Obama et la « Bande des quatre »

Jacques Foccart raconte dans ses mémoires que parlant des Chefs d’Etat africains, De Gaulle lui dit un jour ceci : « Foutez-moi la paix avec vos nègres ; je ne veux plus en voir d’ici deux mois, vous entendez ? Plus une audience avant deux mois. Ce n’est pas tellement en raison du temps que cela me prend, bien que ce soit déjà fort ennuyeux, mais cela fait très mauvais effet à l’extérieur : on ne voit que des nègres, tous les jours, à l’Élysée. Et puis je vous assure que c’est sans intérêt. »
 
Imaginer que de tels propos puissent sortir de la bouche de Barack Obama serait saugrenu. Pour la dernière phrase cependant, on nuancerait presque le propos. Une éternité après la saillie de Charles de Gaulle, en effet, on pourrait, avec un brin de témérité, se figurer le premier président afro-américain des Etats Unis, disant à Johnnie Carson, le monsieur Afrique de son administration, qui lui parlerait d’audiences à accorder aux leaders africains : « Je vous assure que c’est sans intérêt » avant de consentir à en recevoir quatre à la fois histoire de ne pas avoir l’impression de les voir, à la Maison Blanche, tous les jours.
 
Les présidents du Sénégal, de la Sierra Léone, celle du Malawi ainsi que le premier ministre du Cap-Vert ont été reçus, ce 29 mars, à la Maison Blanche afin d’être félicités pour les acquis démocratiques observés dans leurs pays.
 
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(crédits photos : Pete Souza – Official White House Photo)
 
A la sortie de son entrevue de quinze minutes avec Barack Obama, Macky Sall a confié aux journalistes avoir invité son homologue américain à lui rendre visite à Dakar.  Là,  on n’a pas pu s’empêcher de s’imaginer le président sénégalais inviter, dans le même temps, les présidents du Canada, du Mexique ainsi que celle du Brésil et les recevoir tous les quatre ensemble avant de leur accorder des tête-à-tête d’un quart d’heure, à tour de rôle. Pas sérieux tout ça. C’est en fait la preuve, par l’absurde, qu’en acceptant ce traitement, ces dirigeants ne forcent pas le respect. Ils se décrédibilisent en entrant à la queue leu leu dans le bureau ovale. De plus cette mise en scène triste ou comique – c’est selon – n’a concrètement, en terme de retombées sur leurs pays respectifs, aucun intérêt pour utiliser le bon mot de l’autre.
 
Les spécialistes affirment que depuis l’élection de Barack Obama en novembre 2008, les investissements de l’Amérique vers l’Afrique ont diminué. Georges Bush, notamment dans le financement des programmes anti sida, a fait mieux dans ce domaine que son successeur dit-on. Après l’euphorie ayant entouré son élection, Obama a tôt fait de rappeler à tout le monde que l’Afrique, c’est moins de 5% du commerce extérieur américain. Il y a juste eu un certain regain d’intérêt en matière de sécurité, d’influence géostratégique et de lutte contre le terrorisme.
 
Quand, voyant la Chine étendre son influence à coup de milliards de dollars (entre 2001 et 2011, le commerce entre le géant asiatique et le continent est passé de 20 à 120 milliards de dollars), certains conseillers ont commencé à insister sur l’urgence de contrer la Chine en Afrique, sans en faire une véritable priorité, le président a laissé sa secrétaire d’Etat d’alors, Hillary Clinton, s’occuper de la gestion de ce dossier.
 
Que Barack Obama ne porte pas beaucoup de considération à une région dont il juge l’impact sur le maintient de l’influence de son pays dans le monde insignifiante est somme toute normale (certains disent que dans le même ordre d’idées, il a un peu délaissé la vieille Europe pour les nouvelles opportunités offertes par l’Asie). Les américains l’ont élu et réélu pour qu’il s’occupe de leurs problèmes, et il fait de son mieux pour mériter leur confiance. Ce qui gêne en revanche, c’est l’attitude de ses homologues africains qui semblent considérer une réunion et quelques petites minutes d’aparté avec lui comme un succs diplomatique sans autre égal ou une merveilleuse consécration politique.
 
Au lendemain de son élection, beaucoup d’Africains se sont mis à rêver d’un nouvel allié sur la scène internationale lorsqu’il s’agirait, par exemple, de prendre position sur des questions à grands enjeux telles que la redéfinition des règles du commerce mondial ou l’obtention pour l’Afrique d’un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. Les plus réalistes avaient pourtant prévenu qu’il éviterait au contraire de renvoyer à son électorat un tropisme africain, qu’il serait, sur le fond, un président américain comme un autre, ne bousculant donc en rien les règles établies, même si sur la forme il s’efforcerait à renvoyer une image plus reluisante que celle de son prédécesseur. Cependant, l’obamania ambiant ne laissait pas beaucoup de place au retentissement d’un tel son de cloche.  
 
En juillet 2009, lors de sa première visite sur le continent, Obama prononçait, à Accra, un de ces discours dont il a le secret. « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais de fortes institutions » martelait-il devant un auditoire conquis. Aurait-il eu besoin de nous en administrer la preuve, qu’il n’aurait pas fait autre chose qu’obliger nos « hommes forts » à se mettre en quatre littéralement pour pouvoir entrer dans le saint des saints.
En août 2010, il accueillait, à la Maison blanche, plus d’une centaine de jeunes africains pour discuter de leur « vision de l’Afrique pour les 50 ans à venir ». Recevoir leurs représentants de la même manière que ces groupes de touristes qu’il croise de temps à autre dans son palais ne faisait certainement pas partie des idées de l’avenir qu’ils lui ont exposées.
 
Macky Sall raconte qu’en réponse à son invitation, Obama lui a assuré qu’il étudierait, lors de sa prochaine visite en terre africaine, la possibilité de passer par Dakar. Comme pour dire : je ne me déplace généralement pas pour visiter spécialement un pays africain, je choisis un créneau libre dans mes quatre ans de mandat et je visite, à coup de vent, les pays où je peux me rendre à ce moment là. Vous aurez peut être la chance d’en faire partie.
 
Au moins, il a un langage qui sied à sa fonction. Toujours correct et charmant même lorsqu’il vous envoie un peu promener…

Les agences de presse en Afrique: entretien avec le journaliste Ibrahima Bakhoum

sud_Ibrahima-Bakhoum Le défi de la production et du contrôle de l’information sur l’Afrique a très tôt été un enjeu pour les jeunes Etats du Continent. Une vingtaine d’années après la vague des indépendances, ces pays décidaient de mettre sur pied une agence panafricaine de presse pour ne plus seulement consommer l’information venue d’ailleurs. Cependant l’expérience a tourné court.
C’est de cet échec et d’autres aspects historiques dont nous parle le journaliste sénégalais Ibrahima Bakhoum dans cet entretien. Un éclairage bienvenu au vue de l’actualité, la crise au Mali notamment, qui a vu les Africains se contenter, une fois encore, de reprendre la production des médias occidentaux.

L’actuel directeur de publication de Sud Quotidien est un journaliste à l’ancienne. Il parle de son métier avec passion, surtout lorsqu’il aborde ses années d’agence, quinze ans pour être précis, et sa vision des formes que devraient revêtir la pratique journalistique.

Pouvez vous revenir sur les spécificités de l’agence de presse dans le monde de l’information ?

Vous savez, l’agence de presse est en fait la source principale d’information des journalistes quand ils ne sont pas sur le terrain eux-mêmes. C’est pourquoi on avait l’habitude de dire des agenciers que c’étaient les journalistes des journalistes. Non pas qu’ils écrivent mieux que d’autres, non pas qu’ils soient plus professionnels mais c’est la nature de leur organe, leur spécificité. Tout à fait au début, la première agence de presse, Reuters, envoyait ce qu’on appelait de l’information télégraphique. C’était un style très court, très alerte, Pour aller très vite et donner l’essentiel de l’information. On s’abonnait en fil par le téléscripteur. Donc on pouvait venir chercher l’information ; et le journaliste de quotidien, de périodique et de radio se chargeait de développer l’information à partir de ce que l’agence lui apportait. Voilà un peu ce que c’était, c’était vraiment la matière première du journalisme : collecter, traiter rapidement, être précis, honnête dans le traitement, envoyer. C’était ça la fonction de l’agence et c’est toujours la même chose.

Quel a été le contexte et le processus de création des agences de presse en Afrique ?

Il faut dire qu’en Afrique nous sommes tous, dans nos pays, héritiers ou de la Couronne britannique ou de la République française. Quelqu’un avait l’habitude de parler de l’APS (Agence de Presse Sénégalaise) comme de la doyenne des agences de presse en Afrique. Cette agence a été créée en avril 1959. Depuis il y en a eu beaucoup ; au fur et à mesure que les pays arrivaient à l’indépendance, ils en créaient. L’agence était considérée comme la voix du gouvernement et quand c’étaient des partis-Etat, la voix du parti au pouvoir. Tous les autres supports du pays étaient obligés de se brancher sur ce réseau là pour être informés. Si nous prenons le cas du Sénégal, parallèlement à l’agence nationale, il y avait des centres régionaux implantés à l’intérieur du pays, dans les capitales régionales, départementales où le public venait s’informer. Ce qui fait que ce sont les gens qui travaillaient dans ces centres régionaux qui ont été par la suite reconvertis en correspondants de l’agence nationale. Ailleurs en Afrique les gens ont essayé d’imiter la même chose : créer une agence, en faire la voix du gouvernement à côté de la radio. Certains n’avaient pas encore de journal mais au moins il y avait une radio qui était là. La radio a régulièrement été très présente. Par la suite les africains se sont rendus compte qu’avec l’influence des cinq majeurs, à l’époque : Reuters la britannique, AP et United Press International les américaines, TAS la soviétique, AFP la française, on avait voulu jusqu’ici leur donner l’information avec le regard, le commentaire, les préoccupations, les intérêts des autres. L’Afrique avait voulu être plus présente, l’agence panafricaine (PANA) a été lancée par l’OUA en 1979. Dakar a été retenue comme siège parce qu’on avait une technologie qui s’y prêtait et en plus il y avait l’expérience. Son premier directeur était un nigérien du nom de Cheikhou Ousmane Diallo.

Ne pensez vous pas qu’en passant d’une situation où ils recevaient tout des agences étrangères à une autre où ils distillaient l’information selon leurs intérêts, les Etats africains soient allés d’une extrémité à l’autre ?

Progressivement, en effet, la PANA recevait et traitait les informations émanant des agences nationales qui avaient des points de vue différents, devenant donc une sorte d’entonnoir qui déversait sur le grand public ce que les agences nationales disaient en terme de propagande.

Pourquoi un pays comme le Maroc a très vite senti l’avantage d’investir dans ce domaine et pas les autres?

En fait tout le monde a senti tout de suite cet avantage. Parfois il se pose seulement un problème de moyens. Le Maroc avait son Maghreb Arabe Presse mais à côté il y avait la Tunisie Afrique Presse, Algérie Presse Service, L’Agence de Presse Sénégalaise était là, la NAN au Nigéria, le MNA était au Caire. En fait tout le monde avait son agence.

Le Maroc avait estimé que si l’OUA voulait faire du Sahara Occidental un Etat indépendant ayant droit de regard sur tout ce qui concerne les dossiers africains, il n’y trouverait plus son compte. Il est sorti de l’OUA mais en sortant de l’organisation, dans le contexte de l’époque, on quittait aussi tout ce qui était contrôlé par elle y compris la PANA. Alors Rabat a continué avec sa MAP jusque dans les années 2000. A ce moment là, les autorités marocaines se sont rendues compte qu’il y avait peut-être intérêt à chercher à parler à l’Afrique avec sa propre voix, avec sa propre agence panafricaine. La MAP ne faisait pas l’affaire, peut- être en terme d’options. Les Marocains ont mis sur pied l’Agence de Presse Africaine. Il n’y avait que des sénégalais au départ, le siège étant à Dakar. Aujourd’hui, ses bureaux sont presque partout en Afrique et le groupe a des correspondants aux Etats Unis, en France, à Bruxelles…

Peut-on travailler librement dans une agence lorsqu’on sait que ceux qui la financent ont toujours des intérêts à préserver ?

Dans une agence comme dans toute autre chose, c’est la même chose partout. Celui qui met son argent quelque part a un intérêt à le mettre là pour une raison ou une autre. Les gens ont leurs intérêts, les gouvernements et les bailleurs ont également les leurs. Les journalistes doivent seulement rester professionnels. 

Pensez vous qu’aujourd’hui les agences et plus généralement la presse africaine prennent efficacement en charge les préoccupations du continent, compte tenu de la pression que les Etats exercent généralement sur elles ?

L’Etat ne peut fermer l’information. Elle circule partout, elle circulait avant, aujourd’hui encore plus notamment par les réseaux sociaux. Si un Etat pense qu’il faille fermer le vis à ces médias, les gens vont aller chercher l’information ailleurs. Dans tous les cas aujourd’hui il est devenu extrêmement difficile de fermer un pays. Il y en a qui le font mais en tout cas ça demande tellement de moyens que le mieux pour un gouvernement assez intelligent c’est, je crois, de libéraliser et de laisser les gens travailler. Maintenant il s’agira pour les journalistes d’être responsables et professionnels.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière de journaliste d’agence ?

Mais je ne saurai dire ce qui m’a marqué car il y a plein de choses qui vous marquent dans tout ça. J’ai l’expérience de l’Agence de presse sénégalaise puis celle de la période de collaboration avec la PANA. Il y a tellement de choses qui vous marquent dans une carrière comme ça. En tout cas professionnellement ça m’a appris à être concis, à aller très vite à l’information, à déceler une information dans une masse de choses. C’est un énorme avantage d’avoir été agencier.
 

Entretien réalisé pour Terangaweb – L’Afrique des Idées par Racine Demba. 

Au Burkina, le Sankarisme sans charisme des héritiers !

SankaraThomas Sankara c’était d’abord une présence, des images fortes semblables à celles le mettant en scène, un jour de novembre1986, avec un François Mitterrand abasourdi devant tant de sincérité, d’aplomb et de suite dans les idées. Au milieu d’un long discours sur la dignité des peuples et l’égalité entre eux, le jeune chef d’Etat disait au président français ceci : « Monsieur François Mitterrand, nous n’avons pas compris comment des bandits, comme Jonas Savimbi, des tueurs comme Pieter Botha, ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours. » Après la sentence, un toast pour finir, porté à « l’union de luttes contre ceux qui, ici, en France et ailleurs, nous exploitent et nous oppriment. Pour le triomphe de causes justes, pour le triomphe d’une liberté plus grande, pour le triomphe d’un plus grand bonheur »

Sankara c’est aussi des anecdotes comme celle racontée par Mignane Diouf, président du Forum Social Sénégalais, lors de la récente semaine Sankara qui s’est tenue à Dakar du 14 au 19 janvier 2013.

A Addis-Abeba, en juillet 1987, durant le sommet de l’OUA, il s’est passé une scène peu commune. Un membre de la délégation burkinabé est venu, à l’heure du déjeuner, dire à son président le coût de la restauration. Ce dernier le jugeant excessivement élevé posa à son interlocuteur la question suivante « Pensez vous qu’il soit juste que nous soyons là à nous payer des repas à des prix exorbitants alors que chez nous des milliers de personnes ne mangent pas à leur faim ? » Puis il demanda à sortir du palais des congrès de la capitale éthiopienne pour chercher, dans la ville, de la nourriture à un prix raisonnable. Avant cet épisode, la délégation venue du pays des hommes intègres s’était contentée, pour se désaltérer, de l’eau du robinet. Monsieur Diouf rapporte qu’en retournant en salle de conférence, il eut cette remarque qui fit sourire son auditoire : « nous verrons si, une fois dans cette salle, ceux qui ont mangé cette nourriture tellement chère seront plus pertinents que nous. »
C’est pour ces grands moments et ces petites histoires qui appelaient, par l’exemple, à un changement de comportements et de mentalités que, parlant de l’action de ce leader charismatique, on a utilisé le mot révolution.

La révolution Sankara

« Il faut choisir entre le champagne pour quelques uns et l’eau potable pour tous » aimait à dire Thomas Isidore Noel Sankara. Né en 1949, il devint en 1976, à seulement vingt sept ans, commandant du Centre national d’entrainement commando de la Haute Volta. Il rencontra, la même année, Blaise Compaoré. De là naquit une grande amitié entre les deux hommes. Avec d’autres, ils fondèrent, au sein de l’armée, le Regroupement des Officiers Communistes. Nommé, à la suite d’un coup d’Etat, secrétaire à l’information dans le gouvernement du colonel Save Zerbo en septembre 1981, il rend le tablier sept mois plus tard. Il explique s’être senti à l’étroit dans ce gouvernement et ponctue sa déclaration par un retentissant : « honte à ceux qui bâillonnent le peuple ». Il revient au pouvoir au début de l’année 1983, en tant que premier ministre, à la faveur d’un nouveau coup d’Etat survenu quelques semaines auparavant et qui portait, cette fois, à la tête du pays le médecin militaire Jean Baptiste Ouédraogo. Il ne reste à la tête du gouvernement que quatre mois avant d’être mis aux arrêts à cause de divergences avec le président sur certaines orientations politiques.

Un quatrième coup d'État dans ce pays jusqu’alors très instable, survenu le 4 août 1983, place Thomas Sankara à la présidence du Conseil national révolutionnaire. Il définit son programme comme panafricaniste et anti-impérialiste. Le pays change d’appellation. La « dénomination d’emprunt » Haute Volta est remplacée par un nom plus traditionnel : Burkina Faso. Son gouvernement remplace notamment les voitures de luxe de l’administration par des Renault 5, fait la promotion de la culture locale et retire aux chefs traditionnels les pouvoirs féodaux qu'ils continuaient d'exercer. Après avoir fait de la lutte contre la gabegie son cheval de bataille et jeté les bases de la bonne gouvernance, il réalise trente deux barrages en quatre ans alors que depuis l’indépendance on peinait à atteindre le cinquième de ce chiffre. Avec les cinéastes du FESPACO, il initie aussi la « bataille du rail » entre autres idées révolutionnaires.

Cependant certains observateurs ont relevé, au bout de quelques temps, la fin de l’état de grâce. Beaucoup de burkinabés semblaient ne plus suivre le rythme effréné des réformes de celui qu’ils appelaient affectueusement Thomsank, avec le même enthousiasme. Les CDR (Comités de défense de la révolution), qui eurent tendance à se comporter en milice révolutionnaire faisant parfois régner la peur, ont certainement contribué à ce relatif désenchantement d’une partie de la population.

Pour le reste, les deux moments cités en début d’article résument, en partie, ce qui a perdu Sankara. Ses attaques frontales contre les puissances occidentales (sur la dette par exemple) et l’exigence dont il faisait montre envers ses concitoyens en ont en effet irrité plus d’un. Pour s’en débarrasser et préserver par la même occasion leurs intérêts menacés, les premiers se sont alliés aux plus malléables parmi les seconds.
Ainsi le 15 octobre 1987, Thomas Sankara fut assassiné lors un putsch mené par Blaise Compaoré. Au bout de quelques jours, Un médecin militaire le déclarait : « décédé de mort naturelle ».

thomas-sankara-2La gestion de l’héritage

Le titre de cet article peut paraitre dur à certains égards. Cependant il ne s’agit nullement de porter un jugement de valeur sur les hommes respectables parmi ceux qui essaient encore d’entretenir la flamme du sankarisme au pays de Compaoré. Parler d’un manque de charisme des leaders de ce mouvement nous a semblé, toutefois, fort à propos dans la mesure où, aucun d’entre eux n’a su se présenter comme rassembleur de cette grande famille. En effet, personne au Burkina Faso, n’a, à défaut d’avoir l’envergure de Sankara, réussi à se hisser,au moins, au rang d’héritier pouvant inspirer une partie du peuple et lui donner des raisons d’avoir foi en l’avenir.

Le parti sankariste UNIR/PS (Union pour la Renaissance/Parti Sankariste), dirigé par Benewendé Sankara (aucun lien de parenté) dispute cet héritage à d’autres formations. Fidèle Toé, compagnon de lutte de Thomas Sankara et membre de ce parti, en est convaincu : « La plupart des mouvements se réclamant du sankarisme, aujourd’hui, n’ont aucune légitimité. Parfois même c’est le gouvernement burkinabé qui les finance pour discréditer ceux qui sont crédibles aux yeux des populations ». Norbert Tiendrébéogo, une autre figure de cette famille hétéroclite, soutenait, récemment, que malgré ses multiples pôles, il n’y a pas : « une famille politique plus unie que celle des sankaristes du Burkina ». Son argument massue ? « Il y a beaucoup plus de parties se réclament du socialisme mais personne n’en parle ».

Romain Conombo, quant à lui, déclarait, pince sans rire, au journal Sidwaya en 2006, alors qu’il portait sur les fonts baptismaux un nouveau parti d’obédience sankariste, que la diversité des partis sankaristes constitue une force. « Les gens s’identifient de plus en plus au sankarisme. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de mouvements qui se réclament du sankarisme ». Dans un article paru sur Terangaweb il y a prés de deux ans, Ismael Compaoré dressait un portrait peu reluisant des sankaristes et de l’opposition burkinabé en général.(1)

 L’héritage de Sankara ne saurait, cependant, se confiner en son seul pays. Dans toute l’Afrique des leaders d’opinion, hommes politiques ou autres, la revendiquent. Mais force est de constater, là encore, qu’il est difficile de voir, aujourd’hui, un leader dont on pourrait dire ou croire qu’il marche sur ses traces en terme d’idéologie, d’offre politique et de refus de toute domination extérieure.

Pour le journaliste sénégalais Baba Diop, le constat est là : « On est à la mort de l’idéologie sankariste. L’idéologie libérale tend à dominer l’idéologie panafricaniste ». Difficile, en se basant sur les faits, d’affirmer le contraire.
Thomas Sankara a dit un jour ces mots : « Tuez Sankara, des milliers de Sankara naitront ». Il est urgent que ces milliers de jeunes, de femmes et d’hommes, dont il est question, se réapproprient son message et les valeurs qu’il a défendues au péril de sa vie afin de contribuer à l’amorce d’un nouveau départ pour l’Afrique.

Racine Demba

 

http://terangaweb.com/a-quoi-ressemble-lopposition-au-burkina/ 

Congrès de l’ANC : And the winner is Cyril Ramaphosa !

Après le premier exercice en octobre 2012, qui avait mis l’accent sur le renouvellement des élites politiques en Afrique, la rubrique Analyse politique de Terangaweb revient avec un focus de trois articles consacré à un pays phare du continent. Il nous a paru essentiel de commencer par l’Afrique du Sud, première économie du continent, nation chargée d’histoire, qui a vécu, des décennies durant, un racisme d’Etat, laboratoire d’un socialisme africain engagé dans la lutte pour la libération de l’Afrique australe et pays de la plus grande icône politique d’Afrique, Nelson Mandela. Ce focus commence par un papier de Racine Demba sur le dernier congrès de l’ANC sanctionné par la réélection confortable de Jacob Zuma face à son challenger Kgalema Mothlante. Felix Duterte reviendra ensuite sur l’état (inquiétant) de la liberté de la presse en Afrique du Sud avant le papier final de Vincent Rouget consacré au devenir de l’Afrique du Sud post Nelson Mandela.

Hamidou ANNE
  Responsable de la rubrique Analyse politique

 

photo congres ANCLe congrès de l’ANC a vécu en cette fin d’année 2012. Trois enseignements majeurs en sont ressortis : la confirmation, prévue, du chef, les tiraillements, plus que jamais violents, au sein de la famille et le positionnement, moins évident à priori, d’un leader au style différent. En effet, si Jacob Zuma a été réélu sans surprise à la tête d’un parti pourtant miné par des dissensions internes, la promotion de Cyril Ramaphosa comme commandant en second de ce puissant appareil politique en a interpellé plus d’un. 

Le triomphe de Zuma

Avant ce congrès, comme dans toute grande élection, des médias, d’Afrique du Sud et d’ailleurs, ont essayé, tant bien que mal, d’entretenir un certain suspense. A défaut de pouvoir présenter un challenger réellement dangereux pour Zuma, ils ont épilogué sur l’ampleur qu’allait revêtir la victoire du président. Finalement, c’est renforcé par 75% des suffrages qu’il reste aux commandes de l’ANC. Son challenger, Kgalema Motlanthe, jusque là vice-président du parti et du pays, s’est présenté au dernier moment, sans beaucoup d’illusions, du propre aveu de voix autorisées de son camp. Une candidature de principe donc pour alerter sur les « dérives » d’un Zuma accusé de tous les pêchés d’Israël. Accusations allant de son populisme jugé outrancier à sa légèreté supposée en matière économique en passant par des frasques incessantes dans sa vie privée. Toutes choses, pourtant, qui ne l’ont pas empêché de triompher, haut la main, de ses détracteurs.

Pourquoi Zuma reste-t-il si populaire, malgré tout, auprès d’une frange majoritaire de sa famille politique ? La réponse est certainement à chercher, à la fois, dans son histoire, son style ainsi que ses démêlés avec les milieux d’affaires. Jacob Zuma est encore perçu, par beaucoup, à juste titre d’ailleurs, comme un héros de la lutte anti-apartheid qui a donné de sa personne (prison, clandestinité, exil) pour l’émergence de la démocratie dans son pays. En outre, il y a le style Zuma, son aisance de tribun rompu au dialogue avec les masses, la façon dont le petit peuple sud africain s’identifie à lui, le savoir-faire avec lequel il tient son bastion électoral, le Kwazulu Natal, ses talents de fin tacticien du jeu politique. Cet aspect rejoint le dernier qui est que, dans la perception de ce même petit peuple, le fait que le chef soit à couteaux tirés avec des milieux qui n’ont pas toujours bonne presse est en soi une qualité, un avantage, une posture qui tend à rassurer.

Le climat interne à l’ANC


L’ANC est un parti qui connait actuellement de profondes mutations ainsi que beaucoup de remous. Les différentes branches de l’opposition interne se sont réunies, à l’occasion de ce congrès, autour de Kgaléma Mothlante pour affronter Jacob Zuma. On pouvait distinguer dans le lot, les jeunesses du parti en délicatesse avec le chef depuis l’éviction de Julius Malema, les milieux d’affaires, anxieux de l’état jugé déplorable de l’économie du pays sous Zuma, enfin tous les indignés du traitement de la récente affaire de la mine de Marikana par le gouvernement. Motlanthe n’a cependant pas voulu affronter son adversaire de manière frontale. Il s’est ainsi déclaré sur le tard après une campagne discrète et terne ; face à une bête politique de la dimension de son adversaire, ces erreurs stratégiques ne pardonnent pas, d’où sa cuisante défaite. Il ne faut cependant pas penser qu’après ce succés éclatant, toutes les divergences soient aplanies, bien au contraire. Le problème de l’ANC est plus profond, il est structurel. D’ailleurs, certains continuent de croire que Zuma risque d’être fragilisé par ce climat interne combiné à son bilan économique discutable lors de la présidentielle de 2014, les plus téméraires allant jusqu’à parier sur sa non candidature. L’ANC aurait en tout cas, selon eux, tout intérêt à lui trouver un challenger crédible. La mise sur orbite de Cyril Ramaphosa devient, dès lors, vue sous cet angle, d’un enjeu de la plus haute importance.

ramaphosaLa donne Ramaphosa

Au pays de Nelson Mandela, on aime les chansons qui racontent une histoire – de préférence une histoire d’amour de la liberté – ; et les bons mots se référant à la période de l’apartheid. L’un d’entre eux, peut être moins populaire par rapport à d’autres, dit que, durant toute la période de lutte contre l’Apartheid, le père de la nation arc-en-ciel n’a réellement porté, parmi ses frères d’armes, que deux hommes : l’un sur son dos, l’autre dans son cœur. 
Le premier s’appelle Oliver Tambo. Au début des années soixante, pour venir à bout du régime de l’apartheid, Mandela avait entrepris un périple dans plusieurs capitales africaines dont Dakar afin d’obtenir l’aide nécessaire pour se procurer des armes. Lorsqu’il arriva à son rendez vous avec le président Senghor, il eut la mauvaise surprise de voir l’ami qui l’accompagnait, Oliver Tambo, président de l’ANC en exil, piquer une crise et presque perdre connaissance. Il ne voulut pas le laisser là pour aller chercher de l’aide. Il le porta sur son dos jusqu’au bureau du premier président sénégalais. L’autre se nomme Cyril Ramaphosa. Si Mandela, alors au pouvoir, avait eu l’opportunité de désigner son successeur, c’est lui qu’il aurait choisi.

Né il y a soixante ans à Soweto, Matamela Cyril Ramaphosa a un parcours que l’on peut qualifier d’atypique. D’abord leader Syndical, co-fondateur du puissant syndicat des mineurs (NUM), il est par la suite devenu une personnalité incontournable de la scène politique nationale, en témoigne le rôle crucial qu’il a joué, en tant secrétaire général de l’ANC, dans les négociations pour une issue pacifique de l’Apartheid et pour l’organisation des premières élections libres et transparentes dans son pays. Après le refus des caciques du parti d’accéder à la requête de Mandela consistant à l’accepter comme son dauphin, il démissionne de ses mandats et migre vers le monde des affaires avec beaucoup de succés. Aujourd’hui, chef d’entreprise prospère, il siège ou est à la tête des conseils d’administration de très grandes firmes, le magazine Forbes le présente même comme l’un des hommes les plus riches d’Afrique avec une fortune estimée à 675 millions de dollars.

C’est cette ubiquité à la limite de l’antinomie qui constitue, à la fois, sa plus grande force et son talon d’Achille. Passer de syndicaliste militant à richissime homme d’affaires n’est, en effet, pas anodin surtout dans un pays gangrené par les inégalités sociales. Ramaphosa devient ainsi, pour nombre d’observateurs, la somme des caractéristiques principales d’un Thabo Mbeki et d’un Jacob Zuma. Comme Mbeki, il est crédité d’une grande compétence en matière économique et dispose de ce fait de la confiance des milieux d’affaires sans toutefois donner l’impression d’être coupé de son peuple – principal reproche fait à Mbeki – son passé militant plaidant en sa faveur. Comme Zuma, il est encore considéré, malgré son statut de businessman de premier plan, comme un tribun par une grande partie de la population. Il garde une bonne côte de popularité chez les sud africains les plus démunis mais aussi – là se trouve la différence fondamentale avec Zuma – chez ses collègues des hautes sphères de la finance. Pour ses détracteurs, il est tout bonnement passé à l’ennemi, se souciant plus aujourd’hui des intérêts des grands groupes économiques que de ceux des travailleurs ou du sort de ses compatriotes les plus défavorisés. Sa position lors des récents évènements survenus dans la mine de Marikana, disant que, face aux mineurs grévistes, la police devait prendre ses responsabilités pour faire régner l’ordre, est venue les conforter dans cette conviction. 

Une chose est néanmoins sûre, en le choisissant comme numéro deux (avec 76,4% des voix), l’ANC s’est trouvé une alternative de choix à Jacob Zuma en cas de non candidature de ce dernier à la présidentielle de 2014. Si l’actuel président finissait par se présenter (en 2009 il avait promis de ne faire qu’un mandat mais aujourd’hui son discours sur le sujet n’est plus aussi tranché), Cyril Ramaphosa pourrait toujours, en cas de victoire, accrocher le poste de vice-président qui lui serait alors promis et attendre patiemment 2019 pour enfin briguer le suffrage des Sud-africains. En espérant que Madiba soit encore là pour le voir, lui son ancien protégé, dévorer les dernières marches devant le conduire au sommet.

Racine Demba

Sénégal : les multiples facettes du Magal de Touba

magal de ToubaLe mardi 1er janvier 2013 se tiendra dans la ville sainte de Touba (centre ouest du Sénégal), l’édition annuelle du grand Magal. Environ trois millions de pèlerins sont attendus pour ce qui représente, au sein de la communauté mouride, le plus grand évènement de l’année.

L’origine du Magal


Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur de la confrérie mouride, s’était assigné une mission de résistance face au colonisateur et de réhabilitation de l'Islam, non par la prise des armes mais par une action sur les consciences (Djihadou nafsou). Dans la matérialisation de ce dessein, il fut arrêté et exilé durant douze ans (sept au Gabon puis cinq en déportation en Mauritanie). Il a aussi été placé cinq autres années en résidence surveillée au Djoloff et durant toutes les années qu'il demeura à Diourbel (centre du Sénégal) où il rendit l’âme le 19 juillet 1927. Son deuxième khalife (successeur), a tenu à faire de l’anniversaire de son départ en exil au Gabon (en 1895), date que les mourides comméraient déjà, un grand moment de rassemblement, de retrouvailles et de ferveur dans la ville sainte de Touba. Cette initiative marque la naissance du grand Magal tel que nous le connaissons actuellement.

Le Magal politique


De tout temps, Touba a jouit d’un intérêt certain venant de la classe politique sénégalaise. Cet intérêt se manifeste encore plus durant la période du Magal. Les hommes politiques, de tous bords, se pressent auprès du khalife et des autres grands dignitaires mourides pour marquer le coup, recueillir des bénédictions et parfois faire passer des messages à l’endroit des disciples. C’est aussi l’occasion d’observer la différence d’approche d’un marabout à l’autre dans leurs rapports avec les hommes politiques, notamment ceux du pouvoir. Certains marabouts n’ont pour préoccupation que le bien être de leurs concitoyens surtout les plus défavorisés et ne se font pas prier pour le faire comprendre à leurs visiteurs alors que les autres ont une approche quasi mercantiliste des choses. En effet, leur soucis premier est de tirer avantage de leurs relations avec les hommes du pouvoir par l’obtention de privilèges indus.
Aujourd’hui, beaucoup divisent la descendance du Cheikh en deux parties distinctes : ceux qui perpétuent ses enseignements en promouvant ses valeurs et ceux qui, pour des intérêts personnels, le plus souvent pécuniaires, tendent à dévoyer l’héritage du saint homme.

L’héritage de Cheikh Ahmadou Bamba


L’héritage de Cheikh Ahmadou Bamba est au moins double. Elle est dans le domaine des enseignements de la religion musulmane d’abord, mais aussi au plan de l’idéologie politique née de son combat contre le pouvoir colonial français. C’est surtout ce second aspect que nous prenons le parti de survoler ici.

Dans son essai « Cheikh Ahmadou Bamba missionnaire de l’universel »(1) Moustapha Samb, docteur en communication et enseignant chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, revient sur ce legs d’une très grande importance. Ainsi, avance-t-il, à la fin de son ouvrage, après avoir offert au lecteur une plongée dans l’histoire hors du commun du saint-homme, adossé à des recherches et à une bibliographie très riche, que : « quand un homme (…) arrive à se dresser, sans arme, sur la route des colonialistes et à les empêcher d’imposer leur style de vie, leur vision, leur culture, leur religion en cette fin du 19eme siècle où toutes les résistances étaient quasi vaincues, il mérite qu’on se donne la peine de s’attarder et de réfléchir sur les sources du courage, de la détermination et de l’assurance qu’il a incarnés. » Cette attitude de résistance a perduré chez les mourides même après l’indépendance du Sénégal. Pendant longtemps, ils ont rechigné à envoyer leurs enfants à l’école française. Aujourd’hui encore, les écoles qui dispensent les enseignements en langue française – la langue officielle du Sénégal – ne sont pas autorisées à s’installer à Touba. Cela pose, selon certains, un problème de cohérence. Pour ces derniers, dans une République, l’école doit être la même pour tous. Cependant chez d’autres, l’analyse du phénomène est plus profonde. Ils la lient à cette nécessité de revoir l’architecture et le contenu de nos programmes éducatifs basés, non pas sur les enseignements de figures nationales qui ont œuvré et écrit pour l’émancipation et l’avancement de nos peuples, mais sur un héritage colonial consommé sans trop de discernement. Pour ces derniers, continuer à nous former, à nous voir à travers les écrits des autres est une aberration et les mourides par leur trajectoire historique ont un grand rôle à jouer dans ce nécessaire changement de paradigme qui doit concerner l’ensemble de l’Afrique.

Moustapha Samb tient aussi à réhabiliter une vérité historique, de son point de vue occultée, par ces mots : « Cheikh Ahmadou Bamba était l’incarnation de l’âme, la dignité, l’identité et la personnalité des africains. Sa résistance ressemble à une leçon de civilisation, de noblesse qu’il a infligée aux occupants. Pionnier dans sa démarche car sa philosophie de la non-violence était jusqu’ici inconnue des colonisateurs. » Il est : « le premier non violent dans l’histoire des résistances. Il est donc précurseur face à Gandhi, Martin Luther King et tous les autres résistants. L’histoire de l’humanité doit retenir ce nom, Cheikh Ahmadou Bamba, le seul résistant à atteindre tous ses objectifs missionnaires sans verser une seule goutte de sang. »

L’économiste Sogué Diarisso, dans son ouvrage « Mémoires pour l’espoir »(2) va plus loin. Par sa théorie des forces motrices – ici valeurs propres à un peuple capables d’impulser son développement – il donne sa contribution sur la manière pour nos pays d’accéder au développement. « Nous devons envisager de développer comme substrat principal nos identités propres, car l’on ne duplique pas chez soi les valeurs d’un autre pour faire mieux que lui. Ce sont des sortes de lois sociologiques du développement ou plutôt une question de bon sens », dit celui qui a été, en tant que directeur de la statistique notamment, au cœur de tous les programmes de développement de son pays ces dernières années. Pour lui ce qu’il faut à nos pays pour avancer c’est : « de puissantes forces motrices… mues par des courants de pensée…assez puissantes pour transcender les clivages ethniques, sociaux, religieux et confrériques. » Elles doivent inculquer la valeur du travail, se départir de cette dépendance vis-à-vis de l’occident et être inspirées par des hommes qui sont : « une source de fierté nationale » et qui ont « une préoccupation de développement soit dans leur action quotidienne soit à travers leur philosophie. » Sogué Diarisso trouve en Cheikh Ahmadou Bamba toutes ces qualités. Selon lui, une appropriation de son héritage, expurgée précise-t-il, de toutes ces contre-valeurs promues des individus se réclamant de son école, qui tendent à la dévoyer, serait un moyen efficace d’amorcer un nouveau départ.

Le Magal économique


L’idée des autorités sénégalaises, notamment sous Abdoulaye Wade, de faire du grand Magal de Touba un jour férié avait en son temps soulevé de nombreuses réactions contradictoires au Sénégal. 

Une équipe constituée d’économistes et de spécialistes de plusieurs disciplines liées avait en 2011, sous la direction de Moubarack Lo, saisi l’occasion pour montrer, à travers une étude, l’impact de cet évènement sur l’économie du pays. On peut lire dans ce document (3) que Touba accueille 3 millions de pèlerins pendant 48 heures et que c’était plus ou moins similaire au Hajj, qui était la source de développement de la Mecque avant l’apparition du pétrole et aux « Moussems » des grands Saints au Maroc. Le Magal reste l’évènement attendu par les habitants de la ville comme nombre de sénégalais et d’étrangers pour faire fleurir leur business. Pendant sa durée, les entreprises, tous les secteurs confondus, voient leurs chiffres d’affaire augmenter grâce au dynamisme du tourisme religieux et des transferts d’argent. L’étude de Moubarack Lo se veut d’abord une approche micro et méso économique des aspects économiques et commerciaux liés à l’évènement et ensuite une approche plus globale allant dans le sens de l’impact sur les grands agrégats de l’économie nationale. Ainsi, elle a pu mesurer l’impact sur la consommation, la mobilisation de l’épargne, les taxes indirectes, les transferts de fonds, la croissance de l’économie.

La conclusion qui émane de ce travail basé sur des enquêtes minutieuses et l’utilisation des moyens humains, scientifiques et techniques adéquats est que le Magal génère une augmentation du volume d’activités de plusieurs secteurs économiques nationaux et qu’il constitue un apport considérable dans le tissu économique local.
 

Racine Demba

 

Moustapha Samb, "Cheikh Ahmadou Bamba missionnaire de l'universel, Negre international Editions, 2010, 138 p.

Sogué Diarisso, Mémoire pour l'espoir, L'Harmattan, 2012, 218 p. 

Lien vers l'étude dirigée par Moubarack Lo http://www.majalis.org/news/pdf/549.pdf

 

 

« Notre culture » hurlent-ils, pitoyables!

La culture ! Voilà un concept fort relatif dans lequel certains esprits ne se privent pas de mettre à peu prés tout. Pour s’engager dans une périlleuse tentative de définition, disons que c’est un référent, un modèle codifié, la somme des traditions, des coutumes, des valeurs… d’une communauté. Afin de faire plus simple et plus cérébrale à la fois donc plus élégant, certains disent de la culture que c’est ce qui restera lorsqu’on aura tout oublié. Mais le propos n’est pas ici d’épiloguer sur le sens philosophique d’une notion somme toute familière. Nous voulons parler de la culture, dans un contexte surtout africain, en tant que pensée, moteur d’une action politique, alors doctrine à certains égards ; et de la culture comme posture, caution d’une option politique.

Dans la première acception du terme nous avons eu, depuis des décennies, de Cheikh Anta Diop à Sogué Diarrisso en passant par Kwamé Nkrumah, Thomas Sankara ou Dambisa Moyo, une littérature fournie et des idées directrices à méditer pour dire le moins. Citons, pour étayer ces dires, l’ouvrage ‘’Mémoire pour l’espoir’’ de l’un des principaux concepteurs des plans de développements du Sénégal des quinze dernières années, Sogué Diarrisso, dans lequel il explique, à partir de son expérience personnelle, comment l’Afrique se trompe en suivant aveuglément les chemins du développement tracés par les bailleurs occidentaux et pourquoi il est impératif de bâtir les plans pour l’émergence du continent sur un socle, et à partir d’un substrat culturel propre à chaque pays. Position que défendait déjà Cheikh Anta Diop des décennies plutôt, à la différence prés que pour l’auteur de ‘’Nations nègres et culture’’ ce substrat culturel est commun à tous les pays d’Afrique noire, il est à chercher dans notre ascendance égyptienne.
Il y a ensuite la deuxième acception, à laquelle nous portons un plus grand intérêt dans cette réflexion : la caution, l’alibi culturel agité par certains hommes politiques, en écho à des pans entiers de la population africaine, pour vendre et justifier leur action ou plutôt leur inaction. Sur des sujets aussi variés que l’excision, les enfants de la rue, les mariages forcés, la corruption, la gérontocratie, pour ne citer que ceux là, il existe toute une doctrine savamment entretenue pour expliquer le sur place, le laisser aller et le laisser faire des décideurs par un ‘’culturisme’’ ridicule.

Excision, mendicité, mariages forcés

L’excision ou mutilation génitale féminine est une pratique encore considérée, dans plusieurs parties de l’Afrique comme une marque de reconnaissance d’une jeune fille dans sa société. Elle représente un gage de préservation de la virginité féminine. Elle permettrait aussi à la femme de pouvoir procurer du plaisir sexuel à son futur partenaire. Cette pratique est défendue dans plusieurs pays par de puissants chefs religieux et coutumiers. Les dirigeants de ces pays qui ont pourtant pris des engagements auprès des organismes internationaux et d’une partie de leur opinion publique semblent souvent la tolérer. En effet pour ne pas se mettre à dos des porteurs de voix à la tête d’un important électorat, ils trainent les pieds dans la répression et convoquent volontiers les aspects traditionnels de la chose et ‘’notre culture’’ pour expliquer leur inefficacité à venir à bout de ce qu’ils assimilent eux-mêmes à un fléau à bannir définitivement.

Au Sénégal, les enfants de la rue sont devenus, par la force des choses, une plaie faisant partie intégrante du décor. On les reconnait dans les rues de Dakar à leurs pieds nus, leurs haillons, le pot de tomate ou de beurre vide qu’ils trainent pour y mettre les restes de repas ou toute autre pitance qu’on consent à leur offrir. Ces petits, se comptent par milliers à travers le pays. Au départ, ils sont confiés à des maitres coraniques pour un apprentissage du Coran. Parmi ceux-ci, certains, peu scrupuleux, les envoient mendier en leur fixant une somme à verser le soir sous peine souvent de s’exposer à de sévères punitions. C’est ce que certains ont appelé « la mendicité économique » par opposition à une « mendicité alimentaire » qui bien qu’autant décriée semble moins pernicieuse. Ceci, sans compter toutes les exactions et tous les abus auxquels ils s’exposent quotidiennement. Malgré l’arsenal juridique dont le Sénégal s’est doté, notamment la loi du 29 avril 2005, les autorités trainent encore les pieds dans la mise en œuvre de leurs propres résolutions. Il n’est point rare d’ailleurs d’entendre un homme politique, ventant les mérites de la mendicité, affirmer qu’envoyer les enfants tendre la main est une bonne école de la vie au regard de ‘’notre culture’’.

Quant aux mariages précoces, ils unissent le plus souvent et contre leur volonté, des adolescentes à des hommes beaucoup plus âgés qu’elles. Ils sont encore légion en Afrique et dans certains cas, donnent lieu purement et simplement à des actes de pédophilie. La pédophilie justement, un concept importé de l’occident par des africains acculturés selon les défenseurs des mariages précoces, parmi lesquels quelques uns de ceux qui sont censés lutter contre. Pour eux, entre autres raisons de son maintien, cette pratique existait du temps des ancêtres, il n’y a aucune raison alors de renoncer à la perpétuer. Ce serait en fait un élément d’identification de ‘’notre culture’’.

Corruption et détournement de deniers publics

A la fin de l’année 2009, le microcosme politique sénégalais était secoué par l’affaire Ségura. Alex Ségura bouclait un séjour de trois années, dans ce pays en tant que représentant-résident du FMI, pendant lesquelles il a été très critique à l’égard du régime d’Abdoulaye Wade. Dans la foulée de son départ, l’affaire éclate : il a reçu, juste avant de prendre l’avion, une mallette remplie de grosses coupures d’euros et de dollars. Le fonctionnaire retournera finalement l’argent au gouvernement sénégalais. Cependant le mal était déjà fait. Le FMI se salissait d’une nouvelle tâche sur son costume austère de gendarme de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption. Le premier ministre sénégalais d’alors, pour expliquer pourquoi son mentor avait remis une telle somme à un fonctionnaire international dans un pays où les infrastructures sociaux les plus élémentaires font, à certains endroits, cruellement défauts, appela à son secours ‘’notre culture’’ qui nous impose quand un hôte nous quitte de lui donner un cadeau, la valeur du cadeau étant proportionnelle à l’envergure de l’hôte.
Il faut dire que cet épisode mémorable se passait dans le contexte d’un pays où un ministre pouvait déclarer, sans risque, sur un plateau de télé : « Je suis un service d’aide social ambulant, les gens viennent me voir à mon domicile pour m’exposer leurs problèmes. Ma culture m’impose de trouver le moyen de les aider ». Sous entendu, lorsque mon seul salaire ne suffit pas à satisfaire cette demande, un impératif culturel me pousse à puiser indument dans les caisses de l’Etat pour gérer toute cette demande.

Gérontocratie

« Un vieillard de 90 ans ne ment pas » voilà en substance ce que déclarait le rappeur Thiat du mouvement Y’en à marre lors d’une manifestation pré-électorale pour le retrait de la candidature de Wade. On était à la veille des joutes de février/mars 2012 qui allaient emporter le vieux président. Ce dernier avait reconnu l’impossibilité pour lui de se présenter à un troisième mandat avant de se raviser par un ma waxon waxeet (Je l’ai dit ? Eh bien je me dédis) désinvolte resté dans les mémoires. La déclaration de Thiat lui vaudra une arrestation par la police et des critiques venant de partout. Chez nous en effet lorsqu’un vieillard ne dit pas la vérité, il n’est pas de bon ton de le dénoncer. ‘’Notre culture’’ l’interdit.
Plus récemment Mamadou Diouf, professeur émérite d’histoire, à la Columbia University de New York a subi une volée de bois vert à son encontre pour avoir commis le crime de lèse majesté qui consiste à critiquer le monument Amadou Hampathé Ba au mépris de ‘’notre culture’’. Ce n’est pas tant qu’on soit d’accord ou non avec Diouf qui importe ici, mais qu’on lui reconnaisse au moins le droit d’aller à contre courant des idées d’un penseur quelque grand qu’il fût. Le droit de soutenir par exemple que : «La plus grosse bêtise qui est jamais sortie en Afrique, c’est de dire qu’en Afrique quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle» parce qu’on doit plus compter sur les jeunes que sur le pouvoir gérontocratique pour penser le futur et parce qu’une telle assertion suppose une non transmission du savoir entre générations.

Nous pensons que notre culture, celle à laquelle nous nous adossons, ou devons nous adosser, pour construire un idéal, pour penser le futur, cette culture là ne cautionne ni les mutilations, ni les abus sur des enfants, ni le fait de les abandonner à leur sort dans la rue. Elle n’admet ni la prévarication, ni la corruption, ni le mensonge éhonté et lorsqu’elle donne aux anciens une place privilégiée dans la société c’est pour qu’ils soient des sages, non des fauteurs de troubles, accepter le débat d’idées, donc la critique, étant une des qualités premières par lesquelles on reconnait la sagesse.
Notre culture n’est pas la somme de tous ces défauts inhérents à notre nature. Elle n’est pas non plus une compilation de nos incohérences ou la chronique de nos prises de positions opportunistes. Elle constitue plutôt, nous en sommes convaincus, un élément essentiel de ce qui en nous mêmes, contribue à nous rendre meilleurs.

Racine Demba

Rwanda – RDC: les dessous d’une guerre larvée

La récente admission du Rwanda au Conseil de Sécurité de l’ONU en tant que membre non permanent a ravivé les tensions entre Kigali et Kinshasa. En effet, la République Démocratique du Congo a activé, en vain, tous ses leviers diplomatiques pour que son encombrant voisin ne puisse bénéficier de pareille reconnaissance sur le plan international. Cet échec de la RDC confirme une fois de plus le grand bon diplomatique réussi par le Rwanda depuis près de deux dernières décennies. A coté d’une situation économique de plus en plus fleurissante, Kagamé est en passe de faire de Kigali une capitale diplomatique qui compte en Afrique.

Retour sur un conflit qui dure depuis près de deux décennies et dont les effets continuent à être dévastateurs pour cette zone géographique au potentiel énorme.Massacres, viols, mutilations, non accès à l'assistance humanitaire, destruction d’écoles et d’hôpitaux, enlèvements d’enfants incorporés de force aux groupes armés… Les conséquences dramatiques du différend entre frères ennemis rwandais et congolais sur la population civile sont légion. Ce conflit dont l’origine est au croisement de considérations ethniques, de raisons économiques et de calculs géostratégiques impliquant d’autres pays, voisins ou non, fait de l’immense terrain de chasse qu’est devenue la RDC, une zone d’instabilité chronique.

Tout part du génocide rwandais de 1994 qui a vu le massacre organisé de la population d’ethnie tutsie par des membres de l’ethnie hutue. Après l’arrêt du génocide et la prise du pouvoir par les Tutsis sous la houlette de Paul Kagamé, des centaines de milliers d’Hutus fuyant les représailles des nouveaux hommes forts de Kigali se sont réfugiés dans l’Est de ce qui était à l’époque le Zaïre avec la bienveillance de Mobutu.

A Kigali on est très vite convaincu que les camps de réfugiés nés de cette situation sont sous la coupe des milices hutues Interahamwe et de membres hutus de l’ancienne armée rwandaise, donc de génocidaires. Sous prétexte qu’ils préparent une invasion, la nouvelle armée rwandaise convoque la nécessité de défendre son intégrité territoriale pour occuper cette partie orientale du Zaïre. Mais derrière cette raison militaire se cache une autre beaucoup moins avouable, corroborée notamment par un rapport de l’ONU à l’époque : le dessein de Kigali est aussi, à terme, de faire main basse sur une partie des richesses du Zaïre. Comme pour donner du grain à moudre aux tenants de cette thèse, le Rwanda, qui rejette pourtant les accusations de l’ONU, arme d’abord les rebelles tutsis zaïrois Banyamulenge puis, avec l’Ouganda, l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila.

Ce dernier, avec l’aide de ces deux pays, parvient à évincer Mobutu du pouvoir en 1997. Il rebaptise le pays République Démocratique du Congo (RDC). Un an plus tard, en 1998, il décide de tourner le dos à ses alliés après en avoir trouvé d’autres jugés moins encombrants. Ainsi se sépare t-il de son chef de cabinet rwandais James Kabarebe, celui là même dont le général tutsi congolais Laurent Nkunda, entré en rébellion, dira quelques années plus tard, alors qu’on lui reprochait son allégeance à Kigali, qu’il a été le mentor de Joseph Kabila – héritier de son père à la tête de la RDC. Par conséquent, à en croire ces allégations, Kabila fils était lui aussi quelque part membre de l’armée rwandaise car formé dans le maquis par Kabarebe. Un raccourci hâtif certes mais qui en dit long sur l’influence que le Rwanda cherche à cultiver chez les dirigeants congolais.
Influence dont Laurent Désiré Kabila tenta toujours de se départir. Ses deux alliés traditionnels jugèrent alors opportun de le renverser mais c’était sans compter avec l’intervention de ses nouveaux alliés (Angola, Zimbabwe, Namibie, Libye, Tchad, Soudan) qui ont vu tout l’intérêt, d’ordre militaire parfois (démantèlement des bases de l’UNITA au sud de la RDC pour l’Angola) mais surtout économique qu’ils pouvaient chacun tirer de la situation compte tenu des trésors que renferme le sous-sol congolais. Cette démarche de Kabila père produira ce qu’on a appelé la deuxième guerre du Congo ou la première guerre continentale africaine. Elle dura quatre années (1998-2002).

Les accords de paix de Lusaka d’abord en 1999, puis Pretoria et Luanda en 2002, sont venus stabiliser relativement la région avec notamment le départ des 20 000 soldats rwandais présents dans l’Est de la RDC. Cependant, en dépit de tous ces accords, de ceux qui ont suivi (Nairobi 2006), de la présence de casques bleus et de l’organisation d’élections nationales qui ont conforté Joseph Kabila, de nombreux groupes armés souvent sponsorisés par des gouvernements étrangers continuent à opérer sur le territoire congolais. Cette instabilité chronique anéantit toute possibilité de développement du pays et de normalisation des relations entre Kinshasa et Kigali.

Une bonne partie de la population civile congolaise ne voit ainsi toujours pas la fin de cette guerre qui, de par sa durée, la multiplication de ses acteurs, le caractère à la fin illisible des revendications, des alliances et des parties prenantes, résiste à toute forme de bilan chiffré. En effet, nul ne sait exactement le nombre de victimes directes et indirectes engendrées par le chaos qui prévaut depuis des décennies dans le Kivu

Le Rwanda que plusieurs rapports de l’ONU, dont il vient d’accéder au Conseil de Sécurité, ont pointé du doigt ces dernières années quant à sa responsabilité conjointe avec l’Ouganda dans le pillage des ressources congolaises, continue de clamer sa légitimité sur toute une partie orientale de la RDC sous prétexte que cette zone, riche en ressources minières, serait « historiquement rwandaise ». Autant le dire sans nuance : tant que ce point de vue sera défendu par Kigali, la guerre larvée entre ces deux pays ne connaitra pas son épilogue.

Racine Demba

Wael Ghonim, le pharaon 2.0

Un jeune homme en larmes devant des millions de téléspectateurs. Un homme blessé, effondré à la vue d’images de jeunes tués par les bras armés du régime finissant de Hosni Moubarak. Nous sommes le 7 février 2011, une Egypte bouleversée, meurtrie par la mort de ses enfants mais déterminée à donner le coup de grâce à son Raïs, découvre sur la chaîne Dream TV, un héros d’un genre nouveau.

Wael Said Abbas Ghonim, né le 23 décembre 1980, est diplômé en informatique de l’Université Américaine du Caire. Lorsqu’éclatent les manifestations qui conduiront à la chute de Moubarak, maître incontesté de l’Egypte pendant trois décennies, il est responsable marketing de Google pour le Proche Orient et l’Afrique du Nord à Dubaï. Dans cette vie paisible entourée de sa femme et de ses deux enfants, Wael Ghonim n’en suit pas moins de très prés la situation dans son pays. D’ailleurs, depuis juin 2010, il administrait la page Facebook : "Nous sommes tous Khaled Saïd", dédiée au jeune blogueur arrêté et battu à mort par la police du régime. Cet hommage que lui et d’autres internautes tenaient à rendre à ce jeune homme a permis de nouer des liens qui ont constitué, selon beaucoup d’observateurs ,un élément déterminant dans le lancement des contestations de janvier 2011.

Le 23 janvier, Wael Ghonim rentre au Caire pour prendre part, deux jours plus tard, à la première de cette série de grandes manifestations de la place Tahrir qui auront raison du pouvoir despotique installé trente ans plus tôt au pays des pharaons. Premier grand succès !

Mais alors que le mouvement est décidé à surfer sur sa dynamique populaire, Ghonim montra quelques signes d’inquiétude : « Priez pour l’Egypte. Je suis très inquiet car il semble que le gouvernement envisage un crime de guerre demain contre des personnes. Nous sommes tous prêts à mourir », écrit il sur sa page Twitter. Il est arrêté dans la foulée et conduit dans un lieu secret. Sa famille et ses amis n’auront aucune nouvelle de lui durant plus d’une dizaine de jours. Ses proches, son employeur Google et Amnesty International se mobilisent pour sa libération. «Les autorités égyptiennes doivent immédiatement indiquer où est Wael Ghonim et le relâcher, ou l'inculper d'une infraction pénale» déclare Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe d'Amnesty International pour le Moyen et l'Afrique du Nord qui, poursuivant sa plaidoirie, fait comprendre aux autorités qu'elles seraient tenues responsables de tout ce qui pourrait arriver à celui que les habitués de la place Tahrir surnomment affectueusement : « le maire ».

La mobilisation finit par porter ses fruits. Après exactement douze jours de détention, Google annonce la fin de la captivité de son employé. Le soir de sa libération, il accepte d’être interviewé par la journaliste Mona El Shazly pour un grand moment de télévision que Ben Wedeman de CNN assimilera à un tremblement de terre. Pourtant durant l’émission, on voit un homme hésitant, mal a l'aise devant la camera, qui bafoue et cherche constamment ses mots. Les yeux baissés, il martèle fébrilement ses convictions : « J’aime l’Égypte »; « Je ne suis pas un traître ». « Aucun étranger ne m’a demandé de faire ce que j’ai fait ». Une fébrilité qui n’occulte aucunement sa détermination. De cette émotion ressort l’envie et la force de continuer la lutte qui furent symptomatiques de la révolution dans laquelle des millions de ses compatriotes, assis devant leur poste téléviseur, se retrouvent parfaitement. Lorsque la chaîne montra des photos de jeunes souriants et pleins de vie, victimes de la répression du pouvoir, l’invité craque. D’une voix entrecoupée de sanglots, il présente ses condoléances aux familles de victimes. Il ne savait, explique t-il, ce qui se passait dehors durant tout ce temps. Il affirme que le mouvement devait être pacifique mais le régime en a décidé autrement. « Nos manifestations étaient pacifiques, notre mot d’ordre était “pas de sabotage” » assure t-il. Puis d’ajouter avant de quitter précipitamment le plateau, les larmes aux yeux : « Je voudrais aussi vous demander, s'il vous plaît, ne faites pas de moi un héros. Je ne suis pas un héros, j'ai dormi pendant douze jours. Vous êtes les vrais héros, vous qui descendez dans la rue.»
Héros malgré lui donc car sur les bords du Nil plus qu’ailleurs la révolution a eu besoin de s’identifier à une image, une icône qui portait la voix du peuple de Tahrir. Qu’elle soit incarnée par un geek, se voulant ordinaire, n’ayant d’autre prétention que celle de participer anonymement au changement en cours dans son pays ne fait qu’accroitre le sentiment de proximité envers lui qu’éprouve chaque citoyen ayant épousé la même cause, et l’affection qu’il lui porte.

«Le vent insufflé par Wael Ghonim, sa sincérité, son patriotisme, qui ont pénétré les salons égyptiens, vont enflammer cette révolution» écrivait, sur Twitter, un internaute après l’émission sur Dream TV. La prédiction se révèlera exacte. De la place Tahrir, où il tint un jour à faire cette précision: « J'aime à appeler ça la révolution Facebook mais après avoir vu les gens ici, je dirais que c'est la révolution du peuple égyptien. », comme ailleurs dans le pays, « le maire » et d’autres continuerons à entretenir la flamme de la contestation jusqu’à l’annonce de la démission de Moubarak. Le magazine Time le consacrera par une place de numéro un sur sa liste des 100 personnalités les plus influentes de l’année 2011 aux côtés d’Ai Weiwei, Mark Zuckerberg, Julian Assange entre autres. Mouhamed El Baradei, autre grande personnalité égyptienne, écrivait aussi ceci à son propos : « un jeune homme brillant (…) qui a compris que les réseaux sociaux et notamment Facebook, devenaient l'outil le plus puissant pour développer les idées et mobiliser les gens (…) Il a aidé à lancer une révolution pacifique extraordinaire, qui a abouti au départ d'Hosni Moubarak et la fin de son régime (…) Merci Wael, merci à la jeunesse égyptienne. »

Après avoir crié avec toute une génération égyptienne le fameux « dégage » qui a eu raison de Moubarack, Wael Ghonim a quitté Google pour créer une ONG utilisant les NTIC dans la lutte contre la pauvreté et la promotion de l’éducation. Il promet aussi à qui veut l’entendre qu’il n’entrera pas en politique après la normalisation de la vie institutionnelle de son pays. Si les égyptiens acquiescent tous à la première partie de la réolution, sur la deuxième, en revanche, ils sont plus réservés. Beaucoup parmi eux, en effet, espèrent que celui qui est passé de cyberdissident sous l’énigmatique pseudonyme de Shaheed, à « maire » de Tahrir manifestera un jour un intérêt à être de ceux qui présideront aux destinées du pays des pharaons.

En attendant une chose est au moins sûre: son engagement pour la défense des libertés n’est pas prêt de faiblir. Ce fameux soir où il a fait irruption dans les salons de ses compatriotes et gagné leur sympathie, il écrivait ce message sur Twitter : « La liberté est une bénédiction qui mérite que l’on se batte pour elle. » Tout simplement. En bon révolutionnaire 2.0…

 

Racine Demba

Dakar et ses discours…

Senghor, le pape Jean Paul II, De Gaulle, Malraux, Kadhafi, Sarkozy…Avant le discours de la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton le 2 août dernier à Dakar, la capitale sénégalaise a vu, accueilli et écouté, au cours du demi siècle écoulé, nombre de personnalités qui par les paroles et les actes ont livré des visions différentes du continent en rapport avec sa culture, son histoire, son développement, son avenir…

1958 : De Gaulle et l’indépendance

« Je veux dire un mot d'abord aux porteurs de pancartes. Voici ce mot : s'ils veulent l'indépendance à leur façon, qu'ils la prennent (…) Mais s'ils ne la prennent pas, alors, qu'ils fassent ce que la France leur propose : la communauté franco-africaine ». Charles de Gaulle, en campagne dans les colonies françaises d’Afrique noire pour les convaincre de ne pas aller dans le sens d’une indépendance totale vis-à-vis de la France, s’exprimait ainsi avec un brin d’énervement devant l’accueil réservé par les dakarois. Ayant effectué les étapes précédentes, ivoirienne et congolaise notamment, sans la moindre anicroche, il est surpris par cette foule constituée majoritairement de jeunes qui, à travers des pancartes portées fièrement, exigent une accession immédiate à l’indépendance. Le général tout à son énervement, les met au défi de la prendre. C’est un tournant dans ce périple qui s’annonçait sous les meilleurs auspices. A l’étape suivante, celle de la Guinée, il est accueilli contrairement à Senghor et Mamadou Dia absents à Dakar, par Sékou Touré lui-même qui a décidé de le prendre au mot en lui annonçant que l’indépendance, la Guinée avait décidé de la prendre. Les autres pays suivront un à un pour ce qui sonnera la fin de l’idée de communauté si chère à De Gaulle.

1966 : Malraux et l’art africain

 « Nous voici donc dans l'histoire. Pour la première fois, un chef d'État prend en ses mains périssables le destin spirituel d'un continent. Jamais il n'était arrivé, ni en Europe, ni en Asie, ni en Amérique, qu'un chef d'État dise de l'avenir de l'esprit : nous allons, ensemble, tenter de le fixer ». André Malraux parlait en ces termes de son ami le président Léopold Sédar Senghor  qui avait décidé d’organiser le premier festival mondial des arts nègres dans le dessein de montrer à la face du monde l’apport de la culture africaine au patrimoine de l’humanité. L’écrivain et homme politique français y parla de danse, de musique et de sculpture, le plus grand des arts africains selon lui, avant une réflexion poussée sur la culture, la diversité des connaissances, les émotions, la liberté et les transformations sociales. Il termina par un constat suivi d’une prière très actuelle : « l'Afrique est assez forte pour créer son propre domaine culturel, celui du présent et du passé, à la seule condition qu'elle ose le tenter (…) Puisse l’Afrique conquérir sa liberté »

1980 : Senghor et le pouvoir

 « Sénégalaises, sénégalais(…) je suis venu vous présenter mes vœux et vous faire mes adieux ». Le discours à la nation du président Senghor  du 31 Décembre 1980 a été incontestablement un moment charnière dans l’histoire politique et l’histoire tout court du Sénégal. Il fut aussi à n’en pas douter un grand moment à l’échelle du continent. En effet, dans une Afrique de partis uniques, de leaders s’éternisant au pouvoir et de coups d’Etat, un président décide de s’en aller de son plein gré pour passer le témoin à une génération plus jeune. Bien sûr, il y a beaucoup à redire sur le mode de transmission du pouvoir à Abdou Diouf par le biais de l’article 35 de la constitution sénégalaise, mais il n’en demeure pas moins que par cet acte Senghor créait un heureux précédent et administrait une leçon à beaucoup de ses pairs qui s’accrochaient à leur fauteuil souvent malgré une impopularité grandissante et un bilan économique calamiteux.

1992 : Jean Paul II et la traite des noirs

 Après avoir visité la maison des esclaves de l’île de Gorée, lieu chargé d’histoire, le Pape Jean Paul II s’exprimait en ces termes : « je vous fais part de ma vive émotion, de l’émotion que l’on éprouve dans un lieu comme celui-ci, profondément marqué par les incohérences du cœur humain, théâtre d’un éternel combat entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal, entre la grâce et le péché. Gorée, symbole de la venue de l’Évangile de liberté, est aussi, hélas, le symbole de l’effroyable égarement de ceux qui ont réduit en esclavage des frères et des sœurs auxquels était destiné l’Évangile de liberté ». Il continuait son discours : « Pendant toute une période de l’histoire du continent africain, des hommes, des femmes et des enfants noirs ont été amenés sur ce sol étroit, arrachés à leur terre, séparés de leurs proches, pour y être vendus comme des marchandises ». Avant d’ajouter : « Il convient que soit confessé en toute vérité et humilité ce péché de l’homme contre l’homme, ce péché de l’homme contre Dieu (… ) De ce sanctuaire africain de la douleur noire, nous implorons le pardon du ciel ».

Un moment historique et des paroles à méditer venant d’un ami de l’Afrique qui n’a cessé, sa vie durant, d’œuvrer pour la concorde et la solidarité entre les peuples.

2006 : Kadhafi et la présidence à vie

Le 4 avril 2006, soit un quart de siècle après le renoncement de Senghor au pouvoir, Mouammar Kadhafi invité d’honneur du président Wade à la célébration de l’indépendance du Sénégal déclarait ceci après le défilé : « Les sénégalais doivent élire le président Wade à vie », devant une assistance médusée et un Abdoulaye Wade ravi. Ironie de l’histoire, c’est ce même Abdoulaye Wade qui, cinq ans plus tard, escorté par des avions de chasse de l’armée française, se déplace jusqu’à Benghazi, fief de la rébellion anti-Kadhafi, pour demander au Guide de la Jamahiriya « les yeux dans les yeux » de partir. Quelques mois après la chute violente de ce dernier, il quittera lui aussi du pouvoir, mais par les urnes. Comme quoi la présidence à vie est plus facile à théoriser qu’à réaliser.

2007 : Sarkozy et l’homme africain

« Le drame de l’Afrique c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », la phrase choc de quarante minutes de discours au cours desquels Sarkozy a fait la leçon aux gouvernants africains, parfois à raison, s’est perdu dans des conjectures sur l’histoire du continent et n’a pas une seule fois cité son ‘’hôte’’ Cheikh Anta Diop dont l’université qui abrite ce grand moment d’incompréhension historique porte le nom. Attitude somme toute compréhensible car un bref coup d’œil sur l’œuvre de l’auteur de Nations nègres et culture est suffisant pour battre en brèche toute cette théorie adossée aux thèses Voltairiennes et Hégéliennes considérant le nègre, l’africain noir comme un sous homme. Thèses nourrissant une histoire africaine falsifiée, contre lesquelles Cheikh Anta Diop s’est battu sa vie durant.

Beaucoup d’intellectuels africains ont par la suite écrit pour tenter de remettre les choses à l’endroit. Henry Guaino quant à lui, désigné comme étant le rédacteur de ce qui est communément appelé : le discours de Dakar, affirmait récemment sur la chaîne France 24 que l’histoire était sujette à interprétation et que chacun décide arbitrairement de considérer l’interprétation qu’il juge convaincante. Tout est dit.

2012 : Hillary Clinton et le développement

Après avoir rendu hommage à la démocratie sénégalaise considérée par les Etats Unis, selon elle, comme un modèle en Afrique, Hillary Clinton a axé son speech sur le développement. Résumant son propos, elle déclarera que l’Afrique : « a besoin de partenariats et non de parrainages ». Le constat est qu’entre la communauté de De Gaulle et les concepts de partenariat ou de parrainage utilisés par Clinton il n’y a pas une grande différence. Pourtant plus de cinquante ans et beaucoup de choses se sont passées entre les deux discours  mais l’Afrique en est encore à se faire dire comment gérer son présent et aborder son avenir par d’autres qui, désignés par le nom de partenaires ou celui de parrains, gèrent d’abord et surtout leurs propres intérêts.  

Prendre l’indépendance, pour paraphraser De Gaulle, c’est surtout refuser de se faire dicter sa conduite même amicalement et tracer sa propre voie en toute responsabilité.

 

Racine DEMBA

 

 

Ainsi parlait GUELWAAR

« Un doigt que l’on tend sert à interpeller, vous le savez. Mais cinq doigts tendus ne peuvent servir qu’à quémander. 

Nos dirigeants nous ont réunis ici, savez-vous pourquoi ? Pour rien d’autre que de pouvoir mettre la main sur cette aide. Ainsi les avez-vous entendus chanter des louanges et se confondre en remerciements, face à tant de générosité, en notre nom à tous, les présents comme les absents, à l’endroit de ceux qui nous ont donnés cette aide. Regardez-les, regardez nos dirigeants, aucun d’entre eux ne pouvant maitriser sa joie, se dandinant et se pavanant devant nous comme si l’aide était arrivée du fait de leur propre mérite.

Et nous, nous le peuple, nous qui n’avons ni droit à la parole ni faculté de dire non, on chante et on danse pour fêter cette aide. Il est temps d’ouvrir les yeux. Sachons qu’un peuple ne peut être fort lorsqu’est encré en lui la culture de l’aumône. Et vous avez vu que ce genre de cérémonie de remise de don se tient depuis trente ans ici et ailleurs. Cette aide qu’on nous distribue, c’est elle qui nous tue. Elle a tué en nous toute dignité, nous n’avons plus aucune dignité, personne ici n’a gardé sa dignité.

Savez vous que les peuples qui nous envoient ces dons n’ont aucune considération pour nous ? Le savez-vous ? De plus nos enfants, garçons et filles, qui vivent parmi eux là bas, à l’étranger, sont consumés par la honte. Ils ne peuvent plus marcher la tête haute et regarder ces gens les yeux dans les yeux.

C’est vrai que notre pays a traversé toutes sortes de difficultés, qu’il est confronté à toutes sortes d’épreuves mais c’est à nous de prendre en main ces défis.

Notre ancêtre Kocc Barma nous enseigne ceci : si tu veux tuer un être drapé de sa dignité, offre lui à manger tous les jours bientôt tu en feras une bête. Je vous dis que ce qui restait de dignité et de courage en nous, cette aide l’a englouti. Vous avez vu la faim, la soif, la pauvreté qui sévissent ici. Savez-vous ce qui l’a augmenté ? Eh bien je vais vous le dire. Voyez vous si un pays attend ce qui le nourrit et le vêtit d’un autre pays, ce pays, ses enfants et ses petits enfants n’auront qu’une seule parole à la bouche. Voulez vous que je vous dise laquelle ? Merci, merci, merci. »

Discours de Guelwaar dans le film d'Ousmane Sembène

Pierre Henri Thioune dit Guelwaar prononçait ce discours, son dernier discours, devant une assistance subjuguée et des autorités médusées dans une petite bourgade du Sénégal d’après les indépendances. Une scène inoubliable dans un film culte : Guelwaar de Sembene Ousmane. Les évènements racontés dans cette fiction se résument ainsi : Un homme meurt, il est catholique. On confond par inadvertance son corps avec celui d’un autre et c’est une famille musulmane très influente qui l’enterre. Les choses se compliquent lorsque cette dernière refuse d’entendre parler d’exhumation. Le cœur de l’histoire reste cependant l’évocation du souvenir de ce curieux personnage qui faisait trembler les autorités par ses critiques acerbes décochées dans un verbe cru et qui du fait de son engagement a été éliminé.

Thierno Ndiaye Dos lui n’a pas été éliminé. Cet acteur magnifique dont le jeu perfectionniste a porté ce film est mort le 3 aout dernier des suites d’une longue maladie. Dans la mémoire de tous ceux qui ont vu le film il restera Guelwaar et, à l’image d’un Marlon Brando ou d’un Ben Kingsley après Le parrain de Coppola et Gandhi d’Attenborough, demeurera immortel. Les valeurs morales qu’il défend dans son discours sont des raisons suffisantes pour les africains de repenser tout ce système désigné par le vocable trompeur d’aide au développement qui maintient le continent sous perfusion.

Mais elles ne sont pas les seules. D’autres raisons peuvent être résumées par l’argumentaire étalé dans l’ouvrage L’aide Fatale de Dambisa Moyo paru une vingtaine d’années après la sortie du film. A savoir notamment que l’aide représente environ 15% du PIB de l’Afrique mais n’a pas permis de faire reculer la pauvreté, qu’elle encourage la corruption et permet à certains régimes de se maintenir artificiellement, qu’elle ne favorise ni la compétitivité des secteurs productifs, ni la réforme de secteurs publics aux effectifs souvent pléthoriques, qu’entre 1970 et 1998, c’est-à-dire durant la période au cours de laquelle l’aide au développement était au plus haut, la pauvreté a augmenté de 11% à 66% dans le continent.

Guelwaar n’a pas la prétention d’apporter une solution miracle qui permettrait de sortir de cette situation, tout comme l’ouvrage du Dambisa Moyo se contente de proposer des pistes à explorer et d’ouvrir des perspectives, mais il a le mérite de ne pas être une succession de clichés sur l’Afrique comme on n’en voit souvent, de mettre le doigt là où ça fait mal et de nous convaincre qu’une autre voie est possible tout en nous faisant assister, et c’est peut être là que réside le prodige, à un grand moment de cinéma.
 

Racine Demba

Destruction du patrimoine malien : cet islam qui n’est pas le nôtre

Nous assistons depuis un moment, impuissants, à l’invasion du Nord Mali, Gao et Tombouctou notamment, par des individus assez particuliers sans être originaux qui sous le couvert d’un discours irrédentiste et/ou religieux ont décidé d’y assouvir leur soif de pouvoir. Des experts de tous ordres nous ont déjà éclairés sur le processus par lequel on en est arrivé à cette situation et sur la curieuse léthargie du pouvoir central malien et des observateurs, témoins de la trempe d’Ousmane Diarra, nous ont rappelé tout ce que représente pour l’Afrique et l’humanité cette cité unique qu’est Tombouctou (Voir http://terangaweb.com/terangaweb_new/2012/07/07/tombouctou-la-martyre/). Cependant il convient de poursuivre la réflexion concernant le discours religieux qui sous-tend toute cette affaire et qui nous parait relever plus de l’imposture, à la fois historique et spirituelle, pour dire le moins, que d’autre chose. Ce discours a fini d’engendrer un obscurantisme qui veut que le rayonnement d’une cité comme Tombouctou avec ses 333 saints, partie intégrante du patrimoine culturel du continent ne soit pas compatible avec la pratique et les croyances musulmanes, une aberration tant au vue de l’histoire de cette religion que de son essence.

L’Islam est arrivé dans cette partie de l’Afrique  au huitième siècle à travers les échanges commerciaux avec le sud de l’Afrique du Nord. Un islam sunnite, soufi basé sur la tolérance, la sagesse, l’intériorisation, le discours contemplatif, l’amour d’Allah et mettant à côté de la charia (loi islamique), la haqiqa qui est la recherche de la vérité. Une quête de vérité et de sens qui conduit à l’humilité, à l’introspection, à l’interprétation et au souci d’équité lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi.

Il se base sur le fait que les enseignements traditionnels du prophète Mohamed (PSL) s’accompagnent d’un héritage spirituel caché auquel seuls ont accès des initiés et qui se transmettent à travers le temps, de génération en génération.

Parmi ces initiés, on peut citer des figures de la propagation et de l’implantation de cette religion en Afrique de l’Ouest tels que : El Haj Omar Tall, Ahmed Baaba, Cheikh Ahmadou Bamba, El Haj Malick Sy , des saints qui ont éduqué leurs disciples en leur inculquant des valeurs religieuses et humanistes, poursuivant cette mission en refusant l’autorité de l’administration coloniale et l’assimilation des populations autochtones.

Il contient aussi un héritage politique qui n’a rien de commun avec la pratique actuelle de nombre de gouvernements totalitaires ou d’irrédentistes illuminés qui s’affublent du nom d’Etats Islamiques pour endormir leurs peuples. Cet héritage est plutôt influencé par l’action du prophète Mohamed ( PSL) en tant que chef d’Etat et à sa suite l’action et les écrits de grandes figures, l’imam Ali par exemple, en matière de bonne gouvernance, de gestion responsable et de respect des droits des plus démunis tels ce document envoyé par le quatrième calife de l’Islam au gouverneur d’Egypte Malik al Achtar dont nous livrons la teneur ici :

« Sache, Mâlik, que je t'envoie comme gouverneur à un pays qui a connu dans le passé des gouvernements justes et injustes. Les gens vont t'observer comme tu observais les gouverneurs qui t'ont précédé. Ils parlent de toi comme tu parlais d'eux. Ce sont eux qui fournissent la preuve de tes actions. Que ton trésor préféré soit donc le trésor de bonnes actions. Contrôle tes désirs et abstiens-toi de ce contre quoi tu as été servi. C'est seulement par une telle abstinence que tu pourras distinguer le bien du mal.

Développe dans ton coeur le sentiment d'amour pour ton peuple, et fais-en la source de bonté et de bénédiction pour lui. Ne te comporte pas en barbare envers tes citoyens et ne t'approprie pas ce qui leur appartient. Rappelle-toi que les citoyens d'un Etat sont de deux catégories. Ils sont soit tes frères en religion, soit tes semblables en genre. Ils sont susceptibles de commettre des erreurs, et sujets aux maladies. (… )  Ne leur dis pas: "Je suis votre suzerain et votre dictateur. Vous devez donc vous plier à mes ordres", car cela corromprait ton coeur, affaiblirait ta foi en la religion et susciterait des désordres dans l'Etat. Si le pouvoir engendre en toi le moindre sentiment d'orgueil et d'arrogance, considère alors le pouvoir et la majesté du Royaume Divin qui gouverne l'univers et sur lequel tu n'as pas le moindre contrôle. Cela restituera à ta raison fantasque le sens de la mesure et te rendra calme et affable.»  lui écrivait il.

Au 12eme siècle des penseurs comme Averroès posaient la spéculation intellectuelle dans l’Islam qui devrait tenir aujourd’hui de l’évidence mais qui hélas, par la faute d’idées reçues faisant le lie fertile de dangereux malentendus, est victime d’un dogmatisme malvenu. Car  l’histoire des idées dans le monde musulman, brillamment restituée par Souleymane Bachir Diagne dans son  désormais incontournable ‘’Comment philosopher en Islam’’ a inclue la question du sens et du raisonnement dès l’apparition de cette religion. L’affrontement des écoles mutazilites et acharites avec l’émergence de la falsafa (philosophie d’inspiration grecque) en est une parfaite illustration . Celle entre Avicenne et Ghazali ou entre Averroès et le même Ghazali ou on vit le penseur andalou répondre aux écrits ghazalien  pointant l’incohérence des philosophes donc de la raison en islam, par d’autres écrits démontrant comme il l’appelait : ‘’l’incohérence de l’incohérence’’.

Cette pensée musulmane qui fit une rencontre féconde avec la Grèce inspira  Hegel, Descartes ou encore Spinoza au 17eme siècle. Elle dénote que le rapport entre le monde musulman et d’autres civilisations telles que l’Occident, purgé des malentendus sournoisement encrés et entretenus, tend plus vers une convergence d’idées sur les valeurs humanistes universelles, les grands mystères de l’existence, les grands questionnements de l’être que vers la confrontation. Une pensée perpétuée par Iqbal au début du 20eme siècle et plus prés de nous, dans l’espace, par Thierno Bocar, El Haj Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba et tant d’autres.

En effet l’islam pratiqué dans la partie du monde où ont œuvré ces grands érudits (Afrique Occidentale) est attachée à l’esprit pour une meilleure compréhension des enseignements, il s’inscrit en droite ligne de tout ce qui a été évoqué plus haut. Il est plus ésotérique qu’exotérique.

Dans son ouvrage ‘’Soufisme et Charia’’ Malal Ndiaye explique comment un débat « exclusivement intellectuel » à ses débuts s’est mué en « confrontation et anathème ». Pour lui des individus comme ceux qui grossissent les rangs d’Ansardine aujourd’hui, rivés à leur islam « plombé et hermétique, les littérateurs sont plus portés à défendre leur foi qu’à la vivre ». Une défense jamais vraiment désintéressée serait on tenté d’ajouter, les luttes d’influence et les considérations politiques prenant souvent le pas sur l’aspect purement religieux.

Il conclut en affirmant que le soufisme enseigné par ces saints dont on profane aujourd’hui les mausolées,  ne promeut point, contrairement à la thèse défendue par les intégristes, une nouvelle Charia, sa substance étant résumée dans cet enseignement de l’imam Malik : « Quiconque pratique le soufisme sans loi (Charia) est hérétique, quiconque  suit la loi sans pratiquer le soufisme est dévié . Celui qui conjoint les deux, celui là seul réalise la vérité. » Allier l’esprit et la lettre donc pour ne pas en être réduit aux comportements des barbares du Nord Mali et être fidèle aux enseignements du Prophète perpétués par les saints et à leur legs.

Des sites qui renferment une partie de cet héritage comme l’université Sankhoré sont  aujourd’hui aux mains de ces obscurantistes dont nul ne sait où s’arrêtera la folie destructrice, le détournement de notre foi et le pillage de notre mémoire.

  Racine Demba

Poids du rap au Sénégal et tradition orale en Afrique

Quelle peut être le lien entre la pratique discursive orale, partie intégrante sinon essentielle de la culture et de l’histoire des sociétés africaines d’une part et d’autre part le rap, moins en tant que style musical que pratique discursive aussi, vecteur de messages et phénomène de société au Sénégal, un des trois pays, avec les USA et la France, où cette musique est le plus populaire selon certaines études. Leur utilisation comme moyen d’accession à l’information ou du moins à la compréhension de celle ci par une très grande partie de la population? Peut être. Leurs vertus éducatives et formatives de la conscience de cette même population ? Certainement.

Le rôle crucial de l'oralité dans les sociétés africaines

Dans sa « critique de la raison orale », le professeur Mamoussé Diagne a démontré le rôle crucial qu’a joué l’oralité dans les sociétés africaines. Une sorte de réhabilitation de ce mode de transmission du savoir, de partage des connaissances et de critique de la société alors que d’aucuns l’ont assimilé à la cause majeure du retard de l’Afrique du fait de son utilisation quasi exclusive et donc de la presque absence de systèmes d’écriture. Nous n’étalerons pas ici toute sa brillante démonstration sur l’intérêt d’une étude plus poussée de cette « civilisation » de l’oralité dans le processus de réappropriation de notre histoire et dans l’appréhension liée aux péripéties de notre situation actuelle. Mus par une telle ambition, nous n’aurions d’ailleurs ni la maitrise du sujet ni le talent pour la restitution.

Ce sur quoi nous pouvons en revanche nous avancer est un constat : l’Afrique n’écrit pas, ne produit pas assez de livres aussi bien sur son passé, sa situation actuelle que son devenir. Faute de moyens, l’édition d’ouvrage dans le continent est réduite à la portion congrue et les œuvres existantes ne sont pas accessibles à la majorité. Pour autant, le besoin d’une production littéraire de qualité, prenant en compte les réalités sociales, le vécu des populations et leurs aspirations, se fait plus que jamais sentir. C’est ainsi que dans un pays comme le Sénégal, de la même manière que sous d’autres cieux les écrivains ont accompagné des révolutions ou simplement contribué à éduquer les populations, à conscientiser les masses, les rappeurs se sont, par le biais de l’orature, engagés pour l’émergence d’une nouvelle conscience citoyenne.

Le rap : un engagement, à travers la fonction tribunicienne, pour l'émergence d'une nouvelle conscience citoyenne

En effet, un mouvement tel que Y EN A MARRE n’a rien de spontané. Il est l’aboutissement d’un long processus entamé dés le début des années quatre vingt dix au moins. Les jeunes sénégalais, surtout ceux vivant en zone urbaine, ont dès cette époque été influencés par la philosophie Boul Falé (t’occupe pas) et le discours contestataire d’un groupe comme le Positive Black Soul qui les incitaient à aller de l’avant sans s’occuper du regard d’autrui, des aléas et des difficultés de la vie. Dés l’apparition des premiers groupes, PBS, Kocc Barma, Daara J notamment, cette nouvelle musique est tout de suite adoptée par une jeunesse qui se retrouve totalement dans des textes qui ne contiennent ni flagornerie ni discours dithyrambique mais une vision partagée des choses. Elle passe rapidement de simple effet de mode à véritable phénomène de société.

Il y a ainsi toutes ces chansons qui ont marqués leur époque forgeant une nouvelle conscience citoyenne. « Dou Deug Dou Yoon » (c’est pas normal) puis « L’Afrique n’est pas démuni » du PBS par exemple ainsi que toutes les productions allant dans le même sens, ont amené cette jeunesse à acquérir des éléments d’appréciation de l’action d’un gouvernement incompétent et à développer un esprit panafricaniste, seul voix de salut pour le continent. « Mako Wax » (j’ose le dire) et plus tard : « Ça va péter » de Pee Froiss, comme d’autres textes engagés au point de valoir à leurs auteurs des séjours carcérales, ont conduit à élever la voix contre les dérives des tenants du pouvoir politique. Cela a aussi encouragé le peuple, à l’approche d’élections, à manifester son courroux dans les urnes. Le régime socialiste en a fait les frais en 2000.

Et que dire du très culte « Cent Commentaires » interprété par Iba et Makhtar du groupe Rap’Adio qui répertorie avec un talent incomparable toutes les tares de cette société de dissimulation où les compromis et le laisser aller ont toujours pris le pas sur la condamnation sans concession de tout manquement. C’est en cela d’ailleurs que le mouvement hip hop au Sénégal a, dès sa naissance, dérangé, et sans doute plus que l’incursion, dans les années quatre vingt, des tonitruants Grandmaster Flash, Public Ennemy ou Africa Bambata sur la scène publique américaine. Il continue encore de déranger, parce qu’il dénonce sans complaisance tous les errements d’où qu’ils puissent provenir.

Les rappeurs sénégalais, dans leur écrasante majorité, mettent un point d’honneur à s’engager aux côtés du petit peuple, à partager ses souffrances, à se battre pour que les choses changent. S’ils s’écartent de cette ligne de conduite, ils perdent leur crédibilité, leur âme. Aujourd’hui le groupe Ker Gi, Simon ou Fou Malade entre autres prennent le relais des pionniers cités plus haut, avec au moins le même degré d’engagement, pour continuer cette mission de veille et d’éveil qu’ils se sont assignés depuis toujours. Ainsi après avoir pris la tête de l’opposition au régime de Wade et largement contribué à sa défaite cuisante, ils se posent en sentinelles avec pour seul souci la préservation des acquis démocratiques.

Leur combat, leurs paroles valent tous les livres, tous les poèmes engagés aussi pertinents ou beaux soient ils. Et ils ont pour eux l’avantage de capter un public beaucoup plus large. Le poète américain Marc Smith n’a-t-il pas, en 1986, imaginé le Slam, inspiré du rap, dans le but de « rendre les lectures de poèmes à la fois moins élitistes et moins ennuyeuses ? »

Vers une vulgarisation de la transmission orale des connaissances ?

Aujourd’hui, à l’heure du livre audio, qui connait un grand succès dans les pays anglo-saxons et nordiques, et de la progression de l’utilisation du mobile, 620 millions d’abonnés africains au téléphone portable à la fin 2011 (Voir http://terangaweb.com/2012/02/27/la-maturite-du-marche-de-la-telephonie-mobile-en-afrique/), les autorités des pays africains en général, compte tenu du faible taux d’alphabétisation sur le continent (39,3% en 2011 au Sénégal selon Index Mundi), devrait peut être vulgariser le mode de transmission orale des connaissances. Il s’agit de faire par exemple la promotion du livre audio, traduit dans le maximum de langues notamment celles nationales, sur des supports tels que les CD ou les enregistrements sur téléphone mobile ou MP3.

Dans un pays comme le Sénégal, utiliser la voix de rappeurs en lieu et place de la synthèse vocale ne serait pas de trop dans la recherche de l’adhésion du public. Surtout si on considère que chez un Didier Awadi, on retrouve déjà une partie de l’œuvre d’un Césaire ou d’un Damas dans nombre de productions. Sa voix accompagnant l’édition audio du « Cahier d’un retour au pays natal » serait dans la continuité des projets qu’il a réalisés jusqu’ici et atteindrait un public qui sans cela aurait eu peu de chance d’apprécier un tel ouvrage. Naturellement, tout ceci n’exclut nullement de redoubler d’efforts pour atteindre une alphabétisation universelle, y compris dans les langues nationales, ainsi que pour le développement d’une production littéraire riche et accessible. Car, comme le fait remarquer Mamoussé Diagne, nos sociétés sont influencées à la fois par l'oral et par l'écrit.

Dans l’actualité sénégalaise, un exemple allant dans ce sens mérite d’être cité ici. Il s’agit de l’initiative du professeur Fatou Sarr Sow, directrice du Laboratoire Genre de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN), dans le cadre de la campagne des élections législatives en cours dans le pays marquées par la loi sur la parité qui oblige les partis à mettre sur leurs listes un nombre égal d’hommes et de femmes. Cette initiative consiste à organiser, pour des femmes candidates, un atelier de formation et de renforcement de capacités rendu nécessaire par le fait que certaines de ces femmes souffrent d’un déficit ou d’une absence d’alphabétisation. Le professeur et ses collaborateurs ont eu l’idée de traduire, notamment en wolof, des textes législatifs et d’autres écrits utiles à une telle fonction, puis de les mettre sur CD audio pour permettre à celles qui ne savent lire ni ne comprennent le français de s’initier et de se familiariser à ces textes. En exposant cette démarche, Le Professeur Fatou Sarr Sow s’est référée à la civilisation de l’oralité et à la pertinence actuelle de l’utilisation des moyens de l’orature.

Il faut dés lors rendre hommage à ces rappeurs sénégalais qui sont dans cette démarche depuis plus de deux décennies avec une préoccupation majeure : contribuer à permettre à ceux qui n’ont accès ni à l’information utile, ni à une véritable documentation littéraire, qui ont besoin d’être conscientisés sur les problèmes et les enjeux de leur temps, de s’imprégner de certaines valeurs historiques, sociales, morales voire philosophiques à travers un discours dont la mise en musique n’est là que comme une sorte d’emballage du message. 

Racine Assane Demba

Cheikh Anta Diop : leçon non sue

Un quart de siècle après sa mort, celui que d’aucuns ont surnommé le dernier pharaon continue à être méconnu par une bonne partie des jeunes Africains. Son œuvre immense n’est toujours pas enseignée dans les programmes scolaires du continent noir. Cheikh Anta Diop nous a par exemple démontré, par des preuves irréfutables, bien qu’il y ait encore quelques résistances, que les anciens Egyptiens auteurs de la première des civilisations qui par la suite engendra toutes les autres, étaient noirs et Africains. Qu’en avons-nous fait ?

Ce qui aurait dû être une évidence pour au moins toute personne qui est allée à l’école continue à ne l’être que pour une élite extrêmement minoritaire du fait que l’accent n’est pas suffisamment mis dessus dans l’éducation et la formation des jeunes. En effet, dans les livres d’histoire les plus disponibles chez nous, il est fréquent de voir des illustrations d’anciens Egyptiens sous des traits d’hommes et de femmes blancs. Il en est de même au cinéma, dans les dessins animés ainsi que les livres pour enfant. La seule fois où mes camarades et moi avons vu la représentation d’un pharaon noir, dans notre enfance, beaucoup de jeunes de notre génération sont sans doute dans le même cas, a été le clip de la chanson «Remember the Time» de Michael Jackson avec Eddy Murphy dans ce rôle. Cet état de fait qui consiste à présenter l’Egypte antique comme blanche est tout bonnement une falsification de l’Histoire dont l’Afrique est, n’ayons pas peur des mots, complice car la subissant sans réagir. On imagine d’ici la réaction des Occidentaux si l’on se hasardait à représenter Jules César ou Byzas sous des traits négroïdes.

Lorsqu’on nous demande où est née la Philosophie, on cite automatiquement la Grèce parce que c’est cela que l’on nous a enseigné. Lorsqu’il est question de l’origine de l’algèbre ou de la géométrie, on pense tout de suite à Pythagore ou à Thalès parce que c’est cela que l’on nous a enseigné. Or à un moment donné une relecture de l’Histoire par nos Etats s’imposait puisqu’il a été établi par Cheikh Anta notamment qu’Hérodote lui-même traitait Pythagore de simple plagiaire des Egyptiens. Que Jamblique son biographe écrit que tous les théorèmes des lignes, c'est-à-dire la géométrie, viennent d’Egypte. Que Prochus affirme que Thalès est le premier élève grec des Egyptiens et que c’est lui qui avait introduit la science en Grèce à son retour, en particulier la géométrie. Que Diodiore de Sicile rapporte qu’un prêtre égyptien lui a dit que les savants grecs réputés pour leurs prétendues découvertes, les avaient bien apprises en Egypte, même s’ils se sont attribué la paternité, une fois rentrés chez eux. L’Egypte qui, est-il besoin de le rappeler, était nègre. De plus en plus d’intellectuels tiennent des thèses allant dans le sens d’affirmer que la question de l’apport du nègre et donc de l’Africain à la civilisation est dépassée, que le temps serait venu de «déracialiser» l’Afrique.

Cheikh Anta Diop avait en son temps répondu en disant que tant que le Noir était censé n’avoir rien fait, il restait noir. Mais dès qu’il s’est agi de soutenir que la première civilisation était noire, on nous a dit qu’il n’est pas important d’être noir. Dans la même lancée, nous ferons humblement remarquer à ces intellectuels qu’une question ne peut être dépassée si elle n’est pas au préalable réglée. En effet, chez nous, force est de constater que dans l’imaginaire populaire, souvent inconsciemment d’ailleurs et faute d’une meilleure connaissance de l’histoire, la civilisation est encore associée à l’occidental, au blanc. «Dafa silwiisé» rime avec «Dafa tubaabe» (1). Chez les jeunes, même instruits, il est fréquent d’entendre des discours qui soutiennent que de toute façon, cela tiendrait de la fatalité, l’Africain n’a jamais rien créé, que l’inventivité à toujours été l’apanage du blanc et que le seul choix qui s’offre à nous est de continuer à subir cet état de fait. Ce discours est, il est vrai, souvent tenu sous forme de plaisanterie ou d’autodérision, mais qui cache un profond complexe d’infériorité. Cela semble relever de la psychologie. Les idées reçues, une fois sournoisement ancrées, sont difficiles à combattre. Pour s’en convaincre, prenons deux anecdotes racontées par Nelson Mandela et Desmond Tutu.

Le premier révèle dans son autobiographie (2) qu’après avoir quitté clandestinement l’Afrique du Sud afin de parcourir les autres pays africains à la recherche de moyens financiers et d’armes pour pouvoir faire face au pouvoir de l’apartheid, il a dû, à un moment de son périple, voyager sur un vol où à sa grande surprise le pilote était noir. N’ayant jamais vu de noir occuper un tel poste de responsabilité dans son pays, il s’est surpris à se demander si un pilote noir pouvait être compétent. Le second a déclaré que lors d’un voyage durant lequel son avion est entré dans une zone de turbulences, il s’est lui aussi surpris à prier pour que le pilote soit un blanc.  Si ces deux icônes de la lutte pour la dignité de l’homme noir admettent avoir été psychologiquement atteints par des idées reçues au point de développer ce type de réflexes, qu’en est-il de ces millions d’enfants, de jeunes Africains dont l’essentiel de l’éducation consiste à leur laisser entendre, voire à leur affirmer tout bonnement que le blanc est à l’origine de toute science, de toute invention, alors même que le contraire a été démontré depuis un bon bout de temps ?

Aujourd’hui, il ne serait donc pas superflu de s’atteler à gommer chez le jeune Africain, ce qui ne sera pas chose aisée, toutes ces idées reçues, en commençant par revoir les programmes enseignés. Car comme l’a dit Cheikh Anta : «Le nègre ignore que ses ancêtres qui se sont adaptés aux conditions matérielles de la vallée du Nil sont les plus anciens guides de l’humanité dans la voie de la civilisation, que ce sont eux qui ont créé les arts, la religion (en particulier le monothéisme), la littérature, les premiers systèmes philosophiques, l’écriture, les sciences exactes (physique, mathématiques, mécanique, astronomie, calendrier…), la médecine, l’architecture, l’agriculture, etc. à une époque où le reste de la terre (Europe, Asie, Grèce, Rome) était plongé dans la barbarie». il est temps de remédier à cette ignorance non pas pour se complaire dans ce riche passé mais pour retrouver des bases historiques qui nous permettent d’avoir plus confiance en nous, en nos capacités, donc en notre avenir.

(1) «Dafa silwiisé… Dafa tubaabe» pourrait se traduire par «Il est civilisé… il se comporte comme un blanc» ; (2) Nelson Mandela : [Un long chemin vers la liberté].

 

Racine Assane DEMBA Etudiant en droit professionnel à l’université Cheikh Anta DIOP