Ahmed Ben Bella : le militant indépendantiste (1)

Figure historique de la Révolution Algérienne, Ahmed Ben Bella s’est éteint le mois dernier à l’âge de 96 ans, et n’aura pas pu célébrer le cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays le 5 juillet prochain. Premier président de l’Algérie indépendante, il fut aussi un soutien important aux mouvements révolutionnaires africains et sud-américains, (notamment en accueillant Che Guevara et Nelson Mandela) l’un des acteurs du Tiers-Monde émergent.

Ben Bella est né le 25 décembre 1916 à Maghnia, commune de l’ouest de l’Algérie frontalière avec le Maroc. Arès des études secondaires à Tlemcen, il effectue son service militaire à Marseille, puis est mobilisé en 1943 aux cotés des Alliés en Italie. Il se distingue à la bataille de Monte Cassino, durant laquelle sa conduite héroïque lui vaudra d’être cité quatre fois et décoré de la Médaille militaire par le général de Gaulle en personne.

Comme pour bon nombre d'Algériens, l'engagement Ben Bella dans le militantisme actif pour l'indépendance débute en 1945, suites aux massacres commis par les forces coloniales françaises dans l’est de l’Algérie, particulièrement à Sétif. Ben Bella devient très vite responsable local du Parti du peuple algérien (PPA), puis du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), fondés par Messali Hadj. Elu conseiller municipal dans sa commune natale, il doit basculer dans la clandestinité pour faire faces à la répression de la police française. Il met alors son expérience militaire au service de l'organisation spéciale (OS), bras armé du MLTD, dont il devient l’un des leaders. En mai 1950, il est arrêté pour avoir organisé et mené l'attaque de la Grande Poste d'Oran, destinée à fournir l’argent et les armes nécessaires à la lutte. Arrêté et condamné à sept ans de prison, il s'évade deux ans plus tard, et parvient à gagner l’Egypte, où un noyau de dirigeants indépendantistes est installé avec le soutien du président Nasser.

Un des chefs historiques du Front de Libération Nationale (FLN), qui lancera la lutte armée pour l’indépendance de l’Algérie le 1er novembre 1954, Ben Bella est chargé des relations extérieures du FLN. Mais deux ans plus tard, il est arrêté en compagnie de quatre dirigeants indépendantistes lorsque l’avion qui devait les emmener du Maroc à Tunis est détourné dans l'espace international par des avions de chasse français, et contraint de se poser à Alger. La couverture médiatique mondiale de cette arrestation fera de Ben Bella l’un des symboles de la lutte pour l'indépendance du peuple algérien. Emprisonné en France jusqu’en 1962, il continue de suivre la lutte menée par le peuple Algérien et devient un enjeu dans les négociations entre le général de Gaulle le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).

Il est libéré suite aux accords d’Evian du 18 mars 1962, et rentre en Algérie en triomphateur. Son passé de militant de la première heure et son emprisonnement ont fait de lui une figure mythique de la lutte pour l’indépendance. Premier président de la République algérienne indépendante, élu le 15 septembre 1963, il met en place les fondements de l’Etat Algérien socialiste de sa politique étrangère volontariste, s’attachant à incarner la lutte anti-impérialiste et le non-alignement du Tiers-Monde émergent.

 

Nacim Kaid-Slimane

Les coups d’Etat en Afrique

L’Afrique détient indéniablement le (triste) record du continent ayant connu le plus grand nombre de coups d’Etat ces cinquante dernières années. Au delà des facteurs internes propres à chaque pays et de contextes particuliers qui conduisent à une prise du pouvoir par la force, il convient de réfléchir sur ce phénomène source d’une instabilité chronique pour de nombreux pays, pour des régions entières, et au final, pour la sécurité de tout un contient.

Plus de 80 coups d’Etats en cinquante ans

Le continent Africain a connu entre 80 et 85 coups d’Etat « réussis » au cours des cinq dernières décennies. Ce chiffre cache évidemment de nombreuses tentatives plus ou moins abouties (tel que le coup d’état « air-air » contre Hassan II en aout 1972 au Maroc).  Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, a ainsi connu huit coups d’Etat entre 1966 et 1993, dont certains se sont succédé au cours d’une même année… Autre pays important de la région, le Ghana, a enregistré quant à lui cinq coups d’Etat en l’espace de quinze ans (le dernier datant de 1981), autant que les Comores et le Burundi. L’Afrique de l’Ouest est la région du continent ou se concentrent ces changements brutaux, même si certains pays ont en été épargné. Le Burkina-Faso (4 coups d’Etats, entre 1980 et 1987), le Niger (4) ou encore la Guinée Bissau (3) s’ajoutent à ceux déjà mentionnés au Nigeria et au Ghana, en plus d’autres pays dans lesquels ce phénomène a été plus ponctuelle.

Ce tableau doit néanmoins être nuancé par le fait que malgré la médiatisation et l’impact important que peuvent avoir des coups d’Etats plus récents (tel que ceux intervenus en Guinée en 2008 ou actuellement au Mali) la tendance qui consiste à destituer un chef d’Etat par la force est à la baisse. Neuf coups d’Etats ont été effectués ces dix dernières années (en Mauritanie, Niger, Madagascar, Guinée, Togo, Guinée Bissau et Centrafrique), contre 14 au cours des années 1990, 19 dans les années 1980 et 26 dans les années 1970, qui ont constitué « l’âge d’or » des coups d’Etats en Afrique. Ceux-ci étaient d’ailleurs souvent reconnus et salués par les opinions publiques et à l’Etranger. L’un des signes de cette tolérance de moins en moins admise a été l’adoption par l’Organisation de l’Union Africaine, en 1999 à Alger, d’une résolution condamnant l’usage de la force dans la prise de pouvoir et sanctionnant les régimes qui en seraient issus.

Des facteurs explicatifs ?

Les auteurs de coups d’Etat justifient le plus souvent leur passage à l’acte par des arguments (éventuellement vrais, parfois insuffisants) et annoncent vouloir restaurer la démocratie et remettre le pouvoir au peuple. Outre les rivalités personnelles ou claniques, qui peuvent expliquer un certain nombre de coups d’Etat, des facteurs endogènes peuvent être relevés.Les auteurs de coups d’Etat justifient le plus souvent leur passage à l’acte par des arguments (éventuellement vrais, parfois insuffisants) et annoncent vouloir restaurer la démocratie et remettre le pouvoir au peuple. Outre les rivalités personnelles ou claniques, qui peuvent expliquer un certain nombre de coups d’Etat, des facteurs endogènes peuvent être relevés.

Tout d’abord, la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne (ou de quelques unes), rend d’une part plus difficile un changement institutionnel par des moyens légaux, d’autre part, rend plus réaliste une prise de pouvoir « physique », dans la mesure ou le régime repose entièrement sur une seule tête qu’il suffirait d’isoler ou d’éliminer. La faiblesse des Etats dans nombre de pays Africains, la légitimité réduite de leurs institutions et la faible cohésion nationale qui les anime sont bien évidement des facteurs aggravants. En outre, les facteurs externes, régionaux et internationaux, ont joué un rôle plus au moins directs dans de nombreux coups d’Etats. Si dans le cas du Mali, la situation qu’a connu la Libye et la circulation des armes dans la région a servi de catalyseur, d’autres coups d’Etats ont pu être directement inspiré, voire dirigés depuis l’étranger.

Il est difficile d’expliquer pourquoi certains pays connaissant les mêmes conditions socio-économiques et le même contexte historique ne connaissent pas le même degré d’instabilité. Néanmoins, il faut noter qu’un coup d’Etat ne renverse pas uniquement un dirigeant donné mais fait entrer le pays dans un cycle d’instabilité qui peut durer des décennies. L’Histoire a montré est qu’un dirigeant arrivé au pouvoir par la force a plus de chance de se faire à son tour destituer par la force, même bien des années plus tard. De nous jours la prise de pourvoir par la force est unanimement condamnée par les institutions internationales et les gouvernements, peu importe la situation qui prévaut dans le pays où ils ont lieu. L’expérience a montré que ce type d’événements aggrave plus les problèmes qu’il ne les résout, et les graves événements qui secouent le Mali nous le rappellent aujourd’hui tragiquement.

Nacim Kaid Slimane

 

Crédit image : http://tsakadi.files.wordpress.com/2010/02/liberte-nc2b0-666-du-vendredi-19-fevrier-2010.jpg

Les rébellions Touarègues

Les affrontements qui ont ont lieu dans le nord du Mali depuis janvier 2012 et la crise humanitaire qui en découle (172.000 déplacés selon l’ONU) révèlent l’instabilité chronique que connait cette région du Sahel. Ils constituent un conflit d’une série de rebellions Touarègues au Niger et au Mali qui remontent à près d'un siècle.

Les rébellions de 1916 et 1962

La révolte de Kaocen, qui a soulevé les tribus touaregs du Nord du Niger en 1916 et 1917 contre la colonisation Française, est considérée comme la première rébellion des populations touaregs de l’époque contemporaine. Elle réussit à prendre le contrôle du massif de l’Aïr, et à mettre le siège devant la ville d’Agadez et la garnison Française qui y était placée.  La révolte fut progressivement étouffée à partir de mars 1917 par l’arrivée de renforts stationnés dans le sud du Niger, obligeant les combattants Touaregs à se retirer vers le nord en direction du Fezzan (Libye), où le leader de la révolte Ag Mohammed Wau Teguidda Kaocen, fut tué par des forces locales hostiles à son mouvement.

La rébellion de 1962-1964 a quant à elle touché le nord du Mali, peu après son indépendance, opposant une insurrection Touareg à une armée Malienne qui comptait à l’époque à peine 1500 hommes. Elle découle des aspirations autonomistes d’une partie de la population Touareg et sa déception à l’égard du gouvernement indépendant, avec pour projet d’établir un Etat indépendant dans la région. L’insurrection fut de courte durée, mais la répression qui en suivit laissa des séquelles qui alimentèrent des soulèvements ultérieurs plus longs et plus violents.

La rébellion de 1990-1995

Les révoltes Touaregs au Mali et au Niger à partir de 1990 résultent du sentiment de marginalisation et la menace ressentie sur l’identité de ces minorités, et de la détérioration des conditions socio-économiques qu’a connu le Sahel, particulièrement face à la sécheresse et la faiblesse de l’Etat central.

Au Niger, la revendication portait au départ sur l’enseignement du Tamashek, (langue pratiquée par les Touaregs), avant de s’étendre à une demande autonomiste. La réponse de l’armée Malienne fut particulièrement forte au début, notamment dans la zone de Tchin-Tabaradene. Par la suite, des combats sporadiques persistèrent pendant plusieurs années dans le massif de l’Aïr, la région touristique d’Agadez et la région riche en uranium d’Arlit, occasionnant des pertes économiques importantes pour le pays et l’évacuation des ressortissants étrangers. Finalement, les deux principaux mouvements Touaregs (ORA et CRA) acceptèrent de signer des accords de paix le 15 avril 1995 à Ouagadougou, prévoyant notamment l’intégration d’une partie des rebelles dans l’armée régulière Nigérienne.

En parallèle, la rébellion Touareg au Mali évolua différemment. Après des attaques sur la ville de Gao, l’insurrection a connu une accalmie en 1992 après l’élection d’Alpha Oumar Konaré et la formation d’un nouveau gouvernement, avant de reprendre en 1994 et de faire sombrer la région dans un début de guerre civile entre milices Touaregs et Songhaï.  En effet, le conflit exacerba les tensions ethniques et l’opposition ancienne entre sédentaires et nomades, entrainant de  nombreuses victimes. La paix fut symboliquement conclue lors de la Cérémonie de la Flamme de la Paix à Tombouctou, au cours de laquelle des milliers d’armes utilisées durant l’insurrection furent brulées publiquement.

La rébellion de 2007-2009

 Un nouveau soulèvement Touareg  éclata le 23 mai 2006 dans le nord du Mali, dénonçant le non application des accords conclus dans les années 1990 et la marginalisation de la région par l’Etat Malien. De nouveaux accords de paix furent signées  dés juillet 2006 à Alger, prévoyant notamment des programmes de développement pour les régions de Kidal, Tombouctou et Gao. Néanmoins, des affrontements reprirent en 2007 et 2008 avant qu’une nouvelle médiation Algérienne aboutisse au retour d’une paix précaire dans la région.

Au Niger également, un soulèvement eu lieu à partir de 2007. Il faut préciser néanmoins qu’il n’existe vraisemblablement pas de lien direct ou de coordination avec les mouvements Touaregs au Mali. L’importance stratégique des réserves d’uranium, l’enlèvement de quatre employés d’AREVA le 22 juin 2008 (libérés quelques semaines plus tard) et l’apparition d’AQMi (Al Qaida au Maghreb Islamique) donnèrent un écho international à cette crise. Toutefois, la paix revenue au Mali encouragea une évolution similaire au Niger, ce qui fut finalement acquis au printemps 2009 avec une médiation de la Libye.

Le déclenchement d’une nouvelle insurrection dans le nord du Mali en janvier 2012 révèle l’instabilité que connait cette région et la difficulté des Etats Malien et Nigérien à répondre efficacement aux défis sécuritaires, politiques et socio-économiques auxquelles ils sont confrontés. Alors que la région connait depuis plusieurs décennies une grave détérioration de sa situation, l’apparition de nouvelles menaces que représentent AQMI et le trafic d’armes lourdes constituent des motifs de grande inquiétude pour l’avenir et soulignent l’importance d’une action régionale concerté pour garantir la stabilité du Sahel et répondre aux besoins humanitaires urgents des populations affectées par ces conflits.

 

N. KAID SLIMANE

La crise de Suez, basculement d’un ordre mondial

La crise du canal de Suez marque un basculement des rapports de forces globaux: elle révèle l'affaiblissement des puissances européennes historiques par rapport aux nouvelles puissances américaine et soviétique. Elle illustre l’émergence des pays anciennement colonisés dans les relations internationales et démontre comment une défaite militaire peut finalement se transformer en succès politique et diplomatique.

 Les causes

La crise de Suez résulte de plusieurs facteurs. Au niveau mondial, elle intervient dans le contexte de la guerre froide et du rapprochement de l’Egypte avec l’Union Soviétique et le bloc de l’Est, ce qui se matérialise notamment par des ventes d’armes en provenance de Tchécoslovaquie.  Au niveau régional, le Proche Orient émerge d’une longue période d’occupation étrangère, et est déstabilisé à partir de la partition de la Palestine en 1947. 

En ce qui concerne l’Egypte, théâtre du conflit, le pays est en plein bouleversement politique et socio-économique entamé quatre années plus tôt avec le renversement de la monarchie, et renforcé par le pouvoir grandissant de Gamal Abdel Nasser. Dans le cadre de la mise en valeur économique du pays, Nasser souhaite construire un barrage sur le Nil, pour répondre aux besoins de l’agriculture et produire de l’électricité. Nasser sollicite en premier lieu l’aide financière et technique des Etats-Unis, mais ceux-ci refusent. Il décide alors de nationaliser la compagnie gestionnaire du canal de Suez, dont les revenus devront permettre de financer la construction du barrage d’Assouan.


Le facteur déclencheur 

«La pauvreté n’est pas une honte, mais c’est l’exploitation des peuples qui l’est. Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres et ce canal est la propriété de l’Egypte. Le canal a été creusé par 120 000 Egyptiens, qui ont trouvé la mort durant l’exécution des travaux. La société du canal de Suez à Paris ne cache qu’une pure exploitation.(…) Nous irons de l'avant pour détruire une fois pour toutes les traces de l'occupation et de l'exploitation. » Discours de Gamal Abdel Nasser, à Alexandrie, le 26 juillet 1956.

Cette initiative suscite de vives réactions de la part des Français et des Britanniques, qui contrôlaient la Campanie du Canal et maitrisaient depuis prés d’un siècle cette  voie de communication stratégique au  niveau mondial. L’action servira de prétexte à une invasion de l’Egypte et une tentative de renversement de Nasser.Alors qu'Israël souhaite avant tout détruire l’armement acquis par l’Egypte et prendre le contrôle de l’entrée du golfe d’Akaba pour desserrer son isolement, la France et la Grande-Bretagne sont déterminées à reprendre le canal de Suez, pour  maintenir leur influence dans la région et sécuriser le commerce avec l'Extrême-Orient et l’approvisionnement en pétrole en provenance du Golfe. La France intervient également dans le but de faire cesser le soutien apportée par Nasser au FLN Algérien.

 L’offensive militaire

La détermination de la France, du Royaume-Uni et d'Israël à agir contre l'Égypte et à récupérer le canal de Suez se concrétise en un accord secret tripartite. Conclu à Sèvres les 22 et 23 octobre 1956, il établit le déroulement précis de l'action militaire contre Nasser et met en place un prétexte pour envahir l’Egypte: Israël doit attaquer l'Égypte le 29 octobre 1956. La France et la Grande-Bretagne lanceront alors un ultimatum aux deux belligérants pour qu'ils se retirent de la zone du canal et enclencheront une riposte le 31 octobre en cas de refus de l'Égypte de respecter l'ultimatum.

Le plan est mis à exécution comme prévu le 29 octobre. Les Britanniques prennent le commandement des opérations, en raison de la proximité de Chypre et de Malte où ils possèdent des bases militaires. Appelé plan Mousquetaire, le plan prévoyait initialement un débarquement des forces britanniques et françaises à Alexandrie, puis la prise du Caire. Cependant, l’objectif initial du plan est modifié et il est décidé que les troupes débarqueront à Port-Saïd, puis se rendront sur la zone du canal de Suez. Le rejet de l'ultimatum par les Égyptiens permet à l'aviation britannique de bombarder les aérodromes égyptiens et de déployer leurs parachutistes sur Port Said.


 

La contre-offensive diplomatique

 

L'opinion internationale est tout de suite indignée de la situation. Eisenhower,  réagit très vivement et obtient la convocation du Conseil de sécurité de l'ONU, meme si le veto de la France et de la Grande-Bretagne empêchent le vote d'une résolution. L'Égypte tente d’empêcher la circulation sur le canal en coulant des bateaux, mais ne parvient pas à résister à l’avancée des troupes terrestres. L’URSS n'hésite pas à menacer la France, la Grande-Bretagne et Israël d'une riposte nucléaire. L'OTAN brandit à son tour la menace nucléaire envers l'URSS si cette dernière utilise ses fusées atomiques.

C'est à ce moment que les États-Unis prennent une position décisive: ils exigent le retrait des forces franco-britanniques pour mettre un terme à la crise. Pour faire fléchir les puissances européennes, ils contribuent à la dévaluation de la livre sterling, menaçant la puissance britannique sur ses bases. Les pressions font plier la Grande-Bretagne, puis la France, qui acceptent un cessez le feu et la fin des opérations à partir du 6 novembre.Pour restaurer la paix en Égypte, l'ONU interpose entre Israël et l'Égypte la Force d'urgence des Nations unies (FNUE) dès le 15 novembre 1956. Cette opération marquera la naissance des Casques bleus de l'ONU.


Le basculement d'un ordre mondial

La crise de Suez marque la fin de l'influence traditionnelle des anciennes puissances coloniales dans la région. Motivée par des intérêts économiques et politiques, leur stratégie a échoué en raison d'un nouvel ordre mondial dominé par les Etats-Unis et l'URSS. Malgré les succès militaires de la coalition tripartite, ce revers humiliant profite à Nasser qui sort finalement victorieux du conflit et devient la nouvelle figure du nationalisme arabe et de la décolonisation. La crise de Suez marque clairement l'ère de la domination des puissances nucléaires américaine et soviétique dans le règlement des conflits internationaux.

Le dénouement de la crise a redoré le prestige de l'URSS, perçu désormais comme le défenseur des petites puissances contre l'impérialisme occidental. Son influence s'affirmera particulièrement en Syrie et subsiste jusqu'à aujourd’hui. Les États-Unis ont eux aussi augmenté leur prestige dans la région en faisant preuve de modération par leur attitude équilibrée. Cette restructuration des rapports de forces dans la région concentre la puissance entre les mains des deux géants nucléaires que sont les États-Unis et l'URSS. Le Proche-Orient devient ainsi un enjeu durable dans la lutte que mènent les principales puissances mondiales pour le contrôle de cette région stratégique et de ses richesses, et ce jusqu'à nos jours.

Nacim KAID-SLIMANE

Les conflits du Mozambique (2): la guerre civile

Les événements intervenus durant l’année qui vient de s’achever ont montré à quel point des Etats stables pendant des décennies peuvent être très fortement déstabilisés, plongeant  des régions entières dans une spirale de violences chroniques.

Alors que les conflits intra-étatiques se sont multipliés ces vingt dernières années, la guerre civile du Mozambique (1977-1992) constitue un conflit emblématique et sans doute précurseur pour fixer quelques constantes dans le déclenchement et la résolution d’un conflit intra-étatique contemporain.

1/ La déstabilisation du pays

Les facteurs internes : les séquelles de la longue guerre d’indépendance (voir article du 13 décembre 2011), qui a déstructuré les structures sociales et ruiné l’économie handicapent lourdement le développement du Mozambique.

La gestion de la période de transition par le FRELIMO a également suscité des déceptions (mise en place d’un système de parti unique, nationalisations massives, collectivisation des terres, déplacements de populations…).Ceci a crée et entretenu de très fortes tensions internes. Toutefois, cette situation caractéristique de nombreux pays nouvellement indépendants,  ne suffit pas, à elle seule, à expliquer le déclenchement du conflit. Elle a en fait été exploitée par des parties extérieures pour déstabiliser durablement le nouvel Etat.

Les facteurs externes : la situation régionale a joué un rôle majeur dans le déclenchement et l’entretien des violences. La Rhodésie (actuel Zimbabwe) et l’Afrique du Sud de l’apartheid, voulant limiter les revendications internes, voyaient d’un très mauvais œil l’indépendance du Mozambique. Le soutien de ce dernier aux mouvements anti-apartheid de la région, son orientation socialiste, et le « contre-modèle » qu’il offrait dans la région en faisait une cible à abattre.C’est dans ce contexte qu’apparait la RENAMO (Résistance Nationale Mozambicaine) mouvement de lutte anti-communiste créé avec le soutien actif des services secrets de Rhodésie, puis l’aide logistique et militaire de l’Afrique du Sud.Enfin, la Guerre Froide a favorisé la transposition du conflit idéologique Est-Ouest au Mozambique, entre la RENAMO et le FRELIMO. Dans ce contexte, aucune puissance n’avait intérêt à favoriser un règlement rapide, alors que l’ingérence de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie était tolérée tant qu’ils se posaient en remparts contre le communisme.

 

2/ Le déroulement du conflit

 Les stratégies des belligérants : les forces favorables au FRELIMO, durent faire face aux mêmes techniques de guérilla qu’elles avaient elles-mêmes utilisé contre l’armée Portugaise pendant la guerre d’indépendance pour contrôler de vastes étendues boisées et s’assurer du soutien des populations qui y vivent. Dans sa stratégie de déstabilisation, la RENAMO eut recours de manière systématiques à des enfants- soldats et commit de nombreuses exactions et crimes de guerres contre les populations rurales (tel que le massacre le 18 juillet 1987 de 424 civils à Homoine-480 km au nord de Maputo-, incluant des femmes, des enfants et des patients hospitalisés). Face à la perte de contrôle de vastes régions,  l’armée gouvernementale a entrepris de regrouper les populations rurales dans des villages fortifiés et de constituer des corridors d’approvisionnement pour les relier.

 L’impasse militaire : Après des années de lutte, la stratégie de déstabilisation entreprise par la RENAMO, la destruction systématique des infrastructures du pays et l’usage de mines antipersonnel par les deux belligérants aboutirent à la perte de contrôle des campagnes par les forces gouvernementales. L’incapacité de la RENAMO à conquérir les villes et de couper les corridors mis en place aboutirent à une situation de blocage dans laquelle aucune des deux parties ne pouvait prendre le dessus sur l’autre.

 

3/ La difficile résolution

 Une nouvelle donne internationale: dans un contexte régional et mondial particulier, le conflit devint une guerre par procuration. Soutenu par l’Union soviétique, le FRELIMO ne pouvait contenir sa perte d’influence et l’état désastreux de l’économie. Il finit par signer un accord avec le gouvernement sud-africain, dans lequel ce dernier cesserait son soutien à la RENAMO en échange du retrait actif du soutien Mozambicain à l’ANC.Parallèlement, les crimes de guerres commis par la RENAMO ruinèrent à son image à l’étranger et étouffèrent des possibilités de soutien majeures, notamment aux Etats Unis.

Les négociations : la fin de la Guerre Froide et l’effondrement du régime d’Apartheid en Afrique du Sud poussèrent les deux belligérants vers la table des négociations à partir de 1990. Une nouvelle constitution fut adoptée garantissant un système multipartite et des élections démocratiques. Le 4 octobre 1992, l’Accord Général de Paix de Rome entre le FRELIMO et la RENAMO aboutirent à la fin officielle des hostilités, l’envoi par les Nations Unies d’une force de maintien de la paix de 7500 hommes (ONUMOZ) pendant une période de transition de deux ans et l’envoi de plus de 2000 observateurs internationaux lors des élections historiques d’octobre 1994. Ces accords ont constitué la fin d’un conflit qui couta la vie à prés d’un million de personnes, et fit cinq millions de réfugiés (sur une population totale d’environ quatorze millions d’habitants).

 

Nacim KAID SLIMANE

 

 

 

Les conflits du Mozambique (1) : la guerre d’indépendance

A travers cet article, Terangaweb inaugure une nouvelle série dans la rubrique Histoire, dédiée aux conflits qui ont marqué le continent Africain et constituent des moments certes douloureux, mais aussi décisifs. Il s’agira non seulement d’analyser les différentes dimensions de ces conflits, des acteurs impliqués et des conséquences pour les peuples concernés, mais aussi de les replacer dans leur contexte régional et international.

Le Mozambique a connu, durant près de trois décennies, deux conflits particulièrement meurtriers, qui ont non seulement eu un impact fort sur ses habitants, mais aussi sur l’Afrique australe, et au delà, ont constitué un des terrains d’affrontement de la Guerre Froide. Avant de traiter de la guerre civile qui fera rage jusqu’en 1992, il convient de remonter à la lutte indépendantiste, conflit colonial qui dura de 1964 à 1975.

Le contexte : une des plus vieilles colonies du monde 

Présents sur le littoral de l’océan Indien dès 1498 à travers les expéditions de Vasco de Gama, les Portugais  établirent une présence durable dans la région, d’abord avec des comptoirs commerciaux dédiés au commerce des esclaves, puis remontèrent le Zambèze et explorèrent l’intérieur des terres.  Dès le XVIème siècle, des colons s’établirent dans ces territoires, et développèrent la culture du sucre et du coton. En 1752, le territoire du Mozambique sera ainsi doté de sa propre administration, concentrant tous les pouvoirs aux mains des gouverneurs militaires et maintenant les populations locales dans un état de servage.

Néanmoins, et à partir du XIXème siècle, le déclin de leur empire colonial et l’établissement d’autres puissances dans la région (Britanniques et Français), obligea les Portugais à réformer le système. Ils accordèrent à trois compagnies privées le droit d’exploiter les ressources de la majeure partie du territoire pendant cinquante ans. Plusieurs siècles de colonisation maintinrent le Mozambique dans un état de sous développement chronique et sa population dans une situation d’extrême pauvreté.  

Le régime dictatorial de Salazar amorça une nouvelle ère, qui visait à pleinement intégrer le territoire à la métropole. Des organes représentatifs furent mis en place, mais réservés aux seuls colons, et des investissements furent consacrés au développement des infrastructures de la région. Parallèlement, l’émigration Portugaise vers les colonies fut encouragée, ce qui fit passer le nombre de colons au Mozambique de 30.000 en 1930 à 200.000 au début des années 1970. En 1951, alors que les premières revendications autonomistes se font entendre, le Mozambique est proclamé province d’outre-mer par le Portugal.

Le déclenchement de la lutte 

Encouragés par un contexte régional mondial favorable à la décolonisation, des groupes nationalistes voient le  jour pour exprimer  les revendications de la population rurale et illettrée qui forme la majorité des habitants du Mozambique, et réclamant la fin du système colonial. Sous l’impulsion de l’intellectuel Eduardo Mondlane(1920-1969), sociologue formé aux Etats Unis, et avec le soutien de Julius Nyerere et Kwane Nkrumah, un Front de Libération du Mozambique (FRELIMO) est formé le 25 juin 1962 à Dar es Salam (Tanzanie) pour réclamer l’indépendance du pays.

Après deux ans de structuration, et suite à l’échec de tentative de libération pacifique, le FRELIMO décide de déclencher la lutte armée à partir de 1964.Depuis sa base arrière en Tanzanie, il mène des campagnes de plus en plus structurés en territoire Mozambicain. Mais les quelques milliers d’hommes que compte l’aile militaire du FRELIMO demeureront toujours en large infériorité numérique face à l’armée Portugaise, qui déploie jusqu'à 24000 hommes en 1967, et recrute autant de soldats localement.

Les enseignements du conflit

Deux facteurs ont permis au mouvement de se maintenir : le soutien de la population,  influencée autant par la perspective de l’indépendance que par l’idéologique communiste du FRELIMO, et le soutien international dans le contexte de la Guerre Froide. Ainsi, l’Union Soviétique et la République Populaire de Chine livreront des quantités importantes d’armes au mouvement, alors que l’Algérie assurera la formation militaire des combattants.

La guérilla menée par le FRELIMO a également su prendre avantage du terrain accidenté et boisé, ainsi que du climat de la région, en menant des attaques lors des périodes de fortes pluies pour empêcher l’aviation portugaise d’exprimer sa supériorité aérienne. Les mines anti-personnelles utilisées massivement par la guérilla ont  par ailleurs contribué à affaiblir le moral des troupes coloniales et à rendre l’ennemi encore plus insaisissable.

Alors que le conflit s’enlise, le Portugal a su mobiliser ses alliés de l’OTAN pour développer des moyens de lutte anti-insurrectionnelle. En particulier, la mise en place de troupes d’élites rapidement transportables par hélicoptères et l’usage systématique de l’aviation, ont permis aux forces Portugaises de lancer des contre-offensives qu’elles espéraient décisives, telle que l’opération Nœud Gordien en Juin 1970 qui a mobilisé prés de 35000 soldats. Les ratissages de l’armée Portugaise et la politique de regroupement forcée des populations visait par ailleurs à couper la guérilla de son soutien populaire. Cette radicalisation du conflit s’accentue après l’assassinat du leader du FRELIMO Eduardo Mondlane, tué par l’explosion d’un colis piégé déposé dans son quartier général à Dar es Salam.

Le temps de l’indépendance

Après plus d’une dizaine d’années de lutte, la guerre d’indépendance du Mozambique devint une guerre d’usure qui instaura un doute profond jusqu’au sein de l’armée portugaise, des autorités et de la population de la métropole. La légitimité de la lutte anti-insurrectionnelle sera davantage ternie par la révélation de massacres commis par l’armée Portugaise à l’encontre de civils soupçonnés de soutenir le FRELIMO, tel que celui des villageois de Wiriyamu en 1972.

Economiquement, les guerres coloniales (au Mozambique mais aussi en Angola) plombaient les finances du Portugal (40% du budget national) et accentuaient son isolement sur la scène internationale. Ces conflits constituent l’un des facteurs du déclenchement de la Révolution des Œillets  en avril 1974, qui mit fin au régime dictatorial et accorda leur indépendance aux colonies portugaises, plusieurs années après la fin des dernières colonies Britanniques et Françaises sur le continent Africain. C’est ainsi l’armée qui aura menée ce changement politique majeur à partir de la métropole, exténuée par des années d’effort inefficace et déterminée à mettre fin à un dangereux statu-quo colonial en ouvrant des négociations qui déboucheront sur l’indépendance du Mozambique, le 25 juin 1975 (soit 13 ans exactement après la création du FRELIMO).

Avec un bilan de plus de 3500 morts pour l’armée portugaise, 10 000 morts pour les combattants du FRELIMO et  50 000 civils tués durant le conflit, la guerre d’indépendance du Mozambique est l’une des luttes de libération les plus meurtrières du continent, un des fronts de la Guerre Froide et un conflit riche d’enseignements historiques, stratégiques, et humains.  L’indépendance du Mozambique ne fut néanmoins qu’une étape sur le long chemin vers la paix, qui allait passer par une guerre civile longue et particulièrement destructrice.

Nacim KAID SLIMANE

 

 

Les dictatures du football

Près d’un an après la première Coupe du Monde tenue sur le continent Africain, le monde du football est en ébullition. Ce n’est pas la première fois que des scandales éclatent pour rappeler les graves irrégularités que connaissent les instances de décision qui encadrent le sport, mais les événements des dernières semaines soulignent l’urgence d’engager de profondes réformes pour mettre fin à l’impunité qui a longtemps régné dans et autour des stades.

Au cœur de la polémique se trouve l’élection du président de la FIFA. Sepp Blatter, 75 ans, a en effet été réélu cette semaine pour un quatrième mandat à la tête de la FIFA, instance suprême du football mondial, à l’issue d’un vote dans lequel il était l’unique candidat. Son seul concurrent déclaré, le Qatari Mohamed Bin Hammam (Président de la Confédération Asiatique de Football), a du se retirer de la course  après l’ouverture d’une enquête pour corruption, alors que lui-même accusait son concurrent de faits similaires.

Après les critiques qui ont été soulevées suite à l’attribution de l’organisation du Mondial 2022 au Qatar, l’élection qui vient de se tenir remet sur le devant de la scène les luttes internes qui déchirent la FIFA et les irrégularités qui entachent son fonctionnement et sa crédibilité.  Un article du Monde sur « le théâtre du scandale permanent » que constitue la FIFA relate en détail la bataille qui s’est tenu à Zurich, détaillant le cadre et les péripéties de ce qu’elle compare à une mauvaise pièce de théâtre.  http://www.lemonde.fr/sport/article/2011/06/01/la-fifa-theatre-du-scandale-permanent_1530290_3242.html

Les instances du football africain ne sont pas épargnées par les critiques. À l’échelle continentale, le Camerounais Issa Hayatou est à la tête de la Confédération Africaine de Football (CAF) depuis …24 ans. Elu une première fois en 1987, il exerce actuellement son sixième mandat, et est demeuré président de la CAF plus longtemps que Zine el-Abidine n’a été à la tête de la Tunisie ! Régulièrement critiqué pour sa gestion de l’organisation et souvent victime d’accusations de corruption,  sa démission est réclamé parfois au plus haut niveau, comme vient de le faire le Premier Ministre Sénégalais Souleymane Ndéné Ndiaye, l’estimant responsable d’un arbitrage jugé partial lors du dernier match Sénégal-Cameroun.

Outre son président, le siège même de la CAF (au Caire) est également problématique, dans la mesure ou l’Egypte est soupçonnée d’avoir une influence démesurée et de s’ingérer dans le fonctionnement de l’organisation en faveur de sa sélection nationale ou de ses clubs, qui sont perçus comme étant épargnés par le contrôle ou victimes de sanctions exceptionnellement clémentes comparativement à leurs homologues sur le continent, alimentant ainsi les accusations de deux poids, deux mesures. La gestion très controversée par la CAF de l’attaque contre le bus de l’équipe Togolaise à Cabinda en janvier 2010 reste par ailleurs une page noire dans l’histoire du football Africain. Comme en témoigne un article diffusé sur le site allAfrica.com, la CAF est souvent au centre des polémiques. http://fr.allafrica.com/stories/201105230578.html

Alors que le milieu du football se trouve entaché par d’innombrables scandales au niveau national, régional et mondial, il convient plus que jamais de redonner à ce sport les valeurs qui en font sa noblesse, à savoir le fair play et l’esprit d’équipe, le débarrassant des sombres intrigues et des scandales qui l’affectent depuis trop longtemps.

Nacim KAID-SLIMANE

 

Vers un monde sans PMA

Réduire de moitié le nombre de Pays les Moins Aavancés d’ici 2020. C’est l’objectif ambitieux fixé à la quatrième conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés, qui vient de s’achever à Istanbul. La conférence, qui a réuni des centaines de participants sur les rives du Bosphore (notamment plusieurs chefs d’Etats et le Secrétaire Général de l’ONU), a été l’occasion de dresser un bilan sur la situation des PMA depuis la dernière conférence qui s’est tenu en 2001 à Bruxelles, et d’adopter un programme d’action pour la décennie actuelle.

Le concept de pays les moins avancés (PMA) a été élaboré par l’ONU en 1971, pour désigner vingt cinq pays qui connaissaient de grandes difficultés en termes de développement. Le « club » compte aujourd’hui 48 membres (dont 33 pays Africains) qui remplissent les trois critères retenus par l’ONU : un revenu bas, de faibles ressources humaines, et une forte vulnérabilité économique. Le groupe de pays a été identifié afin de mette en place des mesures de soutien spécifiques.  Une brochure diffusée par le bureau du Haut Représentant de l’ONU pour les PMA identifie ainsi  les sept domaines d’engagements mis en avant pour améliorer la situation de cas pays : http://www.unohrlls.org/UserFiles/File/LDC%20Documents/Advocacy%20brochure%20French%20for%20Web.pdf

En ce qui concerne les pays Africains, qui ont le triste privilège d’être surreprésentés au sein des PMA, un rapport a été publié pour évaluer la mise en œuvre du programme d’action élaboré il y a dix ans à Bruxelles. Si la situation reste alarmante et les mesures adoptées insuffisantes, il faut reconnaitre que certains progrès ont été accomplis (que le rapport juge toutefois « lents et inéquitables »). Néanmoins, de « nouveaux problèmes » ont été soulevés durant la décennie, notamment les crises alimentaires et énergétiques, le changement climatique, ainsi que les crises économiques et financières qui ont accru la vulnérabilité des PMA. Le document, qui comprend également une série de recommandations, est accessible sur : http://www.un.org/wcm/webdav/site/ldc/shared/ARR%20Final%20document%20French.pdf

Face à ce constat, la quatrième conférence a élaboré à Istanbul un programme d’action qui sera appliqué pendant la décennie 2011-2020. Celui-ci a notamment adopté une approche « plus stratégique, globale et soutenue » que le précédent.  Après avoir évoqué les insuffisances des précédentes initiatives et les nouveaux enjeux à prendre en compte, le plan  rappelle l’objectif primordial qui est de créer les conditions nécessaires pour pouvoir quitter la catégorie des PMA (le groupe étant ironiquement un club auquel on adhère en espérant pouvoir le quitter au plus vite, et dont l’objectif suprême est de s’auto-dissoudre…). Le programme regroupe ainsi les mesures à adopter par domaines d’actions prioritaires, afin d’accompagner une dynamique de développement suffisante et durable, promouvoir les partenariats régionaux et internationaux, et avancer vers un monde sans PMA : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/CONF.219/3&referer=/english/&Lang=F

Nacim KAID-SLIMANE

Omar El Mokhtar, le Lion du désert

S’il existe une figure majeure dans l’Histoire mouvementée de la Libye, c’est bien Omar El Mokhtar, leader de la résistance anticoloniale. Il constitue dans son pays le héros et le martyr d’une époque fondatrice, alors que son parcours et sa personnalité restent une référence pour l’ensemble du monde arabo-musulman. Si Mouammar Kadhafi y a souvent fait référence, les opposants à son régime  n’hésitent pas aujourd’hui à brandir les portraits d’Omar El Mokhtar comme un symbole de leur liberté à reconquérir.

Les premières batailles

Omar El Mokhtar est né vers 1861 dans le village de Janzour en Cyrénaïque, dans l’Est de la Libye. Ayant grandi dans un milieu tribal, il reçoit une éducation religieuse auprès des maîtres soufis de sa région qui appartiennent à la puissante et influente confrérie Senoussie. Alors que son père disparait lors d’un pèlerinage à la Mecque, il est adopté par un cheikh de la confrérie et en fréquente les mosquées et les écoles.

Omar El Mokhtar progresse rapidement au sein des Senoussis, parmi lesquels il est particulièrement reconnu pour son humilité et ses aptitudes oratoires et dirigeantes. Le chef des Senousis à l’époque, Cheikh El Mahdi El Senoussi aurait même déclaré à son égard que « si nous en avions dix comme Omar El Mokhtar, cela nous aurait suffit ». Il fut alors désigné comme cheikh d’une zawiya (« monastère » soufi), partageant avec les habitants de la région ses connaissances religieuses et s’efforçant de  régler les fréquentes querelles tribales. Parallèlement, il démontre de grandes aptitudes militaires lorsqu’il est envoyé avec un groupe de Senoussis en 1899, pour combattre l’armée Française au Tchad et assister le souverain local Rabih az-Zubayr. Dés cet époque, son courage est légendaire : son surnom de « Lion du désert » lui aurait d’ailleurs été donné quelques années plus tôt lors d’un voyage vers le Soudan durant lequel il réussit à tuer à lui seul un lion qui terrorisait les caravanes passant dans les parages.

La Libye est alors le dernier territoire de la région à ne pas être colonisé par les Européens: l’Algérie et la Tunisie voisines sont passées depuis plusieurs décennies sous la domination de la France alors que l’Égypte est entre les mains des Anglais. La Libye reste le dernier bastion Ottoman en Afrique du Nord, et ce jusqu’en 1911, date à laquelle les Italiens s’engagent dans la conquête d’une terre qui leur parait être une proie facile et  espérant ainsi s’étendre et « rattraper » leur arrivée tardive dans la course coloniale. 

Un corps expéditionnaire de 20 000 hommes est débarqué, faisant face à une garnison turque de quelques milliers d’hommes seulement (dont faisait partie Mustapha Kemal, fondateur de la Turquie moderne). C’était sans compter sur la détermination de la garnison et la mobilité des bédouins qui s’y rallièrent, infligeant une série de revers qui obligea les Italiens à quintupler leur corps expéditionnaire et à engager des négociations avec l’Empire Ottoman, lui accordant des contreparties territoriales en Méditerranée pour renoncer à sa souveraineté sur la Libye.

La Libye devient officiellement une colonie Italienne, mais ne sera jamais pacifiée pour autant. En effet, les tribus locales poursuivent leur résistance de manière quasi-ininterrompue et adoptent des techniques de guérillas auxquelles les Italiens ont du mal à faire face. Ces derniers contrôlent le littoral, qu’ils occupent et dont ils s’approprient les terres. Mais l’arrière pays désertique et la région montagneuse et boisée du Djebel Akhdar à l’Est servent de refuge à Omar Mukhtar et ses hommes. Ceux-ci utilisent leur excellente connaissance de la géographie locale et leur mobilité pour harceler les troupes italiennes, tendre des embuscades, attaquer des postes isolés et couper les lignes de ravitaillement. Omar Mukhtar, qui n’était qu’un simple enseignant dans une école coranique avant l’invasion Italienne, s’avère un excellent tacticien dans la guérilla du désert et enregistre des succès qui étonnent et exaspèrent les Italiens.

Le combat contre les Fascistes

L’arrivée au pouvoir des Fascistes en Italie complique davantage le conflit en Libye. Mussolini entend éteindre à tout prix cette « rébellion de bédouins » qui tient en échec l’armée Italienne depuis plusieurs années et qui limite ses projets expansionnistes en Afrique. Les Italiens tentent d’abord d’acheter la paix en proposant une pension conséquente et des terres aux principaux meneurs du mouvement de résistance. Alors que le chef de la confrérie Senoussie accepte de signer un accord avec les Italiens, Omar El Mokhtar refuse catégoriquement de déposer les armes en invoquant que la lutte armé est un devoir religieux. Contrairement aux calculs peu scrupuleux des gouverneurs Italiens, le mouvement ne faiblit pas.

Mussolini décide alors d’employer la manière forte et d’envoyer des généraux aux méthodes radicales pour mater la résistance. Les Italiens se concentrèrent sur les ravitaillements pour affaiblir un ennemi insaisissable, en déployant des barbelés aux frontières (notamment avec l’Egypte) et en employant des moyens de terreur pour dissuader la population d’aider les hommes d’Omar el Mokhtar.

En particulier, le Général Graziani s’employa à regrouper la population dans de véritables camps de concentration dans lesquels périrent des Libyens par milliers à cause du manque de vivres ou de maladie. Des exécutions sommaires « pour l’exemple » sont fréquentes, les récoltes et certains villages sont brulés afin d’intimider les tribus qui chercheraient à se rallier à la résistance. L’armée Italienne emploie également des moyens militaires lourds, notamment l’aviation et les blindés (qu’elle sera la première à employer dans le désert). Enfin, la conquête de plusieurs oasis dans le sud (notamment Koufra en janvier 1931) infligea de sérieuses difficultés à Omar el Mokhtar, dont l’armée manque cruellement de vivres et de munitions.

En septembre 1931, après prés de deux décennies de résistance, Graziani parvient enfin à capturer son adversaire Omar el Mokhtar au cours d’une embuscade dont ce dernier est le seul survivant. Le vieux cheikh (il a alors environ 70 ans) est rapidement transféré à Benghazi et jugé dans les jours qui suivirent. Après un procès qui dura à peine une heure, il fut condamné à mort par pendaison, et exécuté dés le lendemain matin devant plusieurs milliers de personnes. Il déclara juste avant sa mort : « Ma vie sera plus longue que celle de ceux qui me pendent ».

Omar el Mokhtar deviendra ainsi la figure centrale de la Libye indépendante, et continue d’être célébré comme un héros de la lutte anticoloniale par les nouvelles générations. Un film intitulé « Le Lion du désert » lui a même été dédié, avec Anthony Queens dans le rôle d’Omar el Mokhtar et Oliver Reed dans celui du Général Graziani, et est devenu un chef d’œuvre du cinéma.

Nacim KAID SLIMANE

L’Afrique du Sud dans la cour des Grands

C’est désormais officiel depuis le 14 avril: les performances économiques du géant de l’Afrique sont récompensées par l’entrée dans le groupe des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), illustrée par la participation du président Sud Africain Jacob Zuma au sommet annuel du groupe qui s’est tenu la semaine dernière à Sanya, en Chine.
L’acronyme du « club » des puissances émergentes se voit rajouter un S (pour South Africa), et espère ainsi élargir ses perspectives à l’ensemble du continent Africain. Alors que sa raison d’être est avant tout économique, le groupe des BRICS entend également prendre position sur la scène politique internationale et promouvoir une conception non-occidentale des affaires du monde (par exemple sur la crise en Libye, pour laquelle le groupe a adopté une position unique en rejetant « le recours à la force » et appelant à « une solution négociée »).

L’entrée de l’Afrique du Sud dans le groupe des puissances émergentes accentue considérablement cette nouvelle donne géopolitique, permettant de constituer un bloc qui représente 40% de la population mondiale et 18% du PIB de la planète. En effet, ce n’est pas simplement en raison de ses performances économiques que le pays a été admis au sein du groupe (l’Indonésie, le Mexique ou la Corée du Sud présentant des résultats comparables voire meilleurs). Un séminaire organisé en mars dernier à Pretoria par l’Institut Sud Africain des Affaires Internationales (SAIIA), dont le compte rendu est disponible sur (http://www.saiia.org.za/images/stories/research/safp/brics_seminar_report_march_2011.pdf), a analysé les raisons de cette adhésion et les perspectives qu’elle porte.
L’Afrique du Sud a ainsi promu sa candidature en se présentant comme « le portail de l’Afrique » et comme un partenaire hautement stratégique sur la scène régionale et internationale. Cette dimension continentale a joué un rôle déterminant dans son adhésion aux BRIC, sans doute davantage que les aspects économiques pour lesquels l’Afrique du Sud semble même être relativement en retard par rapport aux autres membres ou à des candidats potentiels: son économie reste en effet très dépendante de l’extraction minière et son taux de croissance est assez faible par rapport aux autres membres du groupe (3,5% contre 9,6% pour la Chine et 8,2% pour l’Inde en 2011), sans parler des graves problèmes de développement que connait le pays(en particulier à cause du SIDA).
Quelles peuvent être les retombées de cette adhésion pour les autres pays Africains ? Cela reste difficile a évaluer, notamment parce que les BRIC n’ont pas attendu l’intégration de l’Afrique du Sud pour s’implanter sur le continent. Une étude de la Banque de France s’est ainsi penchée sur les échanges commerciaux des pays de la zone Franc avec les BRICS, qui ont connu un décollage depuis 2002 (multiplication par sept en seulement six ans). Le rapport note toutefois le poids prépondérant de la Chine dans ces échanges, ainsi que le déséquilibre entre les deux ensembles, qui peut accroitre la vulnérabilité des pays Africains en cas de ralentissement des économies émergentes dont elles dépendent de plus en plus. http://www.banque-france.fr/fr/eurosys/telechar/zonefr/2009/Encadre_4_Echanges_commerciaux_de_la_ZF_avec_les_pays_emergents.pdf

La constitution du groupe des puissances émergentes peut instituer une concurrence bipolaire à l’échelle mondiale, avec d’un coté, les BRICS, qui enregistrent une croissance élevée entrainant une industrialisation et un développement rapide, et de l’autre, le groupe des pays anciennement industrialisés mais dont la croissance est faible et dont le poids dans l’économie et les affaires internationales n’est plus aussi prépondérant qu’au XXème siècle. Ce deuxième groupe, qui a pris le nom d’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), compte 34 pays membres et fête cette année ses cinquante ans d’existence. Signe que les choses évoluent, l’OCDE a présenté le 7 avril dernier son rapport annuel « Objectif Croissance » en y incluant, pour la première fois de son histoire, des évaluations et des recommandations sur les grandes économies émergentes (les BRICS plus l’Indonésie). Le résumé de ce rapport, est consultable sur le site de l’OCDE : http://www.oecd.org/dataoecd/56/37/47520272.pdf, de même que la partie dédiée aux priorités de réformes pour l’Afrique du Sud : http://www.oecd.org/dataoecd/4/1/47532799.pdf

 

Nacim K. Slimane

Jomo Kenyatta à l’épreuve du pouvoir : Harambee !*

 

Nous sommes le 12 décembre 1963. Il est  minuit au stade d’Uhuru, et  un nouvel Etat vient de naitre. En présence d’une foule nombreuse et de personnalités de haut rang, parmi lesquels Jomo Kenyatta et le duc d’Edimbourg (époux de la Reine Elisabeth II), le drapeau Kenyan est hissé ren remplacement des couleurs Britanniques. Au même moment, ce drapeau est planté sur les hauteurs du mont Kenya, pour qu’il puisse symboliquement flotter sur l’un des plus hauts points sur Terre. Le Kenya devient ainsi le 34éme Etat Africain à obtenir son indépendance. Pourtant, les défis restent colossaux pour la toute jeune nation.

Le temps des choix

Face à une société diverse et divisée par les violences qui ont marqués la fin de la période coloniale, la priorité absolue est de structurer la scène politique. En tant que Premier Ministre et leader du parti arrivé en tête des élections de mai 1963 (la KANU), Kenyatta a les coudées franches pour procéder aux choix qui impliqueront l’avenir de la nation. Dans le débat sur le degré de centralisation du système, Kenyatta impose ainsi sa vision d’un gouvernement central fort, et réussit même à convaincre son rival Ronald Ngala  (partisan d’un d’une certaine autonomie régionale), à dissoudre son propre parti pour l’intégrer à la KANU afin d’aboutir à une Assemblée Nationale unifiée et à un système de parti unique. Le 12 décembre 1964, après une période de transition qui aura duré exactement un an, la république est proclamée et Kenyatta en devient le président.

Le deuxième choix majeur, qui est crucial dans un contexte de Guerre Froide, est de déterminer l’orientation du système économique. Sur ce point, Kenyatta adopte clairement une approche capitaliste plutôt pro-occidentale, ce qui le rend vulnérable aux critiques des partisans d’une option socialiste. En particulier, il se heurte à l’opposition de l’autre poids lourd de la scène politique, le vice-président Oginga Odinga, qui finira par quitter la KANU en 1966 pour former un parti résolument orienté à gauche, la Kenya People’s Union (KPU). On accusera d’ailleurs celui-ci de recevoir de l’argent des communistes Chinois pour accroitre son influence, ainsi qu’un appui des pays du bloc de l’Est.

Enfin, il reste la question des terres, qui avait servi de catalyseur à la lutte pour l’indépendance. Malgré des appels à la nationalisation des propriétés des colons blancs pour procéder à une redistribution, Kenyatta tente de lancer un programme de « Kenyanisation »  progressive tout en rassurant les fermiers européens sur leur avenir au sein de la nouvelle nation. Le problème se réglera essentiellement de lui-même, puisqu’une grande partie des colons finiront par quitter le pays. Le Kenya reste néanmoins confronté à des problèmes de développement très graves. Le magazine Time estimait ainsi à l’époque que le pays ne comptait que 750 médecins, alors qu’il lui en fallait au moins 9000, et que le problème se posait avec d’autant plus d’acuité du fait d’une croissance démographique de prés de 3,5% par an.

L’équilibre ethnique

Appartenant à l’ethnie la plus nombreuse (mais qui est loin d’être majoritaire dans le pays, puisqu’elle représente environ un quart de la population totale), Kenyatta doit sans cesse manœuvrer pour maintenir l’équilibre ethnique. Bien qu’il essaye de nommer des membres d’autres ethnies aux postes officiels, il apparait que l’essentiel du pouvoir est entre les mains des Kikuyus, l’ethnie du président. Les clivages politiques avec Odinga sont compliqués par le fait que celui-ci soit un Luo, de même que  Tom Mboya, ministre très populaire qui était même pressenti pour succéder à Kenyatta. Alors que Mboya se démarque d’Odinga et de nombreux Luos par ses opinions nationalistes et pro-occidentales, il reste fondamentalement identifié sur la scène politique comme Luo, ce qui montre que ce ne sont pas tant les opinions qui comptent mais l’origine ethnique. Par ailleurs, Kenyatta est accusé de sombrer vers une dérive autoritaire et de marginaliser les autres ethnies. Il n’hésite pas à menacer publiquement ses rivaux, et plusieurs opposants disparaissent ainsi dans des conditions mystérieuses.

L’assassinat de Tom Mboya, le 5 juillet 1969, par un Kikuyu (qui sera rapidement jugé et exécuté), provoque ainsi de violentes émeutes  et fait planer la menace d’une guerre civile entre Luos et Kikuyus. Le procès bâclé de l’assassin nourrit des spéculations sur les véritables commanditaires de l’assassinat, et  Kenyatta provoque la colère des Luos en adoptant une attitude intransigeante par l’imposition d’un couvre feu et l’arrestation de plusieurs leaders Luos (parmi lesquels Odinga, dont le parti est interdit).

Une autre victime de ces dérives sera un certain Barack Hussein Obama (1936-1982), père de celui qui sera le premier président afro-américain à la tête des Etats Unis, dont la carrière sera brisée en raison de son opposition au gouvernement de Kenyatta et à son origine Luo. Dans Dreams from my father, Barack Obama (junior) raconte la descente aux enfers de son père, qui à la suite d’un article critiquant la politique économique du gouvernement, sera limogé de son poste par Kenyatta et marginalisé jusqu’à la fin de sa vie. Il sombra alors dans la pauvreté, l’isolement et l’alcool et sera victime de plusieurs accidents de la route, qui le conduiront à de longues hospitalisations (dont une qui  conduira à l’amputation de ses deux jambes), et finalement à sa mort le 24 novembre 1982. 

L’héritage de Kenyatta

Malgré ces graves troubles, Kenyatta gagne les élections présidentielles en 1969 et 1974, et effectuera ainsi trois mandats jusqu’à sa mort en 1978. Il se présente avec un  bilan économique plutôt positif, bénéficiant d’une croissance soutenue et d’une hausse des exportations, ainsi que d’une aide étrangère conséquente. Kenyatta aura d’ailleurs l’habilité de rester ouvert à la fois aux aides financières et techniques occidentales qu’à celles du bloc de l’Est, en prônant une politique étrangère non alignée (même si dans les faits, elle est plutôt pro-occidentale). Il s’impose comme le grand leader dans la région et enregistre des succès diplomatiques significatifs, comme le fait d’avoir résolu un différend territorial entre la Tanzanie et l’Ouganda.

Si le Kenya devient un modèle de développement en Afrique, étant à la fois stable, prospère et avançant constamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, les inégalités demeurent nombreuses. En particulier, il apparait que la famille de Kenyatta et ses alliés politiques se sont considérablement enrichis au détriment du reste de la population, alors que les Kikuyus sont accusés de devenir une élite privilégié par le régime (notamment dans la redistribution des terres).

Malgré la corruption et la dérive autoritaire, Kenyatta aura laissé un bilan globalement positif et sera salué comme un leader sage et pragmatique. Il aura réussi à  fonder des bases stables pour le Kenya, à mettre en place des instituions qui fonctionnent, et à faire avancer l’économie du pays et son développement. Sa mort survient durant son sommeil le 22 aout 1978 à Mombassa.

Néanmoins, les failles du système établi par Kenyatta, à savoir essentiellement le déséquilibre ethnique et la dérive autoritaire, continuent de se faire ressentir sur l’avenir du Kenya, comme l’ont montré les violences consécutives aux élections de décembre 2007, sur fond de rivalités ethniques entre Luos et Kikuyus. Comme à l’époque de Kenyatta, les leaders politiques (Mwai Kibaki et Raila Odinga) restent avant tout identifiés par rapport à leur origine ethnique, et tout conflit politique risque rapidement de dégénérer en violences interethniques. Les résultats montrent clairement un clivage ethnique et régional qui menace gravement l’unité du pays. Après plus de 1000 morts et des centaines de milliers de déplacés, un compromis fut finalement trouvé et fonctionne bon gré, mal gré. Mais les élections prévues en 2012 risquent à nouveau de réveiller les démons du passé et faire plonger le pays dans un nouveau cycle de violences. La devise Harambee ! reste  donc plus que jamais d’actualité.

Nacim KAID SLIMANE

*devise officielle du Kenya, lancée par Kenyatta, qui signifie approximativement en Swahili « agissons  tous ensemble »

Jomo Kenyatta, « la lumière du Kenya »

 

Our children may learn about the heroes of the past. Our task is to make ourselves the architects of the future”- Jomo Kenyatta, president du Kenya (1964-1978) et père de la nation Kenyanne

Le déchainement de violences postélectorales en Cote d’Ivoire nous incite à réfléchir sur la répétition de tels scénarios sur le continent. Même si l’on ne dira jamais assez que chaque pays a ses spécificités et qu’il faut se garder d’effectuer des parallèles trop sommaires pour appliquer des solutions types, l’Histoire singulière du Kenya est à méditer. L’évolution  du Kenya revêt bien des contradictions : ce pays est décrit comme un modèle à l’échelle continentale, alors que le bidonville de Kibera abrite prés d’un million d’habitants et est l’un des plus grands d’Afrique. Sa stabilité attire de nombreux touristes et investisseurs, mais la diversité ethnique continue de planer comme une épée de Damoclès sur sa cohésion et son avenir.

Celui qui est unanimement considéré comme le père de la nation Kenyane a lui-même eu un parcours atypique. Jomo Kenyatta a joué un rôle majeur sur la scène politique du pays, dont il est devenu Premier Ministre au moment de l’indépendance, puis président durant 14 ans. Il a posé les fondements de l’Etat Kenyan indépendant et a durablement marqué ses institutions.

De Kamau à Jomo Kenyatta

Jomo Kenyatta est né au début des années 1890 (la date exacte est inconnue) dans la région de Gatundu, au nord de Nairobi. Durant son enfance, il portait le prénom de Kamau, sa famille appartenant à l’ethnie des Kikuyus. Après la mort de ses parents, il rejoint une mission de l’Eglise d’Ecosse ou il apprend à lire et à écrire en anglais et ou il reçoit une formation de charpentier. Il devint par la suite apprenti-charpentier, puis interprète, et enfin commerçant, avant d’intégrer le département des travaux publics du Conseil Municipal de Nairobi.

En 1922, il adoptera le nom de Kenyatta, signifiant « lumière du Kenya » en Swahili. Ce nom faisait référence à une ceinture traditionnelle qu’il avait pris l’habitude de porter lorsqu’il était parti vivre avec les Massais, afin d’éviter d’être mobilisés durant la Première Guerre Mondiale par les autorités Britanniques. C’est durant cette période que débute sa carrière politique au sein de l’East African Association, une organisation qui milite pour le retour des terres prises aux Kikuyus par les colons européens. Il rejoint par la suite la Kikuyu Central Association(KCA) et en devient le secrétaire général en 1928.

La question agraire est cruciale pour les Kikuyus. Les plateaux centraux du Kenya sont en effet une région fertile sur lesquels se sont installées des dizaines de milliers de colons blancs cultivant le thé et le café. De nombreux Kikuyus, auxquels on reprochait de ne pas avoir de titre de propriété « au sens européen » sur une terre qu’ils considéraient comme celle de leurs ancêtres, se sont vu expropriés et contraints à l’exode vers les villes. Consciente des enjeux liées à cette question, la KCA envoie Kenyatta plaider la cause de l’ethnie directement auprès des autorités britanniques à Londres. C’est ainsi que celui-ci se retrouve en 1929 en Europe, inaugurant un séjour de plus de quinze ans qui le marquera profondément.

Out of Africa

Kenyatta s’évertue à sensibiliser l’opinion publique Britannique à la situation des colonisés. Il publie plusieurs articles, notamment dans le Times, réclamant le retour des terres confisqués, de meilleures opportunités d’éducation, le respect des traditions et un droit de représentation, et mettant en garde contre l’inéluctabilité d’une « dangereuse explosion » si les demandes ne sont pas satisfaites.

Malgré ses efforts, il n’obtiendra que peu de promesses de la part des autorités, et le Secrétaire d’Etat aux Colonies refusera de le recevoir. Tout en continuant à militer pour la cause des Kikuyus et à faire du « lobbysme » auprès des autorités britanniques, Jomo Kenyatta décide de reprendre ses études, d’abord à Birmingham, puis à Moscou et enfin à Londres. Ceci lui permet d’élargir ses perspectives, et de faire la connaissance de nationalistes originaires d’autres pays d’Afrique, ainsi que des militants panafricanistes.

Il soutiendra en 1938 une thèse en anthropologie sociale sur les coutumes des Kikuyus, à la London School of Economics, qui sera ensuite publiée sous le titre « Facing Mount Kenya », un ouvrage de référence sur la société traditionnelle Kikuyu dans lequel il critique les bouleversements intervenus suite à l’arrivée des Européens.  Lorsque la KCA est interdite au Kenya et que la Seconde Guerre Mondiale éclate, il se trouve coupé de son organisation mère Kikuyu. Cela lui donne l’occasion de se consacrer à des causes plus globales, et il mènera désormais son combat dans le cadre panafricain, notamment autour de Kwane Nkrumah, George Padmore et Hastings Banda. Il assistera à ce titre au Cinquième Congrès Panafricain à Manchester en octobre 1945, dans lequel est réclamée l’indépendance des colonies, la fin de la discrimination raciale, ainsi que l’unité africaine.

Fort de l’expérience acquise pendant ce long séjour à l’étranger, Kenyatta revient en Afrique en 1946, et devient président de la Kenya African Union (KAU). Pendant plusieurs années, il parcourt le Kenya pour tenir des conférences et promouvoir l’indépendance, tenant un discours nationaliste qui dépasse les clivages ethniques. Néanmoins, le fond du problème reste toujours le même, et le nombre de colons a continué d’augmenter. La « dangereuse explosion » qu’avait évoqué Kenyatta avec prés de 20 ans d’avance finira par éclater en 1951.

La révolte des Mau Mau et l’indépendance

Le mouvement Mau Mau s’étend tout au long des années 1950, mené par des Kikuyus réclamant le retour de leurs terres. Alors qu’une campagne de sabotages et d’assassinats est menée, les autorités Britanniques réagissent par une répression extrêmement sévère, aboutissant à la proclamation de l’Etat d’urgence en 1952, à des arrestations massives et à des opérations militaires qui feront des milliers de morts.

La KAU n’échappe pas à la réaction des autorités coloniales. Lorsque celle-ci est interdite, Kenyatta est arrêté en octobre 1952 et accusé d’être un meneur des Mau Mau. Il est condamné à sept ans de travaux forcés, avant d’être transféré en « rétention permanente » dans un poste militaire particulièrement isolé.

Même si la rébellion des Mau Mau finit par s’éteindre sous les effets de la répression, ses idées se seront propagées auprès de la population. Les Kikuyus avaient été aux avants postes de la lutte nationaliste, mais le flambeau fut repris par les Luos, sous la tutelle de Tom Mboya et d’Oginga Odinga (père de l’actuel Premier ministre Kenyan). Ces derniers formeront la Kenya African National Union (KANU) dont Kenyatta (toujours emprisonné) est élu président in absentia.

Son engagement nationaliste établi, ses habilités politiques, et son long séjour à l’étranger (qui donnent l’impression de le mettre au dessus des tensions ethniques) font de Jomo Kenyatta une sorte de « Mandela Kenyan », et des manifestations sont organisées pour réclamer sa libération.

Il est finalement relâché le 21 aout 1961, et mène la délégation de la KANU lors des négociations pour avec les autorités Britanniques à Londres. Le Kenya accède à l’indépendance le 12 décembre 1963, avec Kenyatta comme Premier Ministre (la Reine d’Angleterre restant symboliquement le Chef de l’Etat).

Une nouvelle époque s’ouvre dans l’Histoire du Kenya, dont le père fondateur, Jomo Kenyatta, sera à la tête pendant plus de 15 ans et forgera ses institutions, ses références, et l’équilibre interethnique qui reste encore de nos jours un élément majeur dans l’équation Kenyane. (A suivre)

Nacim Kaid Slimane

 

Les nouveaux partenaires de l’Afrique

 

Le continent africain a toujours été un terrain d’expression privilégiée pour le développement d’une politique étrangère, si bien que cela constitue un baromètre de la puissance d’un pays et un indicateur de classement mondial des puissances du moment. Après la domination coloniale hispano-portugaise, puis franco-britannique, et enfin une compétition américano-soviétique pendant la Guerre Froide, l’Afrique est entrée depuis une dizaine d’années dans une nouvelle ère dans laquelle les pays émergents jouent un rôle majeur.  Même si les puissances anciennement présentes ne se sont pas retirées du continent (les Etats-Unis et la France continuant, dans l’absolu, d’y promouvoir leur vision et leurs intérêts), la montée de nouveaux acteurs en Afrique constitue une donnée majeure de l’évolution géopolitique contemporaine.

Le role actif de la Chine est sans doute le plus médiatisé, tant ses relations avec les pays africains sont en plein boom. Ceci est amplifié par le fait que la croissance exceptionnellement forte de la deuxième puissance économique mondiale suscite des appréhensions chez les acteurs déjà implantés et qui voient leurs intérêts être directement concurrencés. Valérie Niquet, Directrice du Centre Asie de l’IFRI, a publié un article qui reste une référence sur la stratégie chinoise en Afrique et les enjeux politiques et économiques qui y sont liés. http://www.ifri.org/files/politique_etrangere/pe_2_2006_niquet.pdf

L’autre puissance montante en Asie, l’Inde, est également un acteur majeur sur le continent africain, même si sa présence est moins visible. Joël Ruet, chercheur CNRS au Centre d'Etudes Français sur la Chine Contemporaine présente les principaux secteurs de coopération (télécoms, transport, informatique, etc.)  et la croissance très soutenue du volume des affaires.  Il affirme ainsi que « sans que le monde ne s'en aperçoive trop, le commerce entre l'Inde et l'Afrique est passé de 7 milliards de dollars en 1997 à 51 milliards en 2007 », signe le plus visible de  la mise en place d’une « Indafrique » : http://lexpansion.lexpress.fr/afrique/l-indafrique-aussi_232025.html

Le Brésil est également devenu, sous l’impulsion du président Lula, un partenaire majeur pour les pays africains. L’aspect politique de la relation est sans doute plus fort encore que pour la Chine et l’Inde, puisque les liens historiques et culturels sont établis et que d’après l’expression même de Lula,  le Brésil a une « dette » envers une Afrique qui a contribué à son peuplement et à son développement.  Comme l’illustre bien un article de l’alliance géostratégique, le Brésil présente des atouts et a un intérêt particulier à s’engager dans un partenariat à long terme avec le continent Africain, qui s’étendrait au delà des échanges de ressources naturelles : http://alliancegeostrategique.org/2010/05/16/afrique-et-bresil/

Enfin, on peut citer un pays qui apparaît de plus en plus comme un outsider prometteur tant au niveau africain que mondial : la Turquie. Enregistrant l’un des taux de croissance les plus élevés du monde, et d’une stabilité politique intérieure sans précédent, la politique étrangère Turque a connu un bouleversement ces dernières années, notamment à travers la vision et l’action de son actuel ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu. Si l’on évoque parfois son influence politique croissante au Moyen Orient (et aujourd’hui en Afrique du Nord, comme le montre son action pour la résolution de la crise Libyenne), la diplomatie Turque s’active également en Afrique  ou elle a été intégrée en 2003 en tant que membre observateur au sein de l’Union Africaine. La revue Turskish Policy a publié dans sa dernière édition un article particulièrement instructif sur ce point, accessible sur http://www.turkishpolicy.com/dosyalar/files/Mehmet%20%C3%96zkan-%20Turkey%27s%20Rising%20Role%20in%20Africa.pdf

L’émergence de nouveaux partenaires pour l’Afrique, tant au niveau politique qu’économique, est aujourd’hui une réalité, et ces relations sont appelées à se renforcer et à s’étendre au cours des prochaines années. Bénéficiant de nombreux atouts et sans doute d’une meilleure image auprès des populations, il faut néanmoins s’assurer que ce partenariat joue dans les deux sens et qu’il puisse rapidement permettre aux pays africains d’enregistrer à leur tour, des résultats comparables en termes de croissance, de puissance et de développement.

           Nacim Kaid Slimane            

Des géants dans l’ombre de Mandela : les héros oubliés de la lutte anti-apartheid

11 février 1990 : une date qui représente un tournant dans l’Histoire de l’Afrique du Sud et une victoire symbolique pour l’ensemble de l’humanité. Après vingt sept années passées dans les geôles de l’Apartheid, le plus célèbre prisonnier politique du monde est enfin libéré, suscitant une immense vague de joie et d’espoir. Vingt et un an après, le personnage de Nelson Mandela inspire toujours autant de respect et suscite une admiration unanime pour son parcours et ses idées, y compris et surtout auprès des jeunes générations. Son statut de père de la nation arc-en-ciel et d’icône universel de la lutte contre le racisme ne doit pourtant pas occulter le rôle majeur joué par d’autres acteurs aux parcours tout aussi admirables, mais qui ont eu tendance à être occultés par l’immense charisme de Mandela et la médiatisation qui l’a fait connaitre partout dans le monde.

A 92 ans, Mandela occupe une place de choix dans l’Histoire et dans le cœur des hommes, toute origine et tout âge confondus, et revient épisodiquement dans l’actualité. Une place qu’il mérite amplement et qui doit être préservée. Mais si tout le monde connait le personnage de Mandela, très peu connaissent les noms d’Albert Lutuli, Oliver Tombo, Walter Sisulu, Ahmed Kathrada et tant d’autres, qui ont consacré toute leur vie à la lutte contre le régime raciste Sud-africain et ont consenti de très lourds sacrifices pour y mettre fin. Il faut en effet réaliser que Mandela n’est pas, tel Ho Chi Minh, Senghor ou Houphouët Boigny, le leader central d’un mouvement qui a été naturellement reconnu comme héros fondateur d’une nouvelle nation. L’African National Congress(ANC) a connu d’autres personnages de premier plan, dont l’action a contribué de manière décisive à la réussite du combat. Ils ont connu Mandela, certains l’ont accompagné, d’autres l’ont conseillé, et tous ont contribué d’une manière ou d’une autre à permettre l’émergence de « Madiba » sur le devant de la scène politique sud-africaine et mondiale.  Leurs noms méritent donc d’être connus et remémorés.

Albert Lutuli (1897-1967) a ainsi été le premier Africain à recevoir le Prix Nobel de la paix, en 1960, pour son engagement dans la lutte non violente contre l’Apartheid. Né en Rhodésie (actuel Zimbabwe), il fera ses études en Afrique du Sud et deviendra président d’une association d’enseignants (l’African Teachers Association) avant d’adhérer à l’ANC en 1944. Le mouvement connait alors d’importantes dissensions sur l’idéologie et les méthodes à adopter, sur fond de rivalité ethnique et régionale entre ses différents membres.

Lutuli s’imposera comme Président de l’ANC de 1952 jusqu'à sa mort, et s’efforcera d’en maintenir la cohésion et d’accroitre son influence sur la société. Mais il se trouve rapidement dépassé par des tendances plus radicales et plus violentes, en particulier après le lancement au début des années soixante d’une aile armée dénommée Umkhonyo we Sizwe (dont Mandela est membre fondateur), vraisemblablement sans l’accord de Lutuli, ou du moins avec une grande réticence de ce dernier. Lutuli avait toujours privilégié la lutte politique non violente et craignait que les actes de guérilla puissent s’avérer contreproductifs pour l’avenir de la lutte. Néanmoins, le tristement célèbre massacre de Sharpeville en mars 1960 ne pouvait déboucher que sur une évolution  de l’ANC et l’adoption de méthodes plus radicales, dont Lutuli finit par consentir la nécessité. Il meurt en 1967, à l’âge de 69 ans, laissant l’ANC entre les mains d’un autre poids lourd de la lutte anti-apartheid : Oliver Tombo.

Oliver Tombo (1917-1993) appartient à une nouvelle génération, celle qui n’a connu que l’Apartheid comme système politique et qui se fait par conséquent moins d’illusions sur une lutte entièrement non-violente. Il est né dans la province du Cap oriental et a étudié dans la même université que Nelson Mandela (dont ils furent par la suite expulsés tous les deux pour avoir participé à une grève !)

Devenu enseignant à Johannesburg, il rejoint l’ANC et fonde au coté de Mandela et Sisulu, la Ligue des Jeunes de l’ANC (ANCYL), qui préconise l’usage de nouvelles méthodes de lutte, comme la désobéissance civile ou la grève. L’ANC s’était en effet cantonnée jusque là à des méthodes plus consensuelles, à savoir des pétitions et des manifestations (influencée en partie par Gandhi, qui a vécu plus de 20 ans en Afrique du Sud et y a mené ses premiers pas en politique).

Alors que ses compagnons Mandela et Sisulu sont arrêtés et condamnés, Oliver Tombo est envoyé à l’étranger pour sensibiliser les gouvernements et les opinions publiques à la lutte contre l’Apartheid, alors que le massacre de Sharpeville révèle au monde entier la nature profondément raciste et violente de l’Apartheid. Il passera au total 30 ans en exil, installé à Londres mais sillonnant le monde sans relâche pour servir la cause de l’ANC, contribuant ainsi de manière déterminante à discréditer le régime de Pretoria et à l’isoler sur la scène internationale. De même, il ne ménagera pas ses efforts pour médiatiser le sort de Mandela et accentuer la pression sur les autorités sud-africaines en vue de libérer ses autres camarades de lutte. Oliver Tombo restera président de l’ANC jusqu’en 1991,  après avoir occupé ce poste pendant 24 ans, et rentre en Afrique du Sud en tant que héros. Il aura réussi à préserver les structures de l’ANC (dont les principaux membres étaient en prison ou soumis à une forte répression), a mené le combat diplomatique contre l’Apartheid, et a grandement participé à forger le « phénomène Mandela ». Mais il ne vivra pas assez longtemps pour voir le premier président noir accéder à la tête du pays, puisqu’il disparait en avril 1993.

Walter Sisulu (1912-2003), est le dernier poids lourd et l’ainé du trio qu’il forme avec Mandela et Tombo, mais reste sans doute le moins connu des trois. Etant métis, fils d’un magistrat blanc et d’une servante noire, Sisulu aurait pu être enregistré comme tel et bénéficier de conditions moins difficiles sous l’Apartheid (qui établissait une hiérarchie de droits selon les races). Mais il a préféré être identifié en tant que noir et lutter pour mettre fin à l’injustice du système raciste. Il a été un militant de la première heure et un pilier de l’ANC ainsi que le mentor de Nelson Mandela, dont il fut l’ami intime sur Robben Island, après avoir été condamné lors d’un même procès (le célèbre procès de Rivonia, qui a jugé 10 dirigeants de la branche armée de l’ANC, dont 4 Blancs et 2 Indiens).

Sisulu aura passé 26 ans en prison et n’est libéré qu’une année avant son camarade de fortune, Nelson Mandela. Ils auront tellement le temps de se connaitre qu’ils deviendront parfaitement complémentaires. Autant Mandela est charismatique et brillant orateur, autant Sisulu préfère la discrétion et la réflexion. Il écrira plus tard à propos de son mentor: « Walter et moi avons tout connu ensemble. C’était un homme de raison et de sagesse, et personne ne me connaissait mieux que lui. Il était l’homme dont l’opinion me paraissait la plus digne de confiance et la plus précieuse”.

 Sisulu avait partagé sa vision de l’Afrique du Sud  postapartheid avec ses compagnons à Robben Island et a conseillé Mandela lors des négociations avec les autorités du régime agonisant. Apprécié pour sa modestie et son intégrité, il a renoncé à toute carrière politique et s’est éteint en 2003. Ses efforts et  l’influence qu’il a eue sur l’ANC, sur Mandela, et sur la nation Sud Africaine moderne constituent néanmoins un héritage inestimable.

Lutuli, Tambo, Sisulu : trois géants qui demeurent dans l’ombre de Mandela et qui méritent une plus grande reconnaissance nationale et internationale pour leur contribution majeure à l lutte anti-apartheid.  Leur « passage à la trappe » est illustré par le classement des cent plus grands Sud Africains, mené en 2003, et basé sur les votes de téléspectateurs de SABC3, qui placera sans surprise Mandela à la première place. Mais la stupeur et la consternation ont accompagné les performances d’autres grandes figures de la lutte : Tombo et Sisulu n’arrivent respectivement qu’a la 31ème et la 33ème place, et Lutuli est 41ème, très loin derrière Hendrik Verwoerd, ancien Premier Ministre et architecte du système de l’Apartheid, ou Eugène Terre’Blanche, à la tête d’un mouvement qui promeut toujours la suprématie blanche, ainsi que plusieurs artistes et joueurs de criquets…

Toutes les grandes causes ont leurs panthéons de héros, qu’il convient d’honorer de manière équitable. La « personnalisation » d’une lutte peut en effet avoir de graves conséquences sur l’avenir d’une nation, comme le montre la difficulté pour la Guinée de remplacer Sékou Touré, celle de la Cote d’Ivoire d’assurer une stabilité après Houphouët Boigny, ou celle des militants de la Cause Palestinienne à rester unifiés après la mort de Yasser Arafat. Si Mandela n’a jamais organisé de culte de la personnalité, son immense popularité a occulté, malgré lui, le combat de ses compagnons. C’est une injustice à laquelle il convient de remédier, et que les autres nations doivent méditer pour ne pas faire passer à la trappe de l’oubli leurs héros et avoir à faire face ensuite aux contradictions historiques et aux crises identitaires.

Nacim Kaid Slimane 

 

L’avenir des énergies renouvelables se joue en Afrique

« L’Afrique ne manque pas d’énergie, mais celle-ci est mal identifiée et mal distribuée ; l’interconnexion du réseau africain pour la création d’un marché intégré de l’énergie est un impératif économique» ». Ce constat dressé par Cheikh Anta Diop à Kinshasa en 1985 reste encore d’actualité, puisque l’on estime que près de la moitié des habitants du continent n’a toujours pas accès à un approvisionnement régulier en électricité. L’insuffisance et la vétusté des infrastructures en matière d’énergie, le manque d’investissements et la faible interconnexion du réseau aggravent le problème énergétique, qui est l’une des causes majeures du retard de développement qu’accuse l’Afrique.

Cette crise énergétique peut néanmoins constituer une opportunité pour le continent de mettre en place des solutions innovantes, se fiant ainsi à la sagesse chinoise qui identifie le concept de crise en accolant deux idéogrammes signifiant « danger » et « opportunité ». Les énergies renouvelables constituent une opportunité inestimable, dans la mesure où l’Afrique semble être une région prédisposée à en accueillir les différentes composantes pour rattraper son retard en matière d’infrastructures électriques

Le Monde Diplomatique consacre ce mois ci un reportage sur les grands projets hydrauliques en République Démocratique du Congo, intitulé Quand le Fleuve Congo illuminera le monde. Tristan Coloma y décrit l’extraordinaire potentiel des barrages d’Inga, qui reste largement sous exploité à cause du manque de financement et de la mauvaise gouvernance. Le site du monde diplomatique complète l’analyse de l’article par un dossier très synthétique illustrant le manque d’infrastructures dont souffre l’Afrique dans les principaux secteurs socio-économiques : http://blog.mondediplo.net/2011-02-11-L-Afrique-en-manque-d-infrastructures

Le potentiel hydrographique de l’Afrique est un atout de premier plan pour soutenir son développement. A l’instar du Haut Barrage d’Assouan sur le Nil, qui a joué un rôle majeur dans l’industrialisation et le développement économique de l’Egypte, ou du barrage des Trois Gorges en Chine, les grands fleuves d’Afrique subsaharienne doivent être mis en valeur à travers des projets dont les retombées socio-économiques seront immenses. Une étude allemande intéressante étudie les enjeux liés au développement de l’énergie hydraulique en Afrique, en montrant comment le potentiel de la RDC peut être élargis à l’Afrique australe et à l’ensemble du continent : http://www.suedwind-institut.de/downloads/Wasserkraft-Inga_franz.pdf

Si l’énergie hydraulique est la filière la plus évidente et la mieux maitrisable technologiquement, d’autres sources d’énergies renouvelables sont particulièrement prometteuses. L’énergie solaire, dont le Sahara recèle de possibilités uniques au monde, ou l’énergie éolienne, qui est particulièrement disponible en Afrique du Sud et au Maghreb, démontrent les potentiels différents, mais complémentaires, des autres régions du continent en matière d’énergie propre. A ces filières peuvent s’ajouter la géothermie, qui reste largement sous exploitée, ainsi que la biomasse, notamment en étant mis en place à grand échelle sous forme de cogénération. Une fiche publiée par le site dph dresse un état des lieux particulièrement clair et complet sur ces différentes filières : http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-7422.html

Enfin, il convient de souligner l’impact décisif que peuvent avoir les énergies renouvelables sur l’intégration régionale Africaine. Tout comme la construction européenne s’est fondée sur la mise en commun du charbon et de l’acier, l’Afrique doit bâtir un réseau énergétique à l’échelle continentale, avec des ramifications vers l’Europe et vers le Moyen Orient. A cet égard, le projet Desertec est particulièrement prometteur, et prévoie des investissements de plusieurs centaines de milliards de dollars sur les prochaines décennies pour constituer l’un des projets économiques les plus ambitieux de toute l’Histoire, et un mégaprojet dans le domaine du développement durable : http://www.developpementdurable.com/technologie/2009/06/A2038/projet-desertec-une-centrale-solaire-gigantesque-dans-le-desert-africain-pour-alimenter-leurope.html

Pour rappel, le quatrième salon international des énergies renouvelables et de l’environnement en Afrique, qui se tiendra à Dakar du 27 au 30 avril prochain, traitera pleinement de cette problématique et constitue un événement majeur dans le domaine à l’échelle du continent.

Nacim Kaid Slimane