Conflits fonciers d’hier et d’aujourd’hui au Kenya et en Ethiopie

La question foncière au Kenya tout comme en Ethiopie a été à l’origine de changements de régime souvent brutaux. Elle est aussi au coeur des problématiques de développement aujourd'hui. Loza Seleshie revient sur une problématique importante dans la région orientale du Continent.


Questions foncières et révoltes au Kenya et en Ethiopie

Au commencement était la terre.

Les questions foncières sont l'une des causes les plus décisives et les moins évidentes de la chute de la monarchie ethiopienne. Plus que l'inefficacité croissante de l'administration centrale, la chute de la monarchie en 1974, peut trouver son point de départ dans la prise de conscience générale de l’injustice des directives régissant l'accès à la terre et la répartition des revenus fonciers. Ces dernières étaient mises en place depuis environ un siècle sous le règne de Ménélik II (1889-1913). L’Ethiopie avait connu une expansion considérable de son territoire, s’étendant principalement vers le sud. Le contraste culturel entre les peuples fraîchement incorporés à l’empire et les ethnies dirigeantes (principalement Tigré et Amhara) fut l’une des justifications utilisés pour expliquer l’expropriation de la terre, les confisquant ainsi aux paysans sur place pour les redistribuer entre les membres du gouvernement ayant aidé à la réussite de "la mission d’expansion". Ainsi, la majeure partie du sud du pays était administrée selon un système vassal.

La montée de Haile Selassie Ier au trône du royaume d’Ethiopie en 1930 marqua une accélération de la modernisation du pays, déjà initiée par Ménélik II. Parmi les mesures entreprises pour faire monter l’Ethiopie au rang de « nation civilisée », l’éducation était en tête de liste. Ce que Haile Selassie Ier n’avait pas prévu, c’était que ces jeunes qui avaient progressivement pris conscience des changements du monde qui les entourait (nombreux eurent la possibilité de poursuivre leurs études dans les meilleurs universités au monde) se lèveraient un jour contre la politique foncière injuste et au-delà contre sa personne.

derg_large-630x250La chute de la monarchie en 1974 se préparait depuis au moins une dizaine d’années. Nombreux étaient ceux qui avaient déjà participé à des marches scandant « la terre au laboureur ». Lorsque la junte militaire du Derg monte au pouvoir, l’une des premières mesures prises fut de collectiviser les terres qui appartenaient désormais à l’Etat. Les paysans ne devaient ainsi de taxes qu’au gouvernement. En répondant à la demande populaire, la junte militaire avait ainsi mit fin aux conflits sur la question de possession de la terre.

Au Kenya, même si la redistribution de la terre qui eut lieu à la même époque se fit dans un contexte colonial (en particulier à partir de 1920), il n’en demeure pas moins qu’il y a des similarités intéressantes. Etant donné que le gouvernement britannique comptait faire du Kenya une colonie de peuplement, il se devait de réserver de larges terrains aux colons. Ceci fut à l’origine de l’introduction du concept de « possession individuelle de la terre » qui auparavant appartenait à une communauté toute entière. Les populations locales furent ainsi repoussées vers des régions moins fertiles. Il fallut attendre le XIXème siècle avec une modernisation sans précédent mais surtout, la montée de mouvements contestataires ayant comme point focal la politique foncière pour que les choses avancent enfin.

Dans le cas du Kenya, la rébellion Mau Mau (1952-1960) est un parfait exemple de l’ampleur des mouvements contestataires. Progressivement devenue une campagne militaire opposant les forces coloniales Britanniques au Kenyan Land and Freedom Army (KLFA), elle témoigne de l’injustice de la répartition des terres. L’ethnie Kikuyu était la principale constituante de ce mouvement et avait également été dépossédée de larges terrains étant donné qu’ils étaient parmi les plus fertiles du Kenya.Malgré l’échec cuisant que connut le KLFA en 1960, le droit à la terre fut l’une des principales revendications de mouvements pour l’autodétermination. Les années qui suivirent l’indépendance furent l’occasion rêvée pour le gouvernement Kenyan d’établir une forme juste de répartition des terres dont bénéficierait la population dans son ensemble. Le retour bref aux pratiques ancestrales de mise en commun de la terre ne produisait pas les résultats attendus par les plus grands donateurs comme la Banque Mondiale. Il fut alors recommandé au gouvernement Kenyan d’encourager la possession individuelle, surtout afin d’encourager les citoyens à occuper d’autres terres, espérant surtout réduire la concentration de la population qui était de 2.4% seulement sur l’ensemble des terres arables (32% de la surface totale du Kenya). 

L'accès à la terre aujourd'hui

Le sujet de la propriété terrienne en Ethiopie ne revint à la une de l’actualité que vingt ans après que le Derg fut déposé par le Front Révolutionnaire et Démocratique du Peuple Ethiopien (FRDPE). D'un courant idéologique différant, le FRDPE entreprit une politique de libéralisation du marché afin de rendre le pays plus accessible aux capitaux étrangers. 

L’Ethiopie connait ainsi depuis la fin des années 90, une croissance sans précédent (6.5% en moyenne par an). Afin d’atteindre ses objectifs de développement, le gouvernement entreprend plusieurs mesures visant à favoriser l’investissement étranger. C’est ainsi que des étendues considérables de terre fertile sont accordées à des multinationales ou autres groupes étrangers. L’Ethiopie est un exemple parfait de l’Etat africain contraint de choisir entre le développement à toute vitesse pour répondre aux besoins d’une population croissante (2.2% par an) ou le refus de s’intégrer dans le circuit économique mondial tout en accordant la priorité à ses citoyens souvent mal équipés et surtout, manquant du savoir-faire considérable pour soutenir une économie en pleine expansion. Suite aux nombreuses années de négligence subies par le secteur agricole, le retard à rattraper est considérable.

Il est donc compréhensible que le gouvernement opte pour les compagnies étrangères, produisant ainsi le résultat voulu sans investissement considérable. Ce plan de développement pose cependant un problème dans la mesure où il peut être perçu comme une dépossession de leurs terres par les populations locales mais surtout parce que c’est une issue risquée, la surexploitation des terres étant omniprésente avec des lopins considérables accordés aux exploitations de roses qui nécessitent une quantité importante de pesticides. A supposer que les paysans Ethiopiens reprennent un jour ces exploitations en main, ne serait-il pas trop tard si les terres ne sont plus exploitables ?

L’agriculture n’est pas le seul secteur qui risque d’en souffrir, il ne faut pas non plus oublier les populations qui vivent de l’élevage. Nous pouvons citer le cas de la mise en place d’un barrage sur le fleuve Tana au Kenya qui eut pour résultat d’aggraver les conflits inter-ethniques déjà présents. Autour du delta que forme ce fleuve se sont installés plusieurs groupes ethniques dont les Somalis, éleveurs et les Bantu, agriculteurs. Le conflit résulte donc tout d’abord de conflits d’intérêts liés au mode de vie. Suite à la construction du barrage de Kiambere vers 1989, environ 6000 personnes durent quitter leurs terres qui subissaient une inondation progressive. Les terres disponibles étant réduites, les conflits se firent plus fréquents, mais aussi plus violents.L’inégalité croissante de répartition des terres conduit enfin en 1999 à la formation d’une commission suite à la demande du président afin de réguler l’accès à la terre. En effet, malgré les bonnes intentions du gouvernement, le fait d’encourager une possession individuelle de la terre avait entraîné l’exclusion de certains groupes que ce soit à cause de leur ethnie (les Ogiek) ou encore du simple fait qu’elles soient femmes.

La commission mise en place constata que la principale cause de l’inégale mais surtout de l’injuste répartition des terres était l’abus des deux principales lois mises en place à l’indépendance et surtout à cause d’une corruption importante.

Ces deux cas témoignent des deux problèmes principaux quand il s’agit de la politique foncière : une inégale répartition au sein même du pays et une situation difficile face à une volonté de s’ouvrir aux possibilités de développement économique. La solution réside peut-être dans une plus grande coopération régionale, plus d’échange et éventuellement, la consolidation d’un marché régional.

Sources

Land Tenure in Ethiopia : Continuity and Change, Shifting Rulers and the Quest for State Control (PDF)

Cadre et lignes directrices surles politiques foncières en Afrique (PDF)

Densité, pauvreté et politique. Une approche du surpeuplement rural en Éthiopie (lien)

Kenya – Une nouvelle Politique foncière nationale (lien)

Le coup d’Etat du 3 juillet 2013 : rupture ou renouveau?

Cet article présente les positions aussi articulées que tranchées d'analystes de Terangaweb-l'Afrique des Idées sur le coup d'état survenu le 03 Juillet dernier en Egypte. L'ardeur des opinions et des passions soulevées par les évènements actuels en Egypte demande que les arguments en faveur ou contre ce coup d'état soient présentés de la façon la plus forte et intelligible. Voici la contribution de Terangaweb-l'Afrique des Idées à cette conversation.

Rosalie Berthier & Loza Seleshie


Une nouvelle chance pour l'Egypte

Morsi MoubarakCe qui est advenu en Egypte, le 3 juillet, est un coup d'Etat – en tout cas si l'on se tient à une définition assez vague qui voit dans le coup un moyen de prendre le pouvoir par la force. La vraie question était de savoir si ce coup d'Etat était de la catégorie qui marque les pages les moins glorieuses de l'histoire d'une nation ou si l'on en parlerait comme une étape indispensable à la construction de la démocratie en Egypte.

Théoriquement un coup d'Etat est condamnable et à condamner. Surtout s'il est commis par un groupe qui s'autoproclame garant de la démocratie en renversant un Président dont la légitimité vient des urnes; surtout si ce groupe s'empresse de prendre des mesures anti-démocratiques visant à faire taire les partisans de l'ancien régime; encore plus lorsque ce groupe se trouve être l'armée, corps autonome, sans contrôle et ayant à son actif l'exercice du pouvoir dictatorial.

La condamnation aurait donc dû être directe et sans appel. Pourtant, appel et hésitation il y eut. Pourquoi ? La réponse se trouve au début de la description du coup. Mohamed Morsi avait-il toujours la légitimité nécessaire à l'exercice du pouvoir ? Et, au-delà, sa conduite au pouvoir a-t-elle renforcé ou affaibli cette légitimité ?

La légitimité démocratique ne se limite pas aux intrants.

Le 30 juin 2012, Mohammed Morsi a été choisi par plus de 13 millions d'électeurs comme premier Président élu en Egypte. Sa légitimité est démocratique et lui garantit le soutien d'une majorité de la population et la reconnaissance dans le système international. Mais la légitimité démocratique ne se limite pas aux intrants. Elle se travaille au quotidien. De nombreux éléments permettent néanmoins de douter de la légitimité effective de M. Morsi au moment de son renversement. Il faut d'abord rappeler que les élections n'avaient mobilisé qu'une petite moitié de la population. Ensuite, on se souviendra que le second tour opposait au candidat islamiste, Ahmed Chafik ancien Premier Ministre de l'ère Moubarak. Pour de nombreux révolutionnaires de deux maux il s'agissait de choisir le moindre. Or M. Morsi a agi comme s'il ne devait son élection qu'à une majorité approuvant l'orientation islamiste de sa politique. Il n'a même pas feint la diversité pour tenter de représenter le corps électoral – sans parler des maladresses comme la nomination d'Adel Mohamed Al-Khayat, comme gouverneur du Louxor alors que celui-ci appartient au mouvement islamiste Gamaa el -islamya responsable d'attentats dans la même région. Enfin, M. Morsi n'a pas tenu ses 64 promesses – ni dans le délai de 100 jours qu'il s'était fixé, ni dans celui d'un an que les militaires lui ont accordé [voir aussi le « morsimeter », baromètre des promesses rompues de Morsi].

Un coup d'Etat, était-ce vraiment la seule solution? Les problèmes soulevés par les coups d'Etat sont nombreux mais un est ici particulièrement important : ils invalident le processus démocratique. EN approuvant le coup d’état, l'élite libérale agit avec de bonnes intentions puisque désirant sauver le peuple de sa propre ignorance. Mais quelle légitimité pour une démocratie qui enseigne l'égalité des citoyens mais ne l'applique pas dans les faits. Une démocratie sur mesure plus ou moins flexible selon les individus n'existe pas. Cependant dans le cas de l'Egypte il faut comprendre que l'intégration du processus démocratique se fait des deux côtés. Ainsi M. Morsi a-t-il appris, à ses dépens, que se voir confier la responsabilité de gouverner ne signifie en aucun cas être un Moubarak en CDD. Un chef de l'Etat ne fait pas ce que bon lui semble, il est responsable devant les électeurs et cette responsabilité n'est pas seulement mise en jeu au moment des élections mais tout au long du mandat.

L'intervention de l'armée donne une nouvelle chance à l’Egypte

Des tentatives de négociation ont eu lieu tout au long de l'année et M. Morsi semble les avoir toutes méprisées. Utiliser le coup d'Etat pour mettre un Président face à ses responsabilités est certes une solution extrême, le dialogue de sourds entre Morsi et les libéraux avait probablement atteint cette extrémité.

Il ne faut cependant pas que cette option devienne une habitude. Ce coup d'Etat rappelle à ceux qui l'auraient oublié que l'armée contrôle toujours le pouvoir en Egypte. Elle avait décidé que Gamal Moubarak ne serait pas Président, elle a décidé que Morsi ne le serait plus. La priorité actuelle est de mettre en place les bases de la démocratie dont le peuple et lui seul serait dépositaire. L'intervention de l'armée donne une nouvelle chance à l'Egypte de recommencer le processus en apprenant de ses erreurs. La Constitution devrait par exemple prévoir un équilibre plus stable des pouvoirs. Si le Président Adli Mansour et son Premier Ministre Hazem Beblaoui parviennent à former un gouvernement accepté également par les Frères et à sortir le pays de la crise interne qui la divise, ce coup sera vu par l'histoire comme une étape du succès de la Révolution. Cela suppose que toutes les parties impliquées soient d'abord concernées par la victoire de la démocratie et non leur propre victoire pour le contrôle du pouvoir.

Rosalie Berthier


Le paradoxe de Tahrir

Mohamed Morsi est le premier président élu de manière démocratique (52% des voix) en Egypte. A un moment où la plupart des pays touchés par le printemps arabe sombraient dans le marasme, en juin 2011, l’Egypte, par les Egyptiens, a su donner du poids et un sens à la révolution en établissant un gouvernement issu de la légitimité des urnes.

Les contradictions entre Tahrir I et Tahrir II

Feb11_VICTORY_Planting_Democracy_in_Tahrir_Square_2Il y a une importante contradiction entre les valeurs défendues, il y a un peu plus d’un an, sur la place Tahrir, et les revendications actuelles. Si on parle de valeurs démocratiques, il ne faut pas se contenter d’en saisir la moitié. Il est vrai que la démocratie doit permettre d’instaurer un gouvernement élu à la majorité, mais il est aussi vrai qu’une fois ce gouvernement élu, il est légitime jusqu’à la fin de son mandat. Ce point reste essentiel pour qu’une tradition démocratique puisse subsister dans un pays qui n’a connu que des dictatures jusque-là.

Les nouveaux  occupants de la place Tahrir dénoncèrent un non-respect de la démocratie contrairement à une absence de celle-ci, comme c’était le cas il y a un an. Mohammed Morsi est accusé, en autres, d’abus de pouvoir avec les modifications constitutionnelles comme le décret constitutionnel du 22 novembre dernier lui permettant de légiférer par décret. Cette démarche avait aussi été reprochée au conseil militaire qui avait assuré la transition post-Mubarak.

 Il se peut également, comme il a beaucoup été critiqué, que le gouvernement soit incompétent dans certains domaines (surtout l’économie). Bien que la révolution ait permis une ouverture importante des médias et donc une expression plus libre des opinions politiques, elle a aussi paralysé une part non-négligeable de l’économie comme c’est le cas du tourisme. Il est vrai que la relance a été plus lente que prévu, aggravée par la crise alimentaire jamais totalement résolue depuis 2008 et aggravée récemment.                              

Même si les deux problèmes cités plus haut ne sont pas des résultats directs de la prise de pouvoir par Morsi, le fait que l’administration n’ait pas pu y remédier a servi et sert encore de justification valable pour les manifestations de la place Tahrir.  Cela est  compréhensible mais  la dimension supplémentaire de mise en cause du pouvoir en place ne l’est pas. C’est anticonstitutionnel, comme la pétition demandant la démission de Mohammed Morsi  qui aurait obtenu 22 millions de signatures. Il est précisément inscrit dans la constitution qu’une telle mesure est illégale et c’est sans doute pour cela que la cour constitutionnelle l’a refusée étant donné que les articles 151 et 152 de la constitution prévoient une destitution dans le cas où le président présente une lettre de démission ou qu’une mesure d’ « impeachment » est entreprise après un vote de la chambre des députés.

Le "dernier" des derniers coups d'états?

Y aura-t-il un coup d’état à chaque fois que le bilan d’un gouvernement ne sera pas à la hauteur des attentes d’une partie du peuple ?Le fait de destituer du pouvoir non pas uniquement le président, mais son entière administration est encore une fois une atteinte à la démocratie. D’après l’article 153 de la constitution égyptienne, si le poste de président se retrouve vacant de manière permanente, la personne présidant la chambre des députés assurera la transition. Dans le cas où la chambre ne serait pas entrée en session, comme c’est actuellement le cas, la personne présidant le conseil Shura prendra sa place. Or, les militaires ont nommé, en dehors des procédures prévues, le président de la cour constitutionnelle Adly Mansour à la tête du gouvernement de transition.

Pourquoi le dialogue n’a-t-il donc pas été favorisé ? Tour d’abord par ce que le temps fixé par le camp des militaires a été insuffisant : trois jours pour que le gouvernement en place et l’opposition puissent venir à bout de la crise. L’opposition n’est pas unie, il serait donc naïf de croire qu’un dirigeant émergerai sous le poids de la contrainte. Les alliances qui se seraient formées n’aurait-elles été plus par volonté de s’unir face à un ennemi commun que par affinités politiques ?  Plus grave encore : qui est légitime et qui ne l’est pas dans l’opposition ? La désignation au poste de premier ministre de Hazim el-Beblawi  semble confirmer  le fait que la nouvelle administration cherche à calmer les tensions.

La position des anti-Morsi par rapport aux militaires est également ambigüe. Si le fait que Morsi ait écarté du pouvoir le maréchal Tantaoui deux mois après sa prise de pouvoir a été acclamé, (surtout parce qu’il symbolisait la fin du mandat du conseil militaire, longtemps perçu comme un vestige du régime de Moubarak), il semble étrange que les actions de son remplaçant le Général Al-Sissi soient salués comme un acte de sauvegarde de la démocratie. Il est vrai que les militaires ont contribué à la réussite de la révolution en se rangeant finalement du côté des manifestants mais cela ne leur donne pas directement droit au pouvoir. Si la démocratie est la réelle cause pour laquelle on manifeste toujours sur la place Tahrir, pourquoi le coup d’état militaire n’est-il pas dénoncé ?

Le risque de radicalisation renforcé

Plus grave encore, la déposition de Morsi ne fait que ralentir un processus démocratique qui avait déjà eu beaucoup de mal à se mettre en place. Même si le camp anti-Morsi est important en nombre, celui des supporters des Frères musulmans n’est pas à négliger. Il serait très risqué de les exclure du peu de dialogue démocratique qui reste à cause de la dimension religieuse supplémentaire que risque de prendre leur combat, dans tous les sens du terme. Nombreux sont ceux qui ont déclaré vouloir aller « jusqu’au bout ». Cela mènerai-t-il jusqu’à la guerre civile au nom de l’Islam ? Morsi, avec la Tunisie est l’un de rares exemples de prise de pouvoir pacifique et démocratique par un parti Islamiste. La tournure qu’on prit les évènements au Caire lundi 8 juillet ne prédit rien de bon avec déjà 51 morts du côté des pro-Morsi et risquerait de pousser le mouvement des Frères à se tourner vers un rapport de forces avec le gouvernement et l’armée.

Loza Seleshie

Illustrations

Licence CC 3.0 par Gigi Ibrahim et Carlos Latuff

Visite d’un camp de réfugiés en Ethiopie

Dollo AdoDollo Ado concentre cinq camps de réfugiés situé dans la région somalienne de l’Ethiopie à seulement 200 kilomètres de la frontière avec la Somalie. L'endroit est inhospitalier, au milieu de routes poussiéreuses et de températures qui atteignent des pics considérables. La population des cinq camps s'élève à près de 200 000 personnes. Plus de 4 000 ont été enregistrés entre janvier et février 2013. Environ 150 à 200 nouvelles arrivées sont enregistrées tous les jours, avec notamment beaucoup  de femmes et d'enfants.

Dollo Ado est littéralement devenu une ville avec quelques 200 000 réfugiés qui y accèdent après plusieurs jours de marche, dont une traversée périlleuse de la frontière entre la Somalie et l’Ethiopie.

Chaque jour, le flux de réfugiés reste constant à tel point qu’un sixième camp est déjà prévu et sa construction devrait être imminente. L'insécurité alimentaire causée par les déplacements dus aux conflits et la sécheresse sont les principaux facteurs conduisant les Somaliens vers l’Ethiopie. Le caractère strict et exigeant d'entrée imposé par le Kenya, fait de l'Ethiopie un pays plus attrayant pour ces réfugiés.

En outre, la liberté de mouvement dans les camps et de traversée de l’autre coté de la frontière vers la Somalie sont permises. Ainsi, les réfugiés retournent souvent dans leur pays pour vérifier leurs avoirs et l’état de certains membres de la famille restés sur place.

Sous la coordination des agents du Haut Commissariat au Refugiés (HCR) et des fonctionnaires éthiopiens, des places sont accordées aux nouveaux arrivants dans l’un des camps.  Suivent les opérations d’enregistrement d’identité, de dépistage et d’accès aux services de base (logement, assainissement et accès à l’eau).

Les conduites d'eau et des canaux d'assainissement sont mis en place dans les camps, les distributions de vivres organisées et les abris construits.

L’eau est pompée à partir de la rivière Genale, traitée et distribuée dans les camps. Les latrines sont construites et chacune affectées à un certain nombre de familles. Les abris des réfugiés varient  d'une moitié de toit avec des brindilles et des morceaux de tissu aux tentes, aux abris de tôle ondulée ou de terre. A l’arrivée, la plupart des réfugiés sont logés dans des abris provisoires (tentes), avant d'être relogés vers un  abri de bambou plus permanent (une pièce pour chaque famille). Les murs de terre et de bambou offrant une meilleure protection contre la chaleur et la poussière.

Les distributions de nourriture ont lieu au début de chaque mois. Un panier alimentaire comprenant sept produits alimentaires y compris des denrées de base comme les légumes et le blé est distribué à chaque famille.

La livraison de produits alimentaires se déroule globalement sans encombre, mais les réfugiés sont moins préoccupés par la quantité que par la qualité et le choix des aliments. Souvent, ils vendent une partie de leur allocation pour acheter des articles de choix comme les spaghettis en provenance des marchés qui ont surgi en peu de temps près du camp.

En outre, beaucoup de gens travaillent au quotidien pour offrir des opportunités à travers des projets axés sur la nutrition, la santé, l’accès à l'eau, l’assainissement et la création d’activités génératrices de revenu.

Les programmes éducatifs à Dollo Ado sont globalement un succès, mais des défis demeurent avec moins de 100 enfants inscrits dans des camps laissant sans éducation des milliers d'enfants en âgé d’aller à l’école primaire. La formation professionnelle est garantie à travers la couture, le fraisage, la menuiserie, la tuyauterie, l’électricité et le développement des compétences propres afin d’inspirer un sentiment d'espoir et d'optimisme. Les activités génératrices de revenus  sont aussi promues avec la mise en place de plusieurs magasins où les articles allant des biens électroménagers aux vêtements sont vendus.

En termes de facilités sanitaires, les infrastructures restent inégalement réparties. Un des camps dispose d'un poste de santé tandis que qu’un autre est doté d’une maternité qui permet des accouchements sous surveillance médicale. Cependant, beaucoup de femmes choisissent encore d'accoucher à la maison. Le nombre de nouveau-nés ne cesse d'augmenter, compte tenu de ce que la planification familiale, malgré les conditions précaires de vie à Dollo reste encore un tabou. Sans oublier que les MGF constituent une grande préoccupation pour les autorités avec un taux de prévalence de 100%.

Enfin, la sécurité est un autre sujet de préoccupation à Dollo, malgré un semblant de calme dans les camps. En effet, les incidents du mois de Mars de cette année, où des militants d'Al Shabaab ont été arrêtés dans apparemment ce qui fut une tentative d’enlèvement de travailleurs étrangers, reste  un exemple frappant des réels dangers qui guettent les réfugiés.

Quoi qu’il en soit, le flux continu, significatif et régulier de réfugiés à Dollo rend sceptique sur toute éventualité de retour à la normale de la situation en Somalie. A défaut d’un retournement brusque et inattendu dans la tragédie somalienne, ces chiffres continueront de croître.

Loza Seleshie

http://data.unhcr.org/horn-of-africa/region.php?country=65&id=7

http://www.actioncontrelafaim.org/fr/content/dollo-ado-camps-de-refugies-somaliens

Beta Israel : entre Israël et l’Ethiopie

« ቤተ እስራኤል » ou « Beta Israel », ceux de la maison d’Israël, ainsi se désignent les Juifs d’Ethiopie, se répartissant aujourd’hui en grande partie entre l’Ethiopie (surtout la région au nord de Gondar) et Israël. L'ouverture de leur droit à l'émigration vers la terre sainte dans les années 1970-90 a eu pour effet d'accroître leur nombre en Israël croître.

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Origine

Mais d’où viennent-ils ? Trois théories sont retenues.  Il pourrait s'agir des descendants des compagnons du roi d’Axum, Ménélik I° lorsque ce dernier revint d’Israël. Il serait selon la légende, le fils du roi Salomon et de la reine de Saba qui régnait à l’époque sur Axum et rapporta la tablette des 10 commandements de Moise vers Axum – où elle se trouverait encore. Les dynasties royales se sont par la suite approprié cette légende, se faisant appeler entre autres «ሞአ አንበሳ ዘምነገደ ይሁዳ » – « moa anbessa zemnegede yihuda » traduisible par « conquérant du lion de Juda ».   

La seconde théorie se détache légèrement de l’histoire de ce que devint par la suite, l’empire d’Ethiopie. Ils seraient des descendants de juifs venus d’Egypte, fuyant la persécution par l’Empire Romain suite à la défaite de Cléopâtre qu’ils soutenaient. Ils se seraient ensuite installés vers Kwara, petite ville près de la frontière Soudanaise. 

D’après la troisième théorie, cette fois s’inscrivant plus dans la tradition Juive, ils feraient partie d’une des douze tribus perdues d’Israël : celle de Dan. Fuyant l’instabilité suite à la guerre civile en Israël au X°siècle av. JC. Ils se seraient par la suite installés en Egypte et seraient progressivement descendus le long du Nil ce qui expliquerait leur concentration importante autour de la ville de Gondar.  

Traitement et Intégration

Il y a eu deux tendances au cours des siècles, allant parfois de manière simultanée. Il y a eu un brassage avec les populations locales dont les Beta Israel adoptèrent certains modes de vie.  Nous constatons cependant qu’ils ont également subi une marginalisation à la fois culturelle et politique. En effet, leurs pratiques religieuses (dont le sacrifice) s’opposant radicalement aux populations chrétiennes sur place, ainsi que par les métiers qu’ils occupaient (potier…) souvent associés à la sorcellerie, ils ont longtemps étés stigmatisés d’où l’appellation péjorative « ፈላሻ » – « Falasha », «  les exilés ». Malgré cette stigmatisation et dans une certaine mesure ce rejet, les juifs Ethiopiens ont adopté certaines pratiques chrétiennes tel que le fait de se faire tatouer une croix sur le front pour les femmes.

Le politique, surtout récemment n’a pas été favorable à leur intégration.  Durant les campagnes de repeuplement de certaines régions, et donc de déplacements forcés lors des années 1980 par le régime communiste en place. Les juifs vivant en communauté se voyaient obligés de partager leurs terres et des lopins de terre leurs étaient attribués dans des communautés non-juives. Il y eut donc des tensions pour un partage de ressources équitable et un certain antisémitisme par la suite. 

La dégradation progressive de la condition des Ethiopiens sous le joug brutal  du régime communiste (1974-1991) et donc de celle des juifs,  commença à susciter un intérêt de la part d’Israël pour les faire émigrer  vers Tel Aviv.

Missions Moise, Joshua, Solomon

airliftLes liens entre l’Ethiopie et Israël étaient devenus de plus en plus soutenus lors du règne de l’empereur Haile Selassie I° malgré l’abstention de ce dernier lors du vote à l’ONU pour le plan de partage de la Palestine. Il y eut plus tard un rompt des relations diplomatiques face à la menace d’un embargo pétrolier de la part des pays Arabes lors de la guerre du Yom Kippour (1973). Liens qui se sont refroidis encore plus lors de la mise en place du régime communiste et par la même occasion de la dictature de Colonel Menguistu Hailemariam jusqu’en 1991. Malgré les tensions, le gouvernement Israélien commença à porter un intérêt tout particulier à la cause des juifs Ethiopiens. La situation se fit encore plus alarmante d 1983-1985 suite à la grande famine qui toucha le nord du pays (région du Gojjam) et fit environ 400 000 morts. 

Les communautés juives étaient parmi les victimes. L’Etat Israélien réussit donc, en vendant des armes en contrepartie, à obtenir la permission du régime en place afin de pouvoir transporter en transporter un certain nombre vers Tel Aviv et éventuellement en faire des citoyens d’Israël comme il est le droit de chaque juif. Ainsi furent conduites deux missions « mission Moïse » en 1984 et « mission Joshua » l’année suivante avec l’aide de la CIA  et réussirent à transporter 15 500 juifs hors d’Ethiopie. La première mission fut possible avec un avion utilisé pour la livraison d’armes qui retournait vers Israël. La deuxième mission en particulier se fit également par voie aérienne suite à un rassemblement sur la frontière Soudanaise.  Le Soudan fut dénoncé par les pays arabes dont il essayait de se rapprocher pour avoir aidé Israël. Suite à cet évènement et les pressions aussi bien externes que l’indignation interne que suscitât cette action vue comme une « vente » de citoyens par un Etait incapable de répondre de manière efficace à la famine, Menguistu se fit lui aussi plus réticent. 

Malgré l’argument humanitaire avancé par Israël, et qui reste légitime, il y a également l’argument économique qui est à prendre en compte. Israël avait besoin de main d’œuvre et de d’une population dynamique. L’abus récent des immigrés et leur mauvais traitement croissant tend à appuyer ce propos puisqu’Israël a actuellement une population jeune.

Suite à l’instabilité du régime communiste et l’instauration d’un nouveau gouvernement en 1991 avec la montée au pouvoir des rebelles du FDRPE (Front Démocratique et Révolutionnaire du Peuple Ethiopien) que combattait Menguistu pendant 17 ans, Israël complétât sa mission avec la mission « Solomon ». 14,324 juifs furent « sauvés » en un jour.

Ces missions ne furent pas sans problèmes avec beaucoup de morts au cours du séjour périlleux vers la frontière Soudanaise, de nombreux enfants se retrouvèrent seuls face à un encadrement parfois défaillant. Les immigrés furent placés en centre d’éducation parfois pour plusieurs années afin d’assurer une intégration souple  dans la société Israélienne. Ceci reste une mesure valable avec une part importante de ces juifs qui venaient de villages où l’électricité et l’eau potable n’étaient pas toujours présentes. 

Aujourd'hui il est estimé qu'un peu de moins de 80.000 Beta Israel ont été transportés en Israël [PDF].

La maison d'Israël : le porche et la cour

De plus, les juifs Ethiopiens étant constitués de plusieurs communautés, les classifications de certaines comme non-juives ne leur ont pas permis d’émigrer comme les Falasha Mura. Ces derniers, sont des communautés juives qui se sont installés dans la capitale Addis Abeba, croyant accroître leurs chances d’émigrer lors de la mission Solomon. Il y a également eu une grève de la faim au sein de cette communauté à Addis en 2011 avec peu d’effets. En effet, le sujet de leur appartenance à la religion juive a été longtemps mise en question par Israël parce que leurs ancêtres s’étaient convertis au christianisme au XIXème siècle afin de ne pas être persécutés et parce qu’ils avaient adopté un mode devoe semblable à celui de leurs voisins chrétiens. La tendance inverse, de non-juifs accédant au droit d’émigration de manière frauduleuse  peut également être observée avec des non-juifs se faisant passer pour tel afin d’avoir une vie meilleure en Israël. Nous remarquons donc un plus grand scrupule quant à la quantité de preuves qui doivent être avancées pour démontrer l’appartenance à la religion juive.

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La réelle intégration des juifs au sein de la société Israélienne reste ambigüe face à un certain racisme croissant pouvant être expliqué de manière plus récente, par l’arrivée de réfugiés Soudanais et Erythréens et la précarité de leur situation. Le gouvernement israélien alla même jusqu'à imposer la contraception aux Juis d'Ethiopie

Les juifs d’Ethiopie, malgré leur spécificité religieuse, restent imprégnés de la culture Ethiopienne. Il est vrai qu’il n y a rien de plus normal que de vouloir quitter un pays où il y a moins de chances d’utiliser son potentiel, il est vrai qu’il n y a aucun sens à vouloir rester dans un lieu où l’on a subi des persécutions. Mais il ne faut pas oublier que cette souffrance est commune aux Ethiopiens et à bien d’autres pays sous-développés et plus récemment, en voie de développement. L’émigration des juifs d’autres pays ne s’est pas faite dans des avions cargo. Il faut pouvoir garantir, dans le cas où certains souhaiteraient émigrer, un minimum de dignité. Si elle n’a pas été possible dans leur pays, alors au moins faire l’effort d’en faire le dernier souvenir qu’ils gardent de l’Ethiopie.

La guerre du Nil aura-t-elle lieu ?

Barrage_1_0 "Celui qui navigue les eaux du Nil doit avoir des voiles tissées de patience" disait William Golding (1911-1993), écrivain Britannique et prix Nobel de littérature (1983) qui en fit lui-même l’expérience. Mais au-delà de l’émerveillement millénaire pour le Nil se cache un sujet aussi complexe qu’ancien. L’un des plus grands fleuves au monde, traversant multiples contrées en 6500 km, a deux sources, d’où l’appellation de Nil « blanc » émergeant du lac victoria  et situé entre la Tanzanie, le Kenya et l’Ouganda d’une part et d’autre part celle de Nil « bleu » prenant sa source en Ethiopie, au lac Tana. Ces deux sources s’unissent à Khartoum au Soudan pour ensuite déboucher vers la méditerranée avec le delta égyptien.

Bien que le Nil soit une ressource essentielle pour les pays qu'il traverse, tous n’en font pas le même usage. Il existe ainsi une exploitation plus importante au Soudan et en Egypte, lieux densément peuplés et au climat aride. A cet égard, la construction du barrage d’Assouan en 1970 sous la présidence de Nasser marque un tournant significatif et les images de l’aménagement considérable tel que le déplacement de la statue de Ramsès II sont longtemps restées l’emblème d’un renouveau économique et d’une promesse de progrès postcoloniale. Il convient tout de même de ne pas méconnaitre le profond désaccord qui existe entre les pays riverain du Nil. Face au manque de concertation de l’Egypte dans la prise de décision de la construction du barrage d’Assouan s’est formé un clivage grandissant entre les pays en amont (Ethiopie, Burundi, Congo, Kenya, Rwanda, Tanzanie et Ouganda) et ceux en aval (Soudan et Egypte).

Ce clivage puise ses sources dans une histoire qui entretient un lien étroit avec le processus de colonisation. L’empire britannique commença à manifester un intérêt particulier pour l’Egypte d’abord comme point d’accès à l’Inde au détriment d’un passage par l’Empire Ottoman (d’où la construction du canal de Suez) et ensuite en tant que point d’entrée vers l’Afrique. Ainsi fut établi en 1882, après maintes convoitises de la part d’autres puissances coloniales, le protectorat en Egypte et quelques années plus tard, en 1896, au Soudan. Bien que ce dernier fût incorporé à l’Egypte, il ne constituait pas plus qu’une expansion supplémentaire de l’empire britannique. C’est ainsi que s’est forgée une relation étroite entre ces deux pays dont le Nil constitue un poumon vital, générant par exemple 95% des ressources en eau de l’Egypte.

Prenant la mesure de l’enjeu stratégique du Nil, le Royaume-Uni s’est engagé dans une multitude de traités (1891 traité Anglo-Italien, 1902 traité Anglo-Ethiopien, 1906 traité anglo-Congolais, 1906, traité tripartite avec la France et l’Allemagne) dont la plupart excluent les pays en amont, la clause répétitive consistant à assurer le maintien du flux du Nil avec interdiction de construire un barrage sans l’accord du « gouvernement de sa majesté ». Cette tendance de répartition inégale des ressources se poursuit lors de la période postcoloniale avec notamment les multiples traités entre le Soudan et l’Egypte comme celui signé en 1959. Celui-ci accorde en effet à l’Egypte le droit de veto pour tout projet de modification du cours du Nil et organise une répartition qui ne prend pas en compte les autres pays.

L'Ethiopie veut ses barrages

Au cours des dernières années, et tout particulièrement depuis 2010, est apparue une évolution de la ligne diplomatique des autres pays en amont du Nil. Cela est notamment le cas de l’Ethiopie qui a adopté un plan de transformation et de développement à l’horizon 2015 dans lequel figure le projet de construction du Grand Barrage de la Renaissance. Celui-ci devrait être achevé sur le Nil d’ici 2015 et deviendrait ainsi le plus grand barrage d’Afrique en terme de capacité. Ce projet soulève cependant un débat sur l’impact qu'aurait ce barrage sur le débit du fleuve en Egypte et au Soudan.

L’argument avancé par l’Ethiopie est qu’il constitue le pays qui contribue le plus au Nil, étant donné que le fleuve y trouve sa source à 85%. Le pays subit en parallèle les inconvénients induits par le Nil, en particulier une érosion soutenue et par conséquent une perte considérable de sols fertiles. Dans ce combat, l’Ethiopie peut s’appuyer sur le soutien des Etats en amont qui ont signé en 2010 le traité d’Entebbe, aussi connu sous le nom de « cadre de coopération et d’accord du Nil », qui a pour principal objectif de rendre illégitime le veto Egyptien. Ce traité a été une conséquence directe de l’échec de discussions avec l’Egypte dans le cadre de l’Initiative du bassin du Nil (IBN) en 1999.

L’unité des pays situés en amont du Nil n’a pas pour autant amené l’Egypte à accepter un compromis, pas plus que les promesses du gouvernement éthiopien de fournir de l’électricité à prix réduit à l’Egypte. Face à une agriculture nationale qui risquerait d’être mise en danger, l’Egypte a catégoriquement refusé d’accepter la construction du barrage éthiopien. Le report d’un an décidé par le gouvernement éthiopien afin d’amener l’Egypte à reconsidérer sa position arrive bientôt à échéance. Par ailleurs, en dépit de la mort du Premier Ministre Ethiopien Meles Zenawi et de l’ascension au pouvoir de Mohammed Morsi, aucun des deux pays n’a changé d’avis.

En outre, à ces intérêts nationaux locaux, s’ajoutent ceux d’acteurs économiques comme la Chine et l’Inde qui investissent massivement dans la région depuis quelques années et pour lesquels ce barrage pourrait présenter un potentiel d’irrigation considérable en plus de son but principal d’exploitation électrique.

Quoi qu'il advienne, le Nil poursuivra son cours. Mais il n’est pas sûr que cela se fasse dans l’intérêt du plus grand nombre.


Loza Seleshie