Sylvie Kandé, La quête infinie de l’autre rive

Glissant-foto_Sylvie_Kande_2011Ecriture exigeante, style flamboyant! La quête infinie de l'autre rive de Sylvie Kandé a aussi demandé beaucoup à l'humble lecteur que je suis. Quand j'ai abordé cet ouvrage, je m'attendais à un roman. Mais une fois le choc de la surprise passé, je me suis plongé dans ces lignes rythmées comme les flots de l'océan. Il faut dépasser la hardiesse du texte au vocabulaire recherché, dépasser l'absence de ponctuation, et se laisser porter comme un enfant sur les vagues houleuses pour apprécier ce texte.
Sylvie Kandé nous entraine dans une épopée : celle de la volonté des hommes d'aller toujours plus loin et de découvrir le monde. Une quête toujours d'actualité. L'auteur dresse un parallèle entre l'appétit de découverte de l'empereur médiéval du Mali, Aboubakar II, et les dizaines de milliers de migrants qui aujourd'hui traversent la mer dans des conditions épouvantables pour rallier le supposé El Dorado européen.
On pourrait discuter ce choix. L'empereur en effet s'est lancé dans l'aventure de son propre choix, entrainant avec lui à leur perte des milliers de sujets. A l'inverse les migrants de nos jours fuient bien souvent la misère et la guerre civile. Traverser la Méditerranée sur des radeaux de fortune au risque de perdre la vie relève pour eux davantage de la survie que de la soif de conquête. S'ils se lancent ainsi sur les flots, c'est d'ailleurs bien qu'ils n'ont souvent plus rien à perdre.
Mais laissons là la polémique pour entrer dans le texte de Sylvie Kandé qui écrit en fait sur le rêve de l'ailleurs. C'est là que l'auteur touche à l'universel. Car chacun, je crois et je l'espère, a en lui l'envie de découvrir le monde et l'Autre avec un grand A. D'autant plus aujourd'hui sans doute que le monde est devenu un village global. Alors l'attrait de l'ailleurs est plus grand, le monde parait plus accessible.
Malheureusement et à l'inverse, les hommes dressent de plus en plus de barrières et de frontières. Cela créé des inégalités et des frustrations. Qu'en aurait-il été si les expéditions malinké évoquées par Sylvie Kandé avaient avant Christophe Colomb, découvert l'Amérique? Sylvie Kandé imagine un métissage presque immédiat entre l'Afrique et l'Amérique. Cela aurait-il suffit à changer la face du monde
Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous un passage de ce livre. C’est un couplet sur le départ
Te voilà embaqué dit le coxeur Bon vent
Tu vois il n'y a que le premier pas qui coûte
Il s'éloigne en riant avec tout ce cash dans sa sacoche
Mais de nos mères de nos soeurs et de nos compagnes
nul n'ignore bien sûr le dévouement:
elles auront payé cher notre naulage
et du brillant de leurs larmes se feront des colliers
Car chaque vie noyée est pierre précieuse
qui va joncher le fond de l'océan
Le trop et le manque mes enfants
(à très bien serrer le pagne du courage
il finit toujours par t'entraver le pied)
le trop et le manque inévitablement s'accompagnent
 
Edition Gallimard, première parution en 2010