Frantz Fanon (1) : sa vie

Frantz Fanon a vu le jour en Martinique, en 1925, dans une famille relativement aisée, plutôt assimilationniste qu'indépendantiste. Comme beaucoup d'autres jeunes de sa génération, il aurait pu fermer les yeux et rester muet devant la misère et l'oppression de son peuple. Mais voilà, « il y a de ces hommes qui naissent engagés, ils n'ont pas le choix » ; Frantz Fanon était de ceux-là. En 1940, alors qu'il n'a que 16 ans, il pose son premier acte d'engagement important. A l'époque, c'est le début de la seconde guerre mondiale, les Antilles (la France ayant été vaincue) sont alors sous administration de l'Amiral Robert, représentant du Maréchal Pétain. « Le régime du pacte colonial inauguré par Colbert, et toujours en vigueur, s'aggrave car il épouse les termes de Gobineau sur l'inégalité des races ». Des jeunes Martiniquais, ressentant alors dans leur propre chair et âme les morsures du racisme, partent en dissidence et rejoignent les forces alliées anglaises de la Dominique. Fanon est l'un de ces dissidents. II se porte volontaire pour participer à la guerre contre Hitler.

Quand on lui demande ce qu'il va faire dans cette guerre de Blancs, Fanon répond : « A chaque fois que la liberté est en question, nous sommes concernés, Blancs, Noirs, Jaunes, Kakos. Chaque fois, et en quelques lieu que 1a liberté sera menacée, je m'engagerai ». Mais voilà, Fanon va subir un choc en découvrant le racisme au sein de "l'armée de la liberté" : « Nous Antillais, servons dans l'Armée Française à titre d'Européens à côté de nos frères africains qui servent à titre d'indigènes. Pour nous distinguer les uns des autres, nous portons le calot, les soldats africains portant la chéchia, mais dans le camp nous vivons ensemble avec les vrais européens, les vrais français, les Blancs. II suffit que nous nous promenions tête nue dans le camp européen pour subir le tutoiement imbécile du caporal ou le coup de pied aux fesses. » A la fin de la guerre, Frantz rentre sain et sauf en Martinique. Dans son île, Fanon mène une intense activité militante et participe notamment à la campagne du candidat communiste pour la première Législature de la 4éme République, candidat qui n'est autre qu'Aimé Césaire. En 1946, après avoir passé son bac, Fanon obtient une bourse d'études pour Lyon, à titre d'ancien combattant.

Le psychiatre

A Lyon, il partage son temps entre la lecture de la philosophie, la médecine et la neuropsychiatrie. Le contact permanent avec les travailleurs immigrés de Lyon et la confrontation quotidienne avec le racisme l'amènent à faire une étude magistrale sur le phénomène de l'intériorisation du regard raciste du colonisateur par le colonisé qui crée chez celui-ci le phénomène de l'aliénation culturelle. Fanon se propose de soutenir ce travail comme thèse de doctorat. Cette étude, ou plutôt ce livre, Peau noir masques blancs, est refusée (à cause de son contenu subversif) car « ne relevant pas exclusivement de la neuropsychiatrie ». Fanon poursuit le cours de ses études et les termine en 1951. Son intention alors est d'aller travailler en Afrique avant de rentrer s'installer aux Antilles. Sa demande d'emploi faite à Senghor étant restée sans réponse, il accepte l'offre d'aller en Algérie en tant que médecin-chef à la clinique psychiatrique de Blida.

Là, Fanon est confronté à des patients qu’il essaie de guérir par une sorte de thérapie sociale. En quoi consiste cette pratique ? Fanon : « il s'agit d'établir les bases d'une psychanalyse engagée où le monologue mental débouche sur le dialogue social, où la solitude sécurisante du divan de l'analyste prélude à l'affrontement d'un monde à transformer ». Plus simplement, cette pratique consiste à développer chez les malades des formes de vie collective, de démocratie, afin d'ébaucher des formes de sociabilité leur permettant de se réinsérer dans la société. Après trois ans d'exercice, Fanon tire une conclusion : la guérison des malades passe d'abord par la désaliénation politique nationale. Il quitte la clinique. Dans sa lettre de démission, il explique son geste en ces termes :

« Si la psychiatrie est la technique médicale qui se propose de permettre à l'homme de ne plus être étranger à son environnement, je me dois d'affirmer que l'Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue. Le statut de l'Algérie ? Une déshumanisation systématisée. Or, le pari absurde était de vouloir coûte que coûte fa ire exister quelques valeurs alors que le non-droit, l'inégalité, le meurtre multi quotidien de l'homme étaient érigés en principes législatifs. La structure sociale existant en Algérie s'opposait à toute tentative de remettre l'individu à sa place. » Le constat établi, Fanon doit alors accorder sa pratique militante à son discours politique. C'est ainsi qu'il rejoint la lutte de libération nationale algérienne.

Le militant

L'engagement de Fanon aux côtés du peuple algérien commence par la formation clandestine des infirmiers pour le maquis, ensuite par l'aide au ravitaillement en armes et en matériel. Ses activités sont vite découvertes, et Fanon est alors expulsé d'Algérie en 1956. II se fixe à Tunis où il collabore à la rédaction d'El Moudjahid et contribue beaucoup á l'orientation politique du FLN. En 1958, il écrit un livre L'An V de la Révolution où Il explique notamment son engagement personnel dans la lutte de libération algérienne. La même année, en tant que membre du GPRA, Fanon participe au Congrès Panafricain à Accra. Sa vision de la révolution algérienne se panafricanise : « Les peuples africains sont concrètement engagés dans une lutte globale contre la colonisation, et nous Algériens, ne dissocions pas le combat que nous menons de celui des Rhodésiens et des Kenyans. La solidarité à l'égard de nos frères n'est pas verbale. La solidarité interafricaine doit être une solidarité de fait, une solidarité d'action, une solidarité concrète en hommes, en matériel, en argent ». Joignant l'acte à la parole, Fanon apporte son soutien au mouvement de libération angolais en initiant ses militants aux techniques de lutte de guérilla. En Août 1960, Fanon rencontre Lumumba avec lequel il se lie d'amitié. Quand celui-ci est assassiné en 1960, Fanon écrit : « Les Africains devront se souvenir de cette leçon. Les événements du Congo doivent nous servir d'exemple. Il n'y aura pas une Afrique qui se bat contre le colonialisme et une Afrique qui tente de s'accommoder avec. »

Atteint de leucémie depuis 1960, Fanon séjourne dans une clinique de Moscou en 1961, puis revient à Tunis. II sollicite alors un poste d'ambassadeur à Cuba qui lui est refusé. Tout en continuant à former des cadres de l'ALN, il rédige son testament politique et idéologique, Les damnés de la terre, un livre qui va marquer des générations de révolutionnaires dans le monde. Le 6 décembre 1961, Fanon s'éteint dans un hôpital de Washington. Il laisse derrière lui non pas un système idéologique mais une série d'interpellations, õ combien d'actualité encore !

 David Gakunzi, article initialement publié sur Africa Time for Peace et Pensées Noires

Maman Maggy reçoit le Prix de la Fondation Chirac

 

Ce 24 novembre 2011, Kofi Annan, prix Nobel de la paix et ancien Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, a remis, pour sa troisième édition, le Prix de la fondation  Chirac, à la « Mère Teresa » burundaise. « Chère Maggy, vous êtes un exemple pour votre pays, pour l’Afrique et  pour le monde. Vous êtes une femme de foi, de courage et d’espérance au service de la jeunesse du Burundi », a déclaré le premier ministre François Fillon dans son discours. « Je suis contente et fière d’être une burundaise qui a remporté ce prix.  Je suis encouragée de voir toutes ses hautes personnalités et des burundais venant de différents coins du monde, s’être  déplacés pour me soutenir », a-t-elle confié.

Deux prix pour deux femmes exemplaires

La Fondation Chirac décerne chaque année deux distinctions : le Prix de la Fondation Chirac récompense une ou des personnes de la société civile et le Prix Spécial du Jury, une ou des personnalités publiques. Si semblables mais si différentes, les deux lauréates 2011, ont des parcours opposés.

L’une, Marguerite Barankitse, est enseignante de formation, et mène une vie de mère entièrement dévouée aux enfants victimes de la guerre. Ce Prix, doté de 100 000 euros va lui permettre de poursuivre son action en faveur de la réconciliation au Burundi.

Et l’autre, la Canadienne Louise Arbour est juriste et s’attaque avec détermination aux criminels de guerre. Elle a été le premier procureur du Tribunal Pénal international (TPI) pour l’Ex-Yougoslavie et du TPI pour le Rwanda. Le Prix Spécial du Jury  la récompense notamment pour ses innovations majeures qui ont permis à la justice internationale de s’affirmer contre l’esprit d’impunité. Ses nombreuses initiatives, notamment les « actes d’accusations scellés » (inculpations gardées secrètes contre des criminels de guerre, des auteurs d’actes de génocide, qu’ils soient hauts responsables politiques ou militaires), et la sensibilisation des médias au travail du TPI ont largement contribué à renforcer la justice internationale. Les inculpations prononcées aujourd’hui par la CPI témoignent de ce processus désormais inéluctable.

Une rescapée de guerre au service des enfants

L’action  de Maman Maggy a commencé en  1993, lorsque 72 personnes ont été massacrées devant ses yeux, elle-même y ayant échappé de justesse. Courageuse, elle est allée sur les champs de bataille recueillir les blessés. Elle a rassemblé  des orphelins sans distinction ethnique. Grâce à l’apport de certains bienfaiteurs, elle a pu construire la Maison Shalom de Ruyigi où vivent aujourd’hui 20 000 enfants. Un centre d’apprentissage des métiers de plomberie, menuiserie, agriculture, élevage, et couture est mis à disposition des orphelins. Marguerite Barankitse a aussi fait construire à Ruyigi l’hôpital Rema qui prend en charge la protection maternelle et infantile. Un centre de dépistage du VIH/SIDA  accueille aussi les séropositives ; les patientes y reçoivent des conseils, des antiviraux, de la nourriture.

Une ambassadrice de bonne volonté pour le Burundi

Dans certains médias internationaux, Maman Maggy  est comparée à Nelson Mandela, pour  sa lutte contre la discrimination ethnique. D’autres la comparent à Mère Teresa pour son engagement envers les enfants. Une semaine avant la  remise de son prix,  des grandes affiches ont été arborées sur les murs de différentes stations de métros  parisiens, des RER de l’île de France, et  sur le grand boulevard des champs Elysées. Grâce à l’action de Maman Maggy et à la récompense de la Fondation Chirac, de plus en plus de personnes découvrent le Burundi. Maman Maggy fait la fierté de ce pays  à l’étranger et offre un bel exemple d’engagement social.

Landry Rukingamubiri

 

Les dangers de l’intervention kenyane en Somalie

Le 16 octobre dernier, les forces kenyanes entraient dans le sud de la Somalie pour neutraliser al-Shabaab, mouvement islamiste en guerre contre le faible Gouvernement Fédéral de Transition (TFG). Cette intervention armée intervient après que plusieurs occidentaux ont été enlevés au Kenya, dans des zones touristiques et parmi les travailleurs humanitaires. Le Kenya n’aurait peut-être pas dû intervenir en Somalie, car cette action militaire risque d’aggraver la situation politique et humanitaire d’un pays décimé par vingt années de guerre civile.

Il convient avant tout de rappeler que cette intervention musclée s’est effectuée dans un cadre légal contestable. Le Kenya a certes invoqué son droit à la légitime défense contre la menace terroriste d’al-Shabaab – action reconnue et légitimée par les États-Unis. Pourtant, Washington n’a pas de mandat pour décider de la légalité des interventions internationales. Si l’article 51 de la Charte des Nations Unies reconnait le droit à l’autodéfense, il stipule en revanche qu’il s’exerce « jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales », et que dans tous les cas les actions militaires menées au nom du droit à la légitime défense doivent être « immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité », ce qui n’est pas le cas pour l’intervention kenyane. Bien qu’il existe une menace terroriste constante d’al-Shabaab, il est en revanche nécessaire de rappeler que le mouvement islamiste a nié sa responsabilité dans les attentats commis contre des Occidentaux sur le sol kenyan. Al-Shabaab a pourtant toujours revendiqué ses attentats, que ce soit sur le sol Somalien (attentat meurtrier du 4 octobre dernier) ou sur la scène régionale (Kampala en juillet 2010).

En outre, le Kenya n’a fait état d’aucune preuve contre les Shabaab, dans une région où opèrent de nombreux groupes criminels distincts, pirates ou milices armées. L’argument de légitime défense contre la menace des kidnappings apparaît ainsi comme un prétexte pour lancer une attaque prévue de longue date. Depuis des années, le Kenya, soutenu par les Etats-Unis, recrute et entraine des somaliens réfugiés dans le Nord du pays pour combattre al-Shabaab. Pourtant, l’intervention s’est faite sans concertation avec le TFG, certes extrêmement faible mais furieux, dont le président Sheik Sharif Sheik Ahmed a dénoncé une action « inappropriée » contre la souveraineté somalienne. Enfin, la légalité de cette intervention militaire dans le contexte national kenyan est discutable : la Constitution kenyane prévoit une approbation préalable du Parlement pour toute déclaration de guerre.

Outre les arguments légaux, l’intervention kenyane est hautement incertaine du strict point de vue militaire, et soulève de nombreux doutes quant à sa faisabilité. Les Etats-Unis et l’Ethiopie, dont la puissance militaire équivaut largement celle du Kenya, s’y essayèrent, avec le succès que l’on sait, respectivement en 1993 et 2009. Le bilan des Nations Unies et de l’Union Africaine (UA) est tout aussi médiocre. Le risque de rester enlisé dans un conflit sans fin est réel. Même si al-Shabaab s’était affaibli au cours des derniers mois, l’organisation reste néanmoins très performante dans les tactiques de guérilla. Par ailleurs, les militants d’al-Shabaab seraient actuellement ravitaillés en armes par avion. Le Kenya accuse l’Erythrée d’en être à l’origine et menace de couper les liens diplomatiques avec Asmara. L’intervention kenyane réveille pourtant des ambitions de part et d’autres. Il est vraisemblable que les Etats-Unis, qui rêvent d’éradiquer les Shabaab, aient apporté leur soutien dans la planification de cette intervention, bien que l’administration américaine affirme avoir été surprise par cet assaut. En outre, les Etats-Unis lancent régulièrement dans le sud de la Somalie des attaques de drones depuis leurs bases éthiopiennes, et viennent d’annoncer le renforcement de leur base militaire à Djibouti ainsi que l’ouverture d’une nouvelle base aux Seychelles. D’autre pays ont préféré saisir l’opportunité de combattre al-Shabaab en passant par le mandat légal d’AMISOM (Mission de maintien de la paix de l’Union africaine en Somalie). Ainsi, des troupes sierra-léonaises et djiboutiennes viendront bientôt appuyer les soldats ougandais et burundais de la mission de l’UA.

Au-delà des risques militaires, l’intervention kenyane risque d’avoir des conséquences politiques désastreuses, radicalisant et régionalisant l’action d’al-Shabaab. Le mouvement islamiste, récemment divisé et affaibli, possède désormais le meilleur des prétextes pour s’unifier contre un ennemi commun. De la même manière, l’intervention du Kenya risque de donner aux Shabaab de bonnes raisons d’agir au-delà des frontières somaliennes. Jusqu’à présent, la lutte d’al-Shabaab était avant tout une affaire de politique intérieure. La violence extrême de la guerre civile somalienne restait contenue à l’intérieur des frontières du pays, et le seul attentat commis dans un pays étranger était contre l’Ouganda, plus gros pays fournisseur de troupes pour AMISOM. Aujourd’hui, al-Shabaab a déjà annoncé des représailles contre le Kenya, comme en témoigne l’attentat à la voiture piégée près du Ministère des Affaires Etrangères somalien lors de la visite d’officiels kenyan le 18 octobre dernier. La radicalisation et la régionalisation des Shabaab risquent de mettre définitivement une croix sur les espoirs de résolution du conflit somalien. Les leçons tirées des précédentes expériences militaires semblent pourtant indiquer que seule une négociation sans pré-conditions et l’intégration politique d’al-Shabaab au sein du gouvernement permettrait de stabiliser et construire un Etat somalien viable.

Enfin, il semble nécessaire de rappeler que l’intervention kenyane a lieu au cœur d’une crise humanitaire de taille. Le bombardement de villages entiers cause d’ores des « dommages collatéraux » massifs et provoque le déplacement de populations civiles vers des zones sans aucune capacité d’absorption. L’accès au nord du Kenya est par ailleurs pratiquement bloqué pour les réfugiés qui se dirigent désormais vers l’Ethiopie. Enfin, la déclaration de guerre du Kenya restreint plus encore les chances de négociations avec les Shabaab en vue d’obtenir un accès humanitaire aux zones qu’ils contrôlent.

Marie Doucey

L’Algérie, une économie rentière en danger (2)

Un fort taux de chômage et un fort taux d’inflation

La première revendication des jeunes Algériens est le travail. Les statistiques du Fmi montrent qu’ils étaient plus de 1,245 million à être au chômage en 2008, soit 13 % de la population active. En 2011, les prévisions tablaient sur un taux plus important à hauteur de 13,3 %.

À cela s’ajoute un taux d’inflation qui a connu en 2008 le niveau le plus élevé depuis le début de cette décennie (6,1 % au premier trimestre 2009). Il s’établit à 4,4 % en moyenne fin 2008, en hausse d’un point par rapport à fin 2007. L’augmentation de variation des indices des prix à la consommation est due essentiellement à l’accroissement des prix des produits alimentaires, dont la variation de l’indice a atteint 7,4 %, sous l’effet de la hausse des prix internationaux des produits alimentaires (+10,8 %) et des produits agricoles frais (+ 4,1 %).

Tableau (6) : Moyenne annuelle et glissement sur 12 mois de taux d’inflation (en %).

 

 
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Moyenne annuelle
0,34
4,23
1,42
2,59
3,56
1,64
2,53
3,51
4,4
Glissement sur 12 mois
0,12
7,56
-1,55
3,96
1,98
1,66
4,44
3,86
5,8

Source : Banque d’Algérie 2009.

Les faibles investissements directs en Algérie

Même si l’économie nationale dispose d’énormes potentialités, les IDE en Algérie restent très faibles. Selon les statistiques du FMI, le maximum d’IDE nets en Algérie n’a pas dépassé les 1,8 milliard de dollars en 2006. La majorité des secteurs économiques ne bénéficient que de très peu d’IDE, sinon des investissements spéculatifs à court terme. Malgré les efforts pour attirer l’implantation des entreprises étrangères depuis le début du millénaire, l’Algérie n’est toujours pas un pays attractif. Cela est dû à des raisons multiples et complexes dont la plus importante reste la rude concurrence de la Tunisie et du Maroc qui attirent nettement plus d’IDE, favorisés par leur climat d’affaires, leurs législations commerciales et surtout la confiance des acteurs économiques dans la souplesse, la transparence et à la crédibilité de leurs systèmes administratifs par rapport au système algérien.

Un recours accru aux importations

En l’absence d’un fort taux d’investissement pour stimuler l’activité industrielle et créer des emplois, sans base productive qui peut répondre à une demande nationale de plus en plus forte et à une consommation en plein essor, l’Algérie ne peut que se tourner vers les importations pour couvrir la demande locale. Avec 2,5 % de valeur d’exportations hors hydrocarbures en 2008 le bilan du commerce extérieur est plus que catastrophique, tandis que ses exportations n’ont progressé que de 600 millions de dollars par rapport à 2007, date à laquelle leur valeur avoisinait 1,3 milliard de dollars.

Exprimés en dollar courant, les flux du commerce extérieur de marchandises fin décembre 2008 ont enregistré une progression des importations de 41,7 %. Ainsi, on note une hausse des flux à l’importation des biens d’équipements et des biens intermédiaires pour répondre aux besoins des grands projets d’infrastructures entrepris dans le cadre du programme complémentaire de soutien à la croissance. Sur la période 2005-2008, les importations de ces produits ont évolué comme suit :

Tableau (7) : Évolution des l’importation des biens (en milliards de dollars).

 

Importations
2005
2006
2007
2008
Biens intermédiaires
5,051
6,021
8,754
11,832
Biens d’équipements
8,612
8,624
8,680
13,196

Source : Ministère des finances 2009.

Dans l’ensemble, les importations ont connu une augmentation de 2052,45 % (en valeur nominale) depuis 1992. Au premier semestre de l’année 2009, elles ont enregistré une hausse de 4,04 % par rapport aux six premiers mois de 2008, soit un total de 19,70 milliards de dollars. En 2008, les importations de bien alimentaires et des biens de consommation ont évolué respectivement de + 5,7 % et + 4,0 % par rapport à 2007. 6,412 milliards de dollars pour les biens de consommation non alimentaires, dont 1,851 milliard de dollars consacrés aux achats des médicaments, en progression de 27,83 % par rapport à 2007. Mais le plus alarmant demeure la lourdeur de la facture alimentaire qui a représenté en 2008 près de 8 milliards de dollars.

Le recours aux importations des céréales, des huiles alimentaires, du sucre et de lait s’impose de jour en jour et de plus en plus pour couvrir les besoins de la population. Cette situation a fait augmenter le poids de la facture alimentaire, et nécessite un accroissement constant des ressources en devises consacrées à la satisfaction de la demande locale : 1 milliard de dollars dans les années 1970, 2 milliards dans les années 1980, 2,5 milliards dans les années 1990, 3 milliards de dollars en 2005. Au cours des dix premiers mois de l’année 2010, la facture alimentaire de l’Algérie a atteint les 4,89 milliards de dollars, soit une baisse de 15,68 % par rapport à 2009 pour un montant de 5,8 milliards de dollars, loin du record de 2008 où elle avait atteint les 7,716 milliards de dollars (4,954 milliards de dollars en 2007). En 2010, la facture des céréales a enregistré une baisse insignifiante par rapport à celle de 2009 où elle avait atteint les 2,34 milliards de dollars en baisse de près de 41 % par rapport à 2008 (3,967 milliards de dollars en 2008 et 1,987 milliards de dollars en 2007).

Graphique (1) : Évolution des importations et des exportations de 1992 à 2008.
En millions de $ (prix courant) 
 
Source : Office national des statistiques (2009).

Les menaces sur un modèle économique en déperdition

Le modèle économique rentier appliqué dans le pays depuis l’indépendance est toujours en vigueur. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont appelé à revoir cette stratégie qui se base sur l’exploitation extrêmement risquée d’une ressource non renouvelable dont le tarissement est établi à moyen terme. Cela rend les perspectives de l’économie plus que sombres et fait du pétrole un cadeau empoisonné pour l’Algérie. En effet, alors que la rente pétrolière représente près de 50 % du PIB, alors que les recettes des exportations constituent plus de 98 % des entrées totales des devises, alors qu’environ 70 % des recettes fiscales de l’État sont issues de ce secteur, les niveaux des réserves prouvées (ressources non exploitées) sont pour le moins, très moyens.

Les statistiques indiquent que les niveaux des réserves prouvées en 2008 sont de l’ordre de 12,2 milliards de barils, soit 0,926 % des réserves mondiales prouvées du pétrole, ce qui classe l’Algérie en 2008 au 16e rang mondial. À partir de ces chiffres, et au rythme actuel d’extraction, le pays peut encore produire pendant 16 ans, ce qui pose un problème de validité du système de financement de l’économie nationale à long terme. En revanche, la situation est meilleure pour ce qui concerne les réserves du gaz naturel. Avec plus de 161,740 billions de pieds cube (4 576,5 milliards de m³), soit 2,641 % des réserves mondiales prouvées du gaz naturel en 2008, l’Algérie occupe le 8e rang mondial. À partir de ces chiffres, l’Algérie peut assurer son rythme de production pour un demi-siècle encore.

Certes, ces réserves constituent une rente importante qui pourrait garantir des ressources financières futures pour le financement de l’économie, mais hélas, elles demeurent très insuffisantes par rapport aux défis futurs. Une nouvelle source financière doit être trouvée afin de sortir l’économie algérienne de son système rentier et en finir avec son statut d’économie mono-exportatrice qui se base exclusivement sur l’exploitation risquée d’une ressource naturelle épuisable et non renouvelable. L’Algérie souffre toujours de ce que max Corden nommait dans les années 1980, le « Dutch disease » qui se traduit par un ensemble de phénomènes complexes qui handicapent les secteurs manufacturiers et la croissance d’une économie, suite à l’exploitation d’une matière première (ce fut le cas également en Grande-Bretagne, en Norvège, au Pays bas, au Mexique et dans les pays du Golfe).

Cela entraîne, selon ladite théorie, un effet de dépense qui se manifeste sur le marché des biens et le marché des facteurs. Depuis l’indépendance et jusqu’aujourd’hui, la rente continuede financer l’économie algérienne. De 2009 à 2014, le pays envisage de dépenser un montant de 280 milliards de dollars dans sa stratégie de développement nationale. Alors que les conditions nécessaires pour un développement économique conséquent et durable ne sont pas satisfaites, le pays risque de se retrouver confronté aux mêmes défis et inquiétudes que par le passé. Les fondamentaux de développement économique en Algérie sont absents :

  • L’absence d’institutions efficaces ou ce que Douglass North (Prix Nobel 1993) appelait dans son livre « Institutions, Institutional Change and Economic Performance » une condition primordiale pour le bon encadrement de l’économie. En Algérie, la Cour des comptes, l’Inspection des douanes, le Parlement sont des institutions de contrôle étatique qui ne remplissent pas correctement leurs rôles.
  • L’absence d’un capital humain ou ce qu’Amartya Sen (Prix Nobel 1998) appelait une des conditions de développement d’une nation. Le pays ne dispose pas d’une élite capable d’entraîner un changement politique ou économique. Le pays est toujours tributaire et dépend entièrement des entreprises étrangères pour la réalisation des projets. Comme le rappelle Luis Martinez dans son livre Violence de la rente pétrolière[20], l’Algérie n’a ni les moyens ni les outils, les idées ou les ressources humaines pour mettre en œuvre une stratégie de diversification économique. En définitive, le pays achète son développement au lieu de le bâtir.
  • L’absence de la perspective économique et la vision stratégique de l’État à long terme afin de réaliser le développement de la nation. Joseph Stiglitz (Prix Nobel 2001) rappelle que le développement est une tâche difficile et complexe en même temps, cependant la tâche des pays en développement est, en un sens plus facile que celle de l’Europe et des États-Unis dans le passé, il s’agit aujourd’hui de rattraper et non pas de progresser en territoire inconnu. Dans ce cadre, n’est-il pas important que l’Algérie bénéficie de l’expérience empirique des États pétroliers dont le développement l’a précédé ? La Norvège par exemple a placé ses rentes pétrolières dans le fonds souverain « Governement Pension Fund-Global » pour pouvoir développer l’économie locale, tandis que le Koweït a adopté une politique équivalente de création de fonds et de diversification de l’économie. La Malaisie quant à elle a su, grâce à sa rente pétrolière, mettre en œuvre une stratégie de développement de son système éducatif et de santé afin de doter le pays des outils pour asseoir sa politique de développement.

Quelle politique pour quel objectif de l’avenir ?

Face à l’actualité, face à l’incertitude de l’économie algérienne même à court terme, il est plus que nécessaire de repenser un modèle de développement permettant de réussir une réelle transition vers l’économie du marché, édifier une croissance libérée de la dépendance aux hydrocarbures et de l’emprise de la volatilité de leurs prix et effacer les avatars d’une politique de développement jusque-là quasi chimérique. Une occasion de redresser l’économie par l’exécution de profondes transformations structurelles qui engendreront de l’emploi à long terme.

À défaut d’une nouvelle alternative qui prendra en charge les préoccupations économiques et sociales de la population et celles des jeunes en particulier, la situation en Algérie risque de s’embraser dans un futur très proche comme ce fut le cas en Tunisie, en Égypte et en Libye. Il est plus qu’urgent d’accentuer les efforts pour assurer un avenir florissant et un développement durable et solidaire pour le pays. L’application d’une vraie stratégie de développement est plus qu’indispensable. Un développement qui doit s’effectuer dans tous les secteurs en même temps au prix de lourds investissements au profit des jeunes Algériens, afin de résorber d’une manière efficace le chômage et aider à réaliser une croissance rapide assurant la réussite d’une transition d’économie rentière à une économie productive répondant ainsi aux besoins de la population algérienne, ainsi qu’à ceux des générations futures.

 

Mohamed Chabane, article initialement paru sur Revue Averroès

L’Algérie, une économie rentière en danger (1)

Les dernières années ont été plutôt fastes pour l'Algérie qui a connu des évolutions favorables pour ses principaux équilibres macro-économiques et financiers. En 2008, le produit intérieur brut (PIB) en volume a connu un taux de croissance de 2,4 %. Sa valeur (en terme nominal) est passée de 135,3 milliards de dollars à plus de 162,9 milliards de dollars, aboutissant à un PIB par habitant de près de 4 681 dollars par an. Avec près de 80 milliards de dollars d’exportations, l’Algérie a réalisé un excédent commercial de 39,983 milliards de dollars, contre 32,898 milliards de dollars en 2007, soit une augmentation de 21,53 % de la balance commerciale et de 30,48 % des exportations en valeur. Les réserves de change qui avaient franchi la barre des 110 milliards de dollars en 2007 (110,2 milliards en fin d’année) s’établissaient fin 2008 à 143,1 milliards de dollars, soit une augmentation de près d’un tiers (29,85 %) par rapport aux douze derniers mois. L’évolution des réserves de change à ce rythme représente une couverture d’importations de plus de deux ans et demi après avoir été d’un an et demi seulement en 2003, comme nous pouvons le constater dans le tableau (1).

Tableau (1) : Couverture des réserves de change en mois d’importation[3].
Indicateurs
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
En mois d’importations n+1 (fab)
18,1
21,0
26,5
28,0
27,4
31,0
38

Source: IMF Country Report No.11/40, February 2011.

La balance des paiements a enregistré en 2008 un excédent global de 37 milliards de dollars, contre 29,6 milliards de dollars en 2007. Le solde de compte courant s’est établi en 2008 à 35,2 milliards de dollars.

Le niveau de la fiscalité pétrolière budgétisée est passé de 14,296 milliards de dollars à 26,391 milliards de dollars entre la loi des finances initiale 2008 (LFI 08) et complémentaire de 2008 (LFC 08), soit une progression de 76,8 %, sous l’effet de la révision à la hausse du prix de référence fiscal du baril de pétrole brut qui est passé de 19 dollars/baril à 37 dollars/baril. Par ailleurs, les disponibilités du fond de régulation des recettes (FRR) [4] ont atteint, au 31 décembre 2008, un montant de 65,847 milliards de dollars. Une richesse conjoncturelle qui est le produit conjugué de l’accroissement des exportations et l’augmentation des prix des hydrocarbures qui rendent l’économie nationale plus que fragile. La politique de l’État, les projets, les prévisions, le financement du budget, les décisions, les importations (alimentations, médicaments), les plans sont paramétrés par les ressources des hydrocarbures.

Une économie rentière et fortement dépendante

En effet, l’analyse de la structure de l’économie algérienne démontre une forte dépendance à la rente pétrolière. Le secteur des hydrocarbures est par excellence le pilier de l’économie locale. Son apport au PIB en 2008 a atteint près de 50 % et sa contribution en valeur ajoutée avoisinait les 77 milliards de dollars. L’aisance financière que connait l’Algérie aujourd’hui est exclusivement l’œuvre de ce secteur. Elle est strictement liée à deux facteurs essentiels : l’envolée des cours des hydrocarbures et l’augmentation des volumes d’exportations depuis 2002. Les hydrocarbures représentent la majorité des exportations des biens et de marchandises. Ils restent également la source principale des ressources en devises. 77,246 milliards de dollars des 79,139 milliards de dollars des exportations de marchandises proviennent des hydrocarbures, soit plus de 97,6 % de la valeur des exportations en 2008.

Les exportations d’hydrocarbures ont connu une augmentation de plus de 30,5 % en valeur par rapport à l’année 2007, grâce à l’accroissement du prix du baril de pétrole qui a connu une augmentation de plus d’un tiers par rapport à son prix en 2007, où il se situait à 74,4 dollars le baril pour atteindre 99,1 dollars en moyenne, et cela en dépit de la baisse de la production du secteur qui a enregistré un recul de 3,3 % en un an. Le secteur des hydrocarbures en 2008 a enregistré pour la troisième année consécutive, une baisse en volume de sa production : -2,3 % en 2008, – 0,9 % en 2007 et – 2,5 % en 2006. Cette diminution est due essentiellement au recul de la production du pétrole brut de – 4 %. Ceci a induit un repli du volume des exportations qui a connu une baisse de 3,3 % entre 2007 et 2008.

La production primaire d’hydrocarbures pour l’année 2007 s’est élevée à 233,3 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP). Le bilan par produits fait ressortir des productions de 63,8 millions de tonnes de pétrole brut, 152,8 milliards de m³ de gaz naturel, 13,7 millions de tonnes de condensat, 8,6 millions de tonnes de gaz du pétrole liquéfié (GPL) et 40 millions de m³ de gaz naturel liquéfié (GNL), d’après les statistiques de la Sonatrach [5] (rapport annuel d’activité, année 2007). Les productions et les exportations du gaz naturel ont enregistré quant à elles une quasi-stagnation depuis plus de 3 ans, en partie à cause de la crise économique mondiale. Même si ces chiffres indiquent une certaine « santé financière [6] » et une renaissance de l’économie après la crise de 1986 [7] et l’application du Plan d’ajustement structurel (PAS) en 1994, l’économie demeure néanmoins fortement dépendante aux prix des hydrocarbures[8], peu diversifiée avec des résultats dérisoires et une croissance artificielle sans réel développement, se qui accroît son caractère fébrile et vulnérable. À cette faiblesse structurelle de l’économie nationale s’ajoute l’inefficacité des autres secteurs qui fonctionnent au ralenti.

Une agriculture qui fonctionne au ralenti…

Le bilan que nous pouvons faire de l’état du secteur agricole en Algérie après près d’un demi-siècle d’indépendance ne peut être positif. Un retard de développement de l’activité est constaté. Une dépendance accrue aux importations étrangères s’est dangereusement manifestée. Le secteur agricole dans le pays s’est révélé une victime collatérale de la stratégie du développement poursuivie par l’État durant les années du « socialisme ». L’avenir de l’agriculture semble en grande partie compromis. Même les nouveaux dispositifs visant à développer le secteur se heurtent à un blocus d’obstacles qui risquent de les entraver.

Alors que l’agriculture profitait d’une position privilégiée à l’époque coloniale, où elle fut l’activité qui bénéficiait le plus des subventions de l’État et jouissait des attentions des autorités publiques grâce à une politique agricole efficace, elle s’est vu reléguée à un second plan après l’indépendance, faisant les frais d’un choix de développement « peu réfléchi » qui a favorisé l’activité industrielle au prix de lourds investissements à travers la stratégie des « industries industrialisantes » [9]. De l’autogestion au socialisme agraire révolutionnaire et aux plans de libéralisations imposées par les institutions financières internationales, l’activité agricole en Algérie a servi de champs d’expériences pour les « idiologies » de technocrates campant dans les bureaux de l’administration centrale.

Les résultats décevants de l’agriculture depuis l’indépendance ne sauraient s’expliquer uniquement par l’héritage colonial qui a, certes, bouleversé à jamais la structure rurale en particulier pour le foncier agricole, qui demeure aussi complexe que problématique[10], mais aussi, par la création d’un dualisme de deux secteurs agricoles (traditionnel et moderne) qui subsiste jusqu’à nos jours. Elles ne sauraient s’expliquer uniquement par des causes naturelles et climatiques. Les réformes perpétuelles et les réaménagements persistants, les modes d’organisation et les mutations, souvent à caractères bureaucratiques liés notamment au statut de la terre, à son mode d’exploitation et à la distorsion considérable dans l’allocation des ressources sont parmi les éléments responsables de la situation du secteur aujourd’hui. Malgré une relative amélioration des indices globaux, l’activité demeure déficitaire et est loin de satisfaire la demande locale même si sa contribution au Pib est en croissance (11,086 milliards de dollars 2008 contre 10,152 milliards de dollars en 2007) comme nous le constatons dans le tableau (2).

Tableau (2) : Contribution sectorielle de l’agriculture dans le PIB à prix courants.
 
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Contribution de l’agriculture au PIB
6,660
8,032
7,901
8,805
10,153
11,087
Part de l’agriculture dans le PIB
9,80 %
9,40 %
7,70 %
7,60 %
7,60 %
6,50 %

 Source: IMF Country Report No.11/40, February 2011.

L’analyse de la situation du secteur indique qu’il est toujours sujet à d’interminables restructurations et de réaménagements infinis, perpétuant ainsi l’altération d’un secteur déjà en grande difficulté, loin d’assurer son activité productive. L’étude des niveaux de production ainsi que l’examen de la balance commerciale agricole confirment ce constat. Le secteur est confronté depuis l’indépendance à une multitude de problèmes de tout ordre : techniques, financiers et humains. Ce secteur, qui a contribué fortement à la croissance économique dans le passé, en matière de production et d’absorption de la main-d’œuvre, n’assure aujourd’hui que partiellement la couverture des besoins en produits alimentaires de base (tableau 3) :

Tableau (3) : Taux de couverture de la production nationale par rapport à la demande :
Produit
Blé
Légumes secs
Pomme de terre
Viande rouge et blanche
Lait
Taux moyen
24,0 %
12,9 %
61,7 %
88,2 %
47,4 %

 

 

Source : D’après nos propres calculs à partir des différentes statistiques.

En 2008, la production agricole a enregistré une baisse en volume de près de 5,3 % par rapport à celle de 2007. Cette baisse est la conséquence d’un recul de la production végétale de l’ordre de 10 % due à une réduction importante des niveaux de production céréalière de l’ordre de 60 % (de 40,2 millions de quintaux en moyenne pour la période 2003-2007 à 17 millions en 2008) et près de 18 % de légumes secs par rapport à la même période (ministère de l’Agriculture et du Développement rural). Cette situation a obligé l’État à se tourner vers les importations afin de combler le déficit. Ainsi, les importations alimentaires ont connu un accroissement en volume de l’ordre de 5,7 % par rapport à 2007 (augmentation de 21,7 % pour les produits laitiers, 100,55 % pour les céréales).

Une industrie en mal de développement

Durant les années 1970, dans le modèle algérien de développement, le processus d’industrialisation a été orienté vers l’implantation prioritaire d’industries de base et, par conséquent, dissocié de la demande existante tant sur le marché national que le marché international. De plus, l’investissement dans sa presque totalité devait être destiné aux « industries industrialisantes », qui recouvraient dans le cadre de l’économie industrielle algérienne un rôle primordial. Il allait ainsi en priorité aux secteurs des hydrocarbures, de la pétrochimie, de la sidérurgie et de la mécanique qui sont les « industries industrialisantes »[11].

Dès lors, une économie rentière basée essentiellement sur les industries pétrolières s’est mise en place. La prérogative accordée au secteur industriel se traduisait par une importante accumulation des fonds résultant d’un taux très élevé des investissements. Un taux d’investissement sans précédent dans l’industrie s’est développé au détriment du secteur agricole, délaissé et défavorisé en termes d’investissement. Aujourd’hui, en dépit d’un taux de croissance de l’ordre de 4,3 % en 2008, la contribution de la production du secteur industriel hors hydrocarbures à la formation du produit intérieur brut demeure très marginale en comparaison avec les pays voisins comme le Maroc ou la Tunisie.

La Tunisie est le premier exportateur industriel en valeur absolue en Afrique. Le textile et l’agroalimentaire représentent plus de la moitié de sa production. Les industries mécaniques et électriques se multiplient d’une année à l’autre. Les échanges commerciaux de la Tunisie connaissent une forte progression, +21,8 % à l’exportation et +23,7 % à l’importation entre 2007 et 2008. La filière mécanique, électrique et électronique occupe une place croissante dans ces échanges. Il en va de même au Maroc, où les industries des différentes branches manufacturières, du textile (42 % de l’emploi et 34 % du secteur manufacturier), de l’agroalimentaire, de l’industrie navale, pharmaceutique et automobile et même aéronautique, se développent.

Une des raisons essentielles de la décadence de l’activité industrielle en Algérie est le sous-investissement qui a marqué le secteur depuis une trentaine d’années, contrairement à la période post-indépendance qui s’est caractérisée par des investissements gigantesques.

Tableau (4) : Indice général de la production industrielle hors hydrocarbures (1989 = 100)
Année
2003
2004
2005
2006
2007
Indice (base 1989 = 100)
73,8
73,8
74,6
74,4
72 

Source : Fond Monétaire International. 

La part du secteur industriel dans le PIB chute de 5 % en 2007 à 4,39 % en 2008, mais représente une augmentation en valeur nominale d’un peu moins de 310 millions de dollars. Cet accroissement est le fruit d’une augmentation dans le secteur de l’énergie, des mines, de la chimie et de l’industrie agroalimentaire, malgré une baisse dans les secteurs des matériaux de construction, des textiles, du cuir et du bois comme nous constatons à travers le tableau (5).

Tableau (5) : Taux de croissance dans les secteurs industriels hors hydrocarbures.
Bois
Chimie
Cuir
Énergie
Mines et carrières
IAA
Textiles
-11,90 %
2,50 %
-1,20 %
7,90 %
9,80 %
6,80 %
-1,10 %

Source: IMF Country Report No. 09/111, Algeria: Statistical Appendix, April 2009.

Cette situation intervient alors que l’État a consacré un niveau important de ressources aux investissements, hélas, mal gérées.

Inefficacité des dépenses publiques…

Après la décennie noire des années 1990, une nouvelle perspective économique s’est mise en marche, propulsée par le programme du Président A. Bouteflika. L’Algérie a profité depuis son élection d’une conjoncture financière particulièrement favorable, suite au vif redressement du marché pétrolier et à l’affermissement des prix du baril du pétrole qui a alors atteint plus de 34 dollars le baril, soit, un triplement de prix par rapport à celui de 1998 (10 dollars/baril en moyenne durant l’année 1998).

Le début de la période de présidence de A. Bouteflika s’est caractérisé par le lancement du Programme de soutien et de relance économique (PSRE) d’un montant de 7 milliards de dollars sur la période de 2000 à 2004, suivi du Programme complémentaire de soutien à la croissance (PCSC[12]) et de la mise en œuvre des grands projets d’investissements productifs et d’infrastructures publiques, pour une enveloppe globale de 55 milliards de dollars sur la période de 2005 à 2009, soit, en moyenne, quelque 11 milliards de dollars par an. Les plus importants de ces projets concernaient particulièrement les infrastructures : achèvement des travaux de l’aéroport d’Alger, lancement de la construction de l’autoroute Est-Ouest, édifice de nouveaux logements sociaux dans le cadre du projet d’un million de logements sociaux, etc. En dépit de ce fort taux d’investissement et l’accroissement de la dépense publique mobilisée pour la réalisation de ces grands projets d’infrastructure et l’accomplissement des programmes de soutien à la croissance, les résultats ne suivent pas !

D’après le rapport du FMI d’octobre 2009, malgré une dépense publique de 200 milliards de dollars, l’Algérie n’aura un taux de croissance que de 2,1 % en 2009 et un peu plus de 3 % en 2010. Résultat, l’indice de développement humain (IDH) de l’Algérie se voit dégradé dans le rapport du PNUD d’octobre 2009 de la 100e place en 2008 à la 104e place en 2009. Ces prévisions remettent directement en cause les anticipations gouvernementales qui concernent la création de 3 millions d’emplois entre 2009 et 2013. La création de ces emplois nécessiterait en effet au minimum un taux de croissance de 6 à 7 % sur cinq ans, ce qui est, selon les évaluations du FMI dans les conditions actuelles, tout simplement « une impossibilité économique ».

 

Mohamed Chabane, article initialement paru chez notre partenaire Revue Averroès


 

[1] Certains observateurs de la scène politique algérienne ne soutiennent pas la thèse de la spontanéité des événements d’octobre 1988. Ils estiment que le discours de président Bendjedid prononcé au palais des Nations le 19 septembre 1988 a mis le feu au poudre.

[2] Harrâga est un terme qui est utilisé pour décrire les migrants clandestins qui prennent le large de la Méditerranée depuis les côtes Sud pour rejoindre les côtes européennes en utilisant des embarcations de fortune, des barques et des radeaux d’un autre temps. Signifiant « ceux qui brulent », le nom Harrâga leur a été attribué car ils brulent leurs papiers d’identité avant leur départ.

[3] Le temps de couverture d’importations est une mesure utilisée afin d’évaluer le montant des réserves de change d’un pays par rapport à ses besoins en importations.

[4] Qui constituent le réceptacle du différentiel entre le produit de la fiscalité pétrolière recouvré et le produit de la fiscalité pétrolière budgétisé.

[5] Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation, et la Commercialisation des Hydrocarbures. La Sonatrach s’est développée comme grande compagnie nationale chargée de prospecter et de commercialiser le pétrole après la nationalisation du pétrole et du gaz algérien le 24 février 1971 suite à la « décolonisation pétrolifère » du Président Boumediene qui a créé durant ces années plus de soixante-dix sociétés nationales, bouleversant ainsi le tissu économique algérien.

[6] Cette aisance financière n’est certainement pas durable puisqu’elle est la conséquence de la volatilité des prix du pétrole. Les données statistiques indiquent que la baisse du prix du pétrole à 50 dollars en moyenne a causé une perte de près de 17 milliards de dollars entre le premier semestre 2008 et le premier semestre 2009.

[7] Tout événement qui ébranlera la demande internationale ou engendrera une faiblesse durable des prix du pétrole se traduirait par un fort amenuisement des gains à l’exportation et aura des conséquences graves sur l’économie, similaires à celles de 1986. La crise de 1986 avait donné l’occasion d’appréhender les inconvénients d’une politique économique axée sur la rente. Après l’écroulement des prix des hydrocarbures (chute de près de 40 % des prix du pétrole entre 1985 et 1986) dont la production constituait 28 % du PIB en 1984, 98 % des exportations totales, 43 % des ressources de l’État pour la même année, et face à la dépréciation du dollar américain, principale monnaie des transactions pétrolières, l’État algérien voit son malheur amplifié par l’avènement et la combinaison de plusieurs crises.

[8] Les incertitudes concernant l’évolution des prix du pétrole constituent un des facteurs du risque les plus élevés. La chute des prix du pétrole de l’été 2008 à décembre 2008 confirme sans ambigüité qu’une économie rentière est une économie à risque sans possibilité d’anticipation, privée de conjectures sûres. Les prévisions des prix des hydrocarbures se basent sur un marché irrationnel, à une très forte volatilité et une instabilité même à court terme. Les cours pour le moyen et le long terme sont encore plus difficiles à déterminer. Les pressions spéculatives, les déséquilibres régionaux de l’offre, les tensions géopolitiques et l’incertitude résultant de l’instabilité politique au Moyen-Orient ainsi que les possibilités de rupture des approvisionnements dans d’autres pays producteurs, ajoutent à l’instabilité du prix du pétrole une autre particularité à risque.

[9] Dans un contexte économique et politique difficile, l’Algérie a fait le choix de son modèle de développement, en voulant éviter les pièges des autres politiques de développement dans les pays du tiers monde, récemment indépendants. Le modèle de développement suivi s’est caractérisé par une forte planification centralisée de type soviétique. La stratégie algérienne de développement basée essentiellement sur l’industrialisation, avait choisi en effet, de privilégier l’industrie lourde au prix de colossaux investissements matériels, supposés entraîner l’industrie légère en aval. C’est le cœur de la théorie des « industries industrialisantes ».

[10] Complexe par l’absence d’une politique clairement énoncée et problématique par la présence d’une situation où les forces qui façonnent habituellement le marché ont des stratégies, des comportements et des pratiques qui entraînent une situation délétère rendant délicat l’accès au foncier.

[11] Gérard Destanne de Bernis (un des principaux conseillers économiques de Président Houari Boumediene), qui s’est inspiré des idées de la théorie des pôles de croissance, des industries motrices et des effets d’entraînement de François Perroux, définit les industries industrialisantes comme suit : « Ce groupe d’industries dont la fonction économique fondamentale est d’entrainer dans son environnement localisé et daté un noircissement systématique ou une modification structurelle de la matrice inter-industrielle et des transformations des fonctions de production, grâce à la mise à la disposition de l’entière économie d’ensembles de nouvelles machines qui accroissent la productivité de l’un des facteurs ou la productivité globale et, en tout cas, un accroissement de la maîtrise de l’homme sur sa production et son produit. Ces transformations induisent, à leur tour, une restructuration économique et sociale et une transformation des fonctions de comportement dans l’ensemble considéré, la rénovation des structures sociales constituant à la fois et tour à tour une condition et une conséquence du processus d’industrialisation. » (Destanne de Bernis G., Les industries industrialisantes et les options algériennes, in Tiers-Monde, 1971, tome 12 n°47, p. 547).

[12] Le financement du PCSC, qui vise l’amélioration des conditions de vie des citoyens (45,4 %), le développement des infrastructures de base (40,5 %), l’appui au développement économique (8,0 %), la modernisation des services publics (4,9 %) et le développement des nouvelles technologies de communication (1,2 %), est évalué à près de 155 milliards de dollars sur la période allant de 2005 à 2009. Ainsi, le coefficient d’investissement public supérieur à 10 % du PIB, prévu dans le cadre du PCSC, classait l’Algérie parmi les pays où le niveau d’investissement est le plus élevé au monde. Selon la Banque mondiale, ce taux est particulièrement haut par rapport à la moyenne dans les pays de l’OCDE de moins de 4 % du PIB, moins de 5 % en Amérique latine, et moins de 8 % dans les pays asiatiques.

Anticipons-nous l’émergence de l’Afrique?

En relisant le Hors-série L’état de l’Afrique 2011 publié par le magazine Jeune Afrique, une question qui me taraude l’esprit depuis quelque temps refit surface: nous, jeunes étudiants africains en France, au Afrique ou ailleurs, anticipons-nous suffisamment l’émergence (surtout économique) de l’Afrique dans les années à venir? Est-ce que notre projet professionnel est en adéquation avec les besoins dans les moyen et long termes du continent africain et/ou de nos pays respectifs ? Deux raisons principales guident mon interrogation à ce propos.

Comme on peut le constater dans le magazine, les grandes multinationales ont bien compris l’adage selon lequel « c’est en temps de paix qu’on prépare la guerre ». Cela se manifeste par leurs grands investissements dans presque tous les pans de l’économie africaine. De la grande distribution avec l’acquisition récente du sud-africain Massmart par le géant américain Wallmart, dans le BTP avec le français Eiffage au Sénégal, dans les mines avec l’australien BHP- Billiton en Guinée et dernièrement au Gabon, en passant dans l’alimentaire avec Nestlé, Danone et Coca-Cola pour terminer dans la finance avec l’implantation future de la banque américaine JP Morgan au Ghana.

On constate ainsi que le savoir-faire africain, à quelques exceptions près, manque largement à l’appel de la construction de notre continent même s’il est évident que le renforcement de ces multinationales a aussi un petit côté positif avec la création d’emplois locaux sous la tutelle éventuelle de managers occidentaux expatriés.

La deuxième raison est l’apparition progressive d’«une nouvelle classe moyenne» en Afrique avec certes une certaine disparité mais suffisante à y attirer beaucoup d’IDE (Investissements Directs Etrangers). Selon le magazine, «cette catégorie considérée comme solvable a dépensé plus de 400 milliards de dollars l’an passé et ce montant sera multiplié par six en 2030». Au vu de cette évolution, l’on ne peut que se réjouir des perspectives de notre continent.

Aux étudiants africains de tout horizon, dans les universités et à ceux qui sont dans « les Grandes Ecoles » en France, je dirai: ne tombons point dans le piège du « j’ai réussi à intégrer telle école ou telle formation et ça me suffit…. » Je paraphraserai Jacques Séguéla en disant : si à cinquante ans, on se targue juste d’avoir fait une bonne université ou une grande école, quelle qu’elle soit, cela veut dire qu’on a raté sa vie!

A ce jour, le plus important pour un jeune étudiant africain est de savoir comment être utile à son pays tout en l’étant pour lui-même. Cela peut passer par un retour au bercail mais pas forcément car un sénégalais d’Oulang-Bator par exemple peut être mieux au fait de l’actualité sénégalaise qu’un dakarois! Notre continent a besoin de jeunes innovateurs et d’entrepreneurs, de futurs Mark Zuckerberg (chaque minute que nous passons sur son réseau social le rend encore plus riche) et Steve Jobs africains pour remplacer nos Balla Gaye 2 et Modou Lo (actuels gladiateurs stars de la lutte sénégalaise). Et cela est possible aujourd’hui ou demain à la condition sine qua non que le sens de l’entreprenariat, de la prise d’initiative et surtout celui de l’anticipation économique soient imbus en chacun de nous. L’avantage de notre continent et de nos pays respectifs est justement que tout ou presque y est à (re)faire!

Et cela passe par une vraie prise de conscience de cette réalité par les fils de l’Afrique!

Moustapha Sène, ancien Président de l'Association des Etdutiants Sénégalais des Grandes Ecoles

Rwanda : le peuple batwa risque de disparaître

Ces quinze dernières années au Rwanda, le nombre de Batwa a été quasiment divisé par deux ! Peu d'entre eux mangent à leur faim, se soignent correctement ou vivent dans des logements décents. Mendier ou disparaître, l'avenir de ces hommes sans terres ni moyens s'annonce sombre… Lentement, mais sûrement, les Batwa disparaissent au Rwanda. Alors qu’ils étaient 45 000 en 1994, puis 35 000 en 2004, le recensement du ministère de l’Administration locale de 2010 n’en comptait plus que 25 000. "Les mauvaises conditions de vie suffiront pour exterminer ces autochtones", met en garde Zéphirin Kalimba de Coporwa (Communauté des potiers du Rwanda, qui compte bon nombre de Batwa), association pour la promotion et la défense des droits des potiers, "le groupe le plus vulnérable et le plus pauvre du pays". Selon M. Kalimba, huit Batwa sur dix mangent à peine une fois par jour et vivent dans un habitat inadéquat. D'où une mortalité croissante.

D’après une étude publiée par Coporwa en juin 2011, à peine un Batwa sur trois accède aux soins de santé à travers les mutuelles ; le ticket modérateur (contribution du patient aux services de santé) les empêche généralement de se soigner. Angélique Nireberaho, vice-maire chargée des Affaires sociales du district de Nyaruguru (Sud), une région qui abrite une importante communauté, confirme : "La mutuelle de santé est gratuite, mais cela n'empêche pas un taux élevé de mortalité infantile. Les Batwa ne participent pas aux programmes d'éducation au centre de santé. Nous voulons déployer un agent social qui s'occupe uniquement d'eux." Craignant de voir leur communauté s'éteindre à jamais, ces derniers ne limitent par ailleurs pas les naissances. Rugero, 32 ans, n’a plus que trois enfants en vie sur les six qu'il a eu au départ. "Imaginez, si j'en avais eu seulement trois, qu'est-ce qui me resterait ? Quand la mort vient en prendre un, le lendemain je mets au monde un remplaçant !"

Ces communautés sont considérées par beaucoup d’historiens comme les plus anciens habitants des Grands lacs et de l’Afrique centrale. Elles se trouvent notamment au Rwanda, au Burundi et dans la partie orientale de la RD Congo. Leur intégration sociale et économique dans la société rwandaise reste cependant extrêmement limitée à cause d'une stigmatisation liée à l’histoire et à la pauvreté. On estime ainsi que, dans tout le pays, 36 Batwa seulement ont atteint l’université…

"Vivre de la poterie"

La poterie représente pour eux une expression de leur identité, mais les terres marécageuses d'où ils tirent l’argile sont en grande partie consacrées à la riziculture collective. A cela s’ajoute la politique de conservation de l’environnement qui freine aussi leur accès à cette matière première… "Ils ont besoin d'argile pour améliorer leur poterie qui peut être un métier rentable, souligne M. Kalimba. Jusqu'à présent, 95 % des Batwa font la poterie traditionnelle, avec des produits vendus à un prix inférieur au coût de production. Une bonne politique nationale spécifique aux potiers devrait les aider à moderniser leur métier", suggère ce responsable de Coporwa.

Ils n'ont guère d'autres choix… Marginalisés, près de la moitié d'entre eux n’ont aucun lopin de terre et la création des aires protégés et parcs nationaux les a chassés des forêts. Actuellement, l’exercice d’enregistrement des terres bat son plein. "S'il se termine sans que les Batwa n'accèdent à la terre, ils vont rester mendiants et dépendants à jamais", pronostique, pessimiste, un potier de Bugesera (Est). En 2007, la mendicité était la première source de revenus de 40 % des membres de cette communauté.

Selon Angélique Nireberaho, "le peu de Batwa qui ont reçu des parcelles dans les villages modernes comme celui de Coko ne veulent pas y habiter ou y cultiver. Ils préfèrent faire des pots." Ce à quoi un responsable de Coporwa répond : "Ils veulent rester semi-nomades, vivre de la poterie, pas de l'élevage ou de l'agriculture. Les intégrer dans la société moderne ne veut pas dire les priver de leur identité".

 

Sam Gody, article initialement paru sur Syfia Grands-Lacs

Le web 2.0 et les révolutions en Tunisie et Egypte

L’Égypte et la Tunisie ont investi massivement dans l’infrastructure Internet dans l’espoir d’attirer les investissements étrangers, et le nombre d’utilisateurs d’Internet n’a cessé de croître dans les deux pays. Environ 21 % de la population égyptienne a accès à Internet, tandis que la Tunisie affiche 34 % de citoyens connectés. Il ne s’agit toutefois pas du taux le plus élevé du monde arabe, des pays comme le Bahreïn et les Émirats arabes unis affichant une connectivité plus importante. La Tunisie était cependant parmi les premiers pays africains à développer cette technologie. Or, en dépit de l’avance de la Tunisie en termes de connectivité, c’est l’Égypte qui a vu une première vague de manifestations anti-Moubarak organisées sur Internet en 2005 par le mouvement Kefaya («assez » en dialecte égyptien). Le contexte politique global en Tunisie a longtemps empêché le développement d’un activisme politique sur Internet.

La lente politisation du web tunisien

Le régime tunisien était l’un des plus répressifs en termes de contrôle d’Internet, comparable à des pays comme l’Arabie saoudite, l’Iran et la Chine, bien qu’Internet était également perçu comme une technologie permettant d’importants gains économiques.(…). Le prix compétitif fait que l’Internet est un passe-temps favori des jeunes en Tunisie. En outre, la classe moyenne en Tunisie est plutôt large et un nombre de parents sont capables de soutenir leurs enfants tant bien que mal, même s’ils ne trouvent pas d’emploi, et qui passent leurs journées en ligne. Selon les chiffres officiels, un tiers de la population était connecté au Web. Ces chiffres sont confirmés par les statistiques de Facebook : la Tunisie y figure au 37e rang mondial en termes d’utilisateurs de Facebook par rapport au nombre total d’habitants (1,4 million soit 13,5 % en Avril 2010), trois places devant l’Allemagne (11 %) et premier pays africain.

Les Tunisiens en 2010 étaient déjà adeptes des réseaux sociaux, non seulement Facebook était le site le plus visité, mais quatre autres communautés en ligne comptaient parmi le top 25 de sites visités. La politique nationale était toutefois rarement abordée sur les sites populaires. En effet, la responsabilité juridique pour ce qui est consulté et publié en ligne était répartie entre de multiples acteurs, qui censuraient eux-mêmes le contenu des sites. Par exemple, la plupart des chartes des forums tunisiens précisaient que la discussion de la politique nationale était interdite et des blogueurs ont souvent choisi de supprimer les commentaires « sensibles » postés sur leurs blogs, de peur d’être censurés. De nombreux blogueurs tunisiens à cette époque estimaient que la cyber-dissidence était contreproductive, car trop radicale et conduisant au blocage des sites. Ils ont préféré une poussée prudente des limites. La crainte de la censure ou même des représailles plus graves ont clairement influencé le comportement des internautes tunisiens sur le Net. En outre, le lieu de résidence était déterminant dans le degré de critique choisi par les blogueurs : de nombreux blogs ouvertement politiques étaient gérés par des Tunisiens résidant à l’étranger.

(…) L’immolation de Mohamed Bouazizi a été filmée et mise en ligne par son cousin Ali, tout comme une vidéo montrant un sit-in pacifique devant la mairie. Ignoré par les autorités, le site Nawaat est devenu une source d’information incontournable pour beaucoup de Tunisiens. Le site était fréquemment mis à jour et proposait le téléchargement de photos de toutes les villes tunisiennes, et ces photos étaient ensuite échangées par téléphone portable, dépassant ainsi la communauté des internautes pour inclure quasiment la population entière (93 % de la population souscrit à un contrat de téléphone portable, selon la Banque mondiale).

Le web égyptien et l'information alternative

Si le manque de discussions et d’activités politiques à travers Internet a longtemps été caractéristique du Web tunisien, la situation en Égypte était radicalement différente. En 2005 est né Kefaya (« assez » en arabe égyptien), le premier mouvement de protestation en Égypte pour lequel Internet était un canal privilégié de mobilisation. Cette organisation unit des tendances politiques diverses, des jeunes islamistes aux communistes, avec deux revendications principales : une opposition à la présidence de Hosni Moubarak et à la possibilité que son fils Gamal« hérite » du pouvoir. En 2005, le nombre d’utilisateurs était estimé à 9 millions (soit plus de 10 % de la population). Ce nombre a atteint 17 millions en 2010 (21 % des Égyptiens), selon l’Union internationale des Télécommunications. Cette hausse s’est produite en dépit de la persistance d’un taux d’illettrisme élevé dans le pays. Internet a été adopté par la jeunesse égyptienne, qui fait preuve d’une plus grande affinité avec les nouvelles technologies et qui est en général mieux éduquée que les générations précédentes. Les Égyptiens ont également bénéficié d’un Web généralement non-censuré, ce qui les distingue nettement de leurs homologues chinois, saoudiens, et tunisiens. La marge de liberté d’expression en Égypte a généralement été plus grande en ligne que dans des publications imprimées.

Les internautes égyptiens, majoritairement issus des couches éduquées, préfèrent les sites d’information alternatifs comme les blogs aux médias traditionnels. La popularité de Al-Masry Al-Yawm par rapport à celle d’Al-Ahrâm confirme la recherche sur Internet d’informations alternatives à l’information gouvernementale, ce qui n’est pas le cas pour la presse papier. Le développement d’Internet a eu pour conséquence l’émergence de sites Web discutant des sujets évités par les médias traditionnels en raison de la censure étatique ou de l’autocensure. Le blogueur le plus connu d’Égypte, Wael Abbas, considéré comme l’une des personnes les plus influentes de l’année 2006 par la BBC, a publié des vidéos montrant la torture de personnes en garde à vue sur son blog Misr Digital, fondé en 2004.En couvrant des faits ignorés par la presse traditionnelle, les blogueurs égyptiens sont d’éminents représentants d’une nouvelle génération d’utilisateurs du Web : à la fois blogueurs, journalistes et militants politiques. Internet leur a permis de s’exprimer, tout comme aux jeunes membres des Frères musulmans quand l’État a renforcé son contrôle sur l’organisation dans les universités au cours des années 2005 et 2006.

(…) Dans des sociétés où la sphère publique a été scellée et où les médias traditionnels et organisations des droits humains ont été trop affiliés aux pouvoirs en place pour servir de canaux d’expression à la population, Internet a permis à une génération éduquée et habituée aux technologies de discuter et, dans un deuxième temps, de s’organiser. La blogosphère naissante a pu s’installer en contrepoids au journalisme classique, dominé par la langue de bois et la propagande. Dans le contexte d’un étouffement de la sphère politique générale, l’activisme soutenu par Internet s’est imposé, avec des succès variables et des échecs, comme un acteur dynamique de changement.

 

Johanne Kübler

 

NDLR : la version complète de cet article de recherche très bien documenté de la revue Averroès est disponible ici

Le  numéro 4-5 de la revue Averroès fait un focus spécial sur le "Printemps arabe". Un panorama riche et complet des dynamiques à l'oeuvre dans cette région du monde qui permet de mieux comprendre les soulèvements populaires récents.

Chômage et entreprenariat des jeunes en Côte d’Ivoire

L’instabilité politique que connait la Côte d’Ivoire depuis la fin des années 1990, qui a atteint son paroxysme avec la récente crise postélectorale, continue de laisser des séquelles, au nombre desquelles le chômage des jeunes. Celui-ci a atteint des proportions déconcertantes dans un contexte de pauvreté généralisée. Les licenciements massifs, les délocalisations et fermeture d’entreprises, les pillages et destructions des moyens de production de milliers de petits opérateurs économiques, conduisent à faire le constat de la perte de nombreux emplois, dont 120 000 directement liés à la crise postélectorale selon la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire. A ce titre, l’Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi (AGEPE) révèle que les jeunes de moins de 35 ans, qui constituent plus de 64% de la population, sont frappés d’un taux de chômage estimé à environ 25 %. C’est-à-dire le ¼ des forces vives du pays.

Les causes de ce chômage sont connues :  la détérioration du climat sociopolitique principalement, mais aussi l’accroissement démographique, l’incapacité du marché de l’emploi à absorber les vagues successives de diplômés qui sortent chaque année du système éducatif, et l’inadéquation de la formation aux nouvelles exigences de ce marché de l’emploi, sont quelques raisons qui ont décuplé le taux de chômage des jeunes en Côte d’Ivoire.

Dans les années 1980, les différents Plans d’Ajustement Structurels (PAS) en Côte d’Ivoire ont eu pour conséquence une réduction significative de la part de l’Etat dans le jeu économique du pays. Cela a mis un terme à la situation qui a prévalu à partir de l'indépendance, avec l’incorporation de toutes les forces vives dans les structures et entreprises d’Etat. Aujourd’hui c’est le secteur privé qui dynamise l’économie. Alors que l’Etat n’est plus le premier pourvoyeur d’emploi, il devient difficile pour le secteur privé de jouer son rôle quand le contexte macroéconomique ne le permet pas. Les crises politiques et socioéconomiques qui se sont succédées ont contribué à accroitre le risque ambiant, ce qui désincite les opérateurs économiques à faire des investissements, et donc à se projeter dans l’avenir, faute de visibilité. Dans ces conditions, il est devenu difficile pour les entreprises de recruter.

Mais alors, que faire? Que faire lorsqu’après avoir fait des études, un jeune n’a pas pu se faire embaucher en raison du contexte qui prévaut ? La solution entrepreneuriale reste l’option qui s’offre à cette jeunesse lorsqu’elle rencontre le chômage à la sortie du système éducatif. Mais la Côte d'Ivoire fait face au problème d’un cadre politique, économique, juridique et fiscal inadéquat à l'entrepenariat.

Les témoignages de jeunes entrepreneurs ivoiriens ne sont pas du tout élogieux sur l'environnement entrepreneurial en Côte d’Ivoire. Le contexte de crise sociopolitique est désincitant pour tout investisseur et le risque pays qui en découle contribue à accroitre les taux d’intérêts pour tout emprunt. Situation encore plus dramatique, la multiplication des défaillances d’entreprises qui pour la plupart meurent à un stade embryonnaire, n’encourage pas les investissements. Il faut vraiment s’armer de courage pour risquer son capital dans un tel contexte. Pire, il revient de façon persistante que le poids de la fiscalité décourage la création d’emploi en Côte d’Ivoire. Le cadre financier quant à lui dévoile des conditions d’emprunts bancaires inefficaces pour impulser une dynamique entrepreneuriale. Enfin, l’insécurité ambiante et la corruption dans les administrations constituent un surcoût important pour quiconque choisit de se lancer dans la création d’entreprise en Côte d’Ivoire. En énumérant ces problèmes, les solutions se dégagent d’elles-mêmes.

Quel soutien à l’entreprenariat jeune ?

Il faut remarquer que le gouvernement ivoirien essaie de mettre en place depuis 1953 des structures chargées de promouvoir l’emploi dans toutes ses dimensions. L’Office de la Main d’œuvre de Côte d’Ivoire (OMOCI) crée en 1953 fera place à l’AGEPE en 1993. De 1978 à 1991, un projet pilote de formation par apprentissage conduit par l’ex Office Nationale de la Formation Professionnelle (ONFP) va déboucher, en 1996, sur le programme interministériel dénommé Programme d’Absorption des Jeunes Déscolarisés (PAJD). C’est dans la même veine que naîtra le Projet de Redéploiement de la Formation par Apprentissage (PRFA) en 1996, dont la tutelle fut confiée à l’AGEFOP. Plus récemment, en 2003, l’Etat de Côte d’Ivoire a mis en place le Fonds National de Solidarité (FNS)  qui a pour but le soutien à l’entreprenariat des jeunes en finançant des projets viables. Il y a donc eu des initiatives gouvernementales en faveur de l’emploi jeune. Mais que peut-on faire lorsque le contexte politique et socioéconomique est marqué par des tumultes profonds ?

Si la stabilité politique qui est une condition sinequanone au déploiement de politiques de développement se fait encore attendre, les décisions des gouvernants du moment peuvent impacter positivement le cadre des affaires et conduire à plus de sérénité pour impulser une dynamique entrepreneuriale. Au niveau juridique, le droit fiscal doit pouvoir permettre un accompagnement dynamique de la sphère économique et non pas asphyxier les PME comme il revient des observations faites sur le terrain. Toute initiative doit pouvoir être encouragée par un allègement fiscal et un accompagnement technique et financier.

Au niveau éducatif, s’il s’avère que les politiques de promotion de l’emploi jeune peine à relever les défis qui s’imposent, il serait déjà porteur de travailler à inculquer des valeurs propres à préparer les esprits à s’engager dans la voie de l’entreprenariat, et à acquérir les éléments de base qui pourraient aider au pilotage d’entreprise. Il peut s’agir de renforcer les politiques d’alphabétisation; de renforcer les valeurs morales des individus; de financer des cessions de formation au management de projet. La formation doit pouvoir être adaptée au monde entrepreneurial.
Au niveau administratif, faire en sorte de juguler la corruption dans les administrations, définir une politique fiscale favorable au décollage d’entreprise, et inciter à opérer dans la légalité et dans la sphère formelle.
Au niveau socio-économique, il y a lieu de développer un cadre favorable aux investissements. Un effort d’apurement de la dette intérieure serait de nature à apporter un bol d’air aux entreprises prestataires de services de l’Etat. En effet, de nombreuses PME ont du mettre la clé sous le paillasson pour insuffisance de fond de roulement, en raison de créances impayées par l’Etat de Côte d’Ivoire. Il serait dommage que l’Etat investisse des milliards dans la formation pour aider à la création d’une nouvelle classe d’entrepreneurs, et dans le même temps, pénalise les entreprises prestataires en ne payant pas les factures, au point de les contraindre à fermer.

Au niveau financier, l’entreprenariat des jeunes peut être soutenu et encourager par des structures de capital risque qui ont pour métier d’investir dans des activités sans grande visibilité, et parfois dans des contextes risqués du point de vue de l’investisseur classique. Aussi, l’Etat ivoirien pourrait, par exemple, engager sa signature (à condition qu’elle vaille encore quelque chose, vu le niveau et le traitement qui est fait de la dette intérieure) pour soutenir des jeunes entrepreneurs auprès de leurs partenaires. Les activités avec un potentiel d’emploi plus important pourront alors être privilégiées. Une logique de double dividende intégrant des principes d’un “développement durable africain” est à envisager. A cet effet, il faut noter que des activités telles que la gestion des déchets, la gestion des espaces verts et les métiers d’assainissement, ont le mérite de créer à la fois des bénéfices économiques et environnementaux. Elles ont également un potentiel social non négligeable par la réinsertion de jeunes sans qualification qui, demeurant sans emploi, constituent un risque social par leur potentiel de déviance.

Les activités avec un potentiel d’emploi plus important pourront alors être privilégiées. Une logique de double dividende intégrant des principes d’un “développement durable africain” est à envisager. A cet effet, il faut noter que des activités telles que la gestion des déchets, la gestion des espaces verts et les métiers d’assainissement, ont le mérite de créer à la fois des bénéfices économiques et environnementaux. Elles ont également un potentiel social non négligeable par la réinsertion de jeunes sans qualification qui, demeurant sans emploi, constituent un risque social par leur potentiel de déviance.

 

Maurice Koffi, Jeanne Faulet-Ekpitini, Mireille Hanty,  article initialement paru sur Pensées Noires

 

L’Egypte six mois après

Six mois après la révolution égyptienne qui a mené Moubarak à sa chute, les Egyptiens tentent coûte que coûte de sauver leur révolution. Mais alors que les manifestants semblent avoir perdu le soutien de la majorité populaire, l'armée, elle, a manifestement viré de bord.

Le 11 février au soir, la plupart des égyptiens célébraient le départ de Moubarak. Mais déjà, tous se posaient la même question: et maintenant on fait quoi?

Aujourd'hui, cette question est toujours d'actualité. Les réformes dont à besoin le pays sont tellement importantes qu'on ne saurait par où commencer : assurer une véritable justice sociale pour les 40% d'Egyptiens vivant sous le seuil de pauvreté, réformer le ministère de l'intérieur et les appareils de sécurité qui continuent à mener leurs exactions en toute impunité, construire la "deuxième république" égyptienne et penser ses institutions, revoir l'enseignement et les services de santé, résoudre durablement le problème confessionnel

La concrétisation de ces demandes ne se fera pas en un jour. D'où l'importance de les entreprendre au plus vite. Mais les forces politiques et les militants pour les droits de l'homme sont encore trop occupés à essayer d'empêcher le détournement de leur révolution.

L'armée dans le viseur

"L'armée et le peuple main dans la main" scandaient les manifestants de la place Tahrir. En partant, Moubarak a confié les rênes du pays aux militaires du Conseil suprême des forces armées. La décision prise le 31 janvier par ce même Conseil de ne pas tirer sur la foule a fait croire aux Egyptiens que leur armée s'était donnée pour mission de protéger la révolution.

Aujourd'hui pourtant, rien n'est moins sûr. Le Conseil suprême des forces armées multiplie les faux pas : tortures dans les sous-sols du musée égyptien au lendemain de la révolution ; tests de virginité pratiqués sur les manifestantes arrêtées; jugement de plus de 10 000 civils devant les tribunaux militaires.

Sans compter l'autoritarisme propre à toute institution militaire qui rend le dialogue et le débat avec le Conseil quasi-impossible. En témoigne la manière dont s'est déroulé le remaniement ministériel proposé par le premier ministre Essam Charaf. Sur demande des militaires, les deux ministres les plus contestés par la place ont été maintenus : Mansour El-Essawy, ministre de l'intérieur qui gère des appareils de sécurité particulièrement violents et corrompus, et Mohamed el-Guindi, ministre de la justice, jugé responsable de la lenteur des procédures judiciaires entamées à l'encontre des caciques de l'ancien régime.

Les plus optimistes se disent qu'il faut donner du temps au temps. Le Conseil suprême fait son entrée en politique. Il doit certes accepter les critiques (ce qu'il fait encore très difficilement) mais ses premiers faux-pas étaient prévisibles. L'armée est garante de la stabilité du pays. Elle est là uniquement pour diriger la transition démocratique du pays dans la bonne direction. Et surtout, elle a pris des risques énormes en choisissant de se ranger du coté des manifestants.

Au fur et à mesure que les jours passent, il est pourtant de plus en plus difficile de se laisser convaincre par ce discours. L'armée serait-elle en train de se désolidariser des manifestants de la place Al-Tahrir? Oui. En témoigne la manière dont cette même place a été vidée le premier août, par les militaires. Déjà, le 22 juillet, le décret numéro 69 du Conseil suprême accusait le mouvement des jeunes du 6 avril de vouloir "diviser le peuple et l'armée". Quelques jours plus tôt, le général Hassan el-Roweini, déclarait à la télévision publique que les militants de Kefaya et ceux du six avril recevaient des financements de l'étranger. Traduction : ces deux associations pro-démocratie, très actives depuis bien avant la révolution, sont les agents de puissances étrangères qui ont monté un complot visant à mener l'Egypte à sa perte. Lorsque l'on voit l'armée recourir à ces méthodes déjà utilisées par l'ancien régime, comment ne pas s'inquiéter?

Un procès historique?

C'est dans ce contexte particulièrement tendu qu'a eu lieu le 3 août le très attendu procès de Moubarak. Sans aucun doute, un procès historique : c'est avec beaucoup d'émotion que les égyptiens ont vu le dictateur déchu entrer dans le box des accusés. Il y a seulement quelques mois, qui aurait pu espérer assister à une telle scène ?

 Pour la première fois dans l'histoire du monde arabe,  un dirigeant autoritaire doit rendre des comptes à son peuple, devant la justice de son pays. Saddam Hussein a été conduit à sa perte par l'administration Bush. Ben Ali a eu la présence d'esprit de fuir, ce que Moubarak, dans son inconscience ou dans son arrogance, n'a pas fait, préférant se réfugier dans sa villa de Charm el-Sheikh, pensant y couler des jours heureux jusqu'à la fin de sa vie. Mais la pression populaire a fait qu'il a bien fallu organiser un procès, pour lui, ses deux fils Alaa et Gamal, et son ministre de l'intérieur, Habib el-Adly. Avec quelques mises en scène préalables cependant : l'ancien "père de la nation" allongé sur une civière, l'air malade, Gamal à ses cotés, un Coran à la main, quelques jours après le début du ramadan. Autre élément qui pourrait faire douter de la crédibilité d'un tel procès : les deux fils Moubarak, sourire en coin, ont quitté l'académie de police, serrant les mains aux officiers et aux militaires, ces derniers les guidant respectueusement vers le fourgon de police, qui devait les ramener en prison.

Face à tout cela, les égyptiens semblent partagés. Il y a ceux qui veulent maintenir la pression sur le conseil jusqu'à voir leurs demandes se concrétiser. Et il y a ceux qui soutiennent le conseil suprême et souhaitent patienter jusqu'à ce qu'une nouvelle administration civile prenne le pouvoir. C'est peut-être cette seconde catégorie qui englobe la grande majorité des Egyptiens : c'est en effet sous les hourras et les vivas que la place Tahrir a été délogée le 1er août de ses occupants qui avaient décidé de continuer leur sit-in pour défendre les acquis de la révolution. Tout comme une marche pacifique qui se dirigeait vers le ministère de la défense s'est terminée en un affrontement sanglant entre manifestants et habitants du quartier. Les accusations de trahisons se multiplient. Les journalistes ne sont pas les bienvenus, qu'ils soient étrangers ou égyptiens. Certains citoyens, prenant très à cœur l'avenir de leur pays, et croyant dur comme fer à la théorie du complot répétée à longueur de journée par les généraux du Conseil suprême, arrêtent tous ceux qui leur semblent "différents" (cheveux trop longs, faciès étrangers, tenue exubérante…) et les conduisent aux postes de police ou chez les militaires, en croyant avoir sous la main un espion.

Et il y a la majorité silencieuse. Cette majorité que l'on a crue sortie de son marasme après la révolution du 25 janvier. Mais qui semble être revenue à ses vieilles habitudes après quelques jours de promenade sur la désormais emblématique place Tahrir. Celle qui a les moyens de rejoindre la côte méditerranéenne et ses villages de vacances. Ou qui essaie de survivre tant bien que mal dans les quartiers informels de la capitale.

Mais Rome ne s'est pas construite en un jour, et parce que le pessimisme est un luxe en ces temps incertains, il faut rester optimiste. Et rappeler, à ceux qui commencent déjà à regretter les jours de l'ancien dictateur, cette sage parole de Benjamin Franklin : "Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux."

Tony Gamal Gabriel

Crédits Première photo: flickr/cc/drumzo Jonathan Rachad

Où en sont les démocraties en Afrique ?

Historien sénégalais, Mamadou Diouf dirige l’Institute for African Studies à la School of International and Public Affairs de l’université de Columbia (New York). Lors du forum « Réinventer la démocratie » organisé par la République des Idées à Grenoble en mai 2009, il a participé – avec l’anthropologue Jean-Pierre Dozon – à une table-ronde sur « les expériences démocratiques en Afrique », animée par Philippe Bernard, journaliste au Monde. Les deux intervenants ont souligné que, pour bien comprendre les expériences politiques africaines, il est nécessaire de se départir des concepts et des représentations qui informent la vision de la démocratie en Europe. Le vote, souvent considéré comme la procédure démocratique par excellence, a pu être domestiqué par certaines dictatures africaines, jusqu’à devenir un simple rituel électoral dépourvu de toute potentialité d’expression et de contestation pour les peuples qui en font usage. Mais cette domestication ne signifie pas qu’il y ait absence d’expression démocratique. Mamadou Diouf et Jean-Pierre Dozon ont tous les deux attiré l’attention des auditeurs sur l’importance des processus d’indigénisation de la démocratie et du politique à l’œuvre dans les sociétés africaines. Le second a notamment insisté sur le rôle des mouvements religieux, des migrations et des diasporas, et des productions artistiques dans l’énonciation du politique et la mise en forme des conflits et des divisions sociales.

Le vote est-il un outil ou un leurre démocratique en Afrique ?


La démocratie en Afrique. Entretien avec Mamadou… par laviedesidees

 

Y a-t-il des exemples où le vote a pu être un instrument efficace de revendication pour les peuples africains ?


La démocratie en Afrique. Entretien avec Mamadou… par laviedesidees

 

Quelles sont les autres voies de la politisation et de l’accès à la démocratie dans les pays africains ?


La démocratie en Afrique. Entretien avec Mamadou… par laviedesidees

 

Quel est l’impact de la démographie sur les formes de la démocratie en Afrique ?


La démocratie en Afrique. Entretien avec Mamadou… par laviedesidees

 

Quel est le rôle des pays européens comme la France dans le processus de démocratisation en Afrique ?


La démocratie en Afrique. Entretien avec Mamadou… par laviedesidees

 

Mohamed Radwan

Il était une fin… le Front Populaire Ivoirien ?

« Ce que je veux savoir avant tout, ce n’est pas si vous avez échoué, mais si vous avez su accepter votre échec ».

Abraham Lincoln

 

Le relativisme qui caractérise nos sociétés modernes affirme que « toute croyance est fragile et que toute interprétation du monde est bonne à être déconstruite ». Dès lors, il induit la multiplication des rapports de forces et des batailles : aucun repère n’est davantage valable qu’un autre, aucun objectif clair ne se dégage, les mots eux-mêmes perdent de leur substance.

En Cote d’Ivoire les mots deviennent de plus en plus vides de sens. L’opposition politique cherche à se réorganiser sur les restes du pouvoir déchu de la Refondation. Les positions tranchées entre les Refondateurs, restés fidèles aux idéaux de la Refondation, et les Refondus, qui se sont laissés enivrés par l’argent et le pouvoir, suscite chez l’observateur un certain nombre de réflexions qu’il convient d’exposer. Le but de la démarche n’est pas tant de prendre position pour un camp contre l’autre, mais plutôt de faire en sorte que les opinions laissent place aux arguments. Le but final de tous étant le même : donner au pouvoir en place une opposition crédible et digne d’elle.

En Côte d’Ivoire la notion d'opposition semble aujourd’hui illusoire pour un FPI qui n’a jamais voulu envisager l’hypothèse d’une défaite électorale et ce même après la décision du panel de l’Union Afrique pourtant réclamé par Gbagbo lui-même. Comment définir alors l’opposition ivoirienne nouvelle ? Quels sont ses caractères ? La réponse du point de vue structurel est simple : elle sera soit réformée et crédible, soit elle sera nostalgique et moribonde. Tout sera fonction de la ligne politique adoptée.

Politique compassionnelle ou politique rationnelle ?

Après le 11 Avril 2011, l’arrestation de Laurent Gbagbo et sa déportation dans le Nord de la Côte d’Ivoire, le FPI s’est retrouvé « couché à même le sol, gisant inerte dans les ruines encore chaudes de la démocratie qu’elle a instauré en Côte d’Ivoire ». Dans l’émoi et la consternation qui se comprend sur le moment, le FPI s’était alors terré dans la clandestinité, dans la peur. En période de bouleversement organisationnel, la frontière entre le passé et l’avenir du parti apparaît plus ténue que jamais d’autant plus que le FPI faisait également face à une désaffectation et un cynisme croissants. Il aura fallu alors le retour d’un homme, Mamadou Koulibaly, pour que le parti de la Refondation reprenne quelque peu des couleurs. Mais c’était sans compter sur l’entêtement et les rancœurs qui minaient encore le parti. « No Gbagbo, no peace » : voilà ce qui semblait dès lors être la ligne politique du FPI. Mais cette façon réductrice de voir la réalité est vraisemblablement vouée à l’échec.

La libération de Gbagbo est-elle vraiment la priorité ? Non, parce que le FPI n’est pas, en ce moment, en position d’exiger quoique ce soit, notamment la libération de Gbagbo. De quels moyens disposent le FPI pour pouvoir exiger cette libération ? Sur quoi compte t-il ? Le rapport de force a changé. Exiger la libération de Gbagbo comme étant une priorité, un préalable à la suite de l’action politique du FPI est absolument contre-productif, tout simplement parce que Ouattara ne le fera pas. Et que fait-on après ? La logique voudrait dans cette hypothèse qu’on s’asseye, qu’on croise les bras, qu’on boude le fonctionnement de l’Etat, qu’on se mette en marge de la construction de la Côte d’Ivoire, tant que Gbagbo ne sera pas libre.

C’est l’une des meilleures voies vers la disparition du parti. Ce scénario arrange plus Ouattara que le FPI ou Gbagbo lui-même. Mais cela ne veut pas dire que la question de la libération de Gbagbo n’est pas importante, elle l’est pour le processus de réconciliation. Le moment serait venu où cette question l’aurait été. La précipitation et l’émotion ne sont pas l’apanage d’une stratégie politique durable et viable. Malheureusement le FPI, malgré les efforts de Koulibaly, n’a pas voulu s’engager dans la voie du changement signant du coup son propre arrêt de mort, allant même jusqu’à refuser l’idée d’un congrès sans Laurent Gbagbo.

Oui le FPI risque fort de mourir parce qu’il n’a plus aucune substance, plus aucun projet que celui de rester assis et attendre le retour prophétique de Gbagbo. Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre le parti de la Refondation se limite à cela aujourd’hui, naviguant à vue, sans aucune vision. Le 2 Mai 2010, à la clôture de la Fête de la Liberté organisée par le FPI, Laurent Gbagbo n’avait-il pas lui même affirmé que la vision en politique ne servait à rien, car la politique, dans sa compréhension des choses « c’est mettre le pied droit devant le pied gauche, puis le pied gauche devant le pied droit et ainsi de suite » ?

La naissance du LIDER

Heureusement les idées de liberté et de démocratie sont maintenant sauvegarder avec la création de Liberté et Démocratie pour la République (LIDER) par Mamadou Koulibaly, qualifiée par  Miaka Ouretto comme « la pièce maitresse du FPI ». Comme Margaret Mead le dit si bien, « ne doutez jamais du fait qu’un petit nombre de gens réfléchis et engagés peuvent changer le monde. En réalité, c’est toujours ce qui s’est passé ».

Le grand défi de LIDER sera donc d’apporter le changement, un changement des objectifs politiques, un changement des instruments qui permettent de concrétiser et de mettre en mouvement l’action de développement, et un changement des cadres institutionnels qui structurent l’action de l’Etat. Les Ivoiriens qui aspirent à autre chose, qui veulent oser une nouvelle voie, peuvent s’y engager avec détermination, courage et humilité. La détermination fait référence à la présence d’une vision claire et articulée des changements à mettre en œuvre, le courage au fait d’aller de l’avant malgré les intérêts qui sont remis en cause et l’humilité renvoie à une conception du rôle du politique comme étant celui qui doit être au service de ceux dont il a la responsabilité. Il faut donc faire évoluer ensemble des Ivoiriens de toutes origines, aux valeurs diversifiées et démontrant une vision différente de l’union. Les nouvelles générations aspirent à la liberté et au bonheur dans le contexte actuel d’incertitude. D’une approche basée davantage sur le compassionnel, il faut aller vers une approche plus rationnelle de l’autorité. Cette caractéristique manque fortement aux nouveaux tenants du FPI qui s’enferment dans des discours vides de sens. Même si les mots sont élégants, l’érosion de leur combat se drape dans l’utilisation de visions à courte vue, sans prendre conscience des dangers que cette attitude génère sur l’existence même du parti.

« La défaite peut se révéler une délicieuse attente quand on sait comment préparer sa revanche » – Cincinnatus.

 

Mohamed Radwan, article initialement paru sur Pensées Noires

 

Maroc : défis et opportunités d’une nouvelle Constitution

Le Maroc n'a pas fait l'exception de ce printemps arabe, mais il s'est clairement distingué des autres pays. Si les monarchies ont été largement épargnées par les révolutions et les instabilités, elles ont tout de même été touchées par le vent de reformes. Ce printemps arabe a été l'occasion de repenser les systèmes politiques, cerner les pouvoirs monarchiques, et redéfinir les relations entre peuples et gouvernants. Ce processus de définition, de conditionnement, et de renouvellement s'est particulièrement bien déroulé au Maroc. Il s'est non seulement fait dans un dialogue globalement pacifique, mais il a aboutit à des réformes plus avancées que les autres monarchies.
La constitutionnalisation de la monarchie marocaine est une avancée en soi. Mais il faudra que les partis politiques s'inscrivent également dans ce processus de questionnement, de réformes, et de renouvellement àfin d'être à la hauteur des défis qu'impose la constitution et des opportunités qu'elle offre.

La Réforme sera vidée de son sens s'il n'y a pas de Révolution au sein des partis

La nouvelle Constitution du Maroc (approuvée par 98.5% des votants au referendum national tenu le 1er juillet) n'en fait pas un modèle de monarchie parlementaire tel qu'on le voit en Europe où "le roi règne mais ne gouverne pas". Le roi a gardé son poids dans tous les pouvoirs, mais ses prérogatives ont été constitutionnalisées, définies, et donc limitées. Le renforcement du rôle du Parlement et des prérogatives du chef de gouvernement consacre un espace essentiel à la volonté populaire. Je considère globalement que cette sixième constitution est une avancée pour la simple raison qu'il y a un potentiel et que cela dépend à la fois des partis politiques et des citoyens: jusqu'à quel degré pourront-ils assurer une autonomie de la vie politique?

Comme de nombreux sympathisants du mouvement du 20 février, je suis sceptique. Mais je reste plutôt optimiste. Si certains craignent que la monarchie monopolise le système politique et les pouvoirs, je pense qu'elle peut se contenir au rôle d'arbitrage, sous certaines conditions. Le jeu d’équilibre peut être maintenu si la classe politique relève le défi. Et cela inclut la nécessité d'avoir une véritable opposition, un contre-pouvoir, et des citoyens engagés dans la vie politique pour pouvoir jouer pleinement des cartes en leur faveur. Si les partis se renouvellent, gagnent en indépendance en audace et en vision, ils auront plus de chance d'autonomiser la vie politique. S'ils se contentent d’être des exécutants, vieillissants, sans proposition ni innovation, ils continueront alors à porter le titre de « gouvernants » de la façon insatisfaisante avec laquelle ils le font. Dans ce cas, les réformes n'auront rien résolu. Elles détruiront au contraire tout espoir démocratique, toute confiance en la politique et ses hommes.

Impulsion populaire: Changement de paradigme

La nouvelle constitution a un potentiel. C'est, selon moi, de la base et donc du peuple que doit venir l'impulsion pour activer ces réformes et leur donner leur sens démocratique. Cette impulsion populaire devra effectuer une première rupture avec l'attentisme. Il faudra passer du statut de passif à actif, transformer le front d'opposition en force de proposition et d'action. Si le mouvement du 20 février continuait à perdre du souffle, je souhaiterais que les choses ne redeviennent plus jamais ce qu'elles étaient, que le citoyen prenne conscience de ses devoirs mais aussi de ses droits et de son pouvoir, et comme ce mouvement l'a fait à l’échelle national, je souhaite que tous nos citoyens aient le courage de dénoncer la corruption, les détournements de fonds, et le clientélisme au niveau local.

Ce travail de contestation est nécessaire, mais encore faut-il ne pas aliéner et abstraire le citoyen du système. Le citoyen devra non seulement reconnaître son pouvoir à mettre fin à de telles défaillances, mais devra aussi s'identifier en tant que cause à la survivance de ces pratiques archaïques. Si les élections ont porté au pouvoir local ou national des personnes corrompues, il faut rendre compte de la responsabilité des électeurs qui les ont élus. C'est tout le processus -avec tous ses acteurs- qu'il faut interroger, et non pas se réduire à ses effets. Il y a deux attitudes qui tuent tout espoir démocratique et qui font perdre aux Marocains confiance dans le jeu démocratique. La corruption en est l'effet ressortant, le clientélisme et l'abstention en sont les causes mortelles. Si une grande partie des Marocains continue à croire qu' ils ne sont pas prêts pour la démocratie, c'est parce qu'ils ne font pas confiance à ceux qui sont censés les représenter, ceux qu'ils considèrent -souvent à juste titre- comme des incompétents corrompus et portés par l’intérêt personnel et l'insouciance pour la chose publique. Ce qu'ils oublient pourtant, c'est que ces « incompétents » ce sont eux qui les ont- directement ou indirectement -élu soit en votant pour eux soit en s'abstenant et favorisant leur passage aux conseils locaux ou au Parlement.

C'est donc un problème de l'ordre de la conscience politique et de la responsabilité. Je n'exclus pas que certains s'abstiennent consciemment au processus électoral par perte de confiance ou non adhésion au système. Mais cette abstention consciente nous coûte très cher. C'est pour cela que j'ai parlé de conscience politique mais aussi de responsabilité, l'abstention ayant des répercussions graves il faudrait aussi que ceux qui s’abstiennent consciemment prennent conscience des effets de la dite abstention. Prendre ses responsabilités de citoyens revient non seulement à porter de l’intérêt à la gestion de nos affaires publiques, mais à y avoir un poids. Et cela commence par s'inscrire aux listes électorales, voter aux élections, rompre avec des pratiques inefficaces et nuisibles -notamment vendre ses voix le jour du vote-, s'engager et se réapproprier des partis politiques qui ont perdu leur crédibilité et leur rôle existentiel. Ce sont les conditions sinéquanones qui pourront nous assurer que nos parlementaires sont compétents progressistes et audacieux, que le premier ministre a l'envergure politique requise, qu'une véritable opposition s'affirme.. et que la page de contestation ne tourne pas.

Le « Makhzen » c'est nous…

Nous devons donc rompre avec l'attentisme, changer de paradigme, et faire du citoyen le sujet actif du changement . Tout l'effort, tout le changement ne doit pas venir que du régime, ce que certains appellent « le Makhzen » parce que le Makhzen c'est nous, nous qui le faisons, nous qui l'asseyons. Nous assumons une part de responsabilité dans ce qui nous arrive, et si nous voulons nous démocratiser c'est a nous de le faire. Je le répète, je ne soustrais pas le citoyen du système. Ce ne sont ni le "régime" ni des "illuminés" qui feront ce travail pour les citoyens, ils devront eux mêmes aller à son encontre en jouant des variables dont ils disposent, à savoir un Parlement.  

Lamia Bazir

Emigrations et politique des émigrés au Maroc

Les rapports entre les diasporas et leur pays d'origine, et plus particulièrement les politiques mises en oeuvre par les Etats pour "gérer" leurs ressortissants à l'étranger, revêtent un caractère particulièrement important en Afrique. La revue Averroès a publié une étude fouillée sur les Marocains résidant à l’étranger (MRE). Selon cette étude, ces derniers ont été, progressivement depuis les années 1990, l’objet d’une politisation graduelle qui les a portés en haut de l’agenda politique. Trois temps peuvent être isolés dans les relations entre l’Etat marocain et ses émigrés. Selon Youssef Benkirane, auteur de l'étude, des années 1960 à la fin des années 1980, l’Etat marocain jouait un rôle de « proxénète », dispensant sa main-d’oeuvre aux clients européens, récoltant sa « comptée » et gardant un contrôle coercitif, voire répressif sur ses ressortissants. Les années 1990 ouvrent une nouvelle période où l’émigration qui s’intensifie et se diversifie se soustrait au contrôle de l’Etat en même temps qu’elle devient porteuse d’enjeux importants en matière culturelle et économique. Durant cette décennie, l’Etat marocain a pu paraître absent ou pour le moins dépassé par une dynamique sur laquelle il perdit le contrôle. Au dépassement de l’Etat dans les années 1990 répond son redéploiement dans les années 2000 grâce à la mise en place d’une stratégie « paternaliste » consistant à renforcer les liens culturels et économiques des émigrés avec leur pays d’origine, et « désamorcer » en filigrane la constitution d’un champ externe de contestation politique.

Comme le fait remarquer le professeur Benkirane, " Bien que l’émigration soit un fait marquant de l’économie et de la société marocaine depuis les années 1960, il n’y a eu jusqu’à la fin des années 1980, pour reprendre Mohamed Charef (2005), « ni politique d’émigration, ni production scientifique majeure, à croire qu’il y a eu une volonté de négation d’un phénomène ». L’un des facteurs de cet oubli réside, à n’en pas douter, dans le fait que jusqu’au milieu des années 1970, on ait considéré au Maroc l’émigration comme temporaire et provisoire. Il a fallu attendre la fin des années 1980 voire les années 1990 pour que l’émigration, à la faveur de son intensification, sa diversification et son importance pour l’économie nationale, intéresse les politiques, les promoteurs économiques et les chercheurs et qu’une véritable politique commence à être pensée au lieu du contrôle politique coercitif et répressif d’antan."

Cette politique a connu un tournant lors du trentième anniversaire de la Marche Verte en 2005 où le roi Mohamed VI a annoncé des décisions importantes. Répondant aux demandes des « émigrés », Mohammed VI ouvre la voie à leur participation électorale, à leur représentation parlementaire sur la base de nouvelles circonscriptions à l’étranger et annonce la création d’un Conseil Supérieur de la Communauté marocaine à l’étranger.

Cette étude se propose d’étudier ces trois temps des rapports entre les émigrés et l’Etat marocain et plus précisément les développements qui ont eu lieu ces dernières années et qui marquent un tournant décisif.
 

Le lien PDF de l'étude (16 pages) : http://revueaverroestest.files.wordpress.com/2011/04/art-benkirane-revue-averroc3a8s-n2-repc3a8res-janv2010.pdf
 

L’Afrique: nouvelle « Arabie » des Etats Unis (2ème partie)

 A priori et sans pour autant être négligée, l’Afrique a toujours semblé une région en marge dans la politique étrangère des Etats-Unis. En conséquence de quoi entre 1945 et 1990, le continent africain ne constituait guère plus, aux yeux des Américains, qu’un terrain d’affrontement avec le bloc soviétique; ce fut une région, parmi d’autres, où s’appliquait la politique du Containment. Il ne s’agissait donc pas à proprement parler de politique africaine de Washington mais d’une simple politique anti Kremlin.


Avec l’effondrement du bloc communiste au début de la décennie 1990, l’enjeu géopolitique va progressivement perdre du terrain au profit de l’enjeu économique, mais avec là encore quelques hésitations. De 1990 à 2001, La politique de Washington semble d’abord en retrait, chancelante et sans principes directeurs. Dans la première moitié de cette période, le gouvernement américain hésite à s’impliquer dans les problèmes du continent. Mais dans la seconde phase de la décennie, les Etats-Unis définissent une nouvelle stratégie axée sur la progression des positions économiques américaines en Afrique. Ainsi, en 1996, B. Clinton réoriente les priorités diplomatiques générales du pays, accordant une primauté de l’économique sur le militaire, conformément à une vision du «Trade, not Aid ». 


B. Clinton va ainsi jeter les bases de ce qui va constituer la ligne directrice d’une véritable politique africaine de Washington. Mais c’est véritablement sous l’ère Bush que l’Afrique prend une nouvelle dimension. A partir de 2001, l’accent fut mis sur la lutte contre le terrorisme islamiste moyen-oriental, la recherche de la stabilité régionale et enfin la garantie des approvisionnements pétroliers afin de réduire la dépendance énergétique des Etats-Unis à l’égard du Moyen Orient notamment.

 

Pourquoi l’Afrique ?

Selon le BP Statical Review of World Energy[1], l’Afrique détenait en fin 2004 112,2 milliards de barils de réserves prouvées. Cela représente 9,4% des réserves mondiales[2].

Cependant, comparativement à des régions comme le Moyen Orient où se concentre 66% des réserves mondiales, ces chiffres peuvent paraître peu significatifs à première vue. Mais ce serait ne pas savoir qu’une large partie de ces réserves sont encore inexploitées. « En 2001 déjà, sur 8 milliards de barils de réserves découvertes dans le monde, 7 l’ont été en Afrique […] »[3]. On comprend dés lors pourquoi la question du pétrole a été inscrite parmi les priorités de la politique africaine outre atlantique. Pour beaucoup d’analystes, les  opportunités d’expansion sont en effet immenses. Pour preuve, le seul golfe de Guinée, qui comptait déjà 24 milliards de barils de réserves en 2003, devrait devenir à terme le premier pôle mondial de production en offshore très profond[4].
Cela fait que le continent occupe désormais une place importante dans la géopolitique énergétique et notamment pétrolière mondiale.

Aujourd’hui, l’Afrique assure 11,4% de la production pétrolière internationale et avec les importantes découvertes de gisements inexploités, ce chiffre est amené à croître dans les années à venir. Par ailleurs, entre 1990 et 2004, la production du continent a augmenté de 40% passant de 7 à 10 millions de barils par jours. Selon les premières estimations pour la période allant de 2004 à 2010, cette production aurait augmenté de 50%[5].

L’Afrique suscite donc les convoitises américaines du fait d’un fort potentiel pétrolier. La répartition de ce potentiel se fait grosso modo autour de deux grandes sous-régions du continent. L’Afrique du Nord, avec principalement l’Algérie et la Libye, concentre 4,8% des ressources pétrolières du continent. C’est en Algérie que se trouve le plus grand gisement africain, à savoir Hassi Messaoud, dans le bassin pétrolier de Berkine. Les réserves pétrolières de ce pays sont estimées à 9,2 milliards de barils. La Libye dispose de son côté de la plus grande  réserve du continent estimée à 41,5 milliards de barils. La majeure partie des gisements découverts se trouve dans le bassin de Syrte et fournit un pétrole de grande qualité. Seulement, les Etats-Unis ont gelé leurs relations avec Tripoli depuis les attentats Lockerbie. Cela fut d’ailleurs formalisé par l’Iran And Libya Sanctions Act en 1996, interdisant aux sociétés américaines d’investir dans ces deux pays. 

Mais la sous-région la plus riche demeure le golf de Guinée, qui attire d’ailleurs particulièrement l’attention de Washington. C’est là que l’on retrouve le plus grand producteur africain qui est le Nigéria avec une production de prés de 2,5 millions de barils par jours, talonné par l’Angola qui est le second producteur en Afrique sub-saharienne.

Ce dernier pays a une large partie de ses réserves qui sont situées en mer ; elles s’élèvent à 5,4 milliards de barils et sa production tourne autour du million de barils par jour. La relative stabilité du gouvernement depuis la fin de la guerre civile et l’absence de menace terroriste (hormis la rébellion de l’enclave de Cabinda) crée un climat de confiance favorable aux investissements étrangers, dont ceux de la firme américaine Exxon Mobil[6].

Le golfe de Guinée constitue justement le cœur de la stratégie américaine, et ce pour raisons 5 raisons:

– Le golfe de Guinée, qui compte 24 milliards de barils, est encore sous exploité.

– Les pays producteurs de cette sous-région, excepté le Nigeria, ne sont pas membres de l’OPEP, organisation « que l’Amérique, engagée dans une stratégie à long terme, cherche à affaiblir[7]».

– Le pétrole de cette région est de très haute qualité et dispose d’un bas taux de soufre ; c’est un pétrole léger, comme le BONNY LIGHT, qui donne de bons rendements en essence, produit dérivé le plus demandé aux Etats-Unis[8].

– Une grande partie de ce pétrole est exploitée en Off-shore, ce qui isole les plateformes des troubles sociaux ou politiques qui pourraient frapper les pays concernés.

– Enfin le transport par voie maritime vers les USA est facilité car la région donne déjà sur les raffineries de la côte Est américaine; les dangers liés au transport du pétrole sont donc amoindris du fait de l’absence de détroit ou de canal à traverser.

La stratégie de Washington

La politique de Washington a davantage pris en considération le pétrole africain grâce aux  pressions  des entreprises pétrolières comme les deux géants Exxon Mobil et Chevron Texaco mais aussi des plus discrètes telles Amerada Hess ou Ocean Energy.

Le plaidoyer de l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies (IASPS) a aussi été prépondérant lors de cette rencontre. Créé en 1984 à Jérusalem, ce think tank proche du parti de la droite israélienne Likoud et des néoconservateurs américains, est un traditionnel partisan d’une stratégie de désengagement à l’égard du pétrole saoudien. Cependant, durant les années Clinton, IASPS a eu peu d’influence sur l’administration en place.

Mais en novembre 2000, la victoire de George W. Bush aux présidentielles va changer la donne. Il convient de rappeler que Bush fils est un proche des compagnies pétrolières texanes : il fut donc particulièrement disposé à répondre favorablement à leurs demandes. Combinée aux attentats du 11 septembre, cette victoire des Républicains sur les Démocrates crée un climat favorable à la prévalence des idées de l’IASPS qui commencent à gagner les conseillers en énergie de la Maison-Blanche. Le 25 janvier 2002, elle a organisé un séminaire en présence de plusieurs membres de l’administration Bush, de membres du Congrès et de responsables de l’industrie pétrolière. De ce séminaire  va naître l’African Oil Policy Initiative Group (AOPIG), qui est l’interface entre la sphère privée et publique, et qui publie dans la foulée un livre blanc intitulé African Oil, A Priority for US National Security and African Development[9].

 Ces différentes péripéties vont progressivement donner un cadre général aux actions qui vont être menées par  Washington dans le domaine pétrolier en Afrique. La traduction en acte ne se fera pas attendre : des efforts seront consentis pour donner une plus grande place au pétrole africain dans les importations américaines. Ainsi, en 2001, alors que les importations américaines en pétrole provenaient à 15% de l’Afrique, le rapport Dick Cheney recommandait de les faire passer à 25%. Aujourd’hui, les exportations combinées du Nigéria et de l’Angola dépassent celles de l’Arabie Saoudite vers les USA qui couvrent 18% de leur consommation. D’ici à l’horizon 2015, un quart de la consommation pétrolière des USA devrait donc être assurée par l’Afrique.

D’autre part, des investissements sont aussi engagés sous la direction combinée du secteur privé américain et de la diplomatie américaine. Ainsi a pu voir le jour l’oléoduc Tchad-Cameroun d’un montant 3,5 milliards de dollars afin d’exploiter les champs pétroliers du sud tchadien, dont les réserves sont estimées à un milliard de barils. Cet oléoduc a été inauguré le 10 octobre 2003. Les Américains encouragent aussi l’entière libéralisation du  secteur pétrolier comme ils le font en Algérie, qui envisage de privatiser le puissant groupe d’Etat SONATRACH. Mais gardons à l’esprit que l’objectif est d’abord d’ordre stratégique et sécuritaire pour les Américains. Ainsi, ont-ils l’intention d’établir une base militaire sur Sao Tomé et Principe afin de protéger de près leurs intérêts. En ce sens, en juillet 2002, le général Carlton Fulford, commandant en chef adjoint de la US Navy, s’est rendu sur l’île et il aurait été question durant sa visite de construire une base navale sur « l’autre golfe ». La décision des autorités politiques ne s’est pas faite attendre…

Alioune Seck


[1] BP Statical Review of World Energy 2004, Juin 2005

[2] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[3] DIANGITUKWA Fweley, Les grandes puissances et le pétrole africain, Etats-Unis-Chine : une compétition larvée pour l’hégémonie planétaire, L’Harmattan, Coll. Etudes Africaine, Paris, juillet 2009

[4] Ibid.

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[6] Ibid.

[7] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[8] LAFARGUE François, « Etats-Unis, Inde, Chine : rivalités pétrolières en Afrique », in Politique Etrangère, 2005/4 (n°216)

[9] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006