Turbulences dans le ciel subsaharien

Considéré comme le moyen de transport le plus fiable, l’avion est le principal outil de transport de personnes entre les régions africaines et le reste du monde. A l’intérieur même du vaste continent africain, l’avion présente bien des avantages face à un secteur routier déficient, impraticable et peu sécurisé. L’Afrique représente environ 5 % du transport aérien civil mondial et 2 % en termes de volume de frets. Malgré les prévisions de l’Organisation Mondiale du Tourisme sur les perspectives d’expansion du secteur aérien (voir l'article de Ted Boulou sur ce sujet), l’actualité ne cesse de s’assombrir avec une série de crashs d’avions. Si le présent n’est pas très souriant, le secteur aérien représente néanmoins un vecteur de croissance considérable pour une Afrique mobile et réglée au pas de la mondialisation.
C’est donc pour cette raison que nous avons décidé d’y consacrer une série d’articles. Dans ce premier papier, nous évoquerons les principales causes des problèmes techniques qui affectent le secteur aéronautique africain.

Un rappel de la situation actuelle. Depuis 2011, environ 27 crashs aériens ont été recensés dans le monde dont 7 en Afrique. La quasi-totalité de ces incidents s’observe en phase d’atterrissage. Plus de 70 % de ces crashs se sont déroulés en Afrique Centrale, où les infrastructures routières inter-Etats sont quasiment inexistantes. L’ensemble de ces crashs ne concerne que des compagnies africaines, signe d’un réel décalage de la qualité de service en comparaison des compagnies étrangères qui desservent aussi le continent. A quoi doit-on cette situation ?

Un contexte historique bien souvent négligé : La plupart des aéroports africains ont été construits du temps de la colonisation avec des pistes d’atterrissage proportionnelles au trafic de l’époque. Souvent situés en plein centre-ville, ils ont rarement été intégrés dans la planification urbaine des villes, pour peu que de tels plans existent. Compte tenu de la vague d’urbanisation importante depuis les années 80, les aéroports se sont très vite retrouvés enclavés, au milieu des habitations et zones d’activité de leur agglomération. Selon le Bureau d’Enquête et d’Analyse qui est le principal organisme technique européen du secteur aérien, le risque de crash est le plus élevé durant les phases critiques que sont le décollage et l’atterrissage. Ce facteur de risque corrélé avec la géolocalisation des aéroports, nous comprenons d’emblée pourquoi les accidents aériens sont si dévastateurs en Afrique, car en plus des dégâts matériels, il faut aussi tenir compte des dégâts au sol. C’est le cas du crash récent au Nigéria en plein centre de Lagos, qui a provoqué de nombreuses victimes au sol.

Un problème d’infrastructures : La gestion du transport aérien requiert un certain nombre d’infrastructures et d’équipements. Au sol, une des principales lacunes est l’état de nos équipements. Dans le rapport du 1er forum africain du transport aérien, l’accent a été mis sur l’absence d’équipements nécessaires pour la maintenance et la gestion du trafic depuis la fermeture des sites de maintenance de Dakar et Brazzaville. En 2004, un avion d’Air Ivoire dont le pneu a éclaté à son atterrissage à Cotonou a bloqué l’aéroport pendant 24heures, faute de camion de tractage et de matériel pour regonfler la roue. Il aura fallu attendre plus de 8 heures pour qu’un autre vol d’Air Ivoire ramène le matériel nécessaire. Au début du mois de juin 2012, ce même aéroport de Cotonou a été plongé dans l’obscurité faute d’approvisionnement électrique. Cette situation a entrainé l’annulation de tous les vols programmés. Étant donné qu’il s’agit du seul aéroport international du pays, les externalités économiques négatives ne peuvent être que très lourdes. Il n’est pas rare de croiser aux abords des pistes d’atterrissage un ensemble d’épaves, qui se laissent vieillir par manque de main-d’œuvre qualifiée ou de logistiques capables de retraiter l’ensemble des composants défectueux.

Dans les airs, le constat est tout aussi édifiant. La plupart des aéroports ne dispose pas de radar visuel. Le suivi des vols s’effectuent entièrement par contact radio avec les tours de contrôle. Les centres de navigation sont dans l’impossibilité de suivre la position physique des avions dans leur zone de contrôle… Ce manque de moyens technologiques s’avère très couteux : en 2007, un vol de Kenya Airways s’est écrasé juste après son décollage de nuit de Douala, dans la forêt. Il aura fallu plusieurs jours et l’appui du centre de recherche par satellite de Toulouse pour localiser enfin l’épave. D’autres soucis de coordination sont à relever. Dans l’espace aérien du Sahara, il n’y a pas de centre de contrôle radio. Les contacts entre appareils s’effectuent sur une auto-fréquence (Unicom). Pour éviter toute collision, chaque appareil doit indiquer sa position toutes les demi-heures afin de s’identifier vis-à-vis de tout appareil opérant dans un espace proche.

La question de la flotte : Il s’agit d’un point crucial que nous développerons davantage dans le prochain article. Bien que très diversifiée, la flotte de la plupart des pays est souvent le facteur le plus influent dans l’évaluation du risque d’incidents. Souvent proches de la trentaine d’années, bon nombre d’avions ont été achetés d’occasion à petits prix dans les pays du Nord, où ils ont déjà été largement amortis. Le manque de rigueur dans les contrôles et la mise en conformité laxiste offre à certaines épaves volantes le droit de vivre une seconde vie en Afrique. D’après la liste noire publiée par l’UE , plus de 70 % de la flotte aérienne serait interdite d’opérer dans le ciel européen. Cette situation est d’autant plus préoccupante que même les chefs d’État donnent les mauvais signaux. En prenant le cas du Bénin, Mali, Niger, Côte d’Ivoire et Sénégal (même si le président Macky Sall a revendu l’A320 acheté à l’Etat français), ils ont tous acquis des Boeing ou Airbus datant des années 60. Même s’ils sont entretenus dans de bonnes conditions, il subsiste toutefois un risque de crash plus élevé dû à l’âge de la flotte.

À travers ce premier article, nous avons essayé de mettre en exergue quelques points cruciaux qui handicapent le secteur aérien africain. La réalité est que s’il existait un contrôle mondial de conformité des aéroports aux règles de sécurité, bon nombre de ceux qui existent en Afrique seraient interdits d’opérations. Dans notre prochain article, nous tâcherons de développer les questions d’ordre économique auxquelles font face les compagnies africaines.

Léomick Sinsin
 

Le Nigeria à l’heure nucléaire

Le gouvernement du Nigéria vient de signer un accord-cadre avec le géant russe du nucléaire Rosatom. Même si le nucléaire présente un certain nombre d'avantages compétitifs par rapport à d'autres sources d'énergie, il est de nos jours au centre de toutes les interrogations, compte tenu du risque induit qu'illustrent les événements de Fukushima. L’Afrique s'est jusqu'à présent tenue à l'écart de cette source d'énergie ; l’Afrique du Sud est le seul pays exploitant deux réacteurs civils pour sa production d’électricité, en partenariat avec EDF-Areva. Dans ce cadre, comment analyser la transition énergétique qu’aborde le Nigéria et qui représente une première en Afrique de l'Ouest ?

Le choix du nucléaire, ou comment répondre à des besoins de masse en énergie

Le principal avantage d’une centrale nucléaire est sa capacité continue de fourniture d’une importante quantité d’électricité (elle fonctionne en moyenne 5600 h sur les 8760 h d’une année). Contrairement aux idées reçues, le nucléaire est une source de production d’énergie verte à l’instar de l’éolien et du solaire, car il n’y a pas de pollution liée au cycle de production d’électricité. Il s'agit donc d'un outil particulièrement indiqué pour faire face à de gros besoins en énergie. Or, d’après le World Energy Council qui est le rapport officiel publié par l’IAE (l’Agence Internationale de l’Énergie), environ 87 millions de Nigérians ne bénéficient actuellement pas d’une couverture électrique. Cette pénurie et les multiples délestages représentent un réel frein à la croissance et au développement, car à une échelle macroéconomique, elle ne permet pas le déploiement d’industries lourdes très énergivores. D’un point de vue microéconomique, il s’agit d’un manque à gagner considérable, car la productivité des agents économiques (les ménages, les petits commerces ou simplement les écoles et administrations) est amoindrie, du fait que leurs ressources en énergies sont faibles et non continue (délestages). L’ensemble des activités économiques est ainsi subordonné aux nombres d’heures d’ensoleillement dans la journée. Sur la base d’une centrale de Rosatom (925MW), une seule installation suffirait à répondre au besoin d’environ deux millions de foyers, synonyme d’un pas-de-géant dans une Afrique célèbre pour sa pénombre.

Les risques liés à l'énergie nucléaire

On ne saurait évoquer l'impact du nucléaire au Nigeria sans rappeler que ce pays est l'un des plus instables de la sous-région. Les perpétuelles violences entre communautés religieuses, les multiples attentats de Boko Haram, les dissensions entre le Nord et le Sud du pays, ainsi que les kidnappings incessants illustrent le climat d'insécurité et de fébrilité de cette nation. Dans ce contexte, l’installation d’un site nucléaire peut être perçue comme une arme de revendications supplémentaires pour l’ensemble des groupes dissidents et fortement armés. Cette situation peut légitimement faire souffler un vent d’inquiétude chez l’ensemble des pays voisins. Comment le pays saura-t-il prévenir et gérer les situations de crise liées au nucléaire ? Les récents incidents survenus à l'intérieur même des pays les plus avancés techniquement laissent présager du pire pour un pays comme le Nigeria. La domestication de l'énergie nucléaire nécessite des procédures rigoureuses dans le cahier de charges de construction et de gestion des centrales, procédures qui doivent être respectées en pratique par les techniciens exploitants.

Enfin, autre question cruciale sur laquelle le gouvernement nigérian ne semble pas apporter de garanties, celle de la gestion des déchets nucléaires. Dans la plupart de pays exploitants, cette procédure est encadrée par des normes et des juridictions très strictes. Avec un air de déjà vu comme le Probo Koala en Côte d’Ivoire ou les décharges à ciel ouvert d’Accra, l’Afrique est souvent perçue comme la poubelle du monde. Qu’en sera-t-il de ces déchets produits localement  ?

Quelques recommandations

Tout d’abord, il conviendra de construire les sites nucléaires dans des zones très éloignées des lieux d’habitation afin de minimiser tous les risques énumérés ci-dessus. D’autre part, il est important de sensibiliser très tôt l’opinion publique, car une telle infrastructure d’utilité publique mérite d’être bien connue de tous pour faciliter le vote des vigoureuses mesures préventives. En guise d’exemple, le Ghana a pu mettre en place un site internet (ghana oil watch) pour tenir informé les citoyens de toutes les actualités et des mesures en cours dans le cas de sa récente exploration pétrolière. Enfin, s'il est souhaitable de recourir à une technologie novatrice, cette politique d’expansion ne doit pas constituer un frein au déploiement des sources d’énergie existantes et alternatives. Et en particulier au gaz ; chaque année, l’Afrique torche environ 50 Gm3 de gaz (il s’agit des torches à ciel ouvert : durant l’exploitation du pétrole, une importante quantité de gaz gît et faute d’infrastructures en place pour le traitement et la capture, on le brule en continu). En terme d’énergie équivalente, cela représente la moitié des besoins électriques du continent tout entier. De plus, il s’agirait d’un bon compromis pour le WAPP, interconnexion ouest-africaine sur laquelle Terangaweb a consacré un article.

Léomick SINSIN

Un coup d’oeil sur l’or noir en Afrique

Quand on parle pétrole, nous avons souvent à l’image un liquide fluide, bien loin de son aspect visqueux et lourd. Le pétrole est depuis les années 1950 notre principale consommation énergétique pour le transport et la production d’électricité. Une étude de la filière s’avère donc utile afin de comprendre la place et les défis de l’Afrique au sein de cette industrie. D’après le BP statistique Review, l’Afrique détient 10 % des réserves prouvées avec une consommation de 4 % à l’échelle mondiale, soit moins de 2% pour la partie subsaharienne hors Afrique du Sud. Pourquoi ce décalage ? Sans revenir sur les sujets de fonds souvent évoqués (pauvreté, Dutch Disease), il faut noter des défaillances dans les politiques à long terme des pays producteurs de pétrole africains. Avec des compétences importées du Nord sans véritable transfert de connaissances, les premiers contrats signés étaient de type concession : les pays attribuent des licences de très longue durée sous réserve d’une part fixe des revenus des compagnies internationales (ou IOC). Ce n’est qu’avec l’avènement de l’OPEP, la création des compagnies nationales plus dynamiques dans certains pays (NOC), les chocs pétroliers entrainant une perte de puissance de l’OPEP au profit des marchés financiers et des producteurs indépendants que se sont développés les contrats d’exploration et de partage de production (CEPP) largement répandus de nos jours.

Le cycle de production du pétrole montre bien où se crée la valeur ajoutée et à quel niveau se stiuent les producteurs africains. Bien qu'extrait à un cout relativement faible (15-25 $/baril), il n’est pas rare d’entendre que le baril de pétrole a atteint un cours de plus de 100 $. De quoi parle t'on exactement ? Il existe une centaine de variétés de pétrole (classés selon leur densité, leur teneur en souffre et d’autres paramètres). Les types de pétrole considérés comme référence sont appelés Marker. Ce sont les standards négociés dans le monde. Les principaux sont le WTI pour le marché américain, le Brent pour le marché européen et l’Oman pour le marché asiatique. En l’absence d’un pouvoir de marché, et d’un marché local dérisoire, l’Afrique ne possède pas son marker et est souvent indexée sur le Brent. Notre brut est négocié bien loin des contraintes économiques locales. À ce stade du processus, il gagne 30-40 $ supplémentaires auxquels sont liés le risque de production, le transport et la volatilité des marchés.

Ensuite intervient le raffinage. Une raffinerie est une technologie de pointe très onéreuse (aussi chère qu’une centrale nucléaire : 2 à 9 milliards $ selon la taille) du fait de la complexité des procédés chimiques et de son fonctionnement à plein temps. Bon nombre de pays africains où le pétrole est extrait n’en sont pas dotés (et même lorsques les raffineries existent, elles sont aussi vieilles que le traité d’indépendance…) à cause du manque de technologie locale, du coût de l’investissement et de l’absence d’un marché de masse capable de soutenir le rythme effréné. La phase de raffinage produit une valeur ajoutée de 20-25 $/baril du prix final actuel. Au final, ce dernier flirte allègrement avec la barre des 100 $. D’après une récente étude de l’IFP, il s’agit de son prix techniquement et économiquement soutenable de nos jours.
Enfin, une foi raffinée, nous obtenons les produits pétroliers que nous consommons au quotidien. Ces produits sont acheminés vers les points de consommation à des prix standardisés. Dans la plupart des pays africains, ce standard du « litre » équivaut presque au salaire journalier. La seule solution viable pour nos gouvernements passe par la subvention (avec ces mêmes recettes tirées des CEPP) afin d’alléger la facture du consommateur. Et quand les subventions deviennent trop importantes, gare aux émeutes comme on a pu le constater en ce début d’année au Nigéria dans le cas d’une politique d’allègement par le décideur . En observant cette chaine, on comprend d’emblée le faible rang qu’occupe l’Afrique dans les négociations internationales sur le marché pétrolier. Sa réelle utilité est d’être un champ d'extraction alternatif pour l’Occident dans sa politique de sécurisation de son approvisionnement, par ces temps de remue-ménage au Moyen-Orient.

Toutefois, la situation actuelle n'a rien d'irrévocable. Un certain nombre de réformes sont à même de changer la situation   :
• Tout d’abord une meilleure affirmation des Pays Africains Producteurs de Pétrole pour la création d’un Marker sous régional avec une part de la production de ces pays dédiée au marché local
• D’autre part, la mise en place d’un fonds commun afin de pallier la volatilité des cours énergétiques dont les PIB des pays producteurs sont très sensibles.
• Ensuite, un programme sous-régional de développement d’unité de raffinerie sur la base d’un marché commun. Cette approche permettra de soulager le poids de l’investissement initial ainsi que les contrebandes liées au commerce illicite de l’or noir.
• Et enfin, la dernière et pas des moindres, une meilleure intégration sous-régionale facilitée par l’existence de zones économiques telles que l’UEMOA, LA CEDEAO, le CEMAC, la SADC et l’UMA, qui doit permettre d'agrandir les marchés intégrés et de faciliter des stratégies communes d'investissement.
 

 Léomick Sinsin