Pour des services d’état civil plus efficaces en Afrique

civilL’état civil est l’ensemble des dispositions légales et réglementaires dont l’objet est de situer dans le temps et dans l’espace les événements essentiels de la vie d’un être humain dont les plus importants sont la naissance, le mariage et le décès. Il désigne également la structure administrative qui s’occupe de la délivrance des documents appelés actes d’état civil. « L’état des personnes n’est établi et ne peut être prouvé que par les actes de l’état civil, les jugements ou arrêts en tenant lieu et, exceptionnellement, les actes de notoriété »[1]. Si la situation s’améliore au niveau des mairies qui délivrent généralement les pièces d’état civil, tel n’est pas le cas dans l’appareil judiciaire qui actualise rarement les casiers judiciaires des citoyens condamnés suite à des jugements prononcés. Les gouvernants africains ont lancé un appel à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire en février 2015 en vue de promouvoir l’utilisation de l’état civil et des statistiques de l’état civil pour appuyer la bonne gouvernance en Afrique[2].

Constats sociodémographiques et économiques

Les données d’état civil sont très utiles dans plusieurs domaines : démographique, administratif, juridique, économique et social. La population du continent africain est estimée à 1,111 milliards d’habitants en 2013 avec un taux de croissance annuel[3] de 2,5%, notamment en Afrique Subsaharienne.

« Les naissances, les mariages et les décès sont constatés sur des registres tenus dans les centres d’état civil selon les modalités fixées par décret »[4]. Donc les statistiques de fécondité et de mortalité devraient être constatées par l’état civil. Si elles ont connu un essor avec l’accession de la plupart des pays africains à l’indépendance ; ces données sur la fécondité et la mortalité en Afrique, ne proviennent plus que de plusieurs enquêtes et recensements organisés sur le plan mondial. L’état civil en Afrique n’est pas utilisé à des fins statistiques principalement à cause du fait que la législation dans certains pays ne prévoit pas ce volet statistique[5]. Cette législation n’envisage pas aussi le transfert de données entre la structure en charge de la collecte (état civil) et la structure en charge du traitement de ces données. Il y a encore à ce jour, des naissances qui ne sont pas enregistrées du simple fait que certaines femmes continuent d’accoucher à la maison. En outre, de nombreux décès ne sont pas déclarés auprès des services en charge de l’état civil.

La pratique des enregistrements fictifs surtout au moment de l'entrée à l’école est très répandue et peut arriver jusqu’à 80% des enregistrements dans certains zones[6]. Ce sont pour la plupart des enfants nés en dehors des centres de santé formels (structures informelles) ou ceux dont les parents n’ont pas fait aussitôt après leur naissance, la déclaration dans le registre de l’état civil. Cette situation favorise la pratique de fraude au sein des administrations africaines.

Le manque d’informations sur la couverture des enregistrements des faits d’état civil (naissances et décès), ne permet pas d’élaborer parfois de bonnes politiques économiques. Les activités pour le suivi d’élaboration de stratégies de réduction de la pauvreté biaisent les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Or ces statistiques devraient renforcer l’appui au système de collecte des indicateurs économiques (indice de coût de la construction, indice de prix à la consommation, le commerce extérieur, les comptes nationaux, etc.) afin de stimuler l’impact des politiques économiques et sociales. Suivant les dispositions du code des personnes et de la famille, dans le cas du Bénin par exemple « L’officier de l’état civil est tenu, à la fin de chaque trimestre, sous peine de sanction, d’adresser au service national des statistiques, un état des naissances, des mariages, des divorces, des décès et des enfants sans vie inscrits au cours du trimestre »[7].

Cette disposition du code n’est pas suivie et met à mal les activités d’analyses (évolution des structures de consommation des ménages, production des notes sur l’emploi, mise à jour des bases de données, publication et diffusion des résultats des différentes études et enquêtes statistiques, etc.) des services en charge du traitement des données statistiques.

D’une façon générale, des difficultés dans l’atteinte d’un important taux de fréquentation en matière d’état civil persistent encore en Afrique. Or, un faible taux d’enregistrement des événements de l’état civil ne permet pas à cette structure de jouer efficacement son rôle de banque de données fiables pouvant aider les gouvernants africains. A tout cela, s’ajoutent les fraudes que l’on constate dans les services d’établissement des actes d’état civil.

Constats sur les fraudes et les jugements supplétifs

L’état civil dans la vie des citoyens est empreint de toutes sortes de fraudes. Il y a lieu ici de signaler les cas particuliers de la falsification des actes de naissance opérés par certains usagers et ayant pour objet :

  • d’accélérer la date du début de la scolarité,
  • de faire reculer le moment de la retraite,
  • d’établir de faux liens de filiation à des fins successorales,
  • d’établir une fausse pièce d’identité (carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire),
  • de faciliter l’obtention de certains avantages matrimoniaux (mariage, divorce, rapprochement de conjoint, etc.).

La fraude peut porter sur l’acte d’état civil lui-même. Elle résulte alors de l’usage de faux actes confectionnés par des personnes ou des officines privées, d’altération de copies ou d’extraits d’actes régulièrement délivrés par les autorités locales, d’altération des registres de l’état civil par surcharge, rature, découpage et collage, de confection de vrais faux actes d’état civil constitués d’actes réguliers en la forme mais dont les événements relatés ne correspondent pas à la réalité (naissance fictive, reconnaissance mensongère, etc.).

La fraude à l’état civil a pris une ampleur toute particulière à travers essentiellement le phénomène de l’émigration. Une enquête menée par le ministère français des affaires étrangères auprès de postes diplomatiques et consulaires a permis de procéder à une estimation des actes d’état civil faux ou obtenus frauduleusement. Dans nombre de pays, la proportion de faux actes détectés par ces postes se situe entre 30 et 60 %. Elle est même évaluée à 90 % pour les Comores[8].

L’ignorance ou la méconnaissance des textes régissant le délai de déclaration d’une naissance ou d’un décès conduit certains bénéficiaires à solliciter la complicité des agents des services d’état civil pour se faire établir de faux actes en vue de régler une préoccupation de l’heure.

Beaucoup d’événements d’état civil passent inaperçus et échappent ou ne sont pas portés à la connaissance des services d’état civil. La non déclaration de ces faits, loin de conduire à des fraudes, peut s’expliquer par l’éloignement des centres d’état civil, le manque de moyens pour faire face aux frais médicaux très élevés, certaines femmes pour des normes coutumières craignent l’assistance d’un homme comme agent de santé d’accouchement, le comportement des agents chargés de prendre les déclarations, l’analphabétisme, le délai de prescription de 10 jours[9]. Toute personne se trouvant alors dans l’impossibilité de se faire établir un acte d’état civil, peut le suppléer par un jugement supplétif qui relève du Tribunal de Première Instance (TPI) du lieu de son ressort.

Les jugements supplétifs subissent aussi des manipulations au niveau des prénoms, de la date de naissance et du lieu de naissance lors de la délivrance de copies certifiées conformes aux originales. Ce qui permet à leurs titulaires de reproduire ces copies conformes qui présentent de nouvelles données. Des investigations faites au niveau de la Circonscription Urbaine de Cotonou au Bénin laissent découvrir de graves lacunes en ce qui concerne les transcriptions sur les registres d’état civil. Les jugements supplétifs homologués depuis 1997 ne sont pas encore transcrits à nos jours. Ceci est dû au non suivi et au manque de contrôle des autorités compétentes, toute chose qui favorise la fraude en matière d’état civil[10].

Il est donc évident que ces différentes manifestations de fraudes, faussent les statistiques des actes d’état civil, et par conséquent biaisent les différentes politiques élaborées par les autorités africaines.

Constats sociopolitiques et juridiques

Le droit à la personnalité juridique est une question qui revêt une importance capital. En effet, sans une identité légale, la jouissance des différents droits (liberté d’aller et venir, liberté de choisir, liberté d’entreprendre, droit à l’éducation, santé, eau et électricité, droit au travail, demande d’un titre foncier, héritier des biens, droit au mariage, etc.) est illusoire ou fortement compromise. Voilà que le système d’état civil dans la majorité des Etats africains est embryonnaire. Bon nombre de personnes sont des « sans papiers ». Cette situation n’est pas sans conséquences sur la vie des citoyens.

Formellement, des subterfuges ont parfois été trouvés pour contourner ces difficultés comme par exemple l’inscription des citoyens (ou supposés tels) sur les listes électorales sans pièces d’identité et sur la base de simples témoignages, souvent des chefs de villages ou de quartiers des villes. Ces solutions n’enlèvent rien à la responsabilité de l’État car « l’acte d’état civil constitue un droit inaliénable de la personne humaine. Il est de la responsabilité de l’État, au regard de ses engagements vis-à-vis des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme, de prendre toutes mesures nécessaires pour en assurer la pleine garantie afin que chaque Béninois soit détenteur d’une identité légale »[11].

Pour remédier à cette lacune, le Bénin a initié en 2006 le projet « Recensement Administratif à Vocation Etat Civil[12] » ou « RAVEC ». C’est une administration spéciale mise en place par le Gouvernement béninois et dont l’objectif est d’organiser, en collaboration avec les tribunaux et les communes, des audiences foraines afin de délivrer des actes de naissance aux personnes qui n’en possèdent pas. Ce projet permettra au Bénin de disposer d’un système d’état civil moderne, sécurisé et crédible répondant aux exigences de la bonne gouvernance. Le RAVEC vise donc à constituer une base de données, attribuer un identifiant à chaque béninois, rendre accessibles les actes, même en cas de perte, permettre la sécurisation et la fiabilité du système d’état civil, dorénavant numérisé et biométrique. Toutes choses qui permettront d’avoir des listes électorales, cartes d’électeurs, permis de conduire, passeports fiables, etc. Le recensement sur les registres de requérants a connu un succès considérable puisque les demandeurs d’actes de naissance (en principe seulement ceux qui ont plus de quinze ans) dans les 77 communes béninoises se chiffrent à 2 336 159 personnes[13]. La phase des audiences foraines a en effet connu quelques difficultés de parcours (vacances judiciaires, grèves des magistrats, puis des greffiers, etc.), mais début 2010, plus de 70% des requérants avaient obtenu satisfaction. Mais le volet « base de données que comporte le RAVEC, a été invalidé par la Cour constitutionnelle, car cela est du ressort du pouvoir législatif[14].

Malgré ces constats, les officiers d’état civil sous estiment le nombre croissant de fraudes répertoriées et ignorent les conséquences que cela peut avoir sur le fonctionnement normal des centres d’état civil en particulier et sur la société en général. En effet, la montée de la fraude à l’état civil peut remettre en cause la totalité des actes d’état civil délivrés par les autorités  compétentes et freiner par conséquent certains droits que doivent bénéficier les citoyens.

Pourtant, des dispositions légales et réglementaires ont été prises pour permettre à l’officier d’état civil de vérifier l’événement déclaré et la valeur probante de l’acte de l’état civil. Dans certains cas, il est même parfois habilité à refuser l’établissement d’un acte. En outre, des sanctions pénales ou administratives ont été dictées pour réprimer les agissements frauduleux. Malgré ce dispositif législatif le mal demeure. Monsieur Ousmane Massek Ndiaye[15] a reconnu que la loi seule ne peut venir à bout de ce phénomène. Il a invité à une union sacrée de tous les responsables politiques, religieux, coutumiers pour influer positivement sur les mentalités.

L'état civil à un rôle primordial à jouer dans le processus de développement de l'Afrique. De fait, il constitue un soutien fort à l'élaboration et au suivi des politiques socio-économiques. Cependant, son rôle en tant qu'appui à la planification du développement est compromis par la moindre importance qui lui ait accordé et qui se traduit par d'importantes fraudes, qui mettent davantage à mal le rôle qu'il pourrait jouer. Il est donc nécessaire, aujourd'hui d'envisager des solutions et ce d'autant plus que le numérique offre des possibilités, afin de rétablir l'état civil et d'en faire un outil pour le développement de l'Afrique. 

Nicolas Olihidé


[1] Article 33 de la Loi N°2002-07 du 24 Août 2004 portant Code des personnes et de la famille en République du Bénin.

 

[2] NATIONS-UNIES / CEA, 2015, Troisième conférence des ministres africains en charge de l’état civil, Yamoussoukro (CÔTE D’IVOIRE), 09 au 13 février 2015.

 

[4] Article 34 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[5] NATIONS UNIES / Département des affaires économiques et sociales / Division des statistiques, 2003, Rapport de la réunion d’experts sur l’amélioration des statistiques de fécondité et de mortalité en Afrique francophone, Yaoundé, Cameroun, du 22 au 26 septembre 2003.

 

[7] Article 41 alinéa 6 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[8] Extrait du document intitulé « Outils de formation en matière d’état civil » réalisé par SOUDJAY SONATAY Oumie en 2006 financé par l’UNICEF sur le site web : http://www.comores-web.com/article/la-fraude-a-letat-civil.html consulté le 24/03/2012.

 

[9] Article 60 alinéa 1 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[10] ANAGONOU AKANMOUN Philomène, 1999, Problématique de l’état civil au Bénin : cas des jugements supplétifs, UNB/ENA.

 

[11] Union africaine et gouvernement du Bénin, MAEP : Rapport d’évaluation du Bénin, pp.355 et 366.

 

[12] Décret n° 2006-318 du 10 juillet 2006  portant établissement et délivrance des actes de naissance aux personnes qui n’en possèdent pas.

 

[13] BADET Giles, 2010, Bénin, Démocratie et Participation à la vie politique :une évaluation de 20 ans de Renouveau démocratique, Une étude d’AfriMap et d’Open Society Initiative for West Africa

 

[14] Décision DCC 06-17 du 17 novembre 2006.

 

Marché de l’emploi en Afrique : les facteurs modernes de blocage

cover_mainL’emploi est l’un des besoins fondamentaux de l’être humain, car c'est un facteur d’intégration et d’autonomisation. L’Afrique est l’un des continents où on compte le plus de chômeurs, constituant de facto un enjeu social, politique et économique pour les gouvernants. De fait, la persistance du chômage peut se traduire par le développement de la criminalité (cas du Nigéria avec les « scams 419 » ou du Ghana et de la Côte d’Ivoire avec le phénomène de « broutage », qui pousse même certains à commettre des crimes dits rituels). Pour résoudre le problème, plusieurs structures tant nationales qu’internationales ont été instituées. C’est le cas d’ADEI au Cap-Vert, d’ADPME au Congo Brazzaville, d’ADEPME et du SYNAPSE CENTER au Sénégal, de l’AGRO-PME Fondation au Cameroun, d’ANPGF et du PASYD au Togo, du CIPMEN au Niger, du FORSCOT et de l’INIE en Côte d’Ivoire, du ME au Bénin et au Burkina Faso ou encore du PROMOGABON au Gabon, etc.

Le marché de l’emploi reçoit chaque année des milliers de diplômés sortis des écoles et établissements de formation professionnelle. A ceux-là, il faut ajouter la multitude de jeunes filles et garçons en fin d’apprentissage dans les structures artisanales. En 2013, l'Afrique du Nord[1] comptait 30% de jeunes chômeurs. En Afrique subsaharienne, près de 60% de jeunes sont sans travail et chaque année près de 10 à 12 millions arrivent sur le marché de l’emploi. En 2010, le taux de chômage[2] en Afrique Centrale était de 23,12%. En Juillet 2014, le taux de chômage[3] en Afrique australe a atteint 25,40%. Bien que les jeunes constituent le plus grand atout pour l’Afrique, ils rencontrent aujourd’hui de sérieux problèmes pour s’insérer sur le marché du travail, obérant leur éventuelle contribution au développement du continent. Si le chômage s’accentue en Afrique, c’est parce que  les obstacles à l’accès à l’emploi se multiplient et tiennent à plusieurs paramètres.

Le manque d’expérience professionnelle a toujours constitué le principal obstacle pour accéder à un emploi, du fait que les entreprises recherchent davantage des séniors que des juniors qu’elles auraient à former. Dans ce contexte, les contrats à courte durée (comme les stages) sont rares. Il est estimé que dans 89% des pays africains, l'offre[4] d’emplois est insuffisante pour absorber la demande. Les seuls stages existants sont offerts par l’Etat à travers les institutions nationales, dans les ministères ou par certaines sociétés privées qui disposent des ressources financières suffisantes pour rémunérer les stagiaires. Seulement ces stages ne sont pas la garantie d’une embauche et le stage peut être, parfois, reconduit, pour permettre à l’entreprise de ne pas perdre les compétences mais aussi d’avoir une main d’œuvre peu onéreuse sans être inquiétée. Ainsi les entreprises peuvent garder un candidat en situation de stagiaire pour une longue durée et en disposer à leur guise.

L’inadéquation entre les formations et les profils recherchés par les entreprises est aujourd’hui l’une des principales causes du chômage en Afrique. D’autres n’ont simplement pas l’information concernant les offres disponibles. L’absence d’informations sur le marché du travail, l’inadéquation entre formation et profils recherchés et l’attitude des employeurs sont des obstacles majeurs dans près de 49% des pays africains. Si les diplômés n’arrivent pas à s’accommoder aux compétences exigées devant les tâches à exécuter c’est surtout parce que le système éducatif n'est pas actualisé en fonction des nouvelles méthodes. En effet, la majorité des formateurs n’actualise pas leur niveau de connaissances. Les centres de formation pousse comme des champignons dans les pays africains, notamment dans le domaine des télécoms ou dans la gestion, mais très peu d’entre eux proposent des formations, avec un syllabus propre au 21ème siècle et en adéquation avec les besoins du marché. Pour celles qui proposent des formations de qualité, elles s’inspirent de modèles occidentaux, occultant le plus souvent les réalités locales. Ainsi les diplômés de ces écoles ont des profils et des prétentions salariales tels que les futurs employeurs ne peuvent se permettre de les embaucher.

Si le secteur agricole constitue une solution à la question de l’emploi en Afrique, étant donné qu'il dispose d’un potentiel énorme encore sous exploité, le profil des demandeurs d’emplois n’est pas compatible et la stratégie adoptée par les gouvernants n’est pas incitative. D’ailleurs, les différentes stratégies mises en place, invitant les jeunes dans le domaine, n’a eu que des impacts limités.  Les autorités s’appuient sur des discours laudateurs sur le secteur agricole et son potentiel, sur fonds d’études et d’avis d’experts, qui ne travaillent pas dans le secteur.  Il faudrait un discours plus pragmatique, fondé sur les témoignages d’entrepreneurs agricoles, des gestionnaires des projets mis en place et financés par les gouvernants avec l’appui des partenaires techniques et financiers (des success stories de l’agriculture). Les jeunes se sentiraient plus concernés et trouveraient un réel intérêt dans cette activité et pourraient envisager des projets pour mettre en valeur les connaissances acquises durant leurs formations et assurer le développement du secteur. 

Aujourd’hui, des verrous supplémentaires existent et empêchent sérieusement les jeunes d’accéder à l’emploi. Les gouvernements africains ne privilégient pas la cession des unités de production prioritairement aux nationaux qui disposent d’assises financières conséquentes. Ils préfèrent les concéder aux multinationales appartenant aux non africains. Ces gouvernants africains développent ainsi une propension à livrer des combats aux unités de production appartenant aux nationaux qui ne partagent pas la même opinion politique qu’eux. Dès que ces responsables nationaux résistent à les accompagner dans leurs différentes actions politiques, ils sont systématiquement pris pour cibles. Alors, ils voient leurs activités menacées (des redressements fiscaux qui n’en finissent pas) et sont obligés soit de fermer leurs entreprises, soit de s’expatrier dans un autre pays africain (éventuellement) pour mener leurs affaires. Parfois l’Etat prend possession des sociétés appartenant à des personnes privées au nom d’un soi-disant « intérêt général ». Ces unités de productions nationales ne pouvant plus continuer leurs activités, mettent en chômage les milliers d’employés qui viennent grossir le nombre des demandeurs d’emploi sur le marché du travail.

Aussi, la propension des gouvernants africains à maintenir les retraités en fonction parce que ces derniers constituent des soutiens importants dans leurs localités pour des intérêts personnels politiques, constitue un trou noir dans l’équation africaine sur le chômage. Il est courant de voir des dirigeants ou responsables à divers niveaux des sociétés ou institutions à la fin de leur carrière, continuer à travailler avec ou sans contrat. Même si à certaines occasions de recrutements, les gouvernants décident de pourvoir à des postes dans la fonction publique, dans les institutions ou dans les sociétés d’Etat, les recrutés sont pour la plupart de la même obédience politique, ethnique ou religieuse que ces gouvernants. Près de 72% des jeunes africains demandeurs d'emplois estiment que « les emplois ne sont confiés qu’à ceux qui ont des relations », ceci pour signifier leur déception vis-à-vis d’un système de gouvernance jugé injuste, parce que les relations dépendent essentiellement du milieu d’où l’on vient et d’un accès à des cercles privilégiés que la plupart des jeunes n’ont pas et qu’ils ne peuvent obtenir.

Pire, les pratiques de certains gouvernants africains consistent à distribuer des postes à des connaissances. Le favoritisme et le népotisme règnent en maître dans tous les processus de recrutement dans les structures administratives de l’Etat. Les listes sont établies avant les jours prévus pour les tests de recrutement. Les tests sont donc organisés pour la forme. S’il s’agit des chômeurs qui montent leurs propres projets pour s’auto-employer, ils sont confrontés au phénomène de chapelle politique. Ainsi leurs projets ne reçoivent pas de financements de la part de l’Administration Centrale. Il en est de même des cabinets ou organismes privés de recrutements. Les tests organisés par ces derniers souffrent souvent de transparence.

De toute évidence, des facteurs politiques, ethniques et religieux viennent pertuber le marché de l’emploi en Afrique. Dans ce contexte, l’accroissement rapide de la population africaine, qui devrait se traduire par une croissance de plus de 50 % des arrivées de jeunes sur le marché du travail d'ici 2030, constitue un défi plutôt qu’une opportunité. S’il est vrai que le marché du travail en Afrique a des problèmes structurels (éducation, asymétrie d’informations, etc.), les considérations politiques, ethniques et religieuses exacerbent la situation. Paradoxalement, ce sont ces mêmes politiques qui mettent en place des programmes de promotion de l’emploi, alors qu’ils prennent des dispositions qui inhibent l’émergence d’une industrie locale, principale source de création d’emplois, en dépossédant certains privés de leur entreprise ou en contraignant d’autres à mettre fin à leurs activités, notamment ceux ne partageant pas leurs aspirations politiques.

Les pouvoirs publics africains doivent en priorité remédier aux obstacles subjectifs que rencontrent les entreprises et les sociétés (moins nombreuses) et surtout les PME/PMI qui dominent plus le secteur privé. L’exécution des marchés publics est pour la plupart faite par des entreprises étrangères, réduisant celles nationales en sous-traitantes. L’égalité des chances doit être le maître mot des gouvernants africains. Si ces facteurs subjectifs persistent, la pression démographique s’accentuant, les demandeurs d’emplois s’augmentant, les espoirs que continuent de susciter le renouveau démocratique dans les pays africains cèderont la place aux bouleversements politiques que ne contiendront pas les autorités politiques. En effet, si l’environnement économique ne permet pas aux PME de se développer pour créer plus de la richesse (le taux de survivance des PME/PMI sur le marché étant de plus en plus faible), elles ne peuvent pas absorber la main d’œuvre importante, constituée en majorité de jeunes dont la frustration peut engendrer d’importants remous sociaux (on se rappellera de la Tunisie en 2011).

Le secteur formel subit des perturbations dans son épanouissement avec sa faible capacité de création d’emplois. Il est caractérisé encore par de graves insuffisances liées à la qualité des emplois mis sur le marché (qualifications requises, la sécurité et la couverture sociale). Le secteur informel, même s’il constitue un handicap pour corriger ces difficultés, reste encore un recours pour les actifs en quête d’une occupation quelconque. Si le secteur informel est combattu dans presque tous les pays africains, son intégration dans le tissu économique et la bonne application des textes réglementaires sur le travail pourraient permettre de bloquer le phénomène d’inflation galopante de la main d’œuvre qu’on observe chaque année sur le continent africain.

Nicolas Olihide


[1] OIT, 2013, Etudes réalisées sur le marché du travail en Afrique.

[2] COMMISSION ECONOMIQUE POUR L’AFRIQUE, 2013, Rapport sur les ODD pour l’Afrique Centrale, appuis du PNUD, UA et BAD.

[3] http://fr.tradingeconomics.com/south-africa/unemployment-rate consulté le 18 Mars 2015.

[4] Enquêtes réalisées auprès des experts-pays des PEA 2012,  37 pays africains au total.

[7] BAfD, OCDE, Pnud, CEA (2012), « Perspectives économiques en Afrique 2012 » ; et Beaujeu R., Kolie M., Sempere J-F. et Uhder C. (2011), « Transition démographique et emploi en Afrique subsaharienne : comment remettre lemploi au coeur des politiques de développement », À savoir no 5, AFD, MAE, 217 p., Paris.

Quand l’informel s’impose : cas du Bénin

image_galleryLe secteur informel est considéré depuis toujours comme un secteur de survivance pourvoyeur d’emplois précaires. Cette vision du secteur a perdu du terrain car le secteur informel joue de plus en plus un rôle socio-économique fondamental dans les pays en développement. Malgré toutes les tentatives des autorités gouvernementales pour amener les acteurs du secteur à se formaliser, les activités informelles prennent de l’ampleur au point où elles sont devenues un élément essentiel dans le fonctionnement et la régulation sociale. 98% des entreprises au Bénin sont individuelles et évoluent dans le secteur informel[1]. L’administration béninoise adopte des comportements qui confortent les partisans des acteurs informels. Aujourd’hui presque tous les secteurs d’activités de l’économie béninoise contiennent une part informelle.

Le domaine agricole est majoritairement informel. Le Bénin tire une grande partie de sa richesse du secteur primaire (38% du PIB) dont l’agriculture est une composante principale (75%), surtout de la culture du coton qui représente plus de 85% des exportations béninoises[2], contribuant ainsi fortement à la création de richesse. Selon les estimations des autorités béninoises, l’égrenage de 50000T de coton augmente le taux de croissance de 1%.

De façon indirecte, le secteur informel est l’un des principaux fournisseurs de l’administration centrale. Lorsque les entreprises formelles sont sollicitées par l’administration publique pour la fourniture des produits tels que les matériels informatiques, les matériels de bureau ou encore des matériaux de construction, ces dernières s’approvisionnent auprès des marchands informels. Surpris en train d’acheter des matériels en quantité importante auprès de vendeurs ambulants nigérians, une entreprise contractante auprès de l’Etat indique que "ce sont des matériels électriques que je m’apprête à aller livrer dans un département ministériel; mais avant de remettre les produits je les mettrai dans des emballages préfabriqués". Ainsi les produits acquis dans l’informel, en provenance essentiellement du Nigéria ou du Togo, font l’objet de reconditionnement par des unités économiques formelles avant d’être livrés à l’administration. Le Gouvernement béninois à travers la Loi de finances de 2015 a pris l’option d’accorder une place prépondérante aux artisans locaux (majoritairement informels) pour les besoins de l’administration publique (près de 60% des achats envisagés).

Les commerçants informels n’ont en aucun cas recours au système bancaire et très rarement aux services de la microfinance dans les éléments constituant leurs capitaux. C’est dire que beaucoup d’entre eux ne pensent pas domicilier leurs revenus dans des structures financières officielles. Ils gardent toujours leurs revenus dans leurs maisons, évitant certainement l’administration fiscale. Cette attitude, très générale, est liée à la crise bancaire qu’a vécue le Bénin pendant la période révolutionnaire marxiste léniniste de 1972 à 1989. Les acteurs informels empruntent auprès des structures tontinières pour leurs investissements. Ces entreprises tontinières exercent dans des domaines réservés le plus souvent aux banques et aux sociétés d’assurances. Il est souvent constaté de nos jours que ces structures tontinières octroient des crédits à des petites unités de production et reçoivent des épargnes à court et à moyen termes comme le font les assureurs. Elles sont devenues quasiment un substitut aux compagnies d’assurance. En effet, les Béninois sont de plus en plus réticents à souscrire aux polices d’assurances (surtout celles relatives aux produits Vie). Même si la pauvreté peut expliquer cet état de chose, il y a des comportements développés par les assureurs eux-mêmes en cherchant à jouer tous les rôles y compris l’intermédiation, s’octroyant du coup les avantages y afférent. Malgré le référentiel tarifaire de la Direction des Assurances (DA), chaque société d’assurances se préoccupe de collecter les primes ou cotisations sans se soucier de l’obligation de règlement de sinistres. Les clients potentiels préfèrent se rendre auprès des gestionnaires des entreprises tontinières pour solliciter les services de ceux-ci. Ce qui fait que la cession des produits Vie diminue par rapport aux produits IARDT (l’assurance automobile étant obligatoire selon la réglementation en vigueur au Bénin). Pire les Polices Santé sont concurrencées par le RAMU[3] et les autogestions sanitaires faites par certaines entreprises. A cela il faut ajouter le système sanitaire qui est envahi par des pratiques informelles : administration des soins, commercialisation des produits pharmaceutiques issus du circuit informel aux patients par les animateurs des hôpitaux publics ou privés agréés.

S’appuyant sur les différents éléments d’appréciation mentionnés ci-dessus, il est évident que l’environnement institutionnel et juridico-administratif actuel du Bénin est inadapté aux activités informelles engendrant ainsi un nombre de contraintes qui nuisent aussi bien à l’émergence qu’au développement des unités économiques informelles. En 2014, les clients des 13 banques opérant sur le territoire du Bénin ont permis à celles-ci de réaliser un chiffre d'affaires de 2820 Milliards[4] de FCFA. Si on considère que le taux de bancarisation au Bénin est de 15,69%, et que les acteurs informels devraient aussi appartenir à la clientèle des ces institutions financières, ils leur auraient permis de réaliser en plus un chiffre d'affaires de près de 15000 Milliards de FCFA. L’informel constitue une niche d’opportunités qu’il faudrait saisir au lieu de le combattre avec véhémence, d’autant plus que la situation de précarité qui prévaut dans de nombreux pays africains, permet d’installer durablement ce secteur. En effet, la contribution du secteur informel dans l’économie nationale mérite qu’on y accorde une attention particulière. Lors du forum sur « Le secteur informel et développement économique du Bénin », il a été proposé la mise en place d’un cadre réglementaire et fiscal simple, et de la densification des relations entre Etat, le Secteur informel et le Secteur formel, afin d’envisager une restructuration du secteur informel, et d’en faire un contribuable. Une solution qui pourrait certainement permettre d’associer pleinement le secteur informel à l’économie. Ainsi, un secteur informel mieux organisé, peut participer à la création de richesse, contribuant ainsi efficacement à l’essor économique d’un pays.

Nicolas Olihide


[1]Dans le journal « Le Matinal » n° 3387 du 02/07/2010, (2ème Recensement Général des entreprises initié en Octobre 2008)

[2] Indicateurs macroéconomiques sur le Bénin de 2005 à 2099.

[3] RAMU : Régime d’Assurance Maladie Universelle mis en place et géré par le Gouvernement béninois.

[4] BENIN/MFE, 2014, http://french.china.org.cn/foreign/txt/2015-02/15/content_34826442.htm, consulté le 16 Février 2015.