Le défi de la sécurité humaine en Afrique

Nous continuons aujourd'hui notre série sur la sécurité en Afrique. Après le panorama de Vincent Rouget sur les conflits armés en 2013, Ndeye Debo Seck s'intéresse au concept de « sécurité humaine » et nous montre que les pouvoirs publics peinent encore à développer des politiques de protection des civils adéquates faces aux nouvelles menaces sécuritaires.

TW_Human SecurityLes défis qui se posent à la sécurité en Afrique sont énormes. Ils ont entre autres noms, sécurité alimentaire, mal-gouvernance,  criminalité, inégalités sociales, emploi des jeunes, faible couverture sociale, changement climatique. Véritables freins au développement économique, ils posent avec acuité le problème de la prise en charge des préoccupations et du bien-être des populations. Au-delà de la défense, de la sécurité publique et du maintien de la paix, une gestion transversale des questions de sécurité est cruciale pour les États et les populations africaines.

Des manquements à la sécurité des civils

En Afrique, la gestion de la sécurité se résume bien souvent à disposer de forces de police et de forces armées. Elles se distinguent notamment dans les opérations de maintien de la paix et la gestion des conflits. Toutefois, les foyers de tension restent vifs où la sécurité des populations civiles est mise en danger. Si la protection des biens et des personnes est en principe au cœur de leurs missions et rôles, parfois, ces forces de sécurité  manquent à leurs devoirs. Elles se distinguent ainsi par leur incapacité à faire face à des agressions.

Prises entre deux feux dans des conflits dont elles ignorent bien souvent les tenants et aboutissants,  les populations civiles paient toujours un lourd tribut. Ce sont à chaque fois des centaines de milliers de déplacés et de réfugiés qui fuient les zones de conflits pour échapper aux pillages, massacres et agressions sexuelles. Les chiffres des viols de masse devenus une véritable arme de guerre donnent froid dans le dos. Pendant le génocide rwandais, entre 300 000 et 500 000 femmes auraient été violées. Au Nord-Kivu, depuis 1996, 500 000 victimes âgées de 18 mois à plus de 60 ans ont été répertoriées.  A cela s’ajoute le phénomène des enfants soldats dans de nombreux pays comme l’Ouganda, la République Démocratique du Congo, la Somalie et le Soudan. D’après les estimations, au milieu des années 2000, près de 100 000 enfants soldats étaient actifs dans diverses zones de conflits, « certains âgés d'à peine neuf ans, étaient impliqués dans des conflits armés exposés à la violence voire à l’esclavage sexuel ».

Autrement, les forces de sécurité sont elles-mêmes impliquées dans des exactions.  En septembre 2009, 157 personnes sont tuées, des centaines blessées et de nombreux viols perpétrés par des « militaires » lors d’une manifestation contre la candidature du capitaine Moussa Dadis Camara à la présidentielle guinéenne. En août 2012 à Marikana, en Afrique du Sud,  des policiers sud-africains tirent sur une foule de mineurs manifestant pour l’augmentation de leurs salaires. 34 d’entre eux sont tués et de nombreux blessés seront poursuivis pour meurtre et tentative de meurtre avant d’être libérés.

Protection civile et sécurité sociale

Face aux incendies, inondations, naufrages, effondrements d’édifices, ou encore explosions, les capacités de relèvement et de résilience des Etats sont souvent mises à rudes épreuves.  Ils peinent alors à établir des mécanismes viables pour prévenir ou atténuer les conséquences des accidents, catastrophes naturelles et désastres écologiques.

La nuit du 26 septembre 2002, vers 23 heures, le bateau Joola sombrait au large de la Gambie, faisant près de 2000 victimes. 64 personnes furent rescapées. Le bateau transportait bien plus que les 550 passagers réglementaires. Lors d’une conférence dans le cadre de la commémoration du naufrage, deux rescapés, Patrice Auvray et Ibrahima Ndaw, qui a perdu trois enfants, dénonçaient un « deuxième naufrage », notamment la lenteur dans la mobilisation des secours et la gestion calamiteuse du dossier des familles de victimes. En effet, les secours officiels ne sont arrivés que le lendemain dans l’après-midi. Une plainte a été déposée par des familles de victimes françaises en France sans que les responsabilités n’aient été situées.

Sur le plan de la sécurité alimentaire, à un an de l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le Développement, les prévisions de la Banque africaine de développement (BAD) sont alarmantes.  « L’Afrique ne pourra nourrir que la moitié de sa population d’ici à 2015 ». Pourtant, la sécurité alimentaire figure au rang des priorités et en 2003, les Etats africains s’étaient engagés à investir 10% de leur budget dans l’agriculture. Un engagement que seuls 10% d’entre eux ont tenu. En termes d’accès aux services sociaux de base, il est problématique dans la  majeure partie du continent. L’Organisation internationale du travail révèle que seule 5 % à 10 % de la population active bénéficie d’une couverture sociale en Afrique. Alors que près de 80% de la population n’a pas accès aux soins de santé de base. Les dépenses de santé ne représentent que 4,3 % du produit intérieur brut (PIB) des Etats du continent.  Le fossé est ainsi grand entre des pays comme la Guinée équatoriale où les dépenses de santé s’élevaient à 896 dollars par personne  en 2011 et la Centrafrique ou le Niger où elles ne dépassent pas 16 dollars par habitant.

La sécurité humaine en question 

Pour pallier les besoins colossaux en investissements, une prise en charge supranationale des questions sécuritaires est plus que nécessaire. C’est à cette gestion intégrée qu’appelle le concept de la sécurité humaine développé suite au rapport du PNUD sur le développement humain de 1994. Dans son chapitre « Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine », le rapport recommande d’aller au-delà des mécanismes traditionnels de gestion de la sécurité et de prendre en compte la sûreté physique, le bien-être économique et social, le respect de la dignité humaine,  la protection des droits et libertés fondamentales. La sécurité est ainsi pensée par rapport aux conditions de vie des personnes, leur accès à l’emploi et à la santé, la stabilité politique et économique. Sur cette lancée, la Commission sur la Sécurité Humaine a été mise en place en 2000.

Quelle est la place de la sécurité humaine dans le dispositif sécuritaire des pays et institutions africains ? Quelle prise en charge  face à la résurgence de nouveaux défis tels que les effets adverses du Changement Climatique et l’urbanisation galopante ?

Il existe une volonté manifeste de prise en charge des questions de sécurité en Afrique. De nombreuses stratégies et plans ont été mis en œuvre pour prendre en charge la sécurité des biens et des personnes, le maintien de la paix, la sécurité maritime, la gestion de catastrophes naturelles et les changements climatiques. L’Union africaine dispose d’un Conseil de Paix et de Sécurité calqué sur le modèle du Conseil de sécurité de l’ONU.  Le Protocole d’Accord sur la Sécurité, la Stabilité, le Développement et la Coopération adopté en 2002, la Politique africaine commune de défense et de sécurité (PACDS) depuis 2004 et l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) sont autant d’instruments de mise en œuvre des mécanismes de veille et d’alerte pour apporter une réponse à la question de la paix et de la sécurité. Au niveau de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de 1999 et le Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne gouvernance de 2001 servent de cadre à la promotion de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest.  La feuille de route Vision 2020 décline également la stratégie de la CEDEAO pour mettre en place «  une communauté intégrée, un marché commun dynamique, une monnaie unique » et aller au-delà des États, vers une CEDEAO des peuples.  Un atelier sur "la Sécurité humaine en Afrique de l'Ouest: défis, synergies et actions pour un agenda régional" a été tenu en mars 2006. L’atelier a identifié entre autres défis à la sécurité humaine, l’extrême pauvreté, la sécurité alimentaire, la gestion de l’environnement, la gouvernance, la protection et la justice sociales. Le rapport de synthèse recommande  la sécurité humaine et la Protection Sociale comme éthique de gouvernance démocratique et la mise à profit des instruments et institutions disponibles pour la collecte, l’analyse, et l’échange d’informations. La stratégie de développement de la BAD pour la période 2013-2022 a permis la mise en place du fonds, Africa50Fund pour favoriser le financement d’économies à faible émission de carbone et résilientes au changement climatique. Plus globalement, la stratégie entend favoriser une croissance inclusive et durable avec des financements dans des  secteurs tels que les énergies propres et renouvelables, l’accès à l’eau, aux soins de santé.

La formation en matière de gestion de la sécurité est également en pleine essor. Au Burkina Faso, un Institut supérieur d’études de protection civile (ISEPC) a été inauguré en octobre 2012. L’école à vocation régionale est entièrement dédiée à la formation des acteurs confrontés aux problématiques de protection civile dans les pays d'Afrique. Quelques pays disposent de la formation en actuariat et gestion de risques, notamment l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Côte d’ivoire et plus récemment le Sénégal. Elle est souvent incluse dans des cursus dévolus à la Statistique, à l'Économie Appliquée, à l’analyse d’information ou encore à l’analyse financière. Certains instituts proposent un module en prévoyance sociale. En termes de sécurité alimentaire, de protection sociale ou encore de protection civile, les stratégies de relance sont légion. ONG, bailleurs de fonds, société civile, et acteurs sont souvent mobilisés pour apporter des réponses par une gestion intégrée des questions de sécurité alimentaire et de développement durable.

Des actions qui peuvent augurer de lendemains meilleurs pour la sécurité à l’échelle du continent. Reste pour les autorités et les acteurs du secteur à susciter la vocation chez les jeunes étudiants et à se doter des moyens de leurs ambitions par des actions concertées et planifiées et une  distribution idoines des ressources.

Ndèye Débo Seck