Les zones économiques spéciales : un outil de développement encore mal utilisé

UntitledLes performances économiques actuelles de l’Afrique ne s’accompagnent pas systématiquement d’une mutation de sa structure économique et dans une moindre mesure des conditions sociales, notamment l’accès à l’emploi. De fait, les chiffres de croissance publiés sur l’Afrique sont portés notamment par la consommation privée et par les activités d’exploitation des ressources naturelles. Pour pérenniser ces performances, la création d’emplois et la transformation structurelle constituent un défi considérable pour les stratégies de développement des pays africains. La complexité de ce processus nécessitera l’action de l’Etat. Ces stratégies intègrent donc des politiques visant à générer des emplois et à consolider de façon pérenne les performances économiques du pays. L’une de ses stratégies est la mise en place de zones économiques spéciales (ZES).

Les ZES sont des enclaves territoriales qui fournissent un cadre plus avantageux (infrastructures et fourniture de services publics impossible à réaliser à l’échelle nationale) pour les entreprises et destinées à attirer les investisseurs locaux et étrangers. Si ces zones semblent attractives, rien ne garantit qu’elles puissent effectivement favoriser l’installation d’entreprises et générer des emplois ou avoir des effets d’entrainement sur le reste de l’économie. De toute façon, de nombreux pays africains y ont déjà recours, sans que leur impact ne soit vraiment significatif.

Selon le FIAS (2008), les emplois générés en Afrique subsaharienne par les zones économiques spéciales représenteraient à peine 0.2% des emplois formels alors qu’elles contribueraient à près de 50% du total des exportations, avec un effet de ricochet très limité sur le reste de l’économie. De fait, des travaux du CNUCED (2003) révèlent que les entreprises installées dans ces zones, en Afrique, utilisent des inputs importés et une main d’œuvre locale non qualifiées et produisent des biens destinés à l’exportation. Cette situation n’en appelle pas à supprimer les ZES mais plutôt à repenser leur structure. De fait, elles ont été un succès en Asie et dans certains pays africains (en particulier l’île Maurice et dans une moindre mesure le Kenya). Le défi serait donc d’identifier les composantes essentielles qui puissent permettre d’optimiser l’impact que pourrait avoir cette politique.

Selon la littérature, il existe trois types de ZES qui pourraient permettre d’atteindre les objectifs de développement. Afin de bénéficier des avantages liées à une préférence commerciale (AGOA des Américains ou encore Tout sauf les Armes de l’UE, par exemple), un pays peut mettre en place une ZES. L’objectif serait dans ce cas d’importer des matériaux, assurer leur transformation et exporter des produits finis définis dans le cadre des accords. Il présente cependant l’inconvénient d’être limité dans le temps à la mesure où les termes de l’accord relatif aux préférences commerciales peuvent changer. Un pays ne devrait donc utiliser cette mesure que s’il dispose des capacités lui permettant de tirer le maximum de profit de la période de validité de l’accord mais aussi de s’adapter assez rapidement quand les termes des accords préférentiels changent. C’est donc un risque considérable.

Malheureusement, c’est ce type de ZES que l’on retrouve dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne (avec les zones franches) et les expériences ont prouvé que leurs contributions à l’économie, notamment en matière de transformation structurelle et de création d’emplois, sont très limités. En outre, selon les travaux de Cling et al (2007) la fin du MFA (Multi Fibre Arrangement)[1] a eu des impacts négatifs sur les pays ayant mis en place des clusters spécialisés dans l’assemblage de vêtements, notamment l’île Maurice, le Kenya et le Madagascar où l’industrie textile est composée essentiellement d’entreprises étrangères (françaises ou chinoises). 

Les deux autres formes de ZES se bâtissent en fonction des avantages comparatives : soit en conformité avec celles-ci ou en les considérant comme un défi. Dans le premier cas, il s’agit de créer une zone économique qui permettrait d’exploiter au mieux les dotations en ressources naturelles du pays. Le second cas, plus complexe, consiste à créer les conditions afin de doter le pays d’avantages comparatifs. Ce genre de ZES tend à spécialiser les entreprises dans un domaine leur permettant d’approfondir et d’accélérer le processus d’industrialisation, en partant d'un seul secteur. Les entreprises apprennent l’une de l’autre, profitent des économies d’échelles, renforçant ainsi la concurrence et l’innovation.

Ce type de ZES a produit des résultats encourageants comme le montre les travaux de Nadvi et Barrientos (2004). Elles génèrent des emplois et ont un véritable effet de ricochet sur le reste de l’économie. La littérature identifie certains sucess stories comme le cluster de Tema (Ghana) qui s’est spécialisé dans l’agro-alimentaire, celui de Jurong Park de Singapour spécialisé dans l’industrie pétrochimique ou encore celui de Penang en Malaisie qui a développé tout une industrie sur l’électronique. Le succès de ces zones économiques ne tient pas seulement au fait qu’elles se soient spécialisées sur la base des avantages comparatifs mais surtout parce que les entreprises installées dans cette zone entretiennent d’importantes relations entre elles mais aussi avec l’administration publique, ce qui facilitent les partagent d’expérience, de connaissance et de technologie avec les autres entreprises du pays non installées dans la zone.

Les autorités devraient ainsi créer en marge de la mise en place des ZES un cadre favorable au partage entre les entreprises. Par ailleurs, il faut mettre en place des mécanismes pouvant permettre d’assurer le développement continue et pérenne de ces ZES. Au Singapour et en Malaisie, les autorités ont mis en place en marge du ZES, des mesures visant à renforcer le capital humain et à promouvoir le développement technologique. La mise en place de ces mesures, portées par le  secteur privé local, a permis de garantir le succès de ces zones.

En outre, pour optimiser l’apport des ZES à l’économie, leur mise en place devrait s’inscrire dans une stratégie globale de développement. Les politiques économiques mis en place ne devraient pas s’articuler autour de la zone mais devraient tenir compte de leur particularité tout en demeurant propres à toute l’économie. Ainsi, si la mise en place d’une ZES nécessite la levée de certaines barrières réglementaires, il faudrait pouvoir identifier tout ce qui constituerait des barrières à toute l’économie et y apporter des solutions appropriées. Si la mise en place d’une ZES nécessite la mise en place d’un cadre favorable visant à favoriser l’accès au financement bancaire, par exemple, toute politique visant à atteindre cet objectif, ne devrait pas se limiter aux seules entreprises installées dans la zone mais devrait être élargie à toutes les entreprises de l’économie.

La mise en place de ZES ne renforce donc pas systématiquement l’entreprenariat mais y contribue en favorisant la mise en œuvre de réformes qui rendent l’environnement favorable pour des investissements productifs. La mise en place de ZES devrait donc s’accompagner de mécanismes destinées à renforcer le capital humain, à assurer le développement technologique et à améliorer le climat des affaires entres autres.

Un autre point très important, est la localisation géographique. Une ZES ne devrait pas s’articuler autour du développement d’une localité ou d’une région mais devrait s’inscrire plutôt dans une logique de mis en place d’un poumon économique capable de rythmer et de dynamiser l’activité.

L’utilisation des zones économiques spéciales en Afrique comme outil de développement économique n’est pas problématique mais nécessite au regard des performances qu’elles génèrent d’être revue. Si les ZES en Asie ont été d’un grands succès, c’est surtout parce qu’elles ont été pensées avant tout comme partie intégrante de la stratégie de développement du pays et non comme outil de promotion des exportations, comme c’est le cas de nombreux pays africains aujourd’hui.

Somme toute, afin de profiter effectivement des capacités des ZES à générer de l’emploi et à impulser la transformation structurelle (primordiale pour la pérennisation de la croissance), les autorités devraient en plus d’intégrer cet outil dans leur stratégie de développement, mettre en place des mécanismes permettant de renforcer la résilience de l’économie à la conjecture internationale, s’appuyer sur les acteurs locales (les entrepreneurs) afin d’identifier les réformes à entreprendre pour rendre l’environnement des affaires favorables et pour appuyer le développement technologique et l’innovation.

Ce faisant, la dynamique au sein de la ZES pourrait se diffuser au reste de l’économie. Aujourd’hui, l’intégration de cet outil dans les stratégies de développement semble déjà une réalité : dans le cadre de son plan Sénégal Emergent (PSE), le Sénégal souhaiterait mettre en place une ZES à Diamniado non loin du nouvel aéroport et le Gabon est en train d’en mettre une en place à Nkok, selon les directives de son « Plan Stratégique Gabon Emergent ». La question qui demeure, est de savoir si la mise en place de ces ZES s’accompagnera des réformes nécessaires et autres mesures devant garantir leur rôle en tant qu’outil de développement. Pour l’heure, le FMI s’inquiète de la lenteur des réformes dans les pays d’Afrique subsaharienne et estime que sans elles, les plans de développement produiraient un impact très limité.

Foly Ananou

Références :

AfDB, OECD, UNECA, and UNDP (2011). African Economic Outlook Report 2011.

FiAS (2008). Special Economic Zone : Performance, lessons learned and implication for Zone Development. Washington, World Bank

CNUCED (2003). Export processing zones at risk ?

Farole Thomas (2011). Special Economic Zones in Africa : Comparing Performance and learning from global experience. Washington, World Bank.

J.P.  Cling, Roubaud F. and Razafindrakoto M. (2007). Export processing zones in Madacasgar : the impact of the dismantling of clothing quotas on employment and labour standards. DIAL.

Nadvi K. and S. Barrientos (2004). Industrial clusters and proverty reduction. UNIDO Report

Lall S. (1996). Foreign Direct Investment Policies in the Asian NIEs


[1] Le MFA était un accord dans l’industrie du textile à l’échelle mondiale entre 1974 et 1994, qui définissaient les quotas que les pays sous-développés pourraient exporter vers les pays développés.

 

Quelle serait l’incidence économique du virus Ebola ?

UntitledL’Afrique de l’ouest est en proie depuis fin 2013 à une épidémie mortelle d’Ebola qui, d’ores et déjà aurait provoqué la mort d’un millier de personnes. Quatre pays de la zone sont sévèrement touchés : la Guinée Conakry – foyer de cette épidémie, la Sierra Léone, le Libéria et le Nigéria. L’Afrique retient son souffle maintenant que la République D. du Congo est également touchée. Les experts estiment que sa propagation devrait  se poursuivre. Les craintes qu’elle suscite et la difficulté qu’éprouvent les pays concernés et leurs voisins (soit la CEDEAO tout entière) à contenir la situation, a obligé nombreux d’entre eux et d’autres pays dans le monde à prendre des dispositions, parfois extrêmes (fermeture de frontières, contrôle systématique des voyageurs, etc.) pour éviter toute contamination. Ces mesures, bien que justifiées pour les raisons préalablement évoquées, soulèvent la question relative à l’impact de ce fléau sur les économies des pays affectés. Loin de stigmatiser les efforts des autorités de la zone pour contenir cette épidémie d’Ebola, cet article se propose d’analyser le coût économique de cette épidémie pour les pays touchés – et plus généralement pour l’Afrique.

Il serait assez utopique de penser à chiffrer les retombées de cette épidémie sur l’économie d’un pays ou d’une zone. De fait, une épidémie est capable d’affecter tous les secteurs de l’économie d’un pays. Ce genre de choc peut provoquer une suite d’évènements qui peuvent à leur tour provoquer d’autres chocs qui vont exacerber la situation économique. Il est toutefois possible d’identifier les différents secteurs qui seront affectés par cette épidémie.

Pour assurer la prise en charge des personnes infectées et lutter contre la propagation de la maladie, les pays affectés ont été amenés à faire des dépenses supplémentaires non prévues au budget. En Sierra Léone, une dizaine de millions de dollars USD ont déjà été dépensés au deuxième trimestre et d’autres sont à prévoir pour le reste de l’année. Ce qui est certainement le cas dans les autres pays touchés mais aussi chez leurs voisins, qui ont mis en place des mesures diverses pour éviter ou prendre en charge assez rapidement tout cas de maladie déclarée. Ces dépenses supplémentaires affecteront, sans nul doute, les équilibres budgétaires quel que soit le moyen de financement adopté. De nombreux programmes d’investissement public ou de développement ont été mis à l’arrêt et certaines entreprises,  notamment celles des secteurs extractif ou minier ou de l’agro-alimentaire ont dû suspendre leurs activités. En Guinée, Arcelor Mittal a suspendu les travaux d’expansion d’un minerai de fer parce qu’une partie de la main d’œuvre travaillant sur ce chantier a été évacuée. En Sierra Léone, aussi, London Mining a fait évacuer une partie de son personnel « non essentiel ».  Par ailleurs, le secteur touristique est aussi affecté de pleins fouets. La destination étant compromise avec l’épidémie, les touristes préfèrent ne pas se rendre dans ces pays.

Pour les voisins, l’impact sur le secteur touristique est aussi éminent. La crainte de la maladie amènera les touristes à ne pas s’intéresser à la destination. Aussi, les mesures comme la fermeture de frontières ou les contrôles médicales systématiques limitent les échanges économiques avec les voisins mais aussi contraignent certains touristes à préférer des destinations moins contraignantes et présentant moins de risques de contamination. Le Sénégal a interdit toutes importations de produits agricoles en provenance de la Guinée ; une mesure qui pourrait concerner tous les pays touchés et adoptée sans doute par de nombreux partenaires commerciaux de ces pays, notamment ceux importants de la viande et des produits agricoles. La croissance se trouve ainsi limitée, tout au moins cette année. Selon des travaux de l’agence Moody’s, du FMI et de la Banque Mondiale, la Guinée-Conakry pourrait perdre un point de croissance en 2014 : 3,5% au lieu de 4,5% initialement estimé. Les autres pays touchés pourraient aussi voir leur croissance atteindre des niveaux plus bas que celle prévue. Les objectifs de recettes, fiscales notamment, de l’Etat ne seront pas atteints, contribuant ainsi à accentuer les déséquilibres budgétaires et à tenir en échec les programmes de développement des autorités. En effet, les dépenses supplémentaires de santé causées par cette épidémie, seront financées en réduisant certaines dépenses d’investissement ou courantes, avec l’aide financière ou à travers des emprunts. Ce faisant, l’Etat augmente ses arriérés auprès de certains de ses fournisseurs et crée ainsi une entorse à ses propres programmes de développement en retardant l’avancement des travaux d’infrastructures qui sont essentiels pour pérenniser les performances économiques.

Les déséquilibres budgétaires provoqués par cette épidémie en cours, affecteront à moyen terme la qualité de la signature du pays touché. De fait, le respect des critères notamment en matière de gestion budgétaire, sous la surveillance du Fmi sont des préalables à l’action des partenaires financiers et garantissent aussi la réussite des interventions sur le marché financier international. Si les incursions des pays africains ces dernières années (surtout en 2014) sur le marché financier international, ont été des réussites, c’est en partie parce que les indicateurs produits par le Fonds en matière de gestion de ressources publiques rassurent les investisseurs. Si ces indicateurs se dégradent, bien qu’indépendant d’une mauvaise gestion des ressources mais en lien avec un choc, les investisseurs seront moins aptes à investir et ce d’autant que les moteurs de la croissance ont été mis à mal. Pour preuve, un simple coup d’état militaire (bien que non assimilable à une épidémie), suffit pour entacher l’image d’un pays auprès de ces partenaires, quel que soient les efforts fournis pour revenir à l’ordre constitutionnel. Au moins dans ce cas, l’activité économique se poursuit, garantissant au moins des recettes budgétaires pour l’Etat. Avec une épidémie, le retour des entreprises n’est pas imminent. Il peut s’avérer lent quand des garanties solides ne sont pas données quant à la capacité du pays à contenir l’épidémie, ce qui se traduirait par une croissance plus molle et donc par une incapacité de l’Etat à honorer ses engagements financiers, retardant ainsi la mise en œuvre des programmes de développement et contribuant à accentuer le poids de la dette sur l’économie à moyen termes.

Dans tous les cas de figure, l’incidence économique d’une épidémie, telle qu’Ebola, sur les pays africains est et sera majeure. S’il est difficile de chiffrer ses conséquences sur l’agriculture, la production industrielle, la sécurité alimentaire et plus encore sur les inévitables conséquences sociales de l’épidémie (destruction des familles et des structures sociales, millions d’orphelins livrés à eux-mêmes, réduction à néant des réseaux communautaires) ; une évidence est qu’elle limitera les performances économiques des pays et des zones qui sont affectées. En effet, si l’on considère que la croissance économique d’un pays est habituellement corrélée à l’espérance de vie (selon les estimations de l’OMS, 0,5 % de croissance économique est gagnée pour chaque 5 ans d’espérance de vie supplémentaire), une épidémie mortelle comme celle d’Ebola constitue une entrave considérable à la croissance économique à court et à moyen terme, surtout si elle n’est pas rapidement maitrisée. Les dépenses en infrastructures, en personnel qualifié et en formation que nécessite ce genre de maladie obèrent sérieusement le développement économique des pays africains qui ont déjà bien de mal à rendre leur croissance inclusive. Une situation qui met à nu une Afrique encore assez fragile dont les performances peuvent être remises en cause par des chocs tels une épidémie, un coup d’état, une catastrophe naturelle, etc. Si l’on ne peut prévoir la survenue de tels évènements, il est tout au moins possible de pouvoir prendre les précautions nécessaires pour limiter leurs impacts, notamment en ce qui concerne la santé et la vie politique.

Comme le rappelle Georges, dans une démocratie (ou du moins quand on veut en construire une), des moyens moins onéreux pour l’économie existent ; de même, quand il s’agit de la santé, il est tout à fait possible d’éviter des situations qui freineront le développement du continent. En effet, si l’Ebola ou toutes maladies mortelles (comme le Sida) se propage aussi rapidement en Afrique, c’est parce que le système de santé est assez obsolète et ne permet pas de prendre en charge ces types de fléau. De plus, le comportement des populations en lien avec certaines pratiques culturelles – toutefois non maîtrisables en lien avec le niveau d’éducation – accentuent les risques de contamination. Les 260  millions de dollar US promis par la Banque Mondiale et la BAD, pour lutter contre l’épidémie actuelle d’Ebola ne suffiront pas à contenir la situation actuellement et à préparer les 54 pays du continent à d’autres situations similaires. Il serait convenable dès lors que les pays africains puissent déterminer des moyens permettant le renforcement du système de santé, avec la mise en place de systèmes d’informations adéquats et un investissement plus conséquent dans ce secteur[1] mais aussi dans l’éducation. Une équation qui peut paraître complexe, dans la mesure où l’Afrique veut accélérer son rattrapage et qui se reflète à travers les divers plans de développement adoptés par les pays ; alors que les financements pour leur exécution ne sont pas généralement mobilisés à l’interne. Ces différentes contraintes appellent les pays africains à penser à un modèle de développement, qui s’adapte à ses capacités et prend en compte les différents défis. Après tout, la Chine ou la Corée du sud ne sont pas devenues émergentes en quelques plans d’émergence exécutés en une dizaine d’années.

Foly Ananou

Références : 

http://www.rfi.fr/afrique/20140828-ebola-epidemie-experts-inquiets-consequences-economiques-accra/ 

http://economie.jeuneafrique.com/index.php?option=com_content&view=article&id=22893 

http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/22853-ebola-les-consequences-economiques-de-lepidemie-sannoncent-severes.html 

OMS, Rapport sur la Santé dans le Monde, 2004 – Chapitre 1 : Conséquences humaines, sociales et économiques 


[1] Un article de Nelly Agbokou propose des pistes de réflexion sur la question.

Comment financer les infrastructures ?

arton44De nombreuses études suggèrent que les infrastructures jouent un rôle important dans la croissance économique, et par voie de conséquence dans la lutte contre la pauvreté[1]. Les gouvernements investissent dès lors de façon intensive dans les infrastructures. Une stratégie qui suscite assez souvent des critiques de la part de la société civile qui estime que les routes et autres infrastructures « ne se mangent pas » et que ces fonds, qui constituent par ailleurs une pression financière sur les Etats, sont à investir dans des secteurs productifs. Si les investissements en infrastructures contribuent au bien-être social – réduction du coût du transport avec la disponibilité des moyens de transport – et jouent en faveur de la croissance d’après la thèse des grands travaux de Keynes, il convient de déterminer les moyens optimaux pour les financer. En effet, les pays ont des canaux divers pour financer les nouvelles infrastructures : fiscalité, réduction de certaines dépenses courant ou en capital, emprunts – externe ou interne, etc. En se basant sur l’expérience de certains pays à profil différent d’Asie (Philippines, Chine et Pakistan)[2], John Cockburn et ses coauteurs étudient l’impact de ces investissements ainsi que celui de leur mode de financement (la fiscalité et les ressources externes) sur la croissance et la pauvreté.

Cette étude suggère, excepté le cas de la Chine, que des investissements publics en infrastructures financés par emprunt extérieur permettent de booster l’activité économique et de réduire la pauvreté. L’ampleur de l’impact (selon le choix même du mode de financement) dépend toutefois des spécifiés économiques du pays. Une économie émergente, comme celle de la Chine, avec une forte présence de capitaux privés bénéficie davantage de toute politique visant à renforcer le patrimoine en infrastructures et peut se permettre de financer ces nouveaux investissements en infrastructures par le biais de la fiscalité.

Globalement, il ressort de leurs travaux que le secteur privé est le principal canal de transmission de la politique d’investissement public en infrastructure. En effet, en l’absence d’une fiscalité forte, l’amélioration de l’état des infrastructures attire les investisseurs. L’abondance de capitaux privés renforce la productivité et la compétitivité de l’économie, et ce au niveau de tous les secteurs : la production augmente alors significativement et toute l’économie bénéficie d’une augmentation du revenu national. Cette performance de l’économie se traduit par une hausse de la consommation locale qui favorise l’industrie locale (financée par le secteur privé), impliquant de facto des opportunités d’emplois, et autres opportunités d’affaires (notamment dans les activités commerciales), qui résulteraient en une augmentation des revenus des individus de sorte de les faire sortir de leur situation de pauvreté.

De toute évidence, le financement des investissements avec des fonds internes sur base de fiscalité – qui est de loin l’un des moyens les moins risqués et pérenne de financer le développement[3] – est encore contraignant dans les pays sous développés et plus particulièrement en Afrique. Si le recours au financement extérieur serait pour l’instant le meilleur moyen pour financer les investissements en infrastructures ; il devient impérieux aux gouvernements de choisir judicieusement la forme de financement la plus adaptée aux besoins du pays. En effet, dans l'article précédent, il a été montré que le recours systématique aux emprunts sur les marchés financiers internationaux ne seraient pas sans danger pour les économies africaines. Cette situation met à jour le débat concernant l’importance du développement des marchés financiers africains.

Aussi, des moyens de financement alternatifs existent, auxquels peuvent avoir recours les nations africaines. D’une part, l’ouverture du continent à d’autres partenaires constituent une opportunité qu’il convient toutefois de considérer avec précautions. D'autre part, le recours au partenariat public-privé, qui permet aux pays d’obtenir à la fois l’assistance financière mais aussi technique sur les projets d’infrastructures, est aussi une option à considérer. Par ailleurs, les autorités devront aussi s’assurer de mettre en place un cadre réglementaire pour attirer les capitaux privés. Si l’état des infrastructures est essentiel dans l’implantation d’une entreprise, un cadre réglementaire défavorable limitera la présence du secteur privé, qui est le principal facteur valorisant des infrastructures.

Le déficit en infrastructures, qui obère encore les performances économiques de nombreux pays du continent africain, nécessite une réponse adéquate à travers une politique intégrant un mode financement centré sur la mobilisation de ressources financières extérieures et assurant l’implication du secteur privé. A défaut, ces investissements ne serviraient qu’à embellir les villes africaines et à accentuer la paupérisation des populations.

Foly Ananou

Référence : 

John Cockburn et al. (2013). Infrastructure and Economic Growth in Asia. PEP, Springer Open. 


[1] De fait, on considère depuis l’avènement des OMD que la meilleure façon de lutter contre la pauvreté c’est d’être économiquement performant (croissance), supposant que les populations les plus pauvres participent et bénéficient de cette croissance.

[2] Cette approche permettra de distinguer les effets qui sont propres aux pays selon leur profil et d’identifier les effets d’ensemble

[3] consulter l’article de Georges sur le financement du développement

L’Afrique discute son développement socio-économique

169498522Le FMI a publié mi-avril les perspectives économiques pour l’Afrique. Le scénario indique un maintien de la dynamique économique entamée par l’Afrique subsaharienne depuis la dernière décennie avec des risques inhérents à l’environnement socio-politique et à la dynamique économique mondiale. Réunis à Maputo les 29 et 30 mai, les ministres africains en charge de l’économie et des finances et les gouverneurs de banques centrales ont saisi l’occasion d’échanger sur la dynamique plutôt impressionnante de certaines économies africaines et des défis qui demeurent à relever pour les pays du continent afin d’assurer leur développement. Ils estiment qu’il faudrait assurer une transformation structurelle et une diversification des économies africaines en s’appuyant sur la jeunesse de sa population afin de créer une fenêtre d’opportunités pour accélérer le processus de développement du continent.

De nombreux pays africains ont enregistré ces dernières années des performances économiques impressionnantes, démontrant l’efficacité des politiques économiques adéquates mis en œuvre dans ces pays et prouvant le rôle des institutions, de l’aide au développement et l’importance de l’investissement dans la technologie et le capital humain. Cependant, ce gain de croissance ne contribue pas systématiquement à réduire les inégalités et la pauvreté dans la plupart de ces pays. Une étude de L’Afrique des Idées portant sur le sujet, qui fera l’objet d’une conférence au courant de ce mois, apporte des éléments de réponse sur la question. Cette question appelle à déterminer des mécanismes pour rendre la croissance profitable à tous – qu’elle soit un facteur de réduction de pauvreté et d’inégalités, générateur d’emplois pour la jeunesse africaine. Un article précédent présentait la vision de nos dirigeants sur les mécanismes pouvant rendre cette performance au service du développement de l’Afrique. La question qui subsiste au-delà de tous ces discours de politique économique est celui du financement de ces stratégies, tout ne perdant pas du regard les différentes crises qui secouent le continent.

Résoudre les conflits

Des exemples  sur le continent (Rwanda, Côte d’Ivoire, Ouganda, …) ont démontré que la stabilité politique, sans être le seul facteur, est garant du bon fonctionnement de l’activité économique. Les ministres ont dès lors insisté sur le fait de résorber les conflits existants sur le continent et d’instaurer un climat de paix. La situation au Mali, la crise nigériane avec la menace « Bokho Haram », la situation de la Centrafrique et du Soudan du sud ; les futures élections dans les pays d’Afrique de l’ouest et les tensions au Maghreb sont autant d’exemples qui prouvent encore une fois la fragilité de l’environnement politique en Afrique. Si des pistes solides n’existent pas pour résoudre les conflits actuels sur le continent, il est toutefois possible d’éviter l’éclosion de nouveaux troubles sur le continent. Les ministres estiment à cet effet qu’il faudrait instaurer dans les différents pays des institutions fortes capables de renforcer les acquis en termes de stabilité politique, accompagnés de politiques sociales.

Financer le développement

Un article de Georges traitait de cette question et a identifié plusieurs mécanismes, notamment la fiscalité comme un moyen de financer le développement du continent. Les ministres sont de cet avis et souhaiteraient renforcer les mécanismes permettant la mobilisation de ressources domestiques. Ceci s’appuierait sur un renforcement de capacités en matières de fiscalité mais aussi de gestion budgétaire afin d’assurer une disponibilité de fonds pour assurer l’investissement public.

Une place particulière devra aussi être accordée au secteur privé, notamment en ce qui concerne le financement des infrastructures, à travers les partenariats public-privés. Nombreux sont les pays africains qui ont déjà initiés des rencontres avec le secteur privé pour le mobiliser autour de leur programme de développement et les opportunités, sans réel succès. On pourra toujours s’interroger sur la nécessité de telle rencontre et la disponibilité du secteur privé à accompagner l’Afrique. Le Nepad va, dans la même optique, se rapprocher du secteur privé sur des projets à caractère régional dans les prochains jours à Dakar. Ce sera l’occasion de statuer sur la position du secteur privé (africain et internationale) vis-à-vis des besoins des pays africains. Une chose est certaine c’est qu’il est un partenaire sur lequel l’Afrique doit compter si elle veut résoudre les problèmes d’infrastructures.

L’outil de la dette est perçu aujourd’hui comme un facteur obérant le développement de l’Afrique. Certes les pays africains ne pourront s’en passer mais ils devraient être prudents quant à son utilisation tout en recherchant concomitamment des sources alternatives de financement. Les ministres africains réunis à Maputo, le reconnaissent et ont introduit auprès du FMI un plaidoyer pour un assouplissement des conditions de financement et à la mise à disposition de ressources financières plus adaptés aux besoins des pays africains tout en participant de façon active au renforcement des capacités des pays en matière de gestion de la dette.

Selon les données disponibles, l’Afrique serait en train de rattraper sa décennie perdue en termes de croissance. La généralisation de ce rattrapage à tout le tissu socio-économique du continent reste encore discutable. Les indicateurs socio-économiques présentent plutôt une Afrique encore à la traine. La situation est cependant asse hétéroclite ente les pays. Si l’Afrique s’affiche de moins en moins comme un continent en marge du monde et victime des autres, elle ne pourrait pas non plus s’identifier systématiquement comme un géant économique du monde. Les défis sont encore grands et les moyens pour les contenir semblent assez flous. Les autorités économiques africaines sont donc appelées à jouer un rôle crucial dans ce processus en identifiant les meilleures pratiques pour permettre au continent de se développer.

Foly Ananou

Islamic Finance: an opportunity for development?

148555584Facing development challenges and constraints related to the scarcity of financial resources through donations, African countries are trying to find cheaper alternatives to traditional funding mechanisms. To this end, they are more and more open to Asian financial resources: mainly Chinese and Arabic. If works on the Chinese strategy in Africa are in progress, the windfall represented by Arabic financial resources is not well known, whereas they seem to generate great interest among policymakers in the continent.  It is in this context that, on the 29 of March 2014, the Bureau of “Afrique des idées” Dakar organized a conference moderated by two specialists:  Dr Abdou Karim Diaw[1] and M. Rodolph Missihoun[2]. This article synthetizes the key lessons of this conference on Islamic finance and the role it could play in the development process of Africa.

Poorly known, Islamic finance has long remained the preserve of Muslim countries but there is a growing interest for this tool worldwide. Along with its own bank involved in development (Islamic Development Bank), Islamic Finance has others instruments such as sukuks (similar to conventional bonds) which interest many countries. London, world class financial centre, wants to position itself as a pioneer in the integration of this new way of doing finance in the West by issuing sukuks up to 233 MEUR. The regulation in this regard has been arranged and many specialized degree courses in Islamic finance are available in London. In Africa, Senegal is about to test the Islamic financial market by issuing up to CFAF 100 billion in sukuks. It has already received the approval of the Central Bank of West African States for refinancing. With hundreds of millions USD (nearly USD 1000 billion in late 2012 against USD 300 billion in 1990), the Islamic financial market is growing fast (its assets could reach USD 4000 billion in 2020) and therefore arouses everyone’s interest, particularly in Africa, whose financial needs are huge.

How does it work?

First, it’s important to remember that Islamic and conventional finance have the same characteristics. Hence, it does not defines itself as philanthropic. Islamic finance is based on the principles of Sharia, which considers illegal the perception of financial resources on financial investments through the mechanism of interest rates. Sharia principles assume that each gain should be motivated by the pursuit of an activity, which is not always the case in conventional finance. Thus, loans under Islamic finance rather take the form of an equity.

Leading stakeholders of Islamic finance play a role of multitasking entrepreneur comparable to an investment fund. Two cases are possible: financing a profitable activity (loans for business or a project completion) or a social project (loan to individuals or public entities). In the first case, if the stakeholders consider the project to be viable, they will participate as investors and not as bankers. In this context, the funds invested in the project will be remunerated depending on the benefits generated and the quota in the capital. The advantage in such a system is that the “Islamic” lender will be the one suffering the risks of the project. In the second case, the lender protects himself from the risks linked to investment.

The goal is to answer to an actual financial need while supporting risks and accompanying the borrower in its projects. To do so, the Islamic financial system relies on a banking group whose attributes are similar to those of the World Bank: the Islamic Bank of Development; and a set of Islamic commercial banks.

In the Islamic financial market, funds can be raised from commercial banks or the Islamic Bank of Development (whose activities are related to socio-economical development), or through the issuance of sukuks.  The sukuks are investment certificates working according to the same criteria above mentioned. For the holder, they consist in participating in the purchasing of a good to be resold to the client at a higher price, which then reimburses the investment according to the schedule on which both parties agreed. This way, he will receive the margin, depending on his level of participation, as a remuneration of the sukuk. 

Islamic Finance in Africa

The exercise of public finance is mainly due to the presence of the IDB. Twenty two out of the fifty six members of this bank are African, including 17 in sub-Saharan Africa (12 from West Africa).  In the third quarter of 2013, the commitments of the IDB in the world would have reach a hundred billion dollars. In Africa, these interventions are more concentrated in the Maghreb. To reinforce its presence in Sub-Saharan Africa, in 2008, the IDB established a program specifically dedicated to Africa: the Special Program for the Development of Africa, with a portfolio of USD 12 billion (including 4 billion from IDB and 8 from its partners) for the 2008-2012 period on areas such as agriculture, food security, water and sanitation, energy, transport, infrastructures, education, capacity building, health and communicable disease control. The results of this program reveal that a total of USD 13 billion have been committed through it, of which 5 billion from the Bank funds while 59%  of the total amount went to Sub-Saharan Africa.

The IDB itself is a solid institution, capable of mobilizing other donors who may finance development activities in Africa. The major rating agencies of the world attribute it a risk level of zero. Through the SPDA, the IDB could enable African countries to have an additional USD 8 billion, raised from its partners.

On the one hand, the IDB does not condition its intervention to socio-political criteria, very common in the African context and which can be a source of risk. On the other hand, its strength lies in the choices of the projects in which it operates but also in its principles of operation strongly rooted in Sharia’s principles.

The IDB has tools similar to the International Financial Corporation (IFC) of the World Bank: the Islamic Society of private sector development (ISPSD) and its Multilateral Investment Guaranty Agency (the Islamic Investment Insurance and Credits Export Company) destined to the private sector and very little known on the continent.

Some Islamic commercial banks are on the continent but are mostly concentrated in the Maghreb countries. Their emergence in the Sub-Saharan area is constrained by a lack of knowledge about the Islamic financial market, a regulation that does not encourage their establishment, but also by the particular debt conditions of African countries to which the IMF demands to have recourse only to financial resources comprising at least 35% of donations.

It’s obvious that Africa could benefit from the expansion of Islamic finance. The major stakeholder of this market alternative to conventional finance have already a strategy that should guarantee them a lasting presence on the continent, currently presented as one of the engine of the global growth. Some regional offices of the IDB have already been installed: in the Maghreb, West Africa and East Africa.

The IDB already works on a relaxation of the regulatory framework in order to encourage the implantation of Islamic commercial banks.  It increasingly directs states to sukuks. Africa, for its part, should try to appropriate this tool which has many advantages, in getting involved a bit more in its process of installation on the continent through regulation and by paying particular attention to the approaches used in the margin determination, but also by developing its capabilities in terms of negotiation, which so far, are a bottleneck in the process of development in Africa.

Translated by Olivia Gandzion


[1] Ph.D. in Islamic finance

 

[2] Chief Economist at the regional bureau of Islamic Bank of Development (IDB) in Senegal

 

Repenser la supervision bancaire en Afrique

185236742La récente crise financière a permis d’identifier les défaillances du système financier, appelant à des réformes de la réglementation et de la supervision bancaire[1]. Cette situation soulève naturellement des interrogations quant à comment une telle crise pouvait subvenir dans des pays censés être les plus avancés – et donc où la surveillance des risques financiers devrait être la meilleure. Entreprendre des réformes visant la supervision devient alors une priorité mais alors, au regard des défaillances mis en exergue par la crise de 2008, on peut bien légitimement s’interroger sur le champ d’application des réformes, sachant que les meilleures pratiques en la matière ont été incorporés dans les principes fondamentaux de Bâle[2] – qui est la référence en matière de contrôle bancaire et par rapport auxquels tous les pays tentent de se conformer. Plus particulièrement, dans le cadre africain, quel devrait être les orientations à donner aux réformes visant à redéfinir un nouveau cadre de supervision bancaire ?

La crise de 2008 a permis de mettre en exergue le fait que la solidité des banques ne suffit pas pour garantir la stabilité financière. Si cette dernière condition est suffisante, elle n’est pas nécessaire dans la mesure où les interconnexions entre les institutions financière sont à prendre en compte. L’industrialisation à outrance des activités bancaire et financière conjuguée à la complexité des outils d’ingénierie financière ont eu des effets néfastes sur le système financier. Ainsi la discipline de marché, à laquelle étaient soumises les banques en plus du rôle des agences de notation, n’a pu permettre de prévenir la crise ; d’où l’intérêt de réviser la supervision des activités bancaire et financière.

Les réformes qui sont envisagées au niveau international n’auront pas la même importance pour l’Afrique qui a été épargnée par la crise du simple fait que son système financier n’est pas suffisamment imbriqué dans les méandres de la finance mondiale. Cela n’appelle pas toutefois les pays africains à rester en marge des réflexions pour envisager un nouveau cadre de supervision bancaire. En effet, les réformes envisagées au niveau du Comité de Bâle auraient certainement des impacts sur l’activité bancaire dans les pays africains, même si ceux-ci n’ont pas adopté les principes fondamentaux de Bâle. Cela vient du fait que l’implication de l’Afrique dans le système financier mondial devient de plus en plus prononcée. Il faudrait donc que les acteurs chargés de la surveillance bancaire en Afrique entreprennent une évaluation de l’incidence de ces réformes. D’ailleurs, il faudrait que les pays africains réfléchissent à comment s’orienter vers l’adoption des principes de Bâle, dans la mesure où les pays africains sont dans une logique d’insertion dans l'économie mondiale. L’adoption de ces principes devient donc un préalable pour renforcer l’activité bancaire.

Si pour les pays africains, l’impératif des réformes ne répond pas à une défaillance du système bancaire mais plutôt dans une perspective des défis à venir, il faudrait toutefois que ces réformes tiennent obligatoirement compte de certains points; notamment la définition d'un cadre analytique bien structuré et la disponibilité d'un personnel compétent. En effet, la dernière crise a fini de démontrer que certains aspects fondamentaux de la surveillance bancaire ont été occultés avec l’évolution de cet exercice comme par exemple : la complexité de l’utilisation de la notion d’actifs pondérés suivant le risque ; la divergence du cadre prudentiel suivant les pays en lien avec la différence en termes de classification et de provisionnement du crédit ; le recours à des méthodologies très sophistiquées pour l’estimation de certains risques et la volonté des banques pour un cadre moins strict sur leur effet de levier en vue d’accroître leur rentabilité. Ainsi, un nouveau cadre de supervision devra s’appuyer non seulement sur la compétence des autorités en charge de cet exercice mais aussi sur une approche décentralisée au niveau des banques. Les organes de direction doivent être capables de mesurer les risques encourus par leurs établissements et d’évaluer leur adéquation vis-à-vis des fonds propres et de s’assurer que la gestion des risques se fait en fonction de leur nature et des activités de leur établissement. Les autorités en charge de la supervision, s’assureront pour leur part, que les banques mettent à leur disposition tous les documents relatifs à leur gestion et à leurs activités. Cela leur permettrait de déceler à l’avance les tensions existantes sur les fonds propres d‘une banque en fonction des caractéristiques des risques pris par cet établissement et de mener à temps les mesures correctives nécessaires pour éviter une déstabilisation du système.

Plusieurs approches existent en termes de surveillance bancaire :

  • le Bottom-up : il s’appuie sur des procédures d’audit, où toutes les institutions valident les états financiers en s’assurant de leur adéquation avec les contrôles internes. Cette approche appréhende le risque au regard des exigences du cadre réglementaire sans s’intéresser à son origine – qui peut être lié à un problème de gouvernance ou de gestion. Avec cette approche les banques sont amenées à diminuer les risques plutôt que de mieux les gérer.
  • le Top-down : elle se fonde sur une analyse financière globale en plus d’une analyse complémentaire des politiques, des systèmes et des pratiques de management. Les décisions prises aux niveaux supérieurs de la hiérarchie seront répercutées et traduites en plans d’actions suivis et maîtrisés par les dirigeants à partir d’indicateurs adéquats.
  • la supervision basée sur les risques : c’est une variante des systèmes de supervision qui améliorent le caractère préventif de la supervision bancaire. Elle s’appuie sur un cadre d’analyse pour évaluer les pratiques de gestion, de contrôle, des procédures et politiques, pour minimiser le risque et garantir une gestion saine des expositions aux risques. Cette approche accorde donc une importance particulière à la capacité des organes de direction des institutions financières à gérer les risques externes (concurrence, risques systémiques).

Cette dernière approche apparaît plus intéressante pour les acteurs en charge de la supervision bancaire dans la mesure où elle présente l’avantage de pouvoir distinguer les différents établissements financiers sur la base des profils de risques encourus. Elle permet ainsi de concentrer les ressources de la supervision sur les zones à plus gros risques et fournit un cadre flexible permettant de régler et de gérer prudemment les différents services financiers, au lieu de les interdire et de créer une entorse au développement de l’activité bancaire. Sa mise en oeuvre en Afrique nécessiterait un renforcement des compétences des acteurs en charge de la surveillance afin que ces derniers puissent être capables de distinguer et d’évaluer les différents types de risques encourus par les banques qu’ils examinent. Ces derniers devraient aussi disposer des outils leur permettant de mesurer et d’appréhender la solvabilité ou la vulnérabilité du système aux chocs macroéconomiques ou en fonction des prévisions portant sur l’activité économique (chômage, prix, croissance, ..).

Vouloir renforcer la solidité bancaire en renforçant la surveillance pourrait rajouter davantage de contraintes à la distribution de crédit, et donc sur la croissance économique, notamment en Afrique où les banques contribuent déjà assez faiblement au financement de l’économie et où des mesures sont prises pour favoriser une plus forte implication de ces dernières. Si le crédit aux PME et aux ménages constituent un moteur de croissance, il est aussi une source de création monétaire, contribuant à faire augmenter les prix et à entretenir des bulles notamment sur le marché de l’immobilier et sur les actifs boursiers. L’économie peut alors tomber dans une situation où le financier est complètement déconnecté du réel. Il s’agirait alors d’avoir un encadrement plus strict du cycle du crédit tout en favorisant le développement des systèmes de garanties, notamment en ce qui concerne les crédits destinés aux PME/PMI. Une telle approche permettrait de contrôler les risques inhérents aux PME/PMI, tout en maintenant le financement bancaire de ces entités, principales créatrices d’emplois.

Les systèmes financiers africains subissent des transformations rapides sans pour autant que les acteurs en charge de la supervision bancaire ne dérogent à leur approche en termes de supervision bancaire, bien loin des pratiques internationales. Si l’Afrique entend jouer une plus grande partition dans l'économie mondiale, il est plus que nécessaire qu’elle adapte son cadre de supervision bancaire afin de mieux gérer les risques auxquels ses institutions financières s’exposent et prévenir les risques de faillite, tout en ne pénalisant pas l’activité bancaire et son rôle dans l’économie. Pour ce faire, les pays africains pourraient s’appuyer sur un cadre où l’on accorde une place importante à l’analyse prospective du risque afin de permettre une intervention à temps pour assurer la stabilité et la pérennité du système bancaire.

Foly Ananou

Comité de Bâle, 2006. Principes fondamentaux pour un contrôle bancaire efficace

Gorton, 2008. The Subprime Panic. National Bureau of Economic Research Working Paper n° 14398

Fiecher J. et al, 2010. The Making of Good Supervision: learning to say no. IMF Staff position note n° SPN/10/18


[1] La supervision bancaire est importante dans la mesure où elle permet une évaluation des risques afin de préserver la solvabilité des banques et de garantir la stabilité financière

 

 

 

L’Afrique peut-elle s’endetter davantage ?

185075466Un article précédent portant sur l’intérêt de la dette pour une économie, discutait des conditions pouvant permettre à la dette de contribuer effectivement à asseoir le développement. Alors que l’Afrique affiche depuis une décennie les taux de croissance des plus forts du monde, le Fonds Monétaire International impose des conditions en ce qui concerne l’endettement à la plupart des pays africains, espérant que cela réduise le poids du service de la dette sur les finances publiques tout en consolidant la crédibilité des pays africains auprès de leurs créanciers, dans un contexte où les besoins des pays africains, notamment en infrastructures, sont considérables. Cette situation est d’autant plus dommageable que les appels répétés au secteur privé restent sans réponses.

Beaucoup considère que les pays d’Afrique ne sont pas trop endettés. Quand l’on considère que l’Afrique du Sud, le pays le plus endetté de l’Afrique, avec ces 46 Mds USD de dette à fin 2012 est bien loin de ses alter ego des BRICS, cette affirmation peut se justifier. En effet, la dette des autres membres des BRICS se chiffre en centaine de milliards de dollar : l’Inde, qui a le niveau de dette le plus faible dans ce sous-groupe, en était à 290 Mds USD à fin 2012. Il est dit qu’on ne prête qu’aux riches mais l’Afrique du Sud, pourtant riche en sous-sol et ayant rejoint le cercle fermé des économies les plus puissantes du monde, peine encore à lever sur les marchés financiers internationaux les capitaux nécessaires pour le financement de son processus de développement.

La plupart des pays africains ont bénéficié dans les années 2000 de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (IPPTE), qui a été lancé afin d’éviter que le service de la dette ne soit pas un goulot d’étranglement pour la croissance. On pourra toujours se poser la question sur la pertinence de cette initiative, mais une chose est évidente, c’est que là où les pays d’Asie ont sû utiliser la dette pour asseoir leur émergence au travers de discipline budgétaire tout en suivant les conseils des institutions de Breton Woods ; en Afrique, la corruption, les détournements, la gabegie financière et les troubles socio-politiques ont complètement sapé le rôle que pouvaient avoir cet afflux de capitaux. Cette initiative, qui se matérialise par un effacement de l’ardoise de dettes, constitue un nouveau départ pour les pays africains en ce qui concerne le recours aux marchés financiers. Si des conditions, émanant essentiellement du FMI, persistent en ce qui concerne la dette c’est bien parce que des craintes subsistent quant à la capacité des pays africains à bien gérer les deniers publics mais aussi et surtout d’éviter qu’elle ne devienne une contrainte à la croissance. Rien que dans le cadre de l’initiative PPTE, des suspensions sont intervenus du fait de suspicion de détournements de fonds. C’est dire combien les problèmes de gouvernance ont fait de l’endettement un outil plutôt dangereux pour l’Afrique.

Aujourd’hui, les conditions deviennent plutôt favorables mais pourraient ne pas suffire pour amener l’Afrique à s’endetter davantage. En effet, la dette s’entretient par le remboursement du capital et des intérêts. Cela suppose que l’Etat puisse prélever suffisamment auprès des contribuables afin de tenir ses engagements financiers. Ainsi, emprunter devrait s’effectuer dans des conditions de forte croissance ; ce dont l’Afrique peut se prévaloir depuis la décennie passée. Or en Afrique, cette croissance est fortement tirée par un effort d’investissement public – et donc, non rentable – et l’investissement privé dans les ressources minières. Par ailleurs, l’instrument fiscal est assez faible dans la plupart des pays africains, réduisant ainsi les revenus de l’Etat. Et c’est justement l’anticipation de ces revenus futurs qui déterminent la capacité d’un pays à s’endetter. Cette situation serait donc à l’origine de l’incapacité des pays africains à contracter massivement des prêts : la dette en fin 2012 pour la plupart des pays d’Afrique se situait encore sous la barre des 10 mds USD, seulement quelques pays chiffrent leur dette en plusieurs dizaines de Mds USD.

Somme toute, l’Afrique a un potentiel sur le plan financier, qui est encore inexploité du fait de la faiblesse de son économie, qui pourtant paraît fort (au regard des taux de croissance enregistrés)  du fait du soutien d’investisseurs étrangers. Si la gouvernance s’améliore à la mesure des efforts des pays à assainir l’environnement des affaires, le défi actuel pour le continent, serait de rééquilibrer les comptes afin de disposer des revenus futurs capables de couvrir cette charge tout en améliorant la performance des outils financiers des Etats, notamment la fiscalité.

Mais tout ceci ne serait favorable en réalité que si la richesse se créé sur la base de facteurs internes. Ainsi, tant que les performances économiques de l’Afrique seront en lien avec la richesse de son sous-sol mis en valeur par des capitaux étrangers, elle ne pourra user de la dette pour asseoir son émergence. Rendre la croissance inclusive par le développement d’un secondaire fort capable de répondre à la demande intérieure et le développement d’un système fiscal adossé à un mécanisme de collecte des impôts efficace seraient un préalable pour que la dette  puisse contribuer, sans contraintes, au développement du continent. A défaut, elle obérera toutes perspectives de croissance à termes, en devenant un poids pour les finances publiques, décrédibilisant et rendant ridicules les efforts des pays en matière de finances publiques. En fait, l’Afrique peut s’endetter davantage mais les conditions ne sont pas encore remplies pour qu'elle le fasse.

 Foly Ananou


[1] La croissance n’est de toute façon qu’un chiffre, la réalité derrière étant autres choses.

 

 

La dette handicape-t-elle réellement l’économie ?

185075466Dans des articles récents, Georges suggérait que le développement d’un pays n’est pas qu'une simple question de financements mais nécessite aussi des institutions fortes. C’est donc la conjonction de ces deux facteurs qui pourraient assurer le développement durable d’un pays. Si la force des institutions peut découler d’une simple volonté politique, accompagnée de réformes ; la disponibilité de ressources financières suffisantes n’est pas aussi simple. Pour les pays disposant de ressources naturelles (pétrole, gaz, or, etc.), le problème ne se pose pas réellement ; il est relativement plus considérable au niveau des pays avec des ressources naturelles limitées. Certes un article a indiqué que nonobstant cette dotation, un pays peut enregistrer des taux de croissance considérables ; mais insuffisantes pour assurer le décollage économique.

Dans le contexte africain, la fiscalité semble être un outil limité pour lever des ressources financières, du fait de l’importance de l’informel mais aussi du fait de la faiblesse des institutions sa gestion. Ainsi l’outil le plus utilisé pour le financement des investissements publics en Afrique est l’emprunt : auprès de partenaires bilatérales ou multilatérales ou à travers les émissions de titres. Il fait cependant l'objet de certaines critiques, surtout de la part du FMI en charge de la surveillance des économies. Il faut rappeler que c’est le surendettement qui a occasionné les programmes d’ajustement structurels des années 90, dont les impacts restent encore mitigés. D’ailleurs la crainte de retomber dans cette situation oblige les pays à être prudent quant à son utilisation. Le FMI exige, pour ces pays, le recourt à des prêts concessionnels[1] pour maintenir le cadre de soutenabilité de la dette. Ce critère limite les montants que les pays africains peuvent mobiliser sur les marchés financiers, obérant ainsi la portée des investissements publics. Cette situation amène à s’interroger sur l’impact de la dette[2] sur les performances économiques et sur la capacité des pays africains à s’endetter au delà du cadre actuel imposé par le FMI.

Le financement sous forme d’emprunt est le moyen le plus rapide pour un pays de disposer des capitaux nécessaires pour financer ces plans d’investissement ou couvrir les besoins ponctuels de trésorerie[3]. Ce moyen de financement a suscité des débats macroéconomiques quant à son impact sur la performance économique d’un pays. Certains économistes estiment que l’endettement est nécessaire pour la relance économique, notamment dans les pays en voie de développement. Selon les travaux de Rina et al. (2004), l’endettement n’est favorable à la croissance économique que s’il finance des investissements rentables. L’instrument fiscal, outil financier d’un Etat, est considéré comme un frein à l’activité. En effet, pour financer ses plans d’investissement, l’Etat peut être tenté d’augmenter l’impôt afin de mobiliser les capitaux. Ce faisant, la demande augmente certes mais avec les dépenses publiques, la demande privée se trouve être réduite. Cela suppose par ailleurs que l’économie est capable de répondre à cette nouvelle demande. Alors qu’avec la dette, l’Etat finance l’activité tout en préservant le pouvoir d’achat du privé. Ainsi l’endettement qui peut être considéré comme l’injection de capitaux supplémentaires dans une économie, permet de soutenir la dynamique économique.

Cependant, à un certain niveau, la dette devient nuisible. De fait lorsqu’un pays est en pleine phase de décollage, la dette permet de soutenir cette dynamique car le rendement du capital est assez fort durant cette période et chaque nouvel investissement est rentable ; mais à partir d’un certain seuil, tout nouvel investissement n’est plus rentable. Emprunter dans ces conditions devient néfaste à l’économie. De fait les gains des investissements permettent de rembourser les emprunts. Quand ces gains deviennent limités, l’Etat devra mobiliser des ressources supplémentaires pour assurer le remboursement de ces prêts. Krugman (1988) et Sachs (1989) considèrent donc que la dette ne devrait pas excéder les ressources internes d’un pays, afin d’éviter que le pays ne tombent dans une situation de défaut, qui se traduirait par son incapacité à rembourser les emprunts passés et dissuaderait les investisseurs potentiels.

L’endettement peut aussi provoquer la fuite des capitaux privés. En effet, l’endettement se traduit par une aggravation du déficit budgétaire, du fait que ces emprunts financent essentiellement les dépenses en capital. Quand le tissu industriel est aussi atrophié que celui des pays africains pour absorber cette demande publique, les importations évoluent à la hausse en lien avec les entrées de biens d’équipement et en machines, provoquant ainsi un déficit de la balance courante. Ces déséquilibres font craindre au secteur privé une dévaluation ou la hausse des impôts pour assurer le service de la dette. Celui-ci devient alors réticent à financer des projets, aussi porteurs soient-ils.

La nécessité de disposer de ressources financières suffisantes pour assurer le décollage économique ne peut se passer de mécanismes d’endettement, plus particulièrement dans le contexte économique mondial actuel marqué par des crises et rendant presqu’indisponible les ressources en dons pour les pays en voie de développement, comme ceux de l’Afrique subsaharienne. Cependant, au-delà de toutes les considérations théoriques sur la question, ces mécanismes ne sont profitables que si les revenus futurs peuvent permettre de couvrir les engagements pris. Au regard de la dynamique actuel du continent et des contraintes imposées par le FMI quant au niveau tolérable d’endettement, on pourrait être tenté de penser que l’Afrique est sous endetté. Qu’en est-il réellement, dans un contexte où les investissements réalisés à partir d’emprunts concernent notamment des projets d’infrastructures que des projets rentables ? Un prochain article tentera d’analyser la situation de la dette en Afrique, tout en essayant de déterminer si le continent dispose d’une marge pour prendre de nouveaux engagements financiers. 

Foly Ananou


[1] Prêts incluant au moins 35% de dons.

[2] Il s’agit de la dette publique, qui représente l’ensemble des créances dus par l’administration centrale et les collectivités locales

 

 

[3] Il s’agit notamment des emprunts à moins d’un an. 

 

 

Finance islamique : une opportunité à saisir ?

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Face aux défis du développement et des contraintes liées à la rareté des ressources financières en dons, les pays africains tentent de trouver des alternatives moins coûteuses aux mécanismes de financement traditionnels. Dans cette optique, ils s’ouvrent de plus en plus au profit des ressources financières asiatiques : chinois et arabes essentiellement. Si des travaux sont en cours sur la stratégie chinoise en Afrique, l’opportunité des ressources financières arabes pour le continent est assez mal connue alors qu’elles semblent susciter un grand intérêt auprès des décideurs du continent. C’est dans ce contexte que le Bureau de L’Afrique des Idées  de Dakar a organisé le 29 mars 2014 une conférence, animée par des spécialistes du sujet : Dr Abdou Karim Diaw[1] et M. Rodolph Missihoun[2]. Cet article fait une synthèse des principaux enseignements sur la finance islamique issus de cette conférence et le rôle qu’elle pourrait jouer dans le processus de développement de l’Afrique.

Très peu connue et demeurée assez longtemps l’outil financier des pays musulmans, la finance islamique intéresse de plus en plus le monde. Outre sa banque qui s’implique dans le développement (la BID), elle dispose d’autres instruments comme les sukuks (similaires aux obligations classiques) qui intéressent de nombreux pays. Londres, centre financier de classe mondiale, veut d’ailleurs se positionner comme pionner de l’insertion de cette finance dans le monde occidental en émettant cette année des sukuks à hauteur de 233 MEUR. Elle a d’ailleurs aménagé sa réglementation à ce propos et abrite de nombreuses formations diplômantes spécialisées en finance islamique. En Afrique, le Sénégal s’apprête à tester le marché financier islamique avec une émission de sukuks pour  un montant de FCFA 100 Mds. Il a d’ailleurs déjà bénéficié de l’accord de la Banque Centrale pour son refinancement. Disposant de centaines de millions USD (près de 1 000 Mds USD fin 2012 contre 300 Mds USD en 1990), le marché financier islamique est en pleine expansion (ses actifs pourraient atteindre 4000 Mds USD à horizon 2020) et a donc de quoi susciter l’intérêt de tous, plus particulièrement de l’Afrique, dont les besoins financiers sont énormes.

Sur son fonctionnement

Il faut avant tout rappeler que la finance islamique présente les mêmes caractéristiques que la finance classique. De fait, elle ne se veut pas philanthropique. La finance islamique s’appuie sur les principes de la Charia, qui considèrent illicites la perception de ressources financières sur des placements financiers par le mécanisme des taux d’intérêt. Les principes de la Charia supposent que chaque gain devrait être motivé par l’exercice d’une activité, ce qui n’est pas systématiquement le cas dans la finance classique. Ainsi les prêts dans le cadre de la finance islamique prennent plutôt la forme d’une prise de participation

Les acteurs pilotes de la finance islamique jouent un rôle d’entrepreneur multitâche aux allures de fonds d’investissement. Deux cas se présentent : le financement d’une activité rentable (prêt pour entreprise ou pour l’exécution d’un projet) ou d’un projet à dimension social (prêt aux particuliers ou à des entités publiques). Dans le premier cas, suivant que les acteurs estiment le projet viable, ils y participeront en tant qu’investisseurs et non en tant que banquiers. Dans ce contexte, les fonds investis dans le projet seront rémunérés en fonction des bénéfices générés et du quota dans le capital. L’avantage dans un tel système est que le prêteur « islamique » subira les risques inhérents au projet. Dans le second cas, le prêteur se prémunit des risques liés à l’investissement.

L’objectif est donc de répondre à un besoin financier réel tout en supportant les risques et en accompagnant l’emprunteur dans la réalisation de ses projets. Pour ce faire, le système financier islamique s’appuie sur un groupe bancaire, qui a les mêmes attributs que le groupe de la Banque Mondiale : la Banque Islamique de Développement ; et un ensemble de banques commerciales islamiques.

La mobilisation de fonds sur le marché financier islamique peut se faire auprès de banques commerciales islamiques, auprès de la Banque Islamique de Développement (BID) dont les activités concernent notamment le développement socio-économiques ou à travers l’émission de sukuks. Les sukuks sont des certificats d'investissement qui fonctionnent selon les mêmes critères présentés précédemment. Ils consistent pour le détenteur à participer à l’achat d’un bien qui sera revendu à un prix majoré au client, qui rembourse alors selon un échéancier sur lequel les deux parties se sont entendues. Il percevra ainsi comme rémunération du sukuk la marge en fonction de son niveau de participation.

La Finance Islamique en Afrique

L’exercice de la finance publique est essentiellement du fait de la BID. Sur les 56 membres de cette banque, 22 sont africains dont 17 en Afrique subsaharienne (12 sont Ouest-Africains). Au troisième trimestre 2013, les engagements de la BID dans le monde aurait atteint une centaine de milliards de dollars. En Afrique ces interventions sont plus concentrées au Maghreb. Pour renforcer sa présence en Afrique subsaharienne, la BID avait mis en place en 2008 un programme spécialement dédié à l’Afrique : le Programme Spécial pour le Développement de l’Afrique doté d’un portefeuille de 12 Mds USD (dont 4 de fonds propres de la BID et les 8 autres auprès de ses partenaires) sur la période 2008-2012 sur des thématiques telles que l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’eau et l’assainissement, l’énergie, le transport, les infrastructures, l’éducation, le renforcement des capacités, la santé et le contrôle des maladies transmissibles. Le bilan de ce programme révèle que ce sont au total 13 Mds USD qui ont été engagés à travers ce programme dont 5 provenant des fonds de la Banque, dont 59% pour l’Afrique subsaharienne.

La BID en soi constitue une institution solide, qui peut mobiliser autour d’elle d’autres bailleurs susceptibles de financer des activités de développement en Afrique. Les principales agences de notation du monde lui attribuent un niveau de risque nul. Comme dans le cadre du PSDA, elle a pu permettre aux pays africains de disposer de 8 Mds USD supplémentaires, mobilisés auprès de ces partenaires. Si la BID ne conditionne pas ces interventions par des critères socio-politiques[3], très fréquents dans le cadre africain et qui pourraient constituer une source de risque, sa force réside dans le choix des projets dans lesquels elle intervient mais aussi à ses principes de fonctionnement fortement ancré dans les principes de la charia.

Elle dispose d’autres outils similaires à la Société Financière Internationale (IFC) de la BM[4] (la Société islamique de développement du secteur privé – SIDSP) et son Agence Multilatérale de Garantie des Investissements[5] (la Société Islamique d’Assurances des Investissements et des Crédits à l’exportation – SIAICE) destinés au secteur privé, très peu connus sur le continent.

Quelques banques commerciales islamiques sont présentes sur le continent mais sont plutôt concentrées dans les pays du Maghreb. Leur émergence dans la zone subsaharienne est contrainte par une mauvaise connaissance du marché financier islamique, à une réglementation qui ne favorise pas leur établissement mais aussi aux conditions d’endettement assez particulières des pays africains auxquels le Fmi exige de n'avoir recourt qu'à des ressources financières comprenant au minimum 35% de dons. 

Il est évident que l’Afrique pourrait profiter de l’expansion de la finance islamique. Les principaux acteurs de ce marché alternatif à la finance classique ont, pour leur part, déjà adopté une stratégie devant leur permettre de s’implanter durablement sur le continent, présenté aujourd’hui comme l’un des moteurs de la croissance mondiale. Quelques bureaux régionaux de la BID ont déjà été installés : une pour le Maghreb, l’Afrique de l’ouest et l’Afrique de l’est. La BID œuvre déjà pour l’assouplissement du cadre réglementaire afin de favoriser l’implantation de banques commerciales islamiques.  Elle oriente de plus en plus les Etats vers les sukuks. L’Afrique, de son côté, devrait tenter de s’approprier cet outil qui présentent de nombreux atouts, en s’impliquant un peu plus dans le processus de son installation sur le continent à travers la réglementation et en portant une attention particulière sur les approches utilisées dans la détermination des marges mais aussi en développant ses capacités en termes de négociation, qui jusque-là constituent un goulot d’étranglement dans le processus de développement de l’Afrique. 

Foly Ananou


[1]Ph.D. en finances islamiques.

 

 

[2] Economiste principal au Bureau Régionale de  la Banque Islamique de Développement.

 

 

[3] Elle n’intervient d’ailleurs jamais sur des questions d’ordre juridico-politique

 

 

[4] chargé du développement du secteur privé

 

 

[5] qui garantie les investissements étrangers dans les pays en voie de développement. 

 

 

Accès à l’énergie : Pourquoi le secteur privé est un partenaire sûr pour la valorisation des ressources locales ?

L’accès à l’énergie en quantité et en qualité constitue un frein au développement économique de l’Afrique. Alors que le secteur privé est de plus en plus sollicité pour accompagner les Etas dans leur politique de développement des infrastructures ou des TIC, le secteur énergétique semble moins  profiter de ce partenariat. Cette situation induit des interrogations sur le rôle que pourrait jouer le secteur privé pour le développement du secteur électrique en Afrique subsaharienne en s’appuyant sur les énergies renouvelables. Cet article expose la problématique du secteur en Afrique subsaharienne, tout en identifiant la nécessité de l’intervention du secteur privé, notamment sur la base des ressources énergétiques locales.


energieL’un des défis majeurs aux plans de développement des pays d’Afrique subsaharienne est l’insuffisance d’énergie, input incontournable pour l’expansion industriel. Il devient encore plus pressant, dans la mesure où l’intérêt que suscite l’Afrique subsaharienne aux investisseurs, conjugué à l’évolution des sociétés africaines fait croître considérablement la demande en énergie. Cependant, la production énergétique croît très peu depuis les années 90, limitant ainsi l’exploitation des opportunités économiques existantes et générant des tensions sociales, préjudiciables à l’environnement des affaires. Pourtant, le potentiel énergétique de l’Afrique est énorme, notamment dans les énergies renouvelables. Selon l’Agence Internationale pour l’Energie Renouvelable (IRENA), le potentiel hydroélectrique de l’Afrique se chiffre à 1 844 TWh. L’éolienne et le solaire sont aussi utilisables dans la production d’électricité en Afrique. Greenpeace estime qu’avec le solaire photovoltaïque, il est possible de produire entre 15 et 62 GW d’électricité en Afrique. Le Programme Régional Géothermique de l’Union Africaine complète ce tableau en indiquant que le géothermique est aussi prometteur avec un potentiel estimé entre 7 et 15 GW.

Cette situation amène de plus en plus les gouvernements à envisager des stratégies pour accroître l’offre énergétique, en s’appuyant sur les énergies renouvelables. Des stratégies relayées et soutenues par les principaux bailleurs. Pour ce faire,  on voit émerger de nouveaux bailleurs (asiatiques pour la plupart) et d’autres mécanismes, notamment ceux faisant intervenir le secteur privé. Si ce partenariat entre secteur public et secteur privé semble être plus développé en ce qui concerne les infrastructures de transport, il semble beaucoup moins intéresser les gouvernements en ce qui concerne le développement du secteur électrique. Si des marges existent pour le développement de ce secteur, les fonds pour y parvenir sont limités et apparaissent de plus en plus restrictifs, d’autant plus que l’investissement initial pour la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables est particulièrement lourd. Une solution consisterait à s’appuyer sur les ressources propres en renforçant le système fiscal[1], en ayant recours à l’endettement ou en s’appuyant sur le secteur privé. Les deux premières options paraissent contraignantes dans la mesure où la fiscalité et l’endettement ne pourraient permettre de disposer des fonds nécessaires pour assurer le développement de ce secteur. Le secteur privé, capable de mobiliser des capitaux importants aussi bien auprès d’institutions financières internationales que nationales (notamment les banques), apparaît ainsi comme une solution pour le développement de ce secteur, soit par la privatisation[2], soit par le recours à des producteurs indépendants.

L’action d’entrepreneurs privés dans le secteur électrique n’est pas nouvelle. Elle est juste marginale, au regard des potentialités du secteur. Le retrait des partenaires au développement, qui finançaient les investissements dans les infrastructures, au début des années 90 a contraint la plupart des pays  à s’orienter vers le secteur privé (sous la forme de BOT, BOOT ou BOO)[3], en rang forcé avec les programmes d’ajustement structurel, pour la reprise de certains investissements dans les différents secteurs. Ces dispositions ont moins profité à l’énergie. Selon Proparco, en 2012, sur une capacité totale installée de près de 85 GW, seuls 6% étaient opérés par des producteurs privés dont 1% à partir d’énergies renouvelables (qui constituent à peine 5% de la capacité totale). D’autres projets sur la base d’énergies renouvelables sont en cours (soit 54 GW) et  sont soutenus pour la plupart par le privé : près de 98% des projets dans le solaire (dont 64% en Afrique du sud), 90% de ceux en éoliens. Ces chiffres mettent en exergue le manque de visibilité  du secteur privé, comme solution pour le développement des infrastructures dans le secteur électrique.

La quasi-absence du privé dans le secteur trouve son essence dans la perception qu’ont les autorités quant au secteur, qu’ils considèrent comme stratégique ou de leur réticence à porter certaines réformes jugées pénibles ou leur hantises d’éventuelles pratiques inflationnistes de la privatisation. Par ailleurs, les autorités adoptent une stratégie de gestion du secteur électrique qui n’incite pas les initiatives privées. Le caractère stratégique accordé au secteur électrique la dénue de toute transparence quant à sa gestion. Or, la clarté et la visibilité des règles dans un secteur aussi complexe que celui de l’électricité, sont importantes pour les investisseurs privés. En ce qui concerne les énergies renouvelables, il est considéré qu’elles reviennent plus chères que les énergies fossiles. Cependant, les quelques projets déjà mis en œuvre démontrent qu’elles sont assez compétitives et atteignent, dans certains cas, le coût moyen de production d’électricité. La situation est assez hétéroclite suivant les pays. Pour les pays ayant accès à des ressources fossiles en abondance, l’utilisation d’énergies renouvelables peut être perçue comme coûteuse alors que pour ceux disposant de ressources énergétiques naturelles (potentiel hydroélectrique par exemple), elle constitue une véritable alternative dans la production d’électricité. L’idée n’est pas d’utiliser les énergies renouvelables en tant que principal input dans la production mais de les intégrer dans un mix de production, regroupant  plusieurs ressources. Par ailleurs, il faut remarquer que la comparaison entre coût de production à partir d’énergies fossiles et celle à partir d’énergies renouvelables est biaisée dans la mesure où la première bénéficie de subventions qui obstruent la réalité sur leurs cours réels.

Le développement du secteur électrique africain passerait inéluctablement par les énergies renouvelables portées par des initiatives privées. Toutefois, compte tenu de la complexité et de la lourdeur des investissements à réaliser, il est nécessaire que les autorités se dotent d’un cadre de planification intégrant les énergies renouvelables. Une bonne planification permettra de définir la norme en termes de sécurité énergétique et de réaliser de bonnes prévisions quant à l’évolution de la demande, et de tirer ainsi un meilleur parti des offres pouvant émaner du secteur privé. Ce cadre permettra ainsi de déterminer les limites de la production que peut assurer le secteur public et d’orienter l’offre qui sera assurée par le privé sur la base d’un plan à moindres coûts. Les offres émanant d’entrepreneurs privés peuvent, en cas de manque de planification rigoureuse, induire à une hausse des prix du fait de coût de production élevé ou ne pas aboutir à la signature d’un contrat si ces derniers estiment que les conditions d’exercice ne sont pas satisfaisantes. Il faudra alors préciser toutes les règles, de l’appel d’offre aux conditions de rachat de la production en passant par les facilités qui pourront éventuellement être offertes. Certains pays d’Afrique subsaharienne ont tenté l’expérience, qui s’avère plutôt payante. La plus avancée en matière d’énergies renouvelables, l’Afrique du Sud, s’est dotée d’un programme d’appels d’offre dont la robustesse attire les investisseurs privés. D’autres comme le Kenya ont mis en place un mécanisme de rachat subventionné qui en incitent d’autres comme l’Ouganda, le Ghana, le Botswana, la Tanzanie ou encore le Rwanda. A  ce niveau, il faut préciser que le succès des mécanismes de rachat subventionné sont plus profitables aux pays disposant a priori d’un fort potentiel. Ainsi, développer le secteur électrique en Afrique et promouvoir l’émergence de ce dernier à partir de ressources renouvelables passera par le secteur privé mais nécessite l’adoption d’un cadre de transparence dans ce secteur. On pourrait envisager pour accélérer le processus une période de transition durant laquelle certains marchés sont octroyés de gré en gré, en s’assurant toutefois de la qualité et de la viabilité des projets.

Foly Ananou


[1] Voir l’article de Georges sur le suje

 

[2] Dont les résultats sont mitigés. Consulter l’article de Georges sur le sujet 

 

[3] BOT : Construire – Exploiter –  Transférer. BOOT : Construire – Exploiter – Maintenir – Transférer. BOO : Construire – Maintenir – Exploiter

Sources :

Eberhard et al. (2008). Africa’s Power Infrastructure: Investment, integration Efficiency. The World Bank

Briceño-Garmendia et al. (2008). Financing Public Infrastructure in Sub-Saharan Africa: Patterns, Issues and Options. World Bank

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, n°18. Novembre2013. Les producteurs privés d’électricité : une solution pour l’Afrique ?

IRENA (2012). Prospects for the African Power Sector: Scenarios and strategies for Africa Project. Abu Dhabi

Agence canadienne de développement international (2001). Examen du rendement des services d’infrastructures.

UPDEA (2009). Bonnes Pratiques : les réformes du secteur de l’électricité.

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, n°18. Novembre2013. Les producteurs privés d’électricité : une solution pour l’Afrique ?

 

Les classes moyennes en Afrique : quels impacts sur l’environnement socio-économique?

185298136Le FMI et la Banque Mondiale mettent en avant l’importance des classes moyennes dans la dynamique de croissance de l’Afrique. Comment peut-on définir la classe moyenne, dans un espace où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Quelles sont ses caractéristiques et quel rôle joue-t-elle effectivement dans l’environnement économique du continent ? Cet article analyse le rôle de cette classe moyenne sur l’environnement socio-économique.

De l’avis de la Banque Mondiale, du FMI ou encore de la Banque Africaine de Développement, une révolution socio-économique serait en cours sur le continent, sous l’effet de l’émergence des classes moyennes. Un précédent article présentait les caractéristiques de ces classes moyennes. Selon les projections de la BAD repris dans le rapport 2011 sur les finances et le développement du FMI[1], elles représentent un peu plus du tiers de la population africaine, et devraient représenter plus de 40%  de la population d’ici 2060. Ainsi, elle est sensée contribuer considérablement aux performances économiques futures du continent. Selon la publication récente de la Banque Mondiale sur les perspectives économiques de 2014, la classe moyenne joue un rôle important. Elle formule une demande solvable de biens de consommation et de services publics de bonne qualité. Par ailleurs, on lui prête aussi un rôle crucial dans l’environnement politique.  Si de telles hypothèses permettent de présenter l’Afrique sous de bons hospices, la question relative à un réel changement structurel de l’environnement socio-économique du continent sur la base des performances économiques récentes reste entière.

Si la classe moyenne est considérée comme un moteur de développement c'est en partie parce qu’elle permet la formation d’un marché intérieur, qui deviendra le socle de la croissance. Des signes de la croissance de la demande intérieure en lien avec l’émergence des classes moyennes sur le continent sont déjà perceptibles, notamment dans le secteur des télécommunications et de l’automobile. Selon les données de la Banque Mondiale, 467 millions de personnes en Afrique subsaharienne avaient accès au téléphone portable en 2011 ; 1,8 millions avaient accès à internet en 2011 et près d’une vingtaine de millions disposaient d’une voiture particulière en 2007. Une étude de McKinsey[2] indique que d’ici 2015 le nombre de demandeurs de biens de base devrait augmenter de 221 millions personnes. Proparco renforce cette position du cabinet McKinsey en précisant qu’à l'horizon 2020, au moins 132 millions de ces consommateurs seraient solvables avec une dépense annuelle de 584 Mds USD.  En 2040, ce nombre sera porté à 243 millions sur une population de 1,2 Mds d’habitants, représentant un marché de 1 750 Mds USD. Ainsi d’ici 2040, la classe moyenne, que constituent ces consommateurs solvables, dépensera plus que les 300 millions de chinois connectés à internet et dont les dépenses actuelles atteignent 1 400 Mds USD par an. Cela justifie l’intérêt des multinationales étrangères qui définissent d’ores et déjà des stratégies pour se positionner en Afrique.  Certaines font déjà une bonne partie de leur chiffre d’affaires sur le marché africain. On peut citer dans ce registre Nestlé, Danonce, Bic, Corsair, Air France, Walmart. Les centres commerciaux pointent aussi leur tête. On en retrouve dans toutes les grandes capitales africaines (Dakar, Abidjan, Lagos, Cape Town). Un processus qui s’accompagne du développement du secteur bancaire. Les produits bancaires de plus en plus imaginatifs sont offerts, notamment pour soutenir la consommation.

L’autre aspect qui suscite un intérêt pour l’émergence des classe moyennes est sa supposée implication dans le processus de démocratisation. Il est considéré que ce groupe, porté par son éducation, demande plus de participations aux activités citoyennes et constitue un levier pouvant provoquer le changement. Une position qu’il convient de considérer avec prudence dans le cas africain dans la mesure où la classe moyenne africaine semble plutôt montrer une certaine apathie face au pouvoir politique, et trouverait plutôt son intérêt dans le statu quo. Devant la dévalorisation de l’Etat ou dans les situations conflictuelles, la classe moyenne en Afrique préfère jouer la carte de l’ignorance. De fait, ces classes intermédiaires aspirent à s’émanciper de la société traditionnelle africaine, sur fond de références empruntées au mode de vie occidental. C’est d’ailleurs cette émancipation qui incarne les valeurs d’une société orientée vers la compétitivité, la bonne gouvernance, les droits humains, l’éducation et plus généralement la recherche, et qui pourrait en faire un moteur induisant des changements structurels dans l’environnement socio-économique.

Ce processus apparaît plutôt complexe dans le contexte africain. Selon une étude de Marie A. (1997)[3], les membres de la classe moyenne africaine sont pris en tenaille entre leurs aspirations à la modernité urbaine, l’individualisme, d’une part, et la pression de leur communauté, régie par l’entraide et les obligations, d’autre part. Cette dernière pression est encore plus forte en période de crise d’autant plus que la solidarité est la seule forme de protection sociale et de redistribution des revenus, qui semble efficace dans les sociétés africaines. Pour ceux qui arrivent toutefois à créer une scission d’avec leur communauté, ils doivent se réfugier dans de nouvelles formes de solidarité (églises dites de réveil, les associations, etc.), qui permettent d’entretenir un réseau autour d’actions philanthropiques et de promotion individuelle mais comportent aussi leur part d’obligations. C’est dans l’approfondissement de ce processus d’émancipation que les membres de la classe moyenne pourraient donc procéder à des changements structurels de comportements et dans le développement. Ils pourraient, par exemple, refuser d’accueillir les migrants du village ou d’impliquer la famille dans l’entreprise. L’objectif serait de se déconnecter de ce système oppressant qui empêche l’individu de se constituer un patrimoine éducatif, financier ou culturel, nécessaire pour impulser un changement dans l’environnement socio-économique.

Il serait difficile de se prononcer en faveur d’un rôle décisif de la classe moyenne africaine telle que décrit dans un précédent article. Une chose évidente est qu’un cercle économique se met en place sur le continent : une société consumériste se forme, l’immobilier prend du poil de la bête et la bancarisation suit. Cela ne suffit pas cependant pour impulser des changements dans la mesure où cette classe d’individus cherche à se conforter et s’orienter vers les valeurs qui pourraient garantir pleinement son rôle en tant que facteur structurant. La classe moyenne africaine n’est à ce stade composée que d’individus qui cherchent à s’éloigner de la situation de précarité mais chargés d’aspirations, et est donc par voie de conséquence, porteuse de revendications.  Elle pourrait donc jouer un rôle décisif dans le processus de développement, à termes. Ceci passera tout d’abord par l’émancipation vis-à-vis de l’ordre traditionnel  puis s’attachera à la construction d’un Etat capable de compenser la perte de sécurité issue de la disparition des formes traditionnelles de protection sociale.

Foly Ananou

Sources :

Pierre Jacquemot (2012). Afrique contemporaine : les classes moyenne en Afrique.

Estearly W. (2001). The middle class consensus and economic development. Journal of Economic Growth VI.

The World Bank economic prospects for Africa in 2014: Why are we still far from perfect?

forecastIn its annual report on global economic prospects for Africa, the World Bank projects that Sub-Saharan African countries shall have the best economic performance in 2014, more specifically in the short run. Growth is expected to rise up to 5.3% in 2014 and reach 5.5% in 2016. Excluding South Africa, Sub-Saharan Africa's economy will grow on average more than 6% from 2014 to 2016. The reasons behind this growth are self-justified. Africa has one of the best preserved natural resources in the world, which attracts both public and private investors. According to economic theories, the continent's current performance brings about substantial structural change and institutional reforms which make Africa a very attractive place with a stronger economy. World Bank economists consider that Sub-Saharan Africa should make the most of the reinforcement of the domestic demand and export growth. Here is a review of the results of the 2014 Global Economic Prospects.

The World Bank economists believe that the good performance of Sub-Saharan Africa is due to an increasing demand from the population and the Government. As a matter of fact, the economic improvement of developed countries should translate into a higher transfer of migrants. Households will consume more and more goods as the funds are allocated to consumption. The demand will have to be met by an increase in either domestic production or imports, or both.

Given that the industrial structure is not very well developed, this new demand is most probably going to be far more profitable to business partners than to the local industrial sector. Moreover, although the report does not clearly mention this implication, it stresses that the increase in demand should be supported by the stability of food prices and exchange rate. This underpins the role of import in meeting the demand-driven growth that will be generated in Africa.

Many governments are committed to achieving some of the millennium development goals by 2015, which should lead to an increase in expenditures related to infrastructure.. Nevertheless, these expenses funded by loans (due to low performing tax systems) are carried out by foreign industrialists. Local entrepreneurs are very marginally involved.

The industrial sector should benefit from the improving economic situation in industrialized countries. As a matter of fact, direct investments should rise up to 47.8 billion USD by 2016. However, this information does not tell us the extent to which these investments would contribute to the diversification and industrialization of the African economy. Actually, they mostly contribute to expanding the mining sector as well as other related sectors such as transportation and financial services and to a lesser extent, tourism. As a result, there is an increase in exports (of natural resources in a context of increasing selling prices) compared to imports which are made of construction materials for infrastructures and food items.

Yet, the report specifies that the expected rise of exports could be limited by the declining prices of gold and oil internationally. It goes on to recommend the diversification of oil-exporting economies such as Angola and Gabon.

The growth expectations for 2014-2016 depend on the vagaries of nature such floods, droughts and climate related factors. Other factors such as security issues (maritime piracy in the Gulf of Guinea), terrorism in the Sahel region and political and social upheavals are one of the main challenges of the economic activity.

After all, if the World Bank casts a favorable light on Africa over the period 2014-2016, it does not emphasizes the role of Africa’s international economic partners in the growth performance. Actually, the growth performance in Africa does not accord well with some fundamental economic indicators. Typically, employment rates are stagnant, business opportunities benefit to a minority of the population, the industry is still nascent and the economies are not diversified. The performances of African economies are mostly driven by its international economic partners. 

However, it would be unfair and very pessimistic not to acknowledge the potential structural change that the new growth momentum shall bring to the African economies in the long run. The development of the mining sector encourages countries to invest in infrastructures (roads, railways, ports) and to initiate reforms for the improvement of business environment. The private sector could empower the growth process but governments still have to create favorable conditions to allow private firms to fully play the role of levers.

Africa is undeniably one of the most economically dynamic regions of the World. Unfortunately, this dynamism is not yet driven by massive increase in formal employment, a reduction in poverty and inequalities. Should this situation remain unchanged, the positive economic performance of the continent will not improve the living conditions of the population.

Translated by Bushra Kadir

Les classes moyennes en Afrique : Qui en fait partie ?

185298136Le FMI et la Banque Mondiale mettent en avant l’importance des classes moyennes dans la dynamique de croissance de l’Afrique. Comment peut-on définir la classe moyenne, dans un espace où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Quelles sont ses caractéristiques et quel rôle joue-t-elle effectivement dans l’environnement économique du continent ? Cet article tente de caractériser la classe moyenne.

Dès le début du 21ème siècle, l’Afrique a amorcé une dynamique caractérisée par un désendettement significatif[1], une réduction des déficits budgétaires, accompagnés d’une croissance moyenne de plus de 5% du PIB. Cette dynamique est considérée comme une porte de sortie de la pauvreté pour l’Afrique et une porte d’entrée vers le développement. Les principales institutions financières, pilotes de l’aide au développement, assurent que cette dynamique a engendré l’évolution de la société africaine, de sorte qu’elle puisse soutenir de façon pérenne les performances macroéconomiques du continent. Un précédent article présentait cette vision en décrivant le processus vertueux qui permettrait de maintenir les résultats actuels du continent. Il s’appuie notamment sur l’émergence de classes moyennes en lien avec l’évolution démographique, l’ouverture des marchés africains, les processus d’intégration en cours sur le continent, l’impact des médias[2], le rôle de la diaspora et la consolidation de nouveaux partenariats (l’Asie notamment). Il s’avère donc opportun de déterminer les caractéristiques de ces classes moyennes.

Avant toute chose, il faut préciser que le concept de classe moyenne est indécis et incertain dans les sciences sociales. Selon Chauvel, il n’est que l’un de ces concepts sans origine connue ni définition mais dont la popularité vient du fait que leur imprécision permet de dire tout et son contraire. La définition la plus connue et la plus commune repose sur deux critères : celui du revenu et de la profession. En Afrique, son utilisation est assez récente et il serait difficile d’en fournir une définition précise. L’un des travaux les plus élaborés sur le sujet est le rapport de la Banque Africaine de Développement. Elle identifie 3 catégories de classes moyennes :

– une catégorie dite flottante car regroupant les personnes à peine sortie de la précarité. Il s’agit de personnes dont le revenu journalier est compris entre 2 et 4 USD (en parité du pouvoir d’achat 2005). Ce ne sont là que des personnes qui se situent juste au dessus du seuil de pauvreté et qui pourraient donc replonger dans une situation de pauvreté à la survenue d’un évènement critique comme une perte d’emploi, une forte inflation, une augmentation non anticipée des cours internationaux de produits alimentaires importées ou encore une catastrophe naturelle. Cette classe constituait en 2010 près de 20% de la population (contre 10% en 1980) et représente plus de 50% de la classe moyenne dans sa globalité (selon les critères de la BAD) ;

– un groupe intermédiaire  qui regroupe toutes les personnes qui ne courent plus le risque de retomber dans une situation de pauvreté et dont le revenu journalier est situé dans une fourchette de 4 à 10 USD (PPA 2005). Il s’agit de personnes pouvant prétendre à élargir leur panier de biens au delà des biens alimentaires de base ;

– puis le groupe supérieur (gracieusement nommé Africa First) auquel appartient toutes les personnes ayant un revenu journalier supérieur compris entre 10 USD et 20 USD (PPA 2005). Il s’agit principalement des investisseurs locaux ou des entrepreneurs, des hommes d’affaires qui prennent activement part au fonctionnement de l’économie et qui ont tout intérêt à la préservation d’un environnement stable aussi bien sur le plan politique, sécuritaire que sur les principaux indicateurs de performance économique. Ce groupe ne représente toute fois que 4% de la population totale en 2010.

Pour les individus dont le revenu journalier est au- delà de 20 USD (PPA 2005), la BAD les classe dans une classe des riches. Elle regroupe les quelques millions de nouveaux riches africains, à qui profite le développement du secteur minier et extractive, des télécommunications ou de l’agroalimentaire et dont quelques uns se retrouvent au classement Forbes des milliardaires : les diamantaires d’Afrique du sud, les barons du pétrole nigérians ou encore les « haut d’en haut » congolais, pour ne citer que ceux là.

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Source : BAD (2011). The Middle of the Pyramid : dynamics of the Middle Class in Africa.

Cette structuration manque toutefois de révéler la persistance des inégalités. D’après les données de la BAD (graphique ci-dessus) les trois catégories (intermédiaire, supérieure et possédante) qui ne représentent que 19% de la population se partagent près de 40% des revenus alors que la classe flottante et les pauvres qui comptent pour 81% de la population disposent de 60% des revenus. Selon the African Progress Panel (2012), 24 sur les 53 pays africains sont plus inégalitaires que la Chine : l’indice de Gini[3] au Mozambique, au Kenya ou en Zambie se situe dans une fourchette de 0,45 à 0,55. En Afrique du Sud, au Botswana ou au Lesotho, cet indicateur affiche des résultats supérieurs à 0,6.

A ces groupes, s’ajoute la diaspora. Selon les travaux de Boateng sur le Ghana, la diaspora peut être considéré comme appartenant à la classe moyenne. En effet, les membres de la diaspora qu’ils soient employés avec des revenus stables ou appartenant à la classe flottante dans leur pays d’accueil, occupent dans leur pays d’origine un statut assez proche de la classe moyenne dans la mesure où leurs modes de consommation et autres aspirations influencent significativement les populations sur place.

Les déterminants de cette dynamique sociale sont toutefois assez hétéroclites suivant les pays[4]. Si au Nigéria, elle a été portée par l’activité pétrolière ; au Ghana ou au Cap Vert la classe moyenne s’appuie sur les transferts des migrants. Au Cameroun ou au Niger, l’entrée dans la classe moyenne est définie par la capacité à entreprendre alors qu’au Gabon, elle est assurée par l’accession à un emploi. En Afrique du sud, elle a été propulsée par les mesures postapartheid du Black Economic Empowerment.

Il est évident qu’entre extrême richesse et pauvreté, il existe sur le continent un groupe intermédiaire qui tend à prendre forme de plus en plus, indiquant que les performances économiques créent des opportunités permettant de faire sortir durablement une partie de la population de la pauvreté. Cet impact reste cependant très faible ; quand l’on considère que seulement 14% de la population africaine, en 2010, pouvait être considéré comme non vulnérable à  la pauvreté. Ainsi la place importante qu’occupe ladite classe moyenne dans les perspectives économiques du continent sont à relativiser. Elle ne serait pas suffisamment importante et représente moins du quart du revenu du continent, pour impacter significativement l’activité économique du continent. C’est cette hypothèse que le prochain article tentera de traiter. Il s’agira de vérifier si la classe moyenne africaine porterait les fruits socio-économiques (consommation, environnement politique, etc.) qu’on lui prêterait.

Foly Ananou

Sources :

African Progress Panel (2012). Jobs, Justice and Equity : seizing opportunities in times and global change. African Progress Report 2012

BAD (2011). The Middle of the Pyramid : dynamics of the Middle Class in Africa.


[1] Dans le cadre des PPTE

 

 

[2] Consulter l’article de Georges sur l’impact des médias sur le développement

 

 

[3] L’indice de Gini mesure les inégalités dans la distribution des revenus. Il varie entre 0 et 1 de sorte que le 0 indique une égalité dans la distribution alors que le 1 exprime l’inégalité parfaite.

 

 

[4] BAD (2011). The Middle of the Pyramid : dynamics of the Middle Class in Africa.

 

 

Les classes moyennes en Afrique : un moteur de développement ?

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Le FMI et la Banque Mondiale mettent en avant l’importance des classes moyennes dans la dynamique de croissance de l’Afrique. Qu’est la classe moyenne, dans un espace où l’on considère que plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Que représente-t-elle ? Quelles sont ses caractéristiques et quel rôle joue-t-elle effectivement dans l’environnement économique du continent ? Cet article introduit une série d’articles concernant la classe moyenne en Afrique.

Le concept de classe moyenne en Afrique n’est pas récent, mais son importance comme moteur de développement est de notre millénaire. Déjà à l’époque coloniale, le concept existait avec ce qui était dénommé « auxiliaires indigènes du colonisateur ». Aujourd’hui, il occupe une place importante dans le discours des partenaires financiers au développement.

Fruit de l’afro-optimisme contemporain, le concept prend racine dans une théorie économique qui stipule que la croissance économique entraînerait une augmentation des revenus et donc de la consommation, puis des investissements productifs qui, eux-mêmes seraient favorables à la croissance économique. Un tel mécanisme suppose donc qu’une partie de la population profite suffisamment de la croissance économique, en ayant accès à un niveau de revenu lui permettant de sortir de sa situation de pauvreté. Cette évolution de la structure sociale sera suivie par une modification des habitudes de consommation. La consommation ne se limitera plus à la couverture des besoins de base ; elle s’étendra au-delà de la nécessité de survie et aux loisirs, permettant de renforcer l’activité économique en incitant à l’industrialisation et à une diversification du tissu économique.

Ces changements de comportements pourraient aussi affecter la sphère politique. Les classes moyennes auraient accès à termes à l’information, à l’éducation et pourraient ainsi se construire une expérience suffisante sur la base des pratiques observées dans d’autres pays. Tout ceci, leur donnant les moyens de participer activement au débat politique, et par voie de conséquence, de contribuer effectivement au processus de démocratisation. L’accumulation de connaissances et d’expériences importées d’ailleurs devrait, par ailleurs, se traduire par l’émergence de l’individualisme – signe de l’émancipation des individus par rapport aux pratiques traditionnelles et aux principes de la solidarité. En fait, il ne s’agit là que d’une caricature de ce qui est considéré comme classe moyenne dans les pays développées et dans une moindre mesure de la vision qu’ont les principaux partenaires financiers au développement de l’Afrique et qui justifie l’intérêt qu’ils portent à l’émergence de classes moyennes en Afrique.

En dépit de cette présentation reluisante du rôle de la classe moyenne, il est néanmoins nécessaire d’être prudent quant à son importance en Afrique. Au-delà du fait que l’appartenance aux classes moyennes reposent sur des considérations monétaires et relatives au coût de la vie, l’Afrique présente des particularités qui rendent presque impossible la projection de l’image des classes moyennes dans les pays développés sur le continent. [1] 

En effet, le secteur informel occupe une place importante dans l’économie des pays africains, de sorte qu’il est difficile de déterminer de façon strictement objective une frontière entre personnes pauvres et personnes appartenant à la classe moyenne. La réduction lente de la pauvreté en pplus de l'importance du secteur informel constituent un frein à l'émergence d'une véritable classe moyenne en Afrique. Si des stratégies de développement existent dans tous les pays du continent, notamment dans le cadre des OMD, leur mise en œuvre et les résultats qu’elles fournissent ne sont pas très convaincants. Par ailleurs, le processus de démocratisation en Afrique n’est réduit qu’à la tenue régulière d’élections sans un réel changement dans les régimes ni dans le dialogue politique.

Si une chose est certaine, c’est que la dynamique économique du continent a induit l’émergence de nouveaux groupes sociaux qui modifient son paysage social. Analyser la dynamique de ces groupes permettra certainement de mieux encourager l'émergence de la classe moyenne africaine et d’en faire un levier de développement pour le continent. Les prochains articles portant sur ce thème abonderont dans ce sens. Ils feront l’état des lieux au regard des critères « socio-économiques » caractéristiques des classes moyennes (revenu/consommation et comportements) et analyseront leurs impacts sur l’activité économique et l’environnement politique des pays africains.

Foly Ananou


[1] Selon la BAD, appartient à la classe moyenne en Afrique toute personne dont les dépenses sont comprises entre 2 USD et 20 USD PPA par jour alors qu’en France, sera considéré comme individu de la classe moyenne une personne dont le revenu mensuel (hors impôts et prestations sociales) se situent entre 1 163 et 2 127EUR. 

 

 

Les perspectives économiques de 2014 selon la Banque Mondiale

une_croissance_inclusive_folyA l’occasion de sa publication annuelle, qui fait état des perspectives économiques mondiales, la Banque Mondiale – comme son homonyme financier (du FMI) – estime que l’Afrique subsaharienne aura les meilleures performances économiques du monde en 2014 et plus généralement sur le court terme. La croissance devrait se situer à 5.3% en 2014 et atteindre 5.5% en 2016. Hors Afrique du sud, l’Afrique subsaharienne devrait afficher en moyenne plus de 6% de croissance entre 2014 et 2016. Ces performances s’auto-justifient. L’Afrique constitue l’une des réserves mondiales de ressources naturelles les mieux gardées, qui attirent les investisseurs (publics et privés). Elles font appel à toutes les théories économiques qui laissent penser que les performances actuelles du continent s’accompagnent de changements structurels profonds, de réformes institutionnelles, qui rendent l’Afrique plus attrayante et, par voie de conséquence, renforcent les performances économiques du continent. C’est dans un tel contexte que les économistes de la Banque Mondiale considèrent que l’Afrique subsaharienne devrait profiter d’une consolidation de la demande domestique et de la croissance des exportations. Cet article se propose de faire une synthèse des résultats du Global Economic Prospects 2014. 

Il faut rappeler avant toutes choses que les chiffres qu’avance la Banque Mondiale justifient leurs actions en Afrique. Ces prévisions sont nécessaires pour permettre à la Banque de construire ses stratégies de coopération avec les pays africains, tout en fournissant aux investisseurs des arguments économiques pour éclairer leurs intérêts pour l’Afrique.

Les économistes de la Banque estiment que les bonnes performances des pays de l’Afrique subsaharienne seraient à la faveur d’une augmentation de la demande formulée par les populations et les gouvernements. En effet, l’embelli de la situation économique dans les pays développés devrait favoriser un plus important flux de transferts des migrants. Ces fonds étant affectés à la consommation, les ménages devraient donc formuler une demande plus importante de biens de consommations. Cette nouvelle demande serait satisfaite soit pas une augmentation de la production ou par des importations. Quand on sait que le tissu industriel n’est pas très bien étoffé, tout laisse à penser que cette nouvelle demande profiterait plus aux partenaires commerciaux plutôt qu’à l’industrie locale. D’ailleurs si le document rendu public par la Banque ne le précise pas, ses économistes estiment que la stabilité des prix des denrées alimentaires et des taux de change devrait soutenir cette demande, indiquant implicitement le recours aux importations pour satisfaire la demande en biens de consommation.

L’engagement actuel des gouvernements dans la mise en œuvre de leurs plans de développement, notamment à l’horizon 2015, devrait amener ces derniers à accélérer les dépenses dans les domaines sociaux mais aussi en investissement pour consolider l’environnement des affaires et  offrir à l’Afrique les arguments nécessaires pour inciter l’investissement productif étranger. Cependant, ces dépenses financées par emprunts (du fait d’une fiscalité pas très performante) sont exécutées par des industriels étrangers. L’implication d’entrepreneurs locaux n’est que marginale.

L’amélioration de la situation économique dans les pays industrialisés devrait profiter aussi au secteur productif, dans la mesure où les investissements directs se consolideraient à 47,8 Mds USD d’ici 2016. Cette donnée manque toutefois de révéler le fait que ces investissements ne participent pas à un effort de diversification et d’industrialisation du tissu économique africain. En effet, ces investissements contribuent plus généralement à l’expansion du secteur minier et à d’autres secteurs connexes comme celui des transports et des services financiers, et dans une moindre mesure au tourisme. Il s’en suit une progression bien plus importante des exportations (concentrées sur les ressources naturelles dans un contexte de hausse de leur prix) par rapport aux importations, constituées principalement de matériaux (pour la construction d’infrastructures) et des denrées alimentaires (dont les prix devraient restés stables).

Toutefois, le document précise paradoxalement que les exportations projetées à la hausse peuvent être limitées par un déclin des prix internationaux de l’or ou du pétrole. Il en appelle à des réformes pour une diversification des économies exportatrices de pétrole comme l’Angola ou le Gabon. La dépendance des économies de la région aux caprices de la nature est aussi évoquée pour tempérer les prévisions de croissance pour 2014-2016. Les problèmes sécuritaires, en lien avec les attaques de pirates dans le golfe de guinée, la situation dans le Sahel et les remous socio-politiques ne sont pas à négliger et constituent d’ailleurs l’un de principaux défis à l’activité économique, ou devrait-on dire à l’image d’eldorado économique de l’Afrique.

Somme toute, si les chiffres de la Banque Mondiale présentent l’Afrique sous de bons hospices en 2014 et sur le court-terme, ils manquent de préciser que ces performances ne sont pas liées à un effort propre aux pays africains. Sans remettre en cause cet exercice de comptabilité de la performance économique, il convient toutefois de signaler que ces performances sont totalement déconnectées de la réalité économique de l’Afrique. L’emploi stagne, les opportunités d’affaires quand elles se créent sont saisies par une minorité, le tissu industriel est presque inexistant et les économies sont très peu diversifiées. Le débat sur l’inclusivité de la croissance ne se pose plus. La performance des économies africaines se fait et s’entretient par ses partenaires.

Il serait toutefois pessimiste de penser que cette dynamique ne profite aucunement au continent ou qu’elle n’induit pas des transformations structurelles sur le plan économique. L’expansion minière pousse les pays à se doter d’infrastructures (routières, ferroviaires, portuaires, etc.), à entreprendre des réformes pour améliorer l’environnement des affaires. Si l’objectif de toutes ces manœuvres est de créer un cadre propice à l’investissement, ils n’incitent pas encore à une transformation structurelle suffisante permettant aux pays africains d’être le moteur de cette dynamique. Il est donc assez intuitif que la croissance en Afrique ne profite pas encore aux populations. Les Etats africains ont montré leur limite à porter le développement du continent. Les entreprises pourraient prendre le relais mais encore faudrait-il que les gouvernements créent les conditions favorables pour leur permettre de jouer ce rôle de levier. La richesse se crée mais seulement une partie, correspondant à la fiscalité (en manque de faire ses preuves)[1] et aux redevances, revient aux gouvernements limitant ainsi leurs actions en faveur du développement. L’Afrique est indéniablement l’une des zones les plus dynamique du Monde ; mais malheureusement portée par l’extérieure. Ainsi le débat sur l’inclusivité de la croissance en Afrique devrait en sus porter celui sur la nécessité d’intérioriser le mécanisme de création de richesse. A défaut, le continent aura beau afficher de bonnes performances économiques sans pour autant permettre une véritable amélioration des conditions de vie des populations.

Foly Ananou


[1] un article de Georges d’ailleurs appelle à en faire le bras financier des Etats