Kramer: You think that dentists are so different from me and you? They came to this country just like everybody else, in search of a dream.
Jerry: Kramer, he's just a dentist.
Kramer: Yeah, and you're an anti-dentite.
Seinfeld – Season 8/ Episode 19: "The Yada Yada"
A priori, ce qui arrive actuellement à Cécile Kyenge, première femme d’origine africaine à occuper un poste de ministre en Italie, ne concerne pas tout à fait l’Afrique.
Petit rappel : cette femme de 48 ans née au Congo, a émigré en Italie au début des années 80, a poursuivi ses études supérieures en médecine sans accrocs. Diplômée en médecine et chirurgie ophtalmologique, mariée et mère de deux filles, elle a œuvré parallèlement à sa pratique professionnelle au sein de diverses associations d’aide aux immigrés et de promotion du dialogue interculturel. Membre des « Démocrates de Gauche », elle rejoint le Parti Démocrate à la formation de celui-ci en 2007. Au cours de la dernière décennie, elle exerce différentes fonctions au sein d’exécutifs régionaux en Emilie-Romagne avant d’être élue au parlement en février 2013. Deux mois plus tard, elle était nommée ministre de l’intégration d’Enrico Letta.
Depuis qu'elle a rejoint le gouvernement, elle a été la victime d’inconcevables outrances et injures publiques. Sa page Facebook a été gratifiée d’inscriptions [italien] aussi remarquables que : « singe congolais », « négresse va te laver », « négresse anti-italienne », « boniche puante » ou encore « Miss Congo ». Mais l’escalade ne s’arrête pas aux anonymes sur internet. Pour Erminio Boso ex-sénateur issu de la Ligue du Nord, Kyenge a « une tête de femme au foyer » et devrait « rester chez elle, au Congo ». Mario Borgheso député européen a été exclu tout récemment du groupe EFD pour avoir dit, entre autres, que le nouveau gouvernement italien était un « gouvernement bongo-bongo » et que Cécile Kyenge imposerait en Italie « ses coutumes tribales ».
La dernière controverse en date est venue d’une conseillère municipale de la Ligue du Nord qui commentant une tentative de viol supposément commise par un immigré Africain, a tout bonnement appelé au viol de Cécile Kyenge, afin que cette dernière puisse comprendre ce que pouvaient éprouver les victimes de pareils crimes. Expulsée depuis lors de son parti, la conseillère s’est répandue sur Facebook en excuses alambiquées, ressortant l’ultra-usé « c’était une blague », etc.
Je l’ai écrit à maintes reprises : le racisme est avec la masturbation, le sujet de discussion le plus ennuyeux que je connaisse. Ca manque d’imagination et d’originalité. Pour attaquer une femme née en Afrique, ils n’ont rien trouvé d’autre que des clichés animaliers et classistes? Moi je l’aurais attaquée sur son métier! 60 euros la consultation, connards d’ophtalmos…
Aussi, sur Terangaweb comme ailleurs, je me suis suffisamment plaint de l’espèce de solidarité qu’on attend entre Africains et membres de la diaspora. Jusqu’à preuve du contraire Cécile Kyenge est une italienne victime d’abus commis par ses compatriotes. C’est une affaire entre ritals qui s’en fiche ? Et qu’est-ce qui pourrait encore nous choquer venant de gens qui ont élu et réélu Silvio Berlusconi comme premier ministre ?
Mais je proteste trop pour être honnête. Que ce type d’attaques retombe sur une femme est tellement prévisible. J’ai l’intime conviction que si un homme avait été nommé à la place de Cécile Kyenge, une sorte de solidarité masculine (ou de bon sens civique physique) aurait joué et les hommes politiques (pas le public qui vaut ce qu’il vaut) y auraient réfléchi à deux reprises avant de l’attaquer publiquement. Dans le couple Obama, c'est Michelle, pas le président qui reçoit la plus grande part d'attaques à caractère ethnique.
La violence et la grossièreté des attaques dont est victime la nouvelle ministre de l’intégration lèvent le voile sur ce que vivent bien des immigrés (africains ou non) en Italie. Et révèlent l’étendue de l’abrutissement subi par bon nombre d’habitants de ce pays. La réaction de la classe politique italienne a été rapide et louable. En préparant cet article, j’ai pu constater l’intensité de la répulsion et du dégoût que les attaques contre Cécile Kyenge ont provoqués dans les espaces de commentaires, sur les sites de presse, Twitter et Facebook. Mais cela aussi est problématique. Il s’agit de réactions à des attaques jugées excessives. Mais excessives par rapport à quoi ?
Depuis une quinzaine d’années au moins, l’observateur le plus distrait a pu constater la banalisation de ce type d’attaques. Attribuer les travers de l’Europe aux immigrés est un sport national un peu partout. En France, ce n’est même plus un délit, c’est une opinion comme une autre. L’extrême droite est de retour au Parlement en Grèce et en France. Elle a été une des composantes principales de la galaxie Berlusconi en Italie. Les nostalgiques d’Enoch Powell au sein du Parti Conservateur en Angleterre sont nombreux, qui voient dans Londres non pas une ville multiculturelle mais le confluent des « fleuves de sang » prophétisés en 1968.
Cécile Kyenge est la dernière victime en date d’une longue série, qui ne s’arrêtera pas à elle. Et à plusieurs égards, le sort qui lui est réservé est moins tragique que celui de bien des immigrés. Mais ce n’est pas en tant qu’Africain (peu importe ce que ça peut bien vouloir dire) que le traitment reçu par Cécile Kyenge me révolte. C’est en tant qu’homme que je me sens sali et abruti en lisant ces attaques, aussi souillé que si j’avais participé à un viol.
C’est difficile à expliquer. Peut-être qu'une psychanalyse serait nécessaire. Peut-être que j’anticipe être un jour l'objet de ces insultes. Peut-être que la détermination crane et l’humour détaché de Madame Kyenge me bluffent. Peut-être que face à la bêtise et la haine, il n’y a qu’une seule réaction possible. Ou simplement, peut-être qu’au fond de moi, une voix ne cesse de murmurer : Cécile, ma fille, ma mère. Ma sœur.
Ou peut-être que je suis ivre.
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Cecile Kyengé connait le contexte italien. Elle a accepté ce poste très fort en sachant qu'elle ferait l'objet de violentes critiques. Evite de boire pour trouver l'inspiration nécessaire à l'écriture de tels articles.
Ta conclusion est très juste. Même si je doute que nous sommes face à de la bêtise. Je pense plus qu'en Europe, ce type de discours rassure une frange importante de la population et répond à des attentes silencieuses.
Apparemment, elle va s'attaquer au droit du sol en Italie. Ca va chauffer.
Je suis sûr qu'elle connaissait le contexte italien. Comme je l'ai indiqué en introduction, elle a passé pas mal d'années dans le milieu associatif. En revanche, je crois que peu de gens (elle compris) s'imaginaient à quel point se serait cru, violent et assumé. Même les habitués de la vie politique italienne (sur Fbook, Twitter et pas mal de sites internet) sont surpris par la chose. C'est une claque de rappel je crois.
Sur un autre point, c'est rare que je sois pompette à 7h du matin, mais merci pour le conseil.
Je suis totalement d'accord avec vous sur le fait qu'on avait beau s'y attendre mais des réactions de cette ampleur sont totalement démesurées.
Et juste je pense que si Michelle reçoit plus de critique que Barack c'est en partie parce que Barack est un métisse et que Michelle par contre elle est une vraie noire qui plus est une descendante d'esclave.Ceci pourrait expliquer certaines choses, on est toujours plus indulgents face aux métisses..