Racism in North Africa

Morrocco is one of the rare countries that has valued its legacies in the Constitution and is proud of its mixed population of Arabs, Berbers, Sub-saharan Africans and Hebrews living together as different colors of a mosaic, said Jack Lang, President of the Arab World Institute in Paris in a recent interview. Although I want to believe that this is true, the recent events in Morocco leave me perplexed.

On the 29th August 2014, a street fight in Boukhalef (Tangiers) between Sub-saharan Africans and Moroccans armed with knives ends up in the brutal murder of 3 of them, one of them was Senegalese. This is only one aspect of the issues facing Sub-saharan African population living in Morocco. Others problems have arisen with the civil society and authorities. What are these issues ? Where do they arise from ? Is this a form of 'racism' ?

A temporary migration turning into a long-term situation

As a matter of fact, since a few decades now, Sub-saharan African migrants travel to Morocco to get to Europe. In Tangiers only, there are more than 1000 of migrants and 800 of them live in Boukhtalef.

They dream of a better life on the other side of the Mediteranean Sea but they have to struggle with the harsh reality of closed borders and end up staying in Morocco. What was supposed to be a short journey for them turns into a permanent and illegal situation. According to official statistics, there are at least 30 000 illegal immigrants in Morocco.

This issue is just a drop in the sea of problems that affect the country. No consistant immigration policy has yet been implemented. The illegal immigrants are rejected by the government and the civil society. The governement offers no solutions to help them and deports them from the country. In the Moroccan society, people are fearful and get defensive against these newcomers who have not gained the right to exist in the public space.

A brewing conflict between communities ?

Beyond the issue of legalisation of immigration, the Sub-saharan African people living in Morocco are rejected because of their identity.

Alcoholism, cohabitation, squatting are only some of the cultural traits associated with these immmigrants. These are the reasons why the population rejects them, especially property developers. This issue does not only concern the Sub-saharan African people. Any given immigrant population living in an islamic country is confronted to this rejection. How is this different then ? Well, maybe the colour of their skin makes it easier to think that they are culturally different too. Though, these accusations sound a lot like the racist speeches towards North African immigrants in Europe. This shows that a slight idelogical shift can bring back to surface the racism condemned elsewhere.

The integration of immigrants in Morocco and in Europe is not exactly the same. Morocco is a developing country and deals with a migration process that was not politically and economically planned and welcomed. North Africans and Sub-saharan Africans share a common identity. Morocco has hosted many festivals and exhibitions to celebrate this identity*. It is somewhat difficult to find a balance between on one hand, rightfully condemning racist acts and on the other hand, systematically stigmatizing a population for no reason. This does not help with the integration of the immigrants and the information that comes to us is not clear enough. That is why we should be very careful and make a difference between identity conflicts and criminal acts.

Racism, a Western issue ?

Some people reject this argument and think that racism just does not exist in their culture because the African identity is not at the heart of the political debate on the integration of immigrants in the Moroccan society. Others think that the debate on racism is just a result of Western ideology. All others issues such as women's rights, modern values, freedom and democracy are stifled by this strong and destructive ideology that crushes all public debate. Although Morocco has a long history of peaceful cohabitation between different religions, these expressions of inhumanity cannot be forgotten.

These recurring confrontations and the reactions they create prove that it is crucial to bring the issue of the integation of the Black community at the heart of the public debate. The legalisation will not be enough. It is important to implement an actual integration policy so that the Sub-saharan African immigrants gain a right to exist in the public space and psyche in North Africa.

*http://terangaweb.com/lafricanite-maghrebine-phenix-aux-plumes-noires/

Translated by Bushra Kadir

Un racisme maghrébin ?

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Manifestation contre le racisme (Rabat – 11/09/2014). Credit photo: AFP PHOTO/FADEL SENNA

 

 

Il y a peu, je me suis réjouie, à l’occasion d’une conversation avec  Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe de Paris, d’entendre dire que le  Maroc est un des rares pays qui valorise constitutionnellement ses héritages et arbore fièrement les couleurs de la mosaïque arabe, berbère, subsaharienne et hébraïque qui le compose.  Si je persiste à croire que tout cela est vrai, les événements dont le Maroc a récemment été le théâtre m’ont laissé un goût amer. 

29 août 2014, Tanger. Une bataille entre subsahariens et marocains portant des armes blanches dégénère dans  le quartier populaire de Boukhalef. Le bilan est de  3 morts, l’un d’eux, sénégalais, a été sauvagement égorgé.  Plus inquiétant encore, ces événements  sortent des profondeurs d’autres informations concernant les problèmes rencontrés par les populations subsahariennes vivant au Maroc, aussi bien avec  la société civile qu’avec les autorités. De quels problèmes est-il exactement question ? De quoi découlent-ils ? Le terme racisme est-il réellement pertinent ?

Une migration transitoire qui finit par s’inscrire dans la durée.

Revenons-en au contexte des faits. Depuis quelques décennies maintenant, le Maroc connait une migration transitoire en provenance d’Afrique subsaharienne, en direction de l’Europe. A elle seule, la région de Tanger compterait plus d’un millier de migrants subsahariens, dont environ 800 résidant dans le quartier Boukhalef.

Rêvant d’une vie meilleure de l’autre côté de la Méditerranée, ces migrants africains se heurtent à la réalité des frontières hermétiques et finissent par jeter l’ancre au Maroc. Ainsi, une migration, qui était initialement transitoire, finit par s’inscrire dans la durée en imposant, d'elle même, la question de la régularisation des sans-papiers. D’après les chiffres officiels, le Maroc compterait au moins 30.000 sans-papiers sur son territoire.

Ce qu’il ne faut pas oublier est que cette problématique n’est qu’une goutte d’eau parmi toutes celles qui agitent le pays et qu’aucune politique d’immigration claire n’a, jusqu’ici, été mise en place. Les sans-papiers sont donc doublement rejetés, pris en étau entre un gouvernement qui les délaisse – quand il ne les expulse pas – et une société civile dont les réflexes sécuritaires se déclenchent au contact de cet élément nouveau qui n’a pas politiquement obtenu « droit de cité » dans l’espace public.

Un conflit latent entre les communautés?

Mais, plus que le problème de la régularisation, ce qu’il y a d’alarmant, dans la situation des subsahariens en terre marocaine, est le caractère identitaire sur lequel se base le double rejet que nous évoquions précédemment. 

« Alcoolisme, concubinage, squattage », cette énumération, loin d’être exhaustive, regroupe cependant certains des traits culturels prêtés aux populations subsahariennes et constituant le principal argumentaire du rejet de la population civile – les promoteurs immobiliers, par exemple. Le problème est que la liste en question ne semble nullement exclusivement imputable aux migrants, ce sont des problématiques récurrentes pour toutes les personnes qui ne sont pas insérées socialement, y compris dans les pays musulmans. Quelle différence alors ? La différence est qu’ils sont noirs, et que, par facilité, on préfère mettre cela sur le dos de leur culture.  Ce qui est curieux, c'est que ces accusations semblent familières. Elles rappellent étrangement les propos racistes tenus envers les maghrébins en Europe. Il suffit donc d’un léger décentrement idéologique pour faire resurgir un racisme qu’on condamne pourtant furieusement chez le voisin.

Pour autant, le parallèle avec l’intégration des maghrébins en Europe a des limites. Le Maroc, pays en voie de développement, hérite en effet a posteriori d'une immigration qui n'a pas été politiquement et économiquement programmée et qui ne le visait pas initialement. Aussi, le Maghreb et l'Afrique subsaharienne partagent une identité commune dont le Maroc s'est récemment mis en quête en la célèbrant dans des festivals et autres expositions, je vous en parlais ici.  L’exercice périlleux consiste, en fait, à trouver un juste milieu entre la dénonciation légitime des actes racistes et l’évocation systématique de l’identité des subsahariens même lorsque ce n’est pas justifié. En effet, cette attitude contribue paradoxalement  à essentialiser cette population dans son identité d’étranger et dessert le processus d’intégration plus qu’autre chose. C’est pourquoi il est nécessaire de faire preuve de beaucoup de vigilance quant aux informations rapportées, ici et là, et veiller à ne pas confondre délinquance et conflits identitaires.

Le racisme, un débat occidental ?

D’aucuns poussent, cependant, le raisonnement précédent jusqu’à dire que le racisme est tout bonnement étranger à notre culture, justifiant, par un habile tour de passe-passe, l’absence d’évocation de la composante identitaire africaine dans le débat politique comme l’indice de l’assimilation tacite de cette population dans le creuset maghrébin. Ici et là, certains s’emparent ainsi de l’occasion pour voir, dans le débat sur le racisme, l’importation d’une problématique occidentale. Cet argument de base, d’un dogmatisme puissant et annihilateur, est valable pour tous les sujets qui posent problème (la femme, la modernité, la liberté, la démocratie…) et se révèle somme toute assez pratique pour faire avorter toute velléité de débat public. S’il est vrai qu’il faut tenir compte de l’histoire du Maroc, où les populations d’origine et de confessions diverses ont longtemps cohabité en paix, et se garder d’établir des parallèles avec un Occident dont l'immigration résulte d'autres facteurs ; on ne peut cependant pas fermer l’œil sur de telles expressions de barbarie. 

Ce que prouvent ces affrontements récurrents et les réactions qu’ils provoquent est qu’il est urgent d’intégrer la communauté noire comme un élément du débat politique. La régularisation ne suffit pas, une vraie politique d’intégration s’avère nécessaire.  Cette dernière permettrait d’inscrire politiquement les subsahariens dans l’espace public, leur donnant ainsi un  « droit de cité » qui les fait exister aussi bien dans l’espace, d’apparition, public que dans la psyché maghrébine.

L’africanité maghrébine, un phénix aux plumes noires

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Credit photo: CPA Maroc Casablanca – Les Guinaguas (23851).

Il y a de cela un mois, je me suis embarquée dans une aventure singulière. J’ai décidé de partir à la recherche des  ponts entre l’Afrique et le Maghreb. Subjuguée par la poésie d’Al Fayturi, qui a déclaré son amour pour l’Afrique en arabe, j’ai continué de voguer à la recherche des liens entre les rives du Sahara. C’est bien un océan inexploré qui s’est déployé devant mes yeux.

Aux origines du refoulement

Lorsqu’on s’aventure à évoquer les origines africaines des Maghrébins, on se heurte souvent au silence. Il y a longtemps eu, en effet, un véritable silence juridico-philosophique à l’égard de ce sujet. La particularité du silence c’est qu’il a deux interprétations possibles. On peut le voir comme l’indice de l’assimilation tacite de cette population dans le creuset maghrébin. Mais, face à un tel silence, il est également légitime de s’interroger sur le degré  d’intégration  de l’« identité noire » à la définition des identités nationales maghrébines. 

Parmi les raisons qui expliquent ce mutisme figure la traite négrière transsaharienne, à laquelle nombre d’historiens se réfèrent pour justifier la présence de Noirs au Maghreb et qui explique le registre tabou de l’évocation de ces racines. L’esclavage est donc un impensé qui empêche l’expression de l’ancrage africain de l’Ifriqiya nordique et des Touareg.  Mais il y a pire encore. Malek Chebel explique que la machine de déshumanisation ontologique sur laquelle repose la traite continue d’être entretenue par ce qu’il nomme « l’esclavage de traîne ».  En effet, de par le racisme dont ils font l’objet, les descendants des esclaves portent sur leurs épaules le fardeau de leur propre histoire et sont relégués à un délabrement anthropologique et sociologique. 

Mais si la blessure historique de l’esclavage explique, en partie, ce désintérêt relatif pour nos racines africaines, d’autres facteurs sont également à prendre en compte. A l’heure où les revendications d’indépendance gagnaient en vigueur, le mouvement panafricain prônait plus l’union contre le colonisateur que la véritable recherche des liens communs entre les « Afriques ». Il n’est donc pas étonnant qu’au festival panafricain de 1969 à Alger, Houari Boumediene ait préféré à l’idée de « négritude » et de « patrimoine culturel commun », celle, plus obscure et distante de  « communauté de destin ». 

Dans Noirs au Maghreb, enjeux identitaires, Stéphane Pouessel attribue la dissolution progressive de l’africanité et de la culture maghrébine au « transfert symbolique et culturel » qui a conduit le Maghrébin à adopter le panarabisme en se définissant « comme acteur dans les luttes anticoloniales, anti impérialistes et antioccidentales ». Il soutient qu’ « à travers le prisme palestinien, le mythe politique d’une identité arabo-musulmane, qui se traduit par la « solidarité infaillible » entre peuples arabes ou partiellement d’origine arabe, s’est transformé en composante identitaire ».

Cependant, il ne faut pas négliger les causes externes dans l’analyse de ce silence. En effet, les puissances coloniales et néocoloniales, ont, en partageant l’Afrique, rendu difficile la tâche de création d’un sentiment d’appartenance continental.  A cela vient s’ajouter l’influence de la vision européenne de l’Afrique qui imprègne des élites maghrébines éduquées à la française et nourries au pain de l’imaginaire colonial. 

Pour finir, les berbères  investissent souvent le terrain africain pour revendiquer une identité par opposition à l’élément arabe et contribuent ainsi à reléguer la cause africaine au second – voire troisième – plan.

Tous ces facteurs concourent donc à rendre rare une évocation de l’Afrique au Maghreb qui ne soit pas mue par des intérêts politiques ou économiques. Rares sont également les célébrations désintéressées de ce patrimoine culturel commun.

Un phénix aux plumes noires

Cependant, ces dernières années ont vu naître au Maghreb la projection d’un débat nord américain interrogeant le devenir des africains en terre maghrébine.  Cette redécouverte de l’africanité du Maghreb a néanmoins revêtu des visages différents selon les pays.  Quasi chassée en Algérie, tout juste tolérée au Maroc et en Tunisie jusque dans les années 80, l’intégration de la diaspora africaine s’est heurtée à des difficultés.

En Algérie, la politique bureaucratique et uniformisante menée sous Boumediene a aboli les particularités culturelles de cette population au lieu de s’en enrichir.

Au Maroc, en revanche, ces descendants d’esclaves réunis en confréries religieuses ont réussi à acquérir un réel pouvoir dans la société. Ils se sont imposés subtilement, notamment par la musique, en devenant « l’exutoire du peuple ; et en développant un état d’esprit moqueur  et lucide » [1]selon les dires de Fuzia, fille d'un célèbre maâlem (maître) marrakchi qui organise des rituels pour le roi.

Les Orphées africains

Si le Maroc s’est récemment mis en quête de sa part d’africanité refoulée en la célébrant à l’occasion de festivals comme ceux d’Essaouira (Festival Gnawa) ou de Fès (Festival des musiques sacrées), cette part musicale d’origine africaine existe dans bien d’autres territoires maghrébins.  Qu’elle soit occultée, refoulée ou redécouverte, la dimension africaine est une composante des sociétés maghrébines qui n’est pas enseignée à l’école et peu présente dans les réflexions historiques mais qui imprègne plus subtilement gestuelle, musique et cuisine. Au Maroc, les « pratiques musicales rituelles, initiatiques, divinatoires et thérapeutiques des gnaouas combinent, en un ensemble harmonieux, les apports culturels  de l'Afrique Noire, au Sud, ceux de la civilisation arabo-musulmane venue de l'Est et des cultures berbères autochtones ». [2]  Selon Bouazza Benachir, la généalogie des gnawas montre qu’ils étaient d’abord le fait des seules populations afro-maghrébines issues de l’esclavage avant de devenir syncrétiques en se greffant sur les blancs – par l’entremise des femmes notamment –  dont les systèmes de croyance et la religion étaient différents.

Les activités des gnaouas sont polymorphes et variées mais elles culminent dans le rite de possession appelé derdeba qui fait entrer en transe les adeptes de la danse et convoque même les créatures surnaturelles que sont les mlouks.

Ce rite, orchestré par des musiciens et des voyantes-thérapeutes, présente des ressemblances coutumières et rythmiques – rythmes ternaires superposés sur une structure binaire de fond – avec de nombreuses autres traditions musicales au Maghreb, en Afrique et même par-delà l’océan Atlantique.  

De là, la théorie veut que l’Ethiopie, berceau de l’archétype le plus ancien de cette musique (le zar), soit l’origine commune de ce rituel d’exorcisme par la transe partie d’Abyssinie pour se disperser sous diverses formes à travers l’Afrique : stambali en Tunisie, bori en haoussa au Niger, diwan en Algérie, gnaoua au Maroc, shona  au Zimbabwe et jusqu’aux Caraïbes et en Amérique (ocha, vaudou haitien, macomba, condomblé brésilien).

Ces rituels singuliers redécouverts au Maghreb sont une métaphore vivante de la négritude version nord-africaine. Les orphées noires qui ont inventé le blues et le jazz outre-Atlantique ont des frères maghrébins qui chantent la fusion de l’Afrique, l’Islam, la culture maghrébine et la berbérité sur un harmonieux fond de percussions. Le phénix maghrébin, en assumant pleinement  les plumes noires qui participent à sa richesse syncrétique, pourra faire revivre ses multiples héritages et faire accéder les populations à la connaissance d’elles-mêmes.

A cet égard, je ne saurais mieux résumer l’intérêt philosophique de cette quête identitaire qu’en citant Bouazza Benachir qui lui-même cite Descartes: « cogito ergo sum  : je pense donc je suis . Or, pour exister, encore faut-il que je veuille penser mon impensé ». Cet impensé se nomme « Afrique ».


[1] Propos recueillis à l’occasion d’une interview pour l’express international – Issues 2504 – 2517

 

 

[2] D’après l’ouvrage de Abdelhafid Chlyeh : Les gnaoua du Maroc : itinéraire initiatiques, transe et possession

 

 

Le mariage entre arabité et africanité

afrique_maghrebSi vous avez, un jour, jeté l’ancre au « Nouveau Monde » –  pour y étudier, vivre ou simplement visiter – vous avez forcément connu la joie des interminables questionnaires administratifs dont il faut noircir les cases, en répondant à des questions d’une indiscrétion déroutante. Mais à moins d’appartenir  à un pays d’Afrique du Nord, vous n’avez sans doute pas eu à vous poser de questions existentielles tant l’automatisme auquel invite ce type de procédure est rébarbatif et ennuyeux. Jamais je n’aurais imaginé, moi-même, que le questionnement qui a suivi ma longue hésitation entre la case « Middle Eastern » et « African »  dans la catégorie « Ethnicity » suscite, chez moi, autant de remise en question.

Evidemment je saisissais le découpage géographique sur lequel repose cette distinction de races approximative, bien américaine.

Cependant, ma peine à m’identifier pleinement à une catégorie ou à l’autre soulevait d'autres questions, qui se faisaient de plus en plus présentes à mon esprit et jaillissaient de mon expérience personnelle au Maroc.

Comment, en tant  que marocains vivons-nous notre appartenance à ce continent ? Y-a-t-il des ponts entre les cultures Nord Africaines et Subsaharienne ? N’y a-t-il pas plus qu’un lien purement géographique entre le Maroc – et peut être, plus largement le Maghreb – et l’Afrique au sens large ? Quels sont les rapports entre arabité et africanité sur ce continent? Comment cultiver ce sentiment d’appartenance diffus et nébuleux ? 

Je précise d'avance, que je ne compte pas, ici, apporter de réponse à toutes ces questions – ce serait bien trop ambitieux en quelques lignes. J'ai donc plutôt décidé de prospecter régulièrement ces relations renaissantes et fragiles qui émergent petit à petit et visent à cimenter le sentiment d'africanité.

C’est ainsi que j’ai atterri, dans cette quête confuse du pont entre mon pays et le reste de l’Afrique, sur des sources abordant des sujets aussi éclectiques que les ponts spirituels qui relient le Nord et le Sud de Afrique, les partenariats économiques signés entre ses différents acteurs ou la stratégie politique du Maroc dans la zone subsaharienne. Autant dire que cela ne m’avançait pas beaucoup pour cerner les contours de cette nébulosité  de nature culturelle que j’évoquais précédemment.

Puis, au fil des pages parcourues, je suis tombée sur des mots qui ont eu, pour moi,  l’effet d’une révélation. Aurais-je du noircir la case « African » sans plus hésiter ? C’est en tout ce cas ce qu’aurait fait Mohamed Al Faytouri avec enthousiasme. 

 

أنا زنجي
قلها لا تجبن 
قلها في وجه البشرية 
أنا زنجي 
وأبي زنجي الجد 
وأمي زنجية
انا اسود
اسود لكني حر امتلك الحرية 
ارضي افريقية
عاشت ارضي 
عاشت افريقية

 

“Ana Zinji” – Je suis nègre

"Je suis nègre"

Affirme-le avec fierté

Dis-le à toute l'humanité

Je suis nègre

Le père de mon père est nègre

Ma mère est nègre

Je suis nègre mais je suis libre et j’éprouve ma liberté

Ma terre est Afrique

Vive ma terre!

Vive l’Afrique!

 

(Al-Fayturi 1979a: 80, appendix 6) d’après ma propre traduction

 

Mohamed Al FaytouriCette délicieuse poésie, révoltée et fière, est celle de Mohamad Al Faytouri, poète d’origine Soudanaise naturalisé Libyen, né à Alexandrie et ayant vécu en exil dans différents pays arabes. Autant dire qu’il est, à lui seul, le reflet d’une Afrique plurielle, ouverte et décloisonnée.

Mais ce qui m’a frappé dans ces vers indignés, c’est qu’ils consacrent l’arabité par la forme, mélodieuse et cadencée, et l’africanité par le fond, ardent et révolté. Au confluent d’une variété de cultures qu’il aime à faire converger par la plume, ce nationaliste arabe engagé ne se laisse pourtant jamais tenter par une vision nivelée ; relativiste et faussement unitaire.

Il célèbre la négritude en invitant à l’insurrection mais sépare la défense de cette cause des autres qui lui tiennent à cœur – la question palestinienne par exemple – et qu’il aborde dans ses autres recueils.

La beauté de sa poésie réside justement dans sa volonté de tisser un rapport triangulaire entre langue, religion et identité.  Se considérant « petit, noir et laid », il vivait en effet une tragédie personnelle qui a donné toute sa couleur à sa poésie et l’a orientée vers une révolte identitaire poignante.

Ainsi, le malaise existentiel et le sentiment d’exil qui émanent des vers sanguinolents de cet écorché vif illustrent-ils la difficulté structurelle de cette quête identitaire.  Mais triompher de cette difficulté est précisément ce que recherche le poète et c’est cela même qui habille sa poésie d’une fierté singulière, jaillissant de sa communion avec la nature. Les vers suivants en sont un bon exemple :


ها هو ذا الطوفان الاسود
يعدو عبر السد الصخري 
ها هي ذي افريقيا الكبرى 
تتألق في ضوء الفجر


Et voilà que s’abat le déluge noir

Submergeant les digues rocheuses

La voilà la grande Afrique,

Flamboyante aux premières lueurs de l’aube


(Al-Fayturi 1979a: 80, appendix 6) d’après ma propre traduction

 

Les frontières  culturelles, économiques, ethniques et linguistiques expliquent pourquoi les échanges entre « les Afriques » peinent à s’établir et on ne peut minimiser le rôle que joue la blessure historique de l'esclavage dans ces "digues" érigées. Les ponts qui se créent devraient donc davantage s’ancrer dans une reconnaissance identitaire mutuelle qui consacre ce qui  rassemble ces zones au lieu d’insister sur ce qui les sépare. 

Penser, en tant qu’arabes,  l’Afrique loin des clichés stéréotypés ou des ramifications racistes, c’est cela que permet la poésie d’Al Faytouri.

Ce sera, pour moi, le premier jalon dans ce voyage à la recherche des liens entre l'arabité et l'africanité.

A suivre… Ici

Hajar Chokairi