La situation de l’éducation au Bénin (2)

Dans un précédent article, nous avons dressé l’état des lieux et analysé la situation de l’éducation au Bénin. Si des améliorations ont été constatées, notamment au niveau de l’accès – en termes quantitatifs – à l’éducation, de nombreux problèmes ont également été identifiés, notamment au niveau qualitatif. Ils nous indiquent les priorités d’action qui nous paraissent cruciales pour que l’éducation béninoise remplisse pleinement son rôle.

Rapprocher l'éducation des réalités et des besoins du pays

Pour que l’éducation réponde aux défis qui lui sont posés, l’accent doit être mis sur une formation qui conduise les jeunes à l’emploi ou à la création d’emplois et qui leur permette de s’épanouir et d’être de plein acteurs du développement de leur pays. C’est pourquoi il est important que l’organisation et les contenus de l’éducation se rapprochent des besoins et des réalités économiques du marché du travail. Pour ce faire, il est crucial de mieux orienter les étudiants vers les filières adaptées au marché du travail. C’est primordial si l’on veut lutter contre le chômage des jeunes et de multiples problèmes connexes comme l’insécurité. En effet, au Bénin comme dans plusieurs pays d’Afrique, l’enseignement général est plus valorisé dans les mentalités ; un trop grand nombre d’élèves et d’étudiants s’y accrochent et cela pose des problèmes. D’abord la rétention des élèves lors de leur cursus, en particulier dans l’enseignement secondaire général, est faible, allant jusqu’à un élève sur 6 par endroits, parfois pire. Ces jeunes qui sortent du système en 4ème, 3ème, 1ère se retrouvent en général sans aucune formation professionnalisante et sont désœuvrés. Ils ne veulent pas non plus retourner aux activités champêtres ou artisanales de leurs parents car cela serait perçu comme un échec. Leurs parents, pour beaucoup illettrés ou peu instruits, ont formé en les inscrivant à l’école de grands espoirs de réussite, des espoirs qui se résument souvent d’ailleurs à ce que leur enfant devienne un grand cadre dans l’administration publique.

La réussite par la voix de l’enseignement général et par l’embauche subséquente par l’Etat sont donc hautement présentes dans les esprits et tiennent non seulement à l’histoire récente du pays mais aussi à ses réalités palpables. Outre la période marxiste des années 70 et 80 où l’Etat avait essayé tant bien que mal d’embaucher systématiquement les jeunes étudiants fraîchement diplômés, le Bénin est également le théâtre d’une corruption généralisée qui se manifeste par un niveau de vie très élevé de nombreux agents de l’Etat. Ces facteurs ont entraîné une forte hausse du nombre d’étudiants dans l’enseignement général et par voie de conséquence, une hausse du chômage.

Il est important aujourd’hui de redonner toutes ses lettres de noblesse à l’enseignement technique, un enseignement qui doit être adapté à l’offre de travail du pays. Une meilleure orientation devrait être mise en place dès la fin de la 3ème pour orienter les élèves vers un enseignement de qualité agricole ou technique. Le Bénin a fortement besoin de talents dans l’agriculture pour la moderniser, la rendre plus efficace et plus productive. Les compétences techniques nécessaires à l’émergence d’une vraie industrie manquent cruellement. Au-delà des ingénieurs formés et qui ont des compétences pour dessiner les contours de cette industrie, il faut une main d’œuvre abondante et qualifiée pour faire tourner des usines, monter, assembler des composants et fabriquer des produits finis au lieu de les importer. En lieu et place, nous avons deux grandes universités publiques et plusieurs universités privées surpeuplées de jeunes qui vont en majorité étudier la géographie, la philosophie et les sciences économiques avec à la clé peu ou pas de débouchés.

Cette meilleure orientation des étudiants doit s’accompagner d’une adaptation des contenus des enseignements aux réalités du pays. C’est le plus grand intérêt de la nation que ces contenus ne soient pas dictés par des partenaires aux développements qui apporteraient des fonds. Les fameux « nouveaux programmes » développés avec le soutien de l’USAID ont été une pâle copie de programmes qui existent dans des pays aux réalités différentes et qui font l’éloge d’une certaine interactivité avec un mépris avéré pour des compétences de base pourtant essentielles. Il est important que le gouvernement béninois reprenne la main sur ces contenus et qu’il l’adapte au contexte historique, sociopolitique et économique du pays. Les jeunes étudiants devraient avoir en perspective l’histoire de leur pays, sa place dans le monde, ses succès et ses échecs, ses besoins réels et ses défis.

Améliorer la qualité des enseignements et des équipements éducatifs

Si la mise en application des priorités évoquées ci-dessus nécessite beaucoup plus de volonté politique que de moyens financiers, des efforts financiers sont également nécessaires notamment pour améliorer la qualité des enseignants et de tous les équipements éducatifs : salles de classe, matériel pédagogique, manuels scolaires. Les enseignants sont la pierre angulaire de la transmission du savoir. Il n’est pas possible de réformer les contenus et leur transmission à la génération montante sans mieux former et outiller les enseignants.

Réduire les inégalités d'accès à l'éducation

Il incombe également aux autorités en charge de l’éducation de réduire les disparités géographiques et d’assurer une meilleure parité filles/garçons. Il faut pour cela concentrer les efforts sur les zones défavorisées, inciter les professeurs de qualité à y enseigner et améliorer les conditions dans lesquelles les jeunes des localités concernées sont amenés à s’instruire.

Améliorer l'organisation de l'administration du secteur

Les institutions en charge de l’éducation doivent avoir une organisation et un leadership clairs qui facilitent la prise de décisions et leur mise en œuvre. Actuellement, le dispositif de pilotage du Plan Décennal de Développement du Secteur de l’Education du Bénin (PDDSE) comprend un comité de supervision (CSPD), un comité de pilotage (CPPD) et un comité de coordination (CCPD), dont les attributions sont opérationnalisées par un Secrétariat technique permanent (STP) avec des prérogatives mal définies, on comprend aisément que la mise en oeuvre du plan accuse des retards et un ralentissement conséquents. Un dernier défi réside dans la réduction des lourdeurs et l’amélioration de l’efficacité du financement du secteur. Le fait que pour tous les ordres d’enseignement sauf l’enseignement supérieur, le taux moyen d’exécution du budget atteigne rarement 80% montre bien que le problème se trouve moins dans l’allocation des ressources au budget de l’éducation que dans l’exécution de celui-ci.

Tite Yokossi
 

La situation de l’éducation au Bénin (1)

Point n'est besoin de rappeler l'importance de l’éducation d’un pays pour son économie et son développement. Elle ne joue pas seulement sur le capital humain nécessaire à l’activité économique, elle est aussi fondamentale pour une administration efficace et des institutions en bonne santé. Elle irrigue tous les ingrédients nécessaires à la bonne marche d’un pays. Avec une moyenne de 4,3 années d’étude relevée en 2005 contre 6,2 en Asie de l’Est (Source : AFD), l’Afrique subsaharienne a de nombreux défis à relever en matière d’éducation. Ils se posent en termes d’accès inégal et restreint (6% de la cohorte en âge d’aller dans l’enseignement supérieur y ont accès), de qualité et d’adaptation au marché du travail et à ses besoins spécifiques.

 

Au Bénin, pays de près de 9 millions d'habitants, un plan décennal de développement du secteur de l’éducation (PDDSE, 2006-2015) a été mis en place et est arrivé à la fin de sa première phase (2006-2011). Sous l’impulsion des autorités béninoises, la première phase du PDDSE a fait l’objet d’une évaluation commanditée et conduite par plusieurs organismes indépendants dont la Danida et l’Agence Française de Développement. Le bilan de l’évolution de chacun des 6 ordres d’enseignement de l’éducation béninoise a été décliné dans un rapport remis aux autorités compétentes.

 

L’enseignement maternel

 Comme dans les autres pays d’Afrique, l’enseignement maternel n’attire pas les foules. Cependant, au Bénin, les effectifs du préscolaire n’ont cessé d’augmenter passant de 27 673 élèves en 2005 à 97333 en 2010. En cause la stratégie de gratuité de l’enseignement mise en place par le gouvernement en 2006 et des activités de sensibilisation ciblées. Si la parité filles/garçons est respectée, aucune réduction des disparités géographiques ni amélioration de la qualité de l’enseignement n’a été constatée.

 

L’enseignement primaire

 Comme dans le préscolaire, la réforme de la gratuité de l’enseignement a fortement contribué à faire croître le Taux Brut d’Admission (TBA) qui est passé de 99% en 2005 à 132% en 2010 (le pourcentage est supérieur à 100% parce qu’il est rapporté à la population âgée de 6 ans dont ne font pas nécessairement partie tous les nouveaux entrants). Avec un indice de parité de 98% pour le TBA et de 94% pour le Taux Brut de Scolarisation (TBS), l’on se rapproche de la parité parfaite garçons/filles dans l’accès à l’enseignement primaire. Si les disparités géographiques restent très importantes, les progrès réalisés en terme d’accès et d’équité sont également à mettre à l’actif de stratégies de sensibilisation ciblées et de l’extension de cantines scolaires qui améliorent la rétention au cours du cycle.

 Avec l’introduction des nouveaux programmes, près de la moitié des élèves ne maîtrise pas les compétences normalement requises à chaque niveau. Si un effort a été fait concernant la formation des instituteurs, le rapport nombre d’élèves-nombre d’instituteurs reste élevé et a tendance à croître. La disponibilité des manuels scolaires est quant à elle très variable.

 

L’enseignement secondaire général

 En 5 ans, les effectifs ont augmenté de 69% dans le premier cycle (Classe de 6ème à 3ème ) et de 112% dans le second cycle (Seconde à Terminale). La qualité de l’offre en services éducatifs n’a pas suivi cette forte croissance en raison des ressources limitées. Des efforts ont été fait pour améliorer la parité filles/garçons mais ils ont connu un impact réduit. Un aspect important de la qualité des enseignements s’observe à travers le redoublement. Il est resté très élevé (21% en 2005 et 19% en 2009). L’un des problèmes majeurs qui expliquent cette situation est le manque cruel d’enseignants même s’il est en partie comblé par le recrutement d’enseignants dits communautaires par les populations locales elles-mêmes. Les établissements sont obligés pour y faire face de recruter un nombre important d’enseignants vacataires, à la qualification peu avérée et dont le statut est bien précaire. Les équipements (salles de classes, manuels, matériel pédagogique) laissent à désirer.

 

L’enseignement technique et professionnel

 Une évolution positive de la formation professionnelle a été remarquée grâce à un apprentissage en alternance :  travail dans un atelier ou une entreprise en même temps qu'a lieu la formation théorique. Ce dispositif s’est révélé particulièrement adapté à certains pans d’une économie largement informelle. Le nombre d’apprenants reste faible même s’il y a une réelle dynamique le concernant (1370 en 2006 et 5719 en 2010). Quant à l’enseignement technique classique, une dégradation continue a été observée et elle s’est vue à travers la baisse des effectifs (11 249 élèves en 2005 contre 8 266 en 2009). Alors que l’un atouts de cet ordre d’enseignement est la possibilité de le dispenser sous plusieurs formes et à différents niveaux le rendant plus susceptible d’atteindre des couches plus vulnérables et défavorisées, aucune stratégie de promotion d’un accès équitable n’a été mise en place.

 

L’enseignement supérieur

 Au Bénin, le nombre d’étudiants est relativement élevé avec 790 étudiants pour 100 000 habitants contre 299 en moyenne pour l’Afrique subsaharienne en 2006. Dans un pays où les débouchés en termes d’emplois hautement qualifés sont peu nombreux, ces effectifs élevés posent un réel défi. A cela s’ajoute que près de 2/3 des étudiants sont inscrits dans des filières peu efficaces en matière de professionnalisation alors que les effectifs pour celles plus adaptées aux marché du travail ont chuté. Enfin, 80% des individus accédant à l’enseignement supérieur proviennent des 20% des ménages les plus nantis et les filles comptent pour seulement 23% des étudiants de l’enseignement supérieur. L’accès équitable à cet ordre d’enseignement reste donc un défi majeur.

Quant à la recherche scientifique, elle se décline en une mosaïque d’activités plutôt menées de façon individuelle et cloisonnée, ce qui limite son impact socio-économique. Elle reste également peu orientée vers les priorités de développement.

 

L’alphabétisation et l’éducation des adultes

 Le taux d’analphabétisme dans la population adulte béninoise restait important en 2005 où il était estimé à 63%. La principale activité des services en charge du sous-secteur est l’organisation routinière des campagnes d’alphabétisation qui touche environ 30 000 hommes et femmes par an, un niveau insuffisant par rapport aux objectifs fixés (réduire le taux d’analphabétisme de 50% en 2015). Aucune stratégie de décentralisation des efforts mobilisant l’ensemble des opérateurs et des organisations de la société civile n’a vraiment été mise en place.

 

 Cette analyse de la situation de l’éducation au Bénin nous indique des priorités d’action que nous détaillerons dans le deuxième article de cette série.

Tite Yokossi

Pourquoi l’Afrique francophone décroche par rapport à l’Afrique anglophone ?

 

 

Date : Mardi 15 mai, 19h00 – 21h-30

Lieu : ESCP Europe : 79 Avenue de la République 75011 Paris

Intervenants :


       Barthélémy FAYE, Avocat Associé au sein du Cabinet Cleary Gottlieb et Expert en financement de projets en Afrique


       Denis COGNEAU, Economiste du développement à I’Ecole d’Economie de Paris et à l’Institut de Recherche pour le Développement 


     Olatunji AKINWUNMI, Responsable du Développement de Nouveaux projets chez Total

Modérateur : Tite YOKOSSI, Responsable de la Section Economie de Terangaweb-L’Afrique des Idées


La conférence sera suivie d’un cocktail.

Les organisateurs :


v  Terangaweb-L’Afrique des Idées est une association indépendante qui vise à promouvoir la réflexion sur des enjeux de développement liés à l’Afrique. www.terangaweb.com


v  L’African Business Club est un réseau d’étudiants et de professionnels africains et un cadre de réflexion sur les problématiques du continent. www.africanbusinessclub.org

L’Afrique des 50 prochaines années : quelle croissance ?

Un siècle après l’accession à l’indépendance de la majorité des pays africains, quel sera le bilan économique de l’Afrique? C’est en grande partie, du chemin de croissance que prendra le continent africain pendant les 50 années à venir, dont il est question.

Une récente étude faite par la banque Africaine de Développement (BAD) a tenté de répondre à la question à travers deux scénarios . Dans le scénario le plus positif où la croissance suivrait à peu près le chemin qui a été le sien lors de la dernière décennie, le PIB de l’Afrique passerait à 15 000 milliards de dollars en 2060 contre 1700 milliards aujourd’hui. Ce serait un énorme bond pour l’économie africaine. Ce chiffre qui correspondrait à plus de 5700$ par tête (contre 1667$ en 2010) serait cependant bien en deçà  de l’actuel PIB par habitant de la Corée du Sud qui est de 17000$. Selon un scénario moins optimiste, la croissance s’accélérerait jusqu’en 2020 avant de faiblir et de se stabiliser autour de 5%. Ce scénario aboutit à un PIB par habitant d’environ 5 000$ en 2060. La moyenne de ces projections est représentée ci-dessous.

Il est certain que la croissance ne peut se confondre au développement et encore moins au bien-être. Mais, elle y contribue et dans l’état actuel de l’Afrique, elle est nécessaire. De ce point de vue, il y a indéniablement une nouvelle dynamique en Afrique depuis le début du siècle. Le continent qui avait une croissance nulle ou même négative dans certaines de ses parties autour des années 80 est passé depuis la dernière décennie à un tout autre régime affichant une croissance moyenne d’environ 5%. Les scénarios de projection de cette croissance sont sans aucun doute incertains. Ils n’ont pour seule valeur que de donner des ordres de grandeur de ce que pourrait devenir le continent à moyen terme.

Ces projections se basent néanmoins sur les atouts et les défis du continent et il est évident que c’est de la façon dont ils seront gérés que découleront les résultats économiques de l’Afrique. Au-delà de ses ressources naturelles, l’un des principaux atouts du continent est sa jeune population, la plus jeune du monde. Avec une population active projetée à 74% en 2060 soit plus de 2 milliards de personnes, l’Afrique aura les moyens de détrôner la Chine alors vieillissante pour devenir l’atelier du monde. Mais pour ce faire, elle doit poursuivre ses efforts en matière d’éducation, d’enseignement professionnel et de santé afin de réaliser l’énorme potentiel que lui confère ce capital humain.  

L’une des mutations importantes que connait le continent et qui n’aura de cesse de s’amplifier est l’urbanisation. La proportion des citadins africains passera, selon les chiffres de la BAD, de 40% en 2010 à  65% en 2060, sachant que la population africaine fera plus que doubler dans les 50 années à venir. Les afro-pessimistes y verront un énorme problème et les afro-optimistes une réelle opportunité. Il est clair que partout dans le monde l’urbanisation s’est accompagnée de progrès économiques importants. Elle est associée à une économie plus productive et plus diversifiée éloignée du seul souci de la subsistance. En même temps, elle pose le défi de la gestion de la croissance importante de la population urbaine, de l’emploi de cette population. Ce défi n’est rien d’autre que celui des infrastructures (transports, télécommunications, énergie, eau) et des institutions qui permettront de mettre en place un meilleur environnement des affaires afin de booster le secteur privé, le commerce international et l’intégration régionale. C’est à cette condition que cette importante population active et urbaine sera un réel atout dans la croissance et le développement du continent au lieu d’un poids.

L’Afrique est un continent bien divers dont les sous-régions, les pays et les différentes couches sociales connaissent des réalités variées. La croissance projetée n’est pas la même dans les différentes sous-régions du continent. S’il est probable, selon l’étude, que l’Afrique de l’Est qui part de très bas ait la croissance la plus forte (9,3% en 2030), l’Afrique du Nord restera la région la plus riche.  

Pour éradiquer la grande pauvreté en Afrique, plusieurs études s’accordent sur la nécessité d’une croissance moyenne de 7% par an. Les projections réalisées sont inférieures à ce chiffre. Mais, il est important de remarquer la croissance de la classe dite moyenne d’environ 360 millions aujourd’hui  qui passera à 1,1 milliard en 2060, de même que le recul de l’extrême pauvreté mesurée de façon absolue (les personnes vivant avec moins de 1,25$ par jour). L’essor de la classe moyenne sera sans aucun doute l’une des clés de la croissance du continent. Elle y contribuera  doublement : économiquement à travers le capital humain qu’elle représente et le dynamisme du secteur privé qui lui sera dû et politiquement, en exigeant du gouvernement, de façon toujours plus marquée, une meilleure gestion et des comptes.

La décennie écoulée témoigne d'un fait nouveau et positif en Afrique. La croissance est là et tous les indicateurs du développement (espérance de vie, éducation, mortalité infantile, niveau de conflictualité) affichent des améliorations. La façon dont l’Afrique a résisté à la crise économique et financière mondiale montre à quel point ces éléments positifs reposent sur des fondamentaux macroéconomiques. Cette nouvelle tendance n’a pas de raison de s’arrêter, elle peut même s’accélérer si l’Afrique prend la mesure des défis qui lui sont posés et des opportunités qu’ils recèlent.

Tite Yokossi

Crédit photo: opale-magazine.com, BAD

CAN 2012 : combien ça coûte ?

La Coupe d'Afrique des Nations, édition 2012, s'est achevée dimanche avec la victoire de la valeureuse équipe des Chipolopolo (boulets de cuivre) de Zambie. Cet évènement sportif, le plus important du continent, a rassemblé comme à l'accoutumée 16 nations africaines et a été regardée dans l'ensemble des pays africains et au-delà. La CAN a surtout permis de braquer un projecteur puissant sur le Gabon et la Guinée Equatoriale. Les deux pays organisateurs, l’un francophone, l’autre hispanophone ont puisé dans leurs ressources pour couvrir des coûts d’organisation importants. Mais, les coûts de cette CAN ne se limitent pas aux fonds dépensés par les gouvernements gabonais et équato-guinéen. Des droits de télévision à la flambée des prix sur les marchés des pays organisateurs, en passant par la billetterie pour les spectateurs qui ont fait le déplacement, la CAN 2012 aura eu des conséquences économiques variées pour les différents acteurs de l’évènement. Retour sur ces fortunes diverses.

Les pays organisateurs

Les infrastructures ont été encore une fois le nerf de la guerre, le centre des attentions tout au long de la course contre la montre pour finaliser les préparatifs avant le début de la compétition. La Guinée équatoriale, peuplée de seulement 700 000 habitants a assumé ses ambitions. Rénovation du front de mer de Bata (la plus grande ville du pays), construction d’un site comprenant palais de conventions, hôtels et villas, démarrage de la construction d’une nouvelle ville (Oyala), bitumage des routes (à 80% sur l’ensemble du pays), construction d’un stade à Malabo et rénovation d’un autre à Bata pour la coquette somme de 50 milliards de FCFA sont autant de réalisations qui ont nécessité une dépense publique massive, adossée aux rentes de ce pays nouvellement  producteur de pétrole.

Le Gabon n’a pas été en reste, inscrivant le projet de préparation de la CAN dans un objectif plus large d’investissements à grande échelle pour moderniser le pays. D’après le comité d’organisation COCAN,  environ 400 milliards de FCFA  ont été dépensés ! Les deux pays producteurs de pétrole ont d’ailleurs assuré que la FIFA et la CAF n’ont pas contribué substantiellement à l’évènement et que la charge leur est presque entièrement revenue.

Quand ça coûte à certains, ça rapporte à d’autres. Les deux pays organisateurs ont fait appel à plusieurs entreprises, souvent étrangères, pour la réalisation des travaux. Parmi elles, des grosses entreprises marocaines comme la Somagec (Société maghrébine de génie civil) ou encore le groupe Ynna Holding mais aussi et surtout chinoises. Le stade nouvellement construit d’une capacité de 450 000 places, dénommé stade de l’amitié sino-gabonaise en témoigne. Le personnel qui y a travaillé est d’ailleurs en majorité chinois, une situation qui fait monter des doutes sur l’effectivité d’une quelconque transmission de compétences et de savoir-faire à travers la réalisation des travaux. Au-delà de la réalisation des infrastructures qui en soit est positive, leur mise en place n’aura pas forcément profité aux économies des deux pays. Elle leur aura coûté énormément mais surtout profité aux entreprises étrangères avec un emploi somme toute faible de la main d’œuvre locale. Des travers souvent répétés pour l’organisation des coupes d’Afrique alors même qu’ils ne semblent pas inéluctables.

Les populations sur place

Les villes où a eu lieu « la grande messe du football africain » ont connu une nette inflation. Cette flambée des prix notamment des services liés à la restauration et à l’hébergement n’a pas épargné les denrées alimentaires de première nécessité. A Franceville (au nord du Gabon) par exemple, de nombreux habitants se sont plaints de l’envolée des prix. Selon les relais d’Africa Info au Gabon, le carton de poulet dont le prix était de 9 000 FCFA est subitement passé à  15 000 FCFA. Une légère pénurie de pain a également été remarquée ici et là. Un coût payé par la population locale.

Evidemment, la CAN ne se traduit pas par une perte de pouvoir d’achat pour l’ensemble de la population hôte. L’une des attentes suscitées par l’évènement est le coup de pouce qu’elle donne à l’économie locale avec la demande accrue de logement, de restauration, de transport et les surplus touristiques qu’elle engendre. Les hôtels des 4 villes hôtes (Libreville, Franceville, Bata et Malabo) ont affiché pour  la plupart complet pendant les trois semaines. Les vendeurs des gadgets accompagnant l’évènement ont pu écouler leurs produits. Mais, les effectifs des spectateurs présents lors de cette CAN n’ont pas été à la hauteur des attentes.

Les spectateurs qui ont fait le déplacement

Malgré des billets d’entrée pour les matchs de la CAN relativement bon marché (leur prix variaient entre 5 000 FCFA  et 100 000 FCFA), de nombreuses tribunes étaient vides lors de plusieurs rencontres. Les fans de foot africain n’ont pas afflué vers la Guinée Equatoriale et le Gabon, pour cette édition de la CAN et c’est probablement là, la plus mauvaise nouvelle de ces trois semaines de compétition. Une mauvaise nouvelle pour les économies locales qui n’ont pas pu profiter suffisamment des retombées de l’évènement, une mauvaise nouvelle également pour la CAF et les pays hôtes car les recettes de la billetterie ont été bien plus maigres que prévu. La crise économique internationale qui n’a pas épargné l’Afrique est certainement l’une des raisons de cette faible participation. Elle a mis en difficulté les Etats qui ont moins pu sponsoriser les associations de supporters, ces derniers ayant eux-mêmes une situation financière rendue plus délicate par la croissance atténuée des pays africains sur les 3 dernières années.

Les téléspectateurs

Le domaine des droits de télévision n’a manifestement pas subi la crise. Al-Jazeera, la chaîne qatarie détentrice des droits de diffusion de la compétition pour l’Afrique du Nord a proposé aux pays de la zone 10 matchs pour un coût de 10 millions de dollars ! Un prix accepté par le Maroc mais rejeté par la Tunisie qui l’a trouvé excessif et hors de portée. Au sud du Sahara, c’est la société LC2-AFNEX de l’homme d’affaires béninois Christian Lagnidé qui a prié les pays qualifiés tels que le Mali, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire de s’acquitter de la somme de 1 million d’euros pour l’ensemble des matchs de la CAN 2012 (Jeune Afrique). Le Niger, également qualifié, a dû s’aligner sur ces prix exorbitants malgré sa situation économique très compliquée. Une envolée des prix des droits de rediffusion très pénalisante pour des gouvernements africains qui se retrouvent pris en sandwich entre les exigences démesurées des sociétés détenant les droits et les aspirations légitimes de leurs populations à regarder, supporter et vibrer au rythme de la plus grande compétition du sport roi en Afrique. C’est certainement l’un des domaines où la CAF devrait faire montre de moins de passivité.

Coûts et gains politiques

Il est difficile de séparer le football de la politique en Afrique. Les coûts et gains liés à cette CAN sont également politiques. On se risque peu en imaginant un coût politique pour le président Wade au Sénégal avec l’énorme déception qu’a entraînée l’élimination prématurée des Lions de la Teranga et des gains politiques en Zambie, dans les pays organisateurs et en Côte d’Ivoire. L’omniprésent Ali Bongo Ondimba a bien compris que la réussite de cette CAN était positive pour son image et son acceptation par la société civile. Voir les populations en liesse notamment après la belle victoire contre le favori marocain et surtout entendre leur brusque regain d’amour pour leur pays et pour leurs dirigeants a sans doute été apprécié par ABO. La Côte d’Ivoire meurtrie par les récents évènements qui ont coupé le pays en deux a eu l’occasion d’afficher son unité derrière son équipe nationale. Sans prétendre que cette CAN ait pansé les plaies, elle a certainement adouci, au moins légèrement, certaines tensions.

Tite Yokossi

Crédit photos: Matchfootdirect.com – 20min.ch – acotonou.net


Afrique de l’Ouest: Comment financer les entreprises?

Une entreprise, petite, moyenne ou grande a besoin de financement pour survivre et se développer. En Afrique de l’Ouest, les entreprises rencontrent d’énormes difficultés pour se financer et ces difficultés pèsent indéniablement sur le développement économique de la sous-région.

La difficulté la plus courante est celle liée à l’analyse du risque associé aux prêts. La plupart des entreprises (majoritairement des PME) n’arrive pas à fournir les informations nécessaires à cette analyse décisive. La raison en est simple : elles ne disposent en général pas de livres comptables fiables. L’accord de classement en vigueur dans l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) impose des ratios de structure très contraignants pour les banques prêteuses. Certes, les entreprises jouissant d’un accord de classement bénéficient d’une facilité de financement auprès des banques de l’UEMOA ( qui elles obtiennent une couverture en termes de réserves obligatoires) mais malheureusement très peu d’entreprises arrivent à respecter les ratios de décision[i]. L'économie informelle étant prédominante, beaucoup d'entrepreneurs africains ignorent ou peinent à respecter les bonnes pratiques  exigées par  le système comptable uniformisé (SYSCOA). Il leur est difficile de produire des informations comptables et financières de qualité et par conséquent d’obtenir des accords de classement. 

Le manque de collatéral (l’ensemble des actifs, titres ou liquidités, remis en garantie par le débiteur afin de couvrir le risque de crédit)  de qualité comme des biens immobiliers de grande valeur constitue un autre blocage de taille. Car, pour se couvrir contre le risque de crédit, es institutions financières exigent des collatéraux de valeur et dont la monétisation est immédiate.

Une étude de la Banque Mondiale [ii] nous enseigne que 60% des banques africaines citent l’environnement macroéconomique (dont le système fiscal) comme un facteur qui limite l’émergence des financements accordés aux PME. Malgré ces contraintes, les grandes entreprises (minoritaires en Afrique de l’Ouest ) se financent relativement bien contrairement aux PME alors que ces dernières sont cruciales pour accélérer le développement économique des pays africains[iii]. Les institutions de microfinance, pour autant qu’elles respectent les bonnes pratiques de gouvernance[iv], ont là un vrai rôle à jouer.  Ces institutions facilitent déjà l’accès des entreprises au financement dans plusieurs pays. C’est la cas du réseau ACEP au Cameroun, du Réseau des Caisses Associatives d’Epargne et de Crédit des Entrepreneurs et Commerçants du Mali (CAECE-JIGISEME) ou encore du réseau PAMECAS au Sénégal avec son Centre d’Entrepreneurs. En effet, les entreprises mêmes moyennes ont souvent besoin de montants importants, dépassant souvent 30 à 40 millions de FCFA. Compte tenu des contraintes bancaires existantes, la microfinance, si elle abandonne ses dogmes de micro-prêts peut être un excellent appui au financement des PME. Les résultats d’une étude récemment menée indiquent que les financements accordés aux entreprises béninoises ne contribuent pas significativement à la croissance de ces dernières. Nos entreprises ont besoin de gros financements pour que leur efficacité se ressente tant au niveau  microéconomique que macroéconomique. Finadev Group, une institution de microfinance béninoise, a ainsi décidé de réhausser le plafonds de ses prêts de 20 à 100 millions FCFA . C’est une décision dont l’impact est positif pour la croissance des entreprises débitrices car ces dernières ont moins de contraintes dans les possibilités de choix stratégiques qui s’ouvrent à elles.

Des problèmes demeurent quant à la fiabilité du système juridique. Au Bénin, par exemple, quand il y a des impayés sur des prêts octroyés aux PME, les saisies traînent en longueur du fait des carences de la justice et du ministère des finances. Néanmoins, il est important de noter que des efforts sont faits pour juguler ces faiblesses. Le nouveau pacte commissoire en matière d’hypothèque qui vient d’y être mis en place est intéressant car il permet que les IMFs acceptent désormais des promesses d’affectation d’hypothèque en couverture des prêts qu’elles octroient.Ce nouveau système a l’avantage de réduire les coûts de crédit des PME tout en garantissant une certaine sécurité à l’établaissement de crédit même s'il reste peu fiable du fait de la lenteur des réformes judiciaires et d’urbanisation.  

Par ailleurs, des dispositifs d’appui au financement des entreprises tels que les fonds (FSA, GARI, FAGACE) qui donnent des garanties aux institutions financières pour mettre à la disposition des banques de développement des ressources longues (dans le temps), existent. Mais, leur impact sur l’accès au financement est loin d’être uniforme car leur existence profite surtout aux PME haut de gamme.

D'autre part, les entreprises africaines ne souffrent pas forcément d’un manque de fonds propres. Souvent, les difficultés se concentrent au niveau de l’expertise et de l’injection de capitaux tiers (étrangers, dont ceux provenant de fonds d’investissement). Ces derniers constituent en effet, une ressource très utile, dont est hélas privée, la très grande majorité des entrepreneurs africains. En effet, ils apportent une gouvernance additionnelle, une expertise managériale et font baisser le coût du financement. Ces fonds mettent également à la disposition des entreprises des ressources longues cruciales pour le développement à moyen terme des entreprises. Ces ressources longues manquent souvent cruellement. Dans l’UEMOA, le refinancement des institutions financières en particulier des IMFs a une maturité maximale de 3 ans. Heureusement, comme nous l’avons souligné dans un article paru sur Terangaweb, les fonds de capital investissement se développent en Afrique, même si le nombre d’opérations qu’ils réalisent reste encore modeste. En attendant l’émergence de cette nouvelle industrie de financement, il est primordial de s'atteler à la création d’un cadre institutionnel favorisant l'information de qualité sur les entreprises – en particulier les PME, l’accélération des réformes juridiques entamées et l’assainissement progressif du cadre macroéconomique.

Judicaël Tossou & Tite Yokossi

 

[i]  L’avis aux banques et établissements financiers N°4/AC/02 indique d’une part que  les états financiers audités des trois derniers exercices comptables et ceux des trois à venir sont essentiels pour toute demande d’accord et d’autre part que 4 ratios de décision sont utilisés (autonomie financière, capacité de remboursement, rentabilité et liquidité générale)

[ii] Maria Soledad Martinez Peria, Economiste à la banque mondiale, analyse publiée dans la revue ''Secteur privé et developpement'', N°1, Mai 2009, page 6

[iii] Quelles perspectives de financement pour les PME en Afrique? Admassu Tadesse, Mai 2009

[iv] Des cas d'école de mauvaises pratiques de financement sont malheureusement à noter en Afrique de l'Ouest. Au Bénin par exemple, il ressort des  crises de deux grandes IMF que des crédits étaient mis en place sans aucun respect des critères décisifs, sur la base d'analyses fictives pour financer des réseaux de faussaires.

Le capital-investissement en Afrique : utopie ou réalité ?

Le capital-investissement ou Private equity en anglais – cette activité qui consiste pour des investisseurs à entrer au capital de sociétés demandeuses de capitaux et non cotées en bourse – est en nette croissance en Afrique même si elle y reste encore modeste en comparaison avec les pays émergents . C’est ce qu’indique une récente étude de l’Emerging Markets Private Equity Association (EMPEA) qui en décrit les derniers développements de même que les défis.

En effet, les levées de fonds ont atteint 6 milliards de dollars entre 2006 et 2008 contre 2 milliards de dollars entre 2000 et 2005. L’Afrique subsaharienne a accueilli moins de 4 % des 159 milliards de dollars  levés pour  l’ensemble des marchés  émergents  entre  2006 et  2008,  et moins  de  0,5 %  des 1  400  milliards  de  dollars  levés dans  le monde. En 2010, l’Afrique subsaharienne a atteint un record absolu de 6 % du total des capitaux levés pour les marchés émergents  et cette tendance devrait se poursuivre.

Le principe du capital-investissement est en réalité assez simple. Il consiste à devenir l’actionnaire principal d’une entreprise et à vendre ses parts quelques années plus tard, étape appelée dans le jargon financier « la sortie ». Le fonds de capital-investissement apporte donc non seulement des capitaux mais est également un actionnariat professionnel qui peut améliorer la capacité de gestion de l'entreprise cible. L’achat des parts se finance en partie grâce à de la dette et les plus-values sont réalisées au moment de la « sortie » qui a lieu en général 3 à 10 ans après l'entrée au capital.

En Afrique, le développement du capital-investissement ne profite pas seulement aux entreprises qui y trouvent des sources de capitaux et la possibilité de s’agrandir et de se diversifier. Elle constitue aussi un excellent instrument pour investir l’épargne, élément souvent abondant sur le continent  et dont la fructification est source de casse-têtes. Chaque jour en Afrique, de nombreux projets de création ou de développement d’entreprises sont élaborés mais ne voient pas le jour du fait du manque de  capitaux. Chaque jour en Afrique, de l’épargne est dirigée faute de mieux vers  l’achat d’actifs immobiliers, la consommation ou les dépôts bancaires à terme. Le capital-investissement  pourrait résorber cette inefficience et contribuer à la croissance et au développement. Il offre une solution à des institutions qui auraient pu investir directement dans des entreprises mais en sont dissuadés  par  l’opacité  des marchés.

L’Afrique attire désormais une plus grande diversité d’investisseurs. Alors que les institutions financières de développement étaient les soutiens traditionnels du capital-investissement dans la région, la majorité des fonds sont aujourd’hui apportés par d’autres investisseurs. C’est ce qu’on remarque par exemple chez Helios Investment Partners, le plus grand fonds panafricain de Private equity, l’un des rares à être financé et géré par des africains, dont 70% des 900 millions de dollars levés mi 2011 sont venus d’investisseurs autres que les institutions de développement.

Le capital-investissement permet également des opérations sur des actifs qui sortent du cadre des extractions minières et du secteur bancaire, secteurs qui couvrent à eux seuls la quasi-totalité du marché des actions en Afrique. Même s’ils occupent – logiquement- une place importante dans le capital-investissement, en 2010, plus de la moitié des opérations ont été réalisées dans d’autres  secteurs comme l’agroalimentaire (par exemple Dewcrisp et Foodcorp en Afrique du Sud), la santé (clinique  Snapper  Hill  au  Liberia  et  hôpital pour  femmes à Nairobi) et  les médias et  télécommunications  (Wananchi Group au Kenya) . Comme on peut le voir, l’activité reste concentrée sur une poignée de marchés essentiellement en Afrique anglophone (Afrique du Sud, Kenya, Nigéria). Si on retrouve le différentiel de croissance et d’émergence entre l’Afrique anglophone et l’Afrique francophone,  on note au cours des dix-huit derniers mois une nette diversification géographique avec des sociétés soutenues par des investisseurs en capital au Bénin,  au Congo,  au Ghana,  au Liberia, à Madagascar et en Tanzanie.

Si d’après une étude réalisée par l’EMPEA, 67% des gestionnaires de fonds interrogés considèrent l’Afrique attractive en 2011 et 39% y prévoient des investissements, certains facteurs minent encore le développement du Capital-investissement sur le continent africain, le principal étant le manque de main d’œuvre qualifiée.  « Selon les gérants de fonds, le déficit de capital humain – les professionnels capables de développer, sélectionner, structurer et exécuter les opérations – pèse sur leur capacité à saisir les opportunités  qui  se  présentent.  Le  vivier  de cadres qualifiés travaillant dans les sociétés en portefeuille reste modeste, en particulier en ce qui concerne les directeurs financiers. De plus, l’absence  d’un  solide  réseau  d’intermédiaires –…conseillers, banquiers, courtiers et analystes…– génère  un  important  travail  de  recherche  et d’évaluation », rapporte Jennifer Choi, responsable des activités extérieures, des relations publiques et des partenariats institutionnels d’EMPEA. Le nombre de gérants de fonds actifs africains a quintuplé au cours de la dernière décennie mais il reste faible. Il s’agit certainement d’une opportunité à saisir pour les cadres africains compétents dans le domaine, à l’heure où des textes comme la Circulaire Guéant en France ou d’autres en Angleterre et ailleurs compliquent les conditions d'accès au travail de la diaspora africaine.

Le risque politique et les conditions de sortie difficiles du fait de la taille modeste du marché sont deux autres obstacles majeurs à l'essor du capital investissement en Afrique. Mais, les prix d’entrée proposés sont réellement compétitifs et les rendements importants. Les taux de rentabilité interne nets sont de plus de 20 % sur dix ans, contre environ 13 % au Royaume-Uni et 8 % aux États-Unis (RisCura et SAVCA, 2011). L'on est donc en droit d'être optimistes en la matière et c’est une bonne nouvelle pour tout le monde : les sociétés africaines en recherche de capital relativement bon marché, les investisseurs africains en quête de placements intéressants pour leur épargne et les autres investisseurs qui souhaitent diversifier et donc « hedger » leur exposition aux marchés.

 Tite Yokossi

Marie-Cécile Zinsou, Présidente de la Fondation Zinsou dédiée à l’art africain

Terangaweb : Comment vous est venue l’idée de la création d’une fondation dédiée à l’art africain ?

Marie-Cécile Zinsou : J’ai eu l’idée de la création d’une fondation en 2004 lorsque j’étais professeur d’histoire de l’art au village SOS pour des jeunes béninois orphelins qui avaient entre 10 et 16 ans. Il y avait un vrai engouement pour l’art et une passion absolue pour la culture. J’ai donc promis à mes élèves de les amener au Musée pour voir des artistes contemporains. Et là je me suis rendu compte que j’avais fait une énorme erreur puisqu’en 2004, le musée le plus proche du Bénin où l’on pouvait voir des artistes contemporains était le Kunst Palace de Düsseldorf qui présentait alors Africa Remix. Et quand il y a 80 enfants béninois à amener à Düsseldorf, ce n’est pas une mince affaire.

Alors plutôt que de les amener à Düsseldorf, je me suis dit qu’il valait mieux amener l’exposition de Düsseldorf dans des villes béninoises comme Cotonou ou Abomey-Calavi. En fait, voir des expositions d’artistes africains à Paris ou dans les villes européennes n’est pas difficile mais le problème reste de donner une visibilité à ces mêmes artistes sur le continent africain. C’est donc dans cette optique que nous avons créé la Fondation au départ. L’objectif est de faciliter l’accès des enfants à l’art et à la culture en général avec pour idée de présenter la culture africaine en terre africaine. Il est important de pouvoir parler de notre culture qui est immensément riche et reconnue par tous.

L’intérêt c’est aussi d’avoir quelque chose qui place l’Afrique sur la marche la plus élevée du podium. On ne peut pas nier la culture de l’Afrique ni le travail de ses artistes. Il s’agit d’un travail d’avant-garde sur plusieurs siècles. Ce sont des choses dans lesquelles nous excellons et il y a toute cette partie qui fait de l’Afrique un continent passionnant.

Terangaweb : Quel a été le parcours de la fondation depuis sa création ?

Marie-Cécile Zinsou : A La première exposition – qui a recueilli beaucoup de visiteurs et qui nous a encouragé à continuer – on a commencé avec Romuald Hazoumé. Cette exposition portait sur le travail d’un artiste béninois immensément reconnu, qui a gagné le grand prix de la Dokumenta 12 de Kassel, dont les œuvres ont été achetées par le British Museum et sont présentes dans les collections nationales anglaises et françaises.

Cela a permis à d’autres artistes majeurs de se concentrer sur la fondation et d’y voir un intérêt. C’est ainsi que nous avons présenté Malick Sidibé juste avant qu’il ne gagne le Lion d’or lors de la biennale de Venise. Nous avons aussi présenté des artistes de l’avant garde sur Bénin 2059 (à quoi ressemblera le Bénin et l’Afrique en 2059 ?), des artistes béninois comme Dominique Zinkpé, Aston, Quenum, etc. des artistes jeunes et  brillants.

On a aussi créé progressivement une collection de 600 pièces qu’on a présentées dans les expositions récréations et manifestes. Ces 600 pièces portent sur les artistes de tout le continent et sur des médiums très différents (photo, peinture, dessin, sculpture, etc.). Cette collection est en développement permanent et nous permet de donner une visibilité très forte aux artistes africains sur le continent.

Par ailleurs, nous recevons également des expositions venant de l’étranger. On a notamment reçu la première exposition africaine du Quai Branly en Afrique ainsi que des Basquiat, ce qui n’était pas particulièrement évident car aucun collectionneur ne s’imaginait prêter des Basquiat en Afrique et on en a quand même eu 64 qu’on a présentés pendant 3 mois à un public subjugué. 

Terangaweb : Et vous n’avez pas eu du mal à gagner en crédibilité et à attirer des partenaires  comme le Quai Branly?

Marie-Cécile Zinsou : Non et en plus c’est le Quai Branly qui est venu nous noir en nous faisant part de son souhait de présenter une exposition en Afrique et en nous demandant la manière dont il fallait s’y prendre. En réalité, la Fondation Zinsou s’est très vite mise à des standards internationaux pour pouvoir échanger avec des institutions tels que le Quai Branly.

Terangaweb : C’est un pari qui est un peu osé de promouvoir la culture en Afrique, êtes vous satisfaite ?

Marie-Cécile Zinsou : On s’est basé sur ce que veulent les gens et on a aussi essayé d’évoluer avec notre public. Ce qui est intéressant c’est qu’au départ il n’y avait pas de public de musée et maintenant on grandit avec lui.  L’institution s’adapte à son public, ce qui ne constitue pas une démarche tout à fait classique mais plutôt celle de quelqu’un comme moi qui à la base n’est pas conservateur de musée. Je suis exactement dans la situation du visiteur et quand je crée une exposition, je le fais en me disant « quand j’entre dans un musée, je sais ce que j’ai envie que l’on m’apporte ».

Terangaweb : Est-ce qu’il existe un vrai engouement du public pour voir  les expositions ?

Marie-Cécile Zinsou : Ah oui, 3 millions de personnes en 6 ans (ndlr : sur un pays de 9 millions d’habitants), je pense qu’on peut appeler cela un vrai engouement du public. Soit dit en passant, notre public est essentiellement composé d’enfants de moins de 18 ans et défavorisés. On pense que les enfants les plus modestes sont ceux qui ont le plus de mal à avoir accès à leur culture puisque ne leur sont offerts que très peu de moyens à cet effet. Il est donc important de les former très tôt et de leur donner l’envie de découvrir davantage leur culture. 

Terangaweb : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Marie-Cécile Zinsou : Il ne s’agit pas de vraies difficultés car on est en Afrique et les choses s’organisent paradoxalement plus vite qu’ailleurs. Par exemple je viens d’avoir les fonds pour monter une nouvelle mini-bibliothèque parce que Sotheby’s a décidé d’en ouvrir une autre et cela va se faire en décembre. Je ne connais aucune autre région du monde où cela peut se faire en moins de 3 mois. En plus nous avons la chance d’avoir une structure de décision assez rapide et d’être dans un pays comme le Bénin dans lequel on exécute très vite les choses. A ce niveau, il n’existe donc pas de réelles difficultés. 

Les difficultés résident plutôt dans les a priori de la classe politique qui pense que l’art n’est pas important ou ceux des gens qui estiment qu’en Afrique il faut plutôt des associations contre le Sida plutôt que pour l’art. Ce sont donc des a priori à combattre mais les gens désarment très vite. 

Terangaweb : Et quelles sont vos perspectives ?

Marie-Cécile Zinsou : Nous allons développer des bibliothèques car elles sont essentielles pour soutenir l’accès à la culture. On travaille sur l’accès des tout petits à la lecture comme une chose naturelle et pas seulement une aptitude que l’on acquiert à l’école. Nous souhaitons que le livre fasse partie de la vie de ces petits enfants et devienne donc une évidence. C’est à cet effet que nous développons un réseau de bibliothèques. Nous en avons déjà quatre et nous espérons pouvoir en ouvrir deux autres dans les prochains mois. Nos partenaires, comme Sotheby’s et Enrico Navarra qui nous avait déjà prêté des Basquiat pour nos expositions, apprécient beaucoup l’aspect très concret de leur aide et le fait de voir leurs projets se développer au quotidien. 

Ce qui est formidable, c’est aussi que les partenaires qui nous soutiennent s’inscrivent dans une relation à long terme. Par exemple toutes les entreprises qui ont sponsorisé les premiers évènements de la Fondation continuent encore aujourd’hui de nous accompagner.

Terangaweb : De façon plus générale, quel est le regard que vous portez sur la philanthropie en Afrique ?

Marie-Cécile Zinsou : Je pense qu’il faut que les gens fassent des choses même si elles pensent que leur action est restreinte. Si je prends l’exemple des bibliothèques, cela touche à peu près 160 enfants par jour, ce qui n’est pas du tout négligeable. Le coût pour monter ce type de projet s’élève entre 10 000 et 15 000 euros, ce qui est largement faisable. Mais les gens, lorsqu’elles ont 10 000 euros, ne pensent pas spontanément à venir voir des organismes comme le nôtre pour développer ce type de projet. Notamment au sein de la diaspora, il faudrait que les gens apprennent à faire des choses à leur échelle, même si cela paraît être une petite échelle, car on trouve toujours un petit projet concret qui peut avoir un impact non négligeable sur la vie des populations. Il y a quelque chose d’intéressant à développer sur la philanthropie de chacun et qui ne demande pas des moyens exubérants. Chacun peut faire quelque chose qui améliore la vie des siens.

Interview réalisée par Tite Yokossi et Nicolas Simel

4 exemples de lutte réussie contre le paludisme

Le paludisme est une maladie qui touche plus de 220 millions de personnes par an et qui en tue environ 785 000, dont 90% en Afrique. Elle est l’une des causes principales de la mortalité infantile en Afrique subsaharienne et la deuxième maladie meurtrière du continent après le VIH/SIDA. Le paludisme n’est pas seulement un énorme problème de santé publique en Afrique, c’est aussi un obstacle au développement. En effet, on estime à 12 milliards de dollars par an, le coût imposé par la maladie en termes de baisse de la productivité potentielle. Selon les économistes, la présence du paludisme dans un pays africain entraîne une pénalité de croissance de 1.3%. Un cercle vicieux s’établit alors, le paludisme apparaissant comme une cause et une conséquence de la pauvreté.

Pendant longtemps, le paludisme a été une maladie relativement négligée. Mais depuis le milieu des années 2000, il existe une vraie mobilisation internationale et un investissement réel de certains gouvernements africains pour lutter contre le fléau. Des programmes ambitieux de lutte ont été mis en place et sont, en général, axés sur : la distribution massive de moustiquaires imprégnées longue durée ; la pulvérisation d’insecticides à l’intérieur des habitations ; le traitement préventif des femmes enceintes ; le traitement des sites où prolifèrent les moustiques ; l’accès à de nouveaux tests de diagnostic rapide, et à de nouvelles combinaisons de médicaments très efficaces à base d’artémisinine, un composé dérivé d’une plante chinoise.

De francs succès ont été enregistrés comme l’illustrent les 4 pays suivants.

Erythrée

En une décennie, l’Erythrée a réduit la mortalité due au paludisme de plus de 90% puisqu’elle est passée de 100 000 cas en 2000 à environ 8000 cas en 2008 ! Ce succès a été obtenu grâce à un engagement fort du gouvernement érythréen qui en plus d’avoir introduit des médicaments anti-paludisme plus efficaces, a traité les sites de prolifération des moustiques, facilité l’accès aux moustiquaires imprégnées et encouragé les populations à pulvériser les intérieurs pour tuer l’agent vecteur de la maladie.

Ethiopie

Comme l’Erythrée, l’Ethiopie a adopté une démarche intégrée de lutte contre le paludisme qui inclut les mêmes axes de lutte. En 2009, l’Ethiopie a lancé un Plan Stratégique National de Lutte contre le paludisme qui à la différence de l’Erythrée a placé en première priorité la responsabilisation et la mobilisation des communautés. Le but du programme était donc, en plus des axes courants de lutte, d’améliorer la compréhension et les compétences des populations en matière d’accès, de suivi et d’évaluation. Des données récentes montrent une réduction nette du nombre de malades du paludisme de même qu’une baisse de 60% de la mortalité chez les mères et de 20% chez les enfants.

Rwanda

La stratégie de lutte contre le paludisme au Rwanda se rapproche beaucoup de celle de l’Erythrée mais elle s’est construite en deux étapes lors de la dernière décennie. En 2005, le Rwanda constatant une résistance largement étendue aux médicaments alors utilisés (une combinaison d’amodiaquine et de sulfdoxine/priméthamine) se rallie à l’utilisation des thérapies à base d’artémisinine, en vogue sur le continent. Grâce à ce virage et aux importants efforts réalisés pour prévenir la maladie, le nombre de décès dus à la maladie déclina de 1.5 million en 2005 à 800 000 en 2008 et la mortalité infantile se réduisit de 32% durant la même période.

Mais ce sont les résultats en matière de prise de conscience et de comportement des populations qui sont les plus encourageants et les plus prometteurs. On note par exemple une augmentation de 40% du taux d’utilisation des moustiquaires imprégnées par les ménages entre 2005 et 2008. Dans la même période, l’accès aux soins de santé hospitaliers a crû de 16.8%. Le Rwanda dont la population toute entière courait jadis le risque du paludisme est aujourd’hui l’un des champions de la lutte contre la maladie.

Zambie

A l’image de l’Ethiopie, le Ministère Zambien de la Santé a adopté un plan de lutte contre le paludisme fait d’interventions spécifiques mais avec en arrière plan une amélioration générale du système de santé. Ce dernier point inclut notamment la décentralisation du planning et de la budgétisation et le renforcement du suivi et de l’évaluation des programmes de santé publique. Les résultats de cette approche ont été probants. 3,6 millions de moustiquaires imprégnées d’insecticides à effet longue durée ont été distribuées entre 2006 et 2008. La pulvérisation d’insecticides à l’intérieur des habitations a elle fait un bond en passant de 15 districts en 2006 à 36 en 2008. En seulement deux ans, le nombre de morts dues au paludisme a baissé de 47% et des réductions de plus de 50% ont été remarquées quant au nombre d’infections et de cas de sévère anémie chez les enfants.

Un document récent publié par la Banque Mondiale intitulé The Malaria Control Success Story (L’histoire du Succès de la lutte contre le Paludisme) renferme de plus amples détails sur les succès présentés ci-dessus. Dans les différents cas mentionnés, la clé du succès a résidé dans la combinaison d’une volonté manifeste du gouvernement à mettre fin à la maladie et d’une mobilisation de moyens financiers importants pour la combattre.

Il faut cependant remarquer que tous les pays africains n’affichent pas des résultats aussi bons. Dans certains pays, la situation stagne voire se dégrade. D’après Eric Mouzin, médecin épidémiologiste au sein du Partenariat international Roll Back Malaria (Faire reculer le paludisme), « C’est le cas, d’une part, de grands pays d’Afrique, comme le Nigeria, ou la République démocratique du Congo, où les défis logistiques pour intervenir auprès des populations sont considérables ; il y a d’autre part des pays qui ont du mal à trouver des partenaires, comme le Tchad, ou la Centrafrique ». Sur le terrain, la situation est donc contrastée mais d’un point de vue global, le nombre de décès dus à la maladie a été réduit de 25% au cours de la dernière décennie.

 

Tite Yokossi

La filière cacao au Ghana : l’histoire d’un succès

La filière cacao au Ghana qui fait vivre plus de 700.000 agriculteurs dans le Sud du pays a façonné l’économie et la politique de ce pays ouest-africain. Son histoire déjà centenaire est pleine de rebondissements et  riche d’enseignements. C’est l’histoire du succès de ce secteur que présente la Banque Mondiale dans un rapport intitulé Cocoa in Ghana : Shaping the Success of an Economy.

Le document détaille les quatre phases bien distinctes qu’a traversées la production du cacao au Ghana. En effet,  après une introduction et une croissance exponentielle (1888-1937), l’on a assisté à une stagnation suivie d’une rapide croissance après l’indépendance (1938-1964) puis à un effondrement presque fatal (1965-1982). Depuis 1983 et la mise en place de l’Economic Recovery Program (Programme de relance économique – ERP), la filière s’est redressée et n’a cessé de croître.

La croissance exponentielle de la production de cacao de la fin du 19è et du début du 20è siècle a été favorisée par la chute des prix de l’huile de palme, une forte pression démographique et un boom des exportations de caoutchouc qui a permis de réunir le capital nécessaire. La production atteignait déjà dans les années 30, 300.000 tonnes. La deuxième phase fut moins fulgurante. L’administration de Kwame Nkrumah des années 50  et 60 établit  un organisme gouvernemental, l’UGFCC, comme acheteur monopolistique de toute la production et ne cessa d’augmenter la taxation des exportations  de cacao, ceci dans le but de financer les dépenses publiques. Ces mesures qui pénalisèrent les producteurs et leurs exportations jouèrent également un grand rôle dans la destitution de Nkrumah en  1966.

Le Conseil National de Libération au pouvoir après Nkrumah décida d’augmenter la rémunération des producteurs mais du fait de la baisse des prix du cacao et de l’entrée en jeu de compétiteurs comme la Malaisie, l’Indonésie, la Côte d’Ivoire et le Brésil,  la production stagna puis se mit à baisser drastiquement.

Le lancement de l’ERP dont les mesures phares furent la mise en place d’une rémunération supérieure à celle des pays voisins pour empêcher les fuites, la dévaluation du Cedi pour réduire les coûts de production et la rémunération de la qualité de la production appuyée par l’Institut de recherche Cocoa Research Intitute of Ghana,  a permis un net rebond de la filière. Le secteur se porte encore mieux depuis les années 90 et surtout 2000, grâce à une révolution technique (utilisation d'engrais et de variétés améliorées de semences, meilleure gestion des plants contaminés par des virus) et un environnement favorable (prix élevés, réputation de haute qualité et libéralisation contrôlée et prudente du marché).

Plusieurs défis restent encore à relever par le secteur du cacao ghanéen. Ils touchent à la productivité qui peut encore être améliorée de 50 à 80%, à la compétition qui est dorénavant féroce, à la longévité de l’avantage qualité qu’il faut s’efforcer de maintenir et à l’impact environnemental de la production.

Tite Yokossi

 

Des indicateurs pour le développement en Afrique

La bonne gouvernance revient constamment dans le débat actuel comme un facteur clé du développement. Nombre d’économistes et de penseurs s’accordent à dire qu’il est crucial, en Afrique et ailleurs, d’avoir des institutions fortes et indépendantes dont le bon fonctionnement favorise la prospérité. Au nombre des maux qui minent la bonne gouvernance  en Afrique, on cite plus souvent le manque de sens patriotique, la   corruption ou encore l’incompétence. Il est bien plus rare d’entendre que les décideurs africains connaissent mal la société qu’ils sont censés diriger, qu’il est difficile de gouverner à l’aveugle ou encore de naviguer sans tableau de bord. De quel tableau de bord parlons-nous ?

Il s’agit des indicateurs qui permettent de mieux saisir la situation économique, sociale et politique des différentes subdivisions d’un pays, dans une vision statique ou dynamique. Personne ne connaît le taux de chômage au Bénin et encore moins s’il est en hausse ou en baisse par rapport à l’année dernière. Personne ne mesure la croissance du secteur informel en Tanzanie. On ne dispose pas de sondage au Niger pour savoir ce que pense la population des mesures prises par rapport à l’exploitation de l’uranium ou encore à Dakar pour avoir une idée de la popularité des dernières mesures d’urbanisation de la ville. Ces indicateurs touchent à tout, de l’éducation (taux de scolarisation par région, taux d’abandon, accès à l’école) à la santé (accès aux soins de santé, coût moyen des frais de santé, sécurité sociale) en passant par l’agriculture (production, stockage, commercialisation), les exportations, l’énergie (taux d’électrification, type d’énergie utilisé par foyer), le secteur informel et la bancarisation. Cette liste est loin d’être exhaustive mais il nous paraît déjà clair que la (meilleure) connaissance de ces indicateurs clés serait un coup de pouce considérable en matière de gouvernance et de développement. Rêvons un peu.

Le premier avantage de ce tableau de bord est l’aide à la décision. La disponibilité de ces données permet que se dessinent de façon naturelle les priorités – les régions dans lesquelles il faut agir rapidement ou encore les problèmes qui gangrènent le plus le système. Il est par exemple assez difficile de concevoir une politique démographique quand on connait mal les taux de natalité et de mortalité par région.  Ensuite, la présence de ces chiffres permet de mieux suivre l’impact des décisions et des politiques mises en place. Le gouvernement peut en suivant dans le temps des indicateurs spécifiques se rendre compte de l’impact effectif de ses actions et le comparer à celui escompté. On pense par exemple à l’accès aux soins de santé primaires dans les régions reculées et éloignées des grands centres africains.

La disponibilité de ces indicateurs règle également l’interaction entre la société civile et les institutions qui décident, entre les mandants et leurs mandataires.  Le suivi des décisions et le débat autour de celles-ci peut être organisé par la société civile en s’appuyant sur ces chiffres. Dans plusieurs pays africains, beaucoup sont mécontents de l’action gouvernementale. Soit. Mais, il leur est plus difficile d’étayer de façon convaincante leur position quand ils connaissent mal l’impact de décisions particulières prises par les institutions dirigeantes ou encore la popularité de ces décisions. C’est là un autre élément majeur qui apparaît avec ces chiffres. Les différents acteurs ont une meilleure idée de la popularité de telle ou telle politique et évitent de généraliser l’impression qu’ils ont eue à partir de leur entourage immédiat.

Si les gouvernements africains décidaient de mettre en place ou alors de développer des instituts de statistiques autonomes et compétents,  ils auraient là également le socle sur lequel pourraient se reposer des études économiques enfin bien adaptées aux réalités africaines et conduites par des africains. Les économistes africains pourraient réaliser une économétrie approfondie de la situation du continent et penser la macroéconomie et la microéconomie africaines à l’aune des données recueillies; ce qui serait d’un énorme soutien à la prise de décisions.

En réalité, de très bonnes écoles de statistique existent en Afrique.  Parmi les plus connues en Afrique subsaharienne francophone figurent l'ENSEA, l'ISSEA et l'ENSAE-Sénégal. L’Ecole Nationale Supérieure de Statistique et d’Economie Appliquée (ENSEA) d’Abidjan est un établissement chargé de la formation et du perfectionnement des cadres statisticiens économistes, de la recherche et du conseil en statistique, démographie et informatique. L’Institut Sous-régional de Statistique et d’Economie Appliquée (ISSEA) situé à Yaoundé est un établissement public inter États de la CEMAC doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière. L’École Nationale de la Statistique et de l'Analyse Economique (ENSAE-Sénégal), établissement d’enseignement supérieur professionnel basé à Dakar, forme et perfectionne des cadres statisticiens pour les secteurs public et privé.

La présence et le bon fonctionnement de ces écoles est indéniablement un premier pas. Il est important de développer ces dernières pour qu’elles forment plus de jeunes qualifiés. Quant on sait qu’entre 1994 et 2002, l’ENSEA n’a formé que 213 Ingénieurs statisticiens économistes et 248 Ingénieurs des travaux statistiques qui se répartissent dans les différents pays ouest-africains, l’on imagine les défis qui restent à relever. Il est crucial que ces écoles travaillent davantage de concert avec les différents gouvernements et que les jeunes diplômés soient sollicités pour appliquer  leurs connaissances à la collecte et à l’étude des données qui rendent compte de la situation africaine.

En somme, ce que nous appelons de nos vœux, c’est la volonté politique nécessaire pour que des personnes qualifiées, des fonds et des outils techniques soient mis au service d’une société de la transparence et de la traçabilité. On ne peut l’envisager sans une réelle collaboration tripartite entre les gouvernements, les offices de statistique et les écoles de statistique et d’économie appliquée.

 

 Tite Yokossi

L’afro-optimisme selon Lionel Zinsou

Si l’afro-optimisme était une école de pensée, Lionel Zinsou en serait sans doute le chef de file. Ce banquier d’affaires franco-béninois, qui dirige le plus grand fond d’investissement français, PAI Partner, et par ailleurs conseiller du Président béninois Yayi Boni, estime que « l’Afrique sera bientôt au centre du monde ». Dans le cadre de la série d’entretiens que Terangaweb a réalisée avec lui, après « Lionel Zinsou, le parcours atypique d’un franco-béninois » et en attendant « L’Afrique et ses 4 anomalies », Lionel Zinsou justifie son afro-optimisme.

Terangaweb : Monsieur Zinsou, vous êtes considéré comme l’un des plus fervents tenants de l’afro-optimisme. Sur quelles bases se fonde votre position ?

Lionel Zinsou : Il me faut tout d’abord expliquer le contexte dans lequel j’ai été amené à défendre l’afro-optimisme. J’ai pendant longtemps eu des réserves de parole du fait de mes fonctions professionnelles. J’ai été un cadre de Danone puis un banquier qui ne parlait pas de ses affaires. La seule liberté de parole que j’avais portait sur des sujets autres que ceux sur lesquels je travaillais et qui me tenaient à coeur. C’est ainsi qu’en tant que citoyen, je préside le cercle Fraternité, cercle d’amitié autour de Laurent Fabius. Je siège aussi au Conseil de surveillance du quotidien Libération. On m’a questionné sur le manque de cohérence de cet engagement avec le « libéralisme » de mon métier de capitaliste ! (Rires)
L’Afrique était un autre domaine citoyen sur lequel j’avais le droit d’exprimer mon avis. En 2003-2004, puis lors du sommet de Gleaneagles en 2005, il y a eu des changements au niveau international concernant le continent. Georges Bush et Tony Blair se sont notamment ralliés à l’idée de désendetter les Pays les moins avancés (PMA) situés principalement en Afrique. Le magazine Le Point a alors publié un entretien avec moi sur la croissance et même la renaissance de l’Afrique du fait de cette actualité, ce qui a donné le ton de ma position ensuite. A partir de ce moment, mon point de vue a commencé à être audible.

Terangaweb
: Et quel est exactement le point de vue que vous défendez sur la situation de l’Afrique ?

Lionel Zinsou : On me disait : « on sait que l’Afrique va mal, qu'elle est en guerre, que le chômage progresse, que les pandémies progressent, pourquoi nous raconter que tout cela est faux ? ». Moi je disais : « les pandémies régressent dans des proportions qu’on a rarement vues ; la conflictualité est en baisse continue suivant les indices calculés par l'OCDE ; les taux de croissance positifs augmentent depuis les années 2000, il y a consensus sur le fait que ces taux de croissance sont sans doute sous-estimés et ils ne sont surpassés que par l'Asie.»
J’ai donc rappelé une série de banalités. L’Afrique est désendettée : on est passé d’un endettement de 120% du PIB à 20% au cours de la décennie 2000, notamment sur la période 2004-2010. Cette situation s’explique par l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus pauvres, et par le remboursement en ce qui concerne certains Etats comme l’Algérie et le Nigéria. L’Afrique enregistre parallèlement le taux d’épargne le plus élevé après l’Asie. Il existe donc de meilleurs indicateurs financiers.

Il en va ainsi de nos réserves de change : on accumule ces réserves parce qu’on a une balance de marchandises excédentaire. L’Afrique est par exemple le seul continent à avoir une balance commerciale excédentaire avec la Chine. La balance de capitaux est aussi très excédentaire parce que les remboursements de crédits sont réduits, parce qu’il y a une croissance des investissements directs étrangers et que le rapatriement de l’épargne des migrants est égal ou supérieur à l’aide publique au développement. On a environ 500 milliards de dollars dans les coffres de nos banques centrales.

Terangaweb : Mais cette situation que vous décrivez concerne-t-elle l’ensemble du continent ?

Lionel Zinsou : On m'oppose souvent qu’il y a une hétérogénéité de l’Afrique. Par exemple : les pays pétroliers et les autres. La croissance du Bénin sur dix ans est cependant supérieure à celle du Nigéria. Les fluctuations des matières premières donnent des écarts à court terme, mais à moyen terme la tendance de croissance est à peu près identique sur l’ensemble du continent. Si on met de côté les pays qui sont en période d’après guerre et qui enregistrent des résultats de croissance élevés à court terme (cas de la Sierre Leone, du Mozambique, de l’Angola, du Libéria et bientôt de la Côte d’Ivoire), il y a une vraie convergence des taux de croissance à moyen terme en Afrique. Cette croissance homogène s’échelonne autour de 5% ; la variance et les écarts types restent faibles ; ce sont les situations de départ qui singularisent quelques pays plus avancés dans leur développement humain.

Terangaweb : Cette croissance homogène à l’échelle du continent n’a-t-elle pas été remise en cause par la dernière crise économique ?

Lionel Zinsou : Une partie de l’Afrique a vécu une crise forte en 2009 – 2010 ; c’est notamment le cas des pays pétroliers, de l’Afrique du Sud et de l’Egypte qui sont plus intégrés dans le commerce international. En réalité, plus on était une économie moderne, plus il existait un risque de croissance négative. Mais globalement l’Afrique n’est pas entrée en récession et le continent a été un de ceux qui ont le mieux résisté à la crise. On peut parler de ces choses là ou ne pas les dire. J’ai choisi de les dire. Bien sûr, il y a du chômage, des émeutes de la faim, et on peut donc en limiter la portée. On peut dire que la croissance n’est pas le développement. Mais cela ne sert à rien de dire qu’il n’y a pas de croissance en Afrique. Il n’y en a pas eu pendant au moins 25 ans, donc maintenant qu’il y en a il faut plutôt s’en réjouir.
Et même si l’on prend des grandeurs de consommation, de production industrielle et agricole, de télécommunications, de rendement de l’impôt, de bancarisation etc …, on peut toujours recouper au niveau micro-économique qu’il se passe quelque chose en Afrique en ce moment. La plupart des indicateurs économiques sont au vert, ce sont des chiffres de croissance globale qui renvoient à des transformations considérables et d’une rapidité presque inconnue dans l’histoire. Je suis maintenant prêt à en discuter la pertinence en termes de qualité du développement mais c'est un autre sujet.

Terangaweb : Ce discours, pas souvent ni suffisamment exprimé en général, fait de vous un vrai afro-optimiste…

Lionel Zinsou : De manière générale, je ne partage pas le fatalisme ni le pessimisme d’analystes comme Stephen Smith (auteur de Négrophobie). L’Afrique possédera le quart de la population d’âge actif du monde dans 30 ans . Historiquement, l’atelier du monde est là où réside le plus grand nombre de gens d’âge actif. Dans 30 ans, cet endroit sera l’Afrique et non plus la Chine. Inexorablement, l’Afrique sera importante ne serait-ce qu’en termes démographiques. Et il faut se rendre compte à quel point, historiquement, l’Afrique est un continent vide : 250 millions d’habitants en 1960 sur 30 millions de km², environ 30 millions 100 ans auparavant, aujourd’hui 850 millions et dans 30 ans environ 1,5 milliard d’habitants. Le continent était vide. Aujourd’hui, c’est le début d’une espèce de plénitude de l’Afrique. C’est une dimension incontournable.
Je souhaite aussi répondre à une question qui revient sans arrêt : la dégradation du service public en Afrique. On oublie qu’auparavant, à la veille de l'Indépendance, ces services publics n’existaient pas ou très peu. Prenez le service public d'éducation. Le fait le plus frappant est la rapidité récente des progrès de l’alphabétisation. Il s’agit de l’un des rares Objectifs du Millénaire qui vont être atteint. On est passé de 20% à 70% d’une classe d’âge scolarisée au Bénin, avec une population passée de 2 millions à 10 millions d’habitants. Donc on ne peut pas se contenter de dénigrer les services publics en Afrique. Tous les débats sont ouverts sur le développement, mais les faits de base vont dans le bon sens.

Propos recueillis par Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye et Tite Yokossi
 

La difficile réforme foncière en Afrique : Cas du Lesotho

La difficile réforme foncière au Lesotho est un article écrit en 1986 par I.-V. Mashinini dans le magazine Politique africaine. Il est frappant par le fait qu’il reste d’actualité, par son à-propos et sa précision dans l’analyse de la situation agricole africaine et dans la position des problèmes.

L’article commence par le constat de la baisse de la production agricole africaine au cours des années 70 et la pénurie alimentaire aigüe qui en a résulté malgré l’importation de denrées alimentaires. Après avoir décrit les méfaits de cette politique d’importation sur l’agriculture locale, I.-V. Mashinini traite de l’ampleur prise dans les années 70 – 80 par la crise agricole africaine sur les plans social, économique et politique.

Afin de juguler cette crise, les chefs d’Etat africains ont adopté en 1980 le Plan de Lagos. Ce plan admet que le système de propriété foncière « communautaire » existant est une entrave à la croissance agricole. Ce plan a conduit à quelques projets de réforme foncière (Kenya, Botswana, Lesotho) dont la tendance principale est la privatisation. L’article analyse le cas du Lesotho.

En effet, afin d’augmenter sa trop faible production agricole, le Lesotho lance une réforme foncière en 1979. Trois formes de régime sont alors prévues :

        La concession : des droits sur la terre sont attribués d’après les procédures coutumières et sont cédés par héritage. Aucun fermage n’est demandé pour les biens concédés mais la concession peut être révoquée en cas de mauvaise gestion de la terre.

        Le bail : le bailleur dispose de droits personnels complets sur la terre qu’il peut donc vendre, sous-louer ou hypothéquer.

        La licence : qui ne s’applique que dans le cas de terres à usage agricole enclavées dans des zones urbaines.

La mise en œuvre de cette réforme foncière dans les zones rurales a été bloquée pour plusieurs raisons parmi lesquelles, on peut citer :

        une opposition entre les intérêts des leaders politico-administratifs traditionnels et ceux des politiciens et bureaucrates modernes

        le fait que cette réforme ait été imposée au pays par le haut (communauté internationale, groupe réduit d’entrepreneurs modernistes)

        l’absence de ressources financières et techniques nécessaires à la mise en œuvre.

Enfin, l’auteur expose les risques de la mise en œuvre d’une telle réforme foncière au Lesotho, avec au premier chef, une aggravation de la pénurie des terres du fait de la concentration de celle-ci dans quelques mains avec peu de possibilités de reconversion pour les 20 000 familles qui se retrouveraient sans terre.  D’autre part, les incitations à produire des surplus pour ceux qui accèdent à la terre seraient négligeables sans une réforme agraire qui toucherait à d’autres stimulants indispensables : les prix et la commercialisation. Cependant, la protection de la production locale au Lesotho semble difficile du fait de l’intégration de l’Afrique australe.

Retrouvez l’intégralité de cet article très intéressant et très instructif en suivant le lien : http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/021054.pdf

Tite YOKOSSI

Le développement de l’Afrique passe t-il par une révolution agricole ? (3ème partie)

Un vrai débat existe sur les priorités et les étapes à suivre pour le développement. Il parait naturel de penser qu’elles sont différentes suivant les régions et les pays du monde et suivant les époques. L’on est cependant tenté de se demander s’il y a des constantes ou des règles immuables pour le développement et si l’essor du secteur agricole en fait partie. Plus modestement, nous nous intéresserons ici à la question de l’importance d’une révolution verte pour le développement de l’Afrique. Il nous a d’abord paru intéressant et instructif d’avoir en tête des exemples de révolution du secteur primaire et de voir la place que celle-ci a eu dans l’amorçage du développement de pays aujourd’hui considérés comme économiquement développés (1ère partie) ou émergents (2ème  partie). Nous nous focalisons à présent sur le continent africain (3ème partie).

Dans les années 70, la plupart des pays africains ont décidé d'ignorer l'importance capitale pour le développement de l’essor du secteur agricole. Ils ont fait une croix sur l’objectif de sécurité alimentaire qu’ils s’étaient fixés et ont choisi comme priorité l’exportation des ressources minières, l’industrialisation et la monoculture de rente qui ont déséquilibré et fragilisé l’agriculture. Les résultats de ces choix ont été catastrophiques. Aujourd’hui, l’on reconnait de plus en plus que sans l’agriculture, il n’est point de salut. Pour l’Afrique actuelle, la révolution verte est une urgence, une nécessité et une priorité.

L’urgence est celle de la sécurité alimentaire. Le problème de la faim persiste. Pourtant, son élimination n’est pas seulement un impératif d’ordre moral ou éthique, c’est aussi une nécessité économique. La sous-alimentation affaiblit les capacités physiques et cognitives, favorise la progression de nombreuses maladies et entraîne une forte baisse de la productivité. Selon une étude de la FAO portant sur 110 pays entre 1960 et 1990, le produit intérieur brut (PIB) annuel par habitant en Afrique subsaharienne aurait pu atteindre, s’il n’y avait pas eu de malnutrition, entre 1 000 et 3 500 dollars en 1990, alors qu’il n’a pas dépassé les 800 dollars. Il est aisé de comprendre l’énorme avantage, pour les producteurs de biens et de services, de la transformation de 200 millions d’affamés en consommateurs avec un pouvoir d’achat effectif.

Sur les 53 pays africains, 43 disposent d’un faible revenu et connaissent un déficit alimentaire. Non seulement ils ne produisent pas assez pour nourrir leur population, mais ils n’ont pas les ressources suffisantes pour importer les aliments qui combleraient l’écart. L’Afrique, où les moins de 15 ans représentent environ 45 % de la population, devra nourrir une population qui avoisinera 2 milliards d'habitants en 2 050. Pour relever ce défi, il lui faudra accroître à la fois la production et la productivité agricoles.

La nécessité concerne l'objectif du développement. Actuellement, l’agriculture emploie 57 % de la population, assure 17 % du PIB et procure 11 % des recettes d’exportation. Elle pourrait devenir le moteur du développement économique et social si une partie plus importante des allocations budgétaires nationales et des investissements privés lui était accordée. En effet, une augmentation de la production agricole ne permettrait pas seulement de nourrir les populations, elle réduirait les prix des produits agricoles, tout en augmentant le revenu des agriculteurs. Le pouvoir d’achat s’en trouverait sensiblement augmenté. D’autre part, quand on sait que les surfaces actuellement cultivées en Afrique subsaharienne, ne représentent qu’un quart de l’espace potentiellement utilisable pour l’agriculture et que la productivité d’un agriculteur du Sud du Sahara est environ deux cent fois inférieure à celle de son confrère européen, on imagine aisément les rendements importants qu’auraient une augmentation des investissements dans le secteur agricole .

Enfin, pour le développement, on ne peut passer outre le maillon agricole. C’est la leçon qu’on peut tirer des décennies 1970-2000. L’industrialisation sans les matières premières agricoles est illusoire. Les services même s’ils se développent ne sauraient à eux seuls permettre l’importation des biens de première nécessité à des prix internationaux – très volatiles et qui atteindront encore des sommets – et garantir une croissance durable. Surtout, ils ne résoudraient pas les problèmes de la pauvreté et de l’emploi. Car, on oublie trop souvent que l’agriculture – qui inclut, dans une acception large, les productions végétales, la transformation agroalimentaire, l’élevage, la pêche et l’exploitation forestière – est l’activité première pour plus de 60 % de la population africaine.

La priorité vient de l'importance de l'agriculture dans le processus du développement. Mettre l’agriculture en avant permettrait non seulement de la développer créant ainsi richesses et emplois mais aussi de développer autour et de façon significative les autres secteurs de l’économie. On ne peut penser l’essor de l’agriculture sans le développement des transports, des services – les marchés, les crédits et des infrastructures notamment de stockage. La révolution verte ne peut avoir lieu sans le développement corolaire d’activités économiques pour ceux qui doivent sortir de l’agriculture. Ces activités non agricoles se développeront à partir de la transformation des matières premières agricoles, à partir de services aux agriculteurs et de façon artisanale, sous la forme de PME, PMI et commerces, en milieu rural, dans les bourgs et en ville.

Le philosophe grec Xénophon disait que « l’agriculture est la mère de tous les arts : lorsqu’elle est bien conduite, tous les autres arts prospèrent ; mais lorsqu’elle est négligée, tous les autres arts déclinent, sur terre comme sur mer ». C’est pour l’avoir négligée, que l’Afrique se retrouve avec 200 millions de sous-alimentés et un tel retard de développement. Pourtant, le mode d’emploi pour enclencher la révolution agricole est bien connu. Nous avons eu dans les articles précédents consacrés aux pays développés et surtout émergents des éléments de réponse. Il faut investir dans le capital productif, la recherche, les infrastructures, les services publics, l’éducation et la formation. Mais cela ne suffit pas. Il faut un cadre institutionnel adéquat pour accompagner la production agricole. Là aussi, les bonnes recettes sont bien identifiées et parmi elles figurent des politiques commerciales incitatives couplées d’une réforme foncière.

Comme l’a dit Lionel Zinsou, «ne pas investir dans l’agriculture est un moyen sûr de rester dans le sous-développement ». Certains pays africains comme le Ghana – qui investit dans l’agriculture, dans des programmes d’alimentation scolaires et accorde des subventions aux petits agriculteurs – l’ont compris et agissent en conséquence. Qu’attendent les autres ?

  Tite Yokossi

Côte d’Ivoire : Même quand l’économie est au point mort, l’espoir fait vivre!

Il n’a échappé à personne que depuis déjà plus de quatre mois, la Côte d’Ivoire est le théâtre d’une crise post-électorale sans précédent. L’économie de ce pays, l’une des plus dynamiques de la sous-région ouest-africaine, s’en ressent fortement, au point d’être « au bord du gouffre ». C’est cet état de fait que décrit un article paru fin mars dans Jeune Afrique : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2618p076.xml0/cacao-uemoa-sgbci-exportationcote-d-ivoire-une-economie-au-bord-du-gouffre.html
 
On y apprend qu’aucun secteur n’est épargné ; qu’il s’agisse des banques, des exportations de cacao, du secteur du bâtiment ou encore de la téléphonie, les pertes et manques à gagner sont abyssaux. Le secteur du bâtiment qui enregistre une baisse de 70% de son chiffre d’affaires apparait le plus affecté. Les entreprises de petite taille (PME et PMI) sont les plus pénalisées. En cause : le manque de liquidités. En conséquence : une cessation des paiements depuis fin novembre.
 
De nombreux autres exemples viennent se rajouter à cette triste liste. Les cinq opérateurs de téléphonie évaluent leur manque à gagner à 200 millions de FCFA par jour depuis le 24 février, date de la coupure des SMS. L’article mentionne également la très forte réduction – pour ne pas dire l’arrêt – des exportations de cacao de même que la suspension des activités des banques.
Dans ce chaos économique généralisé et amplifié depuis le début de la guérilla à Abidjan, apparait pourtant des lueurs d’espoir. Un espoir qui se manifeste d’abord par la solidarité, une solidarité qui transcende les divisions politiques. Des exemples symboliques de cette solidarité et de la façon dont elle s’organise sont donnés dans un autre article de Jeune Afrique : http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20110408092541/
 
 Il y est question des initiatives solidaires mises en place par des Ivoiriens pour des Ivoiriens barricadés chez eux afin d’échapper aux tirs et aux pillages. Il est très plaisant de voir l’ingéniosité de bénévoles ivoiriens se mettre en œuvre pour faire face aux difficultés rencontrées par leurs compatriotes pour communiquer et se soigner. D'abord grâce aux réseaux sociaux Facebook et Twitter, des moyens simples sont mis en place pour permettre à des personnes dans le besoin de le signaler à des équipes de bénévoles.
L’ONG Akendewa a installé un centre d’appel d’urgence à Accra pour recevoir des appels de personnes en détresse. Le call center identifie et localise les besoins puis avertit des bénévoles basés à Abidjan. Une carte collaborative des rares pharmacies opérationnelles, des marchés et hôpitaux a aussi été mise en place et des médecins d’Abidjan se sont regroupés pour assurer une permanence téléphonique et prodiguer des conseils en attendant l’arrivée des secours. Espérons que de telles initiatives se multiplient et surtout que le retour à une situation normale arrive vite.
 
Tite Yokossi