Le tourisme équitable en Afrique subsaharienne, un outil efficace de développement ?

A la différence du Maroc et de la Tunisie qui ont privilégié un tourisme de masse, l’Afrique sub-saharienne se trouve à la croisée des chemins et doit arbitrer entre un tourisme de masse, avec un retour sur investissement rapide, et un tourisme sélectif visant à accueillir un nombre réduit de touristes à hauts revenus dans des infrastructures volontairement limitées. Les pays d’Afrique sub-saharienne ont pris conscience ces dernières années de la formidable manne constituée par l’industrie touristique, secteur qui contribue le plus au PIB mondial et qui emploie environ 240 millions de personnes (données Organisation Mondiale du Tourisme, 2008). Le secteur représente ainsi 34% du PIB des pays en développement (données World Travel and Tourism Council, 2011). L’Afrique ne pèse actuellement que 10% du marché mondial du tourisme, et les perspectives prometteuses de développement du secteur attirent de nombreux investisseurs étrangers, parmi lesquels de grands groupes hôteliers internationaux. La tentation est alors grande pour les pouvoirs publics de promouvoir l’industrie du tourisme au détriment du secteur primaire, et de fermer les yeux devant l’essor des séjours dits all inclusive qui permettent au visiteur de ne rien dépenser une fois sur place, limitant ainsi grandement l’impact du tourisme sur l’économie locale.

En réaction au tourisme de masse globalisé dont l’impact négatif sur les territoires visités et leurs habitants n’est plus à prouver, est apparu à la fin des années 1990 le concept de tourisme équitable. Celui-ci place les populations locales au cœur du développement touristique de leur région,et les considère comme parties prenantes dans le partage des bénéfices liés aux prestations touristiques offertes aux visiteurs. Des partenariats sont alors créés entre les organismes touristiques et les populations locales, ces dernières devant en théorie voir leurs conditions de vie s’améliorer. L’expérience du tourisme équitable a d’abord été menée en Afrique du Sud en 1998, sous le nom de « Fair Trade in Tourism Initiative » par l’ONG Fair Trade in Tourism South Africa. En quelques années, l’ONG est parvenue à tisser un réseau composé d’organismes touristiques, d’ONGs et d’associations locales et a mis en place un système de certification pour distinguer les organismes touristiques les plus volontaristes. Parmi les critères essentiels à respecter pour bénéficier de ce label on peut citer des salaires décents pour les employés locaux, la protection des ressources naturelles, des conditions de travail satisfaisantes, et une plus grande transparence dans la redistribution des profits générés par le tourisme. D’autres pays ont également eu une politique volontariste en interdisant la pratique commerciale du all-inclusive, comme la Gambie.

Certains vont même plus loin dans la promotion du tourisme équitable, en faisant de ce dernier un outil concret de réduction de la pauvreté : il s’agit du tourisme « pro-poor », qui vise à faire bénéficier directement les plus pauvres des recettes du secteur avec un approche pragmatique. Dans un document de travail intitulé Pro-Poor Tourism Strategies : Making Tourism work for the Poor publié en 2001 par l’agence de développement britannique DFID, ce type de tourisme est défini comme une approche globale visant à générer des bénéfices nets pour les populations locales, à travers l’essor du secteur privé et la diminution de la vulnérabilité financière d’une partie de la population. A la différence du tourisme durable qui inclut également le respect de l’environnement, le tourisme pro-poor vise exclusivement la réduction de la pauvreté et s’appuie sur des projets pilotes concrets plus que par des standards théoriques. On peut citer la structuration de certains tours opérateurs locaux en association en Ouganda et en Namibie qui soutiennent le tissu économique local, ou encore la stratégie de développement d’infrastructures touristiques dans les régions les moins favorisées d’Afrique du Sud.

La conviction que le tourisme peut se révéler être un outil efficace de développement a incité progressivement les bailleurs de fonds à soutenir les investissements liés aux secteurs touristiques en Afrique subsaharienne, qui représente ainsi près de 10% du portefeuille tourisme de la SFI. Cette dernière a par exemple financé un lodge au Mozambique qui a entraîné la création d’emplois faisant vivre tout une communité, et la construction d’infrastructures de base (école, maternité, moulin). Le tourisme équitable représente donc un formidable outil de développement dans la lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne : le tourisme étant l’une des rares industries où le produit fini est consommé sur place, directement sur le site de production, il constitue un levier de croissance intéressant pour les pouvoirs publics, à condition que ceux-ci définissent une stratégie tourisme à long terme, et impliquent les populations locales dans leurs plans de développement du secteur.

 

Leila Morghad

Ces fabricants de tabac qui enfument l’Afrique

« Tell me if it’s wise digging out myself, and smoking out my cash, for a tiny piece of trash.” Ainsi commence la campagne vidéo anti-tabac lancée par l’OMS en Afrique en novembre le 1er novembre dernier. Grâce à au soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a ouvert à Kampala (Ouganda) son premier centre de lutte anti-tabac sur le continent africain.  Le centre vise à coordonner les actions de l’OMS dans ce domaine, et  cible dans un premier temps l’Ouganda, le Kenya, l’Afrique du Sud, la Mauritanie et l’Angola. Les objectifs de la feuille de route sont clairs : favoriser la création d’espaces non-fumeurs, développer des campagnes choc anti-tabac, augmenter les taxes sur les cigarettes et interdire les campagnes de publicité menées par l’industrie du tabac.

Longtemps reléguée par l’OMS derrière la lutte contre le VIH et le paludisme, la lutte contre le tabagisme est de nouveau à l’ordre du jour. Les estimations ne sont pas rassurantes : en 2030, si aucune action de prévention n’est menée,  le nombre de fumeurs en Afrique aura plus que doublé, passant de 85 millions à 200 millions de fumeurs. Véritable frein au développement, le tabac diminue les capacités de production des pays africains en impactant le nombre de personnes en âge de travailler. L’achat de cigarettes a aussi un coût d’opportunité élevé, et se fait en effet au détriment du budget habituellement consacré à la nourriture et aux soins médicaux de la famille. Ainsi en Ouganda, près de 50% des hommes fument, tandis que 80% de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Le tabac induit également des pertes de revenus et de productivité en cas de maladie ou de décès, sans compter les dépenses publiques liées au coût des soins de santé.

Alors que le tabagisme recule dans les pays développés, l’industrie du tabac cherche un relais de croissance dans les pays émergents. L’Afrique représente une cible idéale : avec un taux de tabagisme encore bas et une population jeune peu sensibilisée aux méfaits du tabac,  les perspectives de croissance pour les cigarettiers sont très favorables, et ont attiré bon nombre d’industriels ces derniers années. Une étude de l’OMS intitulée Tabac  et pauvreté, un cercle vicieux (2004) souligne ainsi le fait que la consommation de tabac est nettement plus élevés chez les personnes à faible revenu. Quant aux cultivateurs de tabac, ils ne bénéficient pas non plus de la profitabilité de l’industrie du tabac, les récoltes étant sous-rémunérées par les cigarettiers, et finissent bien souvent par s’endetter auprès de ces derniers.

 Les trois premiers entrants sur le marché africain ont été British-American Tobacco (Royaume-Uni), Philip Morris International (Etats-Unis) et Imperial Tobacco (Royaume-Uni). British-American Tobacco s’est progressivement imposé parmi les fabricants de tabac en Afrique et a même construit plusieurs usines de production au Nigéria. Les industriels ont su rapidement adapter leur business model aux spécificités du marché africain et développer des campagnes marketing redoutanblement efficaces. La vente de cigarettes se fait ainsi souvent à l’unité dans les pays les moins avancés, pour s’adapter au faible pouvoir d’achats des consommateurs, et pour permettre aux plus jeunes de fumer en toute discrétion. La vente à l’unité permet également de détourner le consommateur des messages de prévention souvent explicites collés sur les paquets de cigarettes. Les stratégies de vente s’accompagnent de campagnes marketing efficaces, avec la distribution de cigarettes gratuites aux jeunes et le sponsoring d’événements sportifs et culturel à fort retentissement.

Les industriels vont même plus loin pour soigner leur image de marque, en finançant des campagnes anti-paludisme ou en consacrant 1% de leurs bénéfices à l’amélioration de l’accès à l’eau et aux soins en milieu rural. Devant la forte progression du nombre de fumeurs en Afrique, estimée à 4% par an, les autorités publiques sont longtemps restées muettes, devant la manne financière représentée par les taxes sur les ventes de cigarettes. Ainsi en novembre dernier au Sénégal, la baisse unilatérale du prix des cigarettes vendues Philip Morris pour bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse et regagner des parts de marché n’a pas suscité de réaction du gouvernement.

Il est donc crucial que les pouvoirs publics ne cèdent pas face au lobbying continu de l’industrie du tabac, déterminée à s’implanter solidement sur un marché africain estimé à 700 millions de consommateurs. Malgré la ratification par certains Etats africains de la Convention –cadre de l’OMS  pour la lutte anti-tabac en 2004, les actions de prévention et les mesures législatives n’ont eu que peu d’effet sur le nombre de fumeurs en Afrique. Le tabac est désormais un véritable enjeu de santé publique en Afrique et risque à terme d’affecter la productivité du continent si l’attentisme des Etats persiste.

Leïla Morghad

 

Source photo : http://leboytownshow.com/wp-content/uploads/2011/09/Afrique-senfume1.png

L’agriculture biologique permettra-t-elle de nourrir l’Afrique à sa faim ?

A l’heure où nourrir les populations représente encore un défi dans certains pays africains, il peut sembler utopique de s’intéresser à l’agriculture biologique, et aux bénéfices dont pourraient en tirer les économies africaines. Pourtant ce type d’agriculture permettrait de lutter contre la désertification progressive qui sévit sur le continent, et de garantir une meilleure autosuffisance alimentaire.

L’agriculture biologique en Afrique se résume pour certains à un doux rêve de bobo idéaliste. Pour d’autres, il est souhaitable que les pays africains se tournent vers ce type d’agriculture dans une perspective de durabilité des ressources.  L’on conçoit souvent l’autosuffisance alimentaire comme le résultat d’une agriculture intensive, dont les hauts rendements exigent l’utilisation d’engrais industriels et de pesticides. En bref, faut-il vraiment produire plus pour manger plus ?

Une étude publiée par l’Institut de Développement durable basé à Addis Abbeba, en partenariat avec la FAO et la Société suisse pour la conservation de la nature retrace l’une des premières expériences scientifiques d’agriculture biologique menée sur la période 2000-2006. Les recherches ont porté sur la région de Tigray, située au nord de l’Ethiopie, où les terres agricoles ont subi une forte dégradation dans un contexte de sécheresse persistante. La conversion des terres en terrains biologique, qui nécessite trois à quatre ans, a permis de doubler les rendements dans la région, notamment grâce à l’utilisation de fertilisants naturels, à une meilleure gestion des eaux de pluies, et à la réintroduction de végétaux permettant de lutter contre l’érosion des sols.

Cette expérience a le mérite de démontrer que la désertification progressive du continent n’est pas une fatalité. L’agriculture biologique, en optimisant et modernisant les méthodes de l’agriculture traditionnelle constitue une solution efficace face à la dégradation des terres cultivables et l’érosion des sols. L’intensification agricole de ces dernières années a eu de lourdes conséquences sur  la qualité des sols africains : les monocultures, le sûrpaturage, l’agriculture sur brûlis et l’irrigation mal maîtrisée ont considérablement appauvri les terres cultivables, et la transition agricole tant attendue ne s’est pas accompagnée d’une hausse réelle des rendements. La lutte contre le processus de désertification à travers la généralisation de l’agriculture durable permettrait ainsi d’accroître la production et de réduire la dépendance alimentaire du continent.

 L’agriculture biologique est pourtant loin de faire l’unananimité chez les experts africains. Lors d’une conférence au Rwanda en octobre dernier, le CIALCA (Consortium for Improving Agriculture-based Livelihoods in Central Africa) a écarté l’idée d’un débat idéologique opposant agriculture intensive et biologique, les deux approches étant selon eux complémentaires et pertinentes à des stades de développement différents. Cette approche pragmatique part du constat que l’agriculture africaine est par nature biologique, avec la faible utilisation d’engrais et de pesticides, qui conduit à de faibles rendements. La « troisième voie » proposée, celle de « l’intensification durable », combine ainsi les deux approches, dans l’objectif d’éradiquer la faim dans les régions sous forte pression démographique, à travers l’introduction de variétés de fruits et légumes améliorées, et de cultures intercalaires (juxtaposition de plusieurs cultures, pour bénéficier de synergies de production).

Au-delà de la préservation des terres, le développement de l’agriculture biologique permettrait à terme aux populations locales d’obtenir une meilleure rémunération de leur travail, les produits issus de ce type d’agriculture offrant de meilleures marges que les produits standards. La demande de produits biologiques est en forte croissance dans les pays européens, et les producteurs africains tournés vers les marchés export pourraient sensiblement améliorer la rentabilité de leurs exploitations après la conversion de leurs surfaces en terres biologiques. L’agriculture biologique convient d’ailleurs particulièrement aux petites exploitations, qui cultivent souvant les terres selon les méthodes traditionnelles. Certains pays ont bien compris la manne que pourrait représenter une production agricole biologique de qualité, et encouragent les producteurs dans leurs démarches de certification grâce à des programmes financés par la FAO, la certification étant indispensable pour exporter sur les marchés européens. Les pays bénéficiant aujourd’hui des plus grandes surfaces agricoles biologiques sont l’Ouganda, la Tunisie, l’Ethiopie et la Tanzanie, avec des cultures dites de rente comme le café, le coton, le cacao et l’huile de palme.

Face à l’échec de l’intensification agricole de ces dernières années, l’agriculture biologique présente de réels avantages pour les producteurs africains : proche de l’agriculture traditionnelle, elle contribue à limiter l’érosion des sols, et permet aux populations de bénéficier de ressources durables dans un contexte de forte pression démographique. La structuration progressive des filières export, notamment  grâce à la certification, constitue une assurance pour les exploitants africains de vendre leurs produits à bon prix, se protégeant ainsi contre les fluctuations des marchés agricoles mondiaux.

Leïla Morghad 

Afrique: la guerre du transfert d’argent aura bien lieu

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Les files d’attente devant les bureaux africains de Western Union et Moneygram pourraient bientôt n’être qu’un lointain souvenir. L’essor de l’envoi d’argent par les travailleurs migrants par téléphone portable pourrait permettre à la concurrence de faire son entrée sur un marché très convoité : les services de transfert d’argent.

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Visa ne s’y est pas trompé et a flairé le filon : début octobre, le réseau international de cartes bancaires a annoncé le lancement de son premier système de paiement entre téléphones portables. Le détenteur d’une carte bancaire Visa peut dorénavant transférer de l’argent via une application, le destinataire étant averti en temps réel de la transaction. Bien que réservé pour l’instant à l’Europe, Visa  n’a pas caché sa volonté de l’étendre rapidement au continent africain, comme pouvait laisser présager l’acquisition en juin dernier par l’opérateur de Fundamo, une entreprise sud-africaine spécialisée dans la technologie du mobile banking.

Contre toute attente, l’impact de la crise financière mondiale sur le transfert d’argent en Afrique a été modéré, avec une baisse en 2009 de 6% par rapport à l’année précédente. Selon le FMI, pour la plupart des pays africains dépendant des devises envoyées par les immigrés, les fonds viennent du continent lui-même, et sont donc peu liés aux fluctuations conjoncturelles mondiales. L’envoi d’argent à destination de l’ Afrique est de nouveau reparti à la hausse en 2010, avec près de 40 milliards de dollars envoyés, soit  2.6% du PIB africain, d’après les estimations de la Banque mondiale. Le continent représente donc un marché intéressant pour les sociétés de transfert d’argent, qui peuvent tirer profit d’un double avantage concurrentiel : la sous-bancarisation de la plupart des pays africains, et le taux de pénétration élevé des téléphones portables.

Le marché des transferts d’argent est pour l’instant dominé par le duopole Western Union et Moneygram, qui trustent à eux-seuls plus de 85% des parts de marché, en captant l’essentiel de l’argent envoyé par les immigrés à leurs familles. Apparues dans les années 1990 en Afrique et remplaçant peu à peu les envois de fonds informels, ces sociétés de transfert d’argent (STA) ont révolutionné le marché en permettant d’envoyer des fonds de manière sécurisée et en quelques heures. La stratégie d’alliance de ces STA avec des  opérateurs de services postaux, des organismes bancaires et des institutions de microfinance pour rendre les clients captifs s’est avérée payante : vingt ans plus tard, malgré les progrès technologiques et la multiplication des agences ouvertes en Afrique, les coûts de transaction facturés sont toujours aussi élevés, et sont difficiles à justifier, surtout lorsqu’ils atteignent 20% du montant de la transaction. Le succès persistant de ces usuriers des temps modernes s’explique selon la Banque africaine de développement par l’importance donnée par le travailleur migrant à la rapidité et la fiabilité de la transaction, qui l’emporte sur le prix de cette dernière.  

Le développement de l’envoi d’argent via la téléphonie mobile pourrait changer la donne en cassant le duopole actuel, et en permettant aux banques de se positionner comme concurrents directs des STA. La plupart des bénéficiaires des fonds ont en effet bien souvent un téléphone portable, et seraient donc  dispensés d’avoir un compte bancaire. Les banques sont de surcroît plus compétitives concernant les commissions facturées sur les transferts, ce qui écarterait définitivement les barrières à l’entrée de ce marché tant convoité.

L’attention portée par les banques de développement au transfert d’argent va au-delà de la condamnation des pratiques douteuses de certaines sociétés du secteur. L’enjeu se situe davantage au niveau macroéconomique, et plus précisément dans la capacité des Etats africains à attirer sur le long terme les flux d’argent envoyés par les migrants les plus qualifiés, désireux de mener des investissements durables dans leur pays d’origine. La progression des banques sur le marché du transfert d’argent est donc décisive pour baisser les coûts des fonds transférés, mobiliser les ressources envoyées par les travailleurs migrants et les faire fructifier sur le long terme, à travers le financement d’équipements collectifs pour la population, et le soutien à ceux qui désirent créer leur propre entreprise dans leur pays d’origine. L’intérêt bien entendu des banques rejoint donc parfois celui des communautés locales.

Leïla Morghad   



Le chômage des jeunes : un défi de plus pour l’Afrique d’aujourd’hui ?

A l’heure où le gouvernement français a choisi de durcir les conditions d’accès à l’emploi pour les étudiants étrangers, on peut se demander quelles seront les conséquences à long terme pour ces milliers d’étudiants africains qui choisissent chaque année d’aller étudier en France, et de s’y installer par la suite, faute d’opportunités professionnelles satisfaisantes dans leur pays d’origine.

En effet, si les statistiques sur l’emploi des jeunes (individus âgés de 15 à 24 ans) fournies par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) dans son dernier rapport annuel Global Trends for Youth Employment  2010 soulignent une tendance à la baisse pour le chômage des jeunes en Afrique sur la dernière décennie, on ne peut pas vraiment se réjouir des chiffres mentionnés. Alors que le taux de chômage est de 13% dans le monde en 2009 , il atteint la même année 23.7% en Afrique du Nord, et 11.9% en Afrique subsaharienne (source OIT). Cette dernière donnée est à interpréter prudemment : le taux de chômage indiqué pour l’Afrique subsaharienne est en réalité bien plus important, car les statistiques différencient population active au chômage, et population inactive, à savoir les jeunes qui ne recherchent pas d’emploi. La part des jeunes au chômage en Afrique subsaharienne est donc très élevée si l’on additionne jeunes actifs au chômage et jeunes inactifs, car elle atteint près de 50% des jeunes de 15 à 24 ans. De plus, certains jeunes considérés comme actifs sont en réalité sous-employés, c’est-à-dire qu’ils travaillent quelques heures par semaine, souvent dans la sphère informelle. Parmi cette population, les jeunes femmes sont encore plus touchées par l’impossibilité d’accéder à un emploi stable, et ce pour des raisons diverses : taux de scolarisation et niveau d’instruction plus faibles, schémas familiaux traditionnels et difficultés plus grandes à rechercher un emploi en raison d’une méconnaissance du marché du travail et de son fonctionnement.

En Afrique comme dans le monde, le chômage des jeunes semble être un phénomène véritablement structurel, l’élasticité de l’emploi des jeunes rapportée à la croissance du PIB étant limitée, comme le détaille le rapport de la Banque mondiale intitulé Les jeunes et l’emploi en Afrique, le potentiel, le problème, la promesse. Par ailleurs, les jeunes Africains sont trois fois plus touchés par le chômage que les adultes, ce qui montre que cette population rencontre des difficultés toutes particulières pour accéder à un emploi pérenne. Paradoxalement, le chômage des jeunes est plus élevé parmi ceux qui ont fait des études secondaires ou supérieures, le ratio du taux de chômage des  jeunes ayant  fait des études secondaires par rapport aux jeunes n’ayant pas fait d’ études est ainsi de 1 à 3. Les jeunes actifs ne sont pour autant pas privilégiés : l’emploi auquel ils accèdent est souvent précaire, sous-payé et du ressort de l’économie informelle, sans protection sociale ni contrat de travail. 

Les causes du chômage des jeunes en Afrique sont multiples : un facteur démographique défavorable, une croissance économique qui ne crée pas d’emploi, un système d’éducation mal adapté, et des politiques publiques qui découragent les investisseurs privés et favorisent la montée du secteur informel. L’incapacité des Etats africains à s’attaquer au chômage des jeunes risque de fragiliser des populations et les maintenir dans la pauvreté sur plusieurs générations, et d’exacerber les tensions sociales comme on a pu le voir au Maghreb ces derniers mois. Sur un continent où près de 60% de la population a moins de 25 ans, le chômage des jeunes risque fort de se transformer en « bombe à retardement » comme le prédisent certains depuis plusieurs années.

Leila Morghad   

Y aura-t-il un Facebook africain ?

Le continent africain est souvent cité en exemple pour illustrer la fracture numérique à l’échelle globale, comme l’ont mentionné Jacques Leroueil et Philippe Jean dans la série d’articles  Internet en Afrique : état des lieux. Pourtant, sur les 119 millions d’internautes africains recensés, 32 millions d’entre eux ont un compte Facebook (source : Socialbakers.com). Plus d’un quart des Africains utilisant Internet régulièrement sont donc connectés au réseau social le plus populaire au monde, qui compte plus de 725 millions d’utilisateurs à l’échelle de la planète.

Au-delà des chiffres, divers facteurs expliquent cette success story de Facebook sur le continent africain. Le faible taux de pénétration d’Internet conjugué à l’essor de la téléphonie mobile a sensiblement contribué à l’utilisation des téléphones portables pour se connecter aux réseaux sociaux à un coût raisonnable. Il est également aisé de garder contact avec les amis partis étudier ou travailler à l’étranger, une observation empirique permettant de constater que la plupart des utilisateurs africains affichent plusieurs centaines de contacts sur Facebook, dépassant ainsi de loin les 120 amis de l’utilisateur moyen de ce réseau. Facebook a lui-même su s’adapter à l’utilisateur africain en proposant une navigation en plusieurs langues locales, parmi lesquelles l’arabe, l’afrikaans et le swahili.  Avec 8 millions d’utilisateurs, l’Egypte est le pays qui recense le plus d’adeptes sur le continent, suivi par l’Afrique du Sud, le Maroc et le Nigéria. Le taux de croissance des utilisateurs demeure élevé, allant jusqu’à 120% par mois en République démocratique du Congo.

On peut alors s’interroger sur l’absence de l’équivalent africain de Facebook, alors que la plupart des pays émergents ont le leur, comme Orkut au Brésil ou Renren en Chine. L’internaute africain refuserait-il de se cloîtrer dans un réseau local ostracisant, ou est-il encore à la recherche du réseau social africain qui lui ressemble ?

Il existe pourtant déjà plusieurs réseaux sociaux africains, qui connaissent un franc succès. Les plus connus sont Afrigator, Zoopy et Ushahidi. Les deux premiers réseaux cités sont sud-africains, et ont été lancés en 2007. Leur positionnement diffère cependant. Afrigator est à la fois un réseau social et un agrégateur de blogs,tandis que Zoopy propose essentiellement des vidéos courtes d’actualité, que les utilisateurs peuvent commenter et partager. Ushahidi est quant à lui sur un segment bien différent : créé après les élections au Kenya en 2008, il permet aux utilisateurs de signaler les incidents violents qui ont lieu à travers le pays par le biais de leur téléphone portable, réalisant ainsi un mapping de la crise politique qui sévit dans le pays. Ce concept de cartographie sociale s’est par la suite exporté dans d’autres pays africains, tel que le Zimbabwe, la Côte d’Ivoire (Wonzomai) ou encore l’Egypte (Zabatak).

Ces trois réseaux sociaux se caractérisent donc par des modalités d’utilisation différentes, et fragmentent ainsi le modèle du réseau social en une multitude de circuits parallèles, à l’inverse même du facteur clé de succès de Facebook, à savoir rendre l’utilisateur captif et dépendant du réseau, que ce soit pour s’informer, suivre les faits et gestes de ses amis, et activer ses contacts professionnels. C’est donc l’absence d’un réseau social multi-fonctions à l’échelle du continent qui a poussé deux étudiants africains à lancer en février dernier Farafyn, réseau social se revendiquant « purement africain » et disponible dans les langues locales les plus courantes. Même s’il est encore tôt pour se prononcer sur le réussite à long terme de ce concept, le site connaît pour l’instant un succès relatif, avec tout au plus quelques centaines d’utilisateurs, la plupart sénégalais et ivoiriens.

La croissance exponentielle de Facebook en Afrique semble donc traduire une forte volonté d’adhésion à un réseau globalisant, loin des revendications d’appartenance à des réseaux locaux. Les dirigeants africains ont d’ailleurs rapidement compris le poids de Facebook dans les débats politiques locaux : rares sont les chefs d’Etat à ne pas posséder au moins une fan page officielle.

Leïla Morghad

La Chinafrique, ou De l’intérêt bien entendu

 

A l’heure où la coopération Sud-Sud semble être la panacée selon les dirigeants africains, il est un pays émergent qui allie intérêts stratégiques et aide au développement sur le continent : la Chine. Le pays a en effet développé une stratégie d’intervention très efficace dans de nombreux pays d’Afrique, en sécurisant son accès à des ressources naturelles vitales pour sa croissance, mais également en contribuant au développement du continent à travers des financements à des projets que les banques traditionnelles hésitent à soutenir.

Le rapport de l’ONU intitulé La coopération de l’Afrique avec les partenaires de développement nouveaux et émergents : options pour le développement en Afrique  paru en 2010 analyse les intérêts chinois en Afrique, qui relèvent à la fois d’impératifs économiques et  d’un pragmatisme politique incontestable. La Chine a en effet multiplié  les investissements dans le secteur de l’énergie (pétrole, minéraux) et a redoublé d’efforts pour maintenir  de fortes relations commerciales sur le continent afin de s’assurer d’un accès privilégié aux matières premières et de  garantir des débouchés à ses exportations, principalement des technologies  à bas niveau ou intermédiaire. L’essentiel de la politique de coopération chinoise se concentre sur les pays riches en ressources naturelles (Angola, Nigéria, Afrique du Sud), et le modèle de développement intègre à la fois l’importation de matières premières et une coopération technique diversifiée (infrastructures, logements).  Le rapport montre que l’Afrique profite elle aussi de l’intérêt de la Chine pour ses richesses naturelles, le montant de l’aide au développement chinoise étant en constante augmentation depuis vingt ans.

Toutefois l’idée d’un pillage des ressources naturelles par la Chine est souvent évoquée par les médias occidentaux, affirmation remise en question dans un papier publié par la Banque africaine de développement en mai dernier, intitulé China’s engagement and aid effectiveness in Africa . L’auteur note ainsi que contrairement aux idées reçues, la coopération chinoise a joué un rôle globalement positif dans le développement du continent africain, en intervenant dans des secteurs où les acteurs du développement étaient peu présents, tels que les transports ou les NTIC. Il est pourtant difficle de faire la part entre aide et IDE et de schématiser le modèle de l’aide chinoise, compte tenu de ses composantes très diverses, allant de l’assistance technique à des allègements de dette.  Les tests économétriques publiés dans le rapport montrent une forte corrélation entre l’aide chinoise et deux autres facteurs, à savoir le montant de l’investissement direct à l’étranger chinois et la nature des relations diplomatiques avec le pays bénéficiaire.  En revanche, le montant du PIB par tête ou même les insuffisances en matière de gouvernance ne constituent pas des facteurs déterminants pour  l’attribution  de l’aide.

Les publications de recherche divergentes montrent qu’il  est encore tôt pour mesurer l’impact de la Chinafrique sur le développement en Afrique.  Face à la progression chinoise dans le pré carré des acteurs traditionnels du développement , un autre enjeu de long terme se dessine : la coordination entre les donneurs occidentaux et la Chine en matière d’aide au développement sur le continent .

 

Leïla Morghad

Mobile banking : le nouveau filon des opérateurs de téléphonie mobile en Afrique

Le marché du mobile banking est en pleine ébullition : le groupe bancaire africain Ecobank et le groupe de téléphonie indien Airtel ont signé le 6 juin dernier un accord portant sur les services mobiles en Afrique. Ce n’est pas le premier partenariat signé par Ecobank sur le continent, le groupe s’étant déjà allié à MTN au Bénin en septembre 2010. Les enjeux sont de taille : l’Afrique est le continent le plus sous-bancarisé du monde, avec  une moyenne de 5 agences bancaires pour 1000 habitants, et la