L’Afrique et les pays émergents peuvent mieux faire

Ce texte est adapté d'une tribune de l'économiste Sanou Mbaye sur "comment pérenniser l'embellie économique de l'Afrique". Une première partie de ce texte a été publiée sur la question de l'autonomie monétaire et de son importance pour la croissance du continent. Ce second volet rassemble les réflexions de l'auteur sur l'opportunité que représentent les pays émergents pour le continent. A condition, bien sûr, que la volonté politique soit là et prête à exploiter ces réserves de croissance. 


Une dynamique importante de la croissance de l’Afrique vient de l’entrée en scène des pays émergents. Depuis le début des années 1990, la croissance économique accélérée de ces pays, leurs importations des matières premières et des produits africains et l’exportation de leurs produits à meilleurs prix constituent un réel bénéfice pour l’Afrique qui détient potentiellement plus de 10% des réserves mondiales de pétrole, 40% de celles de l’or, un tiers de celles du cobalt et des métaux de base.

L'option des pays émergents

120620_brics_g20Il est fort improbable que la demande à long terme de ces produits puisse diminuer d’autant qu’en ces temps de crises de l’euro, de programmes d’austérité et de risques de récession en Europe et avec leurs conséquences sur le reste du monde, l’Afrique présente un double avantage: elle offre aux investisseurs le plus haut taux de rentabilité comparé à toute autre région et des valeurs refuges comme le pétrole, l’or, l’argent et le platine.

La présence de plus en plus affirmée sur la scène africaine d’acteurs comme la Chine, l’Inde, la Corée, la Malaisie, la Turquie et le Brésil  a donné aux pays Africains une plateforme  d’exportation accrue ainsi que la mise en place d’un nouveau modèle de coopération basé sur le commerce, l’investissement et le transfert de technologie, ce qui a élargi leurs options de croissance économique et leur a donné une opportunité significative de progrès. A titre d’exemple, les seuls échanges entre la Chine et l’Afrique sont passés de 10 milliards de dollars en 2000 à 107 milliards en 2008. Dans le même temps, l’Empire du milieu a investi  plusieurs milliards de dollars dans les secteurs du pétrole, des mines, des transports, de l’électricité et des télécommunications, ainsi que dans différentes autres infrastructures.

Il est toutefois regrettable de constater que, contrairement à ces pays à  développement industriel rapide qui disposent tous d’une stratégie de pénétration du marché africain, les africains, en revanche, n’en ont aucune et rencontrent en ordre dispersé et non groupé  leurs interlocuteurs. Pour maximiser les retombées positives de leur coopération avec les pays émergents, les africains seraient bien avisés de former un front et un programme communs pour rencontrer leurs partenaires.

Nourrir l'Afrique et le monde

L’Afrique dispose de 60% des terres cultivables non exploitées du globe. Dans un monde menacé de famine grandissante par l’explosion des prix des denrées alimentaires, un tel actif est d’une valeur inestimable. La ruée vers les terres africaines fait les gros titres des manchettes des journaux. Il est vrai que l’opacité qui entoure ces transactions et les conditions léonines dont la plupart sont l’objet peuvent faire scandale. La crise alimentaire et la crise financière se sont combinées pour déclencher une hausse des prix des denrées alimentaires et une vague d’«accaparement des terres » au niveau mondial. D’un côté, il y a des gouvernements qui, préoccupés par l’insécurité alimentaire, recourent à des importations pour nourrir leurs populations. Ils s’emparent de vastes territoires agricoles à l’étranger pour assurer leur propre production alimentaire de manière délocalisée. La Chine, l’Inde, le Japon, la Malaisie et la Corée du Sud en Asie ; l’Égypte et la Libye en Afrique ; et le Bahreïn, la Jordanie, le Koweït, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au Moyen-Orient sont à placer dans cette catégorie 12. De l’autre, des sociétés agro-alimentaires, des sociétés d’investissement, des investisseurs privés et des fonds spéculatifs voient dans les investissements dans des terres agricoles à l’étranger une source de revenus importante et nouvelle.

Formaliser le droit foncier

Des négociants de céréales se tournent vers le foncier, à la fois pour la production alimentaire, pour la culture des agro-carburants et pour s’assurer de nouvelles sources de profit. L’Afrique a besoin d’émettre des directives claires pour réguler et superviser ces acquisitions. Le secteur agricole a besoin d’investissements productifs pour se développer et servir de moteur de croissance au reste de l‘économie. Toute acquisition qui génère création d’emplois et de revenus, transfert de technologie et formation peut être classée comme investissement productif à encourager. Les acquisitions qui ne répondent pas à ces critères relèvent d’opérations spéculatives et doivent être interdites. Dans cet ordre d’idée, il convient de renforcer les droits fonciers des agriculteurs africains qui représentent la grande majorité des populations. Ils ne sont pas propriétaires des terres qu’ils exploitent. Pour accroitre leur productivité et leurs revenus, il y a besoin de faciliter leur accès au capital pour l’acquisition d’intrants, d’équipements et de formation afin de moderniser l’agriculture de subsistance pour en faire un vecteur d’autosuffisance alimentaire. Disposer d’un titre de propriété sur les terres qu’ils cultivent peut servir de garantie à la mobilisation des ressources et à la sécurité dont les exploitants ont besoin pour faire de l’agriculture familiale une composante importante dans les politiques agricoles visant l’autosuffisance alimentaire.

La part de l'Afrique dans le patrimoine écologique de l'humanité

La biodiversité est un patrimoine écologique de l’humanité dont la propre survie est menacée par les exactions d’un capitalisme mondial très destructeur de l’environnement.  D’où l’urgence d’inventer des modalités de croissance plus durable. L’Afrique peut être une pionnière en matière de politiques de développement qui préservent l’environnement. La région est riche en énergie hydraulique avec des réserves estimées à des milliers de milliards de kilowatts/heure, représentant environ la moitié des réserves mondiales.  Mieux encore, quelle que soit l’ampleur des ressources hydroélectriques que recèle l’Afrique, elles sont négligeables comparées à celles qu’offre l’énergie solaire. Grâce à la technologie d’«énergie solaire concentrée», il suffirait de concentrer l’énergie solaire sur une superficie équivalente à 0,5% des déserts chauds, en l’occurrence celui du Sahara, pour couvrir les besoins d’une partie du monde en énergie comme l’ambitionne le projet Desertec 15. L’Afrique abrite aussi le deuxième poumon écologique de la planète derrière l’Amazonie avec les 200 millions d’hectares de forêts que représente le Bassin du Congo. Les réserves d’énergie propre et les forêts africaines constituent un actif économique dans la lutte contre le réchauffement de la terre et dans la promotion des projets de développement propre.

Des efforts considérables seront encore à déployer sur le plan africain au cours des décennies à venir pour pérenniser la nouvelle embellie économique qui se fait jour sur le continent et la transcrire en amélioration réelle des conditions de vie de la majorité des populations. Ces efforts ne seront payants que si le climat africain et  international s’y prête car les causes structurelles de la faim et de la malnutrition, et en général, du sous-développement sont de dimension mondiale.


Contribution adapté de la publication de Sanou Mbaye. Reprise ici sous licence creative commons.

Comment pérénniser la nouvelle embellie économique africaine ? (I) : Agir sur la monnaie

L'Afrique se trouve pour la première fois en passe de changer son rôle dans l'économie mondiale et d'améliorer réellement le sort de ses habitants. Les taux de croissance que connaît le continent depuis près d'une décennie et son attractivité retrouvée sur les marchés internationaux sont autant de raisons d'espérer. S'y ajoutent les progrès réalisés en termes de gouvernance et de gestion des ressources naturelles. Pourtant, les signes de fragilité persistent. Des réformes doivent encore être mises en oeuvre pour consolider cette croissance. Dans cette suite d'arguments, l'économiste Sénégalais Sanou Mbaye revient sur quelques unes de ces réformes. La première : améliorer les politiques monétaires sur le continent, lui redonner son indépendance monétaire.


Pour la première fois, depuis un demi-siècle, l’Afrique est en passe de célébrer  un renversement des rôles. Le continent est le deuxième moteur de la croissance économique mondiale après l’Asie. Depuis 2000, les pays d’Afrique subsaharienne ont connu une croissance moyenne située entre 5 % et 7 %. Durant la récession mondiale de 2009, l’Afrique et l’Asie ont été les deux seules régions du globe où le produit national brut (PNB) s’est accru. En 2010, le continent est le deuxième moteur de la croissance économique mondiale après l’Asie.

Parmi les principaux facteurs derrière le renouveau du paysage africain on peut compter : les investissements directs étrangers (IDE), les transferts des émigrés, l’aide publique au développement (APD),  l’entrée en scène des pays émergents  et l’urbanisation alimentée et énergisée par l’émergence d’une classe moyenne et l’éclosion de la jeunesse. Le potentiel agricole et environnemental africain et un cadre politique progressivement démocratique sont également des réserves de croissance.

Consolider les acquis

0820_moodys-sp-fitch_380x278Pour mobiliser les fonds nécessaires aux  investissements massifs requis particulièrement dans l’agriculture, l’énergie et les infrastructures, les gouvernements africains, les sociétés publiques et privées auront  recours de plus en plus aux  emprunts sur les marchés des capitaux nationaux, régionaux et internationaux. La vingtaine de bourses africaines existantes ne pèsent au total que 2% dans la capitalisation boursière mondiale. Mais, fusionnées en une seule, elles se placeraient au quinzième rang mondial.

Plusieurs pays ont désormais reçu le sésame qui leur donne accès aux marchés financiers : le « rating » ou la notation financière qui leur a été attribuée par les agences de « rating ». Cette note s’est révélée, dans la plupart des cas, supérieure ou égale à celle de nations aussi industrialisées que la Turquie, le Brésil ou l’Argentine.

Il est admis qu’en mettant exclusivement l’accent sur la rentabilité et le profit, les investissements financés par des fonds privés encouragent les transferts de technologie et de compétence et favorisent la productivité et la compétitivité. La meilleure façon pour l’Afrique d’en tirer parti pour financer son vaste programme d’investissement sera  de continuer à renforcer ses systèmes bancaires, de développer ses marchés de capitaux et de mettre en place un cadre réglementaire approprié et un code d’investissement attractif. L’objectif doit être de faire que les flux de capitaux privés qui représentent actuellement 5% de ressources extérieures nécessaires aux pays africains passent au moins à 70%  dans l’avenir.

Endettement public et fuite des capitaux

Mais tout désirable que puisse être l’accroissement des flux financiers en direction du continent, il serait bon d’en orienter le débit pour financer en priorité des investissements productifs à moyen et long terme et non des placements spéculatifs à court terme. En effet, il ne sert à rien de mobiliser des ressources si c’est pour les voir s’exiler après s’être fructifiées. La CNUCED estime à 400 milliards de dollars le montant de la fuite des capitaux d’Afrique depuis les années 1970. La fuite des capitaux africains trouve ses origines dans le paiement des intérêts et de l’amortissement des dettes de l’APD; dans l’adjudication à des firmes étrangères de la quasi-totalité des contrats financés par ces dettes ; dans l’exemption de droits de douane, de taxes et d’impôts dont jouissent les biens et services financés par les Institutions financières internationales ; dans la détérioration des termes de l’échange (le différentiel entre les prix des biens manufacturés importés par les pays de la région et ceux des matières premières exportées par ces mêmes pays) ; dans les opérations spéculatives ; le libre transfert des profits réalisés sur place ; les réserves de change bloquées sur des comptes à l’étranger ; dans la propension des élites à exiler leurs capitaux et dans le détournement des recettes d’exportation, particulièrement celles du pétrole et les prébendes. Selon les estimations de la Banque Mondiale, entre 20 et 40 milliards de dollars placés sur des comptes en France, en Suisse, au Royaume-Uni ou dans différents paradis fiscaux proviennent des pots-de-vin payés à des dirigeants corrompus de pays pauvres, notamment ceux d’Afrique.

La priorité doit donc être donnée à la mise en place de politiques de contrôle de change pour favoriser l’investissement productif, juguler les opérations spéculatives et freiner la fuite des capitaux. Pour ce faire, il s’agira de renverser les mesures initiales de dérégulation et de libéralisation auxquelles les économies africaines ont été assujetties depuis des décennies à travers les programmes d’ajustement structurel des institutions de Bretton Woods – Fmi et Banque mondiale. Les Etats doivent recouvrer la pleine jouissance de leur rôle de planificateur et de régulateur du processus de transformation et de modernisation de leurs économies 6. Il s’agira notamment d’adopter des taux de change réalistes de manière à se constituer une ligne de défense dans la « guerre des monnaies » que se livrent les grands pays industrialisés à l’instar des Etats-Unis et des pays européens, et ceux en processus d’industrialisation accélérée comme le Brésil, la Chine ou la Corée du sud par exemple. Ils s’évertuent tous à intervenir sur le marché des changes pour maintenir au plus bas le niveau de leurs taux de change afin d’accroitre leurs échanges extérieurs et de revigorer la croissance de leurs économies.

Les parités irréalistes de taux de change

A cet égard, il fFranc_CFA_billet_3audrait éviter des parités irréalistes de taux de change. Ce problème est particulièrement d’actualité dans les pays de la Zone Franc qui ont le franc CFA comme monnaie commune. La politique de change de cette monnaie est du ressort du Trésor français. Contre le dépôt d’une partie de leurs réserves, leur monnaie commune,  le Franc CFA est librement convertible, à l’inverse de toutes les monnaies des pays émergeants ou en voie de développement à l’exception du rouble russe qui n’est convertible que depuis 2006. A l’aube des  indépendances le dépôt exigé était de  100 %. Il a été réduit à 65% en 1973, puis plafonné à 50% depuis le  mois de septembre 2005.

Le franc CFA est arrimé à l’euro à un taux de change fixe surévalué contrairement aux autres monnaies dont les cours sont non seulement flottants mais également maintenus au niveau le plus bas possible. La convertibilité permet aux firmes françaises et aux élites de transférer librement les fortunes qu’elles engrangent et un franc CFA fort les prémunit contre les dépréciations monétaires courantes.

Il importe de rappeler que cette convertibilité si chèrement payée est restreinte à l’euro et que le libre transfert du franc CFA est circonscrit à la France consécutivement au régime de contrôle de change qu’elle a fait mettre en place en 1993. Les francs CFA émis par les pays d’Afrique de l’ouest et ceux d’Afrique centrale ne sont même pas interchangeables. Les pays de la zone franc, bien que partageant une monnaie commune, ne commercent pas ensemble du fait des barrières douanières qu’ils ont érigées entre eux. Les conséquences désastreuses de la politique de change adoptée par les pays de la Zone Franc se mesurent à leur environnement économique impropre au développement. Leurs économies sont à la traine comparées à celles des autres régions du continent. Une mesure immédiate consisterait à mettre fin aux distorsions liées à la surévaluation du taux de change en abrogeant dès à présent la convertibilité, la libre transférabilité et le taux de change fixe du franc CFA.

Le meilleur cadre pour la mise en place des mesures devant viser à favoriser l’investissement et le commerce est celui de l’union.  Dans toute stratégie d’intégration politique, économique et monétaire, la priorité doit être donnée à la création d’unions régionales douanières et de zones de libre-échange pour faire du commerce et des investissements intra régionaux le premier levier de croissance économique pour le développement de la région. Il ne s’agit pas seulement de signer des accords et d’adopter sur le papier un tarif extérieur commun. Il importe de s’armer de la volonté politique de les rendre effectifs. L’intégration régionale ouvre la voie à un cadre d’échanges et d’investissement plus large et favorise les investissements et les échanges  intra régionaux. L’ouverture régionale  est la première étape sur la longue route du développement et du progrès.

 

* Publié initialement sur le site de l'auteur – repris ici sous licence Creative Commons 2.0