En finir avec les images dégradantes des Africains dans les médias !

dignity and respectL'Afrique a longtemps été victime des discours injustes sur son histoire et son développement. Aujourd'hui, ces discours ont légèrement changé de contenu notamment sur le plan économique. Cependant le continent est encore victime d'une image dégradante sur ses populations à travers les photos et vidéos qui y sont prises et diffusées massivement. L'image, ici fait référence à la représentation sociale qui est faite des populations africaines par les Africains eux-mêmes et par les autres. Quoique cette image ne soit qu'un reflet de notre perception, elle résulte d'images physiques, photos et vidéos, présentées par les médias et autres médiums de communications. En dépit du nouveau discours dont fait l'objet l'Afrique, la prise et la diffusion de ces images dégradantes prend de l'ampleur avec un caractère discriminatoire mais sous une responsabilité partagée.

 

Un phénomène de grande ampleur en progression

L'image de l'Afrique et de l'Africain fait souvent l'objet d'un traitement dégradant dans les médias. L'un des cas les plus emblématiques est celui de cette photo prise en 1994 par le photographe Sud-Africain Kevin Carter lors de la famine soudanaise.1 Cette image fige dans le temps un enfant soudanais, affaibli par la faim et la malnutrition, rampant vers le camp des Nations Unies devant un charognard attendant sa mort. Paradoxalement, cette photo a reçu le prix Pulitzer de 1994. De même, les prix Pulitzer de la photographie décernés en 1998 et 2004 représentent tous des enfants en prise avec les conséquences des conflits armés en Afrique.

Ces cas emblématiques masquent en réalité la multitude d'images photographiques et vidéos dégradantes sur l'Afrique, projetés tous les jours sur les panneaux publicitaires, les chaînes de télévision, les réseaux sociaux et les sites web. C'est le cas en particulier des images des violences en Centrafrique qui ont fait le tour du Monde. On y voyait alors des jeunes armés de machettes découper leurs concitoyens en raison de leur religions. L'Afrique des Idées avait d'ailleurs initié une pétition contre l'utilisation d'images dégradantes des victimes du conflit centrafricain. Les corps jonchant le sol après les attaques de Boko Haram dans le Nord Est du Nigeria sont exhibés dans les médias sans prendre la peine de flouter les visages. Le même traitement est fait des images issues des attaques des Shebabs à Nairobi et plus récemment à l'Université de Garissa. Jusqu'à une date récente, les victimes de la fièvre Ebola sont montrés dans leur agonie à la télé, comme si cela permettrait de les soigner ou d'éviter que d'autres ne soient contaminés. La liste est loin d'être exhaustive…

Un phénomène exclusivement africain ?

Certes, ces images de violence reflètent parfaitement la réalité des maux auxquels sont confrontés certains États africains. Cependant, elles véhiculent une image dégradante du continent et contribuent à saper la dignité de ses habitants. Or, les mêmes maux qu'elles mettent en évidence se retrouvent un peu partout dans le monde. Et pourtant, lorsqu'on examine le traitement fait des images de violence des autres continents ont s'aperçoit très vite du caractère discriminatoire de cette pratique. Les encadrés ci-dessous présentent le résultat d'une recherche effectuée sur Google Image avec le mot clé "violence continent" en remplaçant successivement continent par "Afrique", "Europe", "Amérique" et "Asie". Le résultat montre clairement le traitement discriminatoire que subit l'Afrique par rapport aux autres continents.

Les premières images qui ressortent lorsqu'on tape le mot clé "violence Afrique" sur Google Image montrent des victimes poignardées ou brûlées et des bourreaux armés de machettes ou de kalachnikovs. On y aperçoit même des enfants mutilés, des femmes en détresse, en somme des images épouvantables. Le résultat est encore plus choquant lorsqu'on fait une recherche vidéos: âme sensible s'abstenir. Cependant, sur les autres continents la recherche d'images de violence renvoie à des tableaux et graphiques statistiques, des caricatures ou des images de manifestations. Cela veut-il dire pour autant qu'il n'y a pas de violence sur les autres continents ? L'Afrique en a-t-elle le monopole ?

Résultat de la recherche d'image sur Google à partir du mot clé "violence continent" ce dimanche 5 avril 2015 à 13h à Paris.

Des responsabilités partagées

Le but de cette plaidoirie n'est pas d'identifier un accusé car malheureusement la responsabilité de cette situation est partagée entre les Africains eux-mêmes et les médias et ONG internationaux. En effet, ces images dégradantes sont également reprises par la plupart des médias africains. Dans le cas de Ebola par exemple, il est rare de trouver une chaîne africaine qui n'ait pas montré les images des ces dames pourchassées dans les rues du Libéria, de la Sierra Leone et de la Guinée par des êtres non identifiables vêtus de blanc. Les malades en agonie dans les camps sont présentés, interviewés sans aucune retenue. Il s'agit au fond d'une pratique généralisée du journalisme dans plusieurs pays africains qui ignore la dignité humaine dans des situations de détresse, car ce ne sont pas que des images de violence qui sont montrées mais généralement des images qui sapent la dignité de la personne humaine.

Dans ces conditions, comment peut-on interpeller les médias internationaux sur leur traitement des images des africains ? Qu'est ce qui empêcherait ces médias d'appliquer aux images des victimes africaines les mêmes règles en vigueur dans leur pays. Autrement, qu'est ce qui justifierait que l'on montre à la télé les vieilles villageoises souffrant d'Ebola alors qu'en même temps personne n'a jamais vu le visage d'un Européen victime d'Ebola. Et pourtant, il en existe. La recherche du sensationnel justifierait-elle ce traitement discriminatoire ?

Il existe pourtant des moyens simples d'inverser cette tendance en commençant par les Africains eux-mêmes. Dans la plupart des pays du continent, il existe des autorités indépendantes chargées de réguler la diffusion de l'information, de même que des observatoires de la déontologie des médias.

Ces institutions ont un rôle clé à jouer dans l'inversion de la tendance à la diffusion des images dégradantes sur l'Afrique. Il suffit pour cela qu'elles les interdisent, comme dans les pays Européens. Parallèlement, des actions concrètes de pétition à l'endroit des grands médias internationaux devraient les amener à signer une charte de traitement des images en provenance des zones de conflits et d'intervention humanitaire. Cette charte devrait être complétée par un mécanisme de classement des médias selon le traitement qu'ils font de l'image des africains.

D'aucuns peuvent objecter qu'il s'agit d'un épiphénomène par rapport à l'immensité des défis qui incombent aux pays africains. Certes, la satisfaction de besoins dits de base amène souvent à occulter la prééminence des dimensions psychologiques dans le processus de développement humain. Pourtant, que vaut bien un être conscient qui n'a aucune dignité ou en qui on ne place aucune confiance ? Que peut-il bien créer ou inventer ? Par ailleurs, ce traitement dégradant de l'image des Africains n'est à la gloire de personne puisqu'en définitive c'est bien l'image de l'Homme qui est dégradée indépendamment de la couleur de la peau, de la religion et du sexe.

Georges Vivien Houngbonon


 

1 Le photographe s'est suicidé trois mois plus tard après avoir pris cette image.

Is Public-Private Partnership adapted to the needs of developping countries?

It is very important for African countries to fill in the technological gap with the rest of the world. Hence, development financing has become a major challenge in the continent’s quest for growth. This was indeed the theme of the conference on Africa’s development . The challenge has become even more apparent since the World Bank published a report on infrastructure entitled “Africa's Infrastructure: A Time for Transformation”.  In response to this lack of financing, many African countries have adopted projects involving public-private partnerships (PPPs) [1]. This infatuation with PPPs is justifiable according to the World Bank’s estimations on the infrastructure-financing deficit in Africa [2]. However, in consideration of the origins of this type of financing, it is proven that the specific contexts of certain African countries do not necessarily allow the effective implementation of PPPs.

In order to finance their infrastructure, countries traditionally issue treasury bonds, bilateral loans (between countries) or multilateral loans (from development banks) [3]. Until the beginning of the 2000s, these sources were used to finance public infrastructure projects, which were usually built and managed by governments. In this process, the State calls upon private companies for the construction of these infrastructures and bears all costs. For instance, in the case of a road construction project, the State would usually launch a tender offer to select a construction firm. Then, the Ministry of Infrastructures would take care of the maintenance and the use of the road [4].

However, this so called “Public Partnership” procedure raises two issues. On one hand, it does not encourage the construction company to produce a quality infrastructure, despite the control of a project manager. Therefore, the viability of these infrastructures is often lower than expected, which results in higher costs for the State. On the other hand, the fact that public services are non-profit entities does not either encourage the State to maintain or improve the quality of the service provided.

Public concessions have been envisaged as a solution to this issue. In this case, the State finances and constructs the infrastructure and then delegates its management to a private company. This is the case today in many areas that require public infrastructures financing such as ports, weighting stations and tolls, and the exports of certain agricultural commodities. However, these concessions do raise certain issues, especially with the transfer of risks created by demands or the costs for the State to the private operator [5].

 

Sans-titre

PPPs have been developed in order to share these risks. This risk- sharing strategy is essentially a warranty clause, which provides compensation from the government to private operators when the cash flow projections are affected by unpredictable business risks. Those risks could be related to a lower demand, or unexpected higher productions costs [6]. The factors could essentially discourage foreign investors to finance these projects as they have a very limited knowledge of the economic climate in these countries.

At the same time, the State is not completely aware of the risks associated with investments in infrastructure projects either. Typically, passenger traffics of an airport or a railway are difficult to predict, especially in a context where the market is poorly developed, and technological advancements may provide short-term alternative choices to consumers. The risk is even higher when contracts are signed within international regulatory frameworks beyond the control of governments and in environment where corruption and bad governance could skew the awarding and the execution of the contracts.

PPPs were initially used in countries like France and Great Britain, which have a fairly developed market, and a robust regulatory framework. Both of these factors minimize the occurrence of risks that could impede on the profitability of these PPPs. Moreover, another very important factor is the bargaining power between the parties concerned in the execution of PPP contracts. In the countries called into partnerships, the bargaining power is more balanced than it would be in developing countries, where the returns for the companies involved in the PPP contracts often exceed half of their GDP.

One solution to these problems would be to set up technical regional agencies in charge of reviewing and signing these contracts. This approach has the merit of relying on a wider network of markets, which gives it a bargaining power. In addition to that, it would attract expertise in the analysis and negotiation of PPP contracts while responding to the need of the states involved.

Translated by Harold AGBLONON

References
[1] Here are two articles written by Simel and Foly analysing PPPs in financing infrastructures
[2] According to World Bank report « Africa's Infrastructure : A time for transformation », the funds for infrastructures in Africa has been estimated to a total of 93 billion USD.
[3] We can also mention the funds transfered from African diaspora, which exceeds the development aid (concessional funds loaned at preferential rate by developed countries)
[4] The maintenance of roads is more and more delegated to private companies which collect the rights of way from the road users.
[5] This procedure is different from privatisation because the private operator does not own the infrastructure.
[6] The MIGA Agency of the World Bank generally deals with the non commercial risks.

Des Talents pour L’Afrique !

L’éducation scolaire est très souvent la conclusion qui émerge à l’issue de l’analyse des causes de la pauvreté. C’est ainsi que dans le cas particulier de l’Afrique, elle a fait au cours de la dernière décennie l’objet de plusieurs rapports, discours et programmes comme le démontre l'évolution de la prépondérance des mots "éducation et école" dans les ouvrages répertoriés sur Google Ngram Viewer. On y apperçoit clairement la montée en puissance de cette thématique de la Révolution Française (1789) jusqu’à la fin de la Belle Epoque (1914) ; suivi d’un regain de prépondérance après les indépendances dans les pays francophones (1960-1990) ; et à nouveau un accroissement fulgurant de la thématique de l’éducation scolaire dans les pays francophones depuis l’entame de leur démocratisation à partir de 1990.

Ainsi, l’éducation scolaire est présentée comme la panacée du développement.  Or, si elle est aussi privilégiée même chez les pires dictateurs, c’est qu’elle est suffisamment flexible pour servir à toute les fins. Ce paradoxe se comprend bien lorsqu’on admet l’éducation scolaire comme un moyen de diffusion des idées ; ces dernières pouvant servir à des fins nobles ou perverses. Même si l’on convient que l’éducation scolaire en Afrique est porteuse d’idées nouvelles, voire favorables au développement, il n’en demeure pas moins qu’elles ne sont pas de nature à apporter des réponses concrètes aux défis auxquels font face les populations les plus pauvres au quotidien.

A mon avis, c’est là que se trouve l’un des principaux obstacles au développement en Afrique. Il faut donc plus que l’éducation scolaire, il faut des talents ; des talents capables d’innover, de rechercher l’exception dans la confusion, de briller là où se trouve l’obscurité, qu’elle soit mentale, spirituelle ou physique. L’éducation scolaire arrive dans un deuxième temps pour diffuser et faire adopter l’innovation des talents à toute la population. C’est dans cet enchaînement des rôles que se trouve la véritable force de l’éducation.

Ainsi dit, le processus par lequel émerge un talent est assez complexe. Il n’admet pas de solution miracle. Car, le talent est à la fois rebelle et fragile. Sa rébellion bouleverse l’ordre préétabli, que ce soit les normes sociales, l’équilibre des pouvoirs politiques ou économiques. Cette rébellion se confronte très souvent à une force sociale entretenue par ceux qui bénéficient de l’ordre préétabli. C’est l’existence de cette force qui explique en grande partie le peu de talents au service du développement des nations africaines. Même en l’absence d’une telle force sociale, le développement du talent requiert la solidarité de la part des autres membres de la société. Il peut s’agir par exemple d’un soutien financier dans la mesure où les talents individuels ne sont pas distribués en fonction du niveau de revenu initial. Pour ces deux raisons, une manière de promouvoir l’émergence des talents et de lever toutes les barrières matérielles, psychologiques et institutionnelles.

Le but n’étant pas de promouvoir l’émergence d’une élite intellectuelle chargée de diriger le reste de la société. Mais au contraire, il est question de libérer le talent qui sommeille en chacun que ce soit dans les domaines de l’art, des sciences ou des lettres. Ce processus peut être déclenché par l’éducation scolaire dans certains cas. Il faut pour cela que le système éducatif ait été conçu pour favoriser cette éventualité. Mon propos ne signifie pas non plus que le continent africain ne dispose pas encore de talents. Mais les quelques un qui y ont émergé ne lui appartiennent pas véritablement puisqu’ils s’épanouissent mieux en dehors du continent. Il est temps que l’Afrique dispose de ses propres talents.

Georges Vivien HOUNGBONON

Bilan et perspectives de la promotion de la concurrence en Afrique

adi NA7 BleuCette note fait l’état des lieux de la promotion de la concurrence en Afrique. Elle met en évidence la faible industrialisation qui n’est pas encore réellement prise en compte dans les objectifs du droit de la concurrence sur le continent. Alors que la nouvelle tendance à adopter des cadres règlementaires régionaux peut constituer un palliatif à la petitesse des économies nationales, cette note propose l’innovation comme but principal des droits communautaires de la concurrence en Afrique. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.

La croissance africaine devrait-elle venir de l’innovation ?

Soleil sur l'AfriqueL'année 2015 sera déterminante pour l'Afrique pour deux raisons. D'une part, c'est en cette année que seront renouvelés les engagements internationaux sur la réduction de la pauvreté à travers les OMD post-2015. Comme le reflètent les objectifs de développement durable (ODD) qui remplacent les OMD, ce n'est plus les solutions pour réduire significativement la pauvreté qui manquent. Prenant exemple sur des pays comme la Chine ou l'Inde, nous savons aujourd'hui que la pauvreté peut être réduite significativement grâce à la croissance économique. Il suffit donc que les instruments de redistribution de la richesse soient effectivement mis en œuvre pour que les populations pauvres puissent graduellement sortir de leur situation de pauvreté. Ces instruments peuvent être de l'investissement dans les infrastructures économiques (routes, énergie, communication, eau et assainissement) et sociales (éducation et santé), de transferts d'argent conditionnels ou non à l'endroit des plus pauvres ou encore de politiques de protection sociale suffisamment flexibles pour ne pas décourager les investissements privés.

D'autre part, il est aujourd'hui une évidence que les pays africains s'engagent définitivement sur la voie du développement économique grâce à la consolidation d'institutions politiques démocratiques et à l'émergence d'une classe moyenne. L'engouement des grands groupes internationaux pour l'Afrique témoigne de la création de ce nouveau segment de marché dont la taille s'agrandit de même que les revenus de ses consommateurs. Il en est de même pour les soulèvements populaires, comme ce fût récemment le cas au Burkina Faso, qui même s'ils n’ont pas redistribué le pouvoir politique, ont certainement envoyé un signal ; que la gestion des affaires publiques se doit désormais d'être plus inclusive. Ces deux réalités viennent renforcer le processus de croissance économique qui devrait s'inscrire dans la durée. Cependant, pourquoi s'intéresse-t-on si tant à la croissance économique ? Pour équiper les ménages africains des commodités de la modernité ? Ou pour leur apporter de la dignité dans un monde où la portée de la voix d'une nation ne se mesure plus par la gabarie physique, encore moins par la multitude de la population, mais plutôt des richesses économiques que cette dernière est en mesure de créer ?

Pour paraphraser le professeur Augustin Cournot (1863) p.6, "la richesse doit être considérée, pour les individus et surtout pour les peuples, bien moins comme un moyen de jouissance que comme un instrument de puissance et d'action". Mettons le standard plus bas en considérant "la puissance" et "l'action" comme des dérivés de la "représentativité", c’est-à-dire de la capacité d’une nation à défendre sa position et d'être audible sur la scène internationale. C'est à l'aune de cette observation que nous avons besoin de reconsidérer les perspectives économiques de la plupart des pays africains. Quoiqu'elles suscitent de l'espoir, la tâche qui incombe aux gouvernements africains est celle de lui donner une définition, une définition de l'espoir africain.

Il sera plus aisé d'illustrer nos propos à partir des deux graphiques 1 et 2 ci-dessous. Le premier présente l'évolution du rapport des niveaux de vie mesuré par le PIB par habitant de certains pays ou régions du Monde de 1990 à 2013. Quant au second, il montre l'évolution du poids économique mesurée par la part du PIB mondial dans les mêmes pays/régions sur la même période. L'idée sous-jacente étant que la "représentativité" d'une nation se mesure quelque part entre le niveau de vie de ces citoyens relativement aux citoyens des autres nations et le poids de leur production collective par rapport aux autres nations. La distinction entre ces deux facteurs s'illustre bien avec la Corée du Sud et la Chine. En 2013, un Sud-Coréen moyen avait un niveau de vie trois plus élevé que la moyenne mondiale, comparable au niveau de vie de l'Européen moyen, alors que son pays ne représentait qu'environ 2% de la production mondiale. A cette même date, la Chine représentait déjà 16% de l'économie mondiale, comparable au poids des USA, alors que le niveau de vie d'un Chinois moyen ne dépasse pas la moitié de la moyenne mondiale.

Quant à l'Afrique[1], elle est à peine visible sur ces deux graphiques, synonyme d'un poids économique et d'un niveau de vie insignifiant. Mais il ne s'agit pas de l'observation la plus importante qui se dégage de ces deux graphiques. C'est plutôt ce qu'ils nous enseignent sur la fortune des pays/régions selon leurs stratégies de développement.

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur. Les données sur le PIB sont en dollars constant de 2010 avec prise en compte de la parité du pouvoir d'achat.

Pour mieux comprendre les forces économiques à l'œuvre, reprenons les données sur la Corée du Sud et la Chine. L'essor économique du premier est principalement dû à l'innovation notamment dans l'électronique avec Samsung et dans l'automobile avec Hyundai Motor. Ainsi, le pays se trouve en bonne place sur le segment de marché mondial des équipements de télécommunications, d'électroménagers et de l'automobile. Cette position se reflète assez bien dans ses statistiques d'investissements en R&D qui représentaient en 2011 4% du PIB sud-coréen, un ratio supérieur à celui des Etats-Unis d'Amérique et de l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

Quant à la Chine, sa stratégie repose essentiellement sur trois piliers, le premier étant l'imitation des technologies déjà existantes, suivi de l'utilisation de sa main d'œuvre abondante et bon marché et enfin de l'innovation. Bien entendu, l'ensemble de ses stratégies ont été mises en œuvre concomitamment. D'abord, l'ouverture vers l'extérieur entamée par l'intégration aux accords de l'OMC a été faite non pas pour consommer mais pour produire des biens et services destinés à l'exportation en s'appuyant sur sa main d'œuvre abondante et plus compétitive. C'était donc une ouverture gagnante à la fois pour l'Etat chinois mais aussi pour les entreprises étrangères. Dans ce contexte, les flux de capitaux étrangers restent étroitement contrôlés par le gouvernement afin de maîtriser la naissance d'entreprises nationales capables de rivaliser sur les marchés mondiaux aux côtés des grandes entreprises européennes et américaines. L'imitation consiste à reproduire les technologies existant ailleurs à travers les contrats qui stipulent clairement le transfert de technologies. Ce fût le cas par exemple du train à grande vitesse ou de l'aéronautique. S'ajoute alors les investissements dans la recherche et le développement comme le montre les statistiques sur l'évolution de la part des dépenses de R&D dans le PIB. Elles sont passées de 1 à 2,5% du PIB chinois en 15 ans, rattrapant ainsi le même niveau que l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur.

Quand on y regarde de près, la stratégie chinoise est semblable à celle employée par les Etats-Unis à l'exception de l'imitation puisque ces derniers étaient à l'avant garde de la révolution industrielle juste derrière les Britanniques. De plus, en tant que terre d'immigration, ils avaient déjà accueilli bon nombre d'éminents scientifiques Européens, dont Einstein reste l'un des plus emblématiques. En matière d'innovation, le pays a accru ses dépenses en R&D passant de 2,5 à 3% du PIB entre 2005 et 2010. Il n'est nul besoin de rappeler ici le nom des grandes entreprises américaines qui apportent chaque année de nouveaux produits et services sur les marchés du monde entier, Apple étant l'exemple emblématique le plus récent. En tant que pays d'innovation, les USA ont une demande extérieure très forte quoique leur balance commerciale reste déficitaire. Par ailleurs, le marché du travail américain regorge aussi d'une main d'œuvre abondante et compétitive, comme en témoigne les chiffres du PewResearchCenter qui estimait à 11.2 millions, soit 3,5% de la population, le nombre d'immigrés illégaux vivant aux Etats-Unis. A cela s'ajoute la flexibilité du marché du travail américain qui rend moins coûteux le travail qu'en Europe. Ainsi, l'innovation combinée à un coût du travail faible permet d'expliquer les performances économiques des USA qui ont pu limiter la baisse de leur poids économique à 16% en 2013, et maintenu le niveau de vie de leur citoyen moyen autour de 6 fois la moyenne mondiale.

Les exemples de la Chine et de la Corée racontent l'histoire de rattrapages économiques réussis pour des pays qui, il y a moins d'un demi-siècle, étaient au même niveau que l'Afrique. Ce sont aussi des exemples qui mettent en évidence les stratégies qui fonctionnent et les pièges à éviter. Par contre l'exemple de l'Union Européenne va mettre en évidence les instances dans lesquelles le rattrapage peut se transformer en stagnation: C'est le piège à éviter pour les économies africaines. Comme le montre les graphiques 1 et 2 ci-dessous, le poids économique de l'Europe n'a fait que baisser au cours des dernières décennies, passant de 26% en 1990 à 18% en 2013, soit une baisse de 8 points contrairement aux USA qui n'ont perdu que 4 points sur la même période en dépit de l'émergence d'autres pays du Monde tel que la Chine. De plus, quoique le niveau de vie moyen ait augmenté, il a progressé au même rythme, voire moins, que celui des USA. Ces constats vont de pair avec des dépenses en R&D récemment passées à 2% du PIB, soit un point de pourcentage plus faibles qu'aux USA et deux fois moins que celui de la Corée du Sud. Ils vont également de pair avec un marché du travail plus protecteur du salarié et générateur d'un emploi plus coûteux.

C'est aussi se chemin que s'apprête à emprunter certains Etats africains en signant l'accord de partenariat économique avec l'Union Européenne afin de consommer davantage plutôt que de produire, en dépensant seulement 0,6% de leur PIB en R&D,[2] en signant des contrats de construction qui autorisent les entreprises à importer même les travailleurs non qualifiés, et en ayant un coût du travail qualifié qui reste encore plus élevé que dans des pays comparables.[3] Ainsi, ni le canal de l'imitation, ni celui de l'innovation, encore moins celui de l'ouverture sur la base davantage comparatif n'est à l'œuvre en Afrique. Ce n'est certainement pas là une note d'espérance pour l'Afrique. C'est pour cela que l'espoir a besoin d'une définition en Afrique. Pour éviter qu'il ne soit juste un mirage pour l'essentiel de la population, il y a lieu de 1) identifier les secteurs dans lesquels l'Afrique gagnerait à imiter les technologies qui existent déjà, 2) innover dans les autres secteurs, que ce soit de l'éducation, de la santé, des technologies de l'information et de la communication, des transports, de l'énergie et de l'eau, voire même de l'aménagement du territoire et 3) entamer une ouverture commerciale dans le but de produire et non de consommer.

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] L'Afrique sub-saharienne plus précisément car ce n'est que pour cette région que nous avons trouvé des données comparables. Cependant le profil reste le même lorsqu'on inclut les pays d'Afrique du Nord.

[2] Ce chiffre de 2007 est surestimé grâce à l'inclusion de l'Afrique du Sud dans les calculs.

[3] Cf. la publication de Gelb et al. (2013) sur le sujet. Il semble que cela soit dû au fait que les salaires soient plus élevés dans les plus grandes entreprises, suggérant qu'il ne s'agit pas d'un effet structurel mais tout simplement le résultat de la rareté de la main d'œuvre qualifiée pour les secteurs à fort intensité capitalistique tels que les télécommunications et les mines. On le voit dans les résultats que les coûts les plus élevés se trouvent en Angola et en Afrique du Sud et au Nigéria.

Annus Malum ou Annus Bonum ?

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Par rapport à 2013, l'année 2014 a connu moins d'événements significatifs. Cependant, lorsqu'on regarde en Afrique, les populations civiles et certains hommes politiques ont passé soit un Annus Malum ou un Annus Bonum.[1] Cet article revient sur ces événements phares afin de constituer une référence par rapport à laquelle les événements de l'année 2015 pourront être mis en perspectives.

Annus Malum pour les populations Guinéennes, Sierra-Léonaise et Libérienne qui ont été frappées par l'éruption de l'épidémie de maladie à virus Ebola en 2014. Nul besoin de refaire l'arithmétique macabre pour évoquer la violence de cette épidémie. Au-delà de ces populations c'est tous les Africains qui ont vécu sous la peur de voir les perspectives d'émergence économique ralenties par une épidémie dont le vaccin ne leur était pas accessible. Alors que le problème du manque d'infrastructure est pointé du doigt pour expliquer la propagation de l'épidémie, on ne peut pas manquer de souligner le manque extrême de recherche médicale en Afrique sur les maladies tropicales, surtout lorsqu'on sait que le virus a été identifié depuis 1976.

Annus Malum pour les populations Nigérianes obligées de vivre sous la terreur du groupe islamiste Boko Haram. Cette terreur a atteint son paroxysme lorsque le 14 avril, plus de deux cent filles ont été enlevées à Chibok dans le Nord-Est du pays. Au delà de l'émotion que cette situation peut susciter, il est intriguant qu'elles n'aient pas eu le bonheur de fêter les fêtes de fin d'année avec leurs proches et amis dans le premier Etat producteur de pétrole en Afrique. Il ne se passe plus une semaine sans qu'un attentat n'arrache la vie à des personnes vacant tout simplement à leurs occupations quotidiennes. Cette situation met en évidence que le terrorisme se nourrit surtout de la pauvreté et des inégalités. La redistribution des richesses et la mise en place de politiques sociales dans les couches vulnérables de la société devraient donc être privilégiées comme solutions de long terme de prévention du terrorisme.

Annus Malum pour les pays producteurs de pétrole en Afrique avec la chute vertigineuse des cours du pétrole. Cette situation vient leur rappeler que la dure loi de l'offre dont l'abondance fait nécessairement baisser les prix, mais aussi la dépendance du cours par rapport au contexte géopolitique et au progrès technologique notamment dans les énergies renouvelables. Il convient dès lors d'envisager l'utilisation des moyens financiers générées par ces ressources naturelles pour construire les bases d'économies nationales moins dépendantes des ressources naturelles et génératrices de recettes publiques pour le financement des infrastructures du développement.

Annus Malum, voire même "Annus Horibilis" pour Blaise Compaoré qui s'est vu obliger de fuir son pays comme un vulgaire individu après avoir consacré 27 années de sa vie à se faire réélire président de son pays. Ce triste sort vient rappeler aux dirigeants qui s'éternisent au pouvoir ou qui ont l'intention de le faire la nécessité de favoriser le renouvellement du leadership. Au cœur de ce constat se trouve la question de l'organisation de la vie politique dans les pays Africains. Tout se passe comme si lorsqu'il n'existe pas d'opposition ou tout simplement une organisation politique capable de proposer une alternative, les dirigeants au pouvoir profitent pour mettre la main sur certains secteurs importants de l'économie ou ne sont plus découragés de commettre des délits ou crimes. Dans ces conditions, quitter le pouvoir est tout simplement synonyme de vulnérabilité.

Faut-il dire Annus Bonum pour la francophonie qui a échappé à la règle en renouvelant son leadership avec en prime une femme, fruit du métissage, en la personne de Michaëlle Jean ? Certains Africains y verront plutôt un Annus Malum dans la mesure où le nouveau président n'est pas de nationalité africaine. Ces malentendus montrent à quel point le défi de l'intégration culturelle reste à relever au sein de l'espace francophone pour faire en sorte que les peuples qui y vivent fassent abstraction des "différences administratives" pour embrasser l'idéal de partager une langue commune qu'est le français.

Faut-il dire Annus Bonum pour la démocratie en Afrique qui semble faire des progrès avec l'élection d'un président démocratiquement élu à Madagascar et en Tunisie ; mettant fin à des transitions politiques instables. Cependant, à y voir de près, le pouvoir n'a fait que changer de tête à Madagascar alors qu'en Tunisie il reste dans les mains d'une génération dont on se demande si elle mesure encore les enjeux des décennies à venir. Que ce soit en Tunisie ou au Burkina Faso, voire même en Egypte, partout où des soulèvements populaires ont renversés des régimes existants, force est de constater que l'absence d'une alternative crédible, ou du moins d'une structure d'idées, laisse place à la régénération de l'ancien régime.

Pris ensemble, ces événements viennent rappeler une fois de plus en quoi les questions liées à la santé, à l'éducation, à la création et à la redistribution des richesses, ainsi que celles liées au fonctionnement des institutions politiques demeurent des défis à relever en Afrique. Alors que le continent s'engage dans une phase de croissance, quelles sont les stratégies sur lesquelles ces gouvernements devraient miser pour s'assurer que cet épisode de croissance soit la promesse de futures Annus Bonum pour l'ensemble des populations africaines. Il est vain d'en fournir les détails ici, mais nous nous tâcherons de proposer dans un prochain article une présentation schématique des alternatives qui s'offrent aux gouvernements africains. En attentant, Annus Bonum à tous.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Les termes latins "Annus Malum" et "Annus Bonum" se traduisent comme "Mauvaise année" et "Bonne Année" respectivement.

A venir: Rapport sur l’inclusivité de la croissance en Afrique

growthLe but de ce projet est d'utiliser un indicateur de l'inclusivité de la croissance proposé dans une étude précdente pour classer les pays africains selon l'inclusivité de leur croissance.

Conseiller Scientifique:

Denis Cogneau, Chercheur Associé à PSE-Ecole d'Economie de Paris

Groupe de Travail:

Georges Vivien Houngbonon, Statistician, PhD student at the Paris School of Economics

Arthur Bauer, Statistician, Graduate student at the Harvard Kennedy School of Government

La croissance tiendra-t-elle ses promesses ?

growthA priori, la croissance économique est souhaitable parce qu’elle est la (seule) principale réponse politique que les nations ont trouvé pour établir une paix sociale durable. C’est ainsi que l’épisode de forte croissance économique que connaît la plupart des pays africains est synonyme d’une atténuation progressives des tensions entre les différents groupes sociales et entre les nations. Cela suppose que la croissance ait pour conséquence de permettre à chaque individu de subvenir à ses besoins de base et de ne pas trop se sentir moins aisés que les autres. Autrement dit, la croissance doit être source de réduction de la pauvreté et des inégalités.

Partant des travaux de Dollar et de ses coauteurs, il est aujourd’hui possible d’affirmer que la croissance économique permet de réduire la pauvreté. Toutefois, selon d’autres travaux académiques sur le sujet, les politiques sectorielles d’accès à l’éducation et à la santé jouent un rôle essentiel dans la transmission des fruits de la croissance aux couches les plus pauvres de la société. Ainsi, il faut d’abord favoriser l’accès aux infrastructures de bases telles que l’eau, l’électricité, l’éducation et la santé pour qu’une croissance économique forte puisse se traduire par une baisse significative de la pauvreté.

L’intuition derrière ces recommandations est la suivante : les personnes qui sont initialement pauvres ne disposent pas du minimum de capital (physique et humain) pour être productives. Elles sont donc durablement piégées dans un cercle vicieux alliant faible productivité à un faible niveau de vie. Ainsi, l’accès aux infrastructures subventionné par l’Etat est un moyen de donner le petit coup de pouce nécessaire aux plus pauvres pour leur permettre de briser le cercle vicieux de la pauvreté. En complément, des initiatives de protection sociale plus élaborées telles que les transferts conditionnés (ou non) peuvent favoriser davantage le lien entre croissance et réduction de la pauvreté. Actuellement en Afrique, on en sait très peu sur l’effectivité des politiques publiques mises en place pour favoriser une croissance réductrice de la pauvreté. Ce qu’on en sait le moins est surtout la capacité de la croissance économique à réduire les inégalités, non pas seulement des revenus mais des richesses et des chances.

Néanmoins, le récent livre de Piketty intitulé « Le Capital au 21ème siècle » sur le l’Etat et les perspectives des inégalités permet de dégager des perspectives sur la capacité de la croissance à réduire les inégalités de façon générale et en particulier en Afrique.[1] Globalement, deux leçons ressortent de cet ouvrage pour nous éclairer sur le sujet en cours d’analyse.[2]

inequalityLeçon n°1 : Il n’y a pas de lien mécanique entre croissance du PIB et réduction des inégalités

En s’appuyant sur la part du revenu ou du patrimoine des 10% les plus riches, l’auteur montre que les inégalités tendent systématiquement à s’amplifier au fil du temps. Cela vient du fait que le taux de rendement du capital est généralement supérieur au taux de croissance du PIB. Ainsi, les patrimoines issus du passé s’accumulent beaucoup plus vite que le rythme de progression de la production et des revenus.[3] Ce mécanisme peut être renforcé par une faible croissance démographique puisque dans ce cas les héritages sont partagés entre moins de descendants.

Cette tendance des inégalités à augmenter systématiquement peut être une menace pour le bon fonctionnement des institutions politiques dans la mesure où le pouvoir politique risque d’être capturé par des intérêts particuliers. Ainsi, non seulement les décisions de politiques publiques ne reflètent plus l’intérêt de la majorité, mais surtout la capture du pouvoir politique renforce davantage les inégalités. Par exemple, les prestations sociales peuvent être réduites au détriment d’exemptions fiscales favorables aux plus riches.

D’emblée la question est de savoir jusqu’où le creusement des inégalités peut aller et ce qu’il est possible de faire pour prévenir une situation aussi explosive qu’une société où presque la totalité des richesses appartiennent à 1% de la population. La réponse à cette question se trouve dans la deuxième leçon que nous tirons de l’ouvrage de Piketty.

157904609Leçon n°2 : La réduction des inégalités requiert la mise en place d’institutions spécifiques

A partir de l’évolution des inégalités sur longue période dans plus de vingt pays, l’auteur montre que même les chocs les plus violents comme la seconde guerre mondiale n’ont pas réduit durablement les inégalités de revenus et de patrimoine. Par contre, les politiques publiques mises en place dans les différents pays ont eu un impact décisif sur la réduction, l’augmentation ou la modération des inégalités. Dans les régimes démocratiques, l’outil le plus efficace est la fiscalité. Cependant, elle devient de moins en moins efficace à l’échelle des nations à cause de la concurrence fiscale, c'est-à-dire de la tendance qu’à chaque pays d’offrir les meilleures conditions pour attirer les patrimoines des plus riches dans leur économie. Pour cela, il recommande plutôt l’échange systématique d’informations pour lutter contre l’évasion fiscale et la mise en place d’un impôt mondial sur le capital afin de se départir des contraintes liées à sa forte mobilité.

Dans les pays ayant des institutions moins calquées sur le modèle occidental (Europe et Etats-Unis d’Amérique), on observe aussi des dispositions spécifiques pour le contrôle du capital. Par exemple, en Russie, les plus riches détenteurs de patrimoine qui veulent en user pour influencer les décisions politiques sont simplement jetés en prison. En chine, l’Etat a imposé un contrôle strict sur les flux de capitaux de sorte que le pouvoir économique que confère le capital ne se transforme pas en un pouvoir politique.

Quelles conclusions peut-on en tirer pour l’Afrique ? Puisque les inégalités ont tendance à s’accroître de manière systématique, la croissance économique en Afrique va-t-elle limiter cette augmentation ? D’abord, il faut prendre en compte le contexte dans lequel se trouve l’Afrique et qui est celle d’un monde plus ouvert où les capitaux circulent plus librement. Cela implique que les détenteurs des capitaux qui contribuent à la croissance économique en Afrique ne sont plus nécessairement des Africains, du moins pas en majorité. Ainsi, la question des inégalités en Afrique ne se pose pas dans les mêmes termes qu’ailleurs.

L’attention peut être portée en premier lieu sur les inégalités des revenus, en particulier des salaires ; et sur la capacité de la croissance à réduire ces inégalités. Mais comme nous l’enseigne les travaux de Piketty, cela nécessite la mise en place de politiques de redistribution, ne serait-ce que pour offrir à tous les mêmes conditions initiales. Ensuite, il sera nécessaire de mettre en place des cadres réglementaires pour encadrer les investissements étrangers dans les économies africaines de sorte à limiter leurs impact potentiel sur la capture du pouvoir politique tout en protégeant aussi bien leur droit de propriété.

En définitive, il ressort de cette analyse que l’épisode de croissance économique que traverse la plupart des pays africains peut être source de réduction massive de la pauvreté si seulement des investissements sont faits en amont dans l’accès aux infrastructures de base pour les populations les plus pauvres. Cependant, nous n’avons aucune certitude que cet épisode de croissance permettra de réduire les inégalités ; tout dépendra des institutions qui seront mises en place pour encadrer la montée inéluctables des inégalités liée à la croissance. C’est seulement dans ces conditions que la croissance ne s’éloignera pas trop de ses promesses d’une paix sociale durable.

Georges Vivien Houngbonon


[1] En général lorsqu’on parle d’inégalités, on pense tout de suite aux inégalités de revenu. Cependant, comme la démontré l’auteur dans son ouvrage, la source principale des inégalités provient des inégalités du patrimoine. Le focus sur les revenus est potentiellement lié à des raisons politiques, car les inégalités de revenus sont souvent beaucoup plus faibles que celles du patrimoine. Ainsi, elles permettent de donner une image beaucoup plus apaisée de l’évolution des inégalités.

[2] Ce sont mes propres enseignements.

[3] Thomas Piketty, Le Capital au 21ème siècle, p.55

Des pays africains où l’on ne paie pas d’impôts directs

5649521-le-poids-des-depenses-et-des-impots-bat-des-recordsAlors que les besoins d’inclusion politique et de financement du développement s’accroissent en Afrique, il existait en 2012 des pays où la contribution fiscale directe des particuliers et des entreprises était très insignifiante. C’est le cas notamment de huit pays dont la Lybie, la Guinée Equatoriale, Sao-Tomé et Principe, le Soudan, l’Angola, le Congo, le Nigéria et le Tchad où les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales) représentaient moins de 10% du total des recettes publiques en 2012. Or, contrairement aux autres types de recettes fiscales, l’impôt direct, quoique plus difficile à collecter, est étroitement lié à la légitimité de l’Etat, à la performance de l’administration fiscale et à sa capacité à lever de manière durable les fonds nécessaires au financement de la sécurité des personnes et des biens.[1]

La figure ci-dessous présente une photographie détaillée de la répartition en 2012 des différents types de recettes dans le revenu total de l’Etat.[2]

recettes_publiques
Source : construit par l auteur a partir des statistiques fournies par le rapport AEO, 2014

Comme le montre le graphique ci-dessus, la part des revenus fiscaux tirés de l’exploitation des ressources naturelles va de 66% au Tchad à 95% en Lybie. Ainsi, dans des pays pétroliers comme la Guinée Equatoriale, l’Angola, le Congo ou le Nigéria, l’importance des recettes fiscales tirées de la production pétrolière semblent être un frein au développement d’autres types de taxes comme les impôts indirects. Cependant, les statistiques sur le Soudan et Sao Tomé et Principe illustrent à quel point la taxe sur les ressources pétrolières peut ne pas être suffisante pour expliquer le faible recouvrement de l’impôt direct dans un pays.

Au Sao Tomé et Principe, ce sont principalement les dons extérieurs (52%) suivis des taxes commerciales (20%) qui remplacent le manque à gagner du faible recouvrement des impôts directs. Par contre, le Soudan à une structure fiscale plus équilibrée avec des impôts indirects qui représentent 35% du total des recettes publiques suivis des revenus non-fiscaux (33%) et des taxes commerciales (20%).

Ces statistiques suggèrent que nous sommes en présence d’Etat dont la légitimité fiscale est très faible, compte tenu du niveau très bas de leurs impôts directs. En plus de cela, ceux qui disposent de ressources pétrolières ont une administration fiscale très peu performante avec comme conséquence l’absence de la collecte des impôts indirects et des taxes commerciales sur les importations. Ceux qui sont moins riches en ressources naturelles s’appuient soient sur l’aide extérieure, c’est le cas de Sao Tomé et Principe, ou sur les impôts moins coûteux à collecter ; c’est le cas du Soudan.

Très souvent, et comme mentionné dans le rapport sur les perspectives économiques en Afrique de 2010, la prépondérance d’un secteur agricole de subsistance et du secteur informel dans la plupart des pays africains est citée comme l’une des principales raisons qui expliquent le faible taux de recouvrement de l’impôt direct. Cependant, lorsqu’on adopte une approche plus dynamique, il ressort que les deux phénomènes vont de pair : l’agriculture de subsistance et l’informel sont très développés parce que l’Etat ne dispose pas des moyens pour accompagner la formalisation des entreprises, et ce manque de moyen entretient davantage l’expansion du secteur informel et rend illégitime les tentatives de levée d’impôts auprès d’entreprises opérant dans le secteur informel. Le même raisonnement s’applique à l’impôt sur le revenu qui n’est pas non plus légitime lorsqu’il n’existe pas à priori de système de protection sociale ni pour les agriculteurs, ni pour les travailleurs du secteur informel.

A ce cercle vicieux, viennent s’ajouter des facteurs aggravant comme la présence de ressources naturelles ou l’abondance de l’aide extérieure. Ces derniers aussi s’auto-entretiennent puisqu’ils ne sont pas de nature à encourager les gouvernements à accroître leur légitimité fiscale en levant davantage d’impôts directs. Après tout, cette légitimité n’est acquise qu’en contrepartie d’une plus grande exigence d’inclusion politique, d’obligation de résultats et de compte rendu de la part des contribuables. Dès lors, il est plus intéressant pour un Etat de se justifier auprès d’institutions financières internationales ou de partenaires étrangers plutôt que de le faire auprès de ses citoyens. Ainsi, la bonne gouvernance et l’inclusion politique se trouvent au cœur même des enjeux de fiscalité en Afrique.

Pour que l’impôt direct joue pleinement son rôle dans l’édification et la consolidation des nations africaines, il faudra d’une part créer un dialogue entre les acteurs du secteur informel et l’Etat en vue de déterminer les contreparties qu’ils peuvent attendre de la levée des impôts sur le revenu et sur les bénéfices. Par exemple, la création de systèmes de protection sociale (assurance maladie universelle et chômage) et la garantie des investissements dans les infrastructures sociales et économiques susceptibles de bénéficier directement aux acteurs du secteur informel peut les inciter à se formaliser et ainsi donc contribuer à la levée des impôts directs en vue du financement des investissements publics. De manière plus classique, c’est le rôle que devrait jouer les élections des responsables politiques, mais pour le moment la question du financement du développement est rarement soulevée dans les campagnes électorales.

D’autre part, une implication plus accrue des organisations de la société civile dans la gestion des recettes fiscales issues de l’exploitation des ressources naturelles pourraient contraindre les gouvernements à s’appuyer davantage sur les impôts directs et à renforcer leurs capacités de recouvrement des impôts indirects. Enfin, une prise en compte plus importante des enjeux de renforcement de l’administration fiscale dans l’octroi de l’aide extérieure permettrait également d’inciter les Etats à compter davantage sur les impôts directs.

En définitive, la situation apparente de « paradis fiscal » que laisse entrevoir la faible contribution fiscale dans les huit pays cités ci-dessus n’a le paradis que de nom ; puisque cette faible contribution, même si elle peut être compensée par les recettes issues de l’exploitation des ressources naturelles ou des dons, est source d’exclusion sociale, principal moteur de la pauvreté et des inégalités.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Perspectives économiques en Afrique, 2010, page 83.

[2] Ces différents types concernent les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales), les impôts indirects (TVA, taxes sur les vente, …), les recettes non-fiscales (droits de timbre per exemple), les revenus tirées de l’exploitation des ressources naturelles (en particulier le pétrole), les taxes commerciales (droits de douanes) et les dons.

Deux intrants qui manquent à l’innovation en Afrique francophone

clipboard06Si l’on convient avec des penseurs comme Schumpeter J. et Aghion P. que le développement résulte de l’innovation, alors l’Afrique, quoique pauvre, devrait accorder une importance particulière à ses universités. Non pas pour accroître le nombre d’étudiants, ni pour augmenter le nombre de professeurs ou de chercheurs, mais pour accroître la qualité de la recherche qui y est menée. Cette préoccupation concerne bien entendu l’ensemble des pays Africains à l’exception peut être de l’Afrique du Sud, selon les classements internationaux des universités, comme celui de Shanghai. Cependant, la situation est plus critique dans les pays francophones pour deux raisons. D’une part, l’utilisation presque exclusive du français comme langue de travail dans les laboratoires alors que le monde académique devient de plus en plus anglophone. D’autre part, la faible numérisation des travaux de recherche dans un contexte où les moyens de recherches modernes reposent davantage sur le codage informatique et l’utilisation de l’internet.

Il ne s’agit pas d’une reproche faite à la communauté scientifique francophone d’Afrique, mais plutôt d’une mise en lumière de quelques défis qu’elle devra relever pour s’intégrer pleinement dans les réseaux de recherches mondiaux qui sont pour la plupart anglophones. On pourrait aussi tout de suite penser qu’il s’agit là d’une préoccupation secondaire dans une région en proie à l’extrême pauvreté et parfois aux troubles sociaux. Mais ce point de vue omet la possibilité que l’extrême pauvreté et les guerres soient tout simplement des conséquences d’un manque d’innovation.  Après tout, la recherche scientifique n’a d’autre but que d’apporter des solutions concrètes aux problèmes des Hommes, c'est-à-dire être au service de la société. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici les principales inventions et découvertes qui ont été à l’origine des progrès significatifs dans l’agriculture et l’industrie dans les pays qui sont aujourd’hui développés. Comment faire donc pour inclure l’Afrique, en particulier l’espace francophone dans le train mondial de l’innovation par la recherche ?

Très peu de statistiques existent pour mettre en évidence la proportion de chercheurs des universités d’Afriques francophones qui maîtrisent parfaitement l’anglais. Il suffit pourtant d’aller sur le site web de ces universités pour constater que très peu ou pas du tout de publications sont faites en anglais. Quant à l’appropriation de l’outil informatiques et des opportunités qu’offre l’internet, on constate déjà que le pourcentage de la population ayant accès à l’internet est plus faible dans les pays francophones et que très peu d’écoles ou d’universités disposent de salles d’informatiques équipées.[1] Or, de manière plus synthétique, l’appropriation de l’outil informatique devrait permettre d’augmenter les capacités d’innovation alors que la maîtrise de l’anglais favoriserait leur diffusion et de donc leur qualité.

En effet, le progrès fulgurant des capacités de calcul et d’édition des ordinateurs permettent aujourd’hui de tester des hypothèses scientifiques compatibles avec des situations réelles. Par exemple, dans les sciences sociales, il ne sera plus question de formuler des théories dans un laboratoire mais d’identifier des relations révélées par les comportements individuels et collectifs. Même dans les cas où des observations ne peuvent pas être faites, les capacités de calcul offertes par l’ordinateur permettent de simuler des situations réelles avant même leur mise en œuvre dans la pratique. Par ailleurs, cette expansion de l’informatique favorise actuellement l’accumulation de données massives qui vont sans doute bouleverser la pratique même de la recherche scientifique. C’est le cas par exemple du programme Data for Development lancé par Orange en Afrique sur l’utilisation des données anonymes du réseau mobile pour répondre à des questions sur la santé, l’éducation, l’agriculture, les transports et les infrastructures.

Un autre intérêt de l’appropriation de l’outil informatique est qu’elle facilite l’accès à l’internet et plus particulièrement à des ressources académiques qui peuvent être utilisées pour améliorer les résultats d’autres recherches en cours. Typiquement, un chercheur qui travaille sur l’amélioration de la productivité agricole a besoin d’accéder aux derniers résultats de recherche sur cette question. Cet accès se fait à moindre coût lorsque le chercheur dispose d’un accès à l’internet et d’une connaissance des ressources académiques disponibles en ligne. Nonobstant, combien sont-elles, les universités d’Afrique francophone connectées à l’internet haut débit accessible par tous les étudiants et chercheurs ?

En ce qui concerne l’anglais, sa maîtrise permettra de diffuser les résultats de recherches scientifiques et d’accroître leur qualité.  Il ne s’agit pas d’abandonner sa langue maternelle ni le français car en général certains sentiments voire certaines idées sont mieux exprimés dans une langue que dans d’autres. Cependant, cette richesse de la diversité linguistique ne doit pas nous empêcher de reconnaître l’importance de la maîtrise d’une langue internationale, en l’occurrence l’anglais, pour faire participer pleinement les chercheurs des universités d’Afrique francophone aux grands débats scientifiques qui auront une incidence décisive sur nos modes de vie à l’avenir.

Il existe certes de centres de recherche en Afrique francophone, souvent à l’extérieur des universités, qui entreprennent des recherches en anglais et qui promeuvent l’appropriation de l’informatique et de l’internet par les chercheurs. C’est notamment le cas du CODESRIA, du CRES au Sénégal, ou de l’African School of Economics qui vient d’ouvrir ses portes au Bénin. Cependant, ses deux intrants de la recherche scientifique que sont l’anglais et l’informatique ne sont pas encore accessibles au plus grand nombre des étudiants et chercheurs dans les universités d’Afrique francophone. C’est pour cela qu’il faut dès maintenant repenser la recherche scientifique dans cette région en mettant l’accent sur l’enseignement et les publications en anglais de même que la formation intensive des étudiants et chercheurs aux langages de programmation informatique de base et à l’utilisation des données massives générées par l’internet à des fins de recherche scientifique.

L’un des principaux obstacles à ce changement est la réticence des chercheurs séniors face à l’introduction de nouvelles technologies qu’ils ne maîtrisent pas et qui les rendraient obsolètes. Il pourrait donc s’agir d’obliger les jeunes étudiants et chercheurs à s’approprier l’anglais et l’informatique tout en encourageant les séniors à faire de même à travers des incitations à participer à des conférences de haut niveau en anglais.

Les logiciels de traduction n’aideront pas les chercheurs francophones puisqu’ils ne rendent pas compte de l’idée sous jacente à la structure d’une phrase. Par ailleurs, les obstacles liés à l’énergie que l’on évoque très souvent pour justifier la relégation de l’accès à l’internet au second plan sont très discutables dans la mesure où l’accès à l’énergie n’est qu’un moyen qui ne devient justifié que lorsque les fins pour lesquelles il sera employé sont établies. Les fins ici concernent l’accès à la connaissance moderne dont la production et la diffusion nécessite l’emploi des moyens de communication modernes dont le numérique et l’anglais.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Selon les statistiques de l’IUT pour l’année 2013, seulement 4% de la population des pays d’Afrique francophone à l’exception du Sénégal (21%) de la Tunisie (44%) et du Maroc (56%) utilisent l’internet.

 

Will Africa benefit from its demographic prospects ?

Africa's future is generally described by two figures : 5.2 % and 2 billion. The first figure published in the 2012 Africa Economic Outlook* is the average growth rate of the GDP in Africa from 2003 to 2011. The second figure is the expected growth of the population in Africa by 2050 predicted by the United Nations population division in 2012. These figures are systematically used in reports, articles and by economists. More and more studies are questioning the accuracy of the 5.2 percent growth rate. However, the demographic prospects do not seem to be questioned at all. Demography is a challenge and it is important to create economic prospects for the local consumers, investors and the State.

The latest population projection of the United Nations has stated that the African population should reach 2.4 billion by 2050. This is the double of the population in 2010. This projection makes Africa the most populated region in the whole world, way ahead of China and India. This situation is very challenging geopolitically and economically. Yet, in this article, we shall only focus on the economic challenges presented by this population doubling. Even if the current level of productivity were maintained, each person in Africa will have to be equipped with the same work tools we have today to maintain the income per capita. Thus, the doubling of the population will also combine the doubling of the potential market and eventually of the cash flow for investors. Hence, demographic prospects are undeniably a strong argument to attract investors.

population 1Source: Graphic presentation of the author based on data from World Population Prospects

Prospects: the 2012 revision of the division of the population (United Nations)

However, more benefit can be derived from this population prospect by increasing the productivity of the new generations of workers from now on. African workers should be equipped with more productive tools. The use of new information technologies, the construction of transport and energy infrastructure have to be taken into account as well. Still, this approach does not take into account the increase in the « human » productivity of the worker which is more important for the use of more elaborate and productive tools. Thus, it is all the more important to improve the general health and education of the population so that the investors, the population and the State can benefit from these demographic prospects.

Even though there has been some progress in human development in the past few decades, there are bigger challenges ahead of us. Here we are not going to focus on classic indicators such as lifespan, birth rate and schooling rate but on new levers that could be used to improve the productivity of the future generations of African workers.

As far as health is concerned, recent studies such as the one conducted by Nobel Prize winner James Heckman among Jamaican children have shown that the first two years of one's life are the most important. More specifically, this study showed that the psychologic and social stimuluses received by Jamaican children in their first two years of life have a significant effect on their earnings twenty years later. Actually, their salaries have increased by 42 % on average, suggesting that a good nutrition and a positive social environment in the first two years has an important impact on the future of children.

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Source : Calculations of the author based on data from the World Health Organisation

There is currently a lack of reliable statistics on child nutrition in Africa. As we can see in the graph above, 35 % of children aged 5 or less suffer from stunting in 2010. The WHO expects this rate to decrease but it will still be over 25 % by 2025. One child out of 4 will still be stunted.

In a recent press release, the UNICEF has explained that stunting is not simply an issue of low height stature; but an indicator of their health and productivity as an adult. Neurologists also agree to say that stunting is correlated with a lack some cognitive abilities. Unfortunately, after the age of 5, this cognitive skills can no longer be acquired, thus limiting the child's future economic productivity; that is to say his welfare. Hence, it is all the more necessary to take action as soon as possible to avoid these deficiences for the upcoming generations. The children born from 2015 to 2030 will be 20 to 25 years old in 2050. They will be the next generation workers in 2050.

Education is another major challenge. Some progress has been made as seen in the graph below. Access to primary education has become universal as of the year 2012. Likewise, secondary and tertiary enrolment has slightly increased. However, the enrollement rates, especially in the teriary education, are still very low.

population 3

Source: Calculations of the author based on data from the UNESCO

Another issue is the mismatch between supply and demand on most of African labor markets. As a matter of fact, the more educated are much more likely to be unemployed. This does not imply that students should be discouraged from pursuing long studies and follow vocational trainings. A recent study by the International Labour Office** showed that in 8 countries in Africa, the new graduates who found a job earned higher salaries than the job seekers with lower level of education.

Therefore, the education level is not the problem. It is rather the type of education that determines employability. It is important to encourage studies adapted to the needs of the labour market and to improve the quality of the education. The State can implement specific education counceling programs for the youth in collaboration with the private sector and subsidise vocational training programs adapted to the specific needs of the private sector. This program can be funded by a specific tax on the revenues of companies or the companies can themselves fund these vocational training programs with the financial help of the State.

Above all, Africa is considered in this anlysis as a single nation and market. However, the situation is not the same across all of the African countries. Moreover, analysts often make a parallel between Africa's demographic prospects and China's. Still we believe that governing 2 billion people within a single nation is not the same as dealing with the same amount of individuals scattered in 54 different states. Nonetheless, the conclusions in this article do apply to the majority of African countries, though they have to be tailored with specific contexts.

Georges Vivien Houngbonon

Translated by: Bushra Kadir

* Studies by Morten Jerven on the quality of macroeconomic statistics in Africa and the African Development Bank publications and the inclusive growth in Africa study published by Afrique des Idées

** The inequalities are not studied here, given that we cannot predict its evolution.

Sources :

Elder, S., Koné, K. S. 2014. Transition vers le marché du travail des jeunes femmes et hommes en Afrique Sub-Saharienne. Work for Youth N°10. Bureau Intenational du Travail

Gertler, P., Heckman, J., Pinto, R., Zanolini, A., Vermeesch, C., Walker, S., Chang, S., Grantham-McGregor, S. 2013. Labor Market Returns to Early Childhood Stimulation: A 20-Year Follow-up To An Experimental Intervention In Jamaica. NBER Working Paper Series.

Morten Jerven. 2013. Poor Numbers: How We Are Misled by African Development Statistics and What to Do about It. Cornell University Press

Economic Outlook, 2012. Development Centre OECD.

Progress shows that stunting in children can be defeated, Communiqué de Presse. Avril 2013. UNICEF.

Le partenariat public-privé est-il adapté aux pays en développement ?

arton44Etant donné les technologies qu’elle doit incorporer pour rattraper son retard sur les autres régions du Monde, le financement du développement est devenu un enjeu majeur en Afrique. C’était d’ailleurs le thème de la conférence sur le développement de l’Afrique. L’enjeu est encore plus crucial dans le domaine des infrastructures depuis la publication du rapport de la Banque Mondiale intitulé « Infrastructures Africaines : une transformation impérative ». Pour répondre à ce besoin de financement, davantage de pays africains ont recours aux projets de partenariats public-privé (PPP).[1] Cet engouement n’est pas sans fondement si l’on en croit les estimations de la Banque Mondiale sur le déficit de financement des infrastructures en Afrique.[2] Cependant, si l’on considère les origines de ce type de financement, il s’avère que le contexte spécifique de certains Etats Africains ne se prête pas nécessairement à la mise en œuvre effective des PPP.

Pour financer les infrastructures de développement, les Etats ont traditionnellement recours aux émissions de bons du trésor, aux prêts bilatéraux (entre pays) ou multilatéraux (octroyés par les Banques de Développement).[3] Jusqu’au début des années 2000, ces moyens de financement étaient utilisés pour financer des infrastructures publiques construites et gérées par l’Etat. Dans ce processus, l’Etat fait appel à des entreprises privées pour la construction des infrastructures et prend lui-même en charge la prestation du service. Dans le cas de la construction d’une route par exemple, l’Etat lance un appel d’offre pour sélectionner une entreprise de BTP, chargée de la construction. Ensuite, il s’assure de l’entretien et de l’usage de la route par les usagers à travers le ministère en charge des infrastructures.[4]

Toutefois, cette procédure, dite de marché public, pose deux problèmes. D’une part elle n’incite pas le constructeur à produire une infrastructure de qualité, même si le maître d’œuvre est chargé de garantir la qualité de l’ouvrage. Dès lors, la durée de vie des infrastructures à la fin de leur construction est souvent plus faible que leur durée de vie potentielle, ce qui engendre des coûts de financement plus élevés à l’Etat. D’autre part, le fait que les services publics ne soient pas à but lucratifs n’incitent pas non plus l’Etat à entretenir voire améliorer la qualité des services fournis.

Pour résoudre ces problèmes, les concessions publiques ont été envisagées. Dans ce cas, l’Etat finance et construit l’infrastructure, mais délègue sa gestion à une entreprise privée. C’est notamment le cas aujourd’hui de certaines activités portuaires, des postes de pesage et de péage ou même de l’exportation de certaines matières premières agricoles.[5] Toutefois, les concessions ne sont pas non plus indemnes de tout problème. En particulier, elles transfèrent intégralement le risque lié à la demande ou au coût de l’Etat vers l’opérateur privé.

Sans titre

C’est donc pour mieux partager le risque que les PPP ont été développés. Au cœur de ce partage du risque se trouve les clauses de garantie qui comme leur nom l’indique, prévoient des compensations de l’Etat aux opérateurs privés lorsque les prévisions de cash flow sont affectées par des risques commerciaux imprévisibles. Ces risques peuvent être liés à une demande plus faible que prévue, ou à des coûts de production plus élevés que prévus.[6] Ce sont des facteurs qui peuvent à priori décourager les investisseurs étrangers dans la mesure où ceux-ci ont une maîtrise imparfaite de l’environnement économique des pays.

En même temps, l’Etat non plus ne maîtrise pas les risques commerciaux liés aux investissements dans les infrastructures. Typiquement, la prévision du trafic de passagers dans un aéroport ou sur un chemin de fer est difficile à prévoir surtout dans un contexte où le marché est très peu développé et où des évolutions technologiques peuvent apporter à court termes des choix alternatifs aux consommateurs. Par conséquent, les Etats qui s’engagent actuellement dans la signature de ces contrats de PPP risquent de se retrouver à payer des compensations pour des services qui ne sont mêmes pas rendus. Ce risque est d’autant plus élevé que les contrats sont signés dans des cadres réglementaires internationaux qui échappent au contrôle des Etats et dans un contexte où la corruption et la mauvaise gouvernance peuvent introduire des biais dans l’attribution et l’exécution des marchés.

Si l’on regarde de plus près, les PPP ont été initialement utilisés dans des pays comme la France et la Grande Bretagne qui disposent d’un marché assez développé et d’un cadre réglementaire fiable. Ces deux facteurs minimisent l’occurrence des risques liés à la rentabilité des projets de PPP. Par ailleurs, un autre facteur très important concerne le pouvoir de négociation entre les parties prenantes aux contrats PPP. Dans les pays suscités, ce pouvoir est plus équilibré que dans les pays en développement où le chiffre d’affaire des entreprises impliquées dans la signature des contrats de PPP dépasse souvent la moitié de leur PIB.

Une approche pour remédier à ces problèmes consisterait à mettre en place des organismes techniques régionaux chargés de l’examen et de la signature des contrats de PPP. Cette approche a le mérite de s’appuyer sur un marché plus vaste, ce qui lui confère un pouvoir de négociation plus élevé. En plus, elle permettra d’attirer les experts en analyse et négociation de contrats de PPP au service des Etats.

Georges Vivien HOUNGBONON


[1] Deux articles dont celui de Simel et de Foly analysent déjà en quoi les PPP peuvent être une option intéressante pour le financement des infrastructures.

[2] Le rapport “Infrastructures Africaines: Une transformation impérative” estime à 93 milliards de dollars US, le montant annuel des besoins de financement d’infrastructures en Afrique.

[3] On peut mentionner aussi les transferts d’argent des émigrés Africains dont le montant dépasse aujourd’hui l’aide au développement, i.e. les prêts concessionnels octroyés à des taux préférentiels par des pays développés.

[4] L’entretien des routes est de plus en plus confié à des prestataires privé qui se charge de collecter des droits de passage chez les usagers et d’assurer l’entretien des routes.

[5] Cette procédure se distingue bien de la privatisation, dans la mesure où l’opérateur privé n’est pas propriétaire de l’infrastructure.

[6] L’agence MIGA de la Banque Mondiale s’occupe généralement des risqué non commerciaux.

Faut-il des chefs d’Etats plus instruits en Afrique ?

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Les chefs d’Etats sont très souvent désignés comme responsables des performances économiques de leurs pays, car ce sont eux qui fixent les priorités en matière de politiques publiques et d’allocation des ressources financières publiques. Ce sont aussi eux qui signent les traités internationaux qui affectent la position relative de leurs pays par rapport au reste du monde. Une des raisons qui pourrait expliquer un lien entre le leadership politique d’un chef d’Etat et la performance économique de son pays pourrait être son niveau d’éducation. Si cela était vrai, alors l’Afrique serait le continent le mieux indiqué pour promouvoir l’accession au pouvoir de chefs d’Etats plus instruits. Cela tient du fait que jusqu’à une période très récente, c’est en Afrique qu’on trouve les chefs d’Etats les moins instruits, d’après le site internet Skyrill, qui recense le niveau d’éducation des leaders politiques à travers le monde. Mais comment sait-on si les performances économiques d’un pays dépendent de son chef d’État et plus particulièrement de son niveau d’éducation ?

C’est à cette question qu’ont répondu le chercheur Timothy Besley et ses coauteurs dans une étude publiée en 2011. De manière générale, les résultats de leurs travaux montrent qu’une partie de la croissance économique d’un pays est déterminé par le profil du chef d’État en exercice. Pour éviter que des chefs d’Etat spécifiques soient élus dans des conditions économiques particulières, ils étudient l’évolution de la croissance économique cinq années après le décès soudain d’un chef d’Etat dans plusieurs pays du monde. Ainsi, ils trouvent que la croissance économique est plus faible pendant les cinq années qui suivent la  mort inattendue d’un chef d’Etat.

Plus spécifiquement, cette baisse de la croissance économique diffère selon le profil du chef d’Etat, notamment son niveau d’éducation. En effet, Timothy Besley et ses coauteurs constatent que la baisse du taux de croissance suivant la mort d’un chef d’Etat est plus forte lorsque son niveau d’éducation est plus élevé, que ce soit un Master ou un Baccalauréat. Ainsi, le niveau d’éducation des chefs d’Etat est déterminant dans les performances économiques de leur pays. En particulier, l’étude montre que le passage d’un chef d’Etat ayant au moins un Master à un autre qui n’en possède pas fait baisser la croissance économique de 2.1 points en moyenne pendant les cinq années qui suivent cette transition.

Pour expliquer les mécanismes à la base d’un tel impact, d’autres chercheurs, notamment Luis Diaz-Serrano et Jessica Pérez ont examiné dans une étude publiée en 2013 le canal reliant le niveau d’éducation du chef de l’Etat à celui de la population. Comme on pouvait s’y attendre, l’exercice du pouvoir par un président plus instruit conduit à une nette augmentation du niveau d’éducation de la population. D’autres résultats indiquent que les dirigeants politiques ont tendance à mettre en place des politiques publiques qui correspondent à leurs propres préférences. C’est ainsi par exemple qu’en Inde, Chattopadhyay et Duflo trouvent que les élues féminines ont tendance à investir dans les infrastructures plus favorables aux femmes. De même, d’autres chercheurs trouvent que la mise en œuvre de réformes économiques favorables à la croissance et la maîtrise du taux d’inflation dépendent du niveau d’éducation des dirigeants politiques. Dès lors, l’impact du chef de l’Etat sur la croissance économique passe par l’alignement de ses choix de politiques publiques sur ses propres préférences qui dépendent en partie de son niveau d’éducation. Dans le cas de l’étude de Besley, c’est probablement la mise en œuvre de politiques efficaces qui est en jeu, car la période de cinq ans est assez courte pour que des investissements dans l’éducation puissent avoir un effet sur la croissance économique.

Dans le cas particulier de l’Afrique, les données ne permettent pas de vérifier si ces résultats s’appliquent effectivement au continent. D’un point de vue empirique, la situation est assez contrastée pour permettre de dégager des conclusions sans craindre que d’autres effets n’interagissent avec les observations. Dans certains pays par exemple, des docteurs en économie ou des professionnelles des questions de développement ont dirigés des Etats sans pour autant que les performances économiques n’aient été remarquables. Peut-être que la situation économique aurait été pire en leur absence ; nous en savons rien. Toutefois, les résultats de recherche présentés ci-dessous tiennent compte des différences entre les pays pour être applicables à l’Afrique.

Par conséquent, il faudra mettre en place des règles pour promouvoir l’exercice du pouvoir politique par des dirigeants bien instruits, idéalement ayant au moins un diplôme de Master ou équivalent. Une telle règle pourrait être par exemple que les candidats aux élections présidentielles, voire aux élections législatives, soient issus d’une primaire au sein de leurs partis politiques qui permettra d’abord de sélectionner le candidat le plus adapté aux attentes des populations avant même qu’il ne concoure à l’élection proprement dite. Si l’on considère le fait que l’Afrique a actuellement besoin d’augmenter sa croissance économique de 2 points pour doubler son PIB par tête en dix ans et réduire significativement la pauvreté, alors il importe surtout d’éviter le passage à des chefs d’Etats moins instruits que leurs prédécesseurs.

Georges Vivien Houngbonon

Pourquoi faut-il s’approprier le discours sur le développement de l’Afrique ?

une_croissance_inclusive_folyAujourd’hui, l’Afrique fait l’objet de prises de position sur son développement. Ces prises de position se font à travers un discours qui peut prendre plusieurs formes comme le témoigne la multitude de rapports, d’ouvrages et d’événements organisés au cours des dernières années d’abord pour décrire un continent sans espoir et ensuite pour la présenter comme un continent d’avenir. L’évolution du titre de la revue The Economist qui passe de « The hopeless continent » en 2000 à « The hopefull continent » en 2011 illustre le changement de paradigme dans le discours sur le développement de l’Afrique. Ce changement de paradigme, fondé sur des observations empiriques, ne met pas toujours en lumière les causes profondes des fortunes de l’Afrique. Pourtant, deux principales raisons militent pour une meilleure connaissance de ces causes afin de mieux accompagner le continent dans son processus de développement.

Il y a une demande de production d’idées pour éclairer les perspectives de développement de l’Afrique

En effet, le niveau de développement actuel de l’Afrique soulève de grandes questions auxquelles très peu de réponses ont été apportées, de sorte qu’il est difficile d’afficher un optimisme béat sans craindre un retournement de la tendance actuelle du progrès économique. Les taux de croissance sont certes élevés depuis plus de dix ans ; mais ils sont encore fortement liés aux termes de l’échange et donc de l’exploitation des ressources naturelles. Des progrès ont été enregistrés en termes de gouvernance économique et politique ; mais nous en savons actuellement très peu sur l’ampleur de ces progrès et la part de leur contribution à la croissance économique observée jusqu’ici.

Le maintien de cette dynamique de la croissance économique nécessite de lourds investissements dans les capitaux physiques tels que les équipements agricoles, les infrastructures énergétiques, hydrauliques et de transports. Dans le même temps, il est aussi nécessaire d’investir dans le capital humain à travers l’amélioration de la santé et de l’éducation des populations. Cette conjonction des besoins d’investissement soulève la question de savoir comment trouver les financements nécessaires à ces projets d’investissements et dans quelle proportion les allouer  aux investissements en capitaux physique et humain pour générer une croissance forte et inclusive. Il en est de même pour les dépenses dans le cadre des programmes sociaux tels que l’assurance maladie ou les transferts sociaux. La prise en compte du cadre de gouvernance politique, des contraintes réglementaires notamment sur le droit de la concurrence, de l’intégration régionale complexifie davantage l’analyse de ces questions. Par ailleurs, les réponses à ces questions requièrent la prise en compte de contraintes extérieures telle que le dérèglement climatique et la préemption de l’industrie manufacturière par la Chine.

Toutes ces questions sont posées dans un contexte particulier caractérisé par un niveau de vie moyen africain qui décroche par rapport au reste du monde et une augmentation du nombre de pauvres. Comme le montre le graphique ci-dessous, l’Afrique sub-saharienne est la seule région du monde ayant connu une baisse de son PIB par habitant relativement à celui des Etats-Unis. Alors que les autres régions en développement tendent globalement à rattraper le niveau de vie des pays développés, l’Afrique sub-saharienne décroche avec un PIB par habitant qui chute de 4% du PIB par habitant américain en 1960 à 2% en 2012.

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Source : Calculs de l auteur a partir des donnees du World Development Indicators de la Banque Mondiale.

Aussi, en dépit d’une légère baisse de la proportion de pauvres au cours des dix dernières années, le nombre de pauvres, quant à lui, a doublé en 30 ans, passant de 205 à 413 millions de pauvres entre 1981 et 2012. Contrairement aux autres régions en développement, l’Afrique sub-saharienne est là encore la seule région au monde ayant connu une augmentation du nombre de pauvres. En ce qui concerne les inégalités, les dernières estimations fournies par la Banque Africaine de Développement place le continent en deuxième position des pays les plus inégalitaires dans le monde après l’Amérique latine.[1] Il ne s’agit là que des inégalités de revenus. Nous en savons encore très peu des inégalités de patrimoines qui sont généralement plus fortes que les inégalités de revenus.[2]

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Source : Calculs de l auteur a partir des donnees du World Development Indicators de la Banque Mondiale.

Tous ces éléments placent l’Afrique face à un grand défi : celui d’assurer le bien-être de chaque composante de sa population dans un monde globalisé. Loin de l’afro-pessimisme des années 90 et loin aussi de l’afro-optimisme actuel, le think-tank L’Afrique des Idées (ADI) propose l’afro-responsabilité comme nouveau paradigme. Celui ci consiste à entamer une démarche de réflexion pour comprendre les défis auxquels font face l’Afrique afin d’œuvrer à ce qu’elle puisse les relever.

Contrairement aux décennies précédentes, il existe aujourd’hui des leviers pour satisfaire cette demande d’idées

Certes, il existe déjà des groupes de réflexions qui travaillent sur certaines des questions évoquées plus haut. Cependant, ces groupes restent à l’échelle nationale alors que la plupart des défis qui se posent aux pays africains dépassent les frontières nationales. Par exemple, les questions de développement économiques ne peuvent plus se poser à l’échelle nationale dans la zone CFA dont les pays partagent une monnaie commune depuis plus de 50 ans. L’approche nationale occulte très souvent la perspective régionale dans l’analyse des problématiques identifiées à l’échelle nationale. Typiquement, la gestion de l’environnement ne peut être appréhendée dans un pays, ou même une région, sans prendre en compte ce qu’il se passe dans les autres régions du monde. En outre, la plupart des initiatives nationales courent le risque de se transformer très vite en un mouvement de lutte pour le pouvoir politique, perdant ainsi de vue l’objectif initial qui est de rester une force de propositions de nouvelles idées indépendamment du processus politique en cours. Il s’agit donc d’un engagement strictement intellectuel qui vise une compréhension rationnelle des enjeux de tous ordres qui se posent à chaque pays africain.

Par ailleurs, le contexte actuel se prête bien à la déclinaison opérationnelle de l’afro-responsabilité. Il est caractérisé par un nombre plus important de jeunes africains qui vont étudier dans les meilleures universités. Selon les statistiques de l’UNESCO, le nombre d’étudiants africains en mobilité a augmenté de 40% en dix ans passant de 205 à 288 mille entre 2003 et 2012.[3] Cette accumulation de la connaissance a besoin d’être employée au service de la compréhension des défis de l’Afrique plutôt que de conduire principalement à accentuer la concurrence politique avec les conséquences que l’on observe actuellement dans certains pays africains. Cette dynamique de l’accumulation de la connaissance par les jeunes africains vient s’ajouter au stock de connaissances accumulé par les aînés et complétée par un nombre croissant de personnes originaires des pays développés qui s’intéressent à l’Afrique notamment lors de stage d’études.

C’est fort de ces circonstances que L’Afrique des Idées ambitionne d’opérationnaliser l’afro-responsabilité en s’appropriant le discours sur le développement de l’Afrique. Cette opérationnalisation s’est traduite par la réalisation d’études sur des sujets tels que la croissance inclusive, les choix de carrières des africains de la diaspora en Afrique et l’économie verte. En particulier, l’étude sur la croissance inclusive qui a déjà été présentée à l’Université des Nations Unies à Helsinki, vient d’être retenue pour être présentée lors de la conférence annuelle de la Banque Mondiale sur l’Afrique à Paris. De même, nos publications sur l’économie verte en Afrique ont fait l’objet d’une synthèse distribuée aux participants du Forum International sur le Green Business organisé par la Chambre de Commerce de Pointe-Noire. Parallèlement, L’ADI dispose d’une équipe de rédacteurs qui publient quotidiennement des articles d’analyse et des chroniques dans des domaines aussi variés que l’économie, la politique, la culture, le développement durable et l’histoire.

Georges Vivien Houngbonon, article initialement publié dans la Gazette du Golfe du Bénin (23 – 27 juin 2014)


[1] African Development Bank’s Briefing Note N°5: Income Inequality in Africa, 2012.

[2] Le Capital au 21ème Siècle, Thomas Piketty, 2013.

 

[3] Global Flow of tertiary-level students, UNESCO. Page consultée le 7 juin 2014 à 22h de Paris.

Perspectives démographiques : la question des deux milliards d’Africains

ECH20683031_1Il y a aujourd’hui deux chiffres encrés dans l’imaginaire collectif de ceux qui s’intéressent à l’avenir de l’Afrique : 5,2 % et 2 milliards. Le premier concerne le taux de croissance moyen du PIB de l’Afrique de 2003 à 2011 tel que publié dans les perspectives économiques de l’Afrique en 2012. Le second représente la projection de la population africaine à l’horizon 2050 faite par les Nations Unies la même année. Ces deux chiffres sont systématiquement repris dans les rapports, articles de journal et aussi par les économistes experts sur l’Afrique. S’il est vrai que davantage d’analyses remettent actuellement en question la réalité et la pertinence des 5,2% de croissance, on ne peut pas en dire autant sur les perspectives démographiques africaines.[1] Or, ces dernières présentent des défis qu’il faudra relever pour en faire de véritables opportunités économiques pour les consommateurs (populations locales), les investisseurs, et l’Etat.

Selon la plus récente révision de la projection démographique des Nations Unies, la population africaine devrait atteindre environ 2,4 milliards d’individus à l’horizon 2050 ; soit le double de la population africaine observée en 2010. Cette projection place l’Afrique au rang de la région la plus peuplée du monde loin devant la Chine et l’Inde. Cette situation présente d’énormes enjeux géopolitiques, mais nous nous focaliserons dans cet article plutôt sur ses enjeux économiques. Même si l’on gardait le même niveau de productivité économique, il suffira d’équiper chaque africain des mêmes outils de travail qu’aujourd’hui pour garder le même revenu par habitant.[2] Dans ces conditions, un doublement de la population est globalement équivalent au moins à un doublement de la taille du marché potentiel, voire du cash flow pour les investisseurs. Dès lors, il est tout à fait compréhensible que les perspectives démographiques de l’Afrique constituent un argument majeur dans les discours pour attirer les investisseurs.

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Source : Presentation graphique de l auteur a partir des donnees issues du World Population Prospects : The 2012 Revision de la division de la population des Nations Unies.

Toutefois, on peut mieux faire. Et cela passe par une augmentation de la productivité de toutes ces nouvelles cohortes qui viendront doubler la population africaine en 2050. Une approche pour y arriver consisterait à équiper les travailleurs africains d’outils plus productifs. L’adoption des nouvelles technologies de l’information ainsi que la construction des infrastructures de transport et énergétiques constituent des exemples concrets d’une telle approche. Cependant, cette approche omet jusqu’ici l’augmentation de la productivité « humaine » du travailleur ; qui dans certains cas est même nécessaire pour assurer l’utilisation des outils plus sophistiqués (productifs). Par conséquent, une amélioration de la santé des populations accompagnée d’une meilleure éducation s’avère nécessaire pour que les perspectives démographiques africaines soient bénéfiques à tous ; à la fois aux investisseurs, aux populations locales et en définitive à l’Etat.

Or, même si quelques progrès ont été enregistrés au cours des dernières décennies sur ces deux dimensions du développement humain, il n’en demeure pas moins que des défis plus importants restent à relever. Il ne s’agit pas ici de revenir sur des indicateurs classiques du développement humain comme l’espérance de vie à la naissance ou des taux de scolarisation, mais d’identifier plus précisément des leviers qui méritent d’être employés pour relever davantage la productivité des prochaines cohortes d’Africains qui arriveront sur le marché du travail à l’horizon 2050.

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Source : Presentation graphique de l auteur a partir des donnees de l Organisation Mondiale de la Sante.

Sur le plan de la santé, de récentes études ont confirmé l’importance des deux premières années qui suivent la naissance d’un individu. C’est le cas notamment de cette étude menée par le prix Nobel d’Economie James Heckman et ses coauteurs auprès d’enfants Jamaïcains sur l’impact d’un paquet de stimulations psycho-sociales qu’ils ont reçues pendant les deux premières années de leur naissance sur leurs salaires vingt années plus tard. Selon les estimations, il se trouve que cette intervention a permis d’augmenter leur salaire de 42% en moyenne. Cela démontre l’impact significatif que peut avoir une bonne nutrition et un bon environnement social durant les deux premières années suivant la naissance sur le bien-être futur des enfants. Or, aujourd’hui les statistiques sur la nutrition des enfants Africains ne sont pas vraiment reluisantes. Comme le montre le graphique ci-contre, 35% des enfants Africains de moins de 5 cinq ans souffraient d’un retard de croissance en 2010. Même si l’OMS prévoit une réduction de cette prévalence, elle sera toujours supérieur à 25% à l’horizon 2025 ; soit un enfant sur quatre.

Comme le mentionne l’UNICEF dans un récent communiqué de presse, le retard de croissance de l’enfant n’est pas qu’une question de taille. Il est un indicateur de ce que sera son état de santé et sa productivité à l’âge adulte. C’est aussi l’avis des neurologues selon lesquels le retard de croissance est lié à une absence de développement de certaines parties du cerveau dont dépendent les capacités cognitives de l’enfant. Malheureusement, une fois passée l’âge de cinq ans, cette absence de développement est irréversible, condamnant l’adulte à des capacités cognitives limitées. Par conséquent, il est nécessaire de prendre tout de suite des mesures pour éviter que les nouvelles naissances ne soient assujetties à ces carences dans l’avenir. Les enfants nés entre 2015 et 2030 auront entre 20 et 35 ans en 2050. Ils constitueront donc la cohorte des travailleurs les plus actifs sur le marché du travail en 2050.

L’autre défi auquel il faut s’attaquer est l’éducation. Là aussi des progrès ont été enregistrés comme le montre le graphique ci-dessous. La scolarisation au primaire est devenue presque universelle en 2012. La scolarisation au secondaire et au tertiaire ont légèrement progressé même si elle reste à un niveau faible, notamment pour le tertiaire. Les écarts entre les différentes courbes rendent comptent des taux d’achèvement très faible quoiqu’ils ne disent rien sur le parcours individuel des élèves.

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Source : Presentation graphique de l auteur a partir des donnees de l UNESCO

Plus important encore est le problème de la formation professionnelle et de son adéquation par rapport aux besoins du marché. L’exemple emblématique de ce problème est le fait que les jeunes Africains les plus éduqués ont généralement plus de chance d’être au chômage que ceux qui ont été moins ou pas du tout à l’école. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il faut obliger les étudiants à faire une formation professionnelle et les décourager à poursuivre de longues études. Au contraire, comme le montre cette récente étude du BIT conduite dans huit pays africains, les nouveaux diplômés qui finissent par trouver un travail sont mieux rémunérés lorsqu’ils ont des niveaux d’études plus élevés.

Ainsi, ce n’est pas le niveau d’éducation qui pose problème, mais plutôt le type d’éducation ; puisque c’est elle qui détermine les chances de trouver un emploi. Dès lors, il faut non seulement encourager la poursuite des études adaptées aux besoins du marché du travail ; mais également promouvoir leur qualité. Une manière d’y parvenir serait que l’Etat mette en place des programmes d’orientations professionnelles en partenariat avec le secteur privé pour les lycéens et subventionner les formations professionnelles qui répondent aux besoins du secteur privé. Une telle politique peut être financée par une taxe spécifique prélevée sur les entreprises. Une alternative, plus libérale, consisterait à encourager le financement des formations professionnelles par les entreprises privées en partie subventionné par l’Etat.

Cette analyse considère l’Afrique comme un tout alors que le diagnostic n’est pas nécessairement le même d’une région à une autre et même entre des pays d’une même région. Par ailleurs, l’on a souvent tendance à imaginer l’Afrique à la place de la Chine sur la base de ses perspectives démographiques. Cependant, 2 milliards d’individus sous la direction d’un seul Etat ne produit pas les mêmes résultats que le même nombre d’individus sous la direction de 54 Etats différents. Les conclusions de cet article méritent donc d’être contextualisées mêmes si elles sont suffisamment générales pour s’appliquer à une majorité de pays Africains.

Georges Vivien Houngbonon

Références :

Elder, S., Koné, K. S. 2014. Transition vers le marché du travail des jeunes femmes et hommes en Afrique Sub-Saharienne. Work for Youth N°10. Bureau Intenational du Travail

Gertler, P., Heckman, J., Pinto, R., Zanolini, A., Vermeesch, C., Walker, S., Chang, S., Grantham-McGregor, S. 2013. Labor Market Returns to Early Childhood Stimulation: A 20-Year Follow-up To An Experimental Intervention In Jamaica. NBER Working Paper Series.

Morten Jerven. 2013. Poor Numbers: How We Are Misled by African Development Statistics and What to Do about It. Cornell University Press

Perspectives économiques africaines, 2012. Centre de Développement de l’OCDE.

Progress shows that stunting in children can be defeated, Communiqué de Presse. Avril 2013. UNICEF.


[1] Voir les travaux de Morten Jerven sur la qualité des statistiques macroéconomiques africaines et les publications de la Banque Africaine de Développement, de même que l’étude menée par L’Afrique des Idées sur la croissance inclusive en Afrique.

[2] Nous faisons abstraction des inégalités dont on ne peut prédire à l’avance l’évolution.