Il est une réalité indiscutable au Bénin : le secteur privé est sous-financé. En effet, le crédit intérieur fourni au secteur privé représente 17% du PIB du Bénin en 2019. A titre de comparaison, ce chiffre est de 87% au Maroc, 140% en Afrique du Sud, 86% en Tunisie, 72% en Namibie. Le constat est établi : les entrepreneurs au Bénin ne sont pas suffisamment financés. A la suite de cette observation, il y a un désir naturel de recherche de causes : « Tout ce qui naît, naît nécessairement d’une cause », aphorisme axiomatique proclamé par Platon dans le Timée. Les « circonstances causales » qui conduisent au fait souligné ci-dessus sont sans doute nombreuses et diverses (la défaillance du système légal de droits de propriété, les conditions des prêts bancaires, la mauvaise perception du risque, etc…). Mais, je veux monter en épingle un axe du terrain causal qui a trait à la fonction même de l’entrepreneur. Il va donc falloir expliciter (succinctement) le rôle de l’entrepreneur dans une économie.
Le genre humain, dans l’exercice de son conatus, oscille entre besoins et satisfactions. S’il n’y a besoin d’effort pour répondre au besoin, la satisfaction est, en quelque sorte, gratuite. Mais, bien souvent, la satisfaction est onéreuse en ce sens qu’elle requiert de l’effort, de la peine pour avoir cours. Par exemple, tout homme a besoin de manger et, pour cela, doit employer la force de ses bras soit directement en cultivant des aliments soit indirectement sous forme d’unités monétaires : la satisfaction est, dans ce cas, onéreuse. Et c’est là qu’intervient un personnage curieux qu’on appelle entrepreneur. Ce dernier passe son temps à se demander comment rendre moins onéreuses les satisfactions des hommes. Dit autrement, l’entrepreneur cherche à rendre service à ses semblables en appliquant ses facultés aux choses. C’est dans ce sens qu’il faut entendre le « Nous voulons rendre le monde meilleur » des grands entrepreneurs de la planète. Il s’ensuit que, par sa fonction, l’entrepreneur est la source de la croissance économique. Pour bien remplir son rôle, l’entrepreneur a besoin la plupart du temps de capital (des machines, de l’argent, etc…) pour développer son idée. Mais, il ne passe à l’action qu’après un calcul économique. Tout entrepreneur a des coûts certains (ou maîtrisables) et des revenus incertains (espérés). Donc pour qu’il passe à l’action, il faut que le coût du capital soit inférieur à la rentabilité espérée du capital ; autrement c’est la faillite assurée. Une fois ce principe énoncé, je peux revenir à la situation du Bénin afin de déterminer approximativement la valeur des deux variables (coût du capital et rentabilité du capital).
Que le lecteur veuille bien considérer le graphique suivant.
Le coût du capital c’est le taux d’intérêt des crédits accordés par les institutions financières. Au Bénin, le taux d’intérêt moyen des crédits aux entreprises individuelles varie, depuis 2012, entre 11% et 10%, celui aux TPE, PME et grandes entreprises varie entre 9% et 7%. Il nous faut déterminer maintenant la rentabilité moyenne du capital employé par les entreprises au Bénin qui doit être normalement bien supérieur au coût du capital. C’est là que je me heurte à l’absence de données fiables (un grand merci d’avance au lecteur qui pourra me faire suivre les données sur la RMCI au Bénin).
Afin de dépasser cet obstacle, je fais l’hypothèse suivante : la rentabilité moyenne du capital investi au Bénin est strictement inférieure à celle du Royaume-Uni (soit dit en passant, je pourrais prendre les Etats Unis pour l’exemple). Hypothèse raisonnable. Car, le Royaume-Uni possède les meilleures universités du monde (donc un capital humain extraordinaire), les meilleures infrastructures, ses entreprises sont les mieux gérées au monde, etc. Au Royaume-Uni, la rentabilité moyenne du capital investi pour les entreprises non financières (qui mesure l’efficacité de l’utilisation de l’ensemble des capitaux investis) varie entre 12% et 13% depuis 2011. Cela signifie que pour 100 livres sterling investis au Royaume-Uni l’on gagne en moyenne 12 livres sterling comme profits (bien sûr, cette moyenne cache les disparités entre les différents secteurs de l’économie, entre les différentes villes, etc.). Pour le même capital investi au Bénin, l’on est sûr de gagner en moyenne moins de 12 livres sterling en sachant que si le capital investi provient d’un crédit bancaire, celui-ci coûte en moyenne 11 livres sterling pour une entreprise individuelle au Bénin. La marge est alors très mince pour l’entrepreneur. La règle « il faut que le coût du capital soit inférieur à la rentabilité du capital » est à peine vérifiée au Bénin ; ce qui n’est pas une bonne nouvelle. Car les entrepreneurs, dans ce contexte, ne vont pas passer à l’action : ça, c’est ce qu’on voit. Ce qu’on ne voit pas, ce sont les milliers d’emplois que ces entrepreneurs auraient pu créer, c’est leur contribution à la croissance économique du pays qui s’évapore, c’est le bien-être collectif qui est sapé.
Eu égard à ce qui précède, il ressort que le cadre global au Bénin ne donne pas suffisamment d’incitations à l’endroit de l’entrepreneur. Au sein d’une économie, la création de richesse est directement liée au stock de capital dont l’évolution est motivée par la profitabilité des investissements, elle-même fonction de la rentabilité du capital et du taux d’intérêt réel.
Il urge d’améliorer la situation des entrepreneurs au Bénin en diminuant le coût du capital, le taux d’intérêt réel des crédits accordés aux entreprises. Ce serait un bon signal envoyé à ceux qui ont l’étincelle divine de la création, c’est-à-dire les entrepreneurs.
Leave a comment
Your e-mail address will not be published. Required fields are marked with *