Conflit en Centrafrique: où en sommes-nous?

Terangaweb_Enjeux CentrafriqueL’instabilité qui règne en Centrafrique depuis le coup d’état du 24 mars 2013 fait craindre le pire. Le coup d’Etat a plongé la RCA dans le chaos avec un risque de somalisation. Des pillages et attaques se produisent encore aujourd’hui dans la capitale. A cela s’ajoute un massacre ethnique entre des populations musulmanes et chrétiennes qui vivaient par le passé en paix et qui se déchirent actuellement sous le prétexte du religieux.


Et que certaines personnes considèrent comme une frustration entre une communauté nordiste longtemps marginalisée et qui a vu son heure venir pour s’accaparer  du pouvoir. Le drame que vit le pays ressemble davantage au conflit horrible entre Tutsi et Hutu au Rwanda, et à celui de la secte islamiste Boko Haram contre les chrétiens du Nord du Nigéria. Un climat d’insécurité qui interpelle la communauté internationale afin d’éviter un autre génocide au continent africain.

La Centrafrique, un pays dans le chaos

Tout est parti du renversement, en mars dernier, du régime de François Bozizé par une coalition de groupes armés d’opposition appelée « Seleka »[1] qui a pris le contrôle de Bangui, la capitale de la RCA. Cette coalition hétéroclite de mouvements rebelles a multiplié les exactions au cours de sa marche vers Bangui. Avant d'installer, une fois la capitale sous son contrôle, un président auto-proclamé : Michel Djotodia, dont la présidence a pris fin avec sa démission le vendredi 10  janvier lors du Sommet de la CEEAC à Ndjamena. Depuis lors, les violences n'ont pas cessé dans le pays malgré une légère accalmie observée après le départ de Djotodia.

Le pays s’enfonce depuis des mois dans un engrenage où on observe des exactions contre des populations civiles, le pillage systématique des villages, la désorganisation complète des services d’un Etat incapable d’assurer ses missions régaliennes. Originaires de la région du Nord du pays et majoritairement musulmans, les hommes de la Séléka ont créé un véritable désordre dans le pays. En dehors  de terrifier la population et de générer l’insécurité, les Séléka visent en effet spécifiquement les chrétiens (majoritaires dans le pays à plus de 80%). Ces derniers sont massacrés (enfants, jeunes comme vieillards), violés, mutilés, brûlés vifs et leurs commerces pour ceux qui en possèdent vidés. Par ailleurs, dans les zones où il existait déjà des tensions locales entre populations nomades et sédentaires, la présence de la Séléka a alimenté le conflit.

En réaction à cette criminalisation du pays par ces forces de la terreur, des milices se sont organisées : on les appelle les "anti-Balaka" (balaka qui signifie « machette » en sango). Au départ, c'étaient des villageois qui s'armaient pour se défendre contre les exactions de la Séléka. « Sauf que cela s'est transformé en attaques ciblées contre les musulmans, avec les mêmes brutalité et cruauté que la Séléka »[2]. Désormais on note des actes de vengeance, de représailles contre la population musulmane du pays. Et il ne se passe pas une journée sans qu’un musulman n’ait été tué ou lynché ou même que son activité ou son commerce soit vandalisé.

Le conflit semble prendre une tournure  inter-communautaire et laisse craindre « un conflit religieux et ethnique à l'échelle du pays avec le risque d'aboutir à une spirale incontrôlable débouchant sur des atrocités » affirme Ban Ki Moon. Si le terme génocide est avancé par certains, et considéré comme excessif par d’autres, nous pouvons dire avec le Ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius que nous ne sommes pas loin de cette situation. La situation humanitaire dans le pays est déjà très préoccupante, avec de nombreux morts et blessés sans oublier les malades et les affamés.

Des répercussions préjudiciables

L’impact de la crise centrafricaine est extrêmement lourd pour le pays et sa population, mais également pour les pays de la sous région. En effet, « L’ampleur des violations des droits humains perpétrées à travers le pays par les groupes armés qui sèment la mort et la désolation depuis mars 2013 est sans précédent »[1]. On note plus de 3 000 morts à ce jour d’après Amnesty International. De nombreux centrafricains vivent cachés dans des forêts avec la hantise de se faire massacrer par les Séléka ou par les anti-balaka. Et de nombreux enfants mineurs participent comme soldats dans cette crise du côté de la Séléka comme chez les anti-balaka. « Le désespoir du peuple centrafricain est plus profond que jamais du fait de ces atteintes persistantes et de grande ampleur aux droits humains, qui sont des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité »[2].

De même, le pays est en train de se vider de sa population qui trouve refuge dans les pays voisins. D’après l’Agence des Nations Unies pour les Refugiés (UNHCR), le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays est estimé à plus de 400 000, contre quelque 94 000 au début de l'année 2012. Environ 65 000 individus se sont enfuis en République démocratique du Congo (RDC), en République du Congo (Congo), au Tchad et au Cameroun, de sorte que le nombre total de réfugiés centrafricains est aujourd'hui proche de 220 000. Le personnel des Nations Unies et de certaines de ses institutions spécialisées qui avait été évacué au lendemain des événements de mars est revenu dans le pays. Cependant, la présence d'individus armés d'un bout à l'autre du territoire crée une forte insécurité ; des incidents, dont des attaques contre les bureaux, les entrepôts et les véhicules des institutions onusiennes et des autres organisations, continuent de se produire. Cette situation a également de graves conséquences sur l'accès humanitaire, obligeant certaines organisations à réduire ou à suspendre à titre temporaire leurs opérations[3].

L’autre fait criard concerne la santé. L’impact des récents événements est extrêmement lourd pour un système de soins qui était déjà gravement dysfonctionnel. L’instabilité et la peur de se déplacer ont drastiquement réduit l’accès aux soins, la perte de revenus économiques rend, pour la population, le paiement des soins encore plus difficile, le système d’approvisionnement en médicaments, déjà défaillant, est désormais totalement inexistant. Depuis des mois, le système d’approvisionnement en médicaments est interrompu. Autant de raisons qui présagent une aggravation du déficit sanitaire dans les prochains mois surtout pour la communauté musulmane, menacée dans plusieurs villes du pays.

 La situation est aussi alarmante concernant la malnutrition dans le pays. Des indices au niveau national, relevant des enquêtes nutritionnelles conduites en juillet 2012 montrent des taux de Malnutrition Aigüe Globale de 8% et de Malnutrition Aigüe Sévère de 1,9%, comparables aux résultats de l’enquête de 2010. Le taux de malnutrition chronique est de 38,7%. Les plus  menacés sont les enfants qui sont exposés à ce phénomène dont le risque est l’augmentation du taux de mortalité infantile. L’instabilité et le problème sécuritaire ont aggravé les questions de sécurité alimentaire préexistant : mauvaises récoltes, marchés mal ravitaillés, pillages des faibles réserves de nourritures et volatilité du prix des denrées alimentaires. Le pays n’est plus ravitaillé suffisamment par ses voisins dont le Cameroun à cause du danger qui prévaut dans le pays. Les différents fournisseurs qui approvisionnent le pays craignent pour la sécurité de leur personnel à l’exemple des chauffeurs de camion qui transportent la marchandise en RCA et qui sont pour la plupart des musulmans. Une réalité préoccupante qui interpelle la communauté internationale pour sortir le peuple centrafricain du désespoir et du chaos.

Des réponses pour l’heure improductives

Hélas! actuellement les différentes réponses pour stabiliser et pacifier le pays sont vaines. La situation sécuritaire continue de se détériorer. Si l’opération Sangaris a permis de mettre en déroute les Séléka, celle-ci n’a pas pour autant empêché les massacres et le regain de violence entre les factions musulmanes et chrétiennes. Et la présence de la Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) pour une période de 12 mois officiellement pour mettre fin à la « faillite totale de l'ordre public, l'absence de l'état de droit et les tensions interconfessionnelles » est au ralenti par rapport à ses objectifs.

La mise en place du gouvernement de transition avec à sa tête Madame Cathérine Samba-Panza n’arrange rien tant le pays reste toujours dans une situation difficilement contrôlable. A cela s’ajoutent les anti-balaka qui sont devenues un casse tête chinois pour les autorités en place et les forces internationales qui apportent leur aide à la RCA. Celles-ci sont considérées comme « des ennemis  de la paix » selon le commandant de l’opération Sangaris, le Français Francisco Soriano. Les miliciens anti-balaka sont accusés de « stigmatiser les communautés » et  d' « agresser la force Sangaris ». Un autre problème qui se pose est celui de leur désarmement. Leur arsenal[4] est composé d’une variété d’armes dont l’origine ou la provenance reste pour la plupart inconnue. Ce qui montre que le chemin vers la réconciliation nationale, sans être un vœu pieux, est encore long et parsemé d’obstacles pour qu’on revoie un jour, musulmans et chrétiens marcher ensemble main dans la main.

Comme on peut le constater, la RCA doit dépasser le clivage ethnique pour sortir de la situation dans laquelle elle se trouve. C’est une action concertée et non exclusive qui est aujourd’hui envisageable pour le pays et prenant en compte toutes les parties au conflit. La paix et l’harmonie ne pourront revenir que, le jour où les communautés musulmanes et chrétiennes décideront d’enterrer la hache de guerre. L’exemple du Rwanda et le miracle Sud-africain, doivent inspirer les Centrafricains. Et cela représente un défi pour eux et pour la communauté internationale qui doit l’accompagner dans ce long processus.

Rodrigue Nana Ngassam

[1] Journée de solidarité avec le peuple centrafricain, SAMEDI 21 DECEMBRE 2013 DE 10H00 A 20H00

SALLE RENE-ROUSSEAU- 48, RUE JULES FERRY 94500 CHAMPIGNY – SUR – MARNE, « SORTIR LE PEUPLE CENTRAFRICAIN DU CHAOS », p. 2. http://www.journaldebangui.com/files/communiques/534.pdf (consulté le 07 février 2014 à 16h 12).

[2] Ibid.,

[3] Toutes les organisations humanitaires travaillant dans le pays ont été touchées par des incidents de sécurité depuis le début de la crise. À Bangui, les bureaux et les résidences des agences des Nations Unies et des ONG internationales ont été pillés à de multiples reprises. Le personnel qui a été menacé a rapporté de sérieuses conséquences physiques et psychologiques.

[4] Il s’agit des fusils automatiques, des mortiers, des mitrailleuses légères et mêmes lourdes, des grenades, des roquettes anti -chars et des obus de mortiers etc. 

[1] La Séléka, terme qui signifie « coalition » en sango (la langue nationale), est un regroupement de partis et de leurs ailes militaires, c’est un mouvement peu cohérent en réalité composé de bandes armées très autonomes. Si ce mouvement est centrafricain, il comporte également des mercenaires étrangers, notamment soudanais et tchadiens.

[2] Explique pour metronews Philippe Bolopion, directeur auprès de l'ONU de Human Rights Watch (HRW), depuis Washington où il s'est rendu pour témoigner devant le Congrès américain.

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