L’Afrique peut-elle s’inspirer de l’Asie du sud-est pour accroître son intégration régionale ?

UEMOA, CEDEAO, SADC, CEMAC, CEEAC, UMA, UA ; autant  d’organisations qui bien qu’importantes par leur nombre présentent une efficacité discutable et ont eu peu d’impact sur l’intégration régionale en Afrique notamment en raison de batailles de leadership entre les poids lourds économiques et politiques de ces régions.  [1]

Cet article analyse  les causes du retard africain en termes d’intégration régionale et appelle à la diversification des partenaires commerciaux du continent. S’appuyant sur le modèle de développement sud-asiatique les Etats africains auraient tout intérêt à intensifier les flux  commerciaux intra-continentaux et à développer les relations économiques qu’ils entretiennent avec leurs voisins.

 

  1. Le partage d’une monnaie commune ne permet paradoxalement pas aux pays membres de la CEDEAO de renforcer leurs liens commerciaux.

L‘exemple de la CEDEAO illustre ce phénomène. Cette zone est composée de quinze pays dont la moitié utilise une monnaie commune, le franc FCFA. Si l’objet de cet article n’est pas de débattre sur les avantages ou les inconvénients du FCFA, une question concernant cette monnaie attire l’attention : En plus de 70 ans d’utilisation, pourquoi le FCFA  n’a-t-il pas permis de faciliter le commerce entre les pays de la CEDEAO ?

En matière d’exportations et d’importations, les principaux partenaires économiques des membres de la CEDEAO sont aujourd’hui extra-continentaux et majoritairement européens. Les principaux pays de destination de produits tels que le cacao, le café, le coton et même les produits de pêche, sont en majeur partie des pays européens. Concernant les importations, en 2014, environ 40 % des biens importés viennent d’Europe et seulement 18 % des importations viennent d’Afrique. Ces biens importés incluent même des produits alimentaires basiques comme le blé ou le lait.[2]

Ce problème peut être généralisé sur l’ensemble de l’Afrique. En effet, les pays africains commercent peu entre eux. En 2013, seuls 12% des exportations africaines étaient dirigées vers d’autres pays africains. En dépit de ses zones monétaires et des tentatives de régionalisation, l’Afrique demeure un continent commercialement cloisonné.[3]

 

  1. Les pays africains ne bénéficient pas toujours d’accords commerciaux favorables et devraient diversifier l’origine de leurs partenaires.

La  crise du secteur avicole en Afrique du sud suite à l’importation massive de poulet à bas prix en provenance de l'Union européenne, pose plusieurs questions.[4] En effet il convient de s’interroger sur le réel impact économique et social que peuvent avoir des accords tels que l’Accord de partenariat économique (APE) sur les populations et les agriculteurs locaux.

Depuis la fin des années 1960 l’Afrique continue à privilégier les relations marchandes avec l’Union Européenne sans achever son intégration régionale pourtant nécessaire pour peser dans le commerce internationale.

Dans Les damnés de la terre, Frantz Fanon proposait déjà une analyse des difficultés qu’affronteraient les Etats africains au lendemain de leur indépendance. En effet du fait d’un manque de coordination et d’une volonté de développement court-termiste les dirigeants africains auraient bâti leur stratégie commerciale sur les circuits existant par le passé espérant ainsi faire face à la fuite des capitaux. Ceci pourrait partiellement expliquer les liens commerciaux forts existant entre les pays d’Afrique notamment de la CEDEAO et l’Europe.

  1. Les Etats africains ont tout intérêt à s’inspirer de la stratégie de développement des pays d’Asie du sud-est en intensifiant leur commerce intra-continental.

Le Japon, Singapour ou la Corée du sud, pays ayant peu de matière première ont pu développer fortement leur économie après la seconde guerre mondiale. Par exemple, la Corée du Sud qui en 1960 avait un PIB par habitant de 260 dollars, soit le même niveau que de nombreux pays africains, a réussi à devenir la septième puissance mondiale en 2016.

La très forte intégration économique en vigueur dans la région est l’un des facteurs du développement de ces pays asiatiques. En effet, la Chine continentale compte parmi ses dix premiers partenaires commerciaux, cinq Etats asiatiques (Hong-Kong, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan et la Malaisie).

De même, le Japon a mis en place un système d’aide publique au développement. Celle-ci qui se situait au 1er ou 2e rang mondial selon les années, était pour plus de la moitié destinée à l’Asie. Dans les années 2000, le Japon était le premier investisseur étranger dans la plupart des pays asiatiques.[5]

En dépit de rivalités et de rancœurs historiques les liens économiques sont très forts entre les trois piliers de l’économie sud-asiatiques que sont la Chine, le Japon et la Corée du Sud. En effet, la Chine et le Japon s'échangent technologies, capitaux et même main d'œuvre.  Et la Corée du Sud grâce à sa stabilité économique permet de recueillir les capitaux de ces deux pays. [6] Afin de faciliter les échanges économiques, le Japon a toujours mené une politique de stabilisation de ses voisins via des investissements ou des aides.

  1. Recommandations

L’Asie du sud-est est un excellent exemple pour l’Afrique dans la mesure où elle illustre depuis cinquante ans l’intérêt qu’ont les pays en développement à renforcer leurs relations commerciales avec leurs voisins afin d’être plus puissants économiquement et d’avoir une plus grande influence dans le monde.  En effet, les similitudes culturelles entre Etats d’une même région garantissent la stabilité et l’équité des relations économiques et diplomatiques.

Pour l’heure cependant, le tissu industriel africain et notamment ouest-africain est encore dominé par des entreprises extra-continentales qui logiquement ne font pas du commerce intra-africain une priorité. L’émergence de champions nationaux tels que l’entreprise nigériane Dangote ainsi que les efforts de coopération sud-sud menés actuellement par le Maroc permettront d’accentuer l’intégration régionale.

Les plans d’émergence qui se multiplient à travers l’Afrique doivent prendre en compte cette donnée. Une croissance exclusivement basée sur l’exportation de matières premières ou de ressources naturelles vers les régions occidentales avec peu de création d’emploi [7] n’est ni souhaitable ni efficace sur le long terme comme l’illustrent les crises actuellement engendrées par l’effondrement du prix des matières premières. L’exemple asiatique montre qu’une émergence est très complexe sans un minimum d’intégration régionale.

Sans verser dans le protectionnisme ou le repli sur soi, l’Afrique doit songer à limiter sa dépendance commerciale à l’égard des régions occidentales et accroître de façon significative les flux commerciaux intra-continentaux  afin de garantir une plus grande stabilité régionale.

Une meilleure confiance entre les africains permettra d’établir une véritable intégration régionale comme l’appelaient déjà de leurs vœux les dirigeants Kwame Nkrumah ou Sekou Touré au lendemain des indépendances.

 

Souleymane Coulibaly

[1] http://www.jeuneafrique.com/165089/politique/cedeao-cemac-sadc-quels-sont-les-points-forts-et-les-faiblesses-des-organisations-africaines/

[2] http://www.bceao.int/IMG/pdf/rapport_sur_le_commerce_exterieur_de_l_uemoa_en_2014.pdf

[3] http://terangaweb.com/quelle-integration-regionale-pour-le-developpement-et-la-stabilite-en-afrique/

[4] http://www.jeuneafrique.com/399169/economie/aviculteurs-sud-africains-rue-contre-dumping-europeen/

[5] https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/413946

[6] http://www.lexpress.fr/actualite/monde/chine-japon-coree-les-freres-ennemis-d-extreme-orient_472394.html 

[7] https://www.contrepoints.org/2014/02/14/156636-le-paradoxe-de-la-croissance-africaine

 

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