Nigeria: Mister Goodluck and President Jonathan

Terangaweb_Goodluck JonathanGoodluck Jonathan is at the moment in a tight spot.  The past few months, the Nigerian president has been subjected to a fierce opposition amidst his very own party, The People's Democratic Party (PDP) which has been reigning since the establishment of the Fourth Republic in 1999. Leading a gigantic country in terms of economy and demography (Nigeria is the most populous country of Africa with 170 million inhabitants), President Jonathan has been in power since the death of his predecessor Umaru Yar’Adua in 2010 and is becoming more and more unpopular. In addition to a questionable management of the clashes with the Boko Haram sect, he is suffering from a considerable lack of legitimacy in his party.

37 MP from PDP have joined the ranks of the opposition on last December 18th. This rebellion resulted in Jonathan losing his parliamentary majority, an unprecedented situation in Nigeria’s political history. Its consequences are unpredictable. On the one hand, it remains difficult to know how President Jonathan will govern without a majority at the Parliament; on the other hand the future is uncertain as to the presidential elections of 2015. This important setback is one more step leading to the mutiny firstly opened in September 2013 by six governors from the Muslim North who created the New PDP. The bone of the contention: the former President Olusegun Obasanjo made things worse when he stepped in the turmoil and wrote a scathing letter to his successor, accusing him of invigilating his political opponents along with hundreds of Nigerians using the State services. Even worse, police officers assaulted locals belonging to the same states as the mutinous governors, who consider those confrontations as bullying, and denounce dictatorial methods.

President Jonathan now finds himself in a very difficult situation, and the stake is the future of Nigeria, way beyond the future of PDP. Indeed, the present revolt against Jonathan is linked to the main political issue in Nigeria since the independence, namely the fragile and volatile balance between the Muslim North and the Christian South of the country. When PDP took power in 1999, the leaders of the party agreed on an informal sharing of the power: the president could only pretend to two consecutive terms (8 years) , the deal was that every two-term period of time, a Muslim president had to vacate the power for a Christian successor and vice versa. It was a tacit political alternation based on the religion and the region of the pretenders to the throne. Thus, after Obasanjo, a Yoruba from the South who reigned from 1999 to 2007, it was Umaru Yar’Adua (former governor of Katsina, a northern state) who took the lead. But his sudden death in 2010 jostled that subtle arrangement: Goodluck Jonathan, the vice-president from the South then became president; he was re-elected in 2011 and is now wanting to run for the elections of 2015. If he was to win the elections, he would govern until 2019, which means a presidential mandate of almost ten years. To put it bluntly, the power would have been to the North for only three years (2007-2010) on the twenty years of the PDP reign (1999-1919). It is merely unacceptable for most politicians from the North.

If Goodluck Jonathan maintains his authoritarianism, he takes the risk to worsen the bleeding of the PDP, which could lose the elections in 2015. However, it is still possible for him to limit the damages by winning back the militants, who have already started to leave the ship, and save the essential: the political unity of the party and the stability of Nigeria. The best he can do is not to run for a re-election in 2015.

We should pay careful attention to the political struggles going on in Nigeria because they have ethnic and religious overtones in addition to the economic stakes surrounding oil (Nigeria is the first African producer of oil). Goodluck Jonathan is facing a great social discontent since he took power in 2010. The increasing fuel prices rekindled the tensions between Muslims from the North and Christians from the South, tensions he failed to handle efficiently by the way.

The successive defection of the governors and parliamentarians who joined the APC (All Progressives Congress), the main opposition coalition, is a severe blow for President Jonathan. That is why he should pay great attention to the way he will handle this new situation while avoiding any measure of authoritarianism. He ought to win back those PDP leaders who joined the opposition and dispel any ambiguity on his potential candidature to the elections of 2015. The Boko Haram sore is way too crippling for Nigeria to enter a new cycle of violence. Especially if they come with ethnic and religious dimensions in a continent already scarred by that kind of conflicts.

 

Translated by Ndeye Mane SALL

Nigéria : Mister Goodluck et Président Jonathan

Terangaweb_Goodluck JonathanGoodluck Jonathan se trouve en très mauvaise posture. Depuis quelques mois, le président nigérian est l’objet d’une vive contestation au sein même de son parti, le People’s Democratic Party (Parti démocratique populaire, PDP), au pouvoir depuis le début de la Quatrième République en 1999. A la tête du pays le plus peuplé d’Afrique (170 millions d’habitants), géant économique, le président Jonathan, au pouvoir depuis la mort de son prédécesseur Umaru Yar’Adua en 2010, devient de plus en plus impopulaire. En plus d’une gestion maladroite des affrontements avec la secte islamiste Boko Haram, il souffre d’un grand manque de légitimité au sein de son parti.

37 députés du PDP ont rejoint les rangs de l’opposition le 18 décembre 2013. Jonathan a ainsi perdu sa majorité parlementaire, une situation qui ne s’était jamais produite au Nigéria. Les conséquences qu’elle va engendrer sont incalculables pour le moment. D’une part,  il est difficile de savoir comment le Président Jonathan va gouverner sans majorité au parlement ; de l’autre, l’avenir est incertain quant à l’élection présidentielle de 2015. Cet important  revers est un pas de plus dans la fronde ouverte en septembre 2013 par six gouverneurs issus du Nord musulman qui ont créé le New PDP. L’enjeu de la dispute : Pour ne rien arranger à l’affaire, l’ancien Président Olusegun Obasanjo est entré dans la danse en écrivant une lettre très acerbe à son successeur, l’accusant de faire surveiller des adversaires politiques ainsi que des centaines de Nigérians par les services de l’Etat. Pis, des agents de police s’en sont pris aux locaux des auteurs de la fronde ; ces derniers crient à l’intimidation et dénoncent des méthodes dictatoriales.

Le Président Jonathan se trouve désormais devant une situation très délicate, où se joue l’avenir politique du Nigéria, au-delà de celui du PDP. Car la fronde actuelle contre Jonathan renvoie directement à l’enjeu politique dominant au Nigéria depuis l’indépendance, à savoir l’équilibre fragile et instable du pouvoir entre le nord musulman et le sud chrétien du pays. À son accession au pouvoir en 1999, les responsables du PDP s’étaient mis d’accord sur un partage informel du pouvoir : le président étant limité à deux mandats consécutifs (huit ans) la présidence tournerait tous les deux mandats entre un politicien nordiste et un politicien sudiste,. Ainsi, après Obasanjo (un Yoruba du sud) de 1999 à 2007, c’est Umaru Yar’Adua (ancien gouverneur de Katsina, au nord) qui a pris les rênes du pays. Mais sa mort précipitée en 2010 a bousculé cet arrangement subtil : Goodluck Jonathan, le vice-président originaire du Sud, est alors devenu président ; il a été réélu en 2011, et souhaite briguer un nouveau mandat en 2015. S’il venait à gagner ces élections, il gouvernerait alors jusqu’en 2019, soit un mandat de près de dix ans ; et au total, le Nord n’aurait eu le pouvoir que trois ans (2007-2010) sur les 20 ans de règne du PDP (1999-2019). Une situation que beaucoup de politiciens nordistes considèrent tout simplement comme inacceptable.

Si Goodluck Jonathan persiste dans l’autoritarisme, il risque de voir s’aggraver la saignée au PDP qui pourrait perdre l’élection présidentielle de 2015. En revanche, il lui est encore possible de limiter les dégâts en tentant de reconquérir les militants qui ont quitté le navire afin de sauver l’essentiel : l’unité politique du parti et la stabilité du Nigéria. Le mieux serait de renoncer à se représenter en 2015.

Il faut prêter attention à ces luttes politiques qui se déroulent au Nigéria parce qu’elles ont des relents ethniques et religieux, en plus des enjeux économiques qui tournent essentiellement autour du pétrole (le pays en est le premier producteur en Afrique). Goodluck Jonathan fait face depuis son arrivée au pouvoir en 2010 à un grand mécontentement social. La montée du prix du carburant en 2010 avait ravivé les tensions entre musulmans du Nord et chrétiens du Sud, tensions qu’il avait très mal gérées au demeurant.

La défection successive de ces gouverneurs et parlementaires qui ont rejoint l’All Progressives Congress (APC), principale coalition d’opposition, est un coup très dur pour le Président Jonathan. C’est pourquoi il doit prêter une grande attention à la façon dont il va gérer cette nouvelle situation en évitant tout autoritarisme. Il devrait faire revenir ces responsables du PDP qui ont rejoint l’opposition et lever toute équivoque sur sa potentielle candidature en 2015. La plaie Boko Haram est trop gênante pour que le Nigéria entre dans un autre cycle de violences. Surtout si celles-ci ont des versants ethniques et religieux dans une Afrique déjà très meurtrie par ce genre de conflits.

La réforme de l’Etat en Afrique : obstacles et perspectives

169498522Qu’est-ce que la réforme de l’Etat ?

Les programmes de réforme de l’Etat ont connu différentes fortunes à travers le monde. Dans des pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les administrations publiques ont été modernisées suivant les théories de la « nouvelle gestion publique » (New Public Management), qui prennent le contrepied de l’Etat wébérien. Ce dernier met l’accent sur les procédures écrites, la hiérarchie administrative et la neutralité des agents de l’État : il est caractérisé par une bureaucratie lourde et sclérosée, dont les décisions sont lentes et peu efficaces. Le NMP propose une simplification des procédures utilisées dans l’administration publique, avec l’adoption d’une organisation horizontale qui permet la rapidité de la prise de décision grâce à la polyvalence des agents de l’Etat. Il repose sur la nécessité de prendre en compte l’évolution des sociétés humaines, dans un contexte de mondialisation accrue où l’information, les flux financiers, les biens et services circulent de manière ultra rapide. De même, les besoins des usagers du service public ont évolué fortement dans tous les secteurs et commandent l’adaptation de l’Etat à cette évolution. Le NMP est donc apparu dans les années 1980 en prônant une utilisation plus efficiente des ressources de l’Etat, dans une optique d’accomplir plus de services publics avec moins de moyens financiers en considération du besoin de rationalisation des dépenses publiques.

Ainsi, dans le cadre du NMP la finalité du service public est privilégiée et non le caractère réglementaire et légal-rationnel du processus de décision. Le résultat obtenu importe plus que le respect des lois et de l’autorité dans l’action publique. Cela a favorisé l’apparition de l’Etat qui fait faire au détriment de l’Etat qui fait lui-même ; d’où la multiplication des procédés de gestion privée dans l’administration publique (concessions et délégations de service public, partenariats public-privé, appels d’offre). La centralisation du pouvoir qui caractérise l’Etat wébérien disparaît au profit de la décentralisation vers des autorités locales de plus en plus autonomes et responsables. L’Etat se fait entrepreneur en confiant des missions spéciales à des agences et entreprises publiques. Ou alors il les confie à des organismes privés spéciaux.

Les obstacles à la réforme de l’Etat en Afrique

En Afrique, l’introduction de ce concept de nouveau management public a probablement été plus difficile qu’ailleurs. Nombre d’Etats africains, caractérisés par des systèmes centralisés et autoritaires, peinent à s’adapter à la modernité. Dans bien des cas, l’organisation du pouvoir politique est encore trop verticale: c’est le pouvoir central qui définit les orientations, nomme aux postes à responsabilité, octroie les fonds, définit la marche à suivre, surveille à tout moment : ceci favorise le développement d’un système patrimonial, qui ne bénéficie qu’à une petite élite connectée au pouvoir politique et ignore en définitive le but ultime du service public, à savoir le bien commun. Ainsi, la plupart des tentatives de réforme de l’Etat ont connu peu de succès.

Cela a été le cas en République démocratique du Congo (RDC), où le pouvoir exécutif et les hauts fonctionnaires qui devaient mettre en œuvre les programmes de réforme les ont délibérément entravés ou ont tout simplement détourné les fonds qui y étaient alloués. La corruption généralisée et l’absence de culture démocratique ont eu raison des efforts des partenaires internationaux qui visaient à reconstruire le pays au début des années 2000. De plus, la centralisation du pouvoir opérée au sommet a beaucoup entravé la réussite des programmes de réforme. Joseph Kabila a concentré entre ses mains l’essentiel des pouvoirs de décision, pendant que son cabinet se chargeait de mettre au pas les fonctionnaires et même les ministres. Cela a mené à une véritable paralysie des efforts des bailleurs de fonds pour moderniser l’Etat, ainsi qu’à un malheureux statu quo.

Au Mozambique, les programmes de réforme de l’Etat se sont heurtés au manque de formation des agents publics aux principes les plus élémentaires de la gestion publique en grande partie. Dans ce pays, les structures administratives étaient quasi-inexistantes au moment où le NMP se mettait en place.  Ainsi, les autorités politiques ont mis la charrue avant les bœufs car les agents de l’Etat ignoraient les principes de base de la gestion publique ; ce qui a entravé une mise en place adéquate des outils de modernisation : e-gouvernement, guichets uniques, concurrence, etc. Le gouvernement a donc créé des programmes de formation destinés aux cadres publics pour les doter des compétences managériales nécessaires à la conduite des réformes. Chez le voisin sud-africain, une tare majeure de la réforme de l’Etat  a été la politisation de l’administration et la confusion entre la hiérarchie du parti au pouvoir (l’ANC) et la hiérarchie administrative. Il est vrai que l’administration publique sud-africaine était caractérisée par un centralisme très fort, imposé par le système d’apartheid. Le pouvoir politique déterminait les grands critères de la vie administrative : nomination des hauts fonctionnaires, salaires, grades, etc. Mais en essayant de rompre avec ces pratiques à son arrivée au pouvoir en 1994, l’ANC s’est lui-même transformé en un véritable parti-Etat dans l’Afrique du Sud postapartheid. En voulant se débarrasser à tout prix de l’ancien système, le gouvernement ANC a introduit des mesures de discrimination positive dans la fonction publique en ce qui concerne les recrutements comme les promotions. Cependant, des excès en la matière  ont été commis. La Commission du Service Public qui était chargée de mettre en place la réforme de la fonction publique était contrôlée par le pouvoir exécutif. De ce fait, la fonction publique sud-africaine s’est transformée en un réceptacle des militants de l’ANC, et les nominations à des postes administratifs ont avant tout permis de récompenser la loyauté politique. Bien entendu, plusieurs mesures ont été bénéfiques au pays, mais un grand effet pervers de la réforme a été la politisation accrue de l’administration.

Comment faire pour mieux réformer l’Etat ?

Plusieurs paramètres importants ont été ignorés lors de la conception des programmes de réforme de l’Etat en Afrique. Moderniser l’administration publique n’est pas chose aisée, et les résultats d’une réforme ne peuvent pas apparaître du jour au lendemain. Mais quelques lignes directrices peuvent être retenues pour arriver à une meilleure réforme de l’Etat en Afrique. Globalement il faudra privilégier la culture du résultat, la simplification des procédures administratives, et le choix des meilleurs profils pour l’ensemble de l’administration publique, afin de parvenir à un meilleur succès de la réforme de l’Etat. Dans le même temps, il sera nécessaire de desserrer les liens entre le politique et l’administratif pour permettre aux hauts fonctionnaires d’exécuter correctement les programmes de réforme. Il faudrait également que les autorités politiques s’engagent beaucoup plus dans leur mise en œuvre, en les défendant clairement et en y apportant beaucoup d’énergie, afin d’insuffler un souffle d’encouragement à tous les niveaux d’exécution. Il serait aussi bon d’injecter suffisamment de fonds à ces programmes de réforme pour chercher, trouver, et se donner les moyens de les réussir. La réforme de l’Etat n’est pas une gageure pour l’Afrique ; elle doit être menée avec engagement et résolution pour permettre de rattraper le retard accusé dans la modernisation administrative. En particulier, il faudra accorder une grande importance à la formation des cadres publics chargés d’implémenter les réformes, afin qu’ils s’en approprient et garantissent leur succès. Il faudra également lutter contre les pratiques corruptrices auxquelles les agents publics chargés de mettre en œuvre les programmes de réforme sont exposés. Enfin, il faudra opérer un diagnostic des priorités économiques et sociales pour chaque projet de réforme afin de toujours placer l’intérêt général au début et à la fin de toute action publique. 

Avenir de l’Afrique : l’espoir est-il permis ?

L’un des défis majeurs auxquels le continent africain sera confronté dans les prochaines décennies est celui du progrès social. Le chemin qui y mène n’est pas inscrit dans un déterminisme historique, ni dans des théories économiques – qu’elles soient classiques, néoclassiques ou libérales – ni même dans les nombreux schémas de développement prônés ça et là. Il est tributaire de contingences aussi insaisissables que confuses, dont les paramètres s’enchevêtrent à divers échelons de l’évolution politique et économique des pays africains. L’expansion démographique croissante, qui a été amorcée depuis les années 1980, les taux de croissance économique encourageants observés depuis quelques années, ainsi que la situation politique mi-figue mi-raisin sont autant de facteurs qui rendent l’avenir du continent imprévisible. Cependant, un certain nombre de tendances lourdes dans ces différents domaines peuvent aider à cerner un champ de possibilités, et définir le périmètre d’espoir permis.

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L’ouverture des économies africaines à l’international doit être mieux surveillée. Les accords conclus à l’aveuglette dans le cadre du GATT puis de l’OMC n’ont pas tenu compte de la faiblesse de ces économies et n’ont pas été orientés vers une logique prudentielle, en plus d’être complètement ignorés par l’Union européenne et les Etats-Unis, qui subventionnent leurs producteurs agricoles sans se soucier du respect des règles anti-dumping. De plus, la production économique s’est restreinte à des biens à faible rendement sur le tissu industriel. Elle a favorisé l’enrichissement d’une classe moyenne très restreinte, qui a alimenté par ricochet une élite de fonctionnaires octroyant des licences, agréments et autres contrats. D’ailleurs, dans le petit nombre de pays bénéficiant de gisements pétroliers (le Nigéria, l’Algérie, le Soudan, la Guinée équatoriale, le Gabon, l’Angola entre autres), rares sont ceux qui parviennent à assurer une redistribution équitable de leurs ressources ; c’est plutôt une situation de rente qui y prévaut pour une bourgeoisie restreinte et jalouse de ses privilèges.

A l’heure actuelle, la renégociation des termes de l’échange s’impose aux dirigeants africains, et ceux-ci semblent l’avoir bien compris. Avec la conclusion des Accords de partenariats économiques d’une part, et la création d’unions économiques régionales d’autre part – dont la mise en place d’un tarif extérieur commun à la Cedeao récemment – les États africains ont commencé à orienter leur diplomatie économique vers une coopération plus étendue et plus inclusive à la fois. Néanmoins, l’action économique dans son ensemble devra mieux tenir compte des inégalités entre couches sociales, et par là-même comporter un volet de redistribution qui vise un partage plus équitable des ressources entre les communautés. Le secteur agricole doit continuer sa modernisation tout en tenant compte des externalités positives qu’il doit engendrer. En d’autres termes, il faudra privilégier les branches de production qui ont un impact certain sur la croissance économique, en même temps qu’il sera nécessaire de produire les biens qui sont consommés par les ménages africains et consommer les biens qui sont produits sur les terres africaines. De ce fait, l’exploitation des matières premières doit continuer, mais elle devra bénéficier à l’ensemble de l’économie: industries et services à haut potentiel. La jeunesse africaine doit intéresser les projets économiques en termes de scolarisation et d’emploi : c’est la couche la plus vulnérable des sociétés africaines.

Un moyen assez pratique de résorber le chômage des jeunes en Afrique, mais qui semble totalement oblitéré par les pouvoirs publics, est de mettre en place des clauses d’embauche de main d’œuvre locale lors de l’octroi des agréments ou licences d’exploitation économiques. Qu’ils concernent les terres, les ressources minières, ou les services de télécommunication, les Etats ont l’extraordinaire possibilité, ainsi que la responsabilité morale, d’exiger de la part des investisseurs privés un quota d’emplois locaux applicable aux postes qualifiés des entreprises. Les sociétés minières en particulier doivent intégrer ce paramètre de recrutement.

En ce qui concerne l’avenir politique du continent, il semble de plus en plus incertain. Les énormes efforts fournis par certains Etats ont pu être anéantis ou considérablement amoindris par des facteurs difficiles à maîtriser. Ainsi du Mali où la rébellion touarègue et le coup d’Etat des mutins de Kati ont sapé les progrès démocratiques enregistrés depuis les années 1980. Ainsi de la Côte d’Ivoire dont la stabilité politique a été mise à mal à partir du début des années 2000 et a connu des soubresauts insoupçonnés jusqu’à l’épilogue de 2011, avec l’arrestation de Laurent Gbagbo qui avait confisqué le scrutin présidentiel, mais après un conflit meurtrier. Ainsi du Kenya, où les avancées démocratiques ont souffert du refus de Mwai Kibaki de quitter le pouvoir, et où d’autres formes de violences ont été notées en 2013, au Westgate Mall. D’autres pays ont aussi récemment connu des troubles insoupçonnés: la Guinée-Conakry, où la vie politique est émaillée de clivages ethniques et où les pouvoirs exorbitants de l’armée rendent un coup d’État possible à tout moment. Son voisin la Guinée Bissau demeure un terreau d’instabilité et de trafics en tous genres (drogues, armes, êtres humains); la survie de l’Etat tient à un fil. Plusieurs faits de violence ont du mal à trouver un épilogue: les deux Kivus en RDC, plus généralement l’instabilité dans les Grands Lacs, les coupeurs de routes en Centrafrique, les pirates dans la Corne de l’Afrique, les groupes armés au Nigeria (Boko Haram) et dans la bande sahélo-sahélienne, allant de la Mauritanie au Tchad en passant par l’Algérie, le Mali, le Niger, et la Libye. Le phénomène de la violence semble de moins en moins maîtrisable en Afrique, et rend l’avenir politique du continent largement imprévisible. Last but not least, le vent révolutionnaire qui a soufflé dans le Nord de l’Afrique en 2011 a achevé de démontrer le caractère très incertain du fait politique dans le continent.

Cependant, certains paramètres peuvent être identifiés comme facteurs d’espoir et de progrès dans les années à venir. Dans cette optique, il apparaît tout d’abord que l’apprentissage ou la consolidation de la démocratie sera incontournable. L’instauration du pluralisme politique, dont le tournant des années 1980 a fourni une très bonne illustration, sera plus que jamais nécessaire. Lorsque le pouvoir politique est conquis à travers des élections libres et apaisées, l’économie du pays y trouve une grande bouffée d’oxygène car les investissements privés et l’aide publique au développement sont mieux attirés. La République Démocratique du Congo en a fourni un bon exemple au début des années 2000. De plus, les coups d’État devront connaître un net recul dans les années à venir puisque leurs auteurs sont dorénavant mis au ban de l’ordre politique international. Des pas importants vers la stabilité devraient être faits.

Mieux, le retrait volontaire des dirigeants africains du pouvoir devra rester un facteur de progrès, comme cela a été observé au Ghana avec John Kufuor, au Nigéria avec Olusegun Obsanjo, ainsi qu’au Mali avec Alpha Oumar Konaré. Les plus récalcitrants pourront risquer une confrontation avec l’armée, comme au Nigéria en 1999, au Niger en 1997, au Mali en 1991, ou en Mauritanie en 2007. Les auteurs de coup d’état s’empressent donc désormais d’organiser des élections pour transmettre le pouvoir aux civils pour éviter la mise au ban de la communauté internationale : voyez le Mali, voyez la Centrafrique.

Ainsi, le respect de l’Etat de droit apparaît comme un facteur incontournable de l’évolution politique en Afrique. L’existence d’institutions fortes tirant leur légitimité d’un pacte social –contenu dans la Constitution et validé par les élections – favorise la stabilité d’un pays. L’Etat de droit ne peut pas se limiter au pluralisme politique et à l’organisation d’élections libres et transparentes ; il doit s’approfondir avec l’émergence d’une justice constitutionnelle et d’autorités de régulation qui s’érigeront comme des garde-fous de cet Etat de droit. En même temps, le processus de modernisation des administrations publiques doit se faire prudemment.

Mais cet Etat de droit doit s’enrichir par l’émergence d’une société civile qui tiendra lieu de “watchdog” entre le peuple et les dirigeants, et qui lui permet de s’apaiser et de se consolider. Des acteurs nouveaux comme “Y en a marre” au Sénégal ou “Trop c’est trop” au Burkina Faso ont pu contraindre le pouvoir politique à agir dans un sens favorable à la démocratie. De même, l’existence d’une presse libre et indépendante contribue au renforcement des acquis démocratiques ça et là. Ces acteurs non institutionnels de la démocratie joueront en même temps un rôle de médiateurs. Enfin, mais de manière plus timide et moins certaine, la garantie des droits des minorités marquera l’évolution politique. La promotion politique des femmes – comme avec l’instauration de la loi sur la parité au Sénégal – ainsi que la territorialisation des politiques publiques devront se poursuivre. L’intégration régionale sera aussi déterminante pour les Etats africains, à travers les pôles économiques régionaux comme la SADC, la CEDEAO, la CEEAC, l’UMA, et l’EAC, qui devront jouer un rôle de premier plan. Ce sont ces ensembles régionaux qui pourront mieux porter la voix de l’Afrique au niveau international, comme dans le cadre des négociations relatives aux Accords de partenariats économiques ou dans celui des efforts visant à maîtriser les flux migratoires de part et d’autre.

Dans l’ensemble, les régimes autocratiques comme on en a connu devront être l’exception et la démocratie la règle. Seul un Mugabe  au Zimbabwe semble avoir survécu à la vague qui a emporté les porteurs de projets totalitaires comme Tombalbaye, Mengistu ou encore Mobutu.  Des Etats comme l’Afrique du Sud, le Bénin, le Cap-Vert, le Botswana, le Ghana, le Sénégal, le Nigéria, Maurice et la Namibie semblent avoir pris le cap de la consolidation de leur vie démocratique. D’autres semblent encore rester dans l’antichambre de la démocratie tout en donnant des signaux encourageants : il s’agit de pays comme le Mozambique, le Niger, le Burkina Faso, le Cameroun, le Burundi, et le Malawi entre autres. Bien entendu, beaucoup d’autres restent sur les étapes les plus rudimentaires du progrès politique : la Guinée-Conakry, la Guinée-Bissau, la Gambie, la Centrafrique, la Somalie, et le Zimbabwe ont été de mauvais élèves. Le tableau, on le voit bien, reste diffus, mais l’espoir reste permis pour une grande part de pays africains. Pour paraphraser Lionel Zinsou, « on ne saurait dire si la démocratie devient vraiment majoritaire, mais on sait déjà dire que la dictature est devenue minoritaire ». 

L’Afrique à l’ONU : quel mode de représentation ?

mmm_onuQuelques dossiers brûlants ont retenu l’attention des dirigeants du monde lors de l’ouverture de la 68e session de l’Assemblée Générale de l’ONU. Il s’agit notamment des crises en Centrafrique, victime d’un effondrement de l’Etat depuis le coup d’État de mars 2013, en République démocratique du Congo, où l’instabilité à l’Est du pays menace toute la région des Grands Lacs, ainsi que les situations précaires au Soudan, en Egypte, et au Mali. Mais au-delà de la gestion de ces urgences, une question a été remise au devant de la scène : la nécessité de faire plus de place à l’Afrique dans les institutions de l’ONU, en particulier au niveau du Conseil de sécurité. Les présidents tchadien et sud-africain, Idriss Déby et Jacob Zuma, se sont ainsi faits les hérauts d’une meilleure représentation de l’Afrique au sein de cet organe vital de l’ONU, où se prennent les décisions majeures au plan international. Ce débat, déjà agité au début du siècle avec le fameux projet de réforme de l’ONU, est remis au goût du jour avec insistance avec, comme nouvelle échéance, la 70e session de l’Assemblée Générale en 2015. Cependant, plusieurs questions restent en suspens dans ce débat.

Un débat légitime, mais source de rivalités

La place grandissante de l’Afrique dans les questions qui occupent l’ONU, ajoutée à une croissance démographique et économique continue qui en font un continent incontournable à l’heure actuelle, rendent obligatoire la prise en compte de ces revendications. Dans le même ordre d’idées, il est temps d’ouvrir cet organe à l’Amérique Latine et au monde arabe.

Pour l’Afrique, plusieurs schémas de représentation pourraient être envisagés. L’idéal serait que les dirigeants africains eux-mêmes se mettent d’accord sur un pays pour les représenter de manière permanente au Conseil de sécurité. Cela aura l’avantage d’éviter les querelles de positionnement tout en préservant la configuration actuelle de cet organe. Bien entendu, ce n’est pas gagné d’avance, parce que les candidats à ce fauteuil se révèlent nombreux. L’Afrique du Sud, première puissance économique du continent, se verrait naturellement occuper cette place. Le Nigéria, autre géant politique du continent, ne le verrait pas d’un bon œil, tout comme le Tchad. Le Maroc, îlot de tranquillité dans une Afrique du Nord trouble, pourrait lui aussi réclamer cette place. De même, le Sénégal, fort de son aura démocratique et de sa stabilité politique, serait un bon candidat. D’autres Etats moins en vue sur la scène internationale, mais non moins importants sur l’échiquier continental auraient leur mot à dire : Ghana, Botswana et Gabon, pourquoi pas ?

Ce dilemme pose le problème des critères à prendre en compte pour la désignation d’un tel représentant. Faut-il plutôt miser sur le poids politique, l’embellie économique, la stabilité politique ou l’ancrage démocratique ? Ce sont autant de facteurs à ne pas négliger pour un enjeu aussi important. Peut-être qu’il faudrait aussi mieux distribuer les parts : un pays anglophone et un pays francophone, ou encore un pays choisi pour sa stabilité politique et un autre pour ses performances économiques. Peut-être qu’il faudrait un pays nord-africain et un autre au sud du Sahara. Tous ces scénarios ne sont qu’hypothèses, mais il serait légitime d’avoir deux pays africains au Conseil de sécurité. L’Europe en a bien deux. Et cette réforme doit aller plus loin qu’une révolution de palais.

L’Union africaine, candidat de compromis ?

En visite au Sénégal début octobre, le Président Zuma a promis de porter le débat avec son homologue sénégalais au niveau continental lors du prochain sommet de l’Union africaine. Peut-être que c’est là que réside la solution. A défaut de pouvoir s’entendre sur le profil du futur représentant de l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Union africaine pourrait elle-même y être désignée. Puisque les questions qui y sont traitées sont essentiellement multilatérales, et que l’organisation panafricaine demeure une instance où jusqu’à présent les heurts majeurs ont été évités, il serait judicieux de la mandater pour défendre les positions africaines sur les questions d’ordre mondial. 

 

MMM

Les Frères musulmans ont bon dos…

En-Egypte-la-confrerie-des-Freres-musulmans-est-en-disgrace_article_popinLes Frères musulmans ont bon dos. Depuis la destitution du président Morsi en juillet 2013, plus de 2 500 membres (dont presque tous les dirigeants) de la confrérie sont pourchassés par le pouvoir mis en place par l’armée, avec la complicité de la justice du pays et des anciens opposants politiques des Frères. Cerise sur le gâteau, la justice vient d’interdire cette association ainsi que toutes ses activités après que les autorités eussent gelé tous leurs avoirs financiers. En agissant ainsi, le nouveau pouvoir a-t-il pris la juste mesure des conséquences désastreuses de cette chasse aux sorcières ?

Déjà, le coup d’Etat anti-démocratique dirigé contre le régime de Morsi a sapé tous les efforts d’apaisement politique qui avaient pris place depuis le départ d’Hosni Moubarak en février 2011. En effet, ce putsch aura causé plus de mal qu’il n’en a réparé, du moins pour le moment, et constitue un dangereux précédent dans une Afrique du Nord post-printemps arabe encore très fragile. Il a profondément remis en cause les fondamentaux du contrat social conclu à travers les premières élections libres et démocratiques qu’ait connu ce pays.

L’Egypte avait-elle besoin d’en arriver là ?

Le nouveau pouvoir, après avoir récupéré à son compte les manifestations géantes de la place Tahrir, a confisqué la souveraineté populaire et mis en branle une machine de répression anti-Frères sans autre fondement que le caractère religieux de la confrérie. Cette guerre sans merci contre un groupe aussi socialement ancré et aussi rigoureusement organisé risque de produire un effet paradoxal : la radicalisation des Frères et leur regain de capital sympathie auprès des masses laborieuses. En effet, l’absence d’embellie économique, ajoutée à la perte d’attractivité du pays (due au climat politique délétère), ne sera certainement pas comblée de si tôt par les nouvelles autorités. D’une part, la main (très visible) du président du Conseil suprême des forces armées, le général al-Sisi, s’occupe essentiellement d’anéantir la confrérie ; d’autre part, Adli Mansour, le magistrat qui a été désigné à la tête du pays ne possède pas les qualités politiques nécessaires à la mise en place d’une croissance durable.

Si tous les présidents impopulaires devaient être déposés après un an de gestion du pouvoir, on ne serait jamais sorti de l’auberge. 

L’action publique se retrouve sans orientation stratégique. Certes, l’Egypte avait atteint un point critique du fait du refus de Morsi d’écouter les revendications de ses opposants et de son entêtement à marginaliser les autorités militaires. De plus, il s’était mis à dos le pouvoir judiciaire ainsi que la société civile. Le mécontentement populaire qui s’y est ajouté a été la goutte de trop. Son régime est entré dans une impopularité grandissante et irrémédiable. Cependant, le processus de transition (après les régimes autocratiques de Nasser, Sadate et Moubarak) était encore trop fragile, l’apprentissage démocratique étant à peine entamé, que la destitution de Morsi n’était certainement pas la solution aux troubles sociaux du pays. Si tous les présidents impopulaires devaient être déposés après un an de gestion du pouvoir, on ne serait jamais sorti de l’auberge.

La désignation d’un magistrat comme Mansour n’est qu’un cache-misère. Personne ne peut prédire toutes les conséquences qui seront dues à l’enlisement provoqué par la persécution dont les Frères musulmans sont actuellement l’objet. Mais al-Sisi a le choix : arrêter la machine de répression, ou maintenir un conflit social auquel personne ne gagnera. Personne ne lui a jamais donné le droit de massacrer un groupe du simple fait d’une contestation sociale. Destituer le président Morsi était une erreur, persécuter les Frères en est une autre. Les autorités actuelles ont entre leurs mains une responsabilité historique : reconquérir la paix sociale. Cette dernière ne se décrète certes pas, mais elle peut s’installer progressivement à travers des mesures conciliatoires.

L’interdiction des Frères musulmans est une boîte de Pandore dont peuvent sortir tous les maux. La meilleure manière d’apaiser le climat politique est de laisser s’exprimer toutes les sensibilités. Pour le moment, ce n’est certainement pas la voie qu’ont empruntée l’armée et le gouvernement égyptiens.

La société civile par-delà les frontières : Entretien avec Momar Talla Kane

Entretien avec Momar Talla Kane, Ancien Président du REPAOC (2009 – 2010) Ancien Président du CONGAD (Conseil des ONG d’appui au développement, la plateforme nationale des ONG sénégalaises) et à ce titre, du REPAOC (Réseau des Plateformes nationales d’ONG d’Afrique de l’Ouest et du Centre), il a participé à plusieurs cadres de réflexion sur les politiques de développement en y portant la voix des ONG africaines. C’est de cette expérience dont il témoigne ici.


Quelles sont les missions des ONG, selon vous ?

Talla KaneAu fondement des ONG réside une mission, celle de participer aux efforts des populations et des citoyens à se prendre en charge dans la perspective d’une vie meilleure où les droits de chacune et chacun sont respectés. Les ONG ne sauraient se substituer aux populations, mais travaillent au renforcement de leurs capacités : elles les accompagnent, les appuient à concevoir et réaliser leur développement économique, politique, social et culturel. A cet effet, les ONG cherchent à influer sur les politiques publiques aux plans local, national et international pour la prise en charge effective des préoccupations des populations.
 

Que doivent-elles faire pour y arriver?

Elles doivent se constituer en acteurs majeurs dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de ces politiques. Elles doivent contribuer à l’approfondissement de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits humains. Elles ont l’obligation de veiller à l’efficacité des politiques publiques pour le développement mais aussi à l’efficience de leur propre intervention auprès des populations, des Etats et de tout autre partenaire. Aussi doivent-elles chercher à établir un partenariat véritable avec tous les acteurs dans la seule perspective d’un développement harmonieux et durable de nos pays respectifs pour un monde juste et meilleur. C’est ainsi, en respectant ces obligations, que les ONG porteront haut la Voix Non-gouvernementale.

Comment appréciez-vous la collaboration entre ONG africaines et européennes ?

Ensemble, les ONG africaines et les ONG européennes contribuent fortement à la cohérence des politiques en faveur du développement, et ce au travers d’une collaboration multiforme. En particulier, la participation à deux Assemblées Générales de CONCORD qui ont porté entre autres sur la cohérence des politiques de l’Union européenne a été l’occasion d’un fort plaidoyer auprès du Parlement européen, en liaison avec les ONG européennes et CONCORD. Elles y ont porté ensemble les préoccupations des ONG africaines. Ces nombreux efforts de CONCORD en faveur de la cohérence des politiques de l’Union européenne doivent être poursuivis pour arriver à une large efficacité des politiques de coopération, d’aide et de développement.

Poursuivis, de quelle façon?

Cela implique d'influer sur la conception et la mise en œuvre des politiques de coopération multilatérale et bilatérale est également un domaine important de la collaboration entre les ONG des deux continents. Elles ont pu, ensemble, participer au débat public international dans une interaction avec les autorités gouvernementales qui conduisent les négociations internationales. C'est d’ailleurs de cette collaboration, impliquant aussi les ONG des autres continents, qu’est né le Forum International des Plateformes Nationales d’ONG (FIP), un cadre idéal de dimension planétaire qui cherche à influer sur la gouvernance mondiale tout en renforçant les capacités de ses membres, donc des ONG. Cette plateforme des plateformes d’ONG défend essentiellement les préoccupations des ONG au niveau des instances internationales, mais aussi au niveau national. Il est un cadre légitime et représentatif dans lequel les ONG forgent des positions communes, partagées pour assumer et assurer leur ambition de prendre en charge les préoccupations des populations et des citoyens, dans toutes les décisions et politiques publiques les concernant.

Au-delà des ambitions, qu'a pu réaliser le FIP concrètement?

Ces deux dernières années (2010-2012) le FIP s’est efforcé de matérialiser ces objectifs à travers des exercices de diplomatie non gouvernementale dans des thématiques aussi porteuses d’enjeux que le changement climatique, l’aide publique et le financement du développement, la prévention des conflits, la lutte contre les inégalités sociales et l’exclusion, la régulation des marchés agricoles, l’accès à l’eau, l’assainissement et l’environnement favorable. Des rencontres du Groupe de Facilitation de l’époque avec les responsables des institutions internationales (Banque mondiale, Système des Nations Unies, UE, gouvernements, fondations…etc.) ont été bel et bien décisives. En outre, la mise en place du Partenariat mondial pour l’efficacité de la coopération au développement, lors du Quatrième Forum de haut niveau de Busan en Corée du Sud du 29 novembre au 1er décembre 2011, a été très bénéfique puisqu’elle a officiellement reconnu le rôle des Organisations de la Société Civile dans le développement. Cette reconnaissance a été l’aboutissement de plusieurs initiatives, en particulier l’Open Forum : un processus ouvert par lequel le FIP, avec de nombreuses ONG, a eu l’opportunité de contribuer à ce Partenariat mondial

La présence des ONG africaines sur la scène internationale est-elle effective ?

La voix des ONG africaines a été souvent portée dans beaucoup de foras mondiaux. Pour les OMD par exemple, lors du Haut Forum à New York, les ONG africaines se sont véritablement exprimées et cela se poursuit pour le Cadre de développement mondial pour l’Après OMD. Au sommet du G20 à Cannes en 2011 à travers le FIP, au sommet mondial de l’eau à Marseille en 2012, au Forum Social Mondial de Dakar et tant d’autres occasions nous avons contribué à porter haut la voix non gouvernementale. Sans aucun doute, les ONG africaines forgent leurs positions et les défendent partout à travers le monde, dans les rencontres internationales.

Paradoxalement, beaucoup de pays en développement n’atteindront certainement pas les Objectifs du Millénaire pour le Développement en 2015. Un pays comme le Sénégal aura pourtant fait beaucoup d’efforts en matière d’éducation, de lutte contre des maladies comme le paludisme et le Sida, qui ont été sensiblement réduites à travers le pays. Il y a eu également des avancées notoires en matière de droits des femmes, notamment avec l’adoption d’une loi instaurant la parité au sein des instances électives du pays. La lutte contre les violences faites aux femmes s’est aussi intensifiée ; les progrès sont donc réels, même s’ils restent insuffisants au regard des objectifs premiers.

Comment sortir de cette impasse?

Il faudra éviter le piège consistant à vouloir appliquer à tous une approche uniforme, et au contraire accorder plus d’attention à la souveraineté des Etats dans la conception des programmes de développement. En effet, il ne peut y avoir de solution préfabriquée pour les pays du Sud, mais c’est à leurs citoyens, leurs ONG et leurs gouvernements qu’il revient d’apporter des réponses endogènes durables.

Entretien avec Mamadou Cissokho, président du CNCR et du ROPPA

mama cissokhoMamadou Cissokho est Président du Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux du Sénégal (CNCR) et du Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs d’Afrique de l’Ouest (ROPPA).

Comment est né le CNCR et quelles sont ses missions ?

Agriculteur, exploitant paysan à Koumpentoum (Est du Sénégal), j’ai formé le CNCR avec plusieurs autres leaders du milieu paysan sénégalais en 1983. Notre volonté était de construire un véritable réseau de solidarité et de défense des intérêts des agricultures familiales sénégalaises. Après l’échec des politiques d’ajustements structurels menées par l’Etat, sur les préconisations du FMI et de la Banque Mondiale, les agriculteurs ont donc décidé de porter eux-mêmes le combat pour la défense de leurs intérêts auprès de ces bailleurs de fonds et institutions internationales. Plusieurs fédérations agricoles, notamment la FONGS (Fédération des Organisations Non Gouvernementales du Sénégal) et l’UNCEFS (l’Union Nationale des Coopératives d’Exploitants Forestiers) y ont pris part.

Quel est le niveau de coordination des organisations paysannes en Afrique ?

A l’instar des Etats qui ont décidé de se regrouper au sein d’instances communautaires, les organisations paysannes ont pris conscience de la nécessité de coordonner leurs actions afin d’accompagner voire de suppléer les actions des institutions internationales.

Cela s’inscrit dans l’intérêt croissant acquis par les questions politiques dans l’action des ONG.Par exemple, la présence des ONG aux négociations avec l’OMC sur les Accords de Partenariat économiques (APE) a été très utile. Malheureusement, les coûts de participation aux réunions internationales sont élevés et handicapent les efforts des organisations paysannes du Sud à ce niveau.

Quels sont les obstacles rencontrés par les organisations paysannes ?

Le poids des procédures publiques demeure entier pour les fédérations paysannes. L’Etat veut garder une mainmise sur les activités de production de manière légitime, mais il devrait laisser le monde paysan, constitué de maraîchers, d’éleveurs, d’aviculteurs etc., fonctionner selon ses propres principes.  Les gouvernements préfèrent souvent contrôler leurs activités de manière trop large. C’est pourquoi les concertations entre fédérations paysannes et structures étatiques sont positives. L’insuffisance des ressources financières des organisations paysannes est un très grand handicap. C’est pourquoi elles se regroupent à l’échelle régionale et continentale, pour mieux défendre leurs intérêts auprès des gouvernements et organisations communautaires.

Quels sont les défis du ROPPA ?

Il faudra tout d’abord assurer une sécurité et une souveraineté alimentaires dans le marché régional. Il faudra ensuite renforcer la protection des produits car la seule coopération ne favorise pas la souveraineté alimentaire. Il faudra également assurer des productions de qualité car elles ne connaîtront pas de risque de mévente. Les quantités de riz, de manioc ou de blé disponibles sont insuffisantes par exemple.  Enfin, il faudra mieux aider les jeunes à s’installer dans le marché, à travers la chaîne de production.

Interview réalisée par Mouhamadou Moustapha Mbengue, et publiée avec l’accord de CONCORD, 

Haro sur le dysfonctionnement chronique des armées africaines

 

 

 

 

armées africaines

Inefficaces, incompétentes, peu organisées, mal équipées, mal aimées… Les maux qui gangrènent les armées africaines sont légion depuis plusieurs décennies.  Rares sont celles qui sont parvenues à bâtir une bonne réputation à travers leur comportement dans des missions de maintien de la paix et autres théâtres d’opération : le Tchad, le Ghana, le Nigéria, l’Afrique du Sud, et le Sénégal parmi peu d’autres. Mais la plupart des armées africaines souffrent d’une profonde maladie relative à leur opérationnalité et à leur efficacité. Si bien qu’elles se font surprendre naïvement par des groupes rebelles sous le regard impuissant des autorités politiques qui les gouvernent.

Au Mali, en Guinée Bissau, en Centrafrique, en République Démocratique du Congo, pour ne citer que ces pays, elles se sont révélées incapables d’assurer le rôle traditionnel qui leur est dévolu : la défense et la sécurité nationales. Pis, elles sont redoutées par les pouvoirs publics et craintes par les populations qu’elles sont censées défendre. Il faut donc absolument chercher, trouver, et guérir le mal qui empêche les armées africaines de remplir leurs missions.

Communément admises comme les grandes muettes, les armées sont confinées à un rôle de sécurisation des territoires dans le strict respect de la hiérarchie interne et des autorités politiques.  Ces dernières conservent un droit de commandement indiscutable sur elles et, inversement, les militaires sont emmurés dans un devoir de réserve et de neutralité par rapport à la chose politique. Il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence de tels principes. Le bon soldat, toujours prêt à exécuter les ordres de ses supérieurs, sans hésitation ni murmure, n’a aucun droit de cité dans la gestion des affaires publiques. A peine lui reconnaît-on parfois un droit de vote distillé au compte-goutte et il le rend bien : il reste poliment chez lui lors des consultations électorales.

Dans l’acception commune, les hommes de troupe doivent rester dans les casernes. Ils n’en sortent que pour faire face à l’ennemi extérieur qui menacerait l’intégrité nationale. Mais il est temps de sortir de ces carcans de pensée ! Pourquoi confiner le militaire à un rôle d’exécution pur et simple, alors qu’on lui demande dans le même temps d’abandonner famille et amis pour servir la Nation ? Risquer sa vie. Tomber au front. Aider les citoyens et se taire. Ne jamais broncher. Veiller nuit et jour sur les autres…

Il est impossible d’énumérer le nombre de dysfonctionnements dont souffrent la majeure partie des hommes en tenue. Malgré le semblant d’hiérarchie et de discipline qui les caractérise, ils subissent dans un silence intenable les rugosités de l’organisation administrative. Les maigres indemnités dont ils doivent bénéficier sont accordées à ceux qui connaissent les bonnes personnes dans l’administration. Les dossiers de demande d’affectation ou de prise de congé par exemple dorment pendant une éternité dans les tiroirs de ces administrations. Il ne faut surtout pas qu’ils lèvent le plus petit doigt ou qu’ils interpellent leurs chefs sur ces dysfonctionnements innombrables. Jusqu’à quand faut-il accepter cet état des choses ? Combien de temps peut-on docilement rester subordonné aux injonctions parfois irrespectueuses des chefs, subir les lenteurs administratives, et veiller scrupuleusement à la sécurité des citoyens ?

Les dysfonctionnements tuent les armées africaines. De Dakar à Abidjan, de Bissau à Bangui, de Lagos à Kinshasa. Elles souffrent d’un manque criard de ressources financières, de matériels d’équipement, d’efficacité organisationnelle. De plus, elles ne doivent jamais s’encombrer de débats publics sur leurs tares.  Elles doivent se maintenir dans les rangs pour mériter la confiance des autorités politiques qui décident de leurs lignes budgétaires et de l’opportunité de leurs interventions au front. La discipline est inscrite au fronton des camps militaires. Leurs conditions de restauration, de logement, de transport et de combat laissent beaucoup à désirer.

Quant à la dichotomie entre les unités de gendarmerie et de police, elle reste incomprise et inutile. Les unes civiles, les autres militaires. Dans cet imbroglio indicible, la plupart des citoyens font mal la part des choses entre les rôles des unes et des autres. L’autre inconnue réside dans le cheminement des dossiers de plainte selon qu’il s’agisse d’un circuit militaire ou policier. La relation avec les autorités judiciaires est difficile à établir. Rien n’empêche les services du procureur de la République ou du juge d’instruction de classer ces dossiers sans suite, surtout lorsqu’une connaissance bien placée ne les accélère pas. Le reste est affaire de copinage. Et de corruption en veux-tu, en voilà !

Les militaires donnent beaucoup et reçoivent peu, lorsqu’ils ne font pas partie du petit nombre bridé par le pouvoir politique. Ils exercent l’un des métiers les plus ingrats au monde, et l’un des plus nécessaires.

Ceux qui sont préposés à la circulation urbaine parviennent rarement à la fluidifier. Ceux qui se trouvent aux frontières, même parmi les officiers, ont peu de prise sur le commandement de leurs propres unités. Il faut toujours un ordre qui vienne d’en haut. A quoi bon les responsabiliser dans ce cas ? Ceux qui se trouvent sur les théâtres d’opération manquent de moyens logistiques qu’ils pourraient mobiliser de manière immédiate face à un danger. Ils servent de chair à canon et doivent prouver en permanence leur bravoure et leur aptitude au combat. Il faut réviser en profondeur le mode de fonctionnement des armées ainsi que leur traitement salarial. Il faut leur doter de moyens financiers et logistiques conséquents. Beaucoup de services de gendarmerie et d’infanterie ne disposent pas des moyens de travail les plus basiques. Et après on s’étonne que les armées soient divisées, inefficaces, et qu’elles déguerpissent à la moindre menace ! Les autorités politiques africaines doivent s’occuper de leurs armées avant que le mal ne s’installe de manière irréversible.

 Mouhamadou Moustapha Mbengue

1ère journée internationale du jazz à Dakar (2013) : entre retrouvailles et ouvertures trans-continentales

inetrantional-jazz-dayDakar a célébré, dans une ambiance festive, la première édition de la Journée Internationale du Jazz, mardi 30 avril 2013. Sous l’égide de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, les Sciences, et la Culture), cette journée était marquée par la présence de nombreux acteurs et fins connaisseurs du jazz au Sénégal. Elle a vu se produire de grands musiciens tels que Doudou Ndiaye Rose, Vieux Mac Faye, et Takeifa. Ces derniers ont égayé les amateurs réunis à Dakar par des rythmes mêlant sonorités africaines, américaines et européennes.

Ce fut d’ailleurs le thème de la table-ronde de la journée, centrée sur les sources africaines du jazz et les influences de celui-ci sur les musiques africaines. Lors d’un panel comme on en voudrait plus souvent sur ce thème, les essayistes Felwine Sarr et Ndiouga Adrien Benga ont présenté les interactions entre jazz et musique africaine, en compagnie du Cheikh Tidiane Tall. Le professeur Felwine Sarr a commencé par retracer les éléments historiques qui ont marqué le retour du jazz en Afrique, de même que la présence de l’Afrique dans le jazz. Il faut noter à ce titre que, selon lui, le concept de jazz a été souvent utilisé comme élément de lien entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, depuis la naissance de cette musique avec les descendants d’esclaves qui y trouvaient une échappatoire et un moyen d'épancher leur soif de retrouvailles culturelles. Par exemple, Meiwy Black Boers mêle jazz et musique zouloue en Afrique du Sud, à l’image d’Adolphe Winkler et Manka qui faisaient de même en Afrique francophone. Pour leur part, Taj Mahal et Aly Farkha Touré font une incursion dans le blues.

A sa suite, le professeur Ndiouga Adrien Benga est revenu sur l’histoire du jazz au Sénégal. Il a dépeint un paysage musical sénégalais kaléidoscopique, dans lequel Amsata Niang et Oumar Ndiaye Barro consacrent la professionnalisation du jazz. Il a regretté cependant l’influence négative du milieu politique sur l’évolution du jazz au Sénégal, notamment avec le FESMAN (Festival Mondial des Arts Nègres) créé par le Président Senghor. Par ailleurs, il a précisé que les origines du jazz au Sénégal restent à identifier, du fait de la rareté de la documentation sur ce point, qui rend difficiles les recherches sur la mémoire de ce genre musical dans le pays. Cependant, il a fait noter qu’Européens et Américains ont rivalisé d’adresse à Saint-Louis, notamment sur la place Potet, dans la première moitié du XXe siècle. C’est ainsi que sont nés la Symphonie de Saint-Louis, le Club de Jazz à Dakar (avec le Mur Africain), et l’Orchestre d’Oumar Ndiaye qui a confirmé les interactions entre jazz et musique africaine, puisqu’il mêle meringue et high-life. Plus tard, la seconde moitié du XXe siècle verra le développement du Dakar Université Sextup emmené par Ousmane Sow Huchard. Ce dernier fut d’ailleurs pendant longtemps le Commissaire aux Expositions sénégalaises à l’étranger.

Dans un autre registre, Cheikh Tidiane Tall a fait remarquer que le Sénégal a été pendant longtemps une destination privilégiée pour de nombreux ténors du jazz. Ainsi, Curtis Jones et Ron Carter ont fait des tournées mémorables dans le pays, à l’image de Duke Ellington, Fromp Foster, Johnnie Rodgers, Chalto Evans ou Manu Dibango pour ne citer que ceux-là. De même, il est revenu sur le Festival de 1979 qui a réuni Polak et France Senghor. Cheikh T. Tall a fait remarquer que le Mbalax et la Samba sont deux genres musicaux très proches car ils ont tous deux le deuxième temps comme temps fort. Sur cette lancée, il a vivement invité l’assistance à accorder plus d’importance aux instrumentistes, qui sont souvent relégués au second plan au profit des leads vocaux. Concernant les interactions entre jazz et musique africaine, il a fait observer que le jazz comprend beaucoup de sonorités du swing de nos jours. Et que le Congo Square (en Louisiane) a intégré beaucoup d’influences de l’Afrique équatoriale, notamment de l’ancien Royaume Kongo où habitaient les Benga. Ainsi, toute la côte de l’Afrique équatoriale conserve une relation étroite avec le jazz joué aux Etats-Unis.

Enfin, la Journée Mondiale du Jazz a été l’occasion pour le Ministre de la Culture du Sénégal, Monsieur Abdou Aziz Mbaye, de tenir une conférence de presse en compagnie de Mme Katalin Bogyay, Présidente de la Conférence Générale de l’UNESCO. Durant ce point de presse, Monsieur Mbaye a rappelé que l’Afrique a beaucoup apporté au jazz, comme le jazz a beaucoup apporté à l’Afrique, avec des mutations  de différentes couleurs. Ces influences mutuelles se retrouvent dans le fait que les racines du jazz sont nées en Afrique de l’Ouest. A l’île de Gorée (où ces personnalités ont effectué une visite juste avant la conférence), on peut se rendre compte de l’effet produit par le fait de quitter sa patrie. Le jazz, entre tambours et trompettes, est parti de là. Revenant sur le contexte de la création de la Journée Mondiale du Jazz, le Ministre de la Culture l’a décrite comme un espace de partage et de célébrations de ce que l’humanité a en commun. De même, Mme Bogyay s’est félicitée de la tenue de cette journée à Dakar, comme dans peu de capitales africaines, confirmant la célébration de la diversité des cultures à l’UNESCO. Selon elle, c’est donc dans ces fondements communs entre les différentes musiques, qu’on peut mieux détecter les ponts culturels qui sont jetés à travers le monde.

Macky Sall, un an après: Le temps des cafouillages

 

Le pouvoir de Macky Sall, un an après, connaît d’importants cafouillages qui sont autant de facteurs d’inquiétude. Aux dissensions internes dans la coalition politique au pouvoir, Bennoo Bokk Yaakar, s’est ajouté un impressionnant tumulte au sein du gouvernement au sujet de la traque des biens mal acquis. Enfin, une fois de plus, un sérieux débat juridique sur la réduction du mandat présidentiel se fait jour.

Des élections locales en rangs dispersés

Les élections locales prévues en mars 2014 constituent de plus en plus un sujet de discorde pour les différents partis de la coalition majoritaire Bennoo Bokk Yaakar. Suite à la victoire de Macky Sall au second tour du scrutin présidentiel de mars 2012, un gouvernement de coalition, qui a intégré presque toute l’ancienne opposition, a été formé. Cette coalition, reconduite aux élections législatives tenues en juillet 2012, risque cependant de ne pas survivre jusqu’aux prochaines joutes électorales. En effet, les alliés de Bennoo Bokk Yaakar  iront certainement en rangs dispersés aux élections locales de mars 2014. Le renouvellement des instances politiques issues de la décentralisation fait l’objet de vives concurrences entre les responsables de l’APR (Alliance pour la République), du PS (Parti socialiste), de l’AFP (Alliance des Forces du Progrès) et du Rewmi.

Ainsi, Mbaye Ndiaye, éminence grise de l’APR, a récemment lancé un appel du pied à Khalifa Sall, Maire PS de Dakar, à rejoindre les rangs du parti présidentiel s’il tenait à conserver son fauteuil à la tête de la capitale du pays. De même, le Président Macky Sall et le député Abdou Mbow, responsable des jeunes de l’APR, ont clairement fait savoir que leur parti pourrait confectionner ses propres listes dans certaines circonscriptions électorales. Quant à l’AFP, parti du Président de l’Assemblée Nationale Moustapha Niasse, elle a jusque là observé un certain mutisme sur cette question. Son leader compte vraisemblablement rester aux côtés de l’APR autant que faire se pourra, mais rien ne garantit que les responsables du parti s’alignent sur cette volonté. Le Rewmi d’Idrissa Seck, Maire de Thiès et ancien Premier Ministre sous Wade, est pour sa part dans une posture d’indépendance par rapport à l’alliance Bennoo Bokk Yaakar. Idrissa Seck prend souvent ses distances, en menant par exemple une grande tournée en solitaire dans plusieurs localités du Sénégal. En somme, de véritables fissures risquent d’éclater au grand jour, à mesure qu’approchent les élections locales.

L’épisode malheureux de la médiation pénale

Par ailleurs, la coalition au pouvoir peine à affirmer une réelle cohésion d’ensemble dans la communication gouvernementale. Un épisode ahurissant a été la question de la médiation pénale dans l’affaire dite des biens mal acquis. Cette proposition faite par l’avocat de l’Etat, Me El Hadji Diouf, et défendue par le Ministre en charge de la promotion de la bonne gouvernance et Porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, a fait long feu. La médiation pénale aurait consisté à convaincre les responsables du régime de Wade soupçonnés d’enrichissement illicite à rembourser 80% des sommes détournées pour éviter la prison. Mais très rapidement, Madame Aminata Touré, Ministre de la Justice, s’est inscrite contre cette idée de son collègue. Ce qui est regrettable, c’est qu’il puisse exister une telle mésentente parmi les membres du gouvernement. Ce défaut de cohérence dans la communication est décrié comme une cacophonie au sommet de l’Etat.

 La réduction du mandat présidentiel en questions

Enfin, la question de la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, promise par Macky Sall lors de la campagne présidentielle, divise au sein de la classe politique. Certains juristes, dont l’éminent Ismaila Madior Fall, défendent l’idée d’un référendum pour l’opérer. Selon eux, une loi adoptée par l’Assemblée Nationale pour y arriver, ainsi que le préconisent certains hommes politiques,  violerait la Constitution du Sénégal. En effet, l’article 27 de la loi fondamentale stipule que la durée du mandat présidentiel « ne peut être révisée que par une loi référendaire ». Ainsi, si l’on s’en tient à cette analyse, seule une loi référendaire permettrait de la modifier. Mais le juridisme serait alors poussé à son bout, et le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Car l’organisation d’un référendum prendrait beaucoup de temps et d’argent. Les ressources budgétaires de l’Etat sénégalais sont déjà assez maigres. Le gouvernement peine à satisfaire la demande sociale pour laquelle le président de la République a été élu il y a un an. Des élections locales pointent à l’horizon. S’y ajoutent les redoutables inondations et montées des prix des denrées alimentaires. Est-il raisonnable de privilégier l’organisation d’un référendum sur d’autres solutions plus pragmatiques ? Si l’on tient vaille que vaille à respecter la Constitution, il reste une dernière solution qui peut faire consensus. Elle consisterait en la démission du Président de la République à l’issue des cinq premières années de son mandat. Dans ce cas de figure, le Conseil Constitutionnel constaterait la vacance du pouvoir, avant de désigner le Président de l’Assemblée Nationale pour assurer l’intérim et organiser l’élection présidentielle. Cette solution aurait le mérite de préserver les sommes importantes que coûterait un référendum, tout en conférant une grande sagesse à Macky Sall, qui respecterait un engagement électoral sans précédent dans l’histoire politique du Sénégal.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Jeu de yo-yo entre Bozizé et la Séléka en Centrafrique

Bozizé et sélékaIl faut regarder du côté de la Centrafrique, et, au-delà, de l’Afrique Centrale. Cette partie du continent connaît des troubles géopolitiques importants depuis près de deux décennies qui, la plupart, sont liés au désordre de l’orée des indépendances. La région des grands lacs est ainsi marquée par un conflit qui peine à s’éteindre, les deux Kivu de la RDC n’ont pas connu d’accalmie durable, le la RDC et le Rwanda s’affrontent quasi-ouvertement, et les personnes victimes de tuerie, d’actes de barbarie, ou de déplacement se comptent en centaines de milliers.

Mais la Centrafrique mérite une attention toute particulière, car le conflit qui y gît dénote un certain malaise au sein de la classe politique dirigeante d’Afrique Centrale. Le leadership diplomatique de cette zone n’arrive pas à se dessiner, même si avec le conflit centrafricain, celui du Congo Brazzaville et celui du Tchad s’affirment tant bien que mal. Combiné à une présence très gênante de la France, ce manque de leadership pose le problème de l’avenir politique d’une zone en proie aux velléités sécessionnistes.

Comme la plupart de ses voisins, la République centrafricaine a raté le cap de la reconstruction économique après la décolonisation survenue en 1958. Victime d’une instabilité au sommet de l’Etat après l’indépendance, elle parvient bon an mal an à réaliser un passage démocratique avec l’élection d’Ange-Félix Patassé en 1993, avec l’aide de la France. Mais cette instabilité institutionnelle va reprendre de plus belle dix ans plus tard lorsqu’il se fait renverser par le Général François Bozizé. Le régime de ce dernier fait face depuis 2004 aux violentes contestations de plusieurs factions rebelles.

On assiste depuis cette date à une sorte de jeu de yo-yo entre le pouvoir et les rebelles ; ces derniers font tomber des villes sous leur contrôle avant de les perdre, entérinent des accords avec le gouvernement et les rompent de temps à autre… La formation actuelle connue sous le nom de Séléka (Alliance en Sango) et qui regroupe notamment l’Union des Forces Démocratiques pour le Renouvellement (UFDR), dirigée par Michel Djotodia, ainsi que la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP), semble faire double jeu, en prenant à partie la communauté internationale.
Ainsi, les Accords de 2007, qui prévoyaient une amnistie et une réintégration des troupes de l’UFDR dans les rangs de l’armée gouvernementale ont été rompus de manière unilatérale sous prétexte qu’ils n’étaient « pas respectés » par le régime de Bozizé (sic). Plusieurs villes tombent en décembre 2012 dont Bria (minière), Kabo et Ouadda. Cette grande offensive aura quand même eu le mérite de faire revenir le pouvoir à la table des négociations. Pour se faire octroyer des ministères-clés comme celui de la Défense, dans le gouvernement d’union nationale dirigé par Nicolas Tiangaye, issu de la société civile. Le Kwa na Kwa (parti de Bozizé) ne conserve que le Département des Affaires étrangères, de la Sécurité publique et celui de l’Economie, signe d’un affaiblissement de son pouvoir.

C’est pourquoi il faut regarder du côté de la Centrafrique, et, au-delà, de l’Afrique centrale. Le conflit centrafricain est révélateur d’un malaise profond, d’un point de vue diplomatique, au sein de la classe dirigeante de cette partie du continent. Ce malaise se transpose aujourd’hui jusqu’aux Etats-Unis d’Amérique et à l’ONU. Leur décision de faire retirer leur personnel non-indispensable, au cœur du conflit, traduit un désintérêt inquiétant pour l’avenir du pays et de la région. Il faut que la communauté internationale se penche sur le dossier centrafricain, pour conserver les acquis du gouvernement d’union nationale. La double implication tchadienne et congolaise est salutaire, car la Centrafrique a plus besoin de soutien politique, militaire et financier que de désengagement.

En ce qui les concerne, les deux parties en présence (Kwa na Kwa et Séléka), elles doivent chacune lâcher du lest dans leurs invectives réciproques, pour faire perdurer la paix et le gouvernement d’union. François Bozizé, en particulier, devrait s’occuper de la relance économique pour exploiter rationnellement les importants gisements miniers du pays avec l’aide des partenaires internationaux. S’il continue de présider aux destinées de son pays jusqu’en 2016, comme le prévoient les Accords, il a du pain sur la planche et le temps presse. Il ne devrait pas rendre les armes les poches pleines d’or et les mains pleines de sang. De son côté, la Séléka n’a pas fait la lumière sur ses véritables liens avec l’Armée de Résistance du Seigneur (rébellion ougandaise) ni avec la rébellion tchadienne. Des connivences avec celles-ci seraient impardonnables. Les responsabilités sont donc partagées dans le conflit centrafricain.

La justice de Macky Sall traque les dignitaires de l’ancien parti démocratique sénégalais

imagesLa plupart des barons du PDS sont empêtrés dans de beaux draps avec la décision des autorités sénégalaises de les poursuivre en justice. Ainsi, après la mise sous mandat de dépôt de Ndèye Khady Gueye, certains d’entre eux sont-ils montés au créneau pour dénoncer un énième épisode de ces traques. Mais la manière dont ces enquêtes sont décriées laisse à désirer, car elle fait fi de ce qu’elles représentent des moments-clé dans la vie d’une Nation.

Par exemple, Monsieur Babacar Gaye, ancien Ministre des Affaires Politiques sous Wade, actuellement Président du Conseil Régional de Kaffrine (Centre), est intervenu dans quelques médias dakarois pour fustiger les décisions des autorités politiques et judiciaires du Sénégal. De même, Me Ousmane Ngom, ancien Ministre de l’Intérieur et ancien Ministre de la Justice, estime qu’aucune juridiction sénégalaise ne devrait statuer sur le cas des anciens Ministres de Wade, excepté la Haute Cour de Justice de la République.

Pour leur propre information, les cours spéciales du Sénégal, y compris la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI), sont organisées par des textes adoptés par le Parlement du pays, avec des missions claires et précises. De ce fait, sauf à ne plus faire confiance à la justice de ce pays et à ses lois, Ousmane Ngom, au vu des fonctions qu’il a occupées, se devrait de laisser libre cours à cette justice.

L’Etat du Sénégal ne se perd pas en conjectures en mettant en place un dispositif de répression des crimes économiques. Que les anciens caciques du PDS se rassurent donc, la volonté de faire rendre des comptes et/ou de rapatrier les fonds publics mal utilisés n’est pas une perte de temps. D’ailleurs, le Sénégal est un pays dont les hommes de droit sont réputés intègres et les institutions politiques et judiciaires fiables. Les récriminations dont ces procédures de reddition des comptes font l’objet pèchent par trop de juridisme. Bien entendu, il incombe aux magistrats d’en décider. Mais encore faut-il qu’on leur accorde, et par la même occasion à la justice sénégalaise, l’occasion de rendre leurs décisions. Et cela passera inévitablement par le crédit qu’on accordera aux institutions judiciaires du Sénégal.

téléchargementLe billet d’écrou délivré à Ndeye Khady Gueye, ancienne Directrice du Fonds de Promotion économique, par le Doyen des Juges d’instruction, Mahawa Sémou Diouf, n’est qu’une page de la longue liste d’auditions et mandats de dépôt dont les anciens barons du PDS font l’objet. Sur rapport de la Cellule Nationale de traitement des informations financières (Centif), le magistrat a décidé de placer sous mandat de dépôt la dame de la Gueule-Tapée pour escroquerie portant sur des deniers publics, détournement de deniers publics, complicité de détournement et de blanchiment de capitaux. La gravité des chefs d’accusation, portant sur près de 3 milliards, démontre à elle seule qu’il s’agit, pour cette affaire comme pour les autres, de moments-clé de la vie d’une Nation.

Seul l’avenir nous édifiera sur la réalité des faits incriminés, envers elle comme envers les autres. Mais nul n’a le droit de faire obstacle à la justice sénégalaise. Car c’est bien l’avenir de cette dernière qui est en jeu, qu’il s’agisse de la CREI, de la CENTIF, de la Haute Cour de Justice, ou des tribunaux ordinaires.

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

La réforme de l’Etat au Mozambique (2)

 

mozambique

Dans la deuxième partie de cet article sur la réforme de l'Etat au Mozambique, Mouhamadou Mbengue présente les premières mesures de réforme déterminantes et propose une explication à leurs résultats insatisfaisants.

II L’adoption des premières réformes publiques déterminantes au Mozambique


Un plan décennal de réforme de l’Etat, intitulé Stratégie globale en faveur de la réforme du secteur public (EGRSP), fut adopté en 2001 sous l’égide des bailleurs de fonds. Ce nouveau programme avait pour but d’amener de véritables changements dans l’exécution des services publics, en passant par : « la décentralisation, la gestion des ressources humaines, la politique publique, la gestion financière publique et la lutte contre la corruption ». (1)

Les éléments du NPM inspirent fortement les politiques publiques : « guichets uniques », gouvernement électronique, mise en concurrence pour les marchés publics dans la prestation de service et le recrutement des hauts fonctionnaires, nouveau régime salarial, systèmes de gestion du rendement, responsabilité financière, entre autres. (2) 

Les finances publiques en particulier subirent une véritable cure d’assainissement, et la lutte contre la corruption est rapidement devenue un sacerdoce. Dans le même temps, une simplification des procédures se mit en place dans la plupart des services publics contre les lenteurs bureaucratiques. Cependant, les formalités n’ont pas atteint le degré de standardisation souhaité, malgré la création de « guichets uniques », du fait du manque de formation des agents. Idem pour l’e-gouvernement.

Il faut en déduire que la plupart des fonctionnaires n’ont pas eu les compétences nécessaires pour atteindre les objectifs des réformes passant par les méthodes administratives modernes. Le poids de la culture politique et des réflexes habituels a beaucoup galvaudé l’élan de changement. Plus de la moitié des cadres publics ne possèdent pas un diplôme d’enseignement supérieur (3) et ignorent les principes les plus basiques du fonctionnement de l’Etat. Pour palier ce déficit, le gouvernement créa en 2004 des formations destinées aux agents de l’Etat. L’institut Supérieur d’Administration Publique (ISAP) fut ouvert pour offrir ces nouvelles formations.

III Améliorer les programmes de réforme par le capital humain

La plus grosse erreur commise par les dirigeants politiques mozambicains, comme la plupart de leurs collègues africains, a été de croire qu’il suffisait d’adopter les programmes issus du NMP pour parvenir à un Etat moderne en un temps record. L’application immédiate des recettes et préceptes des bailleurs de fonds n’ont pas suffi.

Ces derniers ont complètement fait table rase du degré de culture démocratique nécessaire dans tout pays avant l’introduction d’éléments du Nouveau Management Public. Pour remplacer l’etat wéberien, encore faut-il qu’il existe. Les techniques administratives modernes n’ont pas pu avoir le résultat escompté du fait de l’absence d’Etat solide. Les agents responsables de leur exécution n’avaient pas reçu les notions de base en matière de service public et de gestion, non même celles wébériennes. L’efficacité n’a donc pas été au rendez-vous.

Ainsi, malgré le grand nombre de mesures entreprises pour améliorer la gestion publique, les résultats escomptés ne sont pas venus. La multiplication des programmes, écoles, et procédures modernes n’y a donc pas fait grand chose. L’une des raisons principales en est que les fonctionnaires mozambicains n’ont pas de formation de base sur le fonctionnement de l’Etat classique, de type wébérien. Cette carence est imputable à la brutalité de la libération nationale.

Comme Harry Taylor, spécialiste reconnu du Management Public dans les pays en développement, l’a si bien décrit, les administrations publiques doivent « apprendre à marcher avant de courir ». (4) La plupart des programmes de réforme ont brûlé les étapes rudimentaires de la gestion publique. L’inclusion de techniques modernes visant à améliorer le rendement et l’efficacité du service public est bien entendu inévitable au Mozambique. Mais à l’heure actuelle, la priorité doit être la formation des agents de l’Etat aux concepts de base de la gestion des affaires publiques.

De manière générale, l’administration publique africaine souffre du niveau de ses fonctionnaires. Ceux-ci, même lorsqu’ils ont acquis des enseignements orientés vers la gestion publique, ne se soucient pas beaucoup des impacts de leurs décisions pour l’intérêt général. Or, ce dernier doit être au début et à la fin de toute politique publique, pour que le vouloir-vivre commun demeure. Il est en effet irrationnel d’oublier cette notion qui fonde le contrat social, dont les fonctionnaires sont censés garantir la pérennité. Il faut bannir la gestion publique épicière à tout prix.

Les Etats africains pourront difficilement se perpétuer sans la prise en compte de cette exigence. A tous les niveaux de l’administration, la formation en droit, en histoire, en économie, en expression écrite et orale, ainsi que dans d’autres disciplines liées aux départements techniques, doit absolument être revisitée, tout en tenant compte des exigences de modernisation. L’ignorance de ces paramètres essentiels a beaucoup réduit l’élan réformateur et novateur au Mozambique. La standardisation, la simplification, et la modernisation des procédures suivront.

Cependant, il existe aussi peu d’incitation financière en particulier au profit des agents de l’Etat. Il est effectivement difficile de mener à bien des réformes novatrices, ou même d’assurer le fonctionnement régulier des services publics, sans une véritable politique globale en leur faveur. Les fonctionnaires voient parfois défiler des sommes colossales qu’ils doivent utiliser pour leurs institutions, mais sont souvent tentés d’y puiser pour régler des préoccupations personnelles. 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 

 [1] Awortwi, Nicholas : « Doter les administrateurs et gestionnaires publics de nouvelles compétences à l'époque des réformes du secteur public : le cas du Mozambique » , Revue Internationale des Sciences Administratives, 2010/4 Vol. 76, p. 767.

[2] République du Mozambique (2006).

[3] Awortwi Nicholas, Op. Cit. p.771.

La réforme de l’Etat au Mozambique (1)

mozambiqueLes théories du Nouveau Management Public, nées aux Etats-Unis au tournant des années 1970 et 1980, reprochent principalement à la bureaucratie traditionnelle “wébérienne” – écrite et soucieuse de juridisme – d’être trop sclérosée et de mener à une lenteur et une rigidité des décisions. Ces théories intègrent donc dans l’action publique des techniques de gestion empruntées au secteur privé. Elles ont été particulièrement prônées par Norbert Elias et Michel Crozet.
Les Etats modernes, notamment d’Europe occidentale, qui fonctionnaient sur la base de l’idéaltype wébérien ont subi des modifications profondes de leur système de gouvernance, pour le rendre plus fluide, plus léger, et donc plus efficace. Les administrations publiques africaines ne sont pas en reste. Certaines d’entre elles ont beaucoup révisé leur mode de gestion des services publics et des affaires publiques avec le NMP, tel est le cas du Mozambique.

Le Mozambique, au sortir de la longue guerre civile qui le déchira entre 1976 et 1992, embrassa les méthodes du Nouveau Management Public. A travers le cas de ce pays, il est possible d’avoir une idée assez claire des résultats de l’application de ces nouvelles méthodes de management en Afrique subsaharienne.

Il s’agissait pour les autorités mozambicaines d’installer un mode de gestion plus souple à travers des ajustements dits structurels. La formation des agents et administrateurs publics a été revue, de même que la progression de leurs carrières, et les procédures administratives ont été aplanies. La nouvelle administration publique devait donc être plus rapide et plus efficace que par le passé.
Si le pays reste pauvre, avec près de la moitié de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, l’économie mozambicaine croît et attire les investisseurs étrangers. En 1985, le Mozambique ne recevait, virtuellement, aucun investissement direct étranger. Aujourd’hui les flux nets d’IDE au Mozambique s’élèvent à près de 800 millions de dollars. De façon générale, plus de 11 milliards de dollars ont été investis dans une trentaine de “grands projets” durant la seule année 2011. Et si le pays est encore considéré comme étant “globalement non-libre” selon l’index de liberté économique de l’Heritage Fondation, le Mozambique se situe néanmoins dans le premier tiers des pays Africains. Ce relatif succès économique peut-il être attribué aux réformes de l’administration publique, mise en place au cours de la dernière décennie?

 L’administration publique mozambicaine avant les grandes réformes

Le Mozambique, malgré ses ressources naturelles, est l’un des pays les plus pauvres au monde. Plus de la moitié de la population y vit encore sous le seuil de pauvreté. Sorti d’une violente guerre civile en 1992, il connaît depuis lors une stabilité politique qui lui a valu, en moins d’une décennie, une augmentation des investissements étrangers et de l’aide publique internationale. Les dirigeants politiques ont mis en place une réforme générale de l’administration publique à partir des années 1990, qui vise à atteindre de plus grands niveaux de développement et de croissance économiques, à travers les techniques du Nouveau Management Public.

L’expulsion forcée des administrateurs portugais, à la fin de la colonisation en 1975, a causé un grand retard dans la formation des fonctionnaires mozambicains. Contrairement à beaucoup de pays africains qui sont sortis de la colonisation avec un minimum de structures administratives, le Mozambique s’est débarrassé de l’ancien occupant sans se doter au préalable d’un Etat solide. Cet exode portugais n’a pas été précédé de transfert des connaissances et des méthodes en matière de gestion publique aux agents de l’Etat. Ceci a mené à des situations autant ubuesques que cocasses dans la plupart des services administratifs du pays, qui a eu bien du mal à s’en remettre. Les postes à responsabilité ont été donnés à des individus qui n’en possédaient pas les compétences. De plus, à l’indépendance, le parti au pouvoir (FRELIMO) a concentré entre ses mains tous les pouvoirs du pays : exécutif, législatif, et judiciaire.

L’idéologie du Front pour la Libération du Mozambique voulait en effet que le départ des colons se concrétisât par une mainmise totale sur toutes les sphères décisionnelles. Ainsi, le Président de la République, chef du FRELIMO, était en même temps chef du pouvoir législatif. De même, une vaste opération de nationalisation de grandes entreprises et de banques fut menée.
Après la création de deux écoles d’administration, le Centre de formation des cadres (1977), puis l’Ecole Publique d’Etat et de Droit (1989), le gouvernement du Mozambique mit en place un Système de Formation en Administration Publique (SIFAP) en 1994. Ce programme avait pour but d’améliorer les capacités opérationnelles des gestionnaires en leur délivrant des savoirs plus adaptés à l’heure :

● développer les connaissances, les capacités, les compétences et l’attitude scientifiques, techniques et professionnelles de l’ensemble des agents de l’État ;
● d’offrir une formation continue à tous les administrateurs et gestionnaires publics dans le domaine des techniques managériales afin de moderniser la fonction publique et d’améliorer sa rentabilité et sa productivité ;
● de préparer le personnel technique aux fonctions de direction et de gestion ;
● de développer les connaissances scientifiques, techniques et professionnelles, essentiellement les programmes, les méthodes et les techniques managériales avec ses soutiens institutionnels et informationnels. (1)

L’Ecole publique d’Etat et de Droit fut transformée en Institut Moyen d’Administration Publique en 1996, pour assurer une formation de niveau moyen au personnel destiné à des tâches expéditrices de l’Etat. L’IMAP fut par la suite dénommé Institut de Formation en Administration Publique et Autarcique (IFAPA), qui fut multiplié dans les différentes parties du pays, pour être plus proche des territoires.

Ceci n’a cependant pas empêché une nette prégnance de la corruption et du népotisme dans l’Etat. Le gouvernement a donc procédé à la privatisation d’un certain nombre de structures publiques vers la fin des années 1990. Ce programme de réorganisation administrative, à la différence de la plupart des mesures similaires en Afrique, a été mise en place sans toucher aux effectifs des services de l’Etat, pour éviter tout mouvement de mécontentement populaire. Néanmoins, le fléau de la corruption continuait à sévir, en plus des lenteurs et rigidités persistantes, jusqu’au début du XXe siècle.

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 

 [1] Awortwi, Nicholas : « Doter les administrateurs et gestionnaires publics de nouvelles compétences à l'époque des réformes du secteur public : le cas du Mozambique » , Revue Internationale des Sciences Administratives, 2010/4 Vol. 76, p. 767.