratégie gouvernementale. Samson Wolle, chercheur principal chez Access Capital Services Share, entreprise et institut de recherche d’Addis-Abeba, désapprouve les « grands projets » du gouvernement, qui durent souvent plusieurs années mais qui, une fois terminés, n’offrent selon lui plus beaucoup de travail. Des milliers de jeunes se retrouvent ainsi au chômage. M. Wolle souhaiterait que les petites entreprises existantes bénéficient de financements durables favorisant leur croissance.

M. Wolle estime qu’il faut instaurer des conditions favorables afin d’attirer les investisseurs nationaux et étrangers dans le secteur des industries technologiques à forte intensité de main-d’œuvre. Il faut à cette fin commencer par améliorer l’accès à l’électricité et à l’eau potable, ainsi que l’accès à une éducation de qualité, aux hôpitaux et autres services sociaux. Cela, soutient-il, permettra de réduire l’exode rural et d’encourager les jeunes diplômés à travailler dans les régions rurales de l’Ethiopie, qui ont fortement besoin de main-d’œuvre instruite et qualifiée.

Malgré ces critiques, on considère généralement que l’Éthiopie est bien partie pour combattre le chômage des jeunes. 

Par Andualem Sisay, originellement publié par Afrique Renouveau, ONU 

Des petits agriculteurs attirent de « grands » investissements

SyngentaAu Kenya, les petits exploitants agricoles peuvent désormais stocker et gérer les données sur la teneur en pesticides de leurs récoltes avant de les exporter, grâce à une plateforme mobile de type « cloud » qui assure le suivi des résidus de pesticides dans les fruits et légumes. Selon le quotidien kényan Business Daily, le logiciel Farmforce, que l’on doit à Syngenta, la Fondation suisse pour une agriculture durable, va progressivement remplacer la tenue manuelle de registres par une version en ligne qui pourra être consultée gratuitement par les agriculteurs via un téléphone mobile.

Appuyée par le Gouvernement suisse, la Fondation Syngenta a développé en 2011 une plateforme de 2 millions de dollars avec l’aide d’une équipe suisse et d’une équipe de soutien kényane.

En outre, cette technologie n’est pas limitée à l’horticulture et peut être utilisée pour tous types de cultures. Déjà, le Ghana, le Guatemala, l’Indonésie, le Nigéria et le Zimbabwe ont exprimé leur intérêt pour cette plateforme.

Selon le recueil de référence 2011 de la Banque mondiale sur les TIC dans l’agriculture, le Kenya, avec 5 millions d’agriculteurs, constitue un foyer d’innovation technologique pour la communauté agricole.

L’Ouganda utilise une plateforme mobile de type « cloud » pour regrouper les informations agricoles et les services financiers conçus pour les petits exploitants, rapporte le Christian Science Monitor. C’est ainsi que  les agriculteurs peuvent commander et payer des semences et des engrais à partir de leurs téléphones portables, et vendre leurs produits en ayant recours au même service.

Geoffrey Kamadi

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Inondations : réduire leur impact en Afrique de l’Ouest

Ugandan women and children walk past submerged homes in an area flooded by heavy rains in Soroti, UgandaChaque année, les citoyens ouest-africains font face à des pluies torrentielles qui aboutissent souvent à des inondations. A leur tour, les inondations entraînent la mort, la destruction des biens et des récoltes et des épidémies. En 2012, la situation a drastiquement empiré. Les Nations Unies mettent en garde contre le changement climatique, l'urbanisation croissante et la croissance démographique qui ne feront qu'exacerber l'impact des inondations à venir.

Au Nigeria, 363 personnes sont mortes entre fin juillet et fin octobre 2012 dans la pire des inondations qu’a connu le pays depuis 50 ans. Environ 2 millions de déplacés et 618 000 maisons détruites. Au Niger, les inondations ont tué 65 personnes et laissé 125 000 autres sans abri. Des décès et des destructions ont aussi été signalés au Sénégal et dans d'autres pays d’Afrique de l’Ouest. Selon l’Organisation météorologique mondiale, l’ensemble des précipitations enregistrées en 2012 était de 150 % supérieur à la normale au Mali, au Sénégal, dans le nord du Burkina Faso et dans les pays du bassin du lac Tchad, à savoir le Niger, le Nigeria et le Cameroun. Rheal Drisdalle de Plan International, une organisation pour le développement des enfants, affirme que les inondations ont submergé les rives du fleuve Niger, atteignant des niveaux « jamais enregistrés depuis les années 1920 ».

Peu de temps après ces inondations, les autorités de l’Afrique de l'Ouest ont rapidement lancé des appels et organisé des actions de secours. Le gouvernement nigérian a contribué à hauteur de 110 millions de dollars de ses propres ressources, tandis que celui du Niger a donné 1 400 tonnes de vivres pour compléter les efforts des organisations humanitaires locales et internationales. Les observateurs ont encouragé ces efforts mais, ont critiqué le manque de préparation aux inondations.

« Se recentrer sur la prévention »

L'ONU encourage les pays à mettre sur pied de vastes programmes de préventions et de riposte aux inondations, afin de réduire les dégâts par l’organisation de la prévention, l'amélioration de la planification et la réduction des délais d’intervention. De tels programmes devraient aussi permettre aux organismes de secours d’assurer plus efficacement la coordination de la distribution de l’aide.

Selon Jamal Saghir, directeur pour le développement durable au sein de la Région d'Afrique de la Banque mondiale, « les récents événements dévoilent un besoin évident de recentrer les efforts sur la prévention des inondations, et non pas seulement sur la riposte. »

Les conditions météorologiques imprévisibles vont perdurer, ajoute Dewald van Niekerk, directeur du Centre africain pour l’étude des catastrophes naturelles à l’université du nord-ouest en Afrique du Sud. « Ce qui doit changer, c'est notre travail de préparation avant la catastrophe », souligne-t-il. « Les gens doivent comprendre la cause des inondations. Il pourrait y avoir une solution technique … ou un système d'alerte précoce ».

Cependant, de nombreux pays ouest-africains n'ont pas encore établi de tels systèmes de prévention. L'Agence météorologique nigériane affirme avoir prédit depuis mars 2012 et a plusieurs reprises, de graves inondations et conseillé aux autorités de nettoyer les canaux de drainage. Son directeur, Anthony Anuforo, a exprimé son indignation après que personne n’ait suivi ces conseils.

Obstacles rencontrés

Mais le directeur général de l’agence nationale de gestion des catastrophes au Nigéria, Sidi Muhammad Sani, a élargi les responsabilités. Son agence a été entravée par l'inefficacité de la police et des services de santé, dit-il, ajoutant que la plupart des États n'avaient pas assez de personnel qualifié ou n'avaient pas d’ambulances ou d’extincteurs.

Dans toute la région, il y a eu des critiques sur le mauvais état des infrastructures physiques. Mouhamadou Mbodj, coordonnateur du Forum Civil, la branche sénégalaise de Transparence Internationale, organisation mondiale de lutte contre la corruption, explique qu’« Au Sénégal la corruption est l’un des vices qui favorise cette situation, parce que la plupart des travaux qui sont réalisés ne sont pas attribués par appel d'offres ». Au Niger, Ibrahim Abdoulaye, un observateur politique, ajoute que les barrages hors normes se sont effondrés « sous la pression de fortes pluies. »

L'insuffisance des mesures de prévention et d'apaisement au Nigeria, au Niger et au Sénégal reflète la situation de la plupart des autres pays d'Afrique de l’Ouest. « Pourquoi attendre que la catastrophe frappe pour agir ? », s’interroge le journaliste nigérien Moussa Mohamane Mourtala. « Aucun pays de cette région de l'Afrique n’a encore produit un plan de prévention efficace contre les inondations. »

Quelques lueurs d’espoir

Certains pays africains sont devenus plus proactifs dans la gestion des catastrophes naturelles. L'Afrique du Sud a adopté une loi sur la gestion des catastrophes en 2002 qui oblige les autorités nationales, provinciales et municipales à élaborer des plans, aussi bien pour la prévention que pour la mitigation.

En 2012, les autorités de la Côte d'Ivoire ont entrepris des mesures préventives, en déplaçant 6 000 familles des zones inondables d'Abidjan, la capitale, et en leur donnant 300 dollars chacune pour se reloger. Ce déménagement a sauvé des vies. Selon Fiacre Kili, directeur de l'Office national pour la protection des civils, « les glissements de terrain, les chutes de roche et les inondations étaient à l’origine des décès causés dans certains quartiers pendant les précédentes saisons des pluies. C'est pourquoi nous avons pris des mesures pour veiller à ce qu'aucune vie humaine ne soit perdue. »

Dans d’autres régions d’Afrique de l’Ouest, les victimes des récentes inondations attendent toujours les secours. Ils n’entendent pas les cris retentissants des organisations internationales et des leaders de la société civile en faveur des programmes de prévention et de gestion des inondations futures.

Les forêts de l’Afrique, « poumons du monde »

Vues d’en haut les forêts de la République démocratique du Congo (RDC) s’étendent à l’infini. Denses, profondes, et apparemment impénétrables, les forêts de l’Afrique centrale s’étendent sur plus de 200 millions d’hectares. Elles offrent un refuge à tous, qu’il s’agisse d’espèces animales ou végétales rares en voie de disparition ou de miliciens redoutables. Il est difficile d’imaginer que ces vastes étendues d’anciennes régions boisées risquent de disparaître. D’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les forêts autochtones d’Afrique sont détruites au rythme de plus de quatre millions d’hectares par an. La FAO estime que, rien que de 1980 à 1995, la déforestation a représenté plus de 10 % du total de la couverture forestière du continent. Protéger les forêts de l’Afrique de la tronçonneuse et de la hache qui symbolisent l’intrusion de l’homme est indispensable à la bonne marche et au rendement de la plupart des activités économiques du continent, affirment les experts.

La forêt, un rempart contre le réchauffement climatique

La préservation des forêts tropicales de l’Afrique et la plantation de nouveaux arbres pour remplacer ceux détruits par la déforestation sont de nature à contribuer à l’atténuation de l’ampleur de l’évolution climatique et de minimiser les conséquences des changements climatiques sur le plan local. Mais l’un des arguments les plus frappants en faveur de la protection des forêts est le rôle de la déforestation dans le réchauffement planétaire. D’après le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), 20 à 25 % des émissions annuelles de dioxyde de carbone proviennent de la destruction des forêts par le feu à des fins agricoles.

Les mauvaises politiques de gestion des forêts, notamment la surexploitation, la récolte démesurée de bois de chauffage et de plantes médicinales et la construction de routes contribuent à aggraver le problème. Le ramassage du bois pour le chauffage et la cuisine et pour en faire du charbon est un phénomène particulier à l’Afrique, où le bois satisfait environ 70 % des besoins énergétiques des habitants, taux nettement supérieur à celui du reste du monde.

La conversion des terres forestières en terres agricoles, à des fins de subsistance ou commerciales, est de loin la cause la plus courante et la plus destructrice de la déforestation en Afrique et dans d’autres régions tropicales. À mesure que le besoin de terres agricoles augmente du fait de la pression démographique, des millions d’hectares de forêts tropicales partent en flammes en Afrique, Asie et Amérique latine. Un rapport publié par la FAO en 2000 et consacré à la foresterie durable en Afrique affirme “qu’il est communément admis que l’arrêt de la déforestation et le lancement de politiques de développement forestier durables passent par une amélioration des techniques de production alimentaire”.

Forêts et populations

Les populations pauvres des zones rurales du continent sont particulièrement dépendantes du milieu forestier. Bien que les produits forestiers, essentiellement le bois brut, ne constituent qu’environ 2 % des exportations de l’Afrique subsaharienne, les forêts représentent en moyenne 6 % de la production intérieure brute de la région, soit trois fois plus que la moyenne mondiale. Dix-huit pays africains, dont le Cameroun et le Ghana, comptent parmi les 24 pays dont les économies dépendent à 10 % ou plus de leurs forêts. Malgré les mises en garde des environnementalistes et des groupes de défense de l’environnement contre l’exploitation forestière non viable et souvent illégale en Afrique centrale et de l’Ouest, la moitié environ du bois extrait des forêts africaines est utilisée comme combustible par les habitants. Malgré les énormes pertes imputables à la déforestation, la région est un importateur net de produits en bois fini. 

L’exploitation commerciale des forêts est la deuxième cause de déforestation en Afrique, menaçant l’existence des forêts autochtones du continent et, parfois, sa stabilité politique. D’après les environnementalistes et les experts des questions forestières, une partie du problème provient du recours généralisé à la coupe rase et à d’autres techniques agricoles nuisibles qui dépouillent de larges surfaces boisées des arbres et de la végétation, réduisant la capacité des forêts à retenir l’eau et à offrir un habitat approprié à la faune et à la flore. En outre, la coupe rase accélère parfois l’érosion du sol de surface au point où toute régénérescence ou reforestation naturelles deviennent impossibles. 

Les chercheurs de l’ONU et des organisations non-gouvernementales affirment que les pratiques sans discernement et à forte intensité de travail inhérentes aux opérations forestières en Afrique centrale et dans d’autres régions en développement gaspillent environ 50 % des arbres coupés du fait de la destruction d’espèces non-commerciales et du défrichage des terres forestières pour faire place aux routes, aux campements forestiers et aux zones de travail. De surcroît, les déchets et la broussaille environnants sont brûlés, provoquant des émissions de carbone dans la nature.

De vastes régions des forêts autochtones de l’Afrique centrale risquent de disparaître. Rien qu’en RDC, la Banque mondiale estime que les concessions d’exploitation forestière, dont la plupart ont été accordées illégalement par des responsables sans scrupules pendant la guerre qui a déchiré ce pays, couvrent 50 millions d’hectares de forêts profondes. En 2002, le Gouvernement congolais a suspendu l’octroi de concessions d’exploitation dans l’attente d’une révision, sous la direction de la Banque mondiale, de douzaines de contrats d’exploitation forestière et d’extraction minière accordés par les gouvernements précédents. Le gouvernement a par ailleurs adopté un nouveau code forestier destiné à améliorer les méthodes de gestion et à assurer la transparence des procédures d’appels d’offre.

Mais l’incapacité de nombreux pays en développement à réguler et administrer leurs forêts en raison des conflits, du manque de moyens de coercition, des carences administratives et de la corruption a permis à l’exploitation illégale de prospérer. En 2006, la Banque mondiale a estimé à 15 milliards par an le manque à gagner en raison de l’exploitation illégale des forêts, dont cinq milliards de recettes publiques perdues pour cause de non-paiement d’impôts, de royalties et d’autres frais. Au Gabon, on estime que l’exploitation illégale représente 70 % des activités forestières du pays et au Ghana, environ 60 %. De l’avis de la Banque mondiale, l’ampleur du problème, et la corruption et le mépris de la loi qui l’accompagnent, “compromettent les efforts des pays de parvenir à une croissance économique durable, à l’équilibre social et à la protection de l’environnement”.

Eviter la déforestation

Des efforts visant à engager le secteur privé dans la lutte pour la conservation des forêts anciennes se poursuivent également au niveau international. En vertu du mécanisme pour un développement propre élaboré par le Protocole de Kyoto, l’instrument international visant à réduire les émissions des gaz à effet de serre, les pollueurs du Nord ont la possibilité de compenser une partie de leurs émissions en finançant des projets “verts” dans le Sud en développement. Les dispositions du protocole relatives à la foresterie autorisent les pays à recevoir des crédits pour la plantation de nouveaux arbres qui absorbent le gaz carbonique pendant leur croissance. Par contre, des incitations analogues pour épargner les forêts, connues sous le nom de “déforestation évitée”, ont été écartées du mécanisme en raison des désaccords entre États sur la manière de calculer leur valeur en tant que réservoirs de gaz carbonique et sur les mesures à adopter au cas où les arbres protégés seraient coupés ultérieurement.

Les pays à fort couvert forestier ont dénoncé le refus d’autoriser le mécanisme à financer la préservation des forêts anciennes comme injuste et malavisée. En septembre 2007, le Gabon, le Cameroun, la RDC, Costa Rica, le Brésil, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’Indonésie et la Malaisie, qui comprennent environ 80 % des forêts tropicales de la planète, ont formé le Groupe forestier des Huit pour contester cette décision.

Le groupe a fait remarquer que si la “déforestation évitée” bénéficiait des mêmes incitations que les programmes de reforestation, les Huit auraient droit à recevoir des pays polluants des milliards de dollars au titre d’investissements “verts”. Cet argent servirait alors à financer d’autres programmes de lutte contre les changements climatiques. Les pays du groupe ont également fait remarquer que les efforts des pays africains et autres pays en développement d’attirer des capitaux du mécanisme avaient dans l’ensemble échoué et que ceux-ci ne disposaient pas des moyens nécessaires pour s’adapter à l’évolution climatique et réduire leurs propres émissions.

Au début de 2007, la Banque mondiale a annoncé un projet de constitution d’un fonds pilote de 250 millions de dollars pour financer les programmes de “déforestation évitée” dans les pays en développement. Bien que bénéficiant d’un large soutien dans les pays en développement, cette proposition demeure controversée car elle ne règle pas la question du calcul de la valeur du gaz carbonique dans les forêts existantes et nourrit les craintes d’un possible chantage des pays à fort couvert forestier de couper leurs propres forêts. Soulignant que la déforestation était interdite dans la plupart des pays, un haut conseiller américain en matière d’environnement a dénoncé cette proposition, déclarant au journal britannique Financial Times “qu’on récompenserait les gens à ne pas se livrer à des activités illégales”.

Mais quelle que soit la manière dont l’humanité entend conserver ses forêts autochtones, celles-ci sont tout simplement trop précieuses pour disparaître.

 

Michael Fleshman, article paru sur Afrique Renouveau, communication de l'ONU spécialisée sur l'Afrique

Pour un avenir sans bidonvilles en Afrique

Des millions d’Africains vivent dans des bidonvilles et la croissance rapide de la population urbaine exacerbe le problème. Le continent est confronté à un immense défi : « améliorer les conditions de vie des habitants des bidonvilles tout en prévenant la formation de ce type d’habitat », déclare Joan Clos, Directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat). Selon les estimations d’ONU-Habitat, 200 millions de personnes en Afrique subsaharienne vivaient dans des bidonvilles en 2010, soit 61,7 % de la population urbaine de la région, le taux le plus élevé au monde. L’Afrique du Nord comptait 12 millions d’habitants de bidonvilles, ce qui représentait seulement 13,3 % de ses citadins, le taux le plus bas dans les pays en développement. Le manque d’installations sanitaires adéquates, d’eau potable et d’électricité, auquel viennent s’ajouter l’insalubrité des logements et le surpeuplement, aggrave la propagation des maladies et les décès évitables, selon un rapport récent de la Fédération internationale des Associations de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Les bidonvilles contribuent à la faible espérance de vie. Au Mali, par exemple, plus de 80 % de la population est mal logée et l’espérance de vie est de seulement 51 ans, selon le Programme des Nations Unies pour le développement.

La situation du Mali est révélatrice de la situation d’une grande partie de l’Afrique subsaharienne. Gakou Salimata Fofana, ancienne Ministre malienne du logement, des affaires foncières et de l'urbanisme, préconise des mesures urgentes de la part des ministres africains du logement. « Nous devons prendre des mesures cruciales », estime-t-elle. « Faute de quoi, nous courrons le risque d’avoir une population urbaine [au Mali] d’environ 6 millions d’âmes vivant encore dans des établissements informels d’ici à 2020 », soit près du double du nombre actuel. L’obtention de villes sans bidonvilles se heurte à de nombreux obstacles. Le Ministre algérien de l'habitat et de l'urbanisme, Noureddine Moussa, a fait remarquer que l’expansion des villes en Afrique limite la capacité des pouvoirs publics locaux et nationaux d’assurer la sécurité et de fournir des services sociaux de base en matière de santé, d’éducation, d’eau et d’assainissement. En outre, ajoute M. El Hadj, le changement climatique et l’urbanisation auront des effets conjugués imprévisibles. En 2007, un rapport d’évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, créé par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour l'environnement, a averti que « l’urbanisation et le changement climatique pourraient avoir comme effet synergique d’accroître l’incidence des maladies ».

Les habitants des bidonvilles sont également confrontés à des problèmes environnementaux en raison de la faible qualité des matériaux de construction utilisés dans les bâtiments et du fait que les bidonvilles sont situés pour la plupart sur des terrains marginaux. Bon nombre de ces quartiers sont exposés aux incendies accidentels. En septembre 2011, par exemple, plus de 100 personnes ont trouvé la mort lors de l’explosion d’un oléoduc percé à Mukuru wa Njenga, un bidonville densément peuplé de Nairobi. La mise en œuvre d’un plan africain de développement urbain à l’échelle continentale dépendra des particularités de chaque pays sur le plan de la géographie, du climat, des compétences ou des ressources financières. À Rabat, les ministres ont évoqué la possibilité de relever ces défis au moyen d’une collaboration efficace et avec le soutien de partenaires internationaux, y compris l’Organisation des Nations Unies.

Des progrès en cours

 Bidonville à Rabat

Certains points sont cependant positifs. D’après un rapport publié par ONU-Habitat en 2010, des pays comme l’Égypte, la Libye et le Maroc ont « presque diminué de moitié le nombre total d’habitants de bidonvilles en zone urbaine et la Tunisie l’a ramené à zéro ». Le Ghana, le Sénégal et l’Ouganda ont également réalisé des progrès constants, en réduisant de 20 % dans certains cas le nombre d’habitant des bidonvilles. Au Nigéria, ce chiffre est passé de 75 % de tous les citadins en 1990 à 61,9 % en 2010. En Afrique du Sud, la proportion a chuté, passant de 46,2 à 28,7 % au cours de la même période. Le modèle de développement urbain du Maroc continue de susciter beaucoup d’intérêt. En 2004, le gouvernement a lancé son propre programme « Villes sans taudis », une stratégie de développement urbain visant à permettre aux habitants des bidonvilles d’occuper des logements décents avec l’accès à l’eau, à l’énergie et à des installations sanitaires. En 2011, quelque 100 000 nouveaux logements avaient déjà été créés dans différentes régions du pays. Dans l’ensemble, 37 des 83 villes du Maroc ont été transformées, un changement qui a profité à plus de 1,5 million de personnes. Ces villes disposent désormais de lampadaires, de systèmes de drainage, d’eau potable, de routes, d’installations sanitaires et d’autres infrastructures. L’aménagement de la Vallée du Bouregreg (près de Rabat) et d’autres « espaces verts » est aussi remarquable.

Fathallah Oualalou, ancien Ministre marocain du logement et actuel maire de Rabat, a associé les efforts d’urbanisation réussis à la mise en œuvre effective de la feuille de route élaborée en 2010 à Bamako (Mali), lors de la troisième conférence des ministres africains du logement — faisant remarquer que ces réunions peuvent en effet s’avérer utiles. La feuille de route met l’accent sur l’efficacité de la gestion des terres, le logement durable, le transport urbain et l’assainissement, entre autres questions. M. Moussa, Ministre algérien de l’habitat, énumère d’autres facteurs de succès. Il s’agit notamment de la gestion efficace et équitable des terres, de la promulgation de lois foncières adaptées afin que les femmes et autres groupes vulnérables puissent y avoir accès et de l’amélioration des conditions de vie dans les grands ensembles de logement. L’installation d’écoles, de dispensaires, d’électricité et d’assainissement est importante, déclare M. Moussa. « On ne peut concevoir de plan de développement durable sans urbanisation durable », fait-il valoir. L’urbanisation doit être maîtrisée, ajoute-t-il, et des efforts doivent être réalisés « pour réduire les inégalités entre les riches et les pauvres en offrant des services de base à l’ensemble de la population ».

 

Kaci Racelma, article initialement paru sur la revue d'analyse sur l'Afrique de l'ONU, Afrique Renouveau

 

Crédit photo : Bidonville au Cap ; Bidonville à Rabat 

Droits fonciers : le combat des femmes (2)

Selon Mme Kagwanja, experte de l'ONG Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), les femmes veulent que leurs droits fondamentaux soient inscrits dans la constitution et que la loi garantisse sans ambigüité l’égalité des droits de propriété. Là où de tels instruments existent déjà, il est nécessaire d’harmoniser toutes les lois sur l’héritage et les terres avec la constitution, afin qu’elles aillent toutes dans le même sens. En outre, les institutions juridiques chargées de l’application des lois foncières doivent agir avec équité, respecter les femmes et étendre leur champ d’action aux campagnes. « Actuellement, souligne-elle, nous avons des institutions très centralisées. De plus, ce sont les hommes qui sont à la tête des mécanismes de règlement de litige et les recours en justice sont très coûteux et intimidants. »

Les régimes fonciers traditionnels doivent être repensés, ajoute-t-elle. Les chefs locaux autorisés à distribuer les terres les confient généralement aux hommes. « Comment démocratiser les systèmes de distribution des terres ? », s’interroge Mme Kagwanja. « Faut-il instaurer de nouveaux conseils de gestion des terres, dont les membres seront élus en tenant compte de la parité des sexes, comme en Tanzanie et en Ouganda ? Ou faut-il démocratiser l’ancien système ? Voici quelques questions auxquelles nous devons répondre. » Un vaste changement culturel est aussi essentiel, affirme Mme Mwangi. Ceux qui décident de l’allocation des terres ont leur propre conception du rôle des femmes. Elle a interviewé des hommes et des femmes sur le partage de la propriété foncière. « Je pense que les hommes ne sont pas prêts, observe-t-elle. Ils ne semblent pas très réceptifs à l’idée que les femmes puissent prendre des décisions quand il s’agit de terres. C’est un paradoxe. Le travail des femmes est essentiel à la productivité, pourtant ces terres sont littéralement hors de leur portée », ajoute-t-elle.

Progrès et défis

Des avancées ont tout de même été réalisées. Au Swaziland, les femmes ne peuvent pas être propriétaires de terres car elles sont considérées comme des mineures au regard de la loi. Mais des femmes séropositives qui n’avaient plus accès à leurs terres après la mort de leur mari ont réussi à négocier avec une femme chef de convaincre les autres chefs de leur donner des terres qu’elles pourraient exploiter pour subvenir à leurs besoins. Au Kenya, des organisations communautaires et d’autres groupes qui fournissent des soins à domicile aux personnes vivant avec le VIH/sida interviennent. Lorsque des terres sont saisies, ils négocient, le plus souvent avec les hommes de la famille, pour que les femmes et les filles conservent l’accès aux terres et aux biens.

Au Rwanda, le gouvernement a adopté en 1999 une loi qui confère aux femmes les mêmes droits en matière d’héritage qu’aux hommes, allant ainsi à l’encontre des normes traditionnelles qui garantissaient l’héritage seulement aux enfants de sexe masculin. Les veuves et orphelines du génocide de 1994 ont ainsi pu obtenir des terres. Actuellement, des organismes des Nations Unies comme la FAO, le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (ONU-Femmes) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) se joignent à des organisations non gouvernementales pour sensibiliser les femmes à leurs droits et soutenir les efforts visant à intégrer l’égalité d’accès aux terres dans les lois nationales.

Le programme d’ONU-Femmes pour les femmes rurales africaines comporte plusieurs volets permettant d’améliorer le rôle de la femme dans les activités de transformation agricole. L’accès équitable aux terres est à cet égard essentiel. Une de ses stratégies consiste à « renforcer les capacités des ministres de l’agriculture à soutenir en priorité les systèmes de production alimentaire des femmes dans leurs planification et mécanismes d’allocation des ressources ». Un des messages clés de ce programme de l’ONU est que « la femme rurale joue un rôle décisif dans la production et la sécurité alimentaire en Afrique ». Les gouvernements, les partenaires du développement et le secteur privé sont également invités à renforcer les droits fonciers des femmes car « ce qui profite aux femmes rurales relève du développement ».

 

Mary Kimani, article initialement paru dans Afrique Renouveau Magazine

Droits fonciers : le combat des femmes (1)

Selon les experts, les Africaines fournissent 70 % de la production alimentaire, constituent près de la moitié de la main-d’œuvre agricole et s'occupent de 80 % à 90 % de la transformation, du stockage et du transport des aliments, ainsi que des travaux de sarclage et de désherbage. Cependant, les femmes n'ont souvent pas droit à la propriété foncière, souligne Joan Kagwanja, expert de l'ONG Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), présente auprès de petits planteurs. Ce droit est généralement réservé aux chefs de famille, qui sont des hommes, et les femmes n’y ont généralement accès que par l’intermédiaire d’un parent de sexe masculin, souvent leur père ou mari. Et même dans ce cas, elles sont obligées chaque fois de remettre à un homme le revenu des ventes de produits agricoles et ne peuvent généralement pas décider de l’usage qui en sera fait.

De plus, cet accès limité aux terres est très précaire. D’après une étude réalisée en Zambie, plus du tiers des veuves sont privées d’accès aux terres familiales à la mort de leur mari. « C’est cette dépendance à l’égard des hommes qui rend de nombreuses femmes africaines vulnérables », explique Mme Kagwanja à Afrique Renouveau. La progression du VIH/sida et l’opprobre qui entoure la maladie n’ont fait que fragiliser davantage les droits fonciers des femmes. Les veuves dont les maris sont morts du sida ont souvent été accusées d’avoir introduit la maladie dans la famille. Il est arrivé que leurs terres et d'autres biens leur soient confisqués pour cette raison. Face à cette situation, les militants de la cause des femmes luttent pour faire adopter ou renforcer des lois visant à faciliter l'accès des femmes aux terres. Ils combattent les normes sociales et les pratiques traditionnelles qui s’y opposent. Et réalisent des progrès ici et là, en dépit de nombreux obstacles.

Le poids de l’histoire

Les chercheurs de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) de Washington notent que la marginalisation des femmes en matière de droits fonciers est un problème très ancien en Afrique. Avant la colonisation, la propriété et l'accès aux terres revêtaient diverses formes mais revenaient essentiellement aux lignées, clans et familles, sous le contrôle de chefs masculins. Les membres d’une lignée ou d’un clan particulier devaient donc consulter leur chef avant d’utiliser les terres. À l’exception de quelques communautés où l’héritage se transmettait par la mère, les droits fonciers revenaient seulement aux fils. Les femmes avaient rarement droit à la propriété foncière. Elles étaient considérées comme des ayants droit secondaires, par l’intermédiaire d’un parent de sexe masculin. Avant le mariage, une femme pouvait avoir accès aux terres de son père. Mais dans de nombreuses communautés, elle perdait ce droit en se mariant, car on supposait qu’elle aurait alors accès aux terres de son mari ou de sa belle-famille. Quand le mari mourait, ses terres revenaient à leurs fils, s'ils en avaient eu, sinon à un parent de sexe masculin.

Benjamin Cousins, agronome et enseignant à l'université de Western Cape en Afrique du sud, indique que par le passé, les femmes étaient protégées par des traditions qui leur permettaient d’avoir accès aux terres même après la séparation, le divorce ou la mort de leur époux. Il existait également des moyens d’arbitrage traditionnels auxquels les femmes pouvaient recourir en cas de refus. Mais la colonisation a importé les régimes fonciers occidentaux. En Afrique orientale et australe, le nombre élevé de colons blancs a favorisé la privatisation et le morcellement des terres détenues sous des titres francs individuels. En Afrique de l’Ouest, la plupart des terres sont restées des biens collectifs, gérés par les chefs traditionnels. A l’indépendance, certains gouvernements nouvellement formés, par exemple en Tanzanie, au Mozambique et au Bénin, ont nationalisé toutes les terres. Au Kenya et en Afrique du Sud, la propriété privée a coexisté avec la propriété par lignée ou par clan. Au Nigéria, l’État était également propriétaire, particulièrement en milieu urbain.

Au fil des ans, l’augmentation rapide de la population a contribué à la surexploitation des terres et à l’appauvrissement des sols. Les terres fertiles ont pris de la valeur et attisé la convoitise des acheteurs. Associées à l’évolution des structures familiales et des relations entre clans, ces pressions ont fragilisé les mécanismes sociaux traditionnels qui garantissaient aux femmes l’accès aux terres. Si bon nombre de conflits fonciers en Afrique sont encore officiellement régis par le droit coutumier, « de nombreux mécanismes de protection des femmes n’ont pas survécu » à la modernité, relève M. Cousins. De plus, il existe aujourd’hui de nombreuses situations, telles que la cohabitation sans mariage, ne relevant pas de la tradition. Par conséquent, « beaucoup de femmes n’ont plus accès aux parcelles de terres ». Aujourd’hui, de nombreux pays africains appliquent aussi bien le droit « traditionnel » de la propriété foncière que des lois calquées sur le modèle occidental. Au Nigéria, après l’indépendance acquise en 1960, l’État a pris possession de toutes les terres. Cela a certes fragilisé le régime foncier coutumier, mais le droit traditionnel a continué à être reconnu dans les régions où les terres étaient depuis longtemps la propriété des clans et des familles. L’application de la sharia dans les États du Nord du Nigéria a encore compliqué la situation.

Titres de propriété

Une des solutions préconisées à l’origine par les experts du développement occidentaux pour remédier aux lacunes du droit coutumier consistait à donner des titres de propriété aux individus. Esther Mwangi, spécialiste du droit foncier à l’université de Harvard, observe que les gouvernements de l’Afrique orientale et australe ont suivi cette approche pour permettre aux individus d’être officiellement propriétaires de leurs terres. Cette politique devait donc permettre aux femmes de disposer de droits fonciers reconnus par la loi, pour des biens qu’elles possédaient ou avaient reçus en héritage. « Dans les régions où je mène des recherches, la privatisation a en réalité privé les femmes de leur accès aux terres », explique Mme Mwangi à Afrique Renouveau. Lors de l’attribution de titres fonciers, ce sont les noms des hommes qui ont généralement été inscrits sur les registres parce que c’étaient eux les « chefs de famille ». Les veuves qui avaient la chance d’obtenir des terres ne recevaient que les plus petites parcelles.

Pour garantir l’accès des femmes aux terres, les militants du droit à la terre proposent de séparer la propriété officielle des terres de leur usage. Le titre de propriété d’une parcelle pourrait ainsi être établi au nom d’un homme, mais celui-ci n’aurait pas le droit de la vendre sans l’accord de sa ou de ses femmes ou d’autres héritiers. Le Ghana dispose d’une loi qui empêche le chef de famille de vendre des biens de la famille sans que les autres membres en soient informés, aient donné leur accord ou en perçoivent les bénéfices. « Une autre solution consisterait à établir le titre de propriété au nom des familles ou des hommes et des femmes », propose Mme Mwangi. « Lorsque les ressources telles que l’eau, l’assainissement et les pâturages doivent être partagées, des communautés entières sont ainsi reconnues propriétaires de la terre, et tout le monde bénéficie d’un accès égal », ajoute-t-elle.

Mais de telles idées sont plus faciles à proposer qu’à mettre en œuvre. Les militants du droit des femmes à la terre ont essayé de faire adopter des lois dans plusieurs pays, avec des résultats mitigés. En Ouganda, l’Uganda Land Alliance a fait pression pour que les titres de propriété soient établis à la fois au nom des hommes et des femmes, comme copropriétaires, mais ce projet de loi a été présenté à de nombreuses reprises au Parlement sans jamais être adopté. Là où des lois progressistes sont adoptées, les choses ne s’améliorent pas nécessairement. Au Mozambique, des groupes de la société civile ont fait adopter en 1997 une loi garantissant aux femmes l’accès aux terres et aux biens. « L’adoption de cette loi fut une victoire », a déclaré Lorena Magane de la Rural Association of Mutual Support à un journaliste. Mais Rachael Waterhouse, rédactrice d’un rapport sur l’égalité des sexes et les terres au Mozambique, estime que si la loi était bonne en théorie, sa mise en œuvre s’est avérée difficile parce que les tribunaux coutumiers, auxquels la plupart des femmes en milieu rural font appel, considèrent encore l’homme comme le chef de famille et, par conséquent, le détenteur de l’autorité légitime sur les terres.

Au Ghana, la loi de 1985 sur la succession ab intestat et celle relative à l’obligation de déclaration du chef de famille visaient à assurer la sécurité des veuves et des enfants. Si un homme mourait sans laisser de testament, la loi sur la succession stipulait que ses biens seraient équitablement répartis entre sa veuve, ses enfants et les autres membres de la famille étendue. Mais selon une étude réalisée par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans la région de la Volta, au Ghana, peu de femmes étaient au courant de ces lois et les pratiques traditionnelles continuaient de régir le droit à l’héritage. De ce fait, de nombreuses femmes n’avaient plus accès aux terres après la mort de leur conjoint.

Mary Kimani, article initialement paru sur Afrique Renouveau, revue d'analyse sur l'Afrique éditée par l'ONU

Crédit photo 1 : Redux / Hollandse Hoogte / Arie Kievit, photo illustrant un champ de mais au Malawi.

Crédit photo 2 : http://www.geo.fr/var/geo/storage/images/media/images/rubrique-environnement/actualite-durable/recolte-du-riz-pres-de-tombouctou-au-mali/167319-1-fre-FR/recolte-du-riz-pres-de-tombouctou-au-mali_940x705.jpg

 

Lesotho : survivre à l’ombre du géant sud-africain

La présence sud-africaine est partout visible au Lesotho. Des milliers de Basothos (ressortissants du Lesotho) travaillent chez le grand voisin. C’est aussi chez lui que le petit royaume, enclavé au cœur de l’Afrique du Sud, s’approvisionne en eau et électricité. Enfin l’Afrique du Sud partage généreusement avec le Lesotho les revenus d’une union douanière qui contribue de manière significative au budget du minuscule État. A quoi il faut ajouter l’omniprésence des sociétés sud-africaines dans des secteurs comme le commerce de détail, les assurances et la banque.

Mais cette ultra-dépendance, jusque là bénéfique, s’avère de moins en moins profitable. En dépit de modestes gains engrangés ces dernières années, le Lesotho reste l’un des pays les plus pauvres du monde. Le budget 2011-2012 aura été « le plus difficile que le gouvernement ait jamais adopté », reconnaît le ministre des Finances, Timothy Thahane. En cause : le ralentissement de la croissance économique, la hausse du taux de chômage et la baisse des revenus des travailleurs migrants qui perdent leurs emplois en Afrique du Sud. Le Lesotho est également confronté à la baisse de la production agricole et de l'espérance de vie, ainsi qu’à des taux élevés d'infection au VIH. Le pays a connu une baisse de 30 % des revenus domestiques et un déficit budgétaire monstrueux de 15 % au cours de l’exercice 2011-2012. Désormais, le gouvernement songe à solliciter des prêts auprès d’institutions financières internationales. Il espère aussi obtenir le soutien des bailleurs de fonds étrangers.

Une économie asphyxiée financièrement

Une chute drastique, l’an dernier, de sa quote-part au sein de l’Union douanière d'Afrique australe (SACU) a porté le coup le plus dur au budget. La SACU, l’union douanière la plus vieille du monde (elle a récemment célébré son centenaire), maintient le libre échange entre les pays membres (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Swaziland et Namibie) et applique un tarif extérieur commun aux États non-membres. Les revenus sont gérés par l’Afrique du Sud suivant une formule convenue. Depuis 1969, la SACU assure plus de la moitié des revenus budgétaires du Lesotho. Avec la récente crise financière mondiale, les échanges entre les membres de la SACU ont considérablement diminué, réduisant de moitié les recettes douanières du Lesotho.

La diminution des envois de fonds des travailleurs migrants en Afrique du Sud est un autre coup dur, le Lesotho étant fortement dépendant de ces revenus extérieurs. Le rapport 2011 de la Banque Mondiale sur les migrations et les rapatriements de fonds indique qu’environ 457 500 Basothos vivaient à l’étranger en 2010, pour une population totale de 2,1 millions. La Banque estime aussi que les envois de fonds ont contribué à hauteur de 525 millions de dollars en 2010, soit 30 % du PIB du pays. Malgré la hausse des cours mondiaux des minéraux, l’Afrique du Sud traverse une petite récession ces dernières années. Cette situation a eu un impact majeur sur le Lesotho dont les sociétés ont été contraintes de licencier, notamment dans le secteur minier, des milliers d'employés, parmi lesquels des migrants Basothos, réduisant ainsi les envois d’argent que ces derniers effectuent chez eux.

Le secteur textile en crise

Le secteur du textile a également été affecté. La faible demande de vêtements aux États-Unis a réduit les recettes et contribué à creuser le déficit budgétaire. Dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), une loi américaine, le Lesotho est devenu l’un des plus grands exportateurs de textiles d’Afrique au Sud du Sahara. L’AGOA permet aux pays africains éligibles de vendre leurs textiles aux États-Unis en bénéficiant d’avantages tarifaires uniques. Mais la surévaluation du rand sud-africain – auquel la monnaie nationale, le loti, est arrimée – a affecté la compétitivité du deuxième plus grand employeur du Lesotho.

De plus, les autorités s’inquiètent du sort de l’industrie textile si une clause figurant dans l’AGOA n’est pas renouvelée après son expiration en septembre 2012. Cette clause permet aux pays éligibles à l’AGOA, notamment le Lesotho et le Kenya, de s’approvisionner en tissus auprès de pays tiers tels que la Chine sans perdre les avantages qu’offre l’AGOA. « Notre principal défi sera l’expiration de l’AGOA. Le secteur textile emploie 45 000 personnes dans le pays », explique le gouverneur de la Banque centrale. Les recettes d’exportation du textile constituent 20 % du PIB du Lesotho. Certaines sociétés de fabrication de vêtements ont déjà fermé à cause de la faiblesse de la demande.

La situation dans le secteur agricole est tout aussi déprimante. Trois Basothos sur quatre vivent de l’agriculture de subsistance. Mais la contribution de la production céréalière au PIB est passée de 4,8 % en 2000 à 1,8 % à peine en 2010, ajoute M. Thahane. Les Nations Unies tirent la sonnette d’alarme. La production agricole est en baisse et pourrait s’interrompre dans la majeure partie du pays si des mesures ne sont pas prises pour contrecarrer l’érosion et la dégradation des sols et remédier au déclin de leur fertilité.

L'espoir d'un avenir meilleur

En dépit des difficultés économiques, le Lesotho se porte moins mal que d’autres pays de la sous-région, tels que le Swaziland et le Zimbabwe. Et l’espoir d’inverser la tendance existe, si les politiques actuelles visant à donner à l’économie une nouvelle orientation s’avèrent efficaces. L’eau, déclarent affectueusement les Basothos, c’est « l’or blanc » du Lesotho. Les revenus provenant de la vente de l’eau dans le cadre du Lesotho Highlands Water Project devraient augmenter avec la construction du barrage de Metolong. Dans le cadre du projet relatif à l’eau, mis sur pied en partenariat avec l’Afrique du Sud, le Lesotho exporte l’eau vers sa province voisine du Gauteng à travers une série de barrages et tunnels creusés dans les montagnes. Le Gauteng, plaque tournante de l’économie sud-africaine, dispose de très peu d’eau et doit faire appel au Lesotho pour étancher sa soif. Ce projet de plusieurs milliards de dollars génère aussi suffisamment d’énergie hydroélectrique pour répondre à environ 90 % des besoins énergétiques du Lesotho.

Le Lesotho peut aussi compter sur les bénéfices des exportations minières, dans un contexte marqué par la flambée des cours mondiaux des métaux précieux. Les revenus issus des diamants, certes encore négligeables, sont en hausse. Le gouvernement envisage de générer davantage de revenus en taillant et en polissant les diamants sur place. Bonne nouvelle, on annonce une petite augmentation des revenus de la SACU en 2012. Toutefois, la portée de cette embellie dépendra essentiellement de la nouvelle formule de partage des revenus actuellement à l'étude. Les législateurs américains ont également présenté un projet de loi visant à prolonger l’AGOA. Si ce projet est voté, le Lesotho pourra compter sur un flux de revenus constant de ses exportations textiles vers les États-Unis, à condition cependant que l’économie américaine poursuive son redressement.

Le Lesotho cherche également à attirer les investisseurs étrangers. Selon l’édition 2011 du rapport Doing Business de la Banque mondiale qui évalue le climat des affaires dans les pays, le Lesotho est classé 138ème sur 183 pays en lice. S’il assouplit les restrictions commerciales, le gouvernement pourrait aisément attirer des investisseurs dans les secteurs de l’exploitation minière, du textile et du détail. Toutefois, des défis majeurs s’annoncent. Il y a notamment la probabilité d’une autre récession mondiale qui pourrait compromettre les programmes économiques pourtant bien conçus du Lesotho. Pour l’instant cependant, le minuscule royaume montagneux a compris les dangers de son ultra-dépendance vis-à-vis du grand voisin sud-africain.

 

Masimba Tafirenyika, article initialement paru sur Afrique Renouveau Magazine, revue de l'Organisation des Nations Unies consacrée à l'Afrique.

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