La recherche scientifique est d'une part un moteur de la croissance économique et social, d'autre part, elle est un baromètre du niveau de développement et de la compétitivité économique d'une société. Elle constitue, sous toutes ses formes, d'une part, une source d'innovations et de découvertes, éléments-clés du développement et de la compétitivité. L'Afrique accuse un sérieux retard dans ce domaine. Et cet handicap s'est accentué au fil du temps, faisant de la recherche scientifique un secteur quasiment exclusif aux pays du nord, lesquels diffusent leurs découvertes dans le marché des sciences, reléguant ainsi les pays les moins garnis en instituts de recherche et en chercheurs d'ailleurs, au rang d'utilisateurs, de consommateurs de ce savoir. Or, pouvoir emprunter un avion n'est pas synonyme de pouvoir le concevoir, savoir construire un bâtiment n'est pas synonyme de pouvoir éditer le logiciel qui l'a modélisé.
Si nous partons du principe selon lequel l'éducation est à la base du développement, alors il est aisé de comprendre le rôle que joue l'Université dans ce retard. En effet, cette dernière est un des socles de la connaissance scientifique, objective et libre qui s'exprime à travers études et publications à caractère scientifique, revues et approuvée par des chercheurs. Le constat est simple : l'Afrique pèse peu en articles scientifiques. En 2003, environ 699.000 nouveaux articles scientifiques et techniques ont été recensés dans le monde, issus pour la plupart de recherches menées en milieu universitaire. Près de 84% de ces articles provenaient de la zone OCDE1 et les 2/3 des pays du G72. Les universités et centres de recherche africains étaient pour l'essentiel absents. D'où proviendrait ce handicap ?
Les causes du retard de l'Afrique dans la recherche scientifique
La plus simple raison est que les taux d'investissement dans les infrastructures universitaires et les structures de R&D sont fortement corrélés au niveau de développement d'un pays. Difficile d'établir une causalité : l'Afrique est-elle sous-développée parce qu'elle n'investit pas dans la recherche scientifique? Ou plutôt n'investit-elle pas dans la recherche du fait de son retard économique?
Quoi qu'il en soit, la part relative – plutôt que le montant absolu – des ressources économiques consacrée à la recherche scientifique reste marginale. Le faible niveau de ressources n'explique pas l'absence de stratégie, ni le peu de place accordée à la recherche dans les "stratégies de croissance" adoptées récemment par plusieurs pays africains. D'autres pays en développement ont ouvert la voie…
Prenons l'exemple de l'Inde, pays de 1,241 milliard d'habitants, un PIB de 1,873 milliard de dollars (2011) et émergent bien sûr. Entre 2011 et 2012, leur budget alloué à l'éducation a cru de 24%, et de 18% entre 2012 et 2013. D'ailleurs ce budget rapporté au PIB est du même ordre que celui de la France. Et en ce qui concerne l'enseignement supérieur, l'augmentation a atteint 34% entre 2011 et 2012.3 Avec déjà 370 universités, l'Inde investit massivement dans la science et l'éducation avec les IISER (Indian Institutes of Science Education and Research), un programme de 600 millions de dollars sur 5 ans, soit 4% du budget annuel de l'enseignement supérieur4.
Figure 1 – Répartition des dépenses R&D annuelles en % PIB des pays développés et émergents
Une activité R&D forte et bien ciblée vis-à-vis du marché, facilite la création d'entreprises nationales et l'installation de celles étrangères.
Les entreprises locales développent des activités R&D qui leur sont propres même si les principaux commanditaires se trouvent ailleurs. Le gouvernement indien a pris conscience et compris ce potentiel. Donc il aide les chercheurs en leur fournissant les moyens nécessaires à cette demande et favorise le dépôt de brevets. `A partir de là, nous comprendrons bien qu'il n'y a point de hasard dans le fait que quatre entreprises indiennes figurent parmi le top 1000 des investisseurs mondiaux en R&D, ni dans cette attractivité croissante des grandes entreprises internationales pour les compétences indiennes. Selon certaines estimations 50% des multinationales font appel à Banglore pour leurs activités R&D. 5 Les signes de réussite de la stratégie indienne sont nombreux : SAP investi 1 milliard de dollars en Inde entre 2006 et 2010, Cisco un peu plus d'1 milliard; Dassault Systèmes réalise 40% de sa R&D entre Pune et Banglore.6
Outre l'aspect financier, ce procédé a également l'avantage d'amorcer un transfert de technologies; poursuivons, le Xeon Dunnington d'Intel a été entièrement conçu par les équipes indiennes de l'entreprise et le fameux chipset GeForce 9400M de Nvidia est le rejeton des équipes R&D Nvidia à Banlglore. Tous ces exemples pour signifier que la base c'est l'éducation au sens large du terme, la mise en place des infrastructures adéquates en accord avec les marchés visés.
Autre exemple : La Chine. Elle non plus n'aura pas attendu l'arrivée de la croissance avant d'investir dans l'éducation. Au contraire cela a été un processus long, jalonné de mesures drastiques, de réductions budgétaires pour certains portefeuilles au profit de l'éducation et de la science. Les résultats parlent d'eux même, non seulement le taux d'alphabétisation augmente et ce, à tous les paliers du système éducatif, mais aux mêmes moments, les activités de recherche se retrouvent aussi sur la pente ascendante avec les articles publiés comme baromètre.
Figure 2 – Évolution des articles scientifiques de 1990 à 2010, http ://sciences.blogs.liberation.fr
Nous voyons bien que sur la première figure que l'Inde et la Chine se démarquent au fil des années en nombre d'articles et sur la seconde, la croissance présente partout. Et c'est encore lié, pas exclusivement bien sûr, mais à une partie conséquente des investissements dans l'éducation et la R&D. La chine, en 2011, a investi dans ce domaine à hauteur de 1,84% du PIB, soit 107 milliards d'euros contre 1,76% en 2010 et se situe au second rang mondial des dépôts de brevets reçus avec 19,8% du total mondial.7
Figure 3 – Évolution du taux d’alphabétisation en Chine de 1990 à 2004, http ://transcontinentales.revues.org/544
Quand les initiatives sont prises et suivies d'actions concrètes, les opportunités se créent.
La parfaite illustration en est l'Afrique du Sud avec Willem Hanekom directeur de l'initiative sud-africaine pour un vaccin contre la tuberculose(SATVI) à l'université du Cap. Cette dernière a accueilli le 3e forum mondial sur les vaccins contre la tuberculose les 25 et 27 mars dernier. Cette première en Afrique ne s'est-elle pas soldée par une ouverture du nouveau centre de recherche sur la tuberculose et le VIH de l'institut médical Howard Hughes (son premier hors des USA) au Kwazulu-Natal à Durban ? Mais bien sûr, donc c'est bien de cela dont il s'agit : développer des pôles de compétences et multiplier les infrastructures qui vont avec (universités, écoles, centres de recherche), d'autant plus que dans ce cas, c'est une question de santé publique donc nous avons absolument tout à y gagner.
Mais, paradoxe!
Le gouvernement sud-africain consacre 600 millions de dollars par an pour le traitement de la tuberculose contre 3 millions pour la recherche scientifique concernant celle-ci8. Une meilleure répartition du budget favorisant les projets comme celui de Durban n'est-elle pas possible?
L'une des solutions serait donc de revoir à la hausse les budgets alloués à l'enseignement supérieur, donc de manière indirecte à la recherche, et ce dernier, en proportion naturellement amoindries afin de promouvoir l'ouverture de nouvelles infrastructures universitaires. Mais également d'élaborer un système éducatif beaucoup plus performant. En outre, des compétences existent aussi bien en Afrique qu'à l'étranger.
Cependant, nul n'est sans savoir que certains secteurs d'activités notamment à caractère scientifique sont totalement inexistants dans le continent. Raison pour laquelle un retour aux pays d'origine des spécialistes africains de certains domaines et je dis bien de certains pour ne pas m'opposer à la logique formelle, s'avèrent très ardu tant que les formations proposées et les budgets alloués à l'enseignement supérieur ne sont pas en adéquation avec les défis de notre époque; de quoi susciter l'émergence d'entreprises locales spécialisées et de convaincre les investisseurs de par la compétence présente sur place.
En effet, une main d'œuvre compétente sans un budget suffisant pour mener à bien sa tâche, ni pour innover dans un souci de compétitivité, ne peut guère espérer élaborer une politique de développement viable sur le long terme. De nouveau, Il faut prendre soin de la racine, donc l'éducation, pour que les fleurs soit belles et les fruits abondants.
Racine LY
1 Organisation de Coopération et de Développement 'Economiques
2 Source : National Science Foundation (2006), Science and Engineering indicators 2006, Arlington, Virginie
3 LeMonde, 25.02.2013, Alain Lacavalier des Etangs, Chercheur CNRS
4 LeMonde, 25.02.2013, Alain Lacavalier des Etangs, Chercheur CNRS
5 Zinnov Management Consulting
6 "Et si la R&D mondiale avait élu domicile en Inde", 20.10.09, Reynold Fléchaux et Valéry Marchine
7 Organisation mondiale de la propriété intellectuelle WIPO
8 www.scidev.net,"Analyse : le continent doit soutenir la recherche sur la tuberculose", 04.04.13, Lina Nordling