Vues d’en haut les forêts de la République démocratique du Congo (RDC) s’étendent à l’infini. Denses, profondes, et apparemment impénétrables, les forêts de l’Afrique centrale s’étendent sur plus de 200 millions d’hectares. Elles offrent un refuge à tous, qu’il s’agisse d’espèces animales ou végétales rares en voie de disparition ou de miliciens redoutables. Il est difficile d’imaginer que ces vastes étendues d’anciennes régions boisées risquent de disparaître. D’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les forêts autochtones d’Afrique sont détruites au rythme de plus de quatre millions d’hectares par an. La FAO estime que, rien que de 1980 à 1995, la déforestation a représenté plus de 10 % du total de la couverture forestière du continent. Protéger les forêts de l’Afrique de la tronçonneuse et de la hache qui symbolisent l’intrusion de l’homme est indispensable à la bonne marche et au rendement de la plupart des activités économiques du continent, affirment les experts.
La forêt, un rempart contre le réchauffement climatique
La préservation des forêts tropicales de l’Afrique et la plantation de nouveaux arbres pour remplacer ceux détruits par la déforestation sont de nature à contribuer à l’atténuation de l’ampleur de l’évolution climatique et de minimiser les conséquences des changements climatiques sur le plan local. Mais l’un des arguments les plus frappants en faveur de la protection des forêts est le rôle de la déforestation dans le réchauffement planétaire. D’après le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), 20 à 25 % des émissions annuelles de dioxyde de carbone proviennent de la destruction des forêts par le feu à des fins agricoles.
Les mauvaises politiques de gestion des forêts, notamment la surexploitation, la récolte démesurée de bois de chauffage et de plantes médicinales et la construction de routes contribuent à aggraver le problème. Le ramassage du bois pour le chauffage et la cuisine et pour en faire du charbon est un phénomène particulier à l’Afrique, où le bois satisfait environ 70 % des besoins énergétiques des habitants, taux nettement supérieur à celui du reste du monde.
La conversion des terres forestières en terres agricoles, à des fins de subsistance ou commerciales, est de loin la cause la plus courante et la plus destructrice de la déforestation en Afrique et dans d’autres régions tropicales. À mesure que le besoin de terres agricoles augmente du fait de la pression démographique, des millions d’hectares de forêts tropicales partent en flammes en Afrique, Asie et Amérique latine. Un rapport publié par la FAO en 2000 et consacré à la foresterie durable en Afrique affirme “qu’il est communément admis que l’arrêt de la déforestation et le lancement de politiques de développement forestier durables passent par une amélioration des techniques de production alimentaire”.
Forêts et populations
Les populations pauvres des zones rurales du continent sont particulièrement dépendantes du milieu forestier. Bien que les produits forestiers, essentiellement le bois brut, ne constituent qu’environ 2 % des exportations de l’Afrique subsaharienne, les forêts représentent en moyenne 6 % de la production intérieure brute de la région, soit trois fois plus que la moyenne mondiale. Dix-huit pays africains, dont le Cameroun et le Ghana, comptent parmi les 24 pays dont les économies dépendent à 10 % ou plus de leurs forêts. Malgré les mises en garde des environnementalistes et des groupes de défense de l’environnement contre l’exploitation forestière non viable et souvent illégale en Afrique centrale et de l’Ouest, la moitié environ du bois extrait des forêts africaines est utilisée comme combustible par les habitants. Malgré les énormes pertes imputables à la déforestation, la région est un importateur net de produits en bois fini.
L’exploitation commerciale des forêts est la deuxième cause de déforestation en Afrique, menaçant l’existence des forêts autochtones du continent et, parfois, sa stabilité politique. D’après les environnementalistes et les experts des questions forestières, une partie du problème provient du recours généralisé à la coupe rase et à d’autres techniques agricoles nuisibles qui dépouillent de larges surfaces boisées des arbres et de la végétation, réduisant la capacité des forêts à retenir l’eau et à offrir un habitat approprié à la faune et à la flore. En outre, la coupe rase accélère parfois l’érosion du sol de surface au point où toute régénérescence ou reforestation naturelles deviennent impossibles.
Les chercheurs de l’ONU et des organisations non-gouvernementales affirment que les pratiques sans discernement et à forte intensité de travail inhérentes aux opérations forestières en Afrique centrale et dans d’autres régions en développement gaspillent environ 50 % des arbres coupés du fait de la destruction d’espèces non-commerciales et du défrichage des terres forestières pour faire place aux routes, aux campements forestiers et aux zones de travail. De surcroît, les déchets et la broussaille environnants sont brûlés, provoquant des émissions de carbone dans la nature.
De vastes régions des forêts autochtones de l’Afrique centrale risquent de disparaître. Rien qu’en RDC, la Banque mondiale estime que les concessions d’exploitation forestière, dont la plupart ont été accordées illégalement par des responsables sans scrupules pendant la guerre qui a déchiré ce pays, couvrent 50 millions d’hectares de forêts profondes. En 2002, le Gouvernement congolais a suspendu l’octroi de concessions d’exploitation dans l’attente d’une révision, sous la direction de la Banque mondiale, de douzaines de contrats d’exploitation forestière et d’extraction minière accordés par les gouvernements précédents. Le gouvernement a par ailleurs adopté un nouveau code forestier destiné à améliorer les méthodes de gestion et à assurer la transparence des procédures d’appels d’offre.
Mais l’incapacité de nombreux pays en développement à réguler et administrer leurs forêts en raison des conflits, du manque de moyens de coercition, des carences administratives et de la corruption a permis à l’exploitation illégale de prospérer. En 2006, la Banque mondiale a estimé à 15 milliards par an le manque à gagner en raison de l’exploitation illégale des forêts, dont cinq milliards de recettes publiques perdues pour cause de non-paiement d’impôts, de royalties et d’autres frais. Au Gabon, on estime que l’exploitation illégale représente 70 % des activités forestières du pays et au Ghana, environ 60 %. De l’avis de la Banque mondiale, l’ampleur du problème, et la corruption et le mépris de la loi qui l’accompagnent, “compromettent les efforts des pays de parvenir à une croissance économique durable, à l’équilibre social et à la protection de l’environnement”.
Eviter la déforestation
Des efforts visant à engager le secteur privé dans la lutte pour la conservation des forêts anciennes se poursuivent également au niveau international. En vertu du mécanisme pour un développement propre élaboré par le Protocole de Kyoto, l’instrument international visant à réduire les émissions des gaz à effet de serre, les pollueurs du Nord ont la possibilité de compenser une partie de leurs émissions en finançant des projets “verts” dans le Sud en développement. Les dispositions du protocole relatives à la foresterie autorisent les pays à recevoir des crédits pour la plantation de nouveaux arbres qui absorbent le gaz carbonique pendant leur croissance. Par contre, des incitations analogues pour épargner les forêts, connues sous le nom de “déforestation évitée”, ont été écartées du mécanisme en raison des désaccords entre États sur la manière de calculer leur valeur en tant que réservoirs de gaz carbonique et sur les mesures à adopter au cas où les arbres protégés seraient coupés ultérieurement.
Les pays à fort couvert forestier ont dénoncé le refus d’autoriser le mécanisme à financer la préservation des forêts anciennes comme injuste et malavisée. En septembre 2007, le Gabon, le Cameroun, la RDC, Costa Rica, le Brésil, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’Indonésie et la Malaisie, qui comprennent environ 80 % des forêts tropicales de la planète, ont formé le Groupe forestier des Huit pour contester cette décision.
Le groupe a fait remarquer que si la “déforestation évitée” bénéficiait des mêmes incitations que les programmes de reforestation, les Huit auraient droit à recevoir des pays polluants des milliards de dollars au titre d’investissements “verts”. Cet argent servirait alors à financer d’autres programmes de lutte contre les changements climatiques. Les pays du groupe ont également fait remarquer que les efforts des pays africains et autres pays en développement d’attirer des capitaux du mécanisme avaient dans l’ensemble échoué et que ceux-ci ne disposaient pas des moyens nécessaires pour s’adapter à l’évolution climatique et réduire leurs propres émissions.
Au début de 2007, la Banque mondiale a annoncé un projet de constitution d’un fonds pilote de 250 millions de dollars pour financer les programmes de “déforestation évitée” dans les pays en développement. Bien que bénéficiant d’un large soutien dans les pays en développement, cette proposition demeure controversée car elle ne règle pas la question du calcul de la valeur du gaz carbonique dans les forêts existantes et nourrit les craintes d’un possible chantage des pays à fort couvert forestier de couper leurs propres forêts. Soulignant que la déforestation était interdite dans la plupart des pays, un haut conseiller américain en matière d’environnement a dénoncé cette proposition, déclarant au journal britannique Financial Times “qu’on récompenserait les gens à ne pas se livrer à des activités illégales”.
Mais quelle que soit la manière dont l’humanité entend conserver ses forêts autochtones, celles-ci sont tout simplement trop précieuses pour disparaître.
Michael Fleshman, article paru sur Afrique Renouveau, communication de l'ONU spécialisée sur l'Afrique