Daniel dans la fosse aux lions

Declaration-Primature-duncan-kablanPauvre Daniel Kablan Duncan! La dernière tournée du premier ministre ivoirien l'a mené à Paris, où il s'est même exprimé devant les étudiants de Sciences Po (les lecteurs habituels de Terangaweb retrouveront pas mal de visages familiers dans le reportage de la RTI sur cet évènement). Les banalités d'usage si j'ai bien compris, sur la croissance revenue, l'espoir rétabli, la paix qui ne viendra pas au détriment de la justice. Oui! Oui. On sait.

Le site de la primature reprend les données développées par le premier ministre, pour quiconque à la patience de les consulter. Je ne compte pas discuter longtemps la vraie-fausse polémique sur le vrai-faux cafouillage qui aurait eu lieu durant cette intervention. Divers sites ivoiriens mantiennent que la conférence a été perturbée par des "pro-Gbagbo". Informations démenties par les organisateurs de la conférence. Ce qui n'empêche personne de récupérer cette "information" ("une info+un démenti =deux scoops", après tout) comme il l'entend, soit pour condamner la barbarie "des" partisans de Laurent Gbagbo, soit pour se féliciter de cette heureuse interruption. Les Ivoiriens sont de plus en plus pénibles.

De tout façon, la vraie fosse aux lions dans laquelle DKD est plongé ce n'est pas celle vers laquelle trois agités ont voulu le rabattre à Paris. C'est la spirale d'esquives et d'insincérités que sa position lui impose. Ni durant cette conférence, ni durant aucune des interviews que Duncan a accordées par la suite, ni nulle part ailleurs la question de la "justice des vainqueurs" n'a obtenu de vraie réponse. L'excuse standard dont il use et abuse est la même "le temps de la justice n'est pas celui de la politique". Il l'a ressortie à Christophe Boisbouvier de RFI, qui n'a rien trouvé à redire.

Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire? Qu'est-ce que ça peut signifier quand aucune, absolument aucune des personnalités proches du régime actuel n'a eu à répondre d'aucun des crimes dont elles sont accusées? Quelle idée Daniel Kablan Duncan se fait-il de ses interlocuteurs, quand il prétend que rien de cela n'est politique? Vraiment?

Saint Daniel. Ni vu, ni connu. Innocent et honnête comme d'habitude. Daniel Kablan Duncan a beau avoir été en charge des finances ivoiriennes sous Ouattara (alors 1er ministre d'Houphouët-Boigny) pendant que ce pays passait sous les fourches caudines du FMI. DKD n'y est pour rien. Il était bien en place quand les "privatisations" servaient à brader les joyaux de la couronne et quand les barons du PDCI se remplissaient les poches. Daniel Kablan Duncan, ministre des finances puis premier ministre n'a rien vu, rien entendu. Il était là lorsque son propre parti insinuait le virus de la haine et de l'ivoirité dans l'ADN de ce pays. Daniel n'y pouvait rien. Il ne savait rien, Daniel. Il travaillait.

Aujourd'hui Daniel Kablan Duncan est de retour à la primature. Et il n'y est toujours pour rien. Les "enquêtes" sont en cours. La "justice viendra". Il ne manque plus que "chaque chose en son temps" et "qui vivra verra" pour que la boucle soit bouclée.

La Côte d'Ivoire est sur la bonne voie selon son premier ministre. C'est une bonne chose. Comme disait George Constanza : "ce n'est pas un mensonge, si tu y crois vraiment".

 

Juste une femme

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Dans notre époque de liberté et d’égalité (celle d’Obama et du porno gratuit, si l’on veut), exiger un traitement différencié et préférentiel pour une catégorie de la population est un signe d’arriération. La marque distinctive du has-been est de penser que les Femmes (toujours avec une majuscule, évidemment) doivent être protégées et respectées. Après tout, une femme est un homme comme un autre – qui fait juste pipi assis.

L’élégant Jean-luc Raharimanana dans "Enlacement(s)" son dernier recueil de poèmes rappelle admirablement que le « rôle » d’une femme est de « recommencer le monde ». C’est peut-être une référence au poème de Kipling « la femelle de l’espèce » (1911) : « (…) de peur que les générations ne viennent à manquer/ La femelle de l’espèce doit être plus meurtrière que le mâle. / Elle qui affronte la mort dans la torture avec chaque vie en son sein / Ne peut se permettre le doute ou la pitié ».

 Aujourd’hui, même les intentions les plus « nobles » n’y peuvent rien : associer des termes aussi désagréables que « rôle » ou « place » à la gent féminine est l’affaire d’un goujat ou d’un réac. J’écrivais dans « la terre de nos pères » que notre génération n’avait hérité que de la révolution sexuelle et des ONG (« godemichets et Bernard Kouchner » pour faire court). Je n’ai hélas pas assez insisté sur l’ampleur du phénomène. La libéralisation a tourné au libertinisme, au tout-érotique et au tout-sexuel. S’en étonner, ou pire s’en offusquer est du plus mauvais goût. L’heure n’est pas loin où les cours d’éducation sexuelle incluront une séance de masturbation surveillée.

Ces deux courants, égalitarisme exacerbé et banalisation de la sexualité, vont désormais de pair. Pour protester contre les violences faites aux femmes et l’érotisation extrême de leur corps, il est désormais tout à fait acceptable que des femmes manifestent… à moitié nues dans des Eglises. On est prié d’applaudir lorsqu’une « grève du vagin » est organisée, parce que leur sexe est évidemment l’arme la plus puissante dont elles disposent. La prostitution devient elle aussi « un boulot comme un autre. » Des gens autrement sérieux, se posent sérieusement la question : « qu’est-ce qui est pire, en fin de compte être un enfant de putain ou le père d’une putain ? »

Et n’allons pas croire que tout cela n’est qu’une autre manifestation de la « décadence de l’Occident ». C’en est peut-être une, mais il ne s’agit point d’un phénomène seulement occidental.

On peut rire en se rappelant que l’Eglise catholique avait condamné le Tango, danse sexuelle diabolique comme chacun sait. On peut aussi rire, si on y tient vraiment, en voyant l’éclosion du « Surra de Bunda » au Brésil ou du Daggering en Jamaïque, du Kuitata et du Boboraba en Côte d’Ivoire. Ou pleurer. Qui bronche et conteste ce rabaissement des femmes est aussitôt confronté à un faux dilemme : c'est ça ou le retour au système de mariages forcés ? Non? Alors vogue la galère ! Femmes libérées, camarade ! Yé vivé ! La chirurgie esthétique et les pilules amaigrissantes font fureur dans le Nord. Au Sud, le Tia Foin, les vitamines grossissantes, les injections de botox dans les fessiers, le khessal, tout est bon ! Si d’une petite voix on rappelle qu’en Mauritanie les mêmes résultats sont obtenus par le gavage des jeunes filles, le malappris est prié de quitter la salle.

C’est dans l’air du temps. Foin de puritain et de tartufes. Tout est désormais autorisé. Jeune Afrique peut même publier l’affiche de l’agence de communication ouest-africaine « Voodoo ». Qu’est-ce qui peut bien choquer dans le fait de montrer une femme nue, à quatre pattes, le cul en l’air, une queue (de lion) pendant de sa bouche ? Qu’est-ce qui peut être choquant dans ça ?

C’est juste une paire de fesses qui n’en a jamais vu ? C’est juste une femme qui gagne sa vie, qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? C’est juste un journal qui reprend une réclame, qu’est-ce qui est criminel là ? C’est une photo comme une autre. Pas grand-chose. Oui, c’est vrai. Après tout : "ce n'est rien, c'est une femme qui se noie." Juste une femme…

 
Mise à jour : l'article a été mis à jour le 17 avril 2013.

 

Le premier jour du reste de la haine

120413ReportagePhoto2-271_179Mark Anthony : "Listen. Why so quiet? A tyrant is dead. Surely the people should be happy? Where is the cheering throng at your door? Where are the joyful cries of "Liberty"?"

Rome, HBO, 2005


Jusqu'à ce jour, la logique derrière l'offensive d'Ansar El Dine et des autres mouvements islamistes vers le Sud du Mali, en février dernier, m'échappe complètement. J'imagine bien que l'objectif officiel était de prendre le contrôle du pays et d'y imposer la Charia. Soit. (Rêver est un droit fondamental : j'espère bien devenir un jour le fils de Dieu, mais je me garde bien de le dire devant des enfants) Mais aussi désorganisée qu'ait été l'armée malienne, et aussi lente que la CEDEAO ait pu être, je ne peux pas croire une seule seconde que ces groupes islamistes aient vraiment pensé l'emporter.

Peut-être que le but était de provoquer une intervention de l'armée française qui légitimerait la lutte contre les "infidèles", comme cela avait été le cas en Somalie. Peut-être qu'une telle action était nécessaire pour remobiliser les jeunes recrues que la vie dans le Nord occupé commençait à ennuyer.

Quoi qu'il en soit et quelle qu'ait été la logique sous-jacente, la stratégie pèche sur un point essentiel : que faire le lendemain de la victoire? Même si les islamistes l'avaient emporté militairement et si aucune force étrangère n'était intervenue, que comptaient-ils faire des populations civiles? S'imaginaient-ils un instant qu'il suffirait de s'assurer un contrôle militaire sur une zone pour que l'affaire soit dans le sac?

La même question se pose, sous une forme légèrement différente, en Côte d'Ivoire.

pb-110411-simone-gbagbo-2p-photoblog900Avant avril 2011 et l'assaut sur la résidence présidentielle occupée par Laurent Gbagbo, personne n'avait exercé autant de pouvoir dans ce pays que ne le fait aujourd'hui Alassane Ouattara. Ni Houphouët-Boigny dont les desiderata étaient cahin-caha contenues par le contexte historique et les nécessités du système de patronage ethnique et politique qu'il avait instauré. Ni Robert Guéï trop dupe et mal conseillé pour savoir s'en servir. Ni Laurent Gbagbo qui au cours de la décennie qu'il passa à la tête de l'Etat n'eut jamais de majorité parlementaire, ni le contrôle total sur les forces armées, ni même un premier ministre de son choix, la plupart du temps.

Aujourd'hui, seul, Alassane Ouattara peut ordonner le renvoi du premier ministre de consensus issu des rangs du second parti de la majorité et ancien parti au Pouvoir, le PDCI, sans subir le moindre coût politique. Il peut ordonner la libération au compte-goutte des leaders de l'opposition (détenus parfois dans des conditions d'insalubrité et de brutalité infra-humaines), selon ses besoins politiques; il peut promettre à tel ou tel ex-adversaire politique qu'il peut rentrer en toute quiétude sans être questionné par la justice, tout comme il peut faire arrêter tel autre par Interpol.

Même la presse – médiocre et partisane comme elle l'a toujours été – vit aujourd'hui sous un sorte de toiture électrifiée. Des pressions ont toujours été exercées sur elle, mais aujourd'hui ces pressions là ont un ton plus légaliste que jamais. Et vu "l'indépendance" de la justice, plus effrayant encore.

Au plus fort du pouvoir de Laurent Gbagabo, il était contraint de faire avec une rébellion, un pays divisé, une armée infiltrée de traîtres et d'agents étrangers, et un premier ministre de consensus ou issu de cette rébellion. Aujourd'hui, Alassane Ouattara dispose légalement de l'autorité suprême sur les forces armées légitimes et sur celles issues de la rébellion – toutes amalgamées maintenant dans cette sorte d'armée mexicaine comptant presque autant d'officiers que de caporaux.

Tout le monde a oublié aujourd'hui les raisons invoquées en septembre 2002 pour justifier la tentative de coup d'état devenue rébellion et rupture de l'intégrité territoriale du pays. Qui se souvient encore que deux réformes essentielles avaient été exigées, celle du code de la nationalité et celle de l'accès à la propriété terrienne? Plus de dix ans sont passés, après tellement de morts, de destruction, de brutalité et de haine, personne ne sait ni quand, ni comment ces réformes seront introduites.

La presse s'est focalisée sur les haines entre travailleurs immigrés et paysans autochtones dans l'Ouest du pays. Mais les grands propriétaires terriens ne sont pas à Guiglo, Duekoué ou Man. Ils sont à rechercher parmi les militants traditionnels et les sponsors du PDCI. Les bénéficiaires des concessions minières ne sont pas à chercher au sein des populations martyrisées du grand-ouest, ou parmi les enfants d'Abidjan privés d'éducation, de soin et de leur future par dix ans de conflit.

h-20-2463751-1302610455Vu l'état des antagonismes dans ce pays, qui croit encore qu'une réforme du Code de la nationalité suffira à les faire disparaître? Ou qu'il suffira d'une baïonnette et d'une carte d'identité pour que les discriminations et murmures désapprobateurs d'hier, et les vraies haines bien endurcies d'aujourd'hui s'effacent?

Ceci me ramène à la question de départ : lorsqu'en 2002 Soro Guillaume, ses amis, ses soutiens lançaient l'offensive sur Abidjan, qu'espéraient-ils vraiment? Être accueillis par une population reconnaissante?

Une décennie après, ce camp a obtenu la victoire militaire et politique – et à quel coût! Vu de l'extérieur, on a l'impression – renforcée par les mille appels du pied, menaces et tentatives de subornation de l'opposition – que les vivas et les bras ouverts manquent à l'appel. Oh, une partie plus ou moins importante de la population a célébré le départ de Gbagbo  – la même qui considère que la Côte d'Ivoire existe seulement depuis novembre 2010. Mais le reste… Si le dictateur a été éliminé où sont, deux ans après, les signes de joie et de soulagement?

A Abidjan, comme à Mopti, j'ai l'impression que personne ne s'est vraiment soucié du lendemain. Ce jour d'après, qui peut être autant celui de l'amour que de la haine.

Mettre fin aux « proverbes africains »

raleigh-bicycle-lion-vintage-bicycle-posterJe crois que ça a commencé à m’agacer quand j’ai lu Venance Konan – qui d’autre? – faire une référence à « pour qui sonne le glas ». C’est grave en soi de présenter la formule comme étant « ask not for whom the bell tolls. It tolls for thee[1] » alors que l’original est « never send to know for whom…». On me dira que c’est un “détail”… Peut-être, mais vu que personne ne lit VK pour la profondeur de son style, ces « références » et leur perspicacité ont jusqu'ici sauvé sa carrière.
 
Et c’est criminel d’introduire cette citation incorrecte par une formule aussi pédante que “ces quelques lignes tirées d’un texte d’Hemingway (…) C’est du vieil anglais qui se traduit par « ne demande pas pour qui sonne le glas. Il sonne pour toi. »  Le premier idiot venu sait – c’est écrit juste en dessous de la dédicace ! – que la phrase n’est pas d’Hemingway mais de John Donne[2]. Et le second idiot présent sait que réutiliser cette phrase – construite initialement et reprise par Hemingway pour rappeler que rester indifférent à la souffrance des autres est un crime – pour narguer Laurent Gbagbo et vanter Alassane Ouattara frôle l’imbécillité[3].
 
Mais on peut pardonner à Venance Konan, il se contente lui de prétendre être familier avec un texte et des références littéraires dont il n’a qu'entendu parler. Ses compatriotes artistes sont eux spécialistes du "proverbe ivoirien" sans queue ni tête : « si tu empruntes le chemin de ‘je m’en fous’, tu vas te retrouver au village de ‘si je savais’ » ; « quand quelqu’un nage, c’est son ventre seulement qui est dans l’eau, on voit son dos » ; « Celui qui n'a pas peur n'a pas le courage » ; « yeux connaît bagage qui est lourd, c’est Bêla qui fait semblant ». Et mon préféré : « Moustique n'aime pas amusement où on applaudit ! »
 
Le journaliste franco-ivoirien Joseph Andjou, pour sa part, concluait sa revue d’actualité africaine sur I-Télé par un immanquable « proverbe » africain, le plus souvent sans aucun lien avec l’actualité du continent. Ça allait de « on ne marche pas deux fois sur les testicules d'un aveugle » à « quand tu sauras le prix d'une esclave, tu ne penseras jamais à vendre ta mère » (je sais…) Andjou poussa même l’affaire jusqu’à publier une collection de resucées chez Michel Lafon « Comme on dit en Afrique… Dictons et proverbes africains » (2003)
 
Mais passe encore. Ni Andjou ni les artistes Ivoiriens spécialisés dans la (re)production de proverbes n’ont jamais prétendu aller plus loin qu’amuser la galerie. Plus le proverbe était sordide, mieux c’était. Ils n’ont pas l'arrogance de ces responsables politiques – Occidentaux en général, mais Africains aussi – qui se croient obligés de sortir un proverbe dit africain à la moindre occasion. La citation littéraire incomplète et malvenue est une erreur de débutant, le "proverbe africain" inventé sur le moment est une insulte.
 
Hillary Clinton a relancé la mode en 1996 avec la publication de « It takes a village », ouvrage écrit probablement par un nègre, rempli de platitudes attendues sur le futur de l’éducation ou l’éducation du futur – je ne me souviens plus – aux Etats-Unis. Pour la substance du texte, je ne peux que renvoyer à la critique dévastatrice qu’en fit l’écrivain britannique Martin Amis[4]. Quant au titre… Clinton et son équipe en trouvent l’origine dans un « proverbe africain » qui dit, en substance, qu’il faut un village entier pour élever un enfant. Lorsque l’authenticité du proverbe a été mise en doute, une campagne de communication a été organisée pour déterminer l’origine exacte de la banalité utilisée par Clinton. De vénérés professeurs d’études africaines se relaient sur internet pour proposer des formules autochtones signifiant plus ou moins ce que Clinton et son staff attendaient. Jamais dans l’histoire de la littérature autant de personnes n’ont consacré autant d’énergie à un objectif aussi futile[5]
 
Aujourd’hui lorsque vous lisez dans la presse « comme dit ce proverbe africain », prononcé par un responsable politique, attendez-vous à un autre cliché. C’est presque un réflexe en politique, mais en l’occurrence, vous pouvez savoir que ce proverbe fera référence soit : (i) au règne animal – lion, serpent, éléphant, singe, ("l'homme africain" est proche de la nature comme chacun sait) ; (ii) à la « sagesse des anciens » ou au respect dû aux aînés; ou encore (iii) à la vie du village rythmée par les saisons et à la force des éléments naturels etc.
 
Ce n’est pas innocent. Un « proverbe africain » renvoyant à la modernité ne peut pas les intéresser. Le dicton de Magic System « l’avion ne fait pas marche-arrière, c’est parce qu’il n’a pas de rétroviseur » est trop ancré dans le XXe siècle pour être authentiquement africain.
 
Quand Kofi Annan, en référence au conflit syrien, sort un "proverbe africain", il est condamné à choisir le banal « à défaut de faire tourner le vent, changez de cap[6] » (et encore ma traduction voile la crasse platitude de la version originale “You cannot turn the wind, so turn the sail.”). En quoi cette sagesse est vraiment africaine, Annan ne le précise pas. L’adage de Teddy Roosevelt « parlez doucement et portez un gros bâton » est, lui aussi « d’origine ouest-africaine ». Forcément… Je m’étonne que personne n’ait jusqu’ici noté le double-sens de « gros bâton », mais passons.
 
Lorsque le subtil Jean Marc-Philippe Daubresse, connu dans la vie politique française pour avoir réalisé… Enfin connu dans la vie politique française en tout cas, veut se moquer des excuses présentées par Ségolène Royal à « l’Afrique » (rien que ça), il a déjà son « proverbe africain » en poche « quand le singe veut monter au cocotier, il faut qu'il ait les fesses propres."
 
Parmi les articles qui ont causé la ruine de Slate Afrique, ce très pénible effort[7] d’Alex Ndiaye visant à « coupler » des proverbes « africains » et les hommes politiques africains auxquels ils s’appliquent le mieux, occupe certainement une place de premier choix.
 
J'ai adopté une politique assez simple sur ce point, chaque fois que j'entends quelqu'un citer "un proverbe africain", je me sens obligé de lui renvoyer ce "proverbe français" que j'adore : "Oh, ta gueule!"
 
Essayez. Ca marche, tchoko na tchaka, comme on dit à…
 
 

Ave Mayra!

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Maintenant que pour être artiste ou pour être amante, il est indispensable d’avoir moins de 30 kilos et 30 points de QI, Mayra Andrade réussit la prouesse, assez rare pour être saluée, d’être une femme de son temps, sans être prisonnière des absurdités de notre âge.

Une femme comme on n’en fait plus. Avec un vrai corps de femme, présent et ferme, souple et tendu. Plein de formes et de nuances. La promesse d’une compagnie – les nuits cap-verdiennes sont froides, Marie ; si froides tu sais ?  Une voix. Qui sait être calme et rassurante comme dans « Morena, menina linda » ; vent d’ouest, doux et léger, qui souffle « femme, du haut de tes vingt et un ans, je sais ta soif d’être libre. Et je viens te rendre ton enfance.» Voix sereine de femme-mère qui éveille l’écho de notre enfance.

Ou la voix rieuse, espiègle, allègre qui dans « Lapidu Na Bo », « Turbulensa » ou dans « Dimokransa » annonce plutôt qu’elle n’accompagne le rythme fou des instruments. Voix désespérée et nostalgique, presque coléreuse qui fait de « Dispidida » un chef-d’œuvre de la musique africaine des cinquante dernières années. A ranger peut-être une étagère en dessous de la version de « Malaika » par Angélique Kidjo.

Voix tragique qui appelle tous ces termes anglais que notre pauvre langue française ne sait pas traduire : blues, woe, longing. Voix qui dit la souffrance et l’espérance comme seule l’imminence de la mort les enseigne aux hommes. Voix qui dès les premières notes de « Juana » me replonge quinze ans en arrière. C’est un autre soir de deuil. Les pleureuses se succèdent au centre de la cour. Et je n’arrive pas à être triste. Tétanisé comme je ne l’ai plus jamais été.

Voix pleine, voix virtuose qui tient de bout en bout ces merveilles que sont sa reprise de « Tunuca » et « Nha Nobréza » , passant sans anicroche du plus moderne des funanas à la plus suave des mornas. Et « Lua »…

L’Adieu aux (hommes en) armes

Dans l'introduction du 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852), Karl Marx écrit : "Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce"

(Cette phrase est ressortie depuis, pour un oui, pour un non, qu'il s'agisse des "deux François, socialistes Français" ou des deux "Bush"; même si dans dans ce dernier cas, les termes ont probablement été inversés)

On pourrait aisément appliquer le même adage à l'Afrique contemporaine. Dans la catégorie prisonnier politique, leader de la lutte contre le suprématisme racial en Afrique australe devenu président de la République, Nelson Mandela et Robert Mugabe sautent directement à l'esprit. Dans le sous-genre leader pan-arabe et pan-africain, les images de Nasser et Khadafi s'imposent douloureusement en tête.

rawlingsandthomassankaraMais s'il y a une tradition solidement ancrée dans l'histoire du continent qui aujourd'hui s'affaisse rapidement dans la farce, c'est celle du capitaine-président. Malgré leurs défauts, les capitaines Thomas Sankara et Jerry Rawlings ont laissé dans l'imaginaire africain – ou à tout le moins, ouest-africain – de belles caricatures de jeunes hommes en colère, révoltés et superbement idéalistes, debout contre les rentes et l'exploitation des pauvres. Sankara a été sauvé par la mort. Rawlings bénéficie cahin-caha de cette image de réformateur, mais s'évertue avec une incroyable persévérance à affiner son image de vieux grognon. C'est la tragédie.

 

sanogoPour la farce, l'histoire nous a offert d'autres capitaines : Moussa Dadis Camara en Guinée et Amadou Haya Sanogo au Mali. A la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement qui prit le pouvoir à la mort de Lansana Conté en décembre 2008, Dadis Camara se fit remarquer par sa volonté initiale de lutter contre le trafic de drogue, par l'intempérance de ces décisions et ses discours-fleuves, à la Chavez, mais surtout par le massacre de septembre 2009 où sous (ou malgré?) ses ordres, les forces armées guinéennes exécutent plus de 150 manifestants et organisent le viol d'un centaine de femmes.

On connaît la suite, Dadis Camara essaiera d'arrêter son aide-de-camp Aboubacar Diakité, accusé d'avoir supervisé ces crimes. Diakité tirera sur Camara. Camara sera expédié d'urgence au Maroc, d'où il rejoindra le Burkina, sous la protection d'un autre capitaine, Blaise Compaoré. Puis Moussa Dadis Camara rencontrera le Dieu des Chrétiens. Et Moïse Dadis Camara devint exilé au pays des hommes intègres.

L'épopée de Sanogo est, pour elle, probablement terminée. Une partie des journalistes maliens continue de lui servir du "mon capitaine", avec une servilité jamais vue depuis Michel Droit. Et si Sanogo continue de bénéficier d'un véritable pouvoir de nuisance au Mali, son aventure est terminée. Il restera quelque part, comme une note de bas de page dans la grande histoire de l'insurrection islamiste au Sahel.

Mais l'analyse de Marx allait au delà du contraste tragédie/farce. Il écrivit également que "la tradition de toutes les générations mortes pès[ait] d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants."

Je crois que cette conception de la tradition, de son poids dans l'histoire se-faisant est l'aspect le plus important. Il y a quelque chose d'inéluctable dans l'établissement d'une forme de tradition démocratique en Afrique subsaharienne. Je me rend peut-être otage du hasard en écrivant ceci, mais j'y crois fermement : le temps des capitaines-présidents est révolu.

Plus jamais. Plus jamais l'Afrique subsaharienne ne connaîtra ce type d'épopée. L'anachronisme de ce recours est évident. Sanogo et Camara n'ont bénéficié de "l'engouement des foules" que suite à une crise exceptionnelle : la mort de Condé, leader éternel et éternellement agonisant de la Guinée, et la foudroyante percée du MNLA dans le Nord-Mali. Et même dans ces circonstances originales, le retour à une sorte de légalité constitutionnelle se fit en moins de deux ans.

Quelque chose dans l'air du temps, certainement. Le poids de l'histoire et le souvenir des expériences catastrophiques du passé, probablement. L'aspiration profonde des "peuples" et des hommes à la liberté, aussi. Ce que Saul Bellow dans les "aventures d'Augie March" appelle "l'éligibilité universelle à être noble".

Mais bien plus que cela : le rôle joué par cette maudite "communauté internationale".

C'est son assentiment et sa réprobation, sa puissance militaire, économique et financière, le pouvoir qu'elle possède aujourd'hui d'ostraciser et détruire les régimes récalcitrants, ses cours criminelles et ses droits fondamentaux. C'est toute cette architecture internationale, le rêve de Wilson en voie de réalisation, qui a finalement gagné. C'est la hantise de la Haye qui a vaincu Dadis, c'est la grogne de la CEDEAO et le risque d'une banqueroute financière qui ont éloigné Sanogo du pouvoir.

L'Afrique a dit adieu aux hommes en armes. Sankara est mort. Le Franc CFA l'a probablement tué.

Un petit saut à la Haye, Monsieur le Président?

uhuru KenyattaLa commission électorale indépendante kényanne a annoncé hier l'élection de Uhuru Kenyatta, fils prodigue du "Père de l'Indépendance" Jomo Kenyatta, à la présidence de la république, au terme d'une élection "complexe, mais crédible et transparente" selon le porte-parole de la commission. Son rival, le premier ministre Raila Odinga entend contester les résultats des suffrages auprès de la Cour Suprême, tout en appelant au calme et à la modération.

Ces résultats sont à la fois différents et tellement proches des élections de décembre 2007 et février 2008, qui avaient vu la victoire de Mwai Kibaki (déjà contre Raila Odinga) et occasionné de violents affrontements ethniques, causant la mort de 1300 personnes et le déplacement de près de 400.000 kényans. Les résultats de ce samedi 09 mars n'ont jusqu'ici occasionné aucune explosion de violence. Et c'est en partie la résultante de la nouvelle constitution adoptée en aout 2010. C'est également, une des "heureuses" conséquences des troubles de 2008. Suite à ceux-ci, un "gouvernement d'unité nationale" a été mis en place, avec Mwai Kibaki comme président de la république, Raila Odinga comme premier ministre et Uhuru Kenyatta comme vice-premier ministre.

Mais ce calme "retrouvé" ne peut être que temporaire. Suite aux violences de 2008 et à la lenteur de la justice kényane à en traquer et condamner les coupables, une commission d'enquête a été mise en place. Elle attribua à six personnalités publiques kényanes la responsabilité principale dans l'organisation de ces violences inter-ethniques. La liste secrète fut transmise à Kofi Annan président du « panel d’éminentes personnalités africaines » chargé de faciliter la sortie de crise.Ce dernier la remit au procureur de la Cour Pénale Internationale (à l'époque), Luis Moreno Ocampo, qui ne la dévoila qu’en décembre 2010.

« Les Six d’Ocampo » est le surnom donné à ce groupe d'instigateurs supposés: Mohammed Hussein Ali, Henry Kosgey, Francis Kirimi Muthaura, Joshua Arap Sang, William Ruto et… Uhuru Kenyatta.

Ainsi ont été élus président et vice-président du Kenya deux hommes accusés de crimes contre l'humanité par la Cour Pénale Internationale.

William Ruto, ancien soutien d'Olinga ne se serait pas allié à Kenyatta, par solidarité carcérale assure-t-il. Kenyatta, pour sa part, a réitéré ce samedi, sa détermination à collaborer entièrement avec les institutions internationales, et compte bien être présent à la Haye, en juillet prochain, pour la suite de son procès.

Il est fort possible, évidemment, que Kenyatta et Ruto, et les quatre autres membres de la liste d'Ocampo soient innocents. Mais du point de vue de la Justice et des victimes, quel gâchis!

Qui cette situation embarrasse-t-elle le plus? La CPI qui aura accepté de repousser les procès au lendemain des élections. L'Union Africaine qui aura plaidé pendant deux ans pour cette solution. Kofi Annan, missionnaire éternel et expert en compromis qui sortit de son chapeau le gouvernement de coalition de 2008. Les électeurs kényans qui auront inventé le principe "innocent jusqu'à preuve de l'absurde"?

Nous évoquions ici même le cas de Laurent Gbagbo dont le procès à la Haye achève de présenter la CPI comme suppôt des gouvernements en place, contrainte autant qu'enthousiaste à ne juger que ceux que le pouvoir en place et la justice nationale "indépendante, forcément indépendante" daignent lui confier. Avec le cas Kenyatta, nous abordons un degré supérieur dans l'aberration.

Si l'on comprend bien, il faudra organiser les conseils des ministres en fonction des audiences de Kenyatta. Et s’il est condamné par la cour, le ministre de la justice qu’il aura nommé devra signer son arrêté d’extradition, son ministre de l’intérieur désignera les officiers de police qui le conduiront à l’aéroport. Le Président pourra passer la journée à Nairobi, mais devra dormir à la Haye. Et le budget 2014 devra inclure un poste dédié aux voyages pénitenciers du Président.

Les discours à la nation du Président de la République seront en duplex depuis la Haye, évidemment. Pour ses voyages internationaux, le président devra porter un bracelet électronique, demander une permission des juges de la CPI et faire tamponner son carnet de prisonnier par les autorités aéroportuaires – en même temps que son passeport diplomatique. Les accréditations des ambassadeurs se feront par Skype. Etc.

On nage en plein délire : ce n'est plus la justice internationale, c'est "Les Affranchis".

La justice « comme si » de la CPI

Gbagbo HayeLe 28 février dernier s’est achevée, à la Haye, l'audience de confirmation des charges retenues par le bureau du procureur de la Cour Pénale Internationale contre l’ancien président Ivoirien Laurent Gbagbo. Ce fut une assez lamentable et honteuse procédure.

J’ai écrit ici, et je maintiens qu’il est dans l’ordre des choses que Laurent Gbagbo et les autorités officielles du pays durant les dix ans qu’il passa à sa tête aient à s’expliquer et à répondre des crimes qui leur sont imputés. C’est bien le minimum.

Bon gré, mal gré ils dirigeaient au moins une partie de la Côte d’Ivoire quand bon nombre de violences ont été commises. Il serait insupportable que justice ne soit pas rendue. Mais de quelle justice parle-t-on exactement ? Pour quiconque a suivi l’audience de la semaine dernière, en fait pour quiconque a suivi l’attitude de la CPI depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo en avril 2011, il est impossible d’y retrouver l’idéal de justice contenu dans le traité de Rome.

Le propre bureau du procureur de la CPI impute un peu moins d’un millier de meurtres, agressions sexuelles et autres violations des droits de l’homme au « camp Gbagbo »… sur les plus de 3000 supposément commis durant la crise post-électorale de 2010-2011. Le propre bureau du procureur de la CPI demande la condamnation de Laurent Gbagbo en tant que « co-auteur indirect » de ces crimes.

Ainsi, le premier procès de la "crise ivoirienne" conduit par la CPI concerne le "co-auteur indirect" supposé, d’un peu moins d’un tiers des crimes commis durant un cinquième des dix années de conflits en Côte d’Ivoire… 

Le langage corporel des magistrats de la Haye, la semaine dernière était pénible à décrypter. Eux-mêmes savent, cela se voit, cela se sent, qu’en poursuivant sur cette voie la CPI s’instaure comme auxiliaire du pouvoir d’Alassane Ouattara et agit, consciemment ou non, comme caution morale de la liberté accordée à Foffié Kouakou et aux autres « commandants de zone » de la rébellion dirigée par Soro Guillaume. Et surtout comme voile aux violences qui aujourd'hui encore se produisent dans le pays.

Aujourd’hui, on l’oublie un peu, Guillaume Soro est président de l’Assemblée Nationale – et compte sur la protection d’Alassane Ouattara, pour le jour où la CPI penserait vouloir commencer à s’intéresser à son cas. Et les commandants de zone ont tous nommés « commandants de légions », officiers supérieurs de la nouvelle armée « réunifiée », responsables des principales garnisons militaires du pays, par Alassane Ouattara. Les crimes commis par ces hommes et/ou sous leurs ordres dans le centre, le Nord et surtout l’ouest de la Côte d’Ivoire, au cours de la dernière décennie défient même les limites pourtant lâches dans ce domaine, en Afrique occidentale.

Le problème, contrairement à ce qui est affirmé depuis le début par les partisans de Laurent Gbagbo, n’est pas le « deux poids, deux mesures » de la CPI, ni même la « justice des vainqueurs » conduite par le pouvoir d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire. Le vrai problème c’est que l’idée même de justice, dans le cadre de la crise ivoirienne, est désormais un non-sens. Quel qu’il soit le verdict de la CPI sera teinté et souillé. Il rappelle également l’incroyable impuissance de la Cour Pénale Internationale.

Fatou Bensouda, procureure de la CPI, n’a probablement jamais été plus honnête que lorsqu’elle déclare à Jeune Afrique : « notre rôle est de nous assurer que leurs principaux auteurs seront poursuivis, mais nous ne pouvons engager des poursuites contre tous. » En revanche, elle ne peut pas être sérieuse lorsqu’elle ajoute : « L'action de la CPI permettra de faire éclater la vérité pour faciliter la réconciliation. (…) Mais, rassurez-vous, aucune partie prenante à la crise ne sera épargnée. »

Bien sûr que les crimes commis par les soutiens d’Alassane Ouattara resteront impunis tant qu’il aura besoin de leur appui pour se maintenir au pouvoir. Faut-il le rappeler? La CPI ne dispose d'aucun pouvoir de police et ne peut intervenir qu'à la demande des Etats. Et bien évidemment, le procès de Laurent Gbagbo à la Haye qui aurait pu – s’il avait eu un sens, s’il s’était déroulé en même temps que celui d'un des responsables du camp d'en face – Soro Guillaume, qui sait? à défaut d’avoir Alassane Ouattara lui-même à la barre des accusés – aider à repartir les responsabilités et commémorer la mémoire de toutes les victimes, s’oriente vers une pitrerie préchrétienne où un bouc émissaire doit porter seul les péchés du peuple.

Comme s’il y avait un peuple (quiconque croit encore aux chimères d'une "réconciliation" n'a qu'à faire un tour sur n'importe lequel des forums "Facebook" qui s'organisent spontanément sur le site www.abidjan.net pour perdre toute illusion.)

Comme si aujourd’hui encore, à l’instant même où j’écris ces lignes, les sbires du régime proches du régime de Ouattara ne sillonnaient pas les camps de réfugiés, à la recherche de « sympathisants » de Gbagbo.

J’écrivais qu’il fallait souhaiter longue vie à Guillaume Soro, dans l’espoir qu’un jour ou l’autre, une alternance politique en Côte d’Ivoire lui fasse perdre la protection dont il bénéficie, et qu’il puisse répondre – lui et la racaille qui l’entoure – du coup d’état manqué de septembre 2002 et de la barbarie qui s’en suivit.

J’avais tort, la vieille maxime « justice delayed is justice denied » s’applique aussi à l’Afrique. Au moins autant que le Traité de Rome.  

 

Joël Té-Léssia

PS : Il va sans dire que cette chronique n'engage que moi, et ne prétend nullement représenter la position "officielle" de Terangaweb et de ses membres.

La guerre, en aimant…

Guerre au Mali : représaillesIl est difficile, au bout du compte, de savoir ce qui est préférable : l'offensive éclair, sans images, conduite presque en cachette par l'armée française durant les deux premières semaines de l'"Opération Serval", ou l'agonisante et sordide guerre de tranchées, savamment "hypée" par les médias traditionnels ou sociaux, que l'on observe actuellement dans les rues de Gao ou Kidal…

Le face-à-face asymétrique de jeudi dernier entre une poignée de militants du MUJAO retranchés dans la mairie de Gao, armés de grenades et de fusils mitrailleurs, et les dizaines de soldats maliens, soutenus par les forces françaises, tiraillant stupidement dans toutes les directions, obligés de recourir au lance-roquette pour déloger le dernier des islamistes retranchés et ne réussissant qu'à incendier une station-service, est pénible à voir. Tout cela tend à prouver qu'on a non seulement sous-estimé la détermination (et utilisons les mots justes : le courage) des islamistes, mais aussi incroyablement surestimé les capacités de l'armée malienne.

Quelle que soit la mésestime que chacun pouvait avoir pour ces soldats fuyant l'adversaire pour aussitôt attaquer les institutions de leur propre pays, l'attitude de l'armée malienne dans les villes "libérées" – devons-nous le rappeler, par les soldats de l'ancien pouvoir colonial – est encore pire. La presse grouille des témoignages des victimes de l'armée de "libération" : tel homme torturé à l'acide par des soldats maliens, des puits remplis de cadavres, tel ou tel groupe de soldats tirant délibérément sur des civils parce qu'ils n'arrivent pas à atteindre les islamistes, trop bien retranchés.

Dans le même temps, le MNLA, mouvement sécessionniste touareg à l'origine de l'insurrection qui a déstabilisé le Mali, un temps allié aux mouvements islamistes, est aux côtés des soldats français et Tchadiens dans Kidal secouée par les attentats-suicides. Devant ce chaos et dans une situation aussi tendue, opaque, incertaine et propice aux violations des droits de l'homme, l'UNESCO a décidé d'attribuer le "Prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix" au Président Français, François Hollande… Après la médiatisation, l'immédiatisation…

Peut-être que l'action de François Hollande – et sa décision de brusquer le Conseil de Sécurité en envoyant des soldats français stopper l'offensive des Islamistes sur Mopti – mérite une telle "récompense". Mais est-ce bien le moment? Orwell écrivait que certaines idées sont tellement absurdes que seuls des intellectuels peuvent y croire. Il en est de même pour certaines décisions que seuls des intellectuels peuvent ne serait-ce qu'envisager. Elle doit leur paraître bien irréelle, la guerre au Mali, aux membres de ce jury. Peu importe que des gens continuent à y mourir, peu importe les mines anti-personnelles, peu importe l'incertitude qui plane autour de l'issue de ces combats, peu importe même que personne ne sache aujourd'hui à quoi la "victoire" pourrait bien ressembler. Tant que le "patrimoine immatériel" de Tombouctou est sauvé, l'UNESCO est contente. Le sort des maliens de chair et d'os ne les a jamais vraiment ému… La guerre au Mali leur est comme un prétexte, un "sujet de réflexion". Une sale manie française, au fond.

Après son"expédition" en Libye, où pour toute expérience du feu, il n'avait fait que poser avec des jeunes rebelles dans une prairie, le philosophe l'écrivain l'homme de lettres français Bernard-Henry Lévy, se fendit d'un "journal de guerre", intitulé "la guerre sans l'aimer". Vieil écho du roman d'André Malraux "Les Noyers de l'Altenburg" :"Ah! que la victoire demeure avec ceux qui auront fait la guerre sans l'aimer!" (Dommage que BHL ait oublié cette autre citation du même ouvrage, probablement plus adaptée à son "journal" : " Les intellectuels sont comme les femmes, les militaires les font rêver.")

Dommage surtout que cette vieille idée (tout va bien, tant qu'on fait la guerre sans y prendre plaisir) ait survécu si longtemps.

La guerre au Mali me trouble profondément. Les témoignages des décollations et exécutions sommaires conduites par les islamistes, autant que les représailles coordonnées par les soldats maliens, le sort des femmes, la mort des hommes et surtout la souffrance des enfants. Tout me trouble dans cette affaire. La déshumanisation aussi. Et le risque de voir ce conflit "désincarné", perçu comme une "donnée du réel". La guerre au Mali n'est pas une "idée", une "donnée". C'est une réalité. La première guerre vraiment télévisée que l'Afrique sahélo-saharienne ait connue. Et dans le contexte de cette zone de parenté et de haine multiséculaires, il est plus que jamais nécessaire de rester lucide.

Le fait est que s'il faut se battre, mourir ou tuer, s'il faut en un mot "faire la guerre", autant la faire en aimant. Qui? Quoi? Peu importe, mais aimer. C'est peut-être le seul rempart contre la barbarie.

Que diable ferions-nous d’un « Pape Africain »?

"Extra ecclesiam nulla salus"

Hors de l'Eglise, il n'y a point de salut

Benoit XVI Afrique

 

Il faut croire que le Pape écoute Shakira, ou qu'à tout le moins la folie du "Waka-Waka, This time for Africa" a finalement saisi le Vatican. Il ne se passe pas un jour, depuis l'annonce de la démission/renonciation imminente de l'Evêque de Rome, Benoît XVI le 10 février dernier, sans que la presse ne nous inonde d'informations sur la probabilité que le prochain Souverain Pontife soit originaire d'Afrique. Nous aurons appris ainsi, première nouvelle pour beaucoup d'entre nous, que l'Afrique avait déjà donné trois Papes à l'Eglise Catholique (Victor I, Miltiade et Gélase I – tous berbères nés en Afrique du Nord) et que les Cardinaux Francis Arinze du Nigéria et Peter Turkson du Ghana sont, aujourd'hui, les favoris des "bookmakers" pour la succession de Benoît XVI.

L'enthousiasme que suscite cette possibilité, dans les médias, a quelque chose de puéril. Peu importe ce que pensent ces "papables". Peu importe leur intelligence. Peu importe leur influence. Ce qui compte c'est qu'ils soient Africains, et qu'enfin, il puisse y avoir un "Pape Noir". Peter Turkson alla même jusqu'à dire qu'après Obama et Kofi Annan, il est peut-être dans l'ordre des choses que cela se produise. Modeste en plus, Turkson…

Seule une minorité s'inquiète du fait que ni Turkson, ni Arinze ne soient à proprement parler des "reformateurs" (un vieil adage du Vatican veut qu'il n'y ait que trois catégories de cardinaux : les ultra-conservateurs, les très-conservateurs et les conservateurs). Ou même que Turkson ait eu l'imprudence (ou la bêtise), durant un séminaire en octobre 2011, de présenter une vidéo absolument idiote et vaguement conspirationniste alertant sur les dangers de l'expansion de l'Islam en Europe. Ou qu'il considéra comme une simple "exagération", le projet de loi débattu par le Parlement ougandais qui souhaitait instaurer la peine de mort pour les homosexuels.

Peu de gens prêtent l'attention qu'il mérite au fait que c'est d'une seule et même voix, stridente et consternée que les cardinaux Africains ont condamné la très modérée critique adressée par Ban Ki-Moon à certaines politiques sociales en Afrique. De la Guinée au Ghana et de Dakar au Cap, tous les "Papes Africains" en puissance ont décidé de soutenir les dogmes de l'Eglise Catholique, qu'il s'agisse de la répartition des rôles au sein de la famille, de la filiation, du droit des genres, de la contraception ou du VIH. Ils sont accouru de la même façon en 2009, à la défense de Benoît XVI, lorsqu'il affirma que la distribution massive de préservatifs ne réglerait pas la question du VIH en Afrique et pourrait même l'aggraver. Il suffit enfin de voir la révolte menée par le Nigérian Peter Akinola, au sein de l'Eglise Anglicane contre l'ordination des femmes, par exemple, pour se rappeler cette autre évidence : la plupart des religieux Africains qui accèdent aux plus hautes sphères de l'Eglise sont généralement parmi les plus conservateurs et dogmatiques qui soient.

Et après tout, c'est peut-être leur rôle. Et dans les limites de leur sacerdoce et de leurs voeux, ils avaient probablement raison. Dans une société laïque, personne ne doit attendre l'autorisation du clergé, ni pour aimer, ni pour mourir, ni pour espérer. La vieille formule "Forniquez si vous voulez, mais ne demandez pas au Pape de tenir la lampe" est plus vraie que jamais.

Mais, en quoi exactement l'élévation d'un de ces cardinaux conservateurs et rétrogrades au statut de Pape et leur accès à cette autorité seraient une bonne chose pour l'Afrique ou pour le monde, me dépasse. S'imagine-t-on un instant qu'ils appelleront à une révolution séculaire en Afrique? Espère-t-on qu'ils adopteront une attitude plus "ouverte" sur le VIH ou la sexualité? Pense-t-on vraiment qu'ils lutteront pour une plus stricte séparation entre pouvoir religieux et politique? Qui rêve un instant qu'ils orienteront les invraisemblables ressources financières du Vatican en faveur du développement de l'Afrique?

Et même si tel était le cas, qu'est-ce que ça changerait? Le problème ce n'est pas tellement l'homme. C'est l'institution, la survivance de cet archaïsme qu'est l'infaillibilité pontificale. C'est la grossièreté de la succession apostolique qui exclut les femmes de l'exercice de la prêtrise. C'est la religion elle-même qui proclame qu'en dehors d'elle, il n'y a point de salut.

C'est déjà triste qu'il y ait encore un Pape. Mais que diable allons-nous faire d'un Pape Africain? Encore moins de Turkson ou d'Arinze comme Pape Africain. Tant qu'un Européen sortait une autre "adresse" ou lettre à l'Afrique, on avait à la rigueur, la consolation de savoir qu'il s'agissait d'un… autre Européen s'adressant à l'Afrique. "Bah, encore un autre discours sur l'Afrique."

Mais si même le Pape est Africain…

Sécurité au Sahel : comprendre le « puzzle algérien »

Bouteflika & HollandeA bien des égards, l’Algérie dispose de tous les atouts nécessaires à en faire l’acteur clé de la sécurité en Afrique du Nord et dans le Sahel, notamment dans le cadre de la crise malienne.
 
D’abord par la simple force des chiffres. Avec 8,61 milliards de dollars (2011), le budget du ministère de la défense algérien est le plus élevé d’Afrique, supérieur même à ceux du Maroc et de l’Egypte combinés (3,34 et 4,2 respectivement sur la même période). Les forces armées algériennes disposent également d’une remarquable capacité de projection et de combat : une division d’intervention rapide composée de 4 régiments de parachutistes et d’un régiment des forces spéciales ; 125 avions et 33 hélicoptères de combat, plus d’un millier de chars de combat principaux et un nombre similaire de véhicules de combats d’infanterie.

Ensuite par l’expérience. Alger a dû lutter, presque seule contre la violence du Groupe Islamique Armé, durant la guerre civile de 1991-2000. Durant ce conflit qui fit plus de 100.000 victimes, l’Algérie acquis – douloureusement – une expertise de première-main dans la lutte contre le terrorisme et un statut de presque-paria de la communauté internationale dû aux pratiques de ses services de Sécurité. Le 11 Septembre 2001 a servi à légitimer la « mano dura » des "éradicateurs". Le très redouté Département du Renseignement et de la Sécurité, fort de 16.000 hommes, a été au cœur de l’appareil sécuritaire en Algérie, depuis sa formation en 1962. Et si ses méthodes restent controversées, le DRS est selon, les mots de John Schindler, ancien analyste en chef de la division contre-espionnage de la National Security Agency, « peut-être le service de renseignement le plus efficace au monde, lorsqu’il s’agit de lutter contre Al Qaida
 
Par l’influence aussi. En partie nostalgique, parce que cahin-caha, l’Algérie a conservé un peu de l’aura acquise au temps des "non-alignés". Mais surtout parce que l’Algérie dispose de contacts poussés et constants avec les principaux acteurs de la région. L’Algérie a ainsi été l’intermédiaire et l’hôte de tous les accords négociés entre le Mali et les divers mouvements Touaregs. C’est sur pression d’Alger que le MNLA a – de mauvaise grâce – accepté de libérer des soldats maliens au début de l’insurrection. Et plus que tout, Iyad ag Ghali, leader d’Ansar Dine, a été les des interlocuteurs principaux du gouvernement algérien durant les négociations sur la question Touareg – il est considéré par certains comme un agent du DRS, coutumier de l’infiltration de groupes radicaux.
 
Par le jeu d’alliances, enfin. Le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC) créé en avril 2010 sous l’instigation d’Alger et basé à Tamanrasset, regroupe l’Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie. Il est censé coordonner les efforts de ces pays dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. L’Algérie fait également partie du Transaharan Counter-Terrorism partnership, programme inter-agences américain regroupant le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Maroc, la Tunisie, le Nigéria et le Sénégal. Succédant en 2005 à l’initiative Pan-Sahel du gouvernement américain, ce programme vise à renforcer les capacités des armées africaines dans la lutte contre Al Qaida et à renforcer la communication et l’interopérabilité entre elles. Il convient également de noter que Ramtane Lamamra, chef de Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine et Saïd Djinnit, responsable du Bureau de l’ONU en Afrique de l’Ouest sont algériens. Autant de preuves du désir d’Alger de jouer un rôle décisif et reconnu dans la région.
 
Autant de raisons qui rendent incompréhensible l’attitude des autorités algériennes depuis le début de la crise malienne, qu’il s’agisse du retrait de ses conseillers militaires au plus fort de la bataille de Tessalit en mars 2012 ou de la reluctance initiale à ouvrir l’espace aérien algérien aux avions français dans les premiers temps de l’opération Serval. La frustration devant la réticence de l’Algérie redonne du grain à moudre à ceux qui, depuis belle lurette, condamnent la « paranoïa » de l’establishment militaire du pays.
 
La réalité est plus complexe et fait apparaître bien des signes de fragilité dans l’édifice politico-militaire algérien.

Au commencement était la rancœur. L’Algérie n’a pas pardonné à l’administration d’Amadou Toumani Touré, les liens qu’elle a entretenus entre 2002 avec AQMI (et son ancêtre le GSPC) entre 2002 et la chute du général-président. En voulant coûte-que-coûte acheter la paix dans le Nord, ATT aurait laissé se développer un système corrompu dans le nord qui bénéficia financièrement et politiquement à Al Qaida au Maghreb Islamique, renforça les griefs des Touaregs, radicalisa le MNLA et sabota l’influence de l’Algérie dans la région. ATT aurait ainsi semé le vent et récolté sa tempête.
 
L’Algérie se méfierait également du rôle de la France et du Maroc dans la question malienne. A la première, en sus des griefs historiques, il est reproché son attitude "cavalière" à la chute de Kadhafi, qui permit la sortie d’importantes quantités d’armes et munitions – utilisées par la suite contre le gouvernement malien. L’empressement à intervenir au Mali fut considéré comme une autre de ces décisions hâtives aux conséquences mal-anticipées. La CEDEAO pour sa part, ne serait qu’un autre « jouet » de Paris, utilisé pour contrecarrer l’influence d’Alger. Les vieux démons des "évènements en Algérie" n'ont pas été gommés par le discours de Tlemcen. Le Maroc est quant à lui accusé de manipuler le MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) et de l’utiliser en vue de déstabiliser le Front Polissario. L’enlèvement de responsables algériens, par ce mouvement, dès la saisie de la ville de Gao en avril 2012 l’exécution du vice-consul algérien Taher Touati en septembre suffirent à valider cette lecture.
 
La peur d’une "Afghanisation" du Nord Mali a elle aussi joué son rôle dans le refus d’Alger de participer à une intervention militaire. L’exemple de la Somalie où l’intervention de l’Ethiopie, en 2006, censée mettre un terme au contrôle exercé par l’Union des Tribunaux Islamiques déboucha sur la radicalisation et le renforcement d’Al-Shabbaab, hante les autorités algériennes. Ce scénario catastrophe est aussi l’une des raisons des hésitations américaines et françaises. Sans la marche vers Mopti d’Ansar Dine, début janvier 2013, la France aurait probablement maintenu son attentisme. La reluctance initiale du Ghana, du Sénégal, de la Mauritanie et du Nigéria à mettre ses soldats à la disposition de la mission d’intervention de la CEDEAO au Mali, n’a pu que renforcer Alger dans un choix, vers lequel sa tradition de "non-intervention" l'orientait de toute façon.

Il se trouve enfin que les autorités algériennes craignent toujours les retombées du « Printemps Arabe ». Les risques de voir un gouvernement islamiste s’emparer du pouvoir en Algérie sont minces. Le souvenir de la guerre civile reste suffisamment fort, aujourd’hui encore, pour ôter toute majorité populaire à quelque mouvement islamiste, aussi « modéré » soit-il. Il reste évident, en revanche, que le scénario d’un intervention « occidentale » au Mali aboutissant à une union et un renforcement des mouvements islamistes de la région est un risque que le gouvernement algérien n’a pas voulu courir. En tout cas pas avec des camps accueillant 30.000 réfugiés du Mali susceptibles d’être infiltrés et radicalisés. Pas avec une gérontocratie militaire redoutant une révolution de caserne « à la portugaise ». Pas avec un Bouteflika vieillissant dont le  départ probable en 2014 augure une transition compliquée et risquée. Et surtout pas avec l’exemple de l’Egypte où le parti "islamiste modéré" défit en 5 mois la mainmise de l’armée sur le pays, là où les "islamistes modérés" turques mirent 30 ans…
 
Sous le « puzzle » algérien devant la crise malienne se cache un mélange de ressentiment, de bon sens paysan, de géopolitique extrêmement pointue et… une lutte pour le pouvoir.
 
Joël Té-Léssia

Tombouctou : D’un « choc de civilisations » à l’autre

6904210226_b06d24c44dC'est à la fois infiniment ennuyeux et extraordinairement irritant que de recenser les "indignations sélectives" des acteurs du débat public, en France ou en Afrique. Je m'y suis essayé avec plus ou moins d'enthousiasme, qu'il s'agisse de l'affaire Mahé ou du mythe de la hausse du coût de la vie en Afrique. Pour d'étranges raisons, en ces temps de crétinisme journalistique, l'Islam et les musulmans sont plus que jamais au centre de cette myopie. Tel déteste la malbouffe mais crèverait plutôt que de voir un hamburger Hallal. Tel autre est indigné par l'homophobie supposée des "musulmans" au point de rejoindre l'extrême droite xénophobe et réactionnaire. C'est assez pathétique.

L'article de Racine Demba, publié en juillet dernier, " Destruction du patrimoine malien : cet islam qui n’est pas le nôtre" essayait de montrer les différences profondes et radicales entre les conceptions de l'Islam, de l'Histoire et du lien au divin, propres à l'Afrique Occidentale et celles d'Ansar Dine et d'Aqmi. Que ces derniers aient eu besoin de martyriser les populations locales et de les mutiler pour les convaincre de se "rallier" à cette forme d'Islam est bien la preuve qu'ils ne bénéficiaient pas d'un soutien majoritaire au sein des populations locales. C'est autant une splendide légitimation de l'analyse de Demba qu'une preuve du caractère meurtrier de la couardise des forces armées maliennes.

Mais plus encore, la liesse populaire et les drapeaux français qui ont accueilli François Hollande durant sa visite à Tombouctou signalent précisément que la main de fer du radicalisme d'Ansar El Dine n'a pas (cor)-rompu les populations maliennes. Si la destruction des monuments funéraires a choqué, ce n'est rien à côté de la stupidité, de la lâcheté et du racisme qui a animé Ansar El Dine durant son règne dans le Grand-Nord Malien. Le compte-rendu de ces longs mois où le drapeau noir de l'islamisme radical a flotté sur Gao et Tombouctou  transpire le crétinisme :

où sont les bordels, hein? Où sont les bordels? Où fait-on des films pornographiques ici, hein? Où? Ah il paraît qu'on a attrapé des homosexuels! Il faut les pendre? Non, donnons-leur une seconde chance! Non! Non, c'est moi-même qui vais les égorger. On a attrapé des voleurs! Il faut leur couper la main – s'ils sont noirs. S'ils sont berbères, peulhs ou Arabes, on discute. Ah, ces femmes ne sont pas voilées? Où elles sont, il faut les "chicoter". Etc.

Et ça a continué comme ça pendant des mois et des mois. Dans un glauque travestissement des brigades internationales dans l'Espagne des années 30, le Mali a vu déversées sur ses populations des hordes de djihadistes du monde entier, Pakistanais, Français, Marocains, Mauritaniens, Algériens etc. venus tester leurs théories, là, en toute impunité. Et le résultat est misérable : lorsqu'on leur laisse le contrôle entier sur une zone vaste comme un tiers de l'Europe, les premières choses auxquelles ces islamistes pensent c'est de tabasser des femmes et chercher des films pornographiques? Ca plus des exécutions sommaires. Plus une bonne dose de discrimination raciale – il est intéressant de constater que toutes les religions finissent par pécher, à un moment ou un autre, sur ce point.

L'occupation du Nord Mali par les islamistes d'Ansar El Dine et AQMI a mis à plat un autre raccourci journalistique et un de ces fantasmes fin-de-siècles dont on désespérait de se débarrasser : le fameux "choc des civilisations". Pour quiconque croit vraiment en une opposition entre l'Occident et le "monde musulman", et qui plus est, pense que ces entités existent réellement, qu'il y a quelque chose comme un "monde musulman" unifié et uniforme, régi par les mêmes pratiques, les mêmes impératifs et la même historicité, la résistance passive des populations locales à l'imposition de la Sharia et la libération de Tombouctou cette semaine ont dû être une terrible gifle et un bon rappel à la réalité.

Edward Saïd avait été l'un des premiers à le remarquer : les mêmes qui, pompeusement précis, peuvent faire la différence entre l'histoire des (chrétiens) Portugais et (chrétiens) Espagnols, assument simplement qu'il n'y a rien de très différent entre un (musulman) Malien et un (musulman) Indonésien. Comme si la culture, la géographie, l'histoire et même le damné passé colonial, s'effaçaient simplement lorsqu'il s'agissait d'Islam.

Tombouctou a été la réponse – nécessairement temporaire – à cette insanité. Et au discours de Dakar. Si la greffe n'a pas pris c'est parce que l'hôte n'y était pas disposé, parce que la "page" n'était ni "à écrire", ni "blanche" – ou "vierge". C'est parce que le Mali a une histoire. La preuve? Les islamistes ont essayé de l'effacer. Et ils y sont presque arrivés. Les mêmes flammes qui embrasent le papier, ravivent la mémoire.

Mais peu importe. Les comptes seront fait une autre jour. Aujourd'hui c'est dimanche à Tombouctou, à Gao et à Kidal. C'est jour de célébration.


Joël Té-Léssia

La terre de nos pères

APTOPIX SENEGAL MONUMENT CONTROVERSY

 

"Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ;
"

Jean de la Fontaine, Le Laboureur et ses enfants
 
 
 
Vincent Rouget dans son admirable article sur la (non)-succession de Mandela et l’avenir incertain de l’Afrique du Sud effleure un sujet plus vaste et beaucoup plus effrayant, celui de cette génération de l’après-guerre et de l’état lamentable dans lequel elle laisse l’Afrique. Nous sommes la première génération à ne pas devoir « tuer ses pères ». Ils ont déjà fait tout le travail : nos pères se sont fait hara-kiri.
 
Ces élèves modèles qui peuplent Terangaweb sont fanas de listes : les cinq femmes les plus puissantes, les pasteurs les plus riches, les chefs d’Etat à qui il faut dire « dégage », ceux à qui on a déjà dit dégage, ceux à qui on a oublié de dire dégage la fois passée mais no-prob, on s’est souvenu d’eux cette année, etc. Mais ils sont bien incapables d’établir une liste d’Africains nés entre 1940 et 1960 dont on puisse vraiment être fier. Personne. Absolument personne. Essayez. Prenez votre temps. Qui ? Voilà, personne. En forçant un peu on pourrait sortir Toumani Touré et Tsvangirai du lot, mais vraiment, pour faire chavirer les cœurs et inspirer les foules… Tsvangirai, Toumani Touré et une poignée de bonnes femmes. Une vraie dream-team !
 
Et je n’exagère même pas. Cette génération n’a pas participé à la lutte pour l’indépendance – trop jeune -, elle ne peut pas participer à la révolution technologique – trop vielle. Entre les deux, elle aura tout raté. Les stratégies de non-développement, c’est eux. La guerre civile au Libéria et le Génocide au Rwanda, c’est eux. Les partis uniques, c’est eux. Les mouvements ultra-religieux qui pullulent sur le continent, c’est eux. Le Sida et le Paludisme, c’est eux. Le discours de Dakar, c’est aussi à cause d’eux.
 
Il faut juste voir le pauvre Mo Ibrahim suer chaque année pour trouver un « chef d’état ayant eu un leadership d’excellence ». En fouillant bien sous les décombres, il a ressorti un cap-verdien neuf et bien mis à qui il a remis l’enveloppe très vite, avant que le pauvre hère n’ait pu s’échapper. La jeunesse africaine s’ennuie et veut se barrer. Les trentenaires et quarantenaires attendent la retraite, sans jamais avoir eu de vrais boulots. Et les vieux, les « anciens » restent là, à se demander ce qu’ils ont fait de leur jeunesse, de notre Afrique.
 
Les vrais « combats » de l’ancienne génération, paraissent tellement désuets. On trouve encore des volontaires pour lutter « contre l’impérialisme ». Mais aucune personne sensée n’oserait exiger que l’armée française s’en aille du Mali.  Qui veut mourir aujourd’hui pour le panafricanisme ?
 
Gorée, l’Île aux esclaves, le souvenir de la traite négrière ont perdu de leur force émotionnelle. L’idéalisme et les grandes croisades ont disparu. On en viendrait presque à regretter l’apartheid. Ça au moins, c’était une vraie cause. Le « black empowerment » à côté…
 
L'Afrique prosaïque succède à l'Afrique des président-poètes. Il ne reste plus que le lourd et ennuyeux travail de « reconstruction ». Leur prendre l’Afrique, aux vieux, et essayer d’en faire quelque chose « qui marche ». Juste ça. Plus de grands projets ni de grands travaux. Plus de basiliques dans la savane. Plus de longues tirades contre les colons. Plus d’Afrique millénaire. Plus de « fiers guerriers dans la savane ancestrale ». Juste le Sida à contenir. La veuve de guerre à réconforter. L’orphelin à nourrir. Le malade à soigner. Le chômeur à employer. Rien de très glorieux, ni de très excitant. Mais il faut bien que quelqu'un le fasse.
 
Tout le monde ne partage pas ce diagnostic, à Terangaweb, comme ailleurs. Piété filiale et progressisme ont fait leur travail. Quand on leur demande  ce qu’on peut vraiment sauver de ce que nous ont laissé nos parents, ils hésitent. Sous la torture, ils laissent échapper un rauque gémissement de repentir et de honte, dans lequel on distingue difficilement  « révolution sexuelle… ONG ». C’est bien ça. Voici notre héritage : les godemichés et Bernard Kouchner.

Des hommes rassasiés

5110117654_333a5e3619S’il est bien une cause en Afrique subsaharienne, quasiment calculée pour attirer les quolibets c’est la défense des animaux. Dans l’admirable récit d’idéalisme, d’amour à sens unique et de trahison qu’est « Les racines du ciel » (Goncourt, 1956), Romain Gary a anticipé, quarante ans avant l’heure, l’argument auquel des générations d’écologistes et « d’amis des animaux » ont essayé – sans toujours y arriver – de répondre :
 
 « Pour l'homme blanc, l'éléphant avait été pendant longtemps uniquement de l'ivoire et pour l'homme noir, il était uniquement de la viande, la plus abondante quantité de viande qu'un coup heureux de sagaie empoisonnée pût lui procurer. L'idée de la « beauté » de l'éléphant, de la « noblesse » de l'éléphant, c'était une notion d'homme rassasié... »
 
Rassasiée, elle ne pouvait que l’être cette « lettuce-lady » kenyane[1], déambulant dans les rues de Nairobi, couverte d’épinard et exhortant ses concitoyens au végétarisme – rassasiée et probablement idiote : prétendre que la consommation de viande contribue à la faim en Afrique est sinistrement stupide.
 
Mais rassasié, on a intérêt à ne pas l’être avant de regarder ce panorama compilé par National Geographic sur l’ « Ivoire Sanglant » du commerce illégal de l’ivoire[2]. Ces mastodontes désarmés, empilés, carcasses blanchissantes ou rougies, esseulées et abandonnées dans la savane. Ces 300 éléphants abattus à la kalach et avec des grenades, en une seule saison, dans le parc National Bouba Ndjidah au Cameroun. 25.000 éléphants ont été abattus en 2011 ! A $400 le kilo d’ivoire, tout est permis.
 
Même l’hélicoptère pour braconniers. Même les armes de guerre. Même l’intervention de l’armée dans des parcs animaliers. Et même l’ordre implicite donné aux agents des eaux-et-forêts de tirer pour tuer. Tout est permis. Tout sauf l’idée qu’il s’agisse ici de faim ou de nourriture.
 
Si la misère doit justifier le braconnage, est-ce que pour cela on devrait l’excuser ? Elle justifie ipso facto la rébellion et la guerilla. Qui oserait ici les justifier ?
 
J'aurais une idée, moi, pour protéger les éléphants d'Afrique. Une vraie action gouvernementale, ciblée, pointue, de haut niveau. Quelque chose de permanent aussi, bien financé, respecté. Un ministère. On l'appelerait le "ministère de la défense"!
 
 

Afrique du Nord, Adieu!

Le déclenchement de l’Opération « Serval » des forces armées françaises au Mali, marque une étrange, mais tellement prévisible, défaite de l’Afrique (du Nord).
 
Lancée le 11 janvier 2013, cette opération a trois objectifs, selon les informations communiquées par le ministre de la défense français Jean-Yves Le Drian,  :
 
  1. « arrêter l’offensive en cours des groupes terroristes et djihadistes ;
  2. empêcher leur avancée vers Bamako qui aurait pu menacer la sécurité du Mali ;
  3. assurer la sécurité des ressortissants français ainsi que des Européens. »

 

Soldats Français en partance pour Bamako - Opération Serval
 
 
On l’aura compris, il ne s’agit pas rétablir « la paix » ou « l’intégrité territoriale » du Mali. Ce boulot, ils le laissent « aux Africains ». Mais lesquels, exactement ?
 
Ce sont, au bas mot, un demi-millier de soldats français, une vingtaine d’avions, environ le double de blindés, un nombre non-spécifié de véhicules de transport militaires et quelques dizaines d’agents-instructeurs et de renseignement que la France entend déployer au Mali, pour une durée encore indéterminée. La Grande Bretagne mobilise des avions de transports militaires C17 et des drones américains seraient déjà sur le théâtre des opérations. Deux jours à peine après le lancement de l’opération, on dénombre un soldat français mort (le lieutenant Damien Boiteux), un blessé et un hélicoptère hors service.
 
Quelques questions méritent d'être posées :
 
Pendant que des soldats de l’ancien empire colonial risquent leur vie pour empêcher la transformation du Mali en sous-préfecture du califat djihadiste, que font l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie ?
 
A quoi sont employés les  130 hélicoptères de combat des forces aériennes algériennes ?
 
Hormis les sporadiques raides au Sahara occidental que fait le Maroc de ses 50 Mirage ?
 
A quoi servent les 200 chars Abrams de son armée de terre[1] ? La vingtaine d’avions de combat F16 ? Les 24 avions d’entraînement et les trois hélicoptères ? Les bombes à guidage laser? Et les 2 milliards de dollars dépensés pour l’acquisition de 16 nouveaux F16 ?[2]
 
Et les 5 milliards de dollars que dépense l’Algérie, chaque année, pour son armée[3] ?
 
Où sont les F-5 de la Tunisie ?
 
[ Voir ici le Panorama des forces aériennes au Sahel Tiré du World Air Forces 2011/2012 | Flightglobal Insight]
 
Tout cet armement, tout cet argent dépensé, pour quoi, exactement ? Pour la parade[4] ?
 
Oh l’armée malienne est indéfendable, pour sûr. Il faudra la reconstituer, c’est certain. Le système politique malien est brisé. Et ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on voit les soldats de la CEDEAO s’apprêter à mourir pour le Mali. Mais s’il est bien une région directement concernée par le succès ou l’échec de la poussée djihadiste au Mali, c’est bien le Sahel. Et les puissances économiques et militaires de cette région prouvent encore une fois leur incapacité à prendre l’Afrique subsaharienne au sérieux. On en est réduit à dépêcher des soldats Nigériens, en attendant que soient mobilisés ceux du reste de la CEDEAO… C’est dire l’état de la région.
 
A quoi s'attendent exactement les gouvernements des pays du Maghreb?
 
Qu'après le Mali les Djihadistes s'orienteront vers le Bénin? Il est évident qu'un Mali transformé en nouvelle Somalie laisse le Niger, son Uranium, son armée débilitée et sa tradition de coups d'état, à portée de canon. Et au delà, les reliquats du "khadafisme", les mouvements intégristes difficilement maîtrisés dans la région auront, de fait, une base arrière solide – probablement reconnue par l'UA. Se contenter d'ouvrir son espace aérien ( comme le fait l'Algérie) est à ce point en deçà de l'urgence de la situation qu'on ne sait s'il s'agit d'ignorance ou de sabotage. 
 
Et ce n’est pas faute d’avoir sollicité les pays du Maghreb. L’argument pré-mâché de « l’arrogance » occidentale ici fait long feu. Tout au long de l’année 2012 les Etats-Unis et la France n’ont cessé de démarcher l’Algérie, de convaincre ses autorités de participer à la préservation d’un semblant d’intégrité territoriale chez ses voisins[5], en vain. La diplomatie « souterraine » défendue par Alger (contre le « forcing militaire[6] » de Paris) a bien des raisons de se rester cachée – elle est honteuse : avec la pompe qui caractérise les grands moments de lâcheté, la Tunisie, la Libye et l’Algérie viennent d’annoncer un plan de coopération afin de renforcer la surveillance de leurs frontières[7]. Frontières mises en danger, par la « crise » au Mali – et encore plus, on le devine aisément, par « l’intervention française ».
 
Après le fiasco de l’intervention de l’Otan en Libye – fiasco pour l’UA[8] qui jusqu’au dernier moment n’a pas pu se résoudre à condamner l’usage de la force contre des civils -, l’apathie de l’ONUCI et de l’ECOMOG au plus fort de la crise ivoirienne de 2011, les Africains, dans leur ensemble, devraient se sentir morveux de devoir recourir encore une fois aux forces de l’ancienne puissance coloniale pour se sortir du pétrin. L’Afrique du nord, encore plus que le reste. Qui oserait, aujourd’hui, reprendre le cri de cœur d’Alpha Blondy : « armées françaises, allez-vous en de chez nous? »
 
Une cinquantaine d’abrutis manifestent devant l’ambassade de France à Londres contre l’intervention des forces françaises. Non pas par anti-impérialisme, mais en défense d’un autre impérialisme : l’imposition de la sharia à l’échelle planétaire[9].
 
Les affiches confiées parfois à des fillettes portant le voile lisent « Les musulmans arrivent ». On aimerait y croire…
 

Joël Té-Léssia


 

Selon les informations disponibles à l’heure actuelle, le gros des forces françaises mobilisées et mobilisables se résume ainsi[1] :

Matériel

Troupes

·         Des hélicoptères Gazelle du 4e régiment d'hélicoptères des forces spéciales (nombre non-spécifié)

·         2 Mirage F1 CR de l’Escadron de reconnaissance 1/33 Belfort

·         6 Mirage 2000D de l’Opération “Épervier”  basée au Tchad

·         3 Boeing KC-135 Stratotanker – avions de ravitaillement en vol

·         1 Hercule C-130

·         1 avion de transport Transall

·         Des Rafale du régiment Normandie-Niemen (nombre non-spécifié)

·         1 compagnie du 21e Régiment d’Infanterie Marine

·         1 peloton du 1er 1er Régiment Étranger de Cavalerie de la Légion étrangère

·         1 compagnie du 2e Régiment d'Infanterie de Marine

·         2 compagnies du  2e Régiment étranger de parachutistes.

·         200 militaires du groupement « terre » de la force Epervier (basée au Tchad) préparés à rejoindre Bamako